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L’AUTEUR
August Strindberg (1849-1912) appartient à la même génération de
dramaturges que le russe Tchekhov et le norvégien Ibsen. Moins connu
que Tchekhov, plus novateur qu'Ibsen, il contribue à fonder la modernité
au théâtre.
On connaît Mademoiselle Julie, Père, Créanciers, La danse de mort,
pièces souvent jouées en France. On ignore souvent l'énorme production
littéraire de Strindberg : pièces historiques, drames à stations ou jeux de
rêve pour qualifier des pièces inclassables comme Le chemin de Damas,
pièces "de chambre", mais aussi récits, essais, articles, correspondance
passionnante, entre autres avec Zola ou Nietzsche, réflexions sur le
théâtre partiellement recueillies dans Théâtre cruel, théâtre mystique paru
chez Gallimard en 1964. Strindberg, parcourant l'Europe sans trouver jamais de lieu qui apaise ses
angoisses, se révèle au carrefour d'influences aussi décisives que celles de Schopenhauer, Schiller,
Kierkegaard, Byron, ou des précurseurs de Freud comme Bernheim. Il s'avère une formidable caisse
de résonance de toutes les tendances esthétiques de son temps, notamment dans ses prises de
position sur le naturalisme. Il est aussi un peintre étonnant, très lié à Edward Munch. Il se passionne
pour la chimie et se rêve alchimiste jusqu'à s'en brûler les mains.
" Ce qu'il me faut, c'est absolument savoir. Et pour cela je vais faire sur ma vie une profonde, une
discrète et scientifique enquête. Utilisant toutes les ressources de la nouvelle science psychologique,
en mettant à profit la suggestion, la lecture de pensée, la torture mentale, [...] je chercherai tout. "
La vie et l'œuvre de Strindberg se placent sous le signe de cette confession. Tous ses écrits
témoignent de sa vie et portent la trace de ses crises, de ses combats, de ses révoltes contre une
société au conformisme rigide qu'il exècre et qui le décrètera scandaleux. Le moi de l'écrivain fonde
l'unité de cette énorme production littéraire, par delà les genres et par delà les diversités formelles.
Né en 1849, dans un milieu petit bourgeois, il perd sa mère à treize ans et souffre du remariage d'un
père trop autoritaire. Sa mère, fille d'aubergiste, épousera son père après avoir été sa gouvernante
puis sa maîtresse. Ce roman familial est à l'origine du sentiment de déclassement, d'entre deux, qui
l'habite toute son existence. Il échoue dans la carrière de comédien où il voulait s'engager, devenant,
peut-être par dépit, auteur de théâtre. Ses relations avec les femmes sont terriblement
conflictuelles. Marié et divorcé trois fois, il doit travailler beaucoup pour assurer la subsistance des
enfants qu'il a de chacun de ses mariages. La misogynie de Strindberg, son antiféminisme bien connu,
le diabolisent face à son rival Ibsen qui apparaît depuis Maison de poupée comme un champion du
féminisme. Strindberg aime les femmes dans une recherche fusionnelle et de tels élans passionnés
qu'il ne peut qu'être déçu. C'est alors que l'ange adoré se transforme à ses yeux en mégère prête à le
vider de toute substance. Sa jalousie féroce envers sa première épouse, la baronne Siri Von Essen est
à l'origine de ses premiers délires paranoïaques. Toute sa vie Strindberg traverse des crises délirantes
qu'il tente de décrire dans des textes autobiographiques, toute sa vie il lutte contre ses fantômes
pour extraire, in vivo, de son être, une œuvre noire qui nous dit la détresse de l'homme
d'aujourd'hui. Kafka, les expressionnistes, Adamov dramaturge contemporain revendiquent
fortement son héritage. Comment ne pas penser qu'Artaud, qui monta Le Songe au théâtre Alfred
Jarry en 1928, n'ait pas puisé chez Strindberg le terme même de théâtre de la cruauté
?
source blog attheatrehanoi : Anne-Marie BONNABEL, professeur agrégé de Lettres Modernes
chargée de l'enseignement du théâtre au Lycée Thiers de Marseille.