Parlécrire* Je parlécris Tu parlécris Il ou elle parlécrit Nous parlécrivons Vous parlécrivez Ils ou elles parlécrivent *Parlécrit, mot-valise crée en 1999 par le linguiste Jacques Anis, pour désigner l’écrit conversationnel des chats et des messageries éléctroniques. Jane Secret Dnsep design graphique École Régionale des Beaux-Arts de Valence Juin 2010 6 INTRODUCTION 8 DIALOGUE/DÉFINITION 10 12 Langage verbal et non verbal Analyse conversationelle 18 FORMES DU DIALOGUE 18 21 27 31 34 36 Discours, paroles et textes Dialogue au théâtre Dialogue sur les chats et les forums de discussions internet Dialogue au cinéma Dubbing Dialogue dans la bande dessinée PONCTUATION 40 42 45 40 Naissances des signes de ponctuation La ponctuation aujourd’hui/État des lieux De multiples signes nouveaux SUMMARY 48 49 BIBLIOGRAPHIE RÉFÉRENCES ANNEXE 50 Verba volant ... Les mots s’envolent ... Pour être graphiste, il faut aimer les mots. (Citation tirée d’un magazine de graphisme français très en vogue.) J’aime les mots. (ouf) Mais j’aime les mots des autres. En fait, je n’aime pas beaucoup parler, je préfère écouter. Voir, observer, contempler, analyser et écouter. J’aimerais être une flâneuse baudelairienne. Marcher et observer. En fait ce que j’aime quand les autres parlent ce n’est pas seulement leurs mots, mais tout ce qui les accompagne. De la chorégraphie des corps en interaction aux mouvements du visage, des mimiques aux haussements de ton... Le tout reste de ne pas oublier d’écouter ce que les gens vous disent... ... scripta manent ... les écrits restent De même je n’aime pas tellement écrire, car j’ai toujours envie d’écrire comme je parle. Et c’est un problème, parce qu’on nous a toujours appris : il y a les mots pour parler et les mots pour écrire... Et des mots pour parlécrire ? Voilà déjà quelques temps que je m’interroge sur les rapports humains, les interactions entre les individus faisant des lieux publics et notamment de l’espace urbain mon lieu d’observation idéal. La rue des métropoles est lieu de « brassage » des langues. Un lieu souvent « plurilingue », pour reprendre les termes du linguiste LouisJean Calvet, où j’ai découvert différents types de langage dont celui du corps et même des vêtements. Les notions que j’ai déduites de ces observations pourraient se regrouper sous le terme « intercommunication » c’est-à-dire une communication qui prendrait en compte à fois le langage verbal et non verbal dans l’échange conversationnel. Comme je l’ai dit précédemment, j’aime les mots. Celui d’« intercommunication » en revanche, je l’aime moins. Après avoir longtemps hésité entre « discours », « parole », « oralité » ou encore « conversation »… J’ai finalement préféré troquer le mot « intercommunication » contre un terme plus général : « dialogue ». Pour moi le « dialogue » est une notion particulière qui implique la notion d’échange et ne se réduit pas à la conversation. C’est ce que je vais tenter d’éclaircir dès le début de ce mémoire en proposant une définition du dialogue. Pour la suite, si je devais rapporter la notion de « dialogue » directement dans le domaine du graphisme, ma question serait la suivante : Comment transcrire graphiquement un dialogue ? C’est à dire un échange de paroles, fait de mots mais aussi de sons, de rythmes et de silences, de gestes et d’expressions de visage, obéissant à un ensemble de conventions et de règles, d’improvisation aussi ! Et si je m’interroge sur sa transcription, d’autres questions suivent : Quelles formes prend le dialogue fictionnel, dans la littérature, dans l’écriture théâtrale ou au cinéma ? Existe-t-il aussi des conventions typographiques lors de la transcription de véritables conversations ? Y a-t-il des marqueurs particuliers pour témoigner de l’oral ? Quelles sont les limites de ces exemples de transcription du dialogue ? « Le passage d’un texte écrit à ce même texte parlé est une transformation fondamentale. Le texte écrit est une chose qui est à plat. Le texte parlé prend ses formes, ses trois dimensions, son volume, sa respiration, son magnétisme respiratoire, ses contractions musculaires, et alors vous quittez le pays de la littérature pour entrer dans celui du théâtre. C’est à dire de la présence. » Jean-Louis Barrault* Signe de la volonté de retranscrire l’oralité dans l’écrit, des tentatives graphiques ou typographiques ont eu lieu : − Soit au niveau de la mise en page, comme en poésie avec le poème-dessin de Rabelais, les calligrammes d’Appolinaire, Mallarmé… Dans les publications dadaïstes (tracts, revues, invitations) qui mettent la typographie au premier plan. Chez Marinetti et son principe de « Mots en liberté ». Ou encore chez Pierre Faucheux, Robert Massin et Jérome Peignot, pour leur approche typographique non conventionnelle dans la mise en page/mise en espace de textes poétiques ou théâtraux proche de l’oralité. − Soit dans le signe même (la typographie). C’est l’exemple de Schwitters, Bayer et Tschichold dans les années 20 ou encore plus récemment de Pierre Di Sciullo et de ses alphabets le Quantange et le Kouije. De la position d’observatrice, j’aimerais désormais passer à celle d’actrice et ainsi redonner vie au dialogue transcrit en lui rendant sa dimension corporelle et émotionnelle. Comment par le biais du graphisme redonner à la parole transcrite sa dimension « invisible », celle des sentiments, des «sens», un espace au delà de la perception ? Ainsi que sa dimension manquante : celle du corps vivant de celui qui parle ? Quel média utiliser ? J’envisage alors de rechercher les signes visuels déjà existants et traduisant l’oralité, le dialogue, à travers différents médias, d’en faire mes propres outils. Ainsi, nous passerons par la littérature, le théâtre, les chats sur internet, le cinéma et même par la bande dessinée, ce qui nous permettra d’étudier différents types de textes ou d’écritures confrontées à la problématique du passage de l’oral à l’écrit ou inversement. De nouveaux signes seront certainement nécessaires afin de répondre aux manques liés au passage oral/écrit. Ici commence l’intervention du designer. *Jean-Louis Barrault, 1910-1994 Acteur, metteur en scène et directeur de théâtre français Écriture romanesque, écriture dramatique, in Cahiers Renaud-Barrault, no 91, page 18, Paris, 1976 DIALOGUE/ DÉFINITION Pour comprendre la définition que je propose du «dialogue» Il est important, je crois, d’insister ici sur les termes « visuels » et « non verbaux », car pour moi le dialogue ne se réduit pas à un échange de mots. Un sourire, un regard ou un geste font aussi partie du « dialogue » car ce type de signaux, au même titre que les mots vont être reçus et interprétés par l’interlocuteur et influencer son comportement. Dans cette logique un monologue (avec par exemple une personne qui parle et une personne qui écoute) serait aussi une forme de «dialogue». Car la personne qui écoute, réagira de façon plus ou moins consciente à la « réception » du « message ». Sa réaction se traduira « physiquement » et fera à son tour office de « message » pour la personne qui parle. Le mot « dialogue » vient du grec dialogos et est formé de deux racines, dia qui signifie au travers et logos qui signifie verbe, parole, mot ou plus précisément, le sens de la parole (ou du mot). Le dialogue est un type de discours qui vise à produire un accord. Il est construit par deux énonciateurs au moins qui occupent, successivement ou à tour de rôle, la place de destinataire. Il doit y avoir au minimum un émetteur et un récepteur. Une donnée émise, c’est le message. Un code, c’est la langue. Il se fait par signaux auditifs et visuels, verbaux et non verbaux. Pour tenter de définir le dialogue on pourrait reprendre le système général de la communication de Shannon et Weaver mit en place à la fin des années 1940. Ce schéma servit d’illustration au travail de mesure de l’information entrepris pendant la Seconde Guerre Mondiale par Claude Shannon, puis connu une immense popularité. À l’origine, les recherches de Shannon ne concernent pas la communication, mais le renseignement militaire. Jusqu’à la fin de sa vie, celui-ci ne cessera de s’opposer à la reprise de ce modèle pour autre chose que des considérations mathématiques. Pourtant ce système a été considéré comme un des fondements historiques des théories de la communication. Pour faire de ce schéma une illustration du dialogue, il faudrait dans un premier temps considérer que l’on puisse le lire dans les deux sens (car le dialogue, contrairement à la communication implique la notion d’ « échange »). Bruit = toute source d’interférences susceptibles de détériorer le signal et donc d’affecter la communication. On peut résumer ce modèle en : Un émetteur, grâce à un codage, envoie un message à un récepteur qui effectue le décodage dans un contexte perturbé de bruit. Ce système comporte bien entendu des limites car il s’agit d’un modèle théorique assez simpliste. Le processus de communication dans ce modèle est limité à sa dimension informative. La communication est perçue comme une relation linéaire, fluide et mécanique. Il y a absence de toute forme de rétroaction, et le contexte sociologique et psychologique n’est pas pris en compte. L’exercice de la parole implique une interaction, c’est-à-dire que tout au long du déroulement d’un échange communicatif, les différents participants, exercent les uns sur les autres un réseau d’influences mutuelles ; parler c’est échanger, et c’est changer en échangeant. Pour qu’il y ait échange communicatif, il ne suffit pas que deux locuteurs (ou plus) parlent alternativement ; encore faut-il qu’ils se parlent, c’està-dire qu’ils soient tous deux « engagés » dans l’échange. 10 Langage verbal et non verbal Le langage non verbal représente toutes les formes de communication (et pas seulement le langage corporel) qui ne passent pas par l’énoncé de mots. L’émetteur Il doit signaler qu’il parle à quelqu’un par l’orientation de son corps, la direction de son regard, ou la production de formes d’adresse ; il doit aussi maintenir son attention par des sortes de captateurs : « hein », « n’estce pas », « tu sais », « tu vois », « dis », « j’vais t’dire », « j’te dis pas », « en fait », etc. Et éventuellement « réparer » les défaillances d’écoute ou les problèmes de compréhension par une augmentation de l’intensité vocale, des reprises, ou des reformulations : on qualifie de « phatiques » ces divers procédés dont use le locuteur pour s’assurer l’écoute de son destinataire. Le récepteur Il produit aussi certains signaux, visant à confirmer au locuteur qu’il est bien « branché » sur le circuit communicatif. Ces régulateurs (ou signaux d’écoute) ont des formes diverses : non verbales (regard et hochements de tête, froncement de sourcils, petit sourire, léger changement de posture…), vocales (« hmm » et autres vocalisations), ou verbales (« oui », « d’accord ») reprises en écho. Il ont aussi des significations variées (« je te suis », « j’ai un problème communicatif », etc.), mais en tout état de cause, la production régulière de ces signaux d’écoute assure le bon fonctionnement de l’échange : des expériences ont prouvé que leur absence entraîne d’importantes perturbations dans le comportement du locuteur. Labov et Fanshel linguistes américains fondateurs de la sociolinguistique Le dialogue est aussi un type d’« interaction verbale » c’est à dire une suite d’événements dont l’ensemble constitue un «texte» produit collectivement dans un contexte déterminé et dont se dégagerait un ensemble de règles (tour de parole…) Mais une interaction c’est aussi, selon la définition de Labov et Fanshel, « une action qui affecte (altère et maintient) les relations de soi et d’autrui dans la communication de face à face » Les mots et leur sens Le message que l’on cherche à communiquer à l’autre passe entre autre par un « code verbal » : – Le tutoiement, peut signifier la familiarité ou la provocation. – La politesse traduite par des formules, le vouvoiement… – Le choix des thèmes de conversation – Le niveau de langue : courant, soutenu… – Le vocabulaire utilisé (plus ou moins étendu), exemple : jargon, argot… – La syntaxe 11 Autour du verbe L’ensemble des signaux accompagnant l’articulation du matériel verbal est ce qu’on appelle le matériel paraverbal. Une distinction rudimentaire entre verbal et paraverbal pourrait être celle-ci : le verbal serait ce qu’une transcription écrite conserve des phénomènes langagiers ; le paraverbal serait ce que seul un enregistrement au magnétophone pourrait enregistrer, mais que l’écrit ne retient pas. Les phénomènes désigné par le terme de paraverbal sont nombreux et hétérogènes. Parmis eux on distingue notamment des caractéristiques propres à la voix : la hauteur, l’intensité articulatoire et le timbre (le chuchotement est ce que les phonéticiens appellent « la voix de proximité »). On peut également distinguer le débit, c’est-à-dire la vitesse d’élocution, qui généralement s’accélère en situation familière et ralentit en situation formelle. Mais aussi l’articulation des phonèmes, la phonologie : accent, mélodie… Ou encore l’intonation : variation de la hauteur de ton (renforcée par la gestuelle). Le corps qui parle Edward T Hall 1914 – 2009 Anthropologue américain Dans La Dimension cachée, il analyse les relations que l’homme entretient avec l’espace. Parmis les marqueurs non verbaux ont peut citer : – La distance, réalité spatiale que l’on retrouve d’ailleurs par métaphore dans bien des expressions de la langue ordinaire « garder ses distances », « être distant », « être proche de quelqu’un » etc. Parmi les marqueurs non verbaux la vedette revient donc aux données proxémiques : la distance (psycho-sociale) est d’abord marquée par la distance (au sens où l’entend Edward T Hall dans La Dimension cachée), c’est à dire la distance physique qui s’établit entre des personnes en interaction. Donc plus les interactants sont « intimes » et plus ils se tiennent près. – Les gestes, qui sont d’excellents indicateurs de l’état de la relation. Particulièrement les gestes de contact qui sont souvent l’indice d’une relation intime. (Mais parfois aussi la marque d’une agressivité.) On peut distinguer les gestes affectifs des gestes expressifs ou encore des gestes redondants (qui accompagnent la parole). – La posture : manière de se tenir, position du corps dans l’espace. Les principales postures sont la station debout, la station assise et l’agenouillement. – L’orientation du corps – Le caractère plus ou moins relaché des attitudes – La durée et l’intensité des contacts oculaires (regard) – Les mimiques faciales : sourire, rire (expression du visage) Toutes ces dimensions de l’interaction traduisent des états mentaux ainsi qu’une réalité psychologique et contribuent à extérioriser des données émotionnelles. L’émotion est lue : dans le matériel verbal, dans les mimiques, dans la prosodie (accent, intonation), dans les rires… 12 Analyse conversationnelle Le pari d’une anthropologie de la communication est précisément celuilà : apprendre à voir la communication dans les paroles, les gestes, les regards de la vie quotidienne, afin de reconstituer peu à peu le « code secret et compliqué, écrit nulle part, connu de personne, entendu par tous », dont parlait Edward Sapir. Y. Winkin, 1953, Professeur en Sciences de l’information et de la communication. Edward Sapir 1884-1939 Linguiste et anthropologue américain. Son travail porta essentiellement sur le langage en tant que fait culturel à part entière. Dans son ouvrage Language (1921), il présente l’étendue, la nature et les apports culturels du langage et de l’écriture. La conversation n’a pas toujours été un objet privilégié des sciences du langage. Mais depuis plus d’une trentaine d’années s’est développé un domaine appelé « analyse conversationnelle », ou plus largement « analyse des interactions verbales ». Par « conversation » on entend généralement les échanges informels entre proche, mais aussi toute situation d’échange verbale. C’est l’analyse de Véronique Traverso dans son ouvrage L’analyse des conversations . La conversation est ici l’objet d’études pluridisciplinaires qui intéressent psychologues, sociologues et anthropologues. C’est une étude qui touche aussi divers courants de la linguistique. Ces méthodes de recherches sur les relations sociales sont fondées sur « l’observation, l’enregistrement et la transcription minutieuse d’interactions authentiques ». Elles visent à conduire à l’amélioration de la pratique conversationnelle notamment en contexte professionnel. Dans un premier temps, l’ouvrage de Véronique Traverso expose l’analyse proprement dite et les différents aspects de la conversation. Quelles sont les façons d’ouvrir et de clore l’échange ? Comment s’organisent les tours de parole ? Comment s’opèrent les changements de thèmes dans une même conversation ? Ou encore, elle indique qu’on peut s’intéresser aux petits mots marqueurs de structuration tels que « enfin », « tiens » ou « tu sais » qui assurent une fonction de signalement pour l’auditeur. Dans un second temps, l’auteur évoque les dimensions symboliques tels que les rituels et la politesse ainsi que des dimensions émotionnelles. Pour procéder à l’analyse des conversations, celles-ci sont d’abord enregistrées (à l’aide d’un magnétophone par exemple) puis retranscrites selon des normes conventionnelles. Système de transcription du dialogue/ Conventions Gail Jefferson 1938-2008 Linguiste et sociologue américaine Il n’existe pas aujourd’hui de système de transcription unifié, chacun forge son propre système en s’inspirant le plus souvent de celui de Jefferson (1978) ou de celui de Bielefeld (1992). Ces systèmes mettent en évidence les caractèristiques de la parole en 13 interaction : chevauchement, pauses, accent, volume … Ils utilisent des signes de ponctuation standards : virgule, point d’interrogation etc. Cependant leur rôle ici est de marquer l’intonation plus que la syntaxe. D’une manière générale on n’utilise pas de transcriptions phonétiques, trop difficiles à lire, mais des transcriptions orthographiques, plus ou moins normalisées ou adaptées. L’orthographe adaptée cherche à rendre compte de certains phénomènes de prononciation. Les autres conventions : Tours de paroles [ Interruption et chevauchement. Le crochet apparaît sur chacunes des deux lignes : M- donc vous n’lavez [pas vu sur le moment P[jamais = Enchaînement immédiat entre deux tours : M- c’est c’que vous auriez souhaité= S- =oui Silences et pauses (.) Pause (dans le tour d’un locuteur) inférieure à 1 seconde : M- vous l’auriez souhaitez S- oui(.)énormément(.) disons qu’à l’époque […] (3") Pauses chronométrées (supérieure à 1 seconde) : M- c’est quoi la réponse P- ça doit êt’ça(3")peut être(.)j’aurais voulu le voir vivant (silence) Les pauses entre les prises de paroles de deux locuteurs successifs sont, par commodité, notées « silence ». Elles sont toujours indiquées et suivies ou non de leur durée : S- elle fleurit ta misère là C- ben la misère ça ça tiens toujours l’coup (silence 3") S- au début on avait un yucca et puis il est mort tu t’rappelles Rythmes ’ Chute d’un son : t’l’as pas r’çu : Allongement d’un son : c’est sû:r 14 Un allongement très important est marqué par plusieurs fois deux points : c’est sû:::r - Mot interrompu brutalement par le locuteur : c’était té- c’était terrible Les majuscules indiquent l’insistance ou l’emphase : C’EST SÛR Voix et intonations / Intonation légèrement montante ↑ Intonation fortement montante \ Intonation légèrement descendante ↓ Intonation fortement descendante C- enfin bon ;↑j’avais rien à vous donner/j’avais rien à non/ P- non M- ben si y’a du courrier on t’le laiss’ra y’en avait pas↑pour elle↑ (fort+)…+ Les caractéristiques vocales sont notées en petites capitales entre parenthèses au début de l’extrait. Leur fin est indiquée par le signe+ Toutes ces conventions nécessitent un apprentissage, une «notice» pour les utilisateurs, car les signes utilisés n’ont pas de rapport de forme ou de sens avec la dimension à transcrire. Il s’agit de détournement de signes préexistants, essentiellement des signes de ponctuation. Il est ainsi curieux de voir les deux points se transformer en signes pour signifier un allongement sonore. Et on peut se poser la question de la logique de l’utilisation d’un tel signe ? Si ce n’est son accessibilité via le clavier d’ordinateur... 15 Transcription des éléments non verbaux Danielle Bouvet Orthophoniste et docteur en linguistique qui travaille à l’éducation bilingue des enfants sourds. Actuellement chercheuse au CNRS de Lyon, elle étudie la dimension gestuelle de la parole, que celle-ci soit produite dans la modalité auditive ou visuelle. La transcription des marques posturo-mimo-gestuelles Chaque segment de dialogue donne également lieu à une transcription de la production gestuelle. L’intérêt d’une telle transcription est de permettre de saisir dans la simultanéité un ensemble de phénomènes corporels qui accompagnent la parole. Cette pratique vise à démontrer que la signifiaction des mouvements qui accompagnent la parole ne sont pas tout à fait arbitraires mais bien souvent liés à une motivation. Chacune des transcriptions est accompagnée d’une description verbale. La transcription consiste à relever les mouvements des sourcils, du regard, de la tête, du buste, de la bouche et des mains et à les noter respectivement sur six portées en relation avec la production verbale selon l’exemple ci-dessous. Cet exemple est extrait du livre La dimension corporelle de la parole (2001) de Danielle Bouvet, où elle demanda à une jeune femme de raconter une histoire comme on la dirait à un jeune enfant. Ce récit, filmé, fut ensuite l’objet d’une fine analyse des marques posturo-mimogestuelle de la conteuse. sourcils regard -22tête buste bouche main ⇑ : mouvement vertical vers le bas. ⇓ : mouvement vertical vers le bas. ↓ : mouvement vers l’avant. ↑ : mouvement vers l’arrière. → ou ← : orientation en miroir du regard ou d’une rotation de la tête. ↷ ou ↶ : orientation en miroir d’une inclinaison de la tête. Lorsqu’une flèche horizontale ou courbe se termine par un trait vertical, cela signifie que le mouvement s’arrête quand le regard ou la tête se retrouve de face. i : regard orienté vers l’interlocuteur L : regard au loin f : froncement de sourcils ff son accentuation (f) son atténuation. é : élévation des sourcils éé son accentuation (é) son atténuation éf : élévation des sourcils avec un froncement ! : brève élévation des sourcils ou bref mouvement de regard !! : brève accentuation d’élévation des sourcils. Sur la ligne du texte un espace inhabituel noté entre les mots marque une pause silencieuse supérieure ou égale à 40 centièmes de seconde. Le soulignement marque qu’il y a chevauchement. 16 La convention ICOR Laboratoire ICAR Environnement d’archivage et d’analyse de corpus d’interactions enregistrées en situation authentique (en famille, entre amis, sur le lieu de travail, dans les institutions...) Autre exemple de système de transcription : la Convention propre au projet de la plateforme de « Corpus de Langue Parlées en Interaction », CLAPI . La plateforme fonctionne sur les principes d’une base de données. Les corpus sont collectés depuis plus de 20 ans à partir de programmes de recherches individuels (mémoires, thèses…) ou collectifs (projets d’équipe, réponse à des appels d’offres). Ils proviennent du Laboratoire ICAR de Lyon ou d’autres équipes de recherche. Les interactions archivées sont accompagnées d’un descriptif, d’enregistrements sonores et de leur représentation sous forme de transcription, accompagnée des conventions correspondantes dont la convention ICOR. Cette convention tient compte d’un certain nombre de principes de transcription généraux de la linguistique interactionnelle et favorise l’usage d’outils de transcription les plus répandus dans le domaine. Elle sert à la notation des phénomènes verbaux et vocaux en établissant un inventaire hiérarchisé de ces phénomènes. Les phénomènes non verbaux (actions non verbales, gestes, mimiques, etc.) font partie d’un autre module de convention. La police à utiliser pour les transcriptions est Courrier, taille 10. Toutes les productions verbales sont transcrites en minuscule (y compris les sigles et abréviations). Les majuscules sont réservées pour la notation des saillances perceptuelles. Les chiffres sont notés en toutes lettres. Tous les noms propres (personnes, lieux…) sont remplacés par des pseudonymes, en tentant de respecter le nombre de syllabes et les éventuelles connotations (prénom américain…). Les chiffres, nombres et numéros (no de tel, de rue, de compte bancaire…) sont également remplacés. Par exemple, Jean Jaurès, orateur socialiste, savait mieux que personne joindre le geste à la parole. Ces différentes analyses de la conversation nous permettent de prendre conscience de la multiplicité des dimensions qui accompagnent la parole. Il s’agit de phénomènes souvent inconscients mais porteurs de sens. Ils sont universels mais leur usage au même titre que les mots révèlent notre personnalité. Comment ses dimensions sont-elles traduites à l’écrit ? Par des descriptions, des indications ? Des signes ? Pour tenter d’y répondre, il me paraît intéressant d’observer quelle forme prend le dialogue écrit dans différents domaines, tels que la littérature, l’écriture de pièce de théâtre, lors de doublage pour le cinéma, sur les chats ou encore en bande dessinée. Jean Jaurès. Source : Langage des signes, l’écriture et son double, Georges Jean, édition Gallimard 17 18 FORMES DU DIALOGUE Anne-Marie Christin L’image écrite ou la déraison graphique 1995 La parole pourrait bien être selon la formule d’Anne-Marie Christin, le « tourment de l’écriture ». « La parole vole comme un oiseau, jaillit comme une flamme, elle est présence, instantanéité, fulgurance, elle persuade et elle agit, elle convainc ou suscite la contradiction, l’éveil ou le dialogue. Comment l’écriture pourrait-elle enfermer le feu volatil, éphèmère et vivant de la parole? N’intervient-elle pas toujours avec un temps de retard ? Ne repose-t’elle pas sur l’absence de celui qui parle ? L’écriture est un médium «froid», son pouvoir d’émotion et de transformation semble faible au regard de la puissance créatrice de la parole. » L’aventure des écritures, Écriture et parole, dossier de la BNF. Source : http://classes.bnf.fr Par la ponctuation, l’écriture tente « d’attraper » la parole. En inventant ces signes discrets parfois même muets, elle se soucie de transcrire, au-delà des mots, les inflexions, les intonations et les musiques de la voix qui les porte. La ponctuation donne au texte sa respiration, son interprétation émotionnelle et mélodique et dévoile une chorégraphie de gestes silencieux qui en colorent le sens. Discours, paroles et textes Littérature : Les œuvres écrites dans la mesure où elles portent la marque de préoccupations esthétiques ; les connaissances, les activités qui s’y rapportent. Définition du Petit Robert, dictionnaire de la langue française. Georges Jean L’écriture mémoire des hommes, 1987 Tant pour la tradition philosophique grecque que pour le sens commun la notion de littérature semble opposée à celle de l’oralité. Nous sommes en effet habitués à fréquenter la première par l’intermédiaire du support du livre. À l’origine des littératures il y a d’abord l’oralité. « Si les linguistes ont dénombré approximativement trois mille langues distinctes sur terre, ils s’accordent pour n’en compter qu’à peine plus d’une centaine qui s’écrivent » nous rappelle Georges Jean. Les grands textes fondateurs ont d’abord été des texte oraux, « performés » par un orateur qui avait sa part active dans l’existence de l’expérience littéraire. La poésie a d’abord existé dans la parole vivante et sa forme, d’abord versifiée pour être mémorisée, en portait la marque. La prose est d’abord un genre réservée à l’écrit, parce qu’elle dispensa la littérature de la mémoire. 19 Roland Barthes Mis en exergue Grain de la voix, Entretien 1962-1980, Seuil, Paris, 1981, page 11 Robert-Louis Stevenson Écrivain écossais 1850 – 1894 Causerie et causeurs, in Essais sur l’art de la fiction Ces essais traitent de la conversation. Il existe pour Stevenson deux types de converseurs : les conteurs d’anecdotes et ceux qui écoutent (En général des femmes). L’oral a été pendant longtemps valorisé par rapport à l’écrit. Il est non seulement plus souple, plus léger que l’écrit, il porte en lui aussi une dimension sacrée, magique. Selon moi cette dimension suppose deux choses : – la dimension « invisible », celle des sentiments, un espace au delà de la perception relevant plus de l’expérience sensorielle ou émotionnelle. – la dimension du corps vivant de celui qui parle. Roland Barthes écrit d’ailleurs à ce propos : «ce qui se perd dans la transcription, c’est tout simplement le corps. Du moins le corps extérieur (contingent) qui, en situation de dialogue, lance vers un autre corps tout aussi fragile ou affolé que lui, des messages intellectuellement vides, dont la seule fonction est en quelque sorte d’“ accrocher ” l’autre (voir au sens prostitutif du terme) et de le maintenir dans son état de partenaire ». D’après Robert-Louis Stevenson , « la parole est fluide, hésitante, perpétuellement en cours d’amélioration, les mots écrits, eux, restent figés, au risque de se transformer en idoles, même pour l’écrivain, ils deviennent des dogmes creux et rigides et fixent les erreurs criantes comme des mouches dans l’ambre de la vérité. » Le dialogue écrit ne serait que l’ombre d’une conversation, la pâle copie d’un discours ou le reflet inerte de la libre et vivante parole. La voix, le rythme, les intonations, les gestes, les mimiques ont disparus, laissant au lecteur le soin de retranscrire la parole en lisant. « Alors que la littérature, enterrée dans un réseaux de conventions, de codes, de bonnes manières, ne peut traiter que d’une infirme partie de l’existence humaine, la parole est libre comme l’air et peut se permettre d’appeler un chat un chat. » RL Stevenson Quelles sont ces conventions, ces codes que remet en cause Stevenson auteur du XIXe siècle ? Ont-elles évoluées depuis ? Qu’en pensent nos auteurs aujourd’hui ? Conventions typographiques du dialogue littéraire *Exemples : dit-il cria-t’il... Dans un récit, lorsque les phrases prononcées par les personnages sont rapportées en discours direct, elles sont soit mises entre guillemets soit précédées d’un tiret long, d’un alinéa ou d’un verbe introducteur* ou «incise». Des hésitations typographiques ont eu lieu jusqu’au XVIIIe siècle : guillemets ou italique ? Les guillemets l’emportent à la fin du XVIIIe siècle. Rapidement jumelé à l’usage du tiret pour marquer l’alternance des locuteurs, puis un retour du texte tout en bloc (Proust par exemple) pour s’opposer au découpage des éditeurs. 20 Plus récemment, lors d’une enquête réalisée en 1977 par Nina Catach et Annette Lorenceau à l’occasion de la table ronde sur l’histoire de la ponctuation, quatre-vingt écrivains se sont prononcés sur la question de la ponctuation. Un certain nombre de remarques ont été faites à propos de l’usage des guillemets pour la transcription des dialogues : Roger Grenier : « Les éditeurs respectent la ponctuation sauf en ce qui concerne les dialogues : l’usage des guillemets et des tirets, pour lesquels ils ont des règles très strictes, que j’aimerais simplifier. » Pour les dialogues donc, d’après R. Grenier, les imprimeurs se croient autorisés, tant pour eux les règles s’imposent, de ne pas respecter les manuscrits qui leur sont confiés. Claude Mourthé et Yves Navarre ont inventé leur système personnel. Claude Mourthé : «Je ne signale plus les passages de dialogues, me bornant à revenir à la ligne lorsque la compréhension risquerait d’y perdre, car je trouve l’usage des guillemets et tirets pour les répliques conventionnels.» Yves Navarre signale qu’il fait à chaque remise de manuscrit un glossaire de règles de ponctuation à respecter : «J’aurais trop à dire. Il suffit de prendre une page d’un de mes romans pour comprendre que j’ai ma ponctuation. Nulle fierté en cela. Mais c’est mon style. Ainsi les dialogues sont intégrés dans la phrase soit amenés sans virgule par des parenthèses si le héros de la phrase se met à parler. Soit par parenthèses avec majuscule quand il y a dialogue formant une phrase. Les ponctuations de fin de dialogues intégrés font l’objet de différends avec les imprimeurs. Un travail de dentelle. Le lecteur (ou le critique) ne s’en aperçoit pas. La ponctuation est faite pour ne pas être vue. Paradoxe ?» Et Michel Tournier : «Je n’aime pas trop les guillemets que je préfère remplacer par des italiques.» Il est intéressant ici de voir comment les écrivains intégrent la ponctuation dans leur écriture même, cherchant tant bien que mal à se défaire des conventions datant du XVIIIe siècle. Mais l’on y découvre aussi ce que la typographie a de plus personnel : son style ! 21 Dialogue au théâtre Le discours théâtral élimine nombre de scories qui encombrent la conversation ordinaire (...) et apparaît comme bien édulcoré par rapport à la vie quotidienne. Catherine Kerbrat-Orecchioni Catherine Kerbrat-Orecchioni Professeur en sciences du langage à l’université Lumière Lyon II ; membre du Groupe de recherches sur les interactions communicatives du CNRS. A publié La Conversation, Seuil, 1996. Le dialogue de théâtre entretient avec son objet premier un rapport mimétique, que lui reprochait Platon : mots pour mots, échange verbal pour échange verbal. Rapport d’autant plus mimétique qu’aucun type de discours ne lui est interdit et qu’il emprunte volontiers à la réalité quotidienne : scènes de tribunal, négociations, échanges mondains. Il ne saurait toutefois être confondu avec les usages ordinaires de la parole, pour plusieurs raisons. Certaines sont stylistiques, évidentes lorsque la forme, versifiée par exemple, apparaît manifestement littéraire. Dans le cas contraire, qu’on pense au « théâtre du quotidien » des années 19701980, l’authenticité des discours n’est qu’un effet d’écriture. Rédaction paradoxale d’une parole qui se donne pour être proférée, le dialogue écrit de théâtre simule l’oral pour être joué. Prononcer ne serait-ce que quelques mots dans une situation donnée ne se limite pas à transmettre une information : c’est en soi accomplir une action, qui provoque un effet. Dans la vie, cela peut rester insignifiant ou inaperçu ; lors de la lecture d’une pièce de théâtre, non, puisque tout ou presque passe par la parole, dans le cadre déterminé de l’œuvre offerte à l’attention du lecteur. Au fur et à mesure des interventions verbales les positions et les relations des personnages se modifient, l’action progresse, l’univers diégétique évolue. On l’aura compris, le dialogue dramatique n’est pas un dialogue… Entendons par là que, bien qu’il y renvoie, il diffère fondamentalement de l’incessant entretien des paroles humaines. Parce qu’il est inscrit dans une relation qui le dépasse, qu’il est organisé comme un tout de manière à générer des effets particuliers, il prend par rapport à la conversation ordinaire des distances d’ordres divers. Deux niveaux énonciatifs se dégagent d’emblée, ne serait-ce que typographiquement, déterminant deux types de voix : d’une part les répliques, textes supposés être proférés sur scène, qui constituent ensemble le dialogue et pour chaque personnage ce qu’on appelle précisément son rôle ; d’autre part les didascalies, textes introduisant de quelque manière ces discours et les cite, soit tout ce qui ne serait pas prononcé dans le cas d’une représentation conforme au texte écrit, de la liste des personnages au noir final en passant par le découpage des scènes, les recommandations de l’auteur. 22 *Pour 13848 répliques on compte 5962 didascalies. Au fur et à mesure qu’on avance dans l’histoire du théâtre, on note plutôt, schématiquement, une tendance à l’amplification, une extension des didascalies par rapport au dialogue. Par exemple chez Samuel Beckett, les didascalies prennent parfois plus d’importance que le texte. Quand Beckett conçoit les didascalies, il devient metteur en scène. Il recherche la manière la plus juste d’incarner les dialogues. Dans En attendant Godot, les dialogues sont accompagnés de didascalies, qui représentent presque un tiers du texte de la pièce.* Conventions typographiques théâtrales Au théâtre, le dialogue (sans oublier le monologue) constitue l’essentiel du texte. Les répliques des personnages sont précédées d’un tiret long et par le nom de l’interlocuteur. Les verbes introducteurs et les guillemets sont supprimés. ESTRAGON. — Tu m’a fais peur. VLADIMIR. — J’ai cru que c’était lui. ESTRAGON. — Qui ? VLADIMIR. — Godot. ESTRAGON. — Pah! Le vent dans les roseaux. VLADIMIR. — J’aurais juré des cris. ESTRAGON. — Et pourquoi crierait-il ? VLADIMIR. — Après son cheval. (Extrait de En Attendant Godot, Samuel Beckett) Théâtre des années cinquante : Théâtre de la parole ? La Cantatrice Chauve (1950) Eugène Ionesco Dans la Cantatrice Chauve, la question du langage est évidente. Le langage devient finalement le personnage principal de la pièce, ellemême dépourvue d’une intrigue particulière. Les dialogues mécaniques, illusoires, parodiques, mettent en valeur l’inanité de la communication entre des êtres qui ne s’écoutent pas entre-eux, qui parlent mais qui finalement ne disent rien. Les répliques sont des lieux communs, des formes banales qui se succèdent avec une prétendue logique. Ionesco dit qu’il a construit la Cantatrice à partir d’un manuel d’apprentissage de langue étrangère, dans lequel les phrases se suivent sans véritable cohérence d’ensemble, car elles ne sont là que pour illustrer des structures grammaticales spécifiques, ou pour introduire un mot de vocabulaire nouveau. Robert Massin, Interprétation typographique de La Cantatrice Chauve d’Eugène Ionesco 23 24 Sa création est un succès incontestable, à tel point qu’aujourd’hui on imagine mal cette pièce jouée autrement. Pour moi ce n’est pas d’un point de vue graphique que l’œuvre de Massin est révolutionnaire, c’est par le fait qu’elle ait pour la première fois permis de boulverser les conventions de l’écriture du théâtre. Robert Massin Interprétation typographique de la Cantatrice Chauve d’Eugène Ionesco (1954) Massin assista plus d’une vingtaine de fois à la représentation de la pièce au théâtre de la Huchette et l’enregistra même afin de comprendre les moindres faits et gestes des acteurs et de noter toutes les intonations, la moindre inflexion de voix et les moindres silences avant de retranscrire graphiquement la pièce. Il s’est servi de la typographie comme principal médium de transcription phonétique et de sa mise en page, lui permettant ainsi de représenter la scène et les acteurs évoluant dans l’espace. En jouant avec la taille, l’inclinaison, la graisse, les contrastes et les blancs de la typographie, Massin tente de donner corps aux échanges et vise à représenter, illustrer les dialogues. il utilise également le procédé de l’anamorphose qui lui posa bons nombres de problèmes techniques. Pour tenter de rendre les innombrables modulations de la voix des acteurs il dût faire preuve d’imagination allant jusqu’à utiliser des morceaux de latex sur lesquels il imprima des fragments de texte, les déformant dans tous les sens, cherchant à rendre le texte plus expressif. En attendant Godot (1953) Samuel Beckett Les personnages principaux de En attendant Godot sont deux clochards, Vladimir et Estragon. Sous un arbre qui constitue le seul élément du décor, ils attendent la venue improbable de Godot, qui doit apporter une réponse à leurs espoirs. Celui-ci n’arrivant pas, ils se mettent à parler, comme pour occuper le temps, pour combler le vide et le silence. La compagnie américaine Desktop Theater a été créée en 1997 par Lisa Breinneis, réalisatrice de produits multimédias interactifs et Adriene Jenik, artiste multimédia et enseignante d’art numérique à l’Université de Californie. Cette pièce a fait l’objet de nombreuses représentations et récemment d’une réadaptation par la compagnie Desktop Theater. Cette compagnie théâtrale offre un nouveau genre de théâtre qui a lieu sur les écrans de nos ordinateurs et plus précisément dans les salons de chats visuels sur internet. La situation dramatique de En attendant Godot, où des personnages sont immobilisés dans une attente toujours déçue et qui se poursuit d’un acte à l’autre, trouve sans doute un écho dans la situation quotidienne vécue par les chatteurs. On peut facilement relier la «banalité surréaliste» des conversations de ces derniers aux situations dramatiques du théâtre de l’absurde, et tout particulièrement de la première œuvre théâtrale de Beckett : Vladimir et Estragon, pour meubler l’attente d’un personnage qui ne viendra pas, s’inventent des dialogues à deux et se livrent «aux jeux spasmodiques d’une parole désœuvrée». Comme le dit Vladimir, le partenaire est là pour «renvoyer la balle». On a souvent dit de cette pièce que c’est un drame où il n’arrive rien. C’est avant tout un théâtre de la 25 *Vladimir, acte II Le Palace est un logiciel gratuit. Il s’agit de lieux virtuels reliés entre eux et dédiés au chat. Ces lieux figurés en 2D peuvent représenter une pièce ou un décor. Chaque personne connectée est représenté par un avatar qu’elle conçoit elle-même. Une fenêtre en bas de l’écran lui permet d’écrire un texte qui s’affiche aussitôt dans une bulle au-dessus de son avatar. Le texte peut-être prononcé par une voix électronique grâce à des plug-in spécifiques. De façon générale, l’esthétique s’inspire de la bande dessinée. parole et de la voix, l’action et l’événement y ont peu de place. il est avant tout question de la présence et la place de l’homme dans l’univers : « que faisons nous ici, voilà ce qu’il faut se demander.* » On remarquera également que toute la pièce s’inscrit dans un temps de l’attente, qui semble ralentir le temps, l’arrêter. L’interprétation de la pièce de Beckett rebaptisée WaitingforGodot.com a eu lieu sur le salon de chat visuel Le Palace. Elle a suivi le processus habituel d’une mise en scène « traditionnelle » de pièce de théâtre : lectures, choix des acteurs et du décor, création d’avatars (comme on peut choisir un costume ou fabriquer un masque), répétitions privées et publiques, et finalement « représentations ». Dans cette « mise en scène » on peut remarquer la place importante accordée aux didascalies servant à décrire les déplacements des personnages dans l’espace ainsi que leurs sentiments. Les personnages s’expriment en changeant d’expression faciale ainsi que par une ponctuation spécifique au langage chat. Les émotions et les sentiments des personnages sont rendus visuellement : les avatars sont dotés d’un répertoire de smileys exprimant la colère, la joie, la tristesse, etc. Afin d’élargir l’éventail des émotions suggérées, la compagnie a ajouté des visages supplémentaires au répertoire de base qui est fourni par le logiciel. De plus le langage du chat est parsemé de signes iconiques qui donnent des indices émotionelles sur la façon dont le texte est dit par le personnage. Par exemple, un point d’exclamation placé avant le texte, signifie qu’il est crié. Ces signes prennent en charge une partie de l’interprétation en même temps qu’ils introduisent de nouvelles conventions de langage. Le texte qui s’affiche dans des bulles attachées aux avatars est simultanément prononcé par une voix de synthèse. Le ton de la voix de synthèse est monocorde ce qui rend nécessaire la présence du texte écrit : les signes iconiques donnent au spectateur des informations sur les intentions du personnage que le ton ne peut transmettre. Le travail de réécriture prend aussi en compte une autre caractéristique du chat : la brièveté des phrases. Encore accentuée par rapport au texte original, elle se justifie par le procédé employé : le copier-coller : les acteurs copient le texte depuis un document ouvert sur le bureau de leur ordinateur pour le coller tel quel dans la fenêtre de chat. Il apparaît dans la bulle attachée au personnage qu’ils interprètent et est lu simultanément par la voix de synthèse . Les acteurs doivent à la fois entrer le texte, changer de visage, de costumes ou d’accessoires (créés à l’avance, ceux-ci sont disponibles dans des palettes) et parfois dessiner en temps réel. Le texte n’est pas figé. La parole théâtrale est utilisée pour susciter des interventions de la part du public, ce qui donne lieu à des phases d’improvisations. Les spectateurs peuvent intervenir n’importe quand. Ainsi, lors d’une des « représentations » de Waitingforgodot.com, l’un 26 Capture d’écran d’une représentation de Waitingforgodot.com des chatteurs, Muscleman, a changé son nom en Godot. D’autres font des commentaires, interrogent les personnages, tentent de les aider à retrouver Godot sur le serveur. Par la suite, la troupe Desktop Theater a souhaité développer la partie improvisée de ses spectacles, en exploitant et en intégrant au mieux les interruptions des chatteurs. La situation de communication des personnages de Beckett nous renvoie directement à la situation de communication sur le chat et à la notion de temporalité. L’attente vécu par les personnages, Vladimir et Estragon nous rappelle celle que chacun a pu éprouver sur les lieux de chat. Ce nouveau genre de théâtre qui a lieu sur nos écrans d’ordinateur pose des questionnements relatifs à la nature du théâtre, mais entraine également des questions sur les formes et les pratiques de l’écriture dans une situation de communication médiée par ordinateur tel que le chat. En quoi le chat est-il une situation de communication particulière ? Quelles sont les nouvelles formes et pratiques d’écriture qu’il génère ? 27 Dialogue sur les chats et les forums de discussion internet Chat :discussion textuelle en temps réel Lors d’une conversation sur un chat, la saisie se fait à partir d’un clavier d’ordinateur, ce qui permet l’accès à un certains nombre de caractères typographiques et facilite la répétition de caractères. En règle générale, les messages n’excèdent pas quelque lignes. Organisé sur le mode du défilement, l’affichage est bref. Sa durée est très réduite sur les chats les plus fréquentés. La plus grande partie des chats ont abandonné les tentatives de mises en scène en 2D ou 3D et ne comportent qu’une représentation textuelle un peu enrichie typographiquement. Les serveurs proposent des variations de couleur, de graisse, ou de corps, qui ont principalement une fonction distinctive et signalétique, mais prennent aussi une valeur expressive. Les émoticônes (smileys) les plus courants sont automatiquement réalisés sous forme de pictogrammes, par insertion directe de l’image, ou par insertion indirecte d’une suite de caractères. Évidemment la conversation par clavier ne s’effectue pas de la même manière qu’une conversation réelle : les prises de paroles se succèdent et s’alternent, mais ne se superposent pas. Les messages s’affichent selon l’ordre d’envoi, chaque internaute affiche sa séquence conversationnelle au moment où il en termine la rédaction. Il n’y a pas de tours de parole ni de règle de politesse (pas de peur de couper la parole…) Mais on peut remarquer que les salutations de rupture s’accompagnent généralement d’excuses ou de justifications, en évoquant des contraintes imprévisibles, une nécessité impérieuse ou un intérêt supérieur. Les exemples suivants sont explicites : pyloops> olivia 144> je dois y aller désolé bye a+ 14/03/01 Caramail salon 10 – 14 ans #47 lormaka> petite_abeille6> bon je quitte, je vais rejoindre mon amour 16/04/01 Caramail salon 40 ans et plus #562 barbarella1025> je quitte je dois aller chercher quelqu’un à l’aéroport bisous peut etre à tout à l’heure 09/10/01 salon 40 ans et plus #468 Dans quelle mesure peut on considérer les chats comme de l’« oral dans l’écrit» ? Les conditions de production de la communication médiée par ordinateur vont-elles déboucher sur une hybridité des deux ordres ? 28 Jacques Anis Professeur au département des sciences du langage de l’université de Paris X Ce mélange d’oral et d’écrit est propre à toutes les « communications médiées par ordinateurs » (forums, chats, courriers électroniques). Mais il se vérifie surtout dans les chats où, à la différence des autres services, la communication se fait en (quasi) direct. On parle alors de langue orale scriptée, d’écrit oralisé ou de « parlécrit », mot-valise que propose Jacques Anis. Il s’agit selon lui d’un « nouveau type de communication » qui conserve des caractéristiques propres à l’interaction face-à-face, comme le délai réduit de transmission et l’usage de règles de politesse typiques d’une conversation orale. Pour Anis la communication électronique est « un écrit rapide, volatile, immatériel, bref » qui comporte : – Une nouvelle ponctuation : • smileys ou émoticônes (servent à la fois de ponctuation et d’indicateurs codés d’affects) • imagettes (cœur brisé, tête de mort) • point d’interrogation, point d’exclamation, point de suspension en vrac • une profusion de ces signes de ponctuation : cherche à exprimer l’intensité d’un sentiment et rendre la conversation plus naturelle. – Des néographies : par exemple le «que» devient «k» – Des abréviations • phonétique : jpeux , chais pas, comme d’hab • jargonneuse : mrd, lol • des lettres qui remplacent des syllabes : c bon g vérifié • des logogrammes : kelk1, a+ (signes-mots) – Des allongements et répétitions de caractère : pour simuler un effet de prononciation. C’est une représentation de la vocalisation comme hmmmm.Ces étirements graphiques comme je t’aiiiiiiiiiime, sont des procédés spécifiques au chat permis par les qualités propres au clavier de l’ordinateur. – Emploi des majuscules pour souligner l’emphase – Onomatopées : mouarf, mouhahahahaha, arfff Les raisons de ces usages nouveaux sont multiples. Outre l’absence de la relecture du message et la dactylographie à un doigt, Jacques Anis énumère : « attitude ludique, recherche d’expressivité, contestation de la norme». D’autres y voient une aide à la lecture (les majuscules pour montrer que l’on crie) ou un jeu similaire aux mimiques lors d’une conversation face à face. Le gain de temps (il faut écrire vite pour ne pas perdre le fil de la conversation) n’est pas la seule explication avancée. Au contraire, certains usages allongent le temps d’écriture («moua» au lieu de «moi»; lettres étirées: «chuuuuuuiiiiiii lllllààààààààà»). Preuve, selon Anis, que la recherche d’expression l’emporte souvent sur toute autre motivation. Capture d’écran d’une conversation sur Pidgin. Source : http://wiki.jabberfr.org/Converser_avec_Pidgin Capture d’écran d’une conversation sur Direct’Chat. Source : http://directchat.free.fr 29 30 *Annexe, document 1 Souriant :-) ^^ :) :-> (^_^) (^^) n_n Triste, renfrogné :-( :-< é_è :( Y_Y T_T T-T ToT Super triste :-(((( Sérieux ou blasé :-| :| ¬_¬» Indifférent :-I Riant de toutes ses dents :-D :D Clin d’œil, sarcastique ;-) ;) ^_- (o.~) Sourire satisfait :-, Tirant la langue :-P :P surpris :-o (@_@) °° :-O :O O_o oO o__Ô -_o Déçu (:-( Confus, embarrassé :-\ :S :s é~è (°~°) Ne parlant pas, muet :-X :-x :-# Bâillant |-O :x =o= En train de crier :-(O) Sifflant, prenant l’air innocent :-° Pleurant :’( ç_ç QQ (‘.)_(‘.) T_T T-T ;_; TT_TT P.P Confiant, fier, approuvant :-] :] N’en croyant pas ses yeux, en adoration 8-) *_* +_+ °_° ¤_¤ *o* Mécontent, horrifié (tourné sur la droite et non la gauche) D: Gêné,timide :$ U_U Sadique, diabolique B-) >=D >BD Le premier smiley, un visage rond formé d’un sourire en arc de cercle et de deux points pour les yeux, a vu le jour dans le journal New York Herald Tribune en mars 1953. Puis en 1963, le graphiste américain Harvey Ball le dessine sous la forme d’un bouton jaune avec un sourire et deux points représentant les yeux, pour une compagnie d’assurances qui cherche à améliorer le moral de ses employés. Harvey Ball n’a jamais déposé de brevet ni de droit d’auteur sur son design du smiley. C’est le français Franklin Loufrani, président de la société SmileyWorld à Londres, qui a finalement crée et déposé le logo dans les années 70. Aujourd’hui le smiley vit une nouvelle vie depuis l’essor d’Internet et des e-mails. Nicolas Loufrani, le fils de Franklin Loufrani crée des centaines de versions de smileys différentes mises à disposition gratuitement sur le Web à l’adresse www.smileyworld.com XpX Étonné, bouche bée, :o Smileys ou émoticones* >:-> Ils existent une autre forme de smileys : les émoticônes. La première émoticône :-), petite tête souriante penchée que l’on forme en tapant les deux-points pour les yeux, le tiret pour le nez et la parenthèse fermante pour la bouche :-) ainsi que son homologue :-( , le frowney, naît quelques instants plus tard, sont les créations de Scott E. Fahlman, professeur de l’université Carnegie Mellon, chercheur américain spécialisé dans l’intelligence artificielle. Il s’en servi dans le cadre d’une discussion sur les limites de l’humour en ligne et sur la façon d’interpréter un message qui nous est envoyé. S.E. Fahlman : « Je propose que la suite de caractères suivante désigne les messages à prendre à la légère : :-). Lisez-le de côté. » D’abord uniquement utilisés pour accompagner l’en-tête des sujets afin de distinguer les sujets sérieux des sujets humoristiques, leur potentiel dépasse rapidement les intentions du créateur et on les retrouve presque instantanément à l’intérieur des textes pour dénoter une émotion. Faute d’un vocabulaire adéquat pour la nouvelle tendance, l’étiquette « smiley » est attribuée aux multiples variations qui voient le jour rapidement en dépit de l’étymologie anglaise smile => sourire qui ne correspondait qu’au premier signe. Le terme « émoticône » s’affranchit des références au visage ou au sourire et permet ainsi d’exprimer une émotion avec d’autres représentations ; par exemple un cœur <3 ou une rose @}-’-,- . les variantes du smiley original sont innombrables. Elles sont apparues quasi-instantanément après le message de S.E Fahlman. Des :-O, des :-/, des @= (champignon nucléaire)… Puis petit à petit on peut observer la disparition progressive du «nez». :-) devient de plus en plus souvent :). Le tiret n’apportait pas grand chose à la séquence, le nez n’étant pas particulièrement 31 Ahuri 8-O °J° °L° Agressif (montrant les dents) :-E Consterné :-/ _» >_> :/ ‘-_- ‘_’ -.-’ ¬¬ Contrarié X-[ >< ~_~ >.< En colère :@ Fatigué v.v --’ >_< >:( è_é `_´ u_u =_= -_- Mort x_x Youpi! \(^o^)/ \o/ expressif. Ensuite, la tendance passagère à multiplier la bouche, donnant naissance à des choses telles que «LOL PTDR"„"«))))))))))». Cette variante tomberait peu à peu en désuétude… Enfin, il existe la variante asiatique, les «Kao-moji». Exemple: ^^ ^_^ ou >_<, voire m(_ _)m (excuses à plat ventre). Ici le principe est inversé : il ne s’agit plus d’opérer mentalement une rotation à 90° pour se représenter le visage, et ce sont souvent les yeux et non plus la bouche qui expriment l’humeur. Selon une étude parue en mars 2007 dans le Journal of Experimental Social Psychology, les yeux pèsent plus dans l’interprétation des émotions chez les Japonais, tandis que les Américains se focaliseraient plus sur la bouche. Avant l’invention de Scott Fahlman, le symbole \__/ évoquant un sourire était déjà utilisé. Il est aujourd’hui devenu rare de voir des émoticônes sans yeux. )°( Super! d^o^b d-(^_^)-b Inintéressant, en désaccord (les deux pouces vers le bas) q-(-_-)-p Bavant d’admiration 8-0~ *Q* *¬* Très heureux Ü Hésitant, douleur =7 X_+» Ambigüe :V Excuse à plat ventre m(_ _)m Aujourd’hui beaucoup d’internautes utilisent des smileys en 2D ou 3D sur le chat, les forums de discussion ou dans leur mails. Les émoticônes facilitent l’expression de nos sentiments, dans une conversation écrite. Ce que la voix fait lors d’une conversation verbale. Les émoticônes sont populaires parce qu’elles permettent justement de transmettre une expression non verbale. On pourrait dire que les smileys ont réussi là où les diverses tentatives telles que celle du point d’ironie ont échoué : tout le monde utilise aujourd’hui ces petites têtes penchées indiquant que l’on fait une plaisanterie ou que l’on est faché. Et l’on sait que lors d’une rencontre, le rapport langage-visage est primordial: le langage est toujours indexé sur les traits du visage: « regarde moi quand je te parle» « baisse les yeux » « pourquoi tu fais cette tête ? »… Le visage nous donne des informations sur les états mentaux et les réactions possibles de notre interlocuteur. Les smileys représentent sous forme de pictogramme ces mimiques faciales. Dialogues au cinéma À l’écran, la voix est un texte mis en situation, mis en son, mis en scène, et c’est pourquoi l’impact d’un dialogue est aussi étroitement lié au contexte sonore (dramatique aussi ) dans lequel il s’inscrit : la scène, les voix, les bruits, l’ambiance, la musique… Le dialogue peut devenir pluriel, en juxtaposant le dialogue à une voix hors-champ ou en faisant dialoguer les deux ensembles. Au cinéma, le dialogue aurait donc tendance à se concrétiser ailleurs que dans les mots, articulant image et parole, ce qui est montré et ce qui se dit. 32 Le doublage des dialogues *Quelques conventions : lorsqu’un personnage va parler son nom est indiqué légèrement avant et souligné. Les respirations sont indiquées par des «h» ou «ll». Les claquements de langues sont indiqués par des «pst». Des «mts», «tst» ou «pt» marquent les petits bruits de bouche des comédiens, hors texte. Lors d’un doublage de film il est particulièrement intéressant de voir comment sont transcrites les paroles traduites que doivent lire les comédiens. Les traductions du doublage sont reportées sur ce qu’on appelle une bande mère, une sorte de «portée musicale» pour les doubleurs. La bande mère ou « bande rythmo » est une bande « calligraphiée » sur support film de 35 millimètres défilant au 8e de la vitesse du film qui permet aux comédiens d’être parfaitement synchrones avec l’image lors de l’enregistrement. Le comédien du doublage se base sur un repère fixe (une barre verticale) qui correspond à un repère de temps et il lit le texte qui défile au fur et à mesure sur la bande rythmo quand celui-ci vient coïncider avec le repère, à la façon d’un karaoké. Le texte est écrit à la main au crayon à papier. Cela permet d’allonger plus ou moins les voyelles ou consonnes en fonction de l’articulation du comédien. Ainsi la largeur des lettres est proportionnelle au temps que doivent mettre les comédiens pour les prononcer. La bande rythmo retranscrit les dialogues conformément à la vitesse à laquelle ils sont dits : écriture serrée si la personne parle vite, écriture étirée si elle parle lentement. En dessus ou au dessous son notés des signes qui correspondent aux mouvements de la bouche du comédien : ouvertures, fermetures mais aussi les respirations, les rires, les cris…* Parmi-eux les signes de détection qui sont inscrits juste au-dessus du texte, plus précisément au-dessus des lettres qu’ils concernent, indiquent la présence d’une consonne labiale (B, P ou M), d’une semi-labiale (W), d’une fricative (F, V), d’une voyelle arrondie (OU, O, U) ou d’une voyelle ouverte (A, É, I). Ces indications servent à ce qu’on appelle la «synchronisation labiale» ou «lip-sync» qui exige ou suppose de synchroniser le mouvement des lèvres d’un personnage du film avec les paroles qu’il est censé prononcer, dans le cas où l’un et l’autre sont enregistrés ou diffusé par des moyens différents et qu’il faut réunir, afin d’être « crédible » tout simplement. Curieusement cette crédibilité passe aussi par les gestes et les mimiques du visage des comédiens en train de doubler. Car même si finalement leurs gestes ne seront pas visibles, ils accompagent bien la voix. Comment entendre par exemple que l’on est essoufflé si on ne cours pas rééellement? C’est ce que nous montre Pierre Huygue dans son installation vidéo Dubbing. Capture d’écran du doublage d’un sketch des Robins des Bois 33 34 Dubbing Installation vidéo de Pierre Huyghe, 1996 Collection Frac Poitou Charentes Dubbing met en scène des doubleurs, quinze comédiens en studio d’enregistrement assis comme des musiciens d’un orchestre lisant synchrone les dialogues d’un film d’horreur qui défilent sur la bande rythmo. Il s’agit de Poltergeist, un film populaire d’épouvante des années 80. Pierre Huyghe « démonte » le cinéma en montrant ses conditions de production et souligne ainsi les enjeux particulier de la « localisation » : « Le cinéma a colonisé le regard, induit des comportements, proposé des modèles de vie. Il ne faut pas seulement interroger le produit fini, mais les processus en amont et en aval de l’oeuvre. » L’artiste montre les conditions de production, le tournage d’un doublage et les micro-événements qui s’y produisent : l’attente, la durée, les ratages, les gestes du corps et les mimiques du visage qui apparaissent lors de la lecture du texte, les émotions qui font surface malgré la technicité de la tâche, les relations entre les comédiens, leur présence comme individus. Hors champ, le spectateur assiste à la projection donnée seulement par les doubleurs ; avec leurs hésitations, omissions et cafouillages, les doubleurs en deviennent les interprètes ; chacun devient le double de l’autre : le spectateur double les doubleurs, qui eux-même doublent les acteurs qu’ils voient sur un écran. Le film demeure invisible. Source : http://www.newmedia-art.org 35 36 Dans la bande dessinée, texte et images se côtoient. Les dialogues sont ainsi mis en scène, rapprochant l’art de la bande dessinée à celle du théâtre. Mais contrairement au théâtre ou au cinéma, il manque le son. Par quel moyen graphique la bande dessinée parvient-elle à combler ce manque? Les traits du visage des personnages, leurs postures, les mouvement du corps suffisent-ils à exprimer les sentiments ou états des personnages ? Quel rôle joue la relation du texte avec l’image dans la transcription des dialogues ? La mise en page est-elle le seul procédé graphique dont dispose le dessinateur pour transcrire le dialogue ? Dialogue dans la bande dessinée En bande dessinée la forme des dialogues évolue selon trois modes de relation texte/image : 1) un texte unique sous l’image Bref texte qui sert de « légende ». Sous forme de petit paragraphe, le texte ainsi disposé continue la tradition des fables et des chansonnettes illustrées. Exemple : Rodolphe Töpffer : La famille Fenouillard (1889), Bécassine (1905), Les pieds nickelés (1908)… Parfois le texte est rédigé comme un livret de pièce de théâtre ; les dialogues sont précédés du nom du locuteur et quelques fois même d’une indication sur son attitude ou sur le ton de sa voix. Exemple : Georges Colomb, dit Christophe, Le sapeur Camembert (1890) 37 2) un texte unique dans l’image Le texte entre dans l’image, l’enfermant avec elle dans une même case. Exemple : Le Prince Valiant de Foster, Tarzan de Burne Hogarth (1937) Le texte est inscrit toujours en capitales dans le blanc du dessin. En général ce qui reste du récit est inscrit dans un rectangle blanc le plus souvent situé en haut à gauche du dessin sur toute la largeur de l’image. 3) Plusieurs textes dans l’image Le plus souvent on distingue un texte « récitatif » et un texte « sonore » : les paroles, les bruits, la musique… Ce dernier constitue en quelque sorte la « bande son » de l’histoire. Il peut prendre deux formes : bruits soudains et « envahissants », soit sans phylactère: note de musique, onomatopées, cris… Soit sous forme de phylactère : paroles, pensées, avec un appendice indiquant l’origine du son. Parfois il s’agit d’un simple petit trait. Exemple : « Flash Gordon » (1933). Dans «Yellow kid» d’Outcault (1983), les paroles s’inscrivent parfois sur ses vêtements. En Europe il faut attendre Alain St Ogan et les aventures de «Zig et Puce», 1925, pour qu’apparaissent les phylactères et textes récitatifs. Saint Ogan adopte le phylactère ainsi qu’une linéale-scripte peu soignée en imitation des bandes dessinées américaines. Ce faisant il continue à privilégier le style français : le texte typographié en dessous de l’image. La bulle ou « phylactère » indique dans le dessin le lieu des voix. D’abord connu sous forme de banderole (qui à la fin du Moyen Age représentait 38 encore le « rouleau » ou livre des anciens prophètes, et sur lequel était inscrite la parole des saints et des personnages bibliques) il était utilisé pour inscrire les dialogues du théâtre naissant et s’est peu à peu assoupli pour suivre les contours du texte en formant des nuages. (C’ est pourquoi les italiens appelent la bande dessinée «fumetto» en faisant référence au phylactère, semblable à une fumée s’échappant de la bouche des personnages). Le phylactère qui signifie la présence d’une « parole » a donc été longtemps utilisé et a persisté dans le dessin satirique. L’usage du phylactère introduit dans l’image une dimension sonore, parlée et quasi stéréophonique. La place des bulles indique si la voix est proche ou lointaine, si elle est mentale (monologue intérieur), si c’est une voix off, si elle sort de derrière une cloison ou émane du téléphone : il y a autant de conventions graphiques simples qui permettent de lire les différentes origines. Le cri fait éclater la bulle. La calligraphie se module en grosseur selon l’éloignement de la voix ou de sa puissance. À l’intérieur du phylactère, la lettre se fait expressive. Par l’utilisation du phylactère, la bande dessinée a trouvé son propre langage. Ne pourrait-on pas imaginer empreinter ce langage, ces codes, pour les utiliser dans d’autres médias où l’on n’a pas accès au son ou même à l’image ? Comment alors seraient intégrés ces codes, provenant de «l’image», dans des dialogues tel que sur le chat ou dans des textes de littérature par exemple ? Pourrait-on envisager ces signes comme des sortes de pictogrammes? Comme des illustrations accompagnant le texte ou comme de nouveaux signes typographiques, en s’intégrant par exemple à la ponctuation ? Ou la ponctuation aujourd’hui suffit-elle à répondre à ces manques ? C’est ce que l’on va tenter de découvrir dans ce dernier chapitre entièrement consacré à la ponctuation. Jochen Garner, Contre la bande déssinée, Choses lues et entendues. 39 40 PONCTUATION La ponctuation est ce qui règle la langue mais la règle en mesure; ce qui inscrit en elle notre voix et notre corps ; ce qui fait entendre, même dans le silence, qu’il y a dans l’organisation de la phrase, du texte, une rigueur et une folie... D. Sallenave, Le Nouvel Observateur, 18 avril 1991 Naissances des signes de ponctuation La ponctuation n’est pas née en même temps que les signes graphiques de l’alphabet. Les plus anciens manuscrits grecs datant de l’Antiquité, présentent une scriptio continua ; un écriture continue sans espaces entre les mots. Les textes se déroulaient alors comme d’interminables rubans de lettres, sans majuscules, sans distinction de paragraphe et sans possibilité d’aparté. La lecture était faite à voix haute et il fallait comprendre tout d’un bloc, ce qui nécessitait sans doute de relire plusieurs fois le manuscrit avant de le déchiffer et de lui octroyer un sens précis. C’est dans les inscriptions latines que l’on commence à mettre des espaces ou un point, un punctum entre chaque mot, d’où l’étymologie du mot «ponctuation». Au cœur de la grande bibliothèque d’Alexandrie, pendant le 3e et le 2e siècle avant JC, trois grammairiens successifs, Zénodote, Arystophane de Bizance et Aristarque, élaborent la première ponctuation précise : en trois points, ils définissent les signes fondateurs de la ponctuation. Le premier de ces points, nommé le Point Parfait plena distinctio se plaçait après la dernière lettre, dans le coin supérieur, et indiquait que la phrase portait un sens complet. Le Point Médian media distincio se situé à mi-hauteur après la dernière lettre et faisait office de point-virgule et enfin le SousPoint subdistinctio se trouvait quant à lui dans le coin inférieur suivant la dernière lettre et correspondait en quelque sorte au point final actuel. Point en haut, point médian, point en bas, marquaient respectivement les ponctuations forte, moyenne et faible. Malgrés ces efforts pour rendre au lecteur une langue plus aérée et intelligible, les copistes boudèrent ces réformes et c’est surtout à travers le latin que s’instaure un système de ponctuation au 4e siècle en particulier sous l’influence de Saint Jérôme. Il reprit le système des trois points des bibliothécaires d’Alexandrie et ajouta une division au texte en les affichant en colonnes. Il intégra également quelques signes pour 41 identifier clairement des parties de phrase ainsi que des incises. On passa alors de «l’homme scribal» médiéval à «l’homme typographique» de la Renaissance. C’est en partie l’apparition de la lecture silencieuse qui fut à l’origine de ces bouleversements typographiques dont la ponctuation fait partie. En 1534, avec la naissance de l’imprimerie, les conventions linguistiques changent, la typographie se codifie, on insère alors peu à peu des signes de ponctuation. Typographes et humanistes jouent alors un rôle majeur dans l’utilisation de ces signes muets, les modulant et les adaptant: parmi eux, en France, Robert Estienne, Geoffroy Tory, Garamond, Louis Maigret et Péletier du Mans. Le point, la virgule, et les deux points, devinrent les indications en usage. Puis en 1553 la MAJUSCULE et l’apostrophe font leur entrée dans l’univers typographique, suivies du point d’exclamation issu des effervescences langagières de Florence. En 1540 de nouveaux signes apparurent identifiés dans le traité de Dolet, considéré comme la référence absolue en matière de ponctuation. Déjà on pouvait y voir le point, la virgule, les deux points, le point d’interrogation et d’exclamation, les parenthèses, les alinéas, la croix †, l’astérisque, ainsi que des pictogrammes tels que la petite main, mais aussi le pied de mouche ¶, le losange ◊, le soleil et la lune. Le code d’usage de ces signes ne firent évidemment pas l’unanimité et certains auteurs ne les employèrent jamais. On n’accordait alors à ces signes qu’une valeur de pondération respiratoire. Mais vers la fin du 18e siècle, le grammairien Nicolas Beauzée, convaincu de l’importance de la ponctuation au sens d’un énoncé, réussi à en prouver la valeur syntaxique. Dans l’article «Ponctuation» de l’Encyclopédie, la ponctuation doit répondre à trois exigences : respirer, distribuer le sens et distinguer les degrés de subordination. Aujourd’hui, la ponctuation française est réglementée, mais reste évolutive et permet quelques variations. Elle compte quatorze signes distinctifs. Ce nombre ne paraît-il pas limité pour décrire notre réalité moderne ? Aujourd’hui la langue parlée s’éloigne de plus en plus de la langue écrite et même avec des contractions audacieuses, des signes de ponctuation répétées à outrance et l’utilisation de plus en plus fréquente de « smileys », on peut se demander si l’écriture parvient encore à être en adéquation avec ce qui s’exprime vocalement ? Ne serait-il pas souhaitable alors d’envisager de nouveaux signes de ponctuation qui pourraient tenter de combler cet écart entre la langue parlée et la langue écrite tout en contribuant à une certaine économie de temps et d’espace ? 42 La ponctuation aujourd’hui / État des lieux L’usage laisse une certaine latitude dans l’emploi des signes de ponctuation. Tel écrivain n’use jamais de point-virgule. Une relation peut être marquée au moyen d’une virgule par celui-ci, au moyen d’un point-virgule par un autre, au moyen d’un double point par un troisième. L’abondance des virgules peut s’expliquer tantôt par des raisons purement logiques, tantôt par référence à un rythme oral qui multiplie les pauses. Grevisse, Le bon usage, 13e édition, 1936 *« C’est la respiration de la parole qui rythme la ponctuation, j’écris à voix haute. » Claude Roy La ponctuation aujourd’hui répond à un besoin syntaxique ou est-elle l’écho de l’oral ? A-t-elle d’abord pour rôle de faciliter la compréhension du texte, dans ce cas il s’agirait d’une ponctuation grammaticale, ou doit-elle garder un lien avec la tradition orale, c’est-à-dire une ponctuation respiratoire* comme l’entendaient les grammairiens du XVIIIe siècle ? La définition du XVIIIe siècle « la ponctuation est l’art d’indiquer par des signes reçus la proportion des pauses que l’on doit faire en parlant », paraît aujourd’hui totalement insuffisante, car elle ne prend en compte que la segmentation de la lecture à voix haute (mais pas syntaxique et exclut totalement l’intonation). Pourquoi la ponctuation ne pourrait-elle pas prétendre répondre à une double fonction, orale et syntaxique ? Jean Varloot Ancien directeur de recherche au CNRS La Ponctuation, revue Langue française no45, Larousse, Paris, 1980 (en collaboration) Nina Catach La Ponctuation, Collection Que sais-je, Paris, 1996 Les spécialistes sont partagés : Pour Jean Varloot par exemple, l’une n’empêche pas l’autre : « Il y a une ponctuation silencieuse et une ponctuation sonore. L’oralité de la ponctuation ne prime pas, à mon sens, son rôle syntaxique : elle se confond avec lui, c’est la farine de ce pain. » Pour Nina Catach, la ponctuation présenterait ses potentialités sur deux axes : en abscisse, elle rejoint et complète, dans la mesure du possible (car elle est sobre), les informations de la langue orale. En ordonnée, elle suppose un ordre graphique interne que l’on peut qualifier dans une certaine mesure d’« autonome ». La fonction de la ponctuation est complexe et multiple. Elle est d’ordre à la fois syntaxique mais marque aussi l’intonation (expression, mélodie, 43 débit, rythme…). Elle aide à la construction, exprime des pauses, parfois les sentiments et participe au sens. Parmis tous les phénomènes individuels, pauses, intonations, énonciation, que peut représenter une phrase orale, l’écrit choisit les opérations les plus importantes. Comme l’intonation, le signe de ponctuation n’est pas strictement codé. Son utilisation présente une grande part de liberté individuelle et d’expressivité, malheureusement souvent gommé à l’édition. De plus, la proportion infime des signes écrits en rapport à la richesse des moyens intonatifs de la parole, fait qu’ils ne peuvent la refléter véritablement. D’après P. Delattre, La nuance de sens par l’intonation, French Review, XLI, 3, 327. Par exemple, P. Delattre (1967) distingue dix intonations de bases pour le français : la question, la continuation majeur, l’implication, la continuation mineure, l’écho, la parenthèse, la finalité, l’interrogation, l’interrogation, la commande et l’exclamation. 44 Qu’en pensent à leur tour les écrivains? De l’enquête faite par Annette Lorenceau et Nina Catach, à la question posée « Les règles de ponctuation ont, selon vous, plus de rapport avec l’oral ou avec la syntaxe ? » il ressort que sur 40 écrivains, 18 disent l’oral, 14 la syntaxe, 7 avec les deux. Mais, répondant à la même enquête Hervé Bazin remarque que «la ponctuation française est plus riche en expression de pauses (point, point-virgule, deux points, point de suspension) qu’en expression d’intonation. » En effet, si on ne retient que le point d’interrogation et d’exclamation comme marques d’intonation, on sera contraint de reconnaître la pauvreté de notre système de signes. Pour répondre à ce manque, Hervé Bazin proposera un ensemble de nouveaux signes de ponctuation… Mais, en étudiant un peu plus certains dialogues de roman, on peut observer que tous les signes de ponctuations sont utilisés pour transcrire au mieux les effets de l’oral, ainsi que d’autres moyens typographiques comme l’emploi de majuscules ou encore l’italique. On remarque qu’en littérature un même signe typographique peut être utilisé à des fins différentes selon les auteurs et que parfois leur fonction initiale est même détournée. Par exemple les points de suspension qui sont les signes de ponctuation les plus employés par les écrivains sont éminemment ambigus et servent à traduire des phénomènes très différents : – une hésitation du locuteur – un rythme ou un débit particulier – une interruption liée au dialogue (par exemple l’interlocuteur coupe la parole au locuteur) – un silence véritable – une pause liée par exemple à une émotion – une pause correspondante à la tenue d’un son (équivalente à un «heu») – une superposition ou un chevauchement de parole Certains auteurs notent par exemple les chevauchements de paroles de façon distinctive en plaçant les points de suspension à la fois à la fin de la réplique interrompue et au début de la reprise de parole de ce même locuteur. On peut ainsi noter le souci de réalisme de ces auteurs qui calquent pour ainsi dire ce qui se passe dans un dialogue réel. Cet exemple est bien entendu valable pour tous les autres signes de ponctuation. On peut conclure que du fait du nombre limité de signes face aux effets très variés à évoquer, un signifiant a plusieurs signifiés. En effet pour rendre les hésitations de natures diverses, les ruptures intonatives, les changements de rythmes, les silences, les accents d’intensité… l’auteur qui le souhaite (car ce n’est bien entendu pas une obligation) ne dispose alors que d’un nombre restreint de signes. D’autre part l’emploi de ces signes n’obéit pas à un code strictement fixé. 45 Pour un même signifié les écrivains usent de signifiants différents voire d’absence de signe. Cela montre à la fois les scrupules de certains écrivains à intégrer dans le dialogue des phénomènes de la langue parlée et en même temps l’impossibilité de transcrire totalement l’oral dans l’écrit. De multiples signes nouveaux Pour combler les manques, certains auteurs, bien avant Hervé Bazin, ont proposé d’introduire de nouveaux signes de ponctuation. Au cours de l’histoire, de nombreux écrivains, poètes, linguistes et typographes ont créer des signes de ponctuation. Ces inventions sont d’ordre poétique et parfois motivées par l’expression de véritables didascalies. *Annexe, document 2 Gérard de Vivre, dramaturge gantois du XVIe siècle, établit un ensemble de notations didascaliennes de type « parler bas », « accélération », « ralentissement », « arrêt », ainsi que trois pauses graduées ( Un temps, deux temps, trois temps).* Ces signes traduisent les attentes de l’auteur à l’égard de l’interpète, ses exigences à propos de la diction du texte et ses préoccupations de mise en scène. Par exemple, la pause à trois temps, assez longue, participe à l’élaboration dramatique. Elle manifeste un changement de ton ou bien indique une modification du jeu. Pour noter ces signes, De Vivre utilise des caractères simples et existants comme le pied de mouche pour les didascalies de mouvement, la graphie œ pour signifier une voix basse, un symbole d’intersection pour indiquer un arrêt… Gérard de Vivre priviligie les faits de diction sur les autres considérations dramatiques. Ses intentions sont avant tout d’ordre pédagogique, plus soucieux de former ses élèves de Cologne à la langue française, que de les initier aux ressorts secret du théâtre. En 1856, P. Villette créa la virgule d’exclamation et la virgule d’interrogation. Dans un fascicule intitulé « Traité raisonné de ponctuation » il décrit le symbole et lui donne un exemple d’utilisation sans toutefois lui attribuer de nom particulier (il le nomme « signe nouveau ».) Ces signes donnent un ton exclamatif ou interrogatif à une phrase sans pour autant la terminer et permettent ainsi de respecter la continuité du souffle. L’utilisation d’un tel signe éviterait l’emploi d’une bas-de-casse après un point d’interrogation ou un point d’exclamation, comme on peut le voir en poésie. Le romancier et poète argentin Ricardo Güiraldes (1886-1927) propose de remplacer tout simplement les signes de ponctuation par des signes 46 musicaux offrant ainsi toutes les variations de tempo possibles, de temps de pause, de crescendo et decrescendo… L’idée s’est répandue mais aucune utilisation dans une publication n’a été tentée. À la fin du XIXe siècle Alcanter de Brahm (alias Marcel Bernhardt) invente le Point d’ironie. Pourtant l’utilisation de ce signe reste très marginale. L’hebdomadaire Le canard enchaîné en fait parfois usage. On le trouve également dans certaines mises en page mais je me demande s’il ne s’agit pas avant tout d’une fantaisie… Il existe quatre graphies différentes du point d’ironie. Il a été repris notamment par Hervé Bazin dans son livre Plumons l’oiseau (1966), dans lequel l’auteur propose également d’autres nouveaux signes de ponctuation, des « point d’intonations » : le point de doute, ressemblant à un point d’interrogation, le point de certitude ou de croyance, qui ressemble à la Croix, le point d’acclamation ressemblant au V de Churchill, le point d’autorité, le point d’amour : deux points d’interrogation qui s’entrelacent en forme de cœur et le point d’indignation. (Ce dernier a également été employé par Raymond Queneau dans son roman le Chiendent.) Le point d’ironie a récemment été remis à l’honneur par la styliste Agnès B en 1997 dans le titre du périodique d’art Le Point d’Ironie confié à Hans-Ulrich Obrist. Dans un fascicule intitulé « Traité raisonné de ponctuation » H-U Obrist décrit le symbole et lui donne un exemple d’utilisation sans toutefois lui donner de nom particulier. *Annexe, document 3 En 1962, le publicitaire Martin K Speckter propose le point exclarogatif ou interrobang*, signe de ponctuation anglophone qui combine les fonctions de point d’interrogation et de point d’exclamation. En 1966, il fut pour la première fois inclus dans une police de caractères, l’Americana. L’interrobang fut en vogue aux États-Unis pendant les années 1960, alors que le mot interrobang faisait son apparition dans quelques dictionnaires et que le signe lui-même était utilisé dans certains magazines ou journaux. Mais jamais il ne devint un signe de ponctuation standard. La plupart des polices ne l’incluent pas, on peut le retrouver néammoins dans les glyphes des polices Lucida Sans Unicode et Arial Unicode MS. L’écrivain Michel Ohl pratique le point d’aisance composé d’un point d’exclamation surmonté d’un oméga minuscule. En 1980, Julien Blaine a crée le point de poésie dans son ouvrage Reprenons la ponctuation à zéro. **Les Shadoks et le désordinateur, Édition Circonflexe, 2000 Jacques Rouxel introduit de nouveaux signes de ponctuation lors d’un cours de grammaire Shadok.** « Il est interdit de déposer des points d’interrogation, d’affirmation, d’appréciation, d’exécution ou de 47 n’importe quoi devant toute proposition constituée par une passoire après dix heures du matin ». Le point d’affirmation se dessine comme un point d’exclamation En revanche le point d’appréciation et le point d’exécution ont des formes nouvelles (le point d’exécution ressemble au point de certitude d’Hervé Bazin, mais la croix chrétienne symbolise ici la mort). Très récemment on a pu observer la naissance d’un nouveau signe de ponctuation sur internet, le SarcMark. Le SarcMark que l’on pourrait appeler en français «point de sarcasme» ressemble à une sorte de spirale avec un point dedans. C’est une société du Michigan qui propose de télécharger ce signe pour 1,99 dollar. Tous ces signes sont très peu connus, pour certains on ne trouve même pas leur représentation, et ils n’ont pour la plupart jamais été utilisé, sinon par leurs inventeurs. Mais tous ont un point commun : ils répondent à une satisfaction, une volonté individuelle de fonder un code ! Expression de liberté… Finalement, ces signes pourraient être une des réponses à la question initiale : comment par le biais du graphisme, redonner vie au dialogue transcrit en lui rendant sa dimension corporelle et émotionnelle ? Le dialogue implique une interaction, un échange qui va au-delà des mots. Ceux-ci s’accompagnent de signaux paraverbaux (intonation, rythme, intensité, hauteur) ou non verbaux (comme le langage corporel) indispensables et indissociables de la notion de dialogue. Par exemple, on a constaté que lorsque les spécialistes des sciences du langage pratiquent l’analyse conversationelle, ces phénomènes ont une part importante dans la transcription et l’analyse des échanges verbaux, au même titre que le discours, si ce n’est plus. C’est pourquoi ces différentes dimensions de la parole ne peuvent être ignorées... Or dans la plupart des dialogues transcrits, on a pu remarquer que ces phénomènes verbaux ou non verbaux secondent le texte ou ont quasiment disparus. Leur place ne pourrait-elle pas se trouver dans la ponctuation ? On l’a vu, de nouveaux signes ont été imaginés, des signes plus proches du ton, de l’oral. Ces signes peuvent être considérés comme les ancêtres des smileys, moins figuratifs, leur but est le même, donner le ton, transmettre une émotion...Or, comme on a pu le constater, la ponctuation joue un double rôle, oral et syntaxique et compte finalement peu de signes face aux multiples variables de la parole. Pourquoi ne pas imaginer une extension de cette ponctuation, avec des signes d’ordre oral ? Tout au long de ce mémoire j’ai recherché des signes traduisant l’oralité, dans différents domaines comme la bande dessinée ou encore le doublage de dialogues. Ces signes pourraient-ils servir de matériel graphique pour la construction de nouveaux signes de ponctuation ? 48 SUMMARY How can one retranscribe a dialogue graphically ? My project for my diploma concentrates on the correlation between the written and the oral. In my thesis, I question the transcription of the oral word. A word can include a multitude of variables : tone, intensity, modulation, intonation and rhythm, and also non-verbal language such as body movements, different postures, attitudes and mannerisms. The central points are : Is writing nowadays able to communicate the liveliness of oral language ? Is it possible that a written dialogue expresses all the physical and emotional dimension of a conversation between two people for example ? Punctuation in particular fulfills some of these needs, but is it sufficient ? What is missing ? To try to answer these questions I started researching various domains in which dialogue appears like literature, drama, cinema, comic strips and internet chats. In literature, for example, some authors complain about an insufficiency of punctuation marks. Furthermore, the dialogues are subjected to typographic conventions which do not always satisfy them. I also became interested in the dubbing of dialogues for the cinema. It is interesting to see that when an actor dubs a movie, the appearance of the text varies according to how the voice actor must read it ; the writing is more or less squeezed up according to the speed of the speech etc. Some signs are also used to indicate the movement of the mouth, the laughs and the breathing. In comic strips, the simplest example is the speech bubble : it doesn’t only indicate the presence of speech, it also evolves with it. It can vary in size to indicate the intensity of what is being said and can take different shapes and forms according to the expressiveness of the text. The theatre particularly interests me because the text is the foundation, it is the starting block for the whole production. What appears to be a very ordinary conversation will be enacted using a plethora of devices to amplify, exagerate or emphasize the subject and characters. In plays, stage directions are written. In chatrooms, where the conversation takes place almost as it would in real life, a new form of writing has emerged. In French a new word has been invented : « parlécrit » which means speech-writing. An English equivalent does not appear to exist. I suggest « speewrit » , but I’m open to other ideas ! This « parlécrit » tries to find a written substitute for the paraverbal signs and the punctuation marks that suggest intonation and physical expressions produced during a conversation like smileys. It’s the appearance of this new form of writing that help me become aware of a lack of such signs in our writing system. Some authors or artists also noticed this and proposed new signs, essentially punctuation but they have not gained as much success as the smiley on the internet. 49 BIBLIOGRAPHIE BARRAULT Jean-Louis, Écriture romanesque, écriture dramatique, in Cahiers RenaudBarrault, no 91, Paris, 1976 BECKETT Samuel, En attendant Godot, les Éditions de Minuit, Paris, 1952 BOUVET Danielle, La dimension corporelle de la parole, Éditions Peeters-France, 2001 CALVET Louis-Jean, Les voix de la ville, Introduction à la sociolinguistique urbaine, Éditions Payot et Rivages, Paris, 1994 CATACH Nina, La Ponctuation, Collection Que sais-je, Paris, 1996 CHRISTIN Anne Marie, L’image écrite ou la déraison graphique, Flammarion, 1995 MASSIN Robert, mise en scène de La Cantatrice chauve d’Eugène Ionesco RENARD Jean-Bruno, Clés pour la bande dessinée, Seghers, collection Clefs, Paris, 1978 STEVENSON Robert-Louis, Causerie et causeurs, in Essais sur l’art de la fiction Éditions de La Table Ronde, Paris, 1988 T HALL Edward, La dimension cachée, Seuil, Paris, 1979 TRAVERSO Véronique, L’analyse des conversations, Éditions Nathan, 1999 Livraison 13, Langage et typographie, Rhino/49, Hiver 2009/2010 Deliciouspaper, revue culturelle, mai-juin 2009 DRILLON Jacques, Traité de la ponctuation française, Gallimard, Paris, 1991 DURAS Marguerite et GAUTHIER Xavière, Les Parleuses, Les Éditions de Minuit, Paris, 1974 GERNER Jochen, Contre la bande dessinée : choses lues et entendues, l’Association, Paris, 2008 Graphê no 32, novembre 2005 et no 37, juin 2007 Dotdotdot no 15, Octobre 2007 Webographie Langage d’écritures et langue orale sur internet, Christian Loret, 2005 http://ressources-cla.univ-fcomte.fr/gerflint/chili2/loret.pdf GOFFMAN Erving, La mise en scène de la vie quotidienne, les Éditions de Minuit, Paris, 1973 Projet Clapi http://icar.univ-lyon2.fr/projets/corinte/bandeau_gauche/clapi.htm HOUDART Olivier et PRIOUL Sylvie, L’art de la ponctuation, Édition du Seuil, Paris, 2006 L’aventure des écritures http://classes.bnf.fr JEAN Georges, L’écriture mémoire des hommes, Gallimard, Paris, 1987 Pousse pousse à onomatopées, Pierre Di Sciullo LEROI-GOURHAN André, Le geste et la parole, Éditions Albin Michel, Paris, 1988 Desktop Theater http://le.pousse.pousse.free.fr/ http://www.desktoptheater.org/ 50 RÉFÉRENCES Kurt Schwitters Die Systemschrift 1927 Étudiant de près la phonétique des lettres, Kurt Schwitters proposa en 1927 « l’écriture systématique » : un système de signes graphiques construits à l’aide de quelques éléments répétitifs. Ils étaient censés refléter le plus fidèlement possible leur prononciation en allemand. Les voyelles furent ainsi élaborées à partir de la forme ovale (pour insister sur l’ouverture des cordes vocales), tandis que les consonnes se limitaient à des bâtonnets verticaux munis de petits segments horizontaux dont l’emplacement était dûment étudié. De la sorte, dans l’alphabet latin, les sons gutturaux [g] et [k] ne présentent aucune similitude graphique, dans l’écriture systématique de Schwitters, ces deux lettres sont visuellement construites selon la même logique. L’écriture systématique présente le cas extrême d’une écriture optophonétique dont d’autres exemples, plus lisibles, voient le jour dans les années vingt et trente en Allemagne et en Europe Centrale. 51 Jan Tschichold Typographische Entwurfstechnik 1927 Entre 1926 et 1929, Jan Tschichold propose un « alphabet universel », resté à l’état de projet. Il y a deux versions possibles de cet alphabet : une version courante et une version phonétique. Pour simplifier la notation allemande qui contient de nombreux doublons graphiques équivalents, Tschichold crée de nouveaux caractères, pour replacer par exemple ch et sch, ou eu et oi, w et v, z et ts, etc, phonétiquement identiques en allemand. Des indications sur la prononciation sont intégrées comme par exemple le marquage des voyelles longues. Herbert Bayer Fonetik Alphabet 1958 En 1958, Herbert Bayer, artiste et typographe autrichien du Bauhaus, créa le « Basic Alfabet » appelé aussi « Fonetik », qui repose sur la phonétique des lettres. Il créa entre autres des symboles spéciaux pour les terminaisons anglaise du type –ed, -ory, -ing et –ion ; mais aussi pour les diphtongues –ch, -sh, -ng. Un trait indiquait le redoublement d’une consonne dans l’orthographe classique du mot. 52 Pierre Di Sciullo Le Quantange* Police de caractères orthographico-phonéticoplastique créée en 1987 qui dispose d’autant de formes de lettres que de façon de les prononcer en français. Cela permet d’indiquer la prononciation par des correspondances graphiques entre les signes et les sons tout en respectant l’orthographe. le texte se rapproche alors de la partition musicale. Dernièrement, une metteur en scène a demandé a Pierre Di Sciullo de faire travailler ses comédiens sur une Pièce de Valère Novarina en Quantange, ce qui leur a permis de travailler différemment la musicalité du texte. Le Kouije** Le Kouije concilie les complexités de l’orthographe du français et la remotivation phonologique de l’alphet latin dans la langue française. Il est composé d’une ligature qui assemble les lettres formant un même son : au, in, eau, ph… D’une variation graphique distinguant les différents états d’une même lettre : les 2 g de « gage ». Les lettres muettes sont plus fines et l’ensemble des lettres suivent l’ondulation de la voix: le chuchotement est fin, le hurlement est gras; la hauteur des lettres indique la hauteur de la voix du grave vers l’aiguë. On obtient, en croisant ces paramètres, 27 variations dessinées sur une grille modulaire qui facilite les déformations. On dispose alors d’un outil souple pour incarner la voix dans l’écriture. Pousse-pousse à onomatopées Conception: Pierre di Sciullo et Antoine Denize. Graphisme et typographie : Pierre di Sciullo. Ferme du Buisson Pousse-pousse à onomatopées est une installation interactive multi-joueurs qui explore les questions de la phonologie et de la typographie et permet d’écrire collectivement un texte. Chaque joueur choisit une onomatopée et peut ensuite la modifier pour la faire entrer dans le jeu et déclencher son énonciation. Le joueur intervient sur six dimensions de la parole : l’articulation, la hauteur, le rythme, l’accélération, le caractère et l’intensité. Dès qu’un outil est activé, on peut entendre l’interprétation de l’onomatopée correspondante enregistrée en amont par deux chanteurs-comédiens et en découvrir la variante typographique en Kouije. Une fois satisfaits du résultat visuel, les onomatopées sont envoyées par les joueurs et viennent prendre place à la fin de la phrase déjà affichée sur un écran géant. Pierre Di Sciullo envisage d’adapter Pousse-pousse à onomatopées à de nouvelles scénographies impliquant la participation simultanée d’un plus grand nombre de joueurs et d’un corpus d’onomatopées plus important. Les joueurs participeraient à la conversation à partir d’ordinateurs ou de téléphones portables. 53 Partant du même principe que cette installation, mais augmenté d’une dimension théâtrale, le résultat cherche à englober la part corporelle et émotionnelle à l’échelle de l’homme, captif de la machine à communiquer. Les relations voix/mouvement, texte/intention de parole seront au cœur de cette proposition qui repose sur le principe de la conversation en réseau (forum, chats, SMS, etc.). Source : Livraison 13, Langage et typographie, Hiver 2009/2010 * ** 54 Stéphane Mallarmé Un Coup de dés jamais n’abolira le hasard Mallarmé porta une longue réflexion sur son usage de la ponctuation. Finalement il supprima dans les vers la ponctuation, qu’il avait par contre multiplié dans la prose, gardant la seule et pure ponctuation propre au vers : les blancs. Mais cette partition pour l’œil réalise aussi une forme de synthèse de l’espace pictural et du temps musical. Dans une lettre à Camille Mauclair, Mallarmé commentait son poème en ces termes : « Au fond, des estampes : je crois que toute phrase ou pensée, si elle a un rythme, doit le modeler sur l’objet qu’elle vise et reproduire, jetée à nu, immédiatement, comme jaillie en l’esprit, un peu de l’attitude de cet objet quant à tout. La littérature fait ainsi sa preuve : pas d’autre raison d’écrire sur du papier » Mallarmé éclate la composition, révélant ainsi l’espace. L’existence du poème ne passe pas seuleument par un alignement de mots, mais une orchestration, une occupation des lieux réfléchie où le blanc de papier prend toute sa forme. Source : Mallarmé, Œuvres complètes I, Édition Gallimard, 1998 En octobre 1896, André Lichtenberger demande à Stéphane Mallarmé un poème pour la revue Cosmopolis. En publiant Un Coup de dés Mallarmé invente une forme nouvelle, une véritable partition poétique comme le soulignait la préface rédigée pour l’édition Cosmopolis : « ... de cet emploi à nu de la pensée avec retraits, prolongements, fuites, ou son dessin même, résulte, pour qui veut lire à haute voix, une partition » 55 Article de Lucie Bertrand pour Deliciouspaper, revue culturelle, mai-juin 2009 ANNEXE DOCUMENT 1 56 57 58 DOCUMENT 2 Source : Dotdotdot No 15, Octobre 2007? 59 DOCUMENT 3 60 Remerciements : À mon grand-père À ma famille À mes professeurs de l’Erba de Valence : Annick Lantenois David Poulard Gilles Rouffineau Alexis Chazard Luc Dall’armellina Samuel Vermeil À mes professeurs de l’ Esa de Cambrai À Felix Müller À Olivier Damiens À Nicolas À Cerise À Émilie À Benjamin À Charles À Mélanie À Noëmi À mon imprimante Pour leur soutien, leurs conseils, leurs critiques, et leur intérêt pour ce travail.