Spécificité de la prise en charge des adolescents et des jeunes

138 | La Lettre du Cancérologue Vol. XVIII - n° 3 - mars 2009
DOSSIER THÉMATIQUE
Cancers de l’adolescent
Spécificité de la prise
en charge des adolescents
et des jeunes adultes
en cancérologie
Cancer in teenagers and young adults: a specific care
H. Pacquement*, V. Laurence**
* Département d’oncologie pédia-
trique ; ** service d’oncologie médi-
cale, Institut Curie, Paris.
L
es adolescents et les jeunes adultes sont
considérés comme une population parti-
culière depuis longtemps, comme en témoigne
cette citation de Platon citant Socrate, au e siècle
av. J.C. : “Les jeunes d’aujourd’hui aiment le luxe, ils
ont de mauvaises habitudes, méprisent l’autorité ;
ils n’ont aucun respect pour l’âge et bavardent au
lieu de travailler. À notre époque, les enfants sont
des tyrans. Ils ne se lèvent pas lorsqu’un adulte
pénètre dans la pièce où ils se trouvent. Ils contre-
disent leurs parents, plastronnent en société, se
hâtent d’engloutir leurs desserts, et tyrannisent
leurs maîtres.
Qu’est-ce que l’adolescence ?
Quels critères retenir ?
L’Organisation mondiale de la santé (OMS)
définit l’adolescence comme la période s’éten-
dant de 10 à 19 ans, avec la préadolescence entre
10 et 14 ans, l’adolescence même entre 15 et 19 ans,
et la postadolescence de 20 à 25 ans. Elle inclut donc
les périodes pré- et péripubertaires, dominées par
les changements corporels, et la phase de sociali-
sation et d’émancipation (15 à 19 ans) marquant la
deuxième partie de l’adolescence. La dépendance
économique et sociale des jeunes largement au-delà
de 20 ans justifie socialement de les inclure dans la
problématique de cette prise en charge.
Outre l’âge, le niveau de développement physique,
le niveau de scolarité et le statut marital font égale-
ment partie des critères de définition de l’adoles-
cence. Le développement physique lui-même fait
appel au développement pubertaire (survenue des
premières règles chez les filles, plus flou chez les
garçons) et au niveau de croissance.
De fait, l’adolescence correspond à un processus
dynamique d’acquisitions multiples : de son identité
personnelle, de son autonomie affective, sociale,
financière, de ses choix d’orientations scolaire et
professionnelle, de ses choix de vie plus largement.
Elle correspond à une période de transition au
cours de laquelle se font les processus de matura-
tion physique, psychologique, sexuelle et sociale.
Ce concept est flexible dans le temps et selon les
individus.
On rappelle qu’en France la majorité sexuelle
est fixée à 15 ans, et la majorité légale à 18 ans
depuis 1974.
Quel est l’impact d’un cancer
à l’adolescence ?
Tout d’abord, le cancer et son traitement ont des
conséquences corporelles telles que la perte des
cheveux, des modifications de poids (amaigrissement
ou prise de poids) et une pâleur souvent difficiles
à vivre ; la mise en place de cathéters, ainsi que les
La Lettre du Cancérologue Vol. XVIII - n° 3 - mars 2009 | 139
Résumé
La prise en charge des adolescents et des adultes jeunes atteints de cancer nécessite une approche spécifique,
intégrant les caractéristiques propres à l’adolescence et l’impact d’un cancer à cette période de la vie si particulière.
Elle est fondée sur la multidisciplinarité, la flexibilité et le dialogue entre pédiatres et oncologues médicaux.
Mots-clés
Adolescents
et adultes jeunes
Cancer
Multidisciplinarité
Spécificité
Highlights
The care of young adults and
adolescents affected by cancer
needs a specific approach, that
takes into account both the
teenagers’ characteristics and
the impact of cancer at this
very particular period of life.
It is based on multidiscipli-
narity, flexibility, and dialogue
between paediatrists and
oncologists.
Keywords
Adolescents
and young adults
Cancer
Multidisciplinarity
Specificity
interventions génèrent des cicatrices et parfois des
séquelles fonctionnelles (résections articulaires, mise
en place de prothèses internes, voire amputation)
difficiles à accepter.
Ensuite, les contraintes liées au traitement pèsent
sur la vie scolaire et l’orientation professionnelle,
obligeant parfois à des redoublements ou des
réorientations, et donc à des renoncements.
Enfin, sur le plan psychologique, la survenue d’un
cancer à cet âge, avec ses conséquences en termes
relationnels (vis-à-vis des parents, du groupe de
pairs, du conjoint ou ami[e] éventuel[le]), la confron-
tation à une mort possible, le renforcement de la
dépendance vis-à-vis des parents dans une période
d’acquisition de l’autonomie, bouleversent un
équilibre déjà instable et rendent les jeunes plus
vulnérables ; les parents, “lâchant” difficilement le
jeune, se trouvent en état de surinvestissement ; les
jeunes sont parfois culpabilisés d’être à nouveau très
dépendants de leurs parents. Les équipes soignantes
doivent veiller à aider le jeune à conserver sa place,
sans le réduire à l’état d’“objet de soin.
La notion de patients acteurs de leur santé a pris
forme officiellement lors des Premiers États géné-
raux des malades atteints de cancer et de leurs
proches, le 22 novembre 1998. Les patients eux-
mêmes ont pu témoigner, à cette occasion, de la
place particulière des grands adolescents et des
jeunes adultes dans le système de soins, des diffi-
cultés de prise en charge sociale et éducative, ainsi
que de leur sentiment à la fois d’isolement dans les
services de médecine adulte et de double exclusion,
comme malade parmi les malades, et comme jeune
parmi ses pairs.
Quels modèles de soins
leur proposer ?
Le médecin référent, relayé par l’équipe multidisci-
plinaire, est le pivot de l’information et du dialogue.
Les soignants (infirmières, aide-soignants et/ou auxi-
liaires de puériculture, kinésithérapeute), les psycho-
logues, l’équipe socio-éducative (assistante sociale,
éducatrice, professeur) sont aussi des interlocuteurs
privilégiés du jeune, auxquels il saura faire appel si un
lien de confiance a été établi, à des moments divers
de sa prise en charge. Les informations, transmises
au jeune sont également délivrées le plus souvent
à ses parents, que celui-ci soit ou non majeur, avec
son accord bien entendu. Il faut parfois aussi intégrer
le conjoint. Des équipes spécialisées dans la prise
en charge des jeunes patients et compétentes pour
les pathologies rencontrées à cet âge de la vie sont
nécessaires. Une collaboration active entre pédia-
tres et oncologues médicaux est indispensable ; les
équipes soignantes doivent être motivées et formées
afin de permettre une interaction optimale avec le
patient, mais aussi ses parents, sa famille et son
entourage. Le bénéfice d’un soutien social et scolaire
n’est plus à démontrer dans la prise en charge de ces
patients, dont le traitement dure en général plusieurs
mois, voire plusieurs années.
Dans quel cadre sont traités
les jeunes patients atteints
de cancer ?
Il faut noter que les enfants de moins de 15 ans sont
quasiment tous traités dans des centres coopératifs
membres de la Société française de lutte contre les
cancers et leucémies de l’enfant et de l’adolescent
(SFCE), et selon des protocoles de recherche clinique
ou des recommandations de pratiques validées sur
le plan national ou international. Chez les adultes,
la prise en charge (Centres de lutte contre le cancer,
CHU, cliniques, centres hospitaliers généraux) est
naturellement plus diverse, au regard du nombre
de patients concernés ; l’inclusion dans les essais
cliniques est beaucoup plus faible et concerne 10 %
des patients.
Les adolescents et les jeunes adultes sont égale-
ment dans cette situation, puisque seuls 7 à 10 % des
15-19 ans et 2 % des 20-29 ans sont traités dans des
essais coopératifs. Cela peut s’expliquer par :
la spécificité psychosociale de cette population :
délai au diagnostic, un accès peut-être moindre au
système de soins ;
des problèmes “supposés ou réels” de
compliance ;
des essais thérapeutiques moins nombreux pour
cette tranche d’âge.
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Spécifi cité de la prise en charge des adolescents
et des jeunes adultes en cancérologie
DOSSIER THÉMATIQUE
Cancers de l’adolescent
En France, quel est le parcours
de soin des patients
de 15 à 19 ans atteints
de cancer ?
Létude de E. Desandes (1) nous donne des éléments
de réponse : la première consultation a lieu auprès
d’un généraliste dans 67 % des cas ; le médecin réfé-
rent devient ensuite un oncologue d’adulte dans 52 %
des cas, un pédiatre dans 7,1 % des cas et un chirur-
gien dans 25,6 % des cas. Ces patients sont pris en
charge majoritairement en service public de médecine
adulte (67,8 %) ; en effet, seuls 5,5 % des cas sont
admis en service de pédiatrie. On peut souligner que
cette étude a été réalisée à partir des 640 patients
de 15 à 19 ans dont les données ont été enregistrées
dans seulement neuf registres régionaux, représen-
tant 10 % du territoire français, entre 1988 et 1997,
et que les informations concernant les jeunes de la
région Île-de-France (un quart de la population de
cette tranche d’âge) n’étaient pas disponibles. Par
ailleurs, les modalités de prise en charge se sont peu à
peu modifi ées, avec l’identifi cation claire d’une méde-
cine pour adolescents et une réfl exion sur la prise en
charge des jeunes patients atteints de cancer.
À l’Institut Curie, les patients de cette tranche
d’âge sont traités dans deux départements :
celui d’oncologie pédiatrique comporte 18 lits et
5 places d’hôpital de jour, accueillant en moyenne
10 à 12 patients par jour. En oncologie médicale, il
y a 42 lits d’hospitalisation et 14 lits d’hôpital de
jour, avec 50 à 70 passages par jour.
Avant 15 ans, tous les patients sont adressés dans
un service d’oncologie pédiatrique ; après 18 ans, ils
sont habituellement adressés en oncologie médicale.
Pour les patients de 15 à 18 ans, le choix du lieu de
prise en charge dépend du médecin prescripteur,
du souhait du patient et/ou de ses parents, de la
pathologie dont il souffre et de son niveau d’insertion
dans la vie (étudiant, vie active, lycéen…).
Pour tous, nous avons commencé à élaborer en 2002
une réfl exion commune aux deux départements.
Une formation en médecine de l’adolescent a été
effectuée par un médecin de chaque département
et plusieurs soignants. Une animatrice travaillant
dans les deux départements a été recrutée en 2003.
Nous avons mis en place un fonctionnement trans-
versal pour les patients de 12 à 24 ans. Une réunion
multidisciplinaire bimensuelle “ados/jeunes adultes”,
commune aux deux départements et au Départe-
ment interdisciplinaire de soins de support du patient
en oncologie (DISSPO) a été mise en place.
Elle a comme objectifs de discuter la prise en charge
psychosociale et éducative de tous les nouveaux
patients – et de ceux présentant des probléma-
tiques particulières –, de faire la liaison au sujet des
diffi cultés rencontrées avec patients et famille, de
proposer des solutions et de permettre l’échange
d’expérience entre les deux équipes. Y participent les
médecins et soignants référents de chaque dépar-
tement, les intervenants transversaux (kinésithé-
rapeutes, diététiciennes), les assistantes sociales
des deux départements, l’animatrice ados/jeunes
adultes, les psychologues des deux départements
spécifi quement impliqués et le pédopsychiatre ainsi
que l’équipe éducative.
La prise en charge médicale s’unifi e progressive-
ment sur les plans national et international grâce
à des protocoles de traitement communs, notam-
ment en ce qui concerne les tumeurs osseuses et
les sarcomes.
Si beaucoup se préoccupent de la prise en charge
des patients de cette tranche d’âge, qu’en est-il
réellement de leurs souhaits ? Pour le savoir, un
questionnaire a été élaboré et proposé, à l’Ins-
titut Curie, aux jeunes de 15 à 25 ans en cours de
traitement, ou à moins de 2 ans de la n de celui-ci,
dans les deux départements. Il s’agit d’un question-
naire anonyme, comportant une dizaine d’items
abordant les thèmes de l’accueil en hospitalisation ;
le même est proposé aux accompagnants du jeune.
Quatre-vingt-dix pour cent des jeunes souhaitent
un service dédié, comportant préférentiellement des
chambres seules ou à deux, où ils puissent recevoir
leur famille et leurs amis, prendre leur repas dans
leur chambre ou dans une pièce à part, et disposer
d’espace Internet. Ils souhaitent que soient favorisés
les échanges, les animations et les rencontres avec
d’autres jeunes.
Conclusion
La multidisciplinarité, la flexibilité, le dialogue
entre les équipes d’oncologie pédiatrique et
d’oncologie médicale ainsi que la formation des
soignants sont les bases de la prise en charge des
adolescents et jeunes adultes atteints de cancer.
À l’Institut Curie, les échange d’expérience et de
pratiques entre les deux équipes se sont déve-
loppés depuis plusieurs années : on peut ainsi
parler d’une unité virtuelle, transversale. Cette
démarche s’intègre, aux niveaux national et inter-
national, aux recommandations de prise en charge
de ces patients.
1. Desandes E, Lacour B,
Sommelet D et al. Cancer adoles-
cent pathway in France between
1988 and 1997. Eur J Oncol Nurs
2007;11:74-81.
Référence
bibliographique
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