Management des soins
C
Aujourd’hui, en France, aucun secteur
dactivité ne part être épargné par
la crise. Qu’en est-il de la fonction cadre?
Les signes d’alerte d’un mal-être dans
le tier semblent nombreux. Tentative
de compréhension et réflexion
sur quelques pistes pour y redier.
Crise: « Moment très difcile dans
la vie de quelquun, d’un groupe,
dans le déroulement dune acti-
vité, etc.; période, situation mar-
quée par un trouble profond. »
MALAISE ET
AMBIANCE EXÉCRABLE
La définition du Larousse est
claire, une crise est un état tem-
poraire. Marie-Claire Chauvancy,
cadre supérieur en imagerie aux
Hospices civils de Lyon (Rhône),
avait déjà écrit à ce sujet sur le
blog carnetsdesante.fr en 2008.
«Dans les années 1990/2000, il
y avait une vraie crise le à l’évo-
lution du tier vers une fonction
de gestion et de management,
mais maintenant je dirais plutôt
que nous sommes dans un
malaise, c’est-à-dire que le corps
des cadres a été constitué, et il
est solide, voire solidaire. En
revanche, nous devons faire face
à des difficultés qui arrivent de
l’extérieur, les contraintes bud-
gétaires, qui génèrent un réel
malaise. » Du côté de Sud Santé,
Jean-Luc Le Quernec-Bosson,
cadre paramédical à l’hôpital de
La Pitié-Salpêtrière (AP-HP) et
élu à la commission administra-
tive paritaire de l’établissement,
nest pas vraiment d’accord. « Je
suis cadre depuis 1996 et je nai
jamais connu une ambiance aussi
exécrable que celle que nous
vivons aujourd’hui, explique-t-il.
Et je ne parle pas que de l’AP-HP,
mais de tout l’hôpital public. J’ai
des cadres qui me racontent leur
journée en se demandant si ce
qu’ils ont fait n’a pas été réalisé
en dépit du bon sens, voire en
exposant le personnel à des
risques ou en fragilisant lacu-
rité du patient. Car, quand vous
êtes obligé de faire revenir tra-
vailler des agents sur leurs repos,
26 ObjectifSOINS &MANAGEMENT - N° 247 - Juin 2016
Comment sauver
le soldat cadre
© artenot/123RF
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Management des soins
comment être r que tout se
passera bien? »
Cadres en souffrance, profes-
sionnels en quête de sens, mana-
gers sous pression coins entre
les multiples obligations de la
fonction et la faible valorisation
qu’ils en retirent, insupportable
logique financière qui est venue
remplacer le rapport à lexpertise
technique et l’accompagnement
des équipes, des soignants, des
patients... Les exemples indivi-
duels ne manquent pas pour
alerter sur les difficultés actuelles
au sein de la fonction cadre. « Je
connais un cadre qui a demandé
à redevenir infirmier, tellement
il ne supportait plus les
contraintes, explique Laurent
Laporte, cadre en psychiatrie à
Cadillac (Gironde) et à collectif
cadres UFMICT CGT. Il dit quainsi
il sera sûr de ne pas travailler
plus de dix ou douze heures par
jour, et capable de dormir la
nuit. » L’impact des conditions
de travail sur la sandes cadres
de santé nest pas spécifique-
ment connu. Mais les responsa-
bles syndicaux affirment tous
connaître des collègues à la limite
du burn-out. « Vous savez, l’AP-
HP a été condamnée il y a quatre
ans, à la suite d’un suicide d’un
cadre », rappelle Jean-Luc Le
Quernec-Bosson. La jeune femme
avait en effet laissé une note
très précise sur ses motivations.
Sans aller jusqu’à cet extrême,
le malaise est pourtant patent.
TROIS TYPES
DE TENSION
Procédures changeantes
Jean-Paul Bouchet, secrétaire
général de la CFDT-Cadres, dis-
cerne l’existence de trois types
de tensions. « Les cadres du sys-
tème de santé sont victimes d’une
réduction de leurs marges de
manœuvre, avance-t-il. Avec les
normes, la régulation, les objectifs
imposés par la hiérarchie, ils se
sentent dans l’incapacité de rer
véritablement leur budget. » Inter-
diction d’embaucher des intéri-
maires ici, là, impossibilité de
caser une absence pour forma-
tion quand bien me il y aurait
un budget, propositions de réor-
ganisation des services considé-
rées comme insuffisantes au
regard des rendus de postes exi-
gés... Les cadres ont parfois du
mal à discerner les éléments sur
lesquels ils ont encore prise. « J’ai
des collègues qui sont toujours
mis en situation d’apprendre, sou-
mis à de procédures changeantes,
de nouvelles certifications par
exemple, c’est un stress perma-
nent », remarque Laurent
Laporte. « Ils ont le sentiment
de ne pas pouvoir faire le travail
dans de bonnes conditions, crai-
gnent de ne pas être en mesure
d’assurer la qualité du soin et la
sécurité du patient, poursuit
Jean-Paul Bouchet. Ils doivent
en permanence assurer l’interface
entre le besoin très individuali
de celui-ci, et la réponse quasi
industrialisée que sa hiérarchie
lui propose de mettre en place. »
Soucis d’économie
L’impératif économique est une
autre tension extrêmement pré-
sente aujourd’hui. Il faut maîtriser
les coûts, les réduire, rechercher
sans cesse des options de mutua-
lisation, même inpendamment
de toute situation de crise. « En
tant que directeur, mon métier
est de diriger un établissement
qui prend en charge les patients
et je dois donc parvenir à en
accueillir le plus grand nombre
en proposant la meilleure réponse
à leur problème de santé, sume
Jean-Marc Perez, directeur admi-
nistratif de l’institut universitaire
du cancer de Toulouse (Haute-
Garonne) et directeur général
adjoint du Centre de lutte contre
le cancer Claudius-Regaud, dans
la même ville. Malheureusement,
il devient rare de trouver des
établissements motivés avant
tout par des ambitions médico-
ObjectifSOINS &MANAGEMENT -247 - Juin 2016 27
Dilemmes professionnels, dilemmes éthiques
La CFDT a mis en place depuis quatre ans un service d’accompagnement face
à un dilemme professionnel ou éthique. Une équipe du collectif syndical composée
de militants a é spéciquement formée pour écouter la parole du cadre (quel
que soit son secteur d’activité) en difculté, et l’accompagner dans sa réexion
sur la situation.
«Nous revons deux à trois appels par semaine, pour des professionnels à tous
les niveaux de la hiérarchie, explique Jean-Paul Bouchet, secrétaire général de
la CFDT-Cadres. Ce qui me frappe, c’est souvent combien les collègues de travail
ne discernent pas les signaux d’appel, alors qu’on pourrait intervenir beaucoup plus
t. Les gens qui nous contactent sont vraiment au bord du burn-out, ils craquent
au téléphone, et la premre chose qu’ils nous disent, c’est “vous êtes la première
personne à qui j’en parle. »
Ouvert à tous les salariés, ce dispositif propose également un accompagnement
plus pous à ses adhérents via un plan daction, un audit RPS (risques psycho-
sociaux) du service concerné et/ou un accompagnement individuel de l’appelant
sur deux à six mois par un professionnel ou un expert du syndicat. « Notre alerte
peut également amener à porter certaines problématiques devant le CHSCT
et donc bénécier à lensemble des salariés », précise Jean-Paul Bouchet.
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scientifiques plutôt que par des
résultats comptables. » « Et les
cadres se retrouvent avec des
injonctions impossibles à contour-
ner, poursuit Jean-Paul Bouchet.
Certains cadres arrivent à prendre
de la distance, mais ceux qui sont
le plus attentifs à la qualité et à
l’humanité du soin en souffrent
beaucoup. » Tout achat d’impor-
tance alidans le service doit
être soumis à l’aval de la hiérar-
chie, qui ne manquera pas de
rappeler combien linvestissement
représente en termes de postes
ou d’heures de travail en moins.
Et certains ont le sentiment que
l’économique passe avant le soin.
«Avant, il y avait, dans la profes-
sion infirmière, une notion impor-
tante qui était le soin relationnel,
c’est-à-dire ce temps que le soi-
gnant peut passer avec son
patient pour de l’échange, au
de du geste technique, confirme
Jean-Luc Le Quernec-Bosson.
Aujourd’hui, même les familles
se rendent compte que nous
navons plus de temps pour ça. »
Dilemnes professionnels
En conséquence, la troisième
tension identifiée par Jean-Paul
Bouchet est celle qu’il qualifie
de “dilemmes professionnels”
(lire l’encadré page précédente).
«Certains managers et cadres
sont confrontés à des situations
opérationnelles contraires à leur
éthique personnelle ou à leur
déontologie professionnelle, ils
ont le sentiment de passer la
ligne jaune et de sortir des gles
du jeu, en allant parfois à la
limite de la prise de risque pour
les patients. » Laurent Laporte
cite un exemple troublant: « En
psychiatrie, on nous a deman
de facturer des chambres sécu-
risées comme des chambres indi-
viduelles. Ce sont des chambres
pour des personnes qui sont hos-
pitalisées sans consentement,
mais on nous a expliqué que si
on ne faisait pas cela, on allait
nous supprimer des postes. » Et
quand les cadres souhaitent
ouvrir le dialogue avec leurs
supérieurs sur ces situations:
«Ils regardent leurs chaussures
et on na pas de réponses »,
assure Jean-Luc Le Quernec-
Bosson. « Ou bien on nous
explique que, si on est en diffi-
culté, si on ne parvient pas à
répondre aux nombreuses
demandes du personnel et aux
injonctions de la hiérarchie, c’est
parce qu’on est de mauvais
cadres », relate Laurent Laporte.
Un manque de reconnaissance
pour le moins perturbant. « D’au-
tant que l’on est rarement remer-
cié pour avoir bien fait fonction-
ner le service et pour la quali
de la prise en charge offerte,
précise Laurent Laporte. Désor-
mais, seul l’impératif économique
est valorisé. »
SUBORDINATION
À LAUTORI
Jean-Marc Perez, directeur géné-
ral adjoint, qui exerce dans un
établissement de santé privé
d’intérêt collectif et au sein d’un
groupement de coopération sani-
taire associant le public, évoque
également un manque de mise
en confiance et de soutien de la
part des supérieurs: « L’hôpital
Comment sauver le soldat cadre
28 ObjectifSOINS &MANAGEMENT - N° 247 - Juin 2016
Moins de candidats en IFCS
D’après une enquête alisée par le Ceec auprès de 29
des 36 IFCS français, sur 1600 places ouvertes, seules 1200
sont pourvues chaque année. « Une baisse a été entamée
il y a trois ou quatre ans, observe Alain Viaux, directeur de l’IFCS
du CHU de Nancy (Meurthe-et-Moselle) et vice-président
du Ceec, chargé de la formation cadre de santé. Cela semble
stabilicette année. »
Sagit-il pour autant d’unesaffection de la part des soignants?
Difcile à dire. « Il faut replacer la formation des cadres dans
le contexte de restructurations, regroupements, fusions qui
animent les établissements de soin, observe Florence Girard,
présidente de l’Association nationale des directeurs d’école
paradicale (Andep) et directrice de l’Ifsi/Ifas d’Ussel
(Corrèze). Certains gèrent jusquà deux ou trois services
en proximi. Il y a peut-être un besoin moindre de cadres
paramédicaux. » Cette directrice avance pour preuve
la possibilité – lorsquun besoin est criant – d’argumenter auprès
de l’Agence régionale de santé pour obtenir des crédits an
de nancer une ente en IFCS. Car la scici du cursus réside
dans sa prise en charge par lemployeur. « À partir de là, compte
tenu de la situation économique de nombreux établissements
de santé, il est possible qu’eux-mêmes retardent l’entrée
en IFCS, suggère Alain Viaux. Entre 2014 et 2015, 26%
des candidats reçus au concours ont ainsicale début
de leur formation dun ou deux ans. »
En conquence, ici et , des rapprochements d’IFCS sont en
cours. « À Nancy, par exemple, les deux IFCS vont fusionner
et passer de 85 à 60 places, note Alain Viaux. En revanche,
à Lyon, les deux instituts fusionnent sans perte de places. »
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Management des soins
public a toujours fonctionné de
manière extrêmement hiérar-
chique et subordonnée à l’auto-
rité. Les cadres le savent et s’ins-
crivent dans cela. Mais,
aujourd’hui, alors que la société
traverse une véritable crise de
l’autorité et de la responsabilité,
les agents nacceptent plus et se
comportent de manre très indi-
vidualiste. Il suffit de voir à quel
point les personnels sont volatiles
sur les postes. Il y a dix, quinze,
vingt ans, on pouvait rencontrer
des gens qui avaient fait toute
leur carrière dans le même éta-
blissement et qui connaissaient
parfaitement leur secteur. » Le
cadre se retrouverait alors coin
entre un manque de confiance
venu d’en haut et la contestation
venant d’en bas. « Même si la
reconnaissance de la valeur du
cadre dépend aussi beaucoup du
caractère et du style de mana-
gement du cadre supérieur »,
nuance Marie-Claire Chauvancy.
ENGAGEMENT
DES JEUNES
Pour les plus jeunes arrivés dans
la fonction, la situation semble
pourtant moins sombre. « Nous
sommes bien préparés à la ali
du métier et à ses contraintes »,
explique Sandrine Paugam, cadre
en réanimation et qui a pris ses
fonctions il y a à peine un an.
Alain Viaux (lire l’encadré page
ci-contre), directeur de l’IFCS du
CHU de Nancy et vice-président
du Cefiec, char de la formation
cadre de santé, le confirme:
«Quand nous accueillons les nou-
veaux élèves, nous voyons bien
qu’ils ont tout à fait conscience
de la complexité du poste de
cadre aujourd’hui. Ils savent dans
quoi ils s’engagent. » Beaucoup
ont au préalable exercé comme
faisant fonction. L’éloignement
du soin, la séparation avec
l’équipe sont généralement
acquis. Et la formation s’est pro-
gressivement adaptée. « me
si notre référentiel de formation
date de 1995, il était sufsamment
ouvert pour pouvoir évoluer régu-
lièrement », poursuit Alain Viaux.
Les notions de management de
la santé, d’économie du sysme,
de mesure de la performance y
ont été intégrées, même si c’est
de manière inégale entre les dif-
rents IFCS. « Mais la formation
est davantage homogène, il y a
vraiment transmission d’une cul-
ture commune et construction
d’un tier partagé », acquiesce
Marie-Claire Chauvancy. « Nous
observons également que les
étudiants sont de moins en
moins dans une situation de
fuite par rapport à leur métier
de soignant. Ils veulent vraiment
s’investir pour peser dans l’orien-
tation du système de santé. »
Pas de crise des vocations donc,
à entendre les formateurs,
même si toutes les places en
IFCS sont loin d’être pourvues
(lire l’encadré page ci-contre).
SOLUTIONS?
Moins d’administratif
et de comptabili
Alors, crise ou pas crise, sont
formulées des plaintes auxquelles
difrents types de réponses peu-
vent être proposés. « Une idée
pourrait être de réfléchir à l’al-
lègement des fonctions adminis-
tratives ou comptables du cadre,
suggère Jean-Marc Perez. Tout
ce tracking, ces justificatifs qui
leur sont réclamés en perma-
nence contribuent à une réelle
perte de sens du métier. » Des
améliorations du côté des logi-
ciels et systèmes d’informations
pour la gestion du temps de tra-
vail et l’organisation des plan-
nings pourraient ainsi contribuer
à alléger les tâches répétitives
et sans réelle plus-value pour le
management. Ce directeur pro-
pose également de raccourcir
certains circuits de décisions.
«Pourquoi un cadre est-il obligé
de passer par trois ou quatre
autorisations pour obtenir un
remplacement ou passer com-
mande d’un petit matériel? »
Refonte du management
Globalement, une refonte du
management dans le secteur
public en général semblerait
également bienvenue. « Ce sys-
tème est trop centralisé, trop
jacobin, cela ne peut pas rendre
un cadre heureux, explique Jean-
Marc Perez. Même si après vous
avez des groupes projet, du
management participatif, etc. »
Fort de son expérience dans les
secteurs public et privé à but
non lucratif, le directeur peut
d’ailleurs s’autoriser la compa-
raison. « Dans l’un, vous avez
des agents en état de supposée
subordination, dans l’autre, vous
avez les engagements réci-
proques attachés au contrat de
travail et à la convention col-
lective, c’est très différent,
résume-t-il. Prenons l’exemple
des déclarations d’événements
indésirables. Tout le monde doit
pouvoir déclarer, de façon ano-
nyme. Souvent, dans le public,
seul l’encadrement peut clarer.
Comment l’agent oserait-il signa-
ler quoi que ce soit? » Pour
Marie-Claire Chauvancy, la ques-
tion se pose même d’introduire
dans la fonction des cadres issus
d’autres formations initiales que
celles des soignants ou des per-
sonnels médico-techniques.
«Quelqu’un issu d’un autre sec-
teur peut apporter un regard
nouveau, observe-t-il. Et si cette
ObjectifSOINS &MANAGEMENT -247 - Juin 2016 29
© Espaceinfirmier.fr, Initiatives Santé 2016
personne est suffisamment dans
la gestion d’équipe, pourquoi
pas ? » Une évolution peut-être
encore lointaine dans l’univers
de la santé.
Redonner du sens
aux choses...
Ponctuellement, des groupes de
parole ou un accompagnement
collectif mené par un intervenant
extérieur peuvent aider à redon-
ner du sens aux professionnels.
«Dans mon service de psychia-
trie, nous avons bénéficié d’une
régulation professionnelle avec
un chercheur sociologue afin de
nous aider à formaliser nos dif-
ficultés, se souvient Laurent
Laporte. Cela nous avait aidés à
prendre de la distance et à com-
prendre ce qui nous arrivait. »
Nicole Taliana, cadre de san
et thérapeute familiale psycha-
nalytique à Aix-en-Provence
(Bouches-du-Rhône) a participé,
quant à elle, à la mise en place
d’un groupe de « réflexion sur
la pratique d’encadrement » dans
un centre hospitalier du sud de
la France au moment de la mise
en œuvre de la loi Hôpital,
patients, santé et territoires
(HPST). « Il sagissait non seule-
ment d’un lieu pour penser sa
pratique et supporter d’être
comme le second de la marine
anglaise, mais aussi d’un lieu de
dépôt de ce qui ne peut être
symbolisé au sein de l’appareil
psychique institutionnel, écrit-
elle(1). Offrir aux cadres de santé
cette possibili de travail réflexif
centré sur l’écoute groupale des
liens institutionnels permet à
une organisation de rester
vivante (…) et de faire face aux
défis internes et externes. »
Danièle Linhart, sociologue du
travail et directrice de recherche
au CNRS, a montré que les col-
lectifs de travail sont « actifs
dans la régulation des difficultés
au travail et donc de la souffrance
et que le management doit pren-
dre en compte l’intelligence col-
lective et préserver des espaces
de liberté et d’autonomie pour
qu’elle se développe »(2).Et s’ils
peuvent parfois inquiéter la hié-
rarchie, voire être perçus comme
des lieux de sistance, ils pré-
sentent également le risque
d’être utilisés par elle. Sophie
Divay, sociologue, rapporte l’ex-
périence de deux collectifs quelle
a identifiés(3). «Mais, dans les
deux cas, les collectifs étaient
certes portés par des cadres,
mais aussi et peut-être surtout
investis, repris (instrumentali-
sés?) par les dirigeants des éta-
blissements qui voient là une
opportuni de transformer leurs
cadres de santé en manager,
conçus comme les diffuseurs de
leurs orientations aups de l’en-
semble du personnel. »
... en prenant le temps
Ces actions trouvent aussi leur
limites, lorsque les professionnels
ne parviennent pas à dégager
du temps pour y participer. « Les
collectifs de cadres, d’accord,
mais les gens y vont une fois,
deux fois, et puis ils trouvent
qu’ils nont pas de temps pour
ça », regrette Laurent Laporte.
Pour Jean-Paul Bouchet, remet-
tre du dialogue entre les profes-
sionnels et avec leur hiérarchie
demeure néanmoins indispen-
sable pour améliorer la situation.
«Il y a eu des expériences néga-
tives avec les lois Auroux [dans
l’industrie], mais il faut habiliter
tout cela », assure Jean-Paul
Bouchet. En 1982, en effet, ces
quatre textes de loi avaient
notamment créé un droit d’ex-
pression des salariés sur leurs
conditions de travail, instauré
l’obligation annuelle de gocier
sur les salaires, la durée et l’or-
ganisation du travail, dans l’en-
treprise, créé les CHSCT, instauré
le droit de retrait du salarié en
cas de situation de danger grave
et imminent, etc.
CONCLUSION
Dans son manifeste en faveur
des cadres (pas uniquement les
hospitaliers), la CFDT estime
ainsi: « Afin d’exercer correcte-
ment ses missions, un cadre doit
disposer d’un droit d’intervention
notamment sur l’organisation,
les conditions de travail, d’hygiène
et de sécurité, pour lui-même et
ses collaborateurs éventuels,
mais aussi sur certains choix de
son entreprise. Cela suppose qu’il
puisse disposer de marges de
manœuvre, de réels leviers d’ac-
tions, d’un pouvoir d’initiative
pour agir sur son environnement
de proximité. Ce droit d’inter-
vention et cette capacité d’ini-
tiative doivent être reconnus
dans les procédures de fixation
d’objectifs mais aussi pris en
compte lors de leur évaluation,
au moment de la mesure d’at-
teinte des objectifs. »
Lorganisation plaide également
pour des formes de représenta-
tion des cadres spécifiques à
développer au sein de la repré-
sentation des personnels, afin
que leur expression soit davan-
tage identifiable. La sociologue
Sophie Divay souligne également
le manque dassociations de cadre
de santé, à même de les repré-
senter. À l’heure les syndicats
ont de plus en plus de difficultés
à se faire entendre et leur
représentativité est largement
contestée, cette parole-là pourra-
t-elle faire son chemin? n
Sandra Mignot
Comment sauver le soldat cadre
NOTES
(1) “Une clinique de la
fonction cadre”, N. Taliana,
Soins Cadres n°83, août 2012.
(2) “Les collectifs de travail,
enjeu pour les salariés et le
management”, D. Linhart,
Soins 790, novembre 2014.
(3) “Collectif cadres,
solidaires ou solitaires”,
S. Divay, Soins Cadres, n°94,
mai 2015.
30 ObjectifSOINS &MANAGEMENT - N° 247 - Juin 2016
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