L’EXPÉRIENCE D’UN RÉGULATEUR
MULTINATIONAL DE L’ASSURANCE :
LA CIMA
JEAN-CLAUDE NGBWA*
Instituée en 1992, la Conférence interafricaine des marchés d’as-
surances (CIMA) est l’aboutissement d’un long processus d’inté-
gration qui a commencé par la création de la Conférence inter-
nationale des contrôles d’assurances (CICA) en 1962. Il s’agit d’une
étape importante dans la transformation progressive du secteur des
assurances des États membres en un vaste marché disposant de règles
et d’une autorité communes pour un meilleur équilibre des mécanis-
mes institutionnels.
Composée de quatorze États, la CIMA couvre une zone géographi-
que de 6,53 millions de km² qui s’étend du Sénégal à la République du
Congo Brazzaville. Ces pays, ayant en commun la langue française,
totalisent en 2013 une population de 144 millions de personnes pour
un PIB nominal de 90 277 MdF CFA (soit 137,6 MdA), avec un taux
de croissance de 5,26 %. Les pays de la CIMA sont regroupés dans deux
unions économiques et monétaires, la Communauté économique et
monétaire de l’Afrique centrale (CEMAC) et l’Union économique et
monétaire ouest-africaine (UEMOA), ayant chacune une banque cen-
trale, la Banque des États de l’Afrique centrale (BEAC) et la Banque
centrale des États de l’Afrique de l’Ouest (BCEAO). Il existe une
transférabilité entre les deux zones et la France garantit la convertibilité
* Secrétaire général, Conférence interafricaine des marchés d’assurances (CIMA).
Contact : cimascima-afrique.org.
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à taux de change fixe avec l’euro (1 A= 655 F CFA) grâce au mécanisme
du compte des opérations et aux règles relatives à la politique moné-
taire.
Le taux de pénétration de l’assurance (ratio « primes émises/PIB »)
des pays de la CIMA est extrêmement faible, variant de 0,34 % à
1,89 % du PIB. Le tableau 1 permet de constater que les quatorze pays
de la CIMA sont situés à la fin du classement des 184 pays évalués
récemment par la Banque mondiale. Pour que le taux de pénétration
atteigne celui de l’Europe (soit6%duPIB), il faudrait que les
émissions de la zone CIMA croissent d’environ 8,7 Md$ (environ
4 350 MdF CFA) par an.
Avec une densité (montant moyen de la prime d’assurance par
habitant) d’environ 6 188 F CFA (soit 9,43 euros) et un taux de
pénétration de 0,99 %, le secteur de l’assurance de ce vaste espace
conserve tout son potentiel de développement.
Tableau 1
Pénétration de l’assurance en zone CIMA
(classement en fonction des 184 pays évalués, 2011)
Primes
émises
(en M$)
Pénétration
(en %
PIB)
Prime par
habitant
(en $)
PIB par
habitant
(en $)
PIB
(en M$)
Population
(en
millions)
Rang
mondial
(pénétration)
Bénin 66,93 0,90 6,66 736,58 7 403,13 10,05 134
Burkina
Faso
83,17 0,78 5,05 651,65 10 726,33 16,46 139
Cameroun 287,84 1,11 13,26 1 196,69 25 967,67 21,70 124
Comores nd nd nd nd nd nd nd
Congo 109,44 0,95 25,23 2 656,69 11 522,21 4,34 159
Côte
d’Ivoire
391,22 1,59 18,97 1 196,91 24 680,37 20,62 103
Gabon 192,65 1,05 118,01 11 256,52 18 377,08 1,63 126
Guinée
équatoriale
25,09 0,11 34,84 32 038,87 23 067,98 0,72 176
Mali 55,98 0,56 3,77 677,87 10 068,82 14,85 154
Niger 42,90 0,61 2,50 407,28 6 987,71 17,16 150
Centrafrique 8,02 0,37 1,75 472,91 2 164,04 4,58 167
Sénégal 187,46 1,24 13,30 1 075,22 15 149,80 14,09 116
Tchad 19,85 0,18 1,59 885,11 11 018,02 12,45 174
Togo 73,39 1,89 11,05 584,39 3 882,13 6,64 94
nd : non disponible.
Source : Axco Insurance Products.
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La CIMA constitue à n’en point douter un exemple unique d’inté-
gration sectorielle, précurseur du regroupement de plusieurs régula-
teurs financiers nationaux, qui mérite d’être connu et valorisé pour être
renforcé. C’est l’objectif de cet article qui présente le processus d’in-
tégration du marché des assurances dans les États membres de la CIMA
et les acquis depuis sa mise en place, avant d’examiner les principaux
défis de la régulation pour les prochaines années.
LACIMA : UN LONG PROCESSUS D’INTÉGRATION
L’assurance moderne a été introduite en Afrique subsaharienne
francophone avec la colonisation française. Avant 1960, les agents
généraux, puis les filiales des compagnies d’assurances françaises, qui
avaient étendu leurs réseaux dans les territoires d’outre-mer, étaient les
seules structures à présenter au public les opérations d’assurance en vue
de garantir les investissements publics et privés de la métropole. Le
contrôle des opérations issues de leurs activités se faisait via les maisons
mères implantées en France.
Devenus indépendants, les jeunes États ont coopéré avec le régula-
teur français des assurances pour suivre leurs marchés respectifs et
préserver le bon fonctionnement des sociétés et des agences d’assuran-
ces implantées dans ces anciennes colonies françaises d’Afrique occi-
dentale, centrale et à Madagascar. Ainsi, la convention de création de
la CICA est signée le 27 juillet 1962 entre treize États africains, le
Bénin, le Burkina Faso, le Cameroun, la Centrafrique, le Congo, la
Côte d’Ivoire, le Gabon, le Mali, le Niger, le Sénégal, le Tchad, le Togo,
Madagascar, et la France. Le but de cette convention est l’harmonisa-
tion des législations et des réglementations nationales, tout en coor-
donnant l’exercice du contrôle des entreprises et la formation des cadres
africains dans le domaine des assurances. Son siège est alors à Paris.
En juin 1972, l’assemblée générale de la CNUCED (Conférence des
Nations unies sur le commerce et le développement), réunie à Santiago
au Chili, recommande aux pays en voie de développement de favoriser
la création de sociétés d’assurances de droit national pour qu’elles
puissent jouer leur rôle d’investisseurs institutionnels et participer
pleinement au financement du développement de ces pays.
Pour concrétiser cet objectif, une nouvelle convention est signée le
27 novembre 1973 entre douze des treize États africains ayant créé la
CICA (sans Madagascar). La France a désormais un statut d’observa-
teur. En 1976, le siège de la CICA sera transféré de Paris à Libreville
au Gabon.
Mais l’africanisation de la CICA ne s’accompagne pas de la dyna-
misation nécessaire pour développer le secteur des assurances. La crise
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L’EXPÉRIENCE D’UN RÉGULATEUR MULTINATIONAL DE L’ASSURANCE : LA CIMA
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économique des années 1970 qui frappait alors les pays africains,
combinée aux pratiques de mauvaise gestion et aux limites des organes
nationaux de supervision et de contrôle, va avoir des effets néfastes sur
le secteur des assurances. Les sociétés nationales d’assurances de la zone
éprouvent alors de grandes difficultés pour respecter leurs ratios pru-
dentiels. Les conséquences de ces déséquilibres structurels vont se
répercuter sur la qualité de leurs prestations et altérer le rôle qu’elles
étaient censées jouer dans l’économie.
Il faudra une réaction dynamique et urgente des États pour sauver
l’ensemble du système. Une profonde réforme est engagée le 20 sep-
tembre 1990 avec la signature par les mêmes États africains de la
Convention de coopération pour la promotion et le développement de
l’industrie des assurances (CCPDIA). Cette nouvelle convention se
caractérise par la création d’un conseil des ministres des assurances et
d’une commission interétatique de contrôle des assurances. Cepen-
dant, avant la ratification de cette convention par l’ensemble des États
membres, les ministres des Finances de la Zone franc vont concevoir la
mise en place d’une structure communautaire pour l’organisation du
secteur des assurances. Le traité instituant une organisation intégrée de
l’industrie des assurances dans les États africains est signé le 10 juillet
1992 à Yaoundé (Cameroun) par les gouvernements des douze États
membres, les Comores et la Guinée équatoriale. Des quatorze États
signataires, seule la République fédérale islamique des Comores ne l’a
pas ratifié jusqu’ici. La Guinée-Bissau y fait son entrée en 2002 et a
ratifié le traité en 2007. Le traité organisant la CIMA entre en vigueur
le 15 février 1995. Il prévoit l’adhésion de tout autre État africain qui
le désire.
Les objectifs assignés à la CIMA sont les suivants :
renforcer la coopération dans le domaine des assurances entre les
États membres ;
développer les organismes d’assurances et de réassurances en vue
de renforcer leur capacité de rétention ;
favoriser l’investissement des fonds des entreprises dans les meil-
leures conditions au profit de l’économie de leur pays ou de la région ;
poursuivre la formation des cadres et des techniciens d’assurance
pour répondre aux besoins des entreprises et des administrations des
États membres ;
créer des structures communes chargées de l’étude et de la mise en
œuvre des orientations politiques et des décisions ;
poursuivre la politique d’harmonisation et d’unification du droit
des assurances.
Aux fins d’harmonisation et d’unification, il a été instauré, en annexe
au traité, le code des assurances applicable dans tous les États membres.
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LACIMA : UNE INTÉGRATION
PAR INSTITUTIONNALISATION DES ORGANES
Le traité a doté la nouvelle organisation de pouvoirs de décision plus
étendus dont ne pouvait user la CICA sous l’effet des pressions
nationales.
Tous les pouvoirs généralement reconnus à un organe de supervision
(agréments des acteurs, contrôle de solvabilité, pouvoir d’injonction et
de sanction, retrait d’agrément, etc.) ont été conférés à la CIMA. Seuls
sont restés dans le domaine de compétences des États les pouvoirs de
contrôle des activités des intermédiaires d’assurances et des experts tech-
niques. Dans un rôle de relais, les directions nationales des assurances
suivent la mise en œuvre des décisions prises par les organes de la CIMA.
Sur le plan institutionnel, la CIMA est structurée autour de trois
organes : le Conseil des ministres des assurances, la Commission
régionale de contrôle des assurances (CRCA) et le Secrétariat général.
Le Conseil des ministres est l’organe législatif suprême. Il définit la
politique du secteur des assurances, élabore la législation unique, l’in-
terprète et la modifie. C’est l’organe qui assure l’impulsion politique de
l’organisation. Il nomme les responsables des structures de la CIMA.
C’est l’unique organe de recours des décisions prises par la CRCA
contre les assujettis.
Composé des ministres chargés du secteur des assurances, il se réunit
deux fois par an en session ordinaire, en marge de la réunion des
ministres des Finances de la Zone franc. La validité de ses délibérations
est conditionnée par l’atteinte d’un quorum de trois quarts de ses
membres, présents ou représentés. Dans ses délibérations, la règle de la
majorité qui caractérise les systèmes d’intégration ne prévaut que si
l’unanimité n’a pas été obtenue. Dès lors, la décision est prise à la
majorité qualifiée des deux tiers.
Pour une organisation efficace de ses réunions, le Conseil des mi-
nistres s’appuie en pratique sur un comité d’experts composé des
directeurs nationaux des assurances, des directeurs généraux des deux
institutions autonomes de la CIMA (l’Institut international des assu-
rances – IIA – et la Compagnie commune de réassurance des États
membres de la CIMA-CICA-RE) et de deux représentants des entre-
prises d’assurances.
La CRCA est l’organe de régulation. Elle exerce des compétences
spécifiques de contrôle des sociétés d’assurances. Elle détient le pouvoir
de sanction. Elle tient au moins deux sessions ordinaires par an. En
pratique, elle se réunit quatre fois par an pour statuer sur la situation
individuelle des sociétés d’assurances contrôlées.
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