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AVANT-PROPOS
par Jean-François BERNARDIN
En matière d’économie, notre pays a la fâcheuse tendance de privilégier l’émotion et s’il est bien un
sujet à propos duquel les fantasmes l’emportent sur la réalité, c’est celui des « délocalisations ».
« Délocalisations », corollaire infamant de la mondialisation, destructrices d’emplois et génératrices de
« casse sociale », symptômes d’une invasion de la Chine ou des PECO ou bien encore signes avant-
coureurs d’une désindustrialisation accélérée de la France…La liste est longue de ces anathèmes qui
traduisent la peur de nos concitoyens face à un phénomène souvent mal défini.
Certes, le sujet est sérieux, parfois grave. Il ne s’agit en rien de mésestimer les dégâts économiques
et humains que peuvent provoquer les nouvelles localisations (le terme est plus juste que
« délocalisations ») de l’industrie et de certains services.
Encore faut-il a priori s’entendre sur les définitions et cesser d’amalgamer autour d’un vocable
supposé dégradant et utilisé comme un passe partout des pratiques et des comportements très
différents les uns des autres. La science économique, qui n’est pas une science exacte, a d’ailleurs
parfois du mal à sérier les approches. Il n’empêche que, le plus souvent, les relocalisations (y compris
d’entreprises et de capitaux étrangers…en France !) sont rationnelles et in fine bénéfiques pour le
pays en dépit des apparences. La France a un intérêt stratégique à favoriser le développement des
PECO et des pays du pourtour méditerranéen, en particulier le Maghreb. Les conséquences
économiques et géopolitiques d’une implantation dans ces régions ne sont pas identiques à celle
d’une implantation en Chine, en Inde ou au Pakistan.
Les « délocalisations » sont entendues, dans cet ouvrage, au sens de «fermeture d’une unité de
production en France suivie de sa réouverture à l’étranger en vue de réimporter sur le territoire
national les biens produits et / ou de continuer à fournir les marchés d’exportation à partir de cette
nouvelle unité ». Les données chiffrées révèlent qu’elles pèsent globalement peu dans l’économie.
En intitulant cet ouvrage «La peur n’est pas une solution», notre objectif est de montrer qu’une attitude
de repli frileux, outre quelle serait inopérante, risquerait fort de conduire notre pays à perdre son rang.
Etayée par une enquête approfondie auprès de 100 entreprises dans les domaines de la production
industrielle et des services à l’industrie ayant procédé à une ou plusieurs « délocalisations » en
2004/2005, notre analyse révèle que, dans un contexte de contrainte extérieure, les nouvelles
localisations pratiquées ont finalement généré des retombées positives notamment en termes
d’accroissement du chiffre d’affaires lié à un accroissement des volumes de fabrication. Ne pas les
avoir décidées aurait conduit à des destructions massives d’emplois.
Il est vraiment temps que tombent les tabous qui corsettent notre vision de l’économie. Près des trois
quarts des chefs d’entreprise interrogés par les Chambres de Commerce et d’Industrie pour notre
enquête ont d’ailleurs accepté de témoigner «à visage découvert».
Le mythe du plombier polonais a vécu ! Il faut regarder les choses en face. La compétition
internationale est rude. Elle comporte aussi de nombreux défis à relever. En effet, jamais autant de
pays n’ont accédé en même temps à la modernité et à un niveau de vie décent ; ce sont des
concurrents mais aussi des clients. Les entreprises, dans un environnement économique fluctuant,
sont amenées à adapter en permanence leurs stratégies. Ce qui vaut pour les organismes vivants
vaut aussi pour nos entreprises! La véritable question consiste désormais à savoir comment notre
pays peut mieux s’inscrire dans la recomposition et la croissance exceptionnelle des échanges
internationaux.
Ceci suppose de poursuivre des réformes déjà bien engagées. Pas toujours facile dans un pays
comme le nôtre qui a la passion du changement mais la hantise de la réforme et une incroyable
incuriosité envers le reste du monde.
Redresser la productivité de la «maison France», remettre l’Etat en état, lever les blocages qui
paralysent nos entreprises pour les aider à gagner des marchés, développer la politique d’innovation
et de recherche développement, se décider à admettre enfin que l’emploi est en transformation
permanente et non pas en péril, en misant sur la formation pour permettre les reconversions et
préparer aux métiers de demain… Telles sont quelques unes des pistes de réflexions que nous
proposons ici pour aller plus loin.