Séquence 2 : Le jeu de l’amour et du hasard
Lectures complémentaires : D. article Mariage de L’Encyclopédie
E. L’île des esclaves, Marivaux
F. article Egalité de L’Encyclopédie
Document D :
Toute personne n’est pas par sa propre volonté,
et indépendamment du consentement de toute autre, en
droit de se marier. Autrefois les esclaves ne pouvaient
se marier sans le consentement de leurs maîtres, et
aujourd’hui, dans les états bien policés, les enfants ne
peuvent se marier sans le consentement de leurs parents
ou tuteurs, s’ils sont mineurs, ou sans l’avoir requis,
s’ils sont majeurs. […]
Quels inconvénients si fâcheux a donc produit
dans la Grande-Bretagne, jusqu’à présent, cette liberté
des mariages, qu’on ne puisse supporter ? des
disproportions de naissance et de fortunes dans l’union
des personnes ? Mais qu’importent les mésalliances
dans une nation où l’égalité est en recommandation, où
la noblesse n’est pas l’ancienneté de la puissance, où
les grands honneurs ne sont pas dûs privativement à
cette naissance, mais où la constitution veut qu’on
donne la noblesse à ceux qui ont mérité les grands
honneurs ; l’assemblage des fortunes les plus
disproportionnées n’est-il pas de la politique la
meilleure et la plus avantageuse à l’état ? C’est
cependant ce vil intérêt peut-être, qui, plus que
l’honnêteté publique, plus que les droits des pères sur
leurs enfants, a si fort insisté pour anéantir cette liberté
des mariages : ce sont les riches plutôt que les nobles
qui ont fait entendre leurs imputations ; enfin, si l’on
compte quelques mariages que l’avis des parents eût
mieux assortis que l’inclination des enfants (ce qui est
presque toujours indifférent à l’état), ne sera-ce pas un
grand poids dans l’autre côté de la balance, que le
nombre des mariages, que le luxe des parents, le desir
de jouir, le chagrin de la privation, peut supprimer ou
retarder, en faisant perdre à l’état les années précieuses
et trop bornées de la fécondité des femmes ?
Article « Mariage » de L’Encyclopédie par Diderot et d’Alembert
(1751 - 1772)
Document E :
Iphicrate : Eh ! ne perdons point de temps ; suis-moi : ne
négligeons rien pour nous tirer d'ici. Si je ne me sauve, je suis
perdu ; je ne reverrai jamais Athènes, car nous sommes dans
l'île des Esclaves.
Arlequin : Oh ! oh ! qu'est-ce que c'est que cette race-là ?
Iphicrate : Ce sont des esclaves de la Grèce révoltés contre
leurs maîtres, et qui depuis cent ans sont venus s'établir dans
une île, et je crois que c'est ici : tiens, voici sans doute
quelques-unes de leurs cases ; et leur coutume, mon cher
Arlequin, est de tuer tous les maîtres qu'ils rencontrent, ou de
les jeter dans l'esclavage.
Arlequin : Eh ! chaque pays a sa coutume ; ils tuent les
maîtres, à la bonne heure ; je l'ai entendu dire aussi, mais on dit
qu'ils ne font rien aux esclaves comme moi.
Iphicrate : Cela est vrai.
Arlequin : Eh ! encore vit-on.
Iphicrate : Mais je suis en danger de perdre la liberté, et peut-
être la vie : Arlequin, cela ne te suffit-il pas pour me plaindre ?
Arlequin, prenant sa bouteille pour boire. : Ah ! je vous plains
de tout mon cœur, cela est juste.
Iphicrate : Suis-moi donc.
Arlequin siffle. : Hu, hu, hu.
Iphicrate : Comment donc ! que veux-tu dire ?
Arlequin, distrait, chante. : Tala ta lara.
Iphicrate : Parle donc, as-tu perdu l'esprit ? à quoi penses-tu ?
Arlequin, riant. : Ah, ah, ah, Monsieur Iphicrate, la drôle
d'aventure ! je vous plains, par ma foi, mais je ne saurais
m'empêcher d'en rire.
Iphicrate, à part les premiers mots. : (Le coquin abuse de ma
situation ; j'ai mal fait de lui dire où nous sommes.) Arlequin, ta
gaieté ne vient pas à propos ; marchons de ce côté.
Arlequin : J'ai les jambes si engourdies.
Iphicrate : Avançons, je t'en prie.
Arlequin : Je t'en prie, je t'en prie ; comme vous êtes civil et
poli ; c'est l'air du pays qui fait cela.
L’île des esclaves, Marivaux ( 1725)
Document F :
De ce principe de l’égalité naturelle des hommes, il résulte plusieurs conséquences. Je parcourrai les principales.
1°. Il résulte de ce principe, que tous les hommes sont naturellement libres, et que la raison n’a pû les rendre
dépendants que pour leur bonheur.
2°. Que malgré toutes les inégalités produites dans le gouvernement politique par la différence des conditions, par la
noblesse, la puissance, les richesses, etc. ceux qui sont les plus élevés au-dessus des autres, doivent traiter leurs
inférieurs comme leur étant naturellement égaux, en évitant tout outrage, en n’exigeant rien au-delà de ce qu’on leur
doit, et en exigeant avec humanité ce qui leur est dû le plus incontestablement.
3°. Que quiconque n’a pas acquis un droit particulier, en vertu duquel il puisse exiger quelque préférence, ne doit rien
prétendre plus que les autres, mais au contraire les laisser jouir également des mêmes droits qu’il s’arroge à lui-même.
4°. Qu’une chose qui est de droit commun, doit être ou commune en jouissance, ou possédée alternativement, ou
divisée par égales portions entre ceux qui ont le même droit, ou par compensation équitable et reglée ; ou qu’enfin si
cela est impossible, on doit en remettre la décision au sort : expédient assez commode, qui ôte tout soupçon de mépris
et de partialité, sans rien diminuer de l’estime des personnes auxquelles il ne se trouve pas favorable.
Enfin pour dire plus, je fonde avec le judicieux Hooker sur le principe incontestable de l’égalité naturelle, tous les
devoirs de charité, d’humanité, et de justice, auxquels les hommes sont obligés les uns envers les autres ; et il ne serait
pas difficile de le démontrer.
Article « Egalité » de L’Encyclopédie ou Dictionnaire raisonné des sciences, des arts et des métiers par Diderot et d’Alembert (1751 - 1772)