S1 convaincre persuader D2

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Objet d'étude : Le roman et ses personnages : visions de l'homme et du monde.
CORPUS DE TEXTES
Texte A : Sorel, Histoire comique de Francion, Avertissement, 1633.
Texte B : Marivaux, La vie de Marianne, 1731.
Texte C : George Sand, La Mare au Diable, chap. I : " L'Auteur au lecteur ", 1846.
Texte D : Émile Zola, Le roman expérimental, 1880.
Texte E : François Mauriac, Le romancier et ses personnages, © Corrêa, 1933.
TEXTE A
ADVERTISSEMENT D’IMPORTANCE
AUX LECTEURS
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Je n’ay point trouvé de remede plus aysé ny plus salutaire à l’ennuy qui m’affligeoit il y a
quelque temps que de m’amuser à descrire une histoire qui tinst davantage du folastre que du
serieux, de maniere qu’une melancolique cause a produit un facetieux effect. Jamais je
n’eusse fait veoir ceste piece, sans le desir que j’ay de monstrer aux hommes les vices
ausquels ils se laissent insensiblement emporter. Neantmoins j’ay peur que cela ne soit
inutile : car ils sont si stupides pour la pluspart, qu’ils croiront que tout cecy est fait plus tost
pour leur donner du passetemps que pour corriger leurs mauvaises humeurs. Leur asnerie est
si excessive que lorsqu’ils oyent le conte de quelqu’un qui a esté trompé, ou qui a fait quelque
sotte action, ils s’en prennent à rire au lieu qu’ils en devroient pleurer, en consideracion de la
brutalité de leurs semblables et de la leur qui n’est pas moindre. C’est icy une philosophie qui
n’est jamais venüe dans la cervelle de tous nos vieux resveurs ; je me doute bien que comme
ceux qui ont un verre peint devant les yeux ne peuvent veoir les choses en leur propre couleur,
presque tous ceux qui liront mes escrits ayant le jugement offusqué feront toute une autre
estime de mes opinions qu’ils ne le debvroient. Mais je ne m’en affligeray pas beaucoup, car
la vertu qui est entierement celeste participe à l’essence de la divinité qui ne tire sa gloire que
de soy ; c’est une chose manifeste que la satisfaction qu’elle a en elle mesme, de s’estre
dignement exercée, luy sert d’une recompense que rien ne peut esgaler. Pour revenir à mon
premier propos, je confesse qu’il m’estoit facile de reprendre les vices serieusement, afin
d’esmouvoir plutost les meschants à la repentance qu’à la risée. Mais il y a une chose qui
m’empesche de tenir ceste voye là ; c’est qu’il faut user d’un certain apast pour attirer le
monde. Il faut que j’imite les Apotiquaires qui sucrent par le dessus les breuvages amers afin
de les faire mieux avaller. Une satyre dont l’apparence eust esté farouche eust diverty les
hommes de sa lecture par son seul tiltre. Je diray par similitude que je monstre un beau palais,
qui par dehors a apparence d’estre remply de liberté et de delices, mais au dedans duquel l’on
trouve neantmoins, lorsque l’on n’y pense pas, des severes Censeurs, des Accusateurs
irreprochables, et des Juges rigoureux. La corruption de ce siecle où l’on empesche que la
verité soit ouvertement divulguée me contraint d’ailleurs à faire cecy, et à cacher mes
principales reprehensions, soubs des songes qui sembleront sans doute pleins de niaiseries à
des ignorans, qui ne pourront pas penetrer jusques au fond. Quoy que c’en soit, ces resveries
là contiennent des choses que jamais personne n’a eu la hardiesse de dire. Mais mon Dieu !
quand j’y pense, à quoy me suis je laissé emporter, de mettre en lumiere cet ouvrage ? y a t’il
au monde des esprits assez sains pour en juger comme il faut ? il y a des gents qui ne
s’amusent qu’à reprendre des choses dont ils ne sont pas capables de remarquer la grace,
lesquels tascheront d’y trouver des deffaux. (…)
Sorel, Histoire comique de Francion, 1633.
TEXTE B
Avertissement
Comme on pourrait soupçonner cette histoire-ci d’avoir été faite exprès pour amuser le
public, je crois devoir avertir que je la tiens moi-même d’un ami qui l’a réellement trouvée,
comme il le dit ci-après, et que je n’y ai point d’autre part que d’en avoir retouché quelques
endroits trop confus et trop négligés. Ce qui est de vrai, c’est que si c’était une histoire
5 simplement imaginée, il y a toute apparence qu’elle n’aurait pas la forme qu’elle a. Marianne
n’y ferait ni de si longues ni de si fréquentes réflexions : il y aurait plus de faits, et moins de
morale ; en un mot, on se serait conformé au goût général d’à présent, qui, dans un livre de ce
genre, n’est pas favorable aux choses un peu réfléchies et raisonnées. On ne veut dans des
aventures que les aventures mêmes, et Marianne, en écrivant les siennes, n’a point eu égard à
10 cela. Elle ne s’est refusée1 aucune des réflexions qui lui sont venues sur les accidents de sa
vie ; ses réflexions sont quelquefois courtes, quelquefois longues, suivant le goût qu’elle y a
pris. Elle écrivait à une amie, qui, apparemment, aimait à penser : et d’ailleurs Marianne était
retirée du monde, situation qui rend l’esprit sérieux et philosophe. Enfin, voilà son ouvrage tel
qu’il est, à quelque correction de mots près. On en donne la première partie au public, pour
15 voir ce qu’on en dira. Si elle plaît, le reste paraîtra successivement ; il est tout prêt.
Marivaux, La vie de Marianne, 1731
TEXTE C
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Nous croyons que la mission de l'art est une mission de sentiment et d'amour, que le
roman d'aujourd'hui devrait remplacer la parabole et l'apologue des temps naïfs, et que l'artiste
a une tâche plus large et plus poétique que celle de proposer quelques mesures de prudence et
de conciliation pour atténuer l'effroi qu'inspirent ses peintures. Son but devrait être de faire
aimer les objets de sa sollicitude, et au besoin, je ne lui ferais pas un reproche de les embellir
un peu. L'art n'est pas une étude de la réalité positive ; c'est une recherche de la vérité idéale,
et Le Vicaire de Wakerfield fut un livre plus utile et plus sain à l’âme que Le Paysan Perverti
et Les Liaisons dangereuses.
George Sand, La Mare au Diable, chap. I : " L'Auteur au lecteur ", 1846.
TEXTE D
On nous accuse de manquer de morale, nous autres écrivains naturalistes, et certes oui,
nous manquons de cette morale de pure rhétorique. Notre morale est celle que Claude Bernard
a si nettement définie : « La morale moderne recherche les causes, veut les expliquer et agir
sur elles ; elle veut, en un mot, dominer le bien et le mal, faire naître l’un et le développer,
5 lutter avec l’autre pour l’extirper et le détruire. » Toute la haute et sévère philosophie de nos
œuvres naturalistes se trouve admirablement résumée dans ces quelques lignes. Nous
cherchons les causes du mal social ; nous faisons l’anatomie des classes et des individus pour
expliquer les détraquements qui se produisent dans la société et dans l’homme. Cela nous
oblige souvent à travailler sur des sujets gâtés, à descendre au milieu des misères et des folies
10 humaines. Mais nous apportons les documents nécessaires pour qu’on puisse, en les
1
Sic.
connaissant, dominer le bien et le mal. Voilà ce que nous avons vu, observé et expliqué en
toute sincérité ; maintenant, c’est aux législateurs à faire naître le bien et à le développer, à
lutter avec le mal, pour l’extirper et le détruire. Aucune besogne ne saurait donc être plus
moralisatrice que la nôtre, puisque c’est sur elle que la loi doit se baser. Comme nous voilà
15 loin des tirades en faveur de la vertu qui n’engagent personne ! Notre vertu n’est plus dans les
mots, mais dans les faits ; nous sommes les actifs ouvriers qui sondons l’édifice, indiquant les
poutres pourries, les crevasses intérieures, les pierres descellées, tous ces dégâts qu’on ne voit
pas du dehors et qui peuvent entraîner la ruine du monument entier. N’est-ce pas là un travail
plus vraiment utile, plus sérieux et plus digne que de se planter sur un rocher, une lyre au bras,
20 et d’encourager les hommes par une fanfare sonore ?
Emile Zola, Le roman expérimental, 1880.
TEXTE E
On ne pense pas assez que le roman qui serre la réalité du plus près possible est déjà tout de
même menteur par cela seulement que les héros s'expliquent et se racontent. Car, dans les vies
les plus tourmentées, les paroles comptent peu. Le drame d'un être vivant se poursuit presque
toujours et se dénoue dans le silence. L'essentiel, dans la vie, n'est jamais exprimé. Dans la
5 vie, Tristan et Yseut parlent du temps qu'il fait, de la dame qu'ils ont rencontrée le matin, et
Yseut s'inquiète de savoir si Tristan trouve le café assez fort. Un roman tout à fait pareil à la
vie ne serait finalement composé que de points de suspension. Car, de toutes les passions,
l'amour, qui est le fond de presque tous nos livres, nous paraît être celle qui s'exprime le
moins. Le monde des héros de roman vit, si j'ose dire, dans une autre étoile, ― l'étoile où les
10 êtres humains s'expliquent, se confient, s'analysent la plume à la main, recherchent les scènes
au lieu de les éviter, cernent leurs sentiments confus et indistincts d'un trait appuyé, les isolent
de l'immense contexte vivant et les observent au microscope.
Et cependant, grâce à tout ce trucage, de grandes vérités partielles ont été atteintes. Ces
personnages fictifs et irréels nous aident à nous mieux connaître et à prendre conscience de
15 nous-mêmes. Ce ne sont pas les héros de roman qui doivent servilement être comme dans la
vie, ce sont, au contraire, les êtres vivants qui doivent peu à peu se conformer aux leçons que
dégagent les analyses des grands romanciers.
François Mauriac, Le romancier et ses personnages, © Corrêa, 1933
Questions sur le corpus (4 points).
Deux conceptions du roman sont exposées dans les textes A, B, C et D du corpus. Vous les
distinguerez et les expliquerez.
Mauriac et Zola se situent-ils sur le même plan ? Justifiez votre réponse.
Écriture : vous traiterez ensuite le sujet suivant (16 points).
Dissertation. Dans son Art Poétique, en 1674, Boileau écrit : « Des héros de roman fuyez les
petitesses. » (Chant III, vers 103).
Vous direz ce que vous pensez de cette conception du personnage de roman. Votre réflexion
reposera sur une argumentation précise, illustrée d’exemples variés.
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