Les cadres veulent reconquérir du pouvoir sur l`organisation du

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Les cadres veulent reconquérir du pouvoir sur
l’organisation du travail
Jean-Paul Bouchet, discours de clôture du colloque Observatoire des Cadres Le
travail et l’engagement des cadres à l’épreuve de la crise, 2 décembre 2009.
"Les crises actuelles ont mis au devant de la scène un certain nombre de dérives
pouvant conduire à des situations dramatiques pour les salariés. Des observateurs qui
disent le travail de l’extérieur, qui disent la souffrance des salariés, tous victimes, de
managers tous responsables, montrés du doigt et avec eux des méthodes de
management. "
"Vous nous avez dit aussi la distance qui vous sépare des directions des entreprises.
Un grand écart aujourd’hui. Les deux yeux rivés sur la performance financière et la
valeur actionnariale ne permettent plus de voir l’activité, le métier, le travail, les
compétences."
"Vous nous avez dit enfin combien les outils de gestion, de reporting, ont pris une
place déterminante dans le contenu de votre travail, le « travail gris » avez-vous dit.
Toujours plus d’instruments de contrôle, de suivi, comme si de nombreux décideurs
voulaient ainsi se rassurer, rendre plus visible non pas l’activité, le travail, mais le
résultat de celui-ci. "
"A cette overdose d’outils, nous préférons la pluridisciplinarité des expertises et des
compétences, la pluralité des acteurs et des points de vue, la co-construction des
règles de gestion et d’organisation et la confrontation organisée des logiques des
différentes parties prenantes, une autre façon de maîtriser la complexité en remettant
du jeu collectif dans les rouages de l’entreprise, avec un plus considérable : donner
du sens. Chaque jour des cadres nous disent leur envie de devenir ou redevenir
acteur de mise en scène du travail, de développement des compétences des
membres de leur équipe, leur souhait de retrouver des marges de manœuvre et au
final de reconquérir du pouvoir sur l’organisation du travail. "
"Le syndicalisme a une histoire singulière avec l’organisation du travail, cette «
prérogative patronale » dans un univers de production industrielle de masse. En
repartant du travail, des compétences, des métiers, des identités professionnelles, le
syndicalisme est invité à apporter des réponses de proximité, des services
professionnels, à reconquérir du pouvoir d’organisation. Une autre forme peut-être
de contre-pouvoir, de proximité faisant large place au professionnel, n’ignorant en
rien l’intérêt général."
Jean-Paul Bouchet, Décembre 2009
La crise rend inacceptables des modes de
management et de gestion
La coupure entre cadres et direction consommée, la place du cadre malmenée :
c’est l’entreprise en tant que metteur en scène du travail et des responsabilités
qui est questionnée
Si les différents secteurs de l’économie sont très diversement touchés par le
retournement de conjoncture depuis un an, la crise a confirmé, voire renforcé des
mutations à l’œuvre depuis plusieurs années. Politiques de gestion, réorganisations,
reporting permanent… les cadres font face comme les autres salariés à une
organisation de plus en plus inadaptée du travail. Un changement majeur est à
l’œuvre : une césure marquée entre le top management et le management de
proximité. Sans visibilité sur la stratégie ni sur l’avenir, les cadres ressentent et
dénoncent la rigidité d’une gouvernance lointaine, top-down, essentiellement
tournée vers le court terme et l’actionnaire. Une gouvernance qui se préoccupe peu
des métiers et des compétences.
La crise exacerbe ainsi un management par les résultats (financiers) et non par les
objectifs (de travail), d’une valorisation du reporting aux dépens de l’initiative, d’une
réorganisation permanente qui génère stress, mal-être ou retrait. A la fois salariés
managés comme tous leurs collègues et relais dans leur structure, les cadres sont
pénalisés quand ils osent alerter ou dénoncer ces faiblesses. Désormais, ils posent des
questions sur leur mission, sur le périmètre de leur responsabilité et de leur
autonomie.
La coupure entre cadres et direction consommée, la place du cadre malmenée : c’est
l’entreprise en tant que metteur en scène du travail et des responsabilités qui est
questionnée. Cette crise rend encore plus inacceptables des modes de management
et de gestion standardisés, déshumanisés. Elle contribue à mettre à jour les
défaillances des directions générales et d’un système global de gouvernance. Le
fameux malaise des cadres dévoile une crise de l’entreprise. L’enjeu pour l’avenir est
bien de repenser le management en termes de responsabilité, de valorisation des
compétences, des métiers, et d’équipement collectif des individus.
Jean-Paul Bouchet, Novembre 2009
Une crise de l'autorégulation
Il devient urgent de repenser proximité entre capital et travail et une vision bien
étroite de la gouvernance réduite à la relation de l’entreprise avec ses seuls
actionnaires.
La crise financière pose le défi de la régulation car nous avons également besoin de
règles pour éviter d’avoir à demander aux Etats de jouer les pompiers de service.
Mais prenons garde aux effets de balanciers entre la totale liberté aux marchés et le
retour de l’Etat nation. L’incendie éteint, la question de la prévention et des réformes
ne doit pas être éludée. A commencer par une analyse en profondeur des causes, ce
qui suppose de remonter en totalité l’arbre des causes (*). Prenons l’exemple des
normes comptables qui se sont imposées dans les pays de l’Union Européenne, sans
que les Etats nations qui les dénoncent ou les critiquent aujourd’hui ne soient montés
au créneau au moment de leur mise en place. Pourquoi ces normes qui portent une
vision si singulière de l’entreprise se sont-elles imposées ? Une entreprise pouvant
être achetée, vendue, revendue, comme si elle existait sans salariés. Pourquoi n’y a-til pas eu plus de concertation entre différents acteurs ?
Car la crise de la régulation est avant tout une crise de l’autorégulation. Le problème
est bien l’absence de confrontation organisée dans le processus de détermination de
la règle, de la régulation. Une confrontation organisée entre diverses parties
prenantes, une confrontation organisée des logiques d’intérêt différenciées. Et cela
vaut à tous les niveaux, tant au niveau international pour sortir des logiques
d’appartements… qu’au niveau européen entre les différents acteurs représentatifs,
qu’au niveau de l’entreprise à travers le dialogue social entre partenaires sociaux, sans
oublier l’environnement de l’entreprise. La financiarisation de l’économie a
considérablement accru la distance entre capital et travail. Il devient urgent de
repenser proximité entre capital et travail et une vision bien étroite de la
gouvernance réduite à la relation de l’entreprise avec ses seuls actionnaires.
Il y a un cruel déficit de responsabilité sociale et sociétale appelant un autre modèle
de gouvernement d’entreprise, une autre gouvernance « multi parties prenantes ».
Pluralité des critères de la décision, pluridisciplinarité, co-construction, confrontation,
mais aussi co-responsabilité des acteurs seront sans nul doute les mots clés d’une
nouvelle forme de régulation, à inventer, à construire à tous les niveaux, de
l’entreprise, aux institutions internationales, sans attendre la prochaine crise. Un
nouveau modèle de régulation synonyme de développement soutenable, durable,
équilibré. Un nouveau modèle dans lequel les représentants des salariés, des
apporteurs de travail, auront voix au chapitre, aux côtés d’autres parties prenantes,
dans lequel les organisations syndicales doivent prendre toute leur place.
(*) Méthode utilisée pour déterminer la totalité des causes d'un accident, les mettre en parallèle les unes par rapport aux autres
pour trouver des solutions à chacune de ces causes : la suppression d'une des causes entraine la suppression de l'accident.
Jean-Paul Bouchet, Décembre 2008
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