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INTERVIEW : « Recrutement :
l’éthique s’est perdue en
Suisse ! »
30 septembre 2011
Hanka Cerna Collé
Hanka Cerna Collé, directrice de Profil Emploi et présidente
de la toute nouvelle Association des Professionnels du
Recrutement Fixe de Suisse romande (APRF).
eFinancialCareers : Quels sont les facteurs qui ont
motivé la création de votre association l’APRF ?
Hanka Cerna Collé : J’ai crée mon cabinet en 1989 et
cela fait 30 ans que j’exerce dans le métier du recrutement.
Et je suis choquée de voir comment ce dernier a évolué, en
particulier depuis l’arrivée d’Internet. Dans le passé, nous
étions considérés comme de véritables partenaires
stratégiques des Ressources Humaines. Aujourd’hui,
beaucoup de cabinets sont devenus de simples
pourvoyeurs de CV, n’offrant aucune valeur ajoutée aux
clients. L’éthique de notre métier se perd. Il était urgent
d’agir.
Comment expliquez-vous la dégradation de l’image de
votre métier ?
Tout le monde s’est engouffré dans la brèche ces dernières
années. La Suisse est un grand marché financier, qui de
surcroît se porte un peu mieux que ses voisins. Cela
aiguise les appétits d’acteurs étrangers, qui veulent une
part du gâteau suisse, mais aussi d’autres professionnels
dont ce n’est pas le métier à la base, comme des avocats,
des fiduciaires, des cabinets de stratégie RH, des big four
ou encore des individuels expérimentés qui s’improvisent
consultant en recrutement entre deux jobs parce qu’ils ont
un réseau.
Au total, près de 4 000 cabinets de recrutement déclarés
exercent en Suisse ! A cela s’ajoutent ceux qui ne
détiennent pas la licence et tous les cabinets étrangers qui
n’ont pas le droit d’exercer l’activité de placement en
Suisse (ce qui est amendable à hauteur de 100 000 Francs
Suisses). Notre profession est régie par la LSE Loi fédérale
sur le placement privés et la location de services.
Avec l’association, nous espérons faire connaître et
respecter cette loi. Notre action vise également à informer
et sensibiliser les candidats sur les risques de collaborer
avec les cabinets peu scrupuleux. En somme, notre but est
d’améliorer l’image du métier et de créer un véritable label
de qualité pour les cabinets de recrutement fixe en Suisse
romande. Et pourquoi ne pas mettre en place une
formation pour le métier de recruteur, validée par un
diplôme ?
Le contexte de crise actuel favorise-t-il les abus ?
L’agressivité s’est accentuée. Mes interlocuteurs RH sont
harcelés par des cabinets qui appellent de Londres, Paris,
Chypre… ils veulent savoir s’il y a des offres, des
opportunités de business, et n’hésitent pas à aller
directement parler aux responsables des lignes métier. Ce
qui empêche les vrais professionnels du recrutement de
faire le travail correctement.
Qu’est-ce que le candidat a à perdre dans cette histoire
?
Le candidat ne sait pas ni où, ni quand, ni à qui son CV est
envoyé, ni précisément pour quel type d’emploi il
candidate. Le cabinet qui ne cherche qu’à placer inonde le
marché avec son CV, sans l’avoir rencontré, sans
connaître ses motivations. Sur le nombre de CV envoyés, il
y a forcément un pourcentage qui va aboutir à un
engagement ! C’est la loi des grands nombres. La
protection de la personnali n’est plus garantie et la loi sur
la protection des données (LPD) est bafouée.
Le problème est que le jour le candidat veut postuler à
une offre qui l’intéresse, il va découvrir que son CV a déjà
été envoyé (sans même qu’il le sache) et stocké dans la
base de données de la société. Cela le décrédibilise et son
dossier est le plus souvent écarté. A ce titre, le candidat a
une possibilité d’action juridique contre le « pourvoyeur de
dossiers indélicat ».
Y a-t-il des « victimes » types ?
Les métiers sensibles les plus susceptibles de pâtir de ces
« CV shooters » sont les profils qui intéressent beaucoup le
marché comme les relationship managers dotés d’un
portefeuille de clients transférable d’une banque à l’autre,
ou ceux qui apportent une vraie valeur ajoutée de par leurs
connaissances linguistiques, leur expertise géographique
d’une zone convoitée ou qui ont une compétence plus rare
comme la comptabilité bancaire.
Quels conseils donneriez-vous aux candidats pour
éviter de tomber dans les filets de cabinets peu sérieux
?
Souvent ces cabinets attirent le candidat avec des postes
très attrayants mais fictifs. Aussi avant de postuler, il
convient de vérifier qui est derrière l’annonce, visiter le site
Internet du cabinet, s’assurer qu’il a une adresse en Suisse
et une autorisation d’exercer (pour le vérifier, vous pouvez
vous rendre sur le site du Seco). Bref, il ne faut pas
envoyer son CV à tout va. Le candidat doit rester maître de
ses propres données.
Quel est l’état de l'évolution du marché du recrutement
aujourd'hui sur la place financière genevoise ?
Le marché est tendu, chahuté et on le ressent en termes de
nombre d’offres d’emploi. C’est inquiétant, d’autant que l’on
connaît mal l’ampleur de cet impact : un certain nombre de
postes sont officiellement ouverts mais ne débouchent pas
en réalité sur des engagements. Sur le terrain, les banques
licencient et beaucoup de sociétés adoptent un gel des
embauches en attendant que l’économie et les marchés
européens se redressent. Cela dit, la situation semble
aujourd’hui moins grave qu’après la crise de 2008 et le
scandale Madoff. Il n’y a pas encore un afflux de CV de
professionnels suisses. En revanche, on constate une nette
augmentation de CV provenant de candidats basés à
l’étranger (près de 7 CV sur 10 !).
Quels sont les métiers et activités qui tirent aujourd'hui
leur épingle du jeu ?
Nous travaillons actuellement aussi bien avec des grandes
banques suisses, des banques privées et des banques
cantonales, que des tiers gérants (independant asset
managers), des family offices et des sociétés financières.
Côté hedge funds, la mode s’est essoufflée, malgré
quelques soubresauts, l’engouement n’est pas aussi fort
qu’avant la crise de 2008.
Les fonctions phares du moment restent les valeurs sûres
pour les sociétés comme les relationship managers dotés
d’un portefeuille de clients facilement transférables, et en
ce qui concerne la vente, les profils de sales, business
developer. En ces temps incertains, les fonctions liées à
l’analyse et aux risques de marchés ont toujours la cote.
Enfin, avec les nouvelles lois et réglementations de la
FINMA, les postes juridiques et de Compliance se
démarquent.
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