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préservation des conditions de la vie implique, au contraire, une mise en cause du processus
de développement, voire l’arrêt d’un développement source de pollution et de conflits, si bien
que l’expression : « développement durable » serait à considérer comme une contradiction
dans les termes
2
. De façon moins radicale et plus pragmatique, le développement durable
s’impose aujourd’hui comme un impératif renvoyant à une tentative de conciliation entre la
poursuite d’une logique économique d’accumulation et la préservation de l’environnement
3
.
Cette contribution est construite à partir de l’idée de durabilité.
Elle vise à montrer comment l’analyse de l’époque moderne proposée par Arendt peut
apporter une compréhension de la nature des problèmes que nous affrontons aujourd’hui.
D’une manière ou d’une autre la préoccupation du développement durable soulève la question
« des excès de l’économie » de la place prise par l’économie dans nos sociétés au détriment
de l’espace public et nous invite à jeter un regard critique sur la façon dont les économistes
appréhendent les choses. H. Arendt nous livre, précisément, un autre regard sur les choses,
elle révèle l’importance de leur durabilité en mettant en évidence la part d’humanité qu’elles
contiennent, cette part que précisément la discipline économique a dû exclure pour se fonder
comme une science quasi naturelle. La première partie se propose de présenter ce que peuvent
être les apports d’H. Arendt pour poser la question du développement durable. Elle se limitera
à mettre en évidence l’articulation entre le souci de la durabilité des choses et du monde, qui
est le principal sujet d’inquiétude d’H.Arendt et celui de la durabilité de la planète comme
entité physique. La seconde partie cherche à tirer les conséquences de ce regard arendtien sur
les objets pour la compréhension d’un monde où il semble que la matérialité des choses
économiques ait tendance à disparaître. Après la célébration de la société post-industrielle et
les espoirs de rupture avec le paradigme énergétique de la société industrielle,
« L’immatériel », voilà ce qui surgit comme la grande nouveauté. André Gorz
4
, lecteur inspiré
d’Hannah Arendt, en fait le titre de son ouvrage, dont le sous-titre : « Connaissance, valeur et
capital » donne une idée de l’imbroglio que recouvre la notion d’immatériel. La prégnance de
cet « immatériel », qui invite à donner de l’importance aux connaissances humaines en même
temps qu’aux machines à traiter et à communiquer des informations, -les deux constituant un
ensemble de moyens de production-, pourrait, selon Yann Moulier Boutang, indiquer une
nouvelle grande transformation
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aussi radicale que celle des enclosures décrite par Polanyi.
D’autres, comme Jeremy Rifkin, mettent plutôt l’accent sur « la nouvelle culture du
capitalisme »
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dans lequel les marchés ont tendance à être remplacés par les réseaux et la
propriété privée par un droit d’accès. De façon plus pratique, certains voient dans cette « ère
informationnelle » dans laquelle règne l’immatériel une belle occasion de redynamiser la
croissance d’un pays sans nuire à l’environnement. Le second point traite spécifiquement de
cette question directement liée au thème de ce colloque. Peut-on vraiment considérer que cette
émergence de l’immatériel soit un moyen de concilier le maintien de la logique économique
et la préservation de la planète ?
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Pour Serge Latouche : « le contenu implicite ou explicite du développement c’est la croissance économique »
(p.55) et « la signification historique et pratique du développement, liée au programme de la modernité, est
fondamentalement contraire à la durabilité. Il s’agit d’exploiter, de mettre en valeur, de tirer profit des
ressources naturelles et humaines » (p.72) in Serge Latouche, 2005, Décoloniser l’imaginaire. La pensée
créative contre l’économie de l’absurde. Parangon.
3
Sur les façons d’envisager les relations entre économie et écologie : Frank-Dominique Vivien, 1994, Économie
et écologie, Repères, La Découverte,. Voir aussi « Le développement durable », 2005, La Découverte, qui
montre les variétés d’approche de la question.
4
André Gorz, 2003, L’immatériel. Connaissance, valeur et capital, Galilée, Paris.
5
Yann Moulier Boutang, 2007, Le capitalisme cognitif. La nouvelle grande transformation, Multitudes/Idées,
Éditions Amsterdam, Paris.
6
Jeremy Rifkin, 2005, L’âge de l’accès. La nouvelle culture du capitalisme, La Découverte, 2005.