Parlécrire* Je parlécris Tu parlécris Il ou elle parlécrit Nous

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Parlécrire*
Je parlécris
Tu parlécris
Il ou elle parlécrit
Nous parlécrivons
Vous parlécrivez
Ils ou elles parlécrivent
*Parlécrit, mot-valise crée en 1999
par le linguiste Jacques Anis, pour
désigner l’écrit conversationnel
des chats et des messageries
éléctroniques.
Jane Secret
Dnsep design graphique
École Régionale des Beaux-Arts de Valence
Juin 2010
6
INTRODUCTION
8
DIALOGUE/DÉFINITION
10
12
Langage verbal et non verbal
Analyse conversationelle
18
FORMES DU DIALOGUE
18
21
27
31
34
36
Discours, paroles et textes
Dialogue au théâtre
Dialogue sur les chats et les forums
de discussions internet
Dialogue au cinéma
Dubbing
Dialogue dans la bande dessinée
PONCTUATION
40
42
45
40
Naissances des signes de ponctuation
La ponctuation aujourd’hui/État des lieux
De multiples signes nouveaux
SUMMARY
48
49
BIBLIOGRAPHIE
RÉFÉRENCES
ANNEXE
50
Verba volant ...
Les mots s’envolent ...
Pour être graphiste,
il faut aimer les mots.
(Citation tirée d’un magazine de
graphisme français très en vogue.)
J’aime les mots.
(ouf)
Mais j’aime les mots des autres.
En fait, je n’aime pas beaucoup parler,
je préfère écouter.
Voir, observer, contempler,
analyser et écouter.
J’aimerais être une flâneuse baudelairienne.
Marcher et observer.
En fait ce que j’aime quand les autres parlent
ce n’est pas seulement leurs mots,
mais tout ce qui les accompagne.
De la chorégraphie des corps en interaction
aux mouvements du visage,
des mimiques aux haussements de ton...
Le tout reste de ne pas oublier d’écouter
ce que les gens vous disent...
... scripta manent
... les écrits restent
De même je n’aime pas tellement écrire,
car j’ai toujours envie d’écrire comme je parle.
Et c’est un problème,
parce qu’on nous a toujours appris :
il y a les mots pour parler
et les mots pour écrire...
Et des mots pour parlécrire ?
Voilà déjà quelques temps que je m’interroge sur
les rapports humains, les interactions entre les
individus faisant des lieux publics et notamment
de l’espace urbain mon lieu d’observation
idéal.
La rue des métropoles est lieu de « brassage »
des langues. Un lieu souvent « plurilingue »,
pour reprendre les termes du linguiste LouisJean Calvet, où j’ai découvert différents types
de langage dont celui du corps et même des
vêtements.
Les notions que j’ai déduites de ces
observations pourraient se regrouper sous le
terme « intercommunication » c’est-à-dire une
communication qui prendrait en compte à fois
le langage verbal et non verbal dans l’échange
conversationnel.
Comme je l’ai dit précédemment, j’aime les mots.
Celui d’« intercommunication » en revanche,
je l’aime moins. Après avoir longtemps hésité
entre « discours », « parole », « oralité » ou encore
« conversation »… J’ai finalement préféré troquer
le mot « intercommunication » contre un terme
plus général : « dialogue ».
Pour moi le « dialogue » est une notion particulière
qui implique la notion d’échange et ne se réduit
pas à la conversation.
C’est ce que je vais tenter d’éclaircir dès le début
de ce mémoire en proposant une définition du
dialogue.
Pour la suite, si je devais rapporter la notion
de « dialogue » directement dans le domaine du
graphisme, ma question serait la suivante :
Comment transcrire graphiquement un
dialogue ?
C’est à dire un échange de paroles, fait de mots
mais aussi de sons, de rythmes et de silences,
de gestes et d’expressions de visage, obéissant
à un ensemble de conventions et de règles,
d’improvisation aussi !
Et si je m’interroge sur sa transcription, d’autres
questions suivent :
Quelles formes prend le dialogue fictionnel,
dans la littérature, dans l’écriture théâtrale ou
au cinéma ?
Existe-t-il aussi des conventions typographiques
lors de la transcription de véritables
conversations ?
Y a-t-il des marqueurs particuliers pour
témoigner de l’oral ?
Quelles sont les limites de ces exemples de
transcription du dialogue ?
« Le passage d’un texte écrit à ce même texte
parlé est une transformation fondamentale.
Le texte écrit est une chose qui est à plat. Le texte
parlé prend ses formes, ses trois dimensions,
son volume, sa respiration, son magnétisme
respiratoire, ses contractions musculaires, et
alors vous quittez le pays de la littérature pour
entrer dans celui du théâtre. C’est à dire de la
présence. »
Jean-Louis Barrault*
Signe de la volonté de retranscrire l’oralité
dans l’écrit, des tentatives graphiques ou
typographiques ont eu lieu :
− Soit au niveau de la mise en page, comme en
poésie avec le poème-dessin de Rabelais, les
calligrammes d’Appolinaire, Mallarmé…
Dans les publications dadaïstes (tracts, revues,
invitations) qui mettent la typographie au
premier plan.
Chez Marinetti et son principe de « Mots en
liberté ».
Ou encore chez Pierre Faucheux, Robert
Massin et Jérome Peignot, pour leur approche
typographique non conventionnelle dans la mise
en page/mise en espace de textes poétiques ou
théâtraux proche de l’oralité.
− Soit dans le signe même (la typographie).
C’est l’exemple de Schwitters, Bayer et Tschichold
dans les années 20 ou encore plus récemment de
Pierre Di Sciullo et de ses alphabets le Quantange
et le Kouije.
De la position d’observatrice, j’aimerais désormais
passer à celle d’actrice et ainsi redonner vie au
dialogue transcrit en lui rendant sa dimension
corporelle et émotionnelle.
Comment par le biais du graphisme redonner
à la parole transcrite sa dimension « invisible »,
celle des sentiments, des «sens», un espace au
delà de la perception ?
Ainsi que sa dimension manquante : celle du
corps vivant de celui qui parle ?
Quel média utiliser ?
J’envisage alors de rechercher les signes visuels
déjà existants et traduisant l’oralité, le dialogue,
à travers différents médias, d’en faire mes
propres outils.
Ainsi, nous passerons par la littérature, le
théâtre, les chats sur internet, le cinéma et même
par la bande dessinée, ce qui nous permettra
d’étudier différents types de textes ou d’écritures
confrontées à la problématique du passage de
l’oral à l’écrit ou inversement.
De nouveaux signes seront certainement
nécessaires afin de répondre aux manques liés
au passage oral/écrit.
Ici commence l’intervention du designer.
*Jean-Louis Barrault, 1910-1994
Acteur, metteur en scène
et directeur de théâtre français
Écriture romanesque, écriture dramatique,
in Cahiers Renaud-Barrault,
no 91, page 18, Paris, 1976
DIALOGUE/
DÉFINITION
Pour comprendre
la définition que je
propose du «dialogue»
Il est important, je crois,
d’insister ici sur les
termes « visuels » et
« non verbaux », car pour
moi le dialogue ne se
réduit pas à un échange
de mots. Un sourire,
un regard ou un geste
font aussi partie du
« dialogue » car ce type
de signaux, au même
titre que les mots vont
être reçus et interprétés
par l’interlocuteur
et influencer son
comportement.
Dans cette logique un
monologue (avec par
exemple une personne
qui parle et une
personne qui écoute)
serait aussi une forme
de «dialogue». Car la
personne qui écoute,
réagira de façon plus
ou moins consciente
à la « réception »
du « message ». Sa
réaction se traduira
« physiquement » et
fera à son tour office
de « message » pour la
personne qui parle.
Le mot « dialogue » vient du grec dialogos et est formé de deux racines,
dia qui signifie au travers et logos qui signifie verbe, parole, mot ou plus
précisément, le sens de la parole (ou du mot).
Le dialogue est un type de discours qui vise à produire un accord. Il est
construit par deux énonciateurs au moins qui occupent, successivement
ou à tour de rôle, la place de destinataire.
Il doit y avoir au minimum un émetteur et un récepteur.
Une donnée émise, c’est le message. Un code, c’est la langue.
Il se fait par signaux auditifs et visuels, verbaux et non verbaux.
Pour tenter de définir le dialogue on pourrait reprendre le système général
de la communication de Shannon et Weaver mit en place à la fin des
années 1940. Ce schéma servit d’illustration au travail de mesure de
l’information entrepris pendant la Seconde Guerre Mondiale par Claude
Shannon, puis connu une immense popularité.
À l’origine, les recherches de Shannon ne concernent pas la communication,
mais le renseignement militaire.
Jusqu’à la fin de sa vie, celui-ci ne cessera de s’opposer à la reprise de ce
modèle pour autre chose que des considérations mathématiques.
Pourtant ce système a été considéré comme un des fondements historiques
des théories de la communication.
Pour faire de ce schéma une illustration du dialogue, il faudrait dans
un premier temps considérer que l’on puisse le lire dans les deux sens
(car le dialogue, contrairement à la communication implique la notion
d’ « échange »).
Bruit = toute source d’interférences susceptibles de détériorer le signal et
donc d’affecter la communication.
On peut résumer ce modèle en : Un émetteur, grâce à un codage, envoie
un message à un récepteur qui effectue le décodage dans un contexte
perturbé de bruit.
Ce système comporte bien entendu des limites car il s’agit d’un modèle
théorique assez simpliste. Le processus de communication dans ce modèle
est limité à sa dimension informative. La communication est perçue
comme une relation linéaire, fluide et mécanique. Il y a absence de toute
forme de rétroaction, et le contexte sociologique et psychologique n’est
pas pris en compte.
L’exercice de la parole implique une interaction, c’est-à-dire que tout
au long du déroulement d’un échange communicatif, les différents
participants, exercent les uns sur les autres un réseau d’influences
mutuelles ; parler c’est échanger, et c’est changer en échangeant.
Pour qu’il y ait échange communicatif, il ne suffit pas que deux locuteurs
(ou plus) parlent alternativement ; encore faut-il qu’ils se parlent, c’està-dire qu’ils soient tous deux « engagés » dans l’échange.
10
Langage verbal et non verbal
Le langage non verbal
représente toutes les formes de
communication (et pas seulement
le langage corporel) qui ne
passent pas par l’énoncé de mots.
L’émetteur
Il doit signaler qu’il parle à quelqu’un par l’orientation de son corps, la
direction de son regard, ou la production de formes d’adresse ; il doit aussi
maintenir son attention par des sortes de captateurs : « hein », « n’estce pas », « tu sais », « tu vois », « dis », « j’vais t’dire », « j’te dis pas »,
« en fait », etc. Et éventuellement « réparer » les défaillances d’écoute
ou les problèmes de compréhension par une augmentation de l’intensité
vocale, des reprises, ou des reformulations : on qualifie de « phatiques »
ces divers procédés dont use le locuteur pour s’assurer l’écoute de son
destinataire.
Le récepteur
Il produit aussi certains signaux, visant à confirmer au locuteur qu’il est
bien « branché » sur le circuit communicatif. Ces régulateurs (ou signaux
d’écoute) ont des formes diverses : non verbales (regard et hochements
de tête, froncement de sourcils, petit sourire, léger changement de
posture…), vocales (« hmm » et autres vocalisations), ou verbales
(« oui », « d’accord ») reprises en écho. Il ont aussi des significations
variées (« je te suis », « j’ai un problème communicatif », etc.), mais en
tout état de cause, la production régulière de ces signaux d’écoute assure
le bon fonctionnement de l’échange : des expériences ont prouvé que leur
absence entraîne d’importantes perturbations dans le comportement du
locuteur.
Labov et Fanshel
linguistes américains fondateurs
de la sociolinguistique
Le dialogue est aussi un type d’« interaction verbale » c’est à dire une suite
d’événements dont l’ensemble constitue un «texte» produit collectivement
dans un contexte déterminé et dont se dégagerait un ensemble de règles
(tour de parole…)
Mais une interaction c’est aussi, selon la définition de Labov et Fanshel,
« une action qui affecte (altère et maintient) les relations de soi et d’autrui
dans la communication de face à face »
Les mots et leur sens
Le message que l’on cherche à communiquer à l’autre passe entre autre
par un « code verbal » :
– Le tutoiement, peut signifier la familiarité ou la provocation.
– La politesse traduite par des formules, le vouvoiement…
– Le choix des thèmes de conversation
– Le niveau de langue : courant, soutenu…
– Le vocabulaire utilisé (plus ou moins étendu), exemple : jargon, argot…
– La syntaxe
11
Autour du verbe
L’ensemble des signaux accompagnant l’articulation du matériel verbal
est ce qu’on appelle le matériel paraverbal. Une distinction rudimentaire
entre verbal et paraverbal pourrait être celle-ci : le verbal serait ce qu’une
transcription écrite conserve des phénomènes langagiers ; le paraverbal
serait ce que seul un enregistrement au magnétophone pourrait enregistrer,
mais que l’écrit ne retient pas.
Les phénomènes désigné par le terme de paraverbal sont nombreux et
hétérogènes. Parmis eux on distingue notamment des caractéristiques
propres à la voix : la hauteur, l’intensité articulatoire et le timbre
(le chuchotement est ce que les phonéticiens appellent « la voix de
proximité »). On peut également distinguer le débit, c’est-à-dire la
vitesse d’élocution, qui généralement s’accélère en situation familière et
ralentit en situation formelle. Mais aussi l’articulation des phonèmes, la
phonologie : accent, mélodie… Ou encore l’intonation : variation de la
hauteur de ton (renforcée par la gestuelle).
Le corps qui parle
Edward T Hall
1914 – 2009
Anthropologue américain
Dans La Dimension cachée,
il analyse les relations que
l’homme entretient avec l’espace.
Parmis les marqueurs non verbaux ont peut citer :
– La distance, réalité spatiale que l’on retrouve d’ailleurs par métaphore
dans bien des expressions de la langue ordinaire « garder ses distances »,
« être distant », « être proche de quelqu’un » etc.
Parmi les marqueurs non verbaux la vedette revient donc aux données
proxémiques : la distance (psycho-sociale) est d’abord marquée par la
distance (au sens où l’entend Edward T Hall dans La Dimension cachée),
c’est à dire la distance physique qui s’établit entre des personnes en
interaction. Donc plus les interactants sont « intimes » et plus ils se
tiennent près.
– Les gestes, qui sont d’excellents indicateurs de l’état de la relation.
Particulièrement les gestes de contact qui sont souvent l’indice d’une
relation intime. (Mais parfois aussi la marque d’une agressivité.)
On peut distinguer les gestes affectifs des gestes expressifs ou encore des
gestes redondants (qui accompagnent la parole).
– La posture : manière de se tenir, position du corps dans l’espace.
Les principales postures sont la station debout, la station assise et
l’agenouillement.
– L’orientation du corps
– Le caractère plus ou moins relaché des attitudes
– La durée et l’intensité des contacts oculaires (regard)
– Les mimiques faciales : sourire, rire (expression du visage)
Toutes ces dimensions de l’interaction traduisent des états mentaux ainsi
qu’une réalité psychologique et contribuent à extérioriser des données
émotionnelles. L’émotion est lue : dans le matériel verbal, dans les
mimiques, dans la prosodie (accent, intonation), dans les rires…
12
Analyse conversationnelle
Le pari d’une anthropologie de la communication est précisément celuilà : apprendre à voir la communication dans les paroles, les gestes, les
regards de la vie quotidienne, afin de reconstituer peu à peu le « code
secret et compliqué, écrit nulle part, connu de personne, entendu par
tous », dont parlait Edward Sapir.
Y. Winkin, 1953, Professeur en Sciences de l’information et de la communication.
Edward Sapir
1884-1939
Linguiste et anthropologue
américain.
Son travail porta
essentiellement sur le langage
en tant que fait culturel à part
entière. Dans son ouvrage
Language (1921), il présente
l’étendue, la nature et les
apports culturels du langage et
de l’écriture.
La conversation n’a pas toujours été un objet privilégié des sciences
du langage. Mais depuis plus d’une trentaine d’années s’est développé
un domaine appelé « analyse conversationnelle », ou plus largement
« analyse des interactions verbales ». Par « conversation » on entend
généralement les échanges informels entre proche, mais aussi toute
situation d’échange verbale. C’est l’analyse de Véronique Traverso dans
son ouvrage L’analyse des conversations . La conversation est ici l’objet
d’études pluridisciplinaires qui intéressent psychologues, sociologues et
anthropologues. C’est une étude qui touche aussi divers courants de la
linguistique. Ces méthodes de recherches sur les relations sociales sont
fondées sur « l’observation, l’enregistrement et la transcription minutieuse
d’interactions authentiques ».
Elles visent à conduire à l’amélioration de la pratique conversationnelle
notamment en contexte professionnel.
Dans un premier temps, l’ouvrage de Véronique Traverso expose l’analyse
proprement dite et les différents aspects de la conversation. Quelles sont
les façons d’ouvrir et de clore l’échange ? Comment s’organisent les tours
de parole ? Comment s’opèrent les changements de thèmes dans une
même conversation ? Ou encore, elle indique qu’on peut s’intéresser aux
petits mots marqueurs de structuration tels que « enfin », « tiens » ou « tu
sais » qui assurent une fonction de signalement pour l’auditeur.
Dans un second temps, l’auteur évoque les dimensions symboliques tels
que les rituels et la politesse ainsi que des dimensions émotionnelles.
Pour procéder à l’analyse des conversations, celles-ci sont d’abord
enregistrées (à l’aide d’un magnétophone par exemple) puis retranscrites
selon des normes conventionnelles.
Système de transcription du dialogue/
Conventions
Gail Jefferson
1938-2008
Linguiste et sociologue
américaine
Il n’existe pas aujourd’hui de système de transcription unifié, chacun forge
son propre système en s’inspirant le plus souvent de celui de Jefferson
(1978) ou de celui de Bielefeld (1992).
Ces systèmes mettent en évidence les caractèristiques de la parole en
13
interaction : chevauchement, pauses, accent, volume …
Ils utilisent des signes de ponctuation standards : virgule, point
d’interrogation etc. Cependant leur rôle ici est de marquer l’intonation
plus que la syntaxe.
D’une manière générale on n’utilise pas de transcriptions phonétiques,
trop difficiles à lire, mais des transcriptions orthographiques, plus ou
moins normalisées ou adaptées. L’orthographe adaptée cherche à rendre
compte de certains phénomènes de prononciation.
Les autres conventions :
Tours de paroles
[ Interruption et chevauchement. Le crochet apparaît sur chacunes des deux lignes :
M- donc vous n’lavez [pas vu sur le moment
P[jamais
= Enchaînement immédiat entre deux tours :
M- c’est c’que vous auriez souhaité=
S- =oui
Silences et pauses
(.) Pause (dans le tour d’un locuteur) inférieure à 1 seconde :
M- vous l’auriez souhaitez
S- oui(.)énormément(.) disons qu’à l’époque […]
(3") Pauses chronométrées (supérieure à 1 seconde) :
M- c’est quoi la réponse
P- ça doit êt’ça(3")peut être(.)j’aurais voulu le voir vivant
(silence) Les pauses entre les prises de paroles de deux locuteurs successifs sont,
par commodité, notées « silence ». Elles sont toujours indiquées et suivies ou non de leur
durée :
S- elle fleurit ta misère là
C- ben la misère ça ça tiens toujours l’coup
(silence 3")
S- au début on avait un yucca et puis il est mort tu t’rappelles
Rythmes
’ Chute d’un son :
t’l’as pas r’çu
: Allongement d’un son :
c’est sû:r
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Un allongement très important est marqué par plusieurs fois deux points :
c’est sû:::r
- Mot interrompu brutalement par le locuteur :
c’était té- c’était terrible
Les majuscules indiquent l’insistance ou l’emphase :
C’EST SÛR
Voix et intonations
/ Intonation légèrement montante
↑ Intonation fortement montante
\ Intonation légèrement descendante
↓ Intonation fortement descendante
C- enfin bon ;↑j’avais rien à vous donner/j’avais rien à non/
P- non
M- ben si y’a du courrier on t’le laiss’ra y’en avait pas↑pour elle↑
(fort+)…+ Les caractéristiques vocales sont notées en petites capitales entre parenthèses
au début de l’extrait. Leur fin est indiquée par le signe+
Toutes ces conventions nécessitent un apprentissage, une «notice» pour
les utilisateurs, car les signes utilisés n’ont pas de rapport de forme ou de
sens avec la dimension à transcrire.
Il s’agit de détournement de signes préexistants, essentiellement des
signes de ponctuation.
Il est ainsi curieux de voir les deux points se transformer en signes pour
signifier un allongement sonore.
Et on peut se poser la question de la logique de l’utilisation d’un tel
signe ?
Si ce n’est son accessibilité via le clavier d’ordinateur...
15
Transcription des éléments non verbaux
Danielle Bouvet
Orthophoniste et docteur en
linguistique qui travaille à
l’éducation bilingue des enfants
sourds. Actuellement chercheuse
au CNRS de Lyon, elle étudie la
dimension gestuelle de la parole,
que celle-ci soit produite dans la
modalité auditive ou visuelle.
La transcription des marques posturo-mimo-gestuelles
Chaque segment de dialogue donne également lieu à une transcription de
la production gestuelle.
L’intérêt d’une telle transcription est de permettre de saisir dans la
simultanéité un ensemble de phénomènes corporels qui accompagnent la
parole. Cette pratique vise à démontrer que la signifiaction des mouvements
qui accompagnent la parole ne sont pas tout à fait arbitraires mais bien
souvent liés à une motivation.
Chacune des transcriptions est accompagnée d’une description verbale.
La transcription consiste à relever les mouvements des sourcils, du
regard, de la tête, du buste, de la bouche et des mains et à les noter
respectivement sur six portées en relation avec la production verbale
selon l’exemple ci-dessous.
Cet exemple est extrait du livre La dimension corporelle de la parole
(2001) de Danielle Bouvet, où elle demanda à une jeune femme de
raconter une histoire comme on la dirait à un jeune enfant. Ce récit,
filmé, fut ensuite l’objet d’une fine analyse des marques posturo-mimogestuelle de la conteuse.
sourcils
regard
-22tête
buste
bouche
main
⇑ : mouvement vertical vers le bas.
⇓ : mouvement vertical vers le bas.
↓ : mouvement vers l’avant.
↑ : mouvement vers l’arrière.
→ ou ← : orientation en miroir du regard ou d’une
rotation de la tête.
↷ ou ↶ : orientation en miroir d’une inclinaison de
la tête.
Lorsqu’une flèche horizontale ou courbe se termine par un trait vertical, cela signifie que le mouvement s’arrête quand le regard ou la tête se retrouve
de face.
i : regard orienté vers l’interlocuteur
L : regard au loin
f : froncement de sourcils ff son accentuation (f)
son atténuation.
é : élévation des sourcils éé son accentuation (é)
son atténuation
éf : élévation des sourcils avec un froncement
! : brève élévation des sourcils ou bref mouvement de
regard
!! : brève accentuation d’élévation des sourcils.
Sur la ligne du texte un espace inhabituel noté entre les mots marque une pause silencieuse supérieure ou égale à 40 centièmes de seconde.
Le soulignement marque qu’il y a chevauchement.
16
La convention ICOR
Laboratoire ICAR
Environnement d’archivage et
d’analyse de corpus d’interactions
enregistrées en situation
authentique (en famille, entre
amis, sur le lieu de travail, dans
les institutions...)
Autre exemple de système de transcription : la Convention propre au
projet de la plateforme de « Corpus de Langue Parlées en Interaction »,
CLAPI .
La plateforme fonctionne sur les principes d’une base de données.
Les corpus sont collectés depuis plus de 20 ans à partir de programmes
de recherches individuels (mémoires, thèses…) ou collectifs (projets
d’équipe, réponse à des appels d’offres). Ils proviennent du Laboratoire
ICAR de Lyon ou d’autres équipes de recherche. Les interactions archivées
sont accompagnées d’un descriptif, d’enregistrements sonores et de leur
représentation sous forme de transcription, accompagnée des conventions
correspondantes dont la convention ICOR.
Cette convention tient compte d’un certain nombre de principes de
transcription généraux de la linguistique interactionnelle et favorise
l’usage d’outils de transcription les plus répandus dans le domaine. Elle
sert à la notation des phénomènes verbaux et vocaux en établissant un
inventaire hiérarchisé de ces phénomènes. Les phénomènes non verbaux
(actions non verbales, gestes, mimiques, etc.) font partie d’un autre
module de convention.
La police à utiliser pour les transcriptions est Courrier, taille 10.
Toutes les productions verbales sont transcrites en minuscule (y
compris les sigles et abréviations). Les majuscules sont réservées pour
la notation des saillances perceptuelles. Les chiffres sont notés en toutes
lettres. Tous les noms propres (personnes, lieux…) sont remplacés par
des pseudonymes, en tentant de respecter le nombre de syllabes et les
éventuelles connotations (prénom américain…).
Les chiffres, nombres et numéros (no de tel, de rue, de compte bancaire…)
sont également remplacés.
Par exemple,
Jean Jaurès,
orateur socialiste,
savait mieux que
personne joindre le
geste à la parole.
Ces différentes analyses de la conversation nous permettent de prendre
conscience de la multiplicité des dimensions qui accompagnent la parole.
Il s’agit de phénomènes souvent inconscients mais porteurs de sens.
Ils sont universels mais leur usage au même titre que les mots révèlent
notre personnalité.
Comment ses dimensions sont-elles traduites à l’écrit ?
Par des descriptions, des indications ? Des signes ?
Pour tenter d’y répondre, il me paraît intéressant d’observer quelle forme
prend le dialogue écrit dans différents domaines, tels que la littérature,
l’écriture de pièce de théâtre, lors de doublage pour le cinéma, sur les
chats ou encore en bande dessinée.
Jean Jaurès. Source : Langage des signes, l’écriture et son double, Georges Jean, édition Gallimard
17
18
FORMES
DU DIALOGUE
Anne-Marie Christin
L’image écrite ou la déraison
graphique 1995
La parole pourrait bien être selon la formule d’Anne-Marie Christin,
le « tourment de l’écriture ».
« La parole vole comme un oiseau, jaillit comme une flamme, elle est
présence, instantanéité, fulgurance, elle persuade et elle agit, elle convainc
ou suscite la contradiction, l’éveil ou le dialogue.
Comment l’écriture pourrait-elle enfermer le feu volatil, éphèmère et
vivant de la parole? N’intervient-elle pas toujours avec un temps de
retard ? Ne repose-t’elle pas sur l’absence de celui qui parle ? L’écriture est
un médium «froid», son pouvoir d’émotion et de transformation semble
faible au regard de la puissance créatrice de la parole. »
L’aventure des écritures, Écriture et parole, dossier de la BNF. Source : http://classes.bnf.fr
Par la ponctuation, l’écriture tente « d’attraper » la parole. En inventant
ces signes discrets parfois même muets, elle se soucie de transcrire,
au-delà des mots, les inflexions, les intonations et les musiques de la
voix qui les porte. La ponctuation donne au texte sa respiration, son
interprétation émotionnelle et mélodique et dévoile une chorégraphie de
gestes silencieux qui en colorent le sens.
Discours, paroles et textes
Littérature :
Les œuvres écrites dans la
mesure où elles portent la marque
de préoccupations esthétiques ;
les connaissances, les activités
qui s’y rapportent.
Définition du Petit Robert,
dictionnaire de la langue française.
Georges Jean
L’écriture mémoire des hommes,
1987
Tant pour la tradition philosophique grecque que pour le sens commun
la notion de littérature semble opposée à celle de l’oralité. Nous sommes
en effet habitués à fréquenter la première par l’intermédiaire du support
du livre.
À l’origine des littératures il y a d’abord l’oralité. « Si les linguistes ont
dénombré approximativement trois mille langues distinctes sur terre,
ils s’accordent pour n’en compter qu’à peine plus d’une centaine qui
s’écrivent » nous rappelle Georges Jean.
Les grands textes fondateurs ont d’abord été des texte oraux, « performés » par
un orateur qui avait sa part active dans l’existence de l’expérience littéraire. La
poésie a d’abord existé dans la parole vivante et sa forme, d’abord versifiée
pour être mémorisée, en portait la marque. La prose est d’abord un genre
réservée à l’écrit, parce qu’elle dispensa la littérature de la mémoire.
19
Roland Barthes
Mis en exergue Grain de la voix,
Entretien 1962-1980, Seuil, Paris,
1981, page 11
Robert-Louis Stevenson
Écrivain écossais
1850 – 1894
Causerie et causeurs, in Essais
sur l’art de la fiction
Ces essais traitent de la
conversation.
Il existe pour Stevenson deux
types de converseurs :
les conteurs d’anecdotes et ceux
qui écoutent
(En général des femmes).
L’oral a été pendant longtemps valorisé par rapport à l’écrit. Il est non
seulement plus souple, plus léger que l’écrit, il porte en lui aussi une
dimension sacrée, magique.
Selon moi cette dimension suppose deux choses :
– la dimension « invisible », celle des sentiments, un espace au delà de la
perception relevant plus de l’expérience sensorielle ou émotionnelle.
– la dimension du corps vivant de celui qui parle.
Roland Barthes écrit d’ailleurs à ce propos : «ce qui se perd dans la
transcription, c’est tout simplement le corps. Du moins le corps extérieur
(contingent) qui, en situation de dialogue, lance vers un autre corps tout
aussi fragile ou affolé que lui, des messages intellectuellement vides, dont
la seule fonction est en quelque sorte d’“ accrocher ” l’autre (voir au sens
prostitutif du terme) et de le maintenir dans son état de partenaire ».
D’après Robert-Louis Stevenson , « la parole est fluide, hésitante,
perpétuellement en cours d’amélioration, les mots écrits, eux, restent
figés, au risque de se transformer en idoles, même pour l’écrivain, ils
deviennent des dogmes creux et rigides et fixent les erreurs criantes
comme des mouches dans l’ambre de la vérité. »
Le dialogue écrit ne serait que l’ombre d’une conversation, la pâle copie
d’un discours ou le reflet inerte de la libre et vivante parole. La voix, le
rythme, les intonations, les gestes, les mimiques ont disparus, laissant au
lecteur le soin de retranscrire la parole en lisant.
« Alors que la littérature, enterrée dans un réseaux de conventions, de
codes, de bonnes manières, ne peut traiter que d’une infirme partie de
l’existence humaine, la parole est libre comme l’air et peut se permettre
d’appeler un chat un chat. »
RL Stevenson
Quelles sont ces conventions, ces codes que remet en cause Stevenson
auteur du XIXe siècle ? Ont-elles évoluées depuis ? Qu’en pensent nos
auteurs aujourd’hui ?
Conventions typographiques
du dialogue littéraire
*Exemples :
dit-il
cria-t’il...
Dans un récit, lorsque les phrases prononcées par les personnages sont
rapportées en discours direct, elles sont soit mises entre guillemets soit précédées
d’un tiret long, d’un alinéa ou d’un verbe introducteur* ou «incise».
Des hésitations typographiques ont eu lieu jusqu’au XVIIIe siècle :
guillemets ou italique ?
Les guillemets l’emportent à la fin du XVIIIe siècle. Rapidement jumelé à
l’usage du tiret pour marquer l’alternance des locuteurs, puis un retour
du texte tout en bloc (Proust par exemple) pour s’opposer au découpage
des éditeurs.
20
Plus récemment, lors d’une enquête réalisée en 1977 par Nina Catach
et Annette Lorenceau à l’occasion de la table ronde sur l’histoire de la
ponctuation, quatre-vingt écrivains se sont prononcés sur la question de
la ponctuation. Un certain nombre de remarques ont été faites à propos
de l’usage des guillemets pour la transcription des dialogues :
Roger Grenier :
« Les éditeurs respectent la ponctuation sauf en ce qui concerne les
dialogues : l’usage des guillemets et des tirets, pour lesquels ils ont des
règles très strictes, que j’aimerais simplifier. »
Pour les dialogues donc, d’après R. Grenier, les imprimeurs se croient
autorisés, tant pour eux les règles s’imposent, de ne pas respecter les
manuscrits qui leur sont confiés.
Claude Mourthé et Yves Navarre ont inventé leur système personnel.
Claude Mourthé :
«Je ne signale plus les passages de dialogues, me bornant à revenir à la
ligne lorsque la compréhension risquerait d’y perdre, car je trouve l’usage
des guillemets et tirets pour les répliques conventionnels.»
Yves Navarre signale qu’il fait à chaque remise de manuscrit un glossaire
de règles de ponctuation à respecter :
«J’aurais trop à dire. Il suffit de prendre une page d’un de mes romans
pour comprendre que j’ai ma ponctuation. Nulle fierté en cela. Mais c’est
mon style. Ainsi les dialogues sont intégrés dans la phrase soit amenés
sans virgule par des parenthèses si le héros de la phrase se met à parler.
Soit par parenthèses avec majuscule quand il y a dialogue formant une
phrase. Les ponctuations de fin de dialogues intégrés font l’objet de
différends avec les imprimeurs. Un travail de dentelle. Le lecteur (ou le
critique) ne s’en aperçoit pas. La ponctuation est faite pour ne pas être
vue. Paradoxe ?»
Et Michel Tournier :
«Je n’aime pas trop les guillemets que je préfère remplacer par des
italiques.»
Il est intéressant ici de voir comment les écrivains intégrent la ponctuation
dans leur écriture même, cherchant tant bien que mal à se défaire des
conventions datant du XVIIIe siècle. Mais l’on y découvre aussi ce que la
typographie a de plus personnel : son style !
21
Dialogue au théâtre
Le discours théâtral élimine nombre de scories qui encombrent la
conversation ordinaire (...) et apparaît comme bien édulcoré par
rapport à la vie quotidienne.
Catherine Kerbrat-Orecchioni
Catherine
Kerbrat-Orecchioni
Professeur en sciences du
langage à l’université Lumière
Lyon II ; membre du Groupe de
recherches sur les interactions
communicatives du CNRS. A
publié La Conversation, Seuil,
1996.
Le dialogue de théâtre entretient avec son objet premier un rapport
mimétique, que lui reprochait Platon : mots pour mots, échange verbal
pour échange verbal. Rapport d’autant plus mimétique qu’aucun type
de discours ne lui est interdit et qu’il emprunte volontiers à la réalité
quotidienne : scènes de tribunal, négociations, échanges mondains. Il ne
saurait toutefois être confondu avec les usages ordinaires de la parole,
pour plusieurs raisons. Certaines sont stylistiques, évidentes lorsque la
forme, versifiée par exemple, apparaît manifestement littéraire. Dans le
cas contraire, qu’on pense au « théâtre du quotidien » des années 19701980, l’authenticité des discours n’est qu’un effet d’écriture. Rédaction
paradoxale d’une parole qui se donne pour être proférée, le dialogue écrit
de théâtre simule l’oral pour être joué.
Prononcer ne serait-ce que quelques mots dans une situation donnée ne
se limite pas à transmettre une information : c’est en soi accomplir une
action, qui provoque un effet.
Dans la vie, cela peut rester insignifiant ou inaperçu ; lors de la lecture
d’une pièce de théâtre, non, puisque tout ou presque passe par la parole,
dans le cadre déterminé de l’œuvre offerte à l’attention du lecteur. Au
fur et à mesure des interventions verbales les positions et les relations
des personnages se modifient, l’action progresse, l’univers diégétique
évolue.
On l’aura compris, le dialogue dramatique n’est pas un dialogue…
Entendons par là que, bien qu’il y renvoie, il diffère fondamentalement
de l’incessant entretien des paroles humaines. Parce qu’il est inscrit dans
une relation qui le dépasse, qu’il est organisé comme un tout de manière
à générer des effets particuliers, il prend par rapport à la conversation
ordinaire des distances d’ordres divers.
Deux niveaux énonciatifs se dégagent d’emblée, ne serait-ce que
typographiquement, déterminant deux types de voix : d’une part les répliques,
textes supposés être proférés sur scène, qui constituent ensemble le dialogue
et pour chaque personnage ce qu’on appelle précisément son rôle ; d’autre
part les didascalies, textes introduisant de quelque manière ces discours et les
cite, soit tout ce qui ne serait pas prononcé dans le cas d’une représentation
conforme au texte écrit, de la liste des personnages au noir final en passant
par le découpage des scènes, les recommandations de l’auteur.
22
*Pour 13848 répliques on compte
5962 didascalies.
Au fur et à mesure qu’on avance dans l’histoire du théâtre, on note
plutôt, schématiquement, une tendance à l’amplification, une extension
des didascalies par rapport au dialogue.
Par exemple chez Samuel Beckett, les didascalies prennent parfois plus
d’importance que le texte. Quand Beckett conçoit les didascalies, il
devient metteur en scène. Il recherche la manière la plus juste d’incarner
les dialogues.
Dans En attendant Godot, les dialogues sont accompagnés de didascalies,
qui représentent presque un tiers du texte de la pièce.*
Conventions typographiques théâtrales
Au théâtre, le dialogue (sans oublier le monologue) constitue l’essentiel
du texte. Les répliques des personnages sont précédées d’un tiret long et
par le nom de l’interlocuteur. Les verbes introducteurs et les guillemets
sont supprimés.
ESTRAGON. — Tu m’a fais peur.
VLADIMIR. — J’ai cru que c’était lui.
ESTRAGON. — Qui ?
VLADIMIR. — Godot.
ESTRAGON. — Pah! Le vent dans les roseaux.
VLADIMIR. — J’aurais juré des cris.
ESTRAGON. — Et pourquoi crierait-il ?
VLADIMIR. — Après son cheval.
(Extrait de En Attendant Godot, Samuel Beckett)
Théâtre des années cinquante :
Théâtre de la parole ?
La Cantatrice Chauve (1950)
Eugène Ionesco
Dans la Cantatrice Chauve, la question du langage est évidente.
Le langage devient finalement le personnage principal de la pièce, ellemême dépourvue d’une intrigue particulière. Les dialogues mécaniques,
illusoires, parodiques, mettent en valeur l’inanité de la communication
entre des êtres qui ne s’écoutent pas entre-eux, qui parlent mais qui
finalement ne disent rien. Les répliques sont des lieux communs, des
formes banales qui se succèdent avec une prétendue logique. Ionesco
dit qu’il a construit la Cantatrice à partir d’un manuel d’apprentissage
de langue étrangère, dans lequel les phrases se suivent sans véritable
cohérence d’ensemble, car elles ne sont là que pour illustrer des structures
grammaticales spécifiques, ou pour introduire un mot de vocabulaire
nouveau.
Robert Massin, Interprétation typographique de La Cantatrice Chauve d’Eugène Ionesco
23
24
Sa création
est un succès
incontestable, à tel
point qu’aujourd’hui
on imagine mal cette
pièce jouée autrement.
Pour moi ce n’est
pas d’un point de
vue graphique que
l’œuvre de Massin est
révolutionnaire, c’est
par le fait qu’elle ait
pour la première fois
permis de boulverser
les conventions de
l’écriture du théâtre.
Robert Massin
Interprétation typographique
de la Cantatrice Chauve d’Eugène Ionesco (1954)
Massin assista plus d’une vingtaine de fois à la représentation de la pièce
au théâtre de la Huchette et l’enregistra même afin de comprendre les
moindres faits et gestes des acteurs et de noter toutes les intonations, la
moindre inflexion de voix et les moindres silences avant de retranscrire
graphiquement la pièce.
Il s’est servi de la typographie comme principal médium de transcription
phonétique et de sa mise en page, lui permettant ainsi de représenter la
scène et les acteurs évoluant dans l’espace.
En jouant avec la taille, l’inclinaison, la graisse, les contrastes et les blancs
de la typographie, Massin tente de donner corps aux échanges et vise à
représenter, illustrer les dialogues.
il utilise également le procédé de l’anamorphose qui lui posa bons
nombres de problèmes techniques. Pour tenter de rendre les innombrables
modulations de la voix des acteurs il dût faire preuve d’imagination
allant jusqu’à utiliser des morceaux de latex sur lesquels il imprima des
fragments de texte, les déformant dans tous les sens, cherchant à rendre
le texte plus expressif.
En attendant Godot (1953)
Samuel Beckett
Les personnages principaux de En attendant Godot sont deux clochards,
Vladimir et Estragon. Sous un arbre qui constitue le seul élément du
décor, ils attendent la venue improbable de Godot, qui doit apporter une
réponse à leurs espoirs. Celui-ci n’arrivant pas, ils se mettent à parler,
comme pour occuper le temps, pour combler le vide et le silence.
La compagnie américaine
Desktop Theater a été créée
en 1997 par Lisa Breinneis,
réalisatrice de produits
multimédias interactifs et Adriene
Jenik, artiste multimédia et
enseignante d’art numérique à
l’Université de Californie.
Cette pièce a fait l’objet de nombreuses représentations et récemment
d’une réadaptation par la compagnie Desktop Theater.
Cette compagnie théâtrale offre un nouveau genre de théâtre qui a lieu
sur les écrans de nos ordinateurs et plus précisément dans les salons de
chats visuels sur internet.
La situation dramatique de En attendant Godot, où des personnages
sont immobilisés dans une attente toujours déçue et qui se poursuit d’un
acte à l’autre, trouve sans doute un écho dans la situation quotidienne
vécue par les chatteurs. On peut facilement relier la «banalité surréaliste»
des conversations de ces derniers aux situations dramatiques du théâtre
de l’absurde, et tout particulièrement de la première œuvre théâtrale de
Beckett : Vladimir et Estragon, pour meubler l’attente d’un personnage
qui ne viendra pas, s’inventent des dialogues à deux et se livrent «aux
jeux spasmodiques d’une parole désœuvrée». Comme le dit Vladimir, le
partenaire est là pour «renvoyer la balle». On a souvent dit de cette pièce
que c’est un drame où il n’arrive rien. C’est avant tout un théâtre de la
25
*Vladimir, acte II
Le Palace est un logiciel
gratuit. Il s’agit de lieux virtuels
reliés entre eux et dédiés au
chat. Ces lieux figurés en 2D
peuvent représenter une pièce
ou un décor. Chaque personne
connectée est représenté par un
avatar qu’elle conçoit elle-même.
Une fenêtre en bas de l’écran
lui permet d’écrire un texte qui
s’affiche aussitôt dans une bulle
au-dessus de son avatar. Le texte
peut-être prononcé par une voix
électronique grâce à des plug-in
spécifiques. De façon générale,
l’esthétique s’inspire de la bande
dessinée.
parole et de la voix, l’action et l’événement y ont peu de place. il est avant
tout question de la présence et la place de l’homme dans l’univers : « que
faisons nous ici, voilà ce qu’il faut se demander.* »
On remarquera également que toute la pièce s’inscrit dans un temps de
l’attente, qui semble ralentir le temps, l’arrêter.
L’interprétation de la pièce de Beckett rebaptisée WaitingforGodot.com
a eu lieu sur le salon de chat visuel Le Palace. Elle a suivi le processus
habituel d’une mise en scène « traditionnelle » de pièce de théâtre : lectures,
choix des acteurs et du décor, création d’avatars (comme on peut choisir
un costume ou fabriquer un masque), répétitions privées et publiques, et
finalement « représentations ».
Dans cette « mise en scène » on peut remarquer la place importante
accordée aux didascalies servant à décrire les déplacements des personnages
dans l’espace ainsi que leurs sentiments. Les personnages s’expriment en
changeant d’expression faciale ainsi que par une ponctuation spécifique
au langage chat.
Les émotions et les sentiments des personnages sont rendus visuellement :
les avatars sont dotés d’un répertoire de smileys exprimant la colère, la
joie, la tristesse, etc. Afin d’élargir l’éventail des émotions suggérées, la
compagnie a ajouté des visages supplémentaires au répertoire de base qui
est fourni par le logiciel.
De plus le langage du chat est parsemé de signes iconiques qui donnent des
indices émotionelles sur la façon dont le texte est dit par le personnage.
Par exemple, un point d’exclamation placé avant le texte, signifie qu’il est
crié. Ces signes prennent en charge une partie de l’interprétation en même
temps qu’ils introduisent de nouvelles conventions de langage.
Le texte qui s’affiche dans des bulles attachées aux avatars est
simultanément prononcé par une voix de synthèse. Le ton de la voix
de synthèse est monocorde ce qui rend nécessaire la présence du texte
écrit : les signes iconiques donnent au spectateur des informations sur les
intentions du personnage que le ton ne peut transmettre.
Le travail de réécriture prend aussi en compte une autre caractéristique
du chat : la brièveté des phrases. Encore accentuée par rapport au texte
original, elle se justifie par le procédé employé : le copier-coller : les
acteurs copient le texte depuis un document ouvert sur le bureau de leur
ordinateur pour le coller tel quel dans la fenêtre de chat. Il apparaît dans
la bulle attachée au personnage qu’ils interprètent et est lu simultanément
par la voix de synthèse .
Les acteurs doivent à la fois entrer le texte, changer de visage, de costumes
ou d’accessoires (créés à l’avance, ceux-ci sont disponibles dans des
palettes) et parfois dessiner en temps réel.
Le texte n’est pas figé. La parole théâtrale est utilisée pour susciter
des interventions de la part du public, ce qui donne lieu à des phases
d’improvisations. Les spectateurs peuvent intervenir n’importe quand.
Ainsi, lors d’une des « représentations » de Waitingforgodot.com, l’un
26
Capture d’écran d’une représentation de Waitingforgodot.com
des chatteurs, Muscleman, a changé son nom en Godot. D’autres font
des commentaires, interrogent les personnages, tentent de les aider à
retrouver Godot sur le serveur. Par la suite, la troupe Desktop Theater a
souhaité développer la partie improvisée de ses spectacles, en exploitant
et en intégrant au mieux les interruptions des chatteurs.
La situation de communication des personnages de Beckett nous renvoie
directement à la situation de communication sur le chat et à la notion
de temporalité. L’attente vécu par les personnages, Vladimir et Estragon
nous rappelle celle que chacun a pu éprouver sur les lieux de chat.
Ce nouveau genre de théâtre qui a lieu sur nos écrans d’ordinateur
pose des questionnements relatifs à la nature du théâtre, mais entraine
également des questions sur les formes et les pratiques de l’écriture dans
une situation de communication médiée par ordinateur tel que le chat.
En quoi le chat est-il une situation de communication particulière ?
Quelles sont les nouvelles formes et pratiques d’écriture qu’il génère ?
27
Dialogue sur les chats et les forums
de discussion internet
Chat :discussion textuelle
en temps réel
Lors d’une conversation sur un chat, la saisie se fait à partir d’un clavier
d’ordinateur, ce qui permet l’accès à un certains nombre de caractères
typographiques et facilite la répétition de caractères. En règle générale,
les messages n’excèdent pas quelque lignes. Organisé sur le mode du
défilement, l’affichage est bref. Sa durée est très réduite sur les chats
les plus fréquentés. La plus grande partie des chats ont abandonné
les tentatives de mises en scène en 2D ou 3D et ne comportent qu’une
représentation textuelle un peu enrichie typographiquement.
Les serveurs proposent des variations de couleur, de graisse, ou de corps,
qui ont principalement une fonction distinctive et signalétique, mais
prennent aussi une valeur expressive.
Les émoticônes (smileys) les plus courants sont automatiquement réalisés
sous forme de pictogrammes, par insertion directe de l’image, ou par
insertion indirecte d’une suite de caractères.
Évidemment la conversation par clavier ne s’effectue pas de la même
manière qu’une conversation réelle : les prises de paroles se succèdent et
s’alternent, mais ne se superposent pas. Les messages s’affichent selon
l’ordre d’envoi, chaque internaute affiche sa séquence conversationnelle
au moment où il en termine la rédaction. Il n’y a pas de tours de parole
ni de règle de politesse (pas de peur de couper la parole…)
Mais on peut remarquer que les salutations de rupture s’accompagnent
généralement d’excuses ou de justifications, en évoquant des contraintes
imprévisibles, une nécessité impérieuse ou un intérêt supérieur.
Les exemples suivants sont explicites :
pyloops> olivia 144> je dois y aller désolé bye a+
14/03/01 Caramail salon 10 – 14 ans #47
lormaka> petite_abeille6> bon je quitte, je vais rejoindre
mon amour
16/04/01 Caramail salon 40 ans et plus #562
barbarella1025> je quitte je dois aller chercher quelqu’un à
l’aéroport bisous peut etre à tout à l’heure
09/10/01 salon 40 ans et plus #468
Dans quelle mesure peut on considérer les chats comme de l’« oral dans
l’écrit» ?
Les conditions de production de la communication médiée par ordinateur
vont-elles déboucher sur une hybridité des deux ordres ?
28
Jacques Anis
Professeur au département
des sciences du langage de
l’université de Paris X
Ce mélange d’oral et d’écrit est propre à toutes les « communications
médiées par ordinateurs » (forums, chats, courriers électroniques). Mais
il se vérifie surtout dans les chats où, à la différence des autres services,
la communication se fait en (quasi) direct.
On parle alors de langue orale scriptée, d’écrit oralisé ou de « parlécrit »,
mot-valise que propose Jacques Anis. Il s’agit selon lui d’un « nouveau
type de communication » qui conserve des caractéristiques propres à
l’interaction face-à-face, comme le délai réduit de transmission et l’usage
de règles de politesse typiques d’une conversation orale.
Pour Anis la communication électronique est « un écrit rapide, volatile,
immatériel, bref » qui comporte :
– Une nouvelle ponctuation :
• smileys ou émoticônes (servent à la fois de ponctuation et d’indicateurs
codés d’affects)
• imagettes (cœur brisé, tête de mort)
• point d’interrogation, point d’exclamation, point de suspension en
vrac
• une profusion de ces signes de ponctuation : cherche à exprimer
l’intensité d’un sentiment et rendre la conversation plus naturelle.
– Des néographies :
par exemple le «que» devient «k»
– Des abréviations
• phonétique : jpeux , chais pas, comme d’hab
• jargonneuse : mrd, lol
• des lettres qui remplacent des syllabes : c bon g vérifié
• des logogrammes : kelk1, a+ (signes-mots)
– Des allongements et répétitions de caractère : pour simuler un effet
de prononciation. C’est une représentation de la vocalisation comme
hmmmm.Ces étirements graphiques comme je t’aiiiiiiiiiime, sont des
procédés spécifiques au chat permis par les qualités propres au clavier
de l’ordinateur.
– Emploi des majuscules pour souligner l’emphase
– Onomatopées : mouarf, mouhahahahaha, arfff
Les raisons de ces usages nouveaux sont multiples. Outre l’absence de
la relecture du message et la dactylographie à un doigt, Jacques Anis
énumère : « attitude ludique, recherche d’expressivité, contestation de la
norme». D’autres y voient une aide à la lecture (les majuscules pour
montrer que l’on crie) ou un jeu similaire aux mimiques lors d’une
conversation face à face.
Le gain de temps (il faut écrire vite pour ne pas perdre le fil de la
conversation) n’est pas la seule explication avancée. Au contraire,
certains usages allongent le temps d’écriture («moua» au lieu de «moi»;
lettres étirées: «chuuuuuuiiiiiii lllllààààààààà»). Preuve, selon Anis, que
la recherche d’expression l’emporte souvent sur toute autre motivation.
Capture d’écran d’une conversation sur Pidgin.
Source : http://wiki.jabberfr.org/Converser_avec_Pidgin
Capture d’écran d’une conversation sur Direct’Chat. Source : http://directchat.free.fr
29
30
*Annexe, document 1
Souriant :-)
^^
:)
:->
(^_^)
(^^)
n_n
Triste, renfrogné :-(
:-<
é_è
:(
Y_Y
T_T
T-T
ToT
Super triste :-((((
Sérieux ou blasé :-|
:|
¬_¬»
Indifférent :-I
Riant de toutes ses
dents :-D
:D
Clin d’œil, sarcastique
;-)
;)
^_-
(o.~)
Sourire satisfait :-,
Tirant la langue :-P
:P
surpris :-o
(@_@)
°°
:-O
:O
O_o
oO
o__Ô
-_o
Déçu (:-(
Confus, embarrassé :-\
:S
:s
é~è
(°~°)
Ne parlant pas, muet
:-X
:-x
:-#
Bâillant |-O
:x
=o=
En train de crier :-(O)
Sifflant, prenant l’air
innocent :-°
Pleurant :’(
ç_ç
QQ
(‘.)_(‘.)
T_T
T-T
;_;
TT_TT
P.P
Confiant, fier,
approuvant :-]
:]
N’en croyant pas ses
yeux, en adoration 8-)
*_*
+_+
°_°
¤_¤
*o*
Mécontent, horrifié
(tourné sur la droite et
non la gauche) D:
Gêné,timide :$
U_U
Sadique, diabolique B-)
>=D
>BD
Le premier smiley, un visage rond formé d’un sourire en arc de cercle
et de deux points pour les yeux, a vu le jour dans le journal New York
Herald Tribune en mars 1953.
Puis en 1963, le graphiste américain Harvey Ball le dessine sous la forme
d’un bouton jaune avec un sourire et deux points représentant les yeux,
pour une compagnie d’assurances qui cherche à améliorer le moral de
ses employés.
Harvey Ball n’a jamais déposé de brevet ni de droit d’auteur sur son
design du smiley.
C’est le français Franklin Loufrani, président de la société SmileyWorld à
Londres, qui a finalement crée et déposé le logo dans les années 70.
Aujourd’hui le smiley vit une nouvelle vie depuis l’essor d’Internet et des
e-mails.
Nicolas Loufrani, le fils de Franklin Loufrani crée des centaines de
versions de smileys différentes mises à disposition gratuitement sur le
Web à l’adresse www.smileyworld.com
XpX
Étonné, bouche bée,
:o
Smileys ou émoticones*
>:->
Ils existent une autre forme de smileys : les émoticônes.
La première émoticône :-), petite tête souriante penchée que l’on forme en
tapant les deux-points pour les yeux, le tiret pour le nez et la parenthèse
fermante pour la bouche :-) ainsi que son homologue :-( , le frowney,
naît quelques instants plus tard, sont les créations de Scott E. Fahlman,
professeur de l’université Carnegie Mellon, chercheur américain spécialisé
dans l’intelligence artificielle. Il s’en servi dans le cadre d’une discussion
sur les limites de l’humour en ligne et sur la façon d’interpréter un message
qui nous est envoyé.
S.E. Fahlman :
« Je propose que la suite de caractères suivante désigne les messages à
prendre à la légère : :-). Lisez-le de côté. »
D’abord uniquement utilisés pour accompagner l’en-tête des sujets afin
de distinguer les sujets sérieux des sujets humoristiques, leur potentiel
dépasse rapidement les intentions du créateur et on les retrouve presque
instantanément à l’intérieur des textes pour dénoter une émotion.
Faute d’un vocabulaire adéquat pour la nouvelle tendance, l’étiquette
« smiley » est attribuée aux multiples variations qui voient le jour
rapidement en dépit de l’étymologie anglaise smile => sourire qui ne
correspondait qu’au premier signe.
Le terme « émoticône » s’affranchit des références au visage ou au sourire
et permet ainsi d’exprimer une émotion avec d’autres représentations ;
par exemple un cœur <3 ou une rose @}-’-,- .
les variantes du smiley original sont innombrables. Elles sont apparues
quasi-instantanément après le message de S.E Fahlman. Des :-O, des
:-/, des @= (champignon nucléaire)… Puis petit à petit on peut observer la
disparition progressive du «nez». :-) devient de plus en plus souvent :). Le tiret
n’apportait pas grand chose à la séquence, le nez n’étant pas particulièrement
31
Ahuri 8-O
°J°
°L°
Agressif (montrant les
dents) :-E
Consterné :-/
_»
>_>
:/
‘-_-
‘_’
-.-’
¬¬
Contrarié X-[
><
~_~
>.<
En colère :@
Fatigué v.v
--’
>_<
>:(
è_é
`_´
u_u
=_=
-_-
Mort x_x
Youpi! \(^o^)/
\o/
expressif. Ensuite, la tendance passagère à multiplier la bouche,
donnant naissance à des choses telles que «LOL PTDR"„"«))))))))))».
Cette variante tomberait peu à peu en désuétude… Enfin, il existe la
variante asiatique, les «Kao-moji». Exemple: ^^ ^_^ ou >_<, voire
m(_ _)m (excuses à plat ventre). Ici le principe est inversé : il ne s’agit plus
d’opérer mentalement une rotation à 90° pour se représenter le visage, et
ce sont souvent les yeux et non plus la bouche qui expriment l’humeur.
Selon une étude parue en mars 2007 dans le Journal of Experimental
Social Psychology, les yeux pèsent plus dans l’interprétation des émotions
chez les Japonais, tandis que les Américains se focaliseraient plus sur la
bouche.
Avant l’invention de Scott Fahlman, le symbole \__/ évoquant un sourire
était déjà utilisé. Il est aujourd’hui devenu rare de voir des émoticônes
sans yeux.
)°(
Super! d^o^b
d-(^_^)-b
Inintéressant,
en désaccord (les deux
pouces vers le bas)
q-(-_-)-p
Bavant d’admiration
8-0~
*Q*
*¬*
Très heureux Ü
Hésitant, douleur =7
X_+»
Ambigüe :V
Excuse à plat ventre
m(_ _)m
Aujourd’hui beaucoup d’internautes utilisent des smileys en 2D ou 3D
sur le chat, les forums de discussion ou dans leur mails.
Les émoticônes facilitent l’expression de nos sentiments, dans une
conversation écrite. Ce que la voix fait lors d’une conversation verbale.
Les émoticônes sont populaires parce qu’elles permettent justement de
transmettre une expression non verbale.
On pourrait dire que les smileys ont réussi là où les diverses tentatives telles
que celle du point d’ironie ont échoué : tout le monde utilise aujourd’hui
ces petites têtes penchées indiquant que l’on fait une plaisanterie ou que
l’on est faché.
Et l’on sait que lors d’une rencontre, le rapport langage-visage est
primordial: le langage est toujours indexé sur les traits du visage:
« regarde moi quand je te parle» « baisse les yeux » « pourquoi tu fais
cette tête ? »…
Le visage nous donne des informations sur les états mentaux et les
réactions possibles de notre interlocuteur.
Les smileys représentent sous forme de pictogramme ces mimiques
faciales.
Dialogues au cinéma
À l’écran, la voix est un texte mis en situation, mis en son, mis en scène, et
c’est pourquoi l’impact d’un dialogue est aussi étroitement lié au contexte
sonore (dramatique aussi ) dans lequel il s’inscrit :
la scène, les voix, les bruits, l’ambiance, la musique…
Le dialogue peut devenir pluriel, en juxtaposant le dialogue à une voix
hors-champ ou en faisant dialoguer les deux ensembles.
Au cinéma, le dialogue aurait donc tendance à se concrétiser ailleurs que
dans les mots, articulant image et parole, ce qui est montré et ce qui se dit.
32
Le doublage des dialogues
*Quelques conventions :
lorsqu’un personnage va parler
son nom est indiqué légèrement
avant et souligné.
Les respirations sont indiquées
par des «h» ou «ll».
Les claquements de langues sont
indiqués par des «pst».
Des «mts», «tst» ou «pt» marquent
les petits bruits de bouche des
comédiens, hors texte.
Lors d’un doublage de film il est particulièrement intéressant de voir
comment sont transcrites les paroles traduites que doivent lire les
comédiens. Les traductions du doublage sont reportées sur ce qu’on appelle
une bande mère, une sorte de «portée musicale» pour les doubleurs.
La bande mère ou « bande rythmo » est une bande « calligraphiée » sur
support film de 35 millimètres défilant au 8e de la vitesse du film qui
permet aux comédiens d’être parfaitement synchrones avec l’image lors
de l’enregistrement.
Le comédien du doublage se base sur un repère fixe (une barre verticale)
qui correspond à un repère de temps et il lit le texte qui défile au fur et à
mesure sur la bande rythmo quand celui-ci vient coïncider avec le repère,
à la façon d’un karaoké.
Le texte est écrit à la main au crayon à papier. Cela permet d’allonger
plus ou moins les voyelles ou consonnes en fonction de l’articulation du
comédien. Ainsi la largeur des lettres est proportionnelle au temps que
doivent mettre les comédiens pour les prononcer.
La bande rythmo retranscrit les dialogues conformément à la vitesse à
laquelle ils sont dits : écriture serrée si la personne parle vite, écriture
étirée si elle parle lentement.
En dessus ou au dessous son notés des signes qui correspondent aux
mouvements de la bouche du comédien : ouvertures, fermetures mais
aussi les respirations, les rires, les cris…*
Parmi-eux les signes de détection qui sont inscrits juste au-dessus du
texte, plus précisément au-dessus des lettres qu’ils concernent, indiquent
la présence d’une consonne labiale (B, P ou M), d’une semi-labiale (W),
d’une fricative (F, V), d’une voyelle arrondie (OU, O, U) ou d’une voyelle
ouverte (A, É, I).
Ces indications servent à ce qu’on appelle la «synchronisation labiale»
ou «lip-sync» qui exige ou suppose de synchroniser le mouvement des
lèvres d’un personnage du film avec les paroles qu’il est censé prononcer,
dans le cas où l’un et l’autre sont enregistrés ou diffusé par des moyens
différents et qu’il faut réunir, afin d’être « crédible » tout simplement.
Curieusement cette crédibilité passe aussi par les gestes et les mimiques
du visage des comédiens en train de doubler. Car même si finalement
leurs gestes ne seront pas visibles, ils accompagent bien la voix.
Comment entendre par exemple que l’on est essoufflé si on ne cours pas
rééellement?
C’est ce que nous montre Pierre Huygue dans son installation vidéo
Dubbing.
Capture d’écran du doublage d’un sketch des Robins des Bois
33
34
Dubbing
Installation vidéo
de Pierre Huyghe, 1996
Collection Frac Poitou
Charentes
Dubbing met en scène des doubleurs, quinze
comédiens en studio d’enregistrement assis
comme des musiciens d’un orchestre lisant
synchrone les dialogues d’un film d’horreur
qui défilent sur la bande rythmo. Il s’agit de
Poltergeist, un film populaire d’épouvante des
années 80.
Pierre Huyghe « démonte » le cinéma en
montrant ses conditions de production et
souligne ainsi les enjeux particulier de la
« localisation » : « Le cinéma a colonisé le
regard, induit des comportements, proposé
des modèles de vie. Il ne faut pas seulement
interroger le produit fini, mais les processus en
amont et en aval de l’oeuvre. »
L’artiste montre les conditions de production,
le tournage d’un doublage et les micro-événements
qui s’y produisent : l’attente, la durée, les ratages,
les gestes du corps et les mimiques du visage qui
apparaissent lors de la lecture du texte, les émotions
qui font surface malgré la technicité de la tâche, les
relations entre les comédiens, leur présence comme
individus.
Hors champ, le spectateur assiste à la projection
donnée seulement par les doubleurs ; avec leurs
hésitations, omissions et cafouillages, les doubleurs
en deviennent les interprètes ; chacun devient le
double de l’autre : le spectateur double les doubleurs,
qui eux-même doublent les acteurs qu’ils voient
sur un écran. Le film demeure invisible.
Source : http://www.newmedia-art.org
35
36
Dans la bande dessinée, texte et images se côtoient. Les dialogues sont
ainsi mis en scène, rapprochant l’art de la bande dessinée à celle du
théâtre. Mais contrairement au théâtre ou au cinéma, il manque le son.
Par quel moyen graphique la bande dessinée parvient-elle à combler
ce manque? Les traits du visage des personnages, leurs postures, les
mouvement du corps suffisent-ils à exprimer les sentiments ou états des
personnages ? Quel rôle joue la relation du texte avec l’image dans la
transcription des dialogues ? La mise en page est-elle le seul procédé
graphique dont dispose le dessinateur pour transcrire le dialogue ?
Dialogue dans la bande dessinée
En bande dessinée la forme des dialogues évolue selon trois modes de
relation texte/image :
1) un texte unique sous l’image
Bref texte qui sert de « légende ».
Sous forme de petit paragraphe, le texte ainsi disposé continue la tradition
des fables et des chansonnettes illustrées. Exemple : Rodolphe Töpffer :
La famille Fenouillard (1889), Bécassine (1905), Les pieds nickelés
(1908)…
Parfois le texte est rédigé comme un livret de pièce de théâtre ; les dialogues
sont précédés du nom du locuteur et quelques fois même d’une indication
sur son attitude ou sur le ton de sa voix.
Exemple : Georges Colomb, dit Christophe, Le sapeur Camembert
(1890)
37
2) un texte unique dans l’image
Le texte entre dans l’image, l’enfermant avec elle dans une même case.
Exemple : Le Prince Valiant de Foster, Tarzan de Burne Hogarth (1937)
Le texte est inscrit toujours en capitales dans le blanc du dessin.
En général ce qui reste du récit est inscrit dans un rectangle blanc le plus
souvent situé en haut à gauche du dessin sur toute la largeur de l’image.
3) Plusieurs textes dans l’image
Le plus souvent on distingue un texte « récitatif » et un texte « sonore » :
les paroles, les bruits, la musique… Ce dernier constitue en quelque sorte
la « bande son » de l’histoire.
Il peut prendre deux formes : bruits soudains et « envahissants », soit sans
phylactère: note de musique, onomatopées, cris…
Soit sous forme de phylactère : paroles, pensées, avec un appendice
indiquant l’origine du son. Parfois il s’agit d’un simple petit trait.
Exemple : « Flash Gordon » (1933).
Dans «Yellow kid» d’Outcault (1983), les paroles s’inscrivent parfois sur
ses vêtements.
En Europe il faut attendre Alain St Ogan et les aventures de «Zig et
Puce», 1925, pour qu’apparaissent les phylactères et textes récitatifs.
Saint Ogan adopte le phylactère ainsi qu’une linéale-scripte peu soignée
en imitation des bandes dessinées américaines. Ce faisant il continue à
privilégier le style français : le texte typographié en dessous de l’image.
La bulle ou « phylactère » indique dans le dessin le lieu des voix. D’abord
connu sous forme de banderole (qui à la fin du Moyen Age représentait
38
encore le « rouleau » ou livre des anciens prophètes, et sur lequel était
inscrite la parole des saints et des personnages bibliques) il était utilisé
pour inscrire les dialogues du théâtre naissant et s’est peu à peu assoupli
pour suivre les contours du texte en formant des nuages. (C’ est pourquoi
les italiens appelent la bande dessinée «fumetto» en faisant référence
au phylactère, semblable à une fumée s’échappant de la bouche des
personnages).
Le phylactère qui signifie la présence d’une « parole » a donc été longtemps
utilisé et a persisté dans le dessin satirique.
L’usage du phylactère introduit dans l’image une dimension sonore,
parlée et quasi stéréophonique. La place des bulles indique si la voix est
proche ou lointaine, si elle est mentale (monologue intérieur), si c’est une
voix off, si elle sort de derrière une cloison ou émane du téléphone : il
y a autant de conventions graphiques simples qui permettent de lire les
différentes origines. Le cri fait éclater la bulle. La calligraphie se module
en grosseur selon l’éloignement de la voix ou de sa puissance. À l’intérieur
du phylactère, la lettre se fait expressive.
Par l’utilisation du phylactère, la bande dessinée a trouvé son propre
langage. Ne pourrait-on pas imaginer empreinter ce langage, ces codes,
pour les utiliser dans d’autres médias où l’on n’a pas accès au son ou
même à l’image ?
Comment alors seraient intégrés ces codes, provenant de «l’image», dans
des dialogues tel que sur le chat ou dans des textes de littérature par
exemple ?
Pourrait-on envisager ces signes comme des sortes de pictogrammes?
Comme des illustrations accompagnant le texte ou comme de nouveaux
signes typographiques, en s’intégrant par exemple à la ponctuation ?
Ou la ponctuation aujourd’hui suffit-elle à répondre à ces manques ?
C’est ce que l’on va tenter de découvrir dans ce dernier chapitre entièrement
consacré à la ponctuation.
Jochen Garner, Contre la bande déssinée, Choses lues et entendues.
39
40
PONCTUATION
La ponctuation est ce qui règle la langue mais la règle en mesure; ce
qui inscrit en elle notre voix et notre corps ; ce qui fait entendre, même
dans le silence, qu’il y a dans l’organisation de la phrase, du texte, une
rigueur et une folie...
D. Sallenave, Le Nouvel Observateur, 18 avril 1991
Naissances des signes de ponctuation
La ponctuation n’est pas née en même temps que les signes graphiques
de l’alphabet.
Les plus anciens manuscrits grecs datant de l’Antiquité, présentent une
scriptio continua ; un écriture continue sans espaces entre les mots. Les
textes se déroulaient alors comme d’interminables rubans de lettres, sans
majuscules, sans distinction de paragraphe et sans possibilité d’aparté. La
lecture était faite à voix haute et il fallait comprendre tout d’un bloc, ce
qui nécessitait sans doute de relire plusieurs fois le manuscrit avant de le
déchiffer et de lui octroyer un sens précis.
C’est dans les inscriptions latines que l’on commence à mettre des espaces
ou un point, un punctum entre chaque mot, d’où l’étymologie du mot
«ponctuation».
Au cœur de la grande bibliothèque d’Alexandrie, pendant le 3e et le 2e
siècle avant JC, trois grammairiens successifs, Zénodote, Arystophane de
Bizance et Aristarque, élaborent la première ponctuation précise : en trois
points, ils définissent les signes fondateurs de la ponctuation. Le premier
de ces points, nommé le Point Parfait plena distinctio se plaçait après la
dernière lettre, dans le coin supérieur, et indiquait que la phrase portait
un sens complet. Le Point Médian media distincio se situé à mi-hauteur
après la dernière lettre et faisait office de point-virgule et enfin le SousPoint subdistinctio se trouvait quant à lui dans le coin inférieur suivant la
dernière lettre et correspondait en quelque sorte au point final actuel.
Point en haut, point médian, point en bas, marquaient respectivement les
ponctuations forte, moyenne et faible.
Malgrés ces efforts pour rendre au lecteur une langue plus aérée et
intelligible, les copistes boudèrent ces réformes et c’est surtout à
travers le latin que s’instaure un système de ponctuation au 4e siècle en
particulier sous l’influence de Saint Jérôme. Il reprit le système des trois
points des bibliothécaires d’Alexandrie et ajouta une division au texte
en les affichant en colonnes. Il intégra également quelques signes pour
41
identifier clairement des parties de phrase ainsi que des incises. On passa
alors de «l’homme scribal» médiéval à «l’homme typographique» de la
Renaissance. C’est en partie l’apparition de la lecture silencieuse qui fut
à l’origine de ces bouleversements typographiques dont la ponctuation
fait partie.
En 1534, avec la naissance de l’imprimerie, les conventions linguistiques
changent, la typographie se codifie, on insère alors peu à peu des signes
de ponctuation.
Typographes et humanistes jouent alors un rôle majeur dans l’utilisation
de ces signes muets, les modulant et les adaptant: parmi eux, en France,
Robert Estienne, Geoffroy Tory, Garamond, Louis Maigret et Péletier
du Mans.
Le point, la virgule, et les deux points, devinrent les indications en
usage. Puis en 1553 la MAJUSCULE et l’apostrophe font leur entrée
dans l’univers typographique, suivies du point d’exclamation issu des
effervescences langagières de Florence.
En 1540 de nouveaux signes apparurent identifiés dans le traité de Dolet,
considéré comme la référence absolue en matière de ponctuation.
Déjà on pouvait y voir le point, la virgule, les deux points, le point
d’interrogation et d’exclamation, les parenthèses, les alinéas, la croix †,
l’astérisque, ainsi que des pictogrammes tels que la petite main, mais
aussi le pied de mouche ¶, le losange ◊, le soleil et la lune.
Le code d’usage de ces signes ne firent évidemment pas l’unanimité et
certains auteurs ne les employèrent jamais. On n’accordait alors à ces
signes qu’une valeur de pondération respiratoire.
Mais vers la fin du 18e siècle, le grammairien Nicolas Beauzée, convaincu
de l’importance de la ponctuation au sens d’un énoncé, réussi à en prouver
la valeur syntaxique. Dans l’article «Ponctuation» de l’Encyclopédie, la
ponctuation doit répondre à trois exigences : respirer, distribuer le sens
et distinguer les degrés de subordination.
Aujourd’hui, la ponctuation française est réglementée, mais reste évolutive
et permet quelques variations. Elle compte quatorze signes distinctifs.
Ce nombre ne paraît-il pas limité pour décrire notre réalité moderne ?
Aujourd’hui la langue parlée s’éloigne de plus en plus de la langue écrite
et même avec des contractions audacieuses, des signes de ponctuation
répétées à outrance et l’utilisation de plus en plus fréquente de « smileys »,
on peut se demander si l’écriture parvient encore à être en adéquation
avec ce qui s’exprime vocalement ?
Ne serait-il pas souhaitable alors d’envisager de nouveaux signes de
ponctuation qui pourraient tenter de combler cet écart entre la langue
parlée et la langue écrite tout en contribuant à une certaine économie de
temps et d’espace ?
42
La ponctuation aujourd’hui /
État des lieux
L’usage laisse une certaine latitude dans l’emploi des signes de
ponctuation. Tel écrivain n’use jamais de point-virgule. Une relation
peut être marquée au moyen d’une virgule par celui-ci, au moyen
d’un point-virgule par un autre, au moyen d’un double point par un
troisième. L’abondance des virgules peut s’expliquer tantôt par des
raisons purement logiques, tantôt par référence à un rythme oral qui
multiplie les pauses.
Grevisse, Le bon usage, 13e édition, 1936
*« C’est la respiration de la parole
qui rythme la ponctuation, j’écris à
voix haute. »
Claude Roy
La ponctuation aujourd’hui répond à un besoin syntaxique ou est-elle
l’écho de l’oral ?
A-t-elle d’abord pour rôle de faciliter la compréhension du texte, dans
ce cas il s’agirait d’une ponctuation grammaticale, ou doit-elle garder
un lien avec la tradition orale, c’est-à-dire une ponctuation respiratoire*
comme l’entendaient les grammairiens du XVIIIe siècle ?
La définition du XVIIIe siècle « la ponctuation est l’art d’indiquer par
des signes reçus la proportion des pauses que l’on doit faire en parlant »,
paraît aujourd’hui totalement insuffisante, car elle ne prend en compte
que la segmentation de la lecture à voix haute (mais pas syntaxique et
exclut totalement l’intonation).
Pourquoi la ponctuation ne pourrait-elle pas prétendre répondre à une
double fonction, orale et syntaxique ?
Jean Varloot
Ancien directeur
de recherche au CNRS
La Ponctuation,
revue Langue française no45,
Larousse, Paris, 1980
(en collaboration)
Nina Catach
La Ponctuation,
Collection Que sais-je,
Paris, 1996
Les spécialistes sont partagés :
Pour Jean Varloot par exemple, l’une n’empêche pas l’autre :
« Il y a une ponctuation silencieuse et une ponctuation sonore. L’oralité
de la ponctuation ne prime pas, à mon sens, son rôle syntaxique : elle se
confond avec lui, c’est la farine de ce pain. »
Pour Nina Catach, la ponctuation présenterait ses potentialités sur deux
axes : en abscisse, elle rejoint et complète, dans la mesure du possible
(car elle est sobre), les informations de la langue orale. En ordonnée,
elle suppose un ordre graphique interne que l’on peut qualifier dans une
certaine mesure d’« autonome ».
La fonction de la ponctuation est complexe et multiple. Elle est d’ordre
à la fois syntaxique mais marque aussi l’intonation (expression, mélodie,
43
débit, rythme…). Elle aide à la construction, exprime des pauses, parfois
les sentiments et participe au sens.
Parmis tous les phénomènes individuels, pauses, intonations, énonciation,
que peut représenter une phrase orale, l’écrit choisit les opérations les
plus importantes.
Comme l’intonation, le signe de ponctuation n’est pas strictement
codé. Son utilisation présente une grande part de liberté individuelle et
d’expressivité, malheureusement souvent gommé à l’édition.
De plus, la proportion infime des signes écrits en rapport à la richesse
des moyens intonatifs de la parole, fait qu’ils ne peuvent la refléter
véritablement.
D’après P. Delattre, La nuance de sens par l’intonation, French Review, XLI, 3, 327.
Par exemple, P. Delattre (1967)
distingue dix intonations de bases
pour le français : la question,
la continuation majeur,
l’implication, la continuation
mineure, l’écho, la parenthèse,
la finalité, l’interrogation,
l’interrogation, la commande et
l’exclamation.
44
Qu’en pensent à leur tour les écrivains?
De l’enquête faite par Annette Lorenceau et Nina Catach, à la question
posée « Les règles de ponctuation ont, selon vous, plus de rapport avec
l’oral ou avec la syntaxe ? » il ressort que sur 40 écrivains, 18 disent
l’oral, 14 la syntaxe, 7 avec les deux. Mais, répondant à la même
enquête Hervé Bazin remarque que «la ponctuation française est plus
riche en expression de pauses (point, point-virgule, deux points, point de
suspension) qu’en expression d’intonation. » En effet, si on ne retient que
le point d’interrogation et d’exclamation comme marques d’intonation,
on sera contraint de reconnaître la pauvreté de notre système de signes.
Pour répondre à ce manque, Hervé Bazin proposera un ensemble de
nouveaux signes de ponctuation…
Mais, en étudiant un peu plus certains dialogues de roman, on peut
observer que tous les signes de ponctuations sont utilisés pour transcrire
au mieux les effets de l’oral, ainsi que d’autres moyens typographiques
comme l’emploi de majuscules ou encore l’italique.
On remarque qu’en littérature un même signe typographique peut être
utilisé à des fins différentes selon les auteurs et que parfois leur fonction
initiale est même détournée.
Par exemple les points de suspension qui sont les signes de ponctuation
les plus employés par les écrivains sont éminemment ambigus et servent
à traduire des phénomènes très différents :
– une hésitation du locuteur
– un rythme ou un débit particulier
– une interruption liée au dialogue (par exemple l’interlocuteur coupe la
parole au locuteur)
– un silence véritable
– une pause liée par exemple à une émotion
– une pause correspondante à la tenue d’un son (équivalente à un «heu»)
– une superposition ou un chevauchement de parole
Certains auteurs notent par exemple les chevauchements de paroles de façon
distinctive en plaçant les points de suspension à la fois à la fin de la réplique
interrompue et au début de la reprise de parole de ce même locuteur.
On peut ainsi noter le souci de réalisme de ces auteurs qui calquent pour
ainsi dire ce qui se passe dans un dialogue réel.
Cet exemple est bien entendu valable pour tous les autres signes de
ponctuation.
On peut conclure que du fait du nombre limité de signes face aux effets
très variés à évoquer, un signifiant a plusieurs signifiés. En effet pour
rendre les hésitations de natures diverses, les ruptures intonatives, les
changements de rythmes, les silences, les accents d’intensité… l’auteur
qui le souhaite (car ce n’est bien entendu pas une obligation) ne dispose
alors que d’un nombre restreint de signes.
D’autre part l’emploi de ces signes n’obéit pas à un code strictement fixé.
45
Pour un même signifié les écrivains usent de signifiants différents voire
d’absence de signe.
Cela montre à la fois les scrupules de certains écrivains à intégrer dans
le dialogue des phénomènes de la langue parlée et en même temps
l’impossibilité de transcrire totalement l’oral dans l’écrit.
De multiples signes nouveaux
Pour combler les manques, certains auteurs, bien avant Hervé Bazin, ont
proposé d’introduire de nouveaux signes de ponctuation.
Au cours de l’histoire, de nombreux écrivains, poètes, linguistes et
typographes ont créer des signes de ponctuation.
Ces inventions sont d’ordre poétique et parfois motivées par l’expression
de véritables didascalies.
*Annexe, document 2
Gérard de Vivre, dramaturge gantois du XVIe siècle, établit un ensemble
de notations didascaliennes de type « parler bas », « accélération »,
« ralentissement », « arrêt », ainsi que trois pauses graduées ( Un temps,
deux temps, trois temps).* Ces signes traduisent les attentes de l’auteur à
l’égard de l’interpète, ses exigences à propos de la diction du texte et ses
préoccupations de mise en scène.
Par exemple, la pause à trois temps, assez longue, participe à l’élaboration
dramatique. Elle manifeste un changement de ton ou bien indique une
modification du jeu.
Pour noter ces signes, De Vivre utilise des caractères simples et existants
comme le pied de mouche pour les didascalies de mouvement, la graphie
œ pour signifier une voix basse, un symbole d’intersection pour indiquer
un arrêt…
Gérard de Vivre priviligie les faits de diction sur les autres considérations
dramatiques. Ses intentions sont avant tout d’ordre pédagogique, plus
soucieux de former ses élèves de Cologne à la langue française, que de
les initier aux ressorts secret du théâtre.
En 1856, P. Villette créa la virgule d’exclamation et la virgule d’interrogation.
Dans un fascicule intitulé « Traité raisonné de ponctuation » il décrit le
symbole et lui donne un exemple d’utilisation sans toutefois lui attribuer
de nom particulier (il le nomme « signe nouveau ».)
Ces signes donnent un ton exclamatif ou interrogatif à une phrase sans
pour autant la terminer et permettent ainsi de respecter la continuité du
souffle. L’utilisation d’un tel signe éviterait l’emploi d’une bas-de-casse
après un point d’interrogation ou un point d’exclamation, comme on
peut le voir en poésie.
Le romancier et poète argentin Ricardo Güiraldes (1886-1927) propose
de remplacer tout simplement les signes de ponctuation par des signes
46
musicaux offrant ainsi toutes les variations de tempo possibles, de temps
de pause, de crescendo et decrescendo… L’idée s’est répandue mais
aucune utilisation dans une publication n’a été tentée.
À la fin du XIXe siècle Alcanter de Brahm (alias Marcel Bernhardt)
invente le Point d’ironie.
Pourtant l’utilisation de ce signe reste très marginale.
L’hebdomadaire Le canard enchaîné en fait parfois usage.
On le trouve également dans certaines mises en page mais je me demande
s’il ne s’agit pas avant tout d’une fantaisie…
Il existe quatre graphies différentes du point d’ironie. Il a été repris
notamment par Hervé Bazin dans son livre Plumons l’oiseau (1966), dans
lequel l’auteur propose également d’autres nouveaux signes de ponctuation,
des « point d’intonations » : le point de doute, ressemblant à un point
d’interrogation, le point de certitude ou de croyance, qui ressemble à la
Croix, le point d’acclamation ressemblant au V de Churchill, le point
d’autorité, le point d’amour : deux points d’interrogation qui s’entrelacent
en forme de cœur et le point d’indignation. (Ce dernier a également été
employé par Raymond Queneau dans son roman le Chiendent.)
Le point d’ironie a récemment été remis à l’honneur par la styliste Agnès
B en 1997 dans le titre du périodique d’art Le Point d’Ironie confié à
Hans-Ulrich Obrist.
Dans un fascicule intitulé « Traité raisonné de ponctuation » H-U Obrist
décrit le symbole et lui donne un exemple d’utilisation sans toutefois lui
donner de nom particulier.
*Annexe, document 3
En 1962, le publicitaire Martin K Speckter propose le point exclarogatif
ou interrobang*, signe de ponctuation anglophone qui combine les
fonctions de point d’interrogation et de point d’exclamation.
En 1966, il fut pour la première fois inclus dans une police de caractères,
l’Americana.
L’interrobang fut en vogue aux États-Unis pendant les années 1960, alors
que le mot interrobang faisait son apparition dans quelques dictionnaires et
que le signe lui-même était utilisé dans certains magazines ou journaux.
Mais jamais il ne devint un signe de ponctuation standard.
La plupart des polices ne l’incluent pas, on peut le retrouver néammoins
dans les glyphes des polices Lucida Sans Unicode et Arial Unicode MS.
L’écrivain Michel Ohl pratique le point d’aisance composé d’un point
d’exclamation surmonté d’un oméga minuscule.
En 1980, Julien Blaine a crée le point de poésie dans son ouvrage
Reprenons la ponctuation à zéro.
**Les Shadoks et le désordinateur,
Édition Circonflexe, 2000
Jacques Rouxel introduit de nouveaux signes de ponctuation lors d’un
cours de grammaire Shadok.** « Il est interdit de déposer des points
d’interrogation, d’affirmation, d’appréciation, d’exécution ou de
47
n’importe quoi devant toute proposition constituée par une passoire
après dix heures du matin ».
Le point d’affirmation se dessine comme un point d’exclamation En
revanche le point d’appréciation et le point d’exécution ont des formes
nouvelles (le point d’exécution ressemble au point de certitude d’Hervé
Bazin, mais la croix chrétienne symbolise ici la mort).
Très récemment on a pu observer la naissance d’un nouveau signe de
ponctuation sur internet, le SarcMark. Le SarcMark que l’on pourrait
appeler en français «point de sarcasme» ressemble à une sorte de spirale
avec un point dedans. C’est une société du Michigan qui propose de
télécharger ce signe pour 1,99 dollar.
Tous ces signes sont très peu connus, pour certains on ne trouve même pas
leur représentation, et ils n’ont pour la plupart jamais été utilisé, sinon
par leurs inventeurs. Mais tous ont un point commun : ils répondent à
une satisfaction, une volonté individuelle de fonder un code ! Expression
de liberté…
Finalement, ces signes pourraient être une des réponses à la question initiale :
comment par le biais du graphisme, redonner vie au dialogue transcrit en
lui rendant sa dimension corporelle et émotionnelle ?
Le dialogue implique une interaction, un échange qui va au-delà des
mots. Ceux-ci s’accompagnent de signaux paraverbaux (intonation,
rythme, intensité, hauteur) ou non verbaux (comme le langage corporel)
indispensables et indissociables de la notion de dialogue.
Par exemple, on a constaté que lorsque les spécialistes des sciences du
langage pratiquent l’analyse conversationelle, ces phénomènes ont une
part importante dans la transcription et l’analyse des échanges verbaux,
au même titre que le discours, si ce n’est plus.
C’est pourquoi ces différentes dimensions de la parole ne peuvent être
ignorées... Or dans la plupart des dialogues transcrits, on a pu remarquer
que ces phénomènes verbaux ou non verbaux secondent le texte ou ont
quasiment disparus.
Leur place ne pourrait-elle pas se trouver dans la ponctuation ?
On l’a vu, de nouveaux signes ont été imaginés, des signes plus proches du
ton, de l’oral. Ces signes peuvent être considérés comme les ancêtres des
smileys, moins figuratifs, leur but est le même, donner le ton, transmettre
une émotion...Or, comme on a pu le constater, la ponctuation joue un
double rôle, oral et syntaxique et compte finalement peu de signes face
aux multiples variables de la parole.
Pourquoi ne pas imaginer une extension de cette ponctuation, avec des
signes d’ordre oral ?
Tout au long de ce mémoire j’ai recherché des signes traduisant l’oralité,
dans différents domaines comme la bande dessinée ou encore le doublage
de dialogues. Ces signes pourraient-ils servir de matériel graphique pour
la construction de nouveaux signes de ponctuation ?
48
SUMMARY
How can one retranscribe a dialogue graphically ?
My project for my diploma concentrates on the
correlation between the written and the oral.
In my thesis, I question the transcription of
the oral word. A word can include a multitude
of variables : tone, intensity, modulation,
intonation and rhythm, and also non-verbal
language such as body movements, different
postures, attitudes and mannerisms.
The central points are : Is writing nowadays able
to communicate the liveliness of oral language ?
Is it possible that a written dialogue expresses
all the physical and emotional dimension of a
conversation between two people for example ?
Punctuation in particular fulfills some of these
needs, but is it sufficient ?
What is missing ?
To try to answer these questions I started
researching various domains in which dialogue
appears like literature, drama, cinema, comic
strips and internet chats.
In literature, for example, some authors
complain about an insufficiency of punctuation
marks.
Furthermore, the dialogues are subjected to
typographic conventions which do not always
satisfy them.
I also became interested in the dubbing of
dialogues for the cinema.
It is interesting to see that when an actor dubs
a movie, the appearance of the text varies
according to how the voice actor must read
it ; the writing is more or less squeezed up
according to the speed of the speech etc. Some
signs are also used to indicate the movement of
the mouth, the laughs and the breathing.
In comic strips, the simplest example is the
speech bubble : it doesn’t only indicate the
presence of speech, it also evolves with it.
It can vary in size to indicate the intensity of
what is being said and can take different shapes
and forms according to the expressiveness of
the text.
The theatre particularly interests me because
the text is the foundation, it is the starting block
for the whole production. What appears to be
a very ordinary conversation will be enacted
using a plethora of devices to amplify, exagerate
or emphasize the subject and characters.
In plays, stage directions are written.
In chatrooms, where the conversation takes
place almost as it would in real life, a new form
of writing has emerged. In French a new word
has been invented : « parlécrit » which means
speech-writing. An English equivalent does not
appear to exist. I suggest « speewrit » , but I’m
open to other ideas !
This « parlécrit » tries to find a written substitute
for the paraverbal signs and the punctuation
marks that suggest intonation and physical
expressions produced during a conversation
like smileys.
It’s the appearance of this new form of writing
that help me become aware of a lack of such
signs in our writing system. Some authors or
artists also noticed this and proposed new
signs, essentially punctuation but they have
not gained as much success as the smiley on
the internet.
49
BIBLIOGRAPHIE
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la parole, Éditions Albin Michel, Paris, 1988
Desktop Theater
http://le.pousse.pousse.free.fr/
http://www.desktoptheater.org/
50
RÉFÉRENCES
Kurt Schwitters
Die Systemschrift
1927
Étudiant de près la phonétique des lettres,
Kurt Schwitters proposa en 1927 « l’écriture
systématique » : un système de signes graphiques
construits à l’aide de quelques éléments répétitifs.
Ils étaient censés refléter le plus fidèlement
possible leur prononciation en allemand. Les
voyelles furent ainsi élaborées à partir de la
forme ovale (pour insister sur l’ouverture des
cordes vocales), tandis que les consonnes se
limitaient à des bâtonnets verticaux munis de
petits segments horizontaux dont l’emplacement
était dûment étudié. De la sorte, dans l’alphabet
latin, les sons gutturaux [g] et [k] ne présentent
aucune similitude graphique, dans l’écriture
systématique de Schwitters, ces deux lettres
sont visuellement construites selon la même
logique. L’écriture systématique présente le cas
extrême d’une écriture optophonétique dont
d’autres exemples, plus lisibles, voient le jour
dans les années vingt et trente en Allemagne et
en Europe Centrale.
51
Jan Tschichold
Typographische
Entwurfstechnik
1927
Entre 1926 et 1929, Jan Tschichold propose un
« alphabet universel », resté à l’état de projet.
Il y a deux versions possibles de cet alphabet : une
version courante et une version phonétique.
Pour simplifier la notation allemande qui
contient de nombreux doublons graphiques
équivalents, Tschichold crée de nouveaux
caractères, pour replacer par exemple ch et sch,
ou eu et oi, w et v, z et ts, etc, phonétiquement
identiques en allemand. Des indications sur
la prononciation sont intégrées comme par
exemple le marquage des voyelles longues.
Herbert Bayer
Fonetik Alphabet
1958
En 1958, Herbert Bayer, artiste et typographe
autrichien du Bauhaus, créa le « Basic Alfabet »
appelé aussi « Fonetik », qui repose sur la
phonétique des lettres. Il créa entre autres
des symboles spéciaux pour les terminaisons
anglaise du type –ed, -ory, -ing et –ion ; mais
aussi pour les diphtongues –ch, -sh, -ng. Un
trait indiquait le redoublement d’une consonne
dans l’orthographe classique du mot.
52
Pierre
Di Sciullo
Le Quantange*
Police de caractères orthographico-phonéticoplastique créée en 1987 qui dispose d’autant
de formes de lettres que de façon de les
prononcer en français. Cela permet d’indiquer
la prononciation par des correspondances
graphiques entre les signes et les sons tout en
respectant l’orthographe. le texte se rapproche
alors de la partition musicale.
Dernièrement, une metteur en scène a demandé
a Pierre Di Sciullo de faire travailler ses
comédiens sur une Pièce de Valère Novarina en
Quantange, ce qui leur a permis de travailler
différemment la musicalité du texte.
Le Kouije**
Le Kouije concilie les complexités de l’orthographe
du français et la remotivation phonologique de
l’alphet latin dans la langue française.
Il est composé d’une ligature qui assemble
les lettres formant un même son : au, in, eau,
ph… D’une variation graphique distinguant les
différents états d’une même lettre : les 2 g de
« gage ».
Les lettres muettes sont plus fines et l’ensemble
des lettres suivent l’ondulation de la voix: le
chuchotement est fin, le hurlement est gras; la
hauteur des lettres indique la hauteur de la voix
du grave vers l’aiguë.
On obtient, en croisant ces paramètres,
27 variations dessinées sur une grille modulaire
qui facilite les déformations. On dispose alors d’un
outil souple pour incarner la voix dans l’écriture.
Pousse-pousse
à onomatopées
Conception: Pierre di Sciullo et Antoine Denize.
Graphisme et typographie : Pierre di Sciullo.
Ferme du Buisson
Pousse-pousse à onomatopées est une
installation interactive multi-joueurs qui
explore les questions de la phonologie et de la
typographie et permet d’écrire collectivement
un texte.
Chaque joueur choisit une onomatopée et
peut ensuite la modifier pour la faire entrer
dans le jeu et déclencher son énonciation.
Le joueur intervient sur six dimensions de la
parole : l’articulation, la hauteur, le rythme,
l’accélération, le caractère et l’intensité.
Dès qu’un outil est activé, on peut
entendre l’interprétation de l’onomatopée
correspondante enregistrée en amont par deux
chanteurs-comédiens et en découvrir la variante
typographique en Kouije.
Une fois satisfaits du résultat visuel, les
onomatopées sont envoyées par les joueurs et
viennent prendre place à la fin de la phrase déjà
affichée sur un écran géant.
Pierre Di Sciullo envisage d’adapter Pousse-pousse
à onomatopées à de nouvelles scénographies
impliquant la participation simultanée d’un
plus grand nombre de joueurs et d’un corpus
d’onomatopées plus important.
Les joueurs participeraient à la conversation à
partir d’ordinateurs ou de téléphones portables.
53
Partant du même principe que cette installation,
mais augmenté d’une dimension théâtrale, le
résultat cherche à englober la part corporelle et
émotionnelle à l’échelle de l’homme, captif de
la machine à communiquer.
Les relations voix/mouvement, texte/intention
de parole seront au cœur de cette proposition
qui repose sur le principe de la conversation en
réseau (forum, chats, SMS, etc.).
Source : Livraison 13, Langage et typographie, Hiver 2009/2010
*
**
54
Stéphane
Mallarmé
Un Coup de dés
jamais n’abolira
le hasard
Mallarmé porta une longue réflexion sur son
usage de la ponctuation. Finalement il supprima
dans les vers la ponctuation, qu’il avait par
contre multiplié dans la prose, gardant la seule
et pure ponctuation propre au vers : les blancs.
Mais cette partition pour l’œil réalise aussi
une forme de synthèse de l’espace pictural et
du temps musical. Dans une lettre à Camille
Mauclair, Mallarmé commentait son poème en
ces termes : « Au fond, des estampes : je crois que
toute phrase ou pensée, si elle a un rythme, doit
le modeler sur l’objet qu’elle vise et reproduire,
jetée à nu, immédiatement, comme jaillie en
l’esprit, un peu de l’attitude de cet objet quant
à tout. La littérature fait ainsi sa preuve : pas
d’autre raison d’écrire sur du papier »
Mallarmé éclate la composition, révélant ainsi
l’espace.
L’existence du poème ne passe pas seuleument
par un alignement de mots, mais une
orchestration, une occupation des lieux réfléchie
où le blanc de papier prend toute sa forme.
Source : Mallarmé, Œuvres complètes I, Édition Gallimard, 1998
En octobre 1896, André Lichtenberger demande
à Stéphane Mallarmé un poème pour la revue
Cosmopolis.
En publiant Un Coup de dés Mallarmé invente
une forme nouvelle, une véritable partition
poétique comme le soulignait la préface rédigée
pour l’édition Cosmopolis : « ... de cet emploi à
nu de la pensée avec retraits, prolongements,
fuites, ou son dessin même, résulte, pour qui
veut lire à haute voix, une partition »
55
Article de Lucie Bertrand pour Deliciouspaper, revue culturelle, mai-juin 2009
ANNEXE
DOCUMENT 1
56
57
58
DOCUMENT 2
Source : Dotdotdot No 15, Octobre 2007?
59
DOCUMENT 3
60
Remerciements :
À mon grand-père
À ma famille
À mes professeurs
de l’Erba de Valence :
Annick Lantenois
David Poulard
Gilles Rouffineau
Alexis Chazard
Luc Dall’armellina
Samuel Vermeil
À mes professeurs
de l’ Esa de Cambrai
À Felix Müller
À Olivier Damiens
À Nicolas
À Cerise
À Émilie
À Benjamin
À Charles
À Mélanie
À Noëmi
À mon imprimante
Pour leur soutien,
leurs conseils,
leurs critiques,
et leur intérêt
pour ce travail.
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