ROMEO ET JULIETTE
Compagnie Narcisse
Mise en scène : Anne Barbot et Alexandre Delawarde
PRÉAMBULE
La Passion nous fascine par sa capacité à transcender la société et à ne faire aucun cas de la réalitéL'amour
passionnel de Roméo et Juliette transgresse l’ordre historique, social et familial… La haine de Tybalt et de Mercutio,
conforme à cet ordre immémorial, leur fait enfreindre la loi, en fait des meurtriers, puis des cadavres.
Ces passions ne sont ni intellectuelles, ni sentimentales : ce sont les plus souterraines, les plus immaîtrisables,
celles des corps. Des corps qui se cherchent pour se confronter, s’affronter, s’unir et se séparer. Ici la chair est la
plus forte, trop forte pour ces adolescents qui la découvrent et qui en meurent.
Tel des pantins manipulés par des forces intemporelles, impersonnelles, invisibles dont nous portons l’héritage nous
faisons des choix dont l’origine peut nous échapper: nos préférences, nos goûts, nos désirs en sont l’expression la
plus immédiate.
Les personnages, plongés dans l’urgence des passions, nous renvoient à notre « misérable et
fabuleuse humanité » : ils pensent agir en toute liberté mais ne sont que les marionnettes d’un destin qui leur
échappe.
Nous nous emparons de Shakespeare avec passion et possédés par le génie incontestable de son poème, nous le
trahirons pour mieux le raconter…
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NOTRE DÉMARCHE
La Passion est une formidable force de subversion.
La lutte épique et universelle entre Passion et normes sociales nous questionne sur ce qui produit ces normes dans notre société. Les
médias de masse sont aujourd’hui un vecteur essentiel de ces normes : ils incarnent les valeurs de la société, en transmettent le cadre,
influencent et valident nos goûts, nos comportements, et même nos opinions…
À la relecture de Roméo et Juliette au travers du prisme des médias, nous avons découvert tous les éléments d’un thriller médiatique :
des passions brûlantes, du suspens, des rebondissements et un dénouement réconciliateur... mais, force était de constater que les
nouveaux médias ont bouleversé notre définition de l’intime. Les outils qui facilitent l’exposition publique de la vie privée ne laissent
presqu’aucun lieu, aucun événement à l’abri du regard des autres : comment préserver le secret des amants de Vérone ?
Cette « peopolisation » de la société donne lieu à un voyeurisme qui fait voler en éclat l’idée même de la sphère privée. En échange de
quoi, la vie intime des célébrités et le quotidien de parfaits inconnus, nous sont jetés en pâture : cela bouleverse les rapports humains et
le concept de secret risque de disparaître.
De plus, l’information n’a jamais circulé aussi vite et nos façons d’appréhender le monde, de percevoir les histoires et de les raconter en
sont profondément changées. Nous assistons à la « BFMisation » des médias, à l’avènement de l’immédiateté, de l’information en
continu, de la recherche permanente de l’exclusivité, de l’info-spectacle et de sa nécessité de dramatisation et de surenchère pour
capter et maintenir l’audience, avec tous les risques de dérapage que cela comporte.
Ce parcours nous a conduit à adapter les procédés de narration en gardant la langue de Shakespeare, et à offrir une place de choix aux
médias. Autour du nœud dramatique du secret de la relation de Roméo et Juliette, les médias de Vérone, plongés dans la course au
scoop, développeront un point de vue inattendu : ils construiront une version de l’histoire erronée, mais tout aussi crédible que la
« véritable histoire » à laquelle nous aurons assisté.
Notre questionnement sur l’omnipotence de l’image et l’omniprésence de l’émotionnel, nous emmènera au paroxysme du dérapage
médiatique : Roméo, figure de la Passion amoureuse deviendra l’Ennemi public n°1.
Nous nous interrogerons ainsi sur la place des médias dans nos sociétés, sur les rapports que nous entretenons avec eux, et
sur cette vie par procuration qui nous attend si nous leur abandonnons notre jugement.
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NOTE DE MISE EN SCÈNE
Raconter l’histoire mythique de Roméo et Juliette, dans un Vérone hyper-médiatique, nous est apparu comme une nécessité pour
inscrire la fable dans le 21ème siècle : comment ne serions-nous pas informés d’une guerre civile qui ferait rage, même à l’autre bout
du monde ?
Nous avons donc ancré la réalité médiatique au centre de l’intrigue. Nous avons ajouté au rôle de Paris (prétendant de Juliette),
l’emploi de présentateur phare d’une chaine de télévision de Vérone, et redéfini chaque autre personnage dans son rapport aux
médias, sans dénaturer sa fonction dramatique établie par Shakespeare.
Ainsi, la présence des médias au cœur du travail, nous a permis d’introduire un autre regard au sein de la fable, une caisse de
résonnance, un amplificateur des enjeux dramatiques de la pièce. Les événements privées auxquels ils sont conviés (fêtes,
mariage…) deviennent des événements nationaux ; les huis clos du pouvoir, surpris par des micros ou des caméras indiscrètes,
éclatent au grand jour ; les événements locaux (les rixes entre les deux familles…) prennent une ampleur planétaire… Et, de même,
cette surexposition médiatique renforce le secret de l’amour de Roméo et Juliette.
Cela nous a aussi conduit à revisiter les signes du pouvoir : la célébrité, l’ostentation, l’influence ont pris d’autres formes avec la
« peopolisation ».
Mais, l’utilisation des médias nous a contraint à une « BFMisation » de l’histoire, à une adaptation qui rend compte de l’urgence
dans le traitement de l’information, par des raccourcis dramaturgiques, des coupes qui accélèrent le rythme de l’histoire ; par le
remplacement des messagers de la pièce par une information que reçoivent les personnages en direct et où qu’ils soient par
contraste, ce flot ininterrompu et répétitif mettra en valeur les situations hors médias que nous réservons aux discours de Frère
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Laurent, symbole de la raison, de la pensée construite qui s’oppose à la l’expression immédiate de la passion et du laisser aller au
sentiment.
Cette accélération permanente nous a conduit à pousser l’emballement médiatique jusqu’à son paroxysme afin d’explorer
certains travers de la course à l’audimat : les conclusions hâtives, l’urgence grandissante de livrer des informations inédites (même
non vérifiées), la répétition de l’information qui en enfle l’importance, la surenchère de la dramatisation, l’influence de l’opinion
publique
Nous avons opté pour une sur-théâtralisation de la tragédie de Shakespeare et les traitements de la matière audiovisuelle en
sont des outils privilégiés : le montage, le cadrage, la sonorisation, le commentaire, et l’auto-mise-en-scène, permettent de
sélectionner, de grossir ou d’amenuiser le contenu, ce qui engendre des décalages et oriente parfois le regard du spectateur.
Le spectateur ayant accès à la version originale des faits et à la version médiatique, percevra ce décalage et ses mécanismes : un
constat où se mêlent amusement et indignation.
L’amusement du ridicule de certains procédés : la répétition qui donne une fausse importance, les personnages qui se donnent en
spectacle, le revirement médiatique qui oublie ses erreurs passées…
L’indignation, car soumis à l’impératif de l’audience, ils iront jusqu’à transgresser les tabous médiatiques : révéler publiquement
des confidences ; diffuser les images des corps des personnages morts, des effondrements émotionnels de leurs proches… Ils
utiliseront tous les moyens possibles pour retenir l’attention du spectateur : ils élaboreront des hypothèses crédibles fondées sur les
faits disponibles, et proféreront des accusations plausibles fondées sur ces hypothèses hâtives et invérifiées… faisant de Roméo
Montaigu un homme à abattre.
Peut-être même que l’effroi saisira les spectateurs, devant les effets de ces excès.
Et comme nous dévoilons certains mécanismes médiatiques toujours de manière théâtrale pour ne pas être envahi par la vidéo –
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nous ne cachons pas les artifices du théâtre : régie, techniciens, câbles, moniteurs, projecteurs… tout est à vue ; le spectateur
accède « back-stage », au « car régie ».
L’espace, aussi, participera à notre recherche sur la frontière ténue entre privé et public, entre montré et caché… un espace
modulable qui nous permet de raconter ce Mythe, parfois tambour battant, parfois dans le plus grand calme et le plus pur
isolement. Le spectateur pourra voyager du plateau de télévision d’un esthétisme brillant, coloré voire « bling-bling », à la sobriété,
voire l’austérité des formes d’un espace parfois totalement théâtral.
Si notre parti-pris nécessite la présence de l’audiovisuel en scène comme outil de narration à part entière, aucun élément, aucune
image ou réalité extérieure à la scène ne seront présentés. La réalité de cette fable se déroule dans les limites du théâtre pour
mieux laisser place à l’imaginaire.
Grâce à la mise en perspective inhabituelle de ce Mythe, nous voulons créer la surprise, l’interrogation, pour provoquer l’éveil et
éventuellement la réflexion.
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