14
Est-ce que votre expérience permet de donner des conseils aux professeurs qui
souhaitent préparer leurs élèves à un specatcle ?
Bien préparer un élève à un spectacle, c’est d’abord tenter de le familiariser à l’histoire que
raconte la pièce, au thème, c’est aussi attirer son attention sur les difficultés de vocabulaire. Il
ne semble pas utile de traduire le jargon médical du “Malade imaginaire” qui, s’il reste obscur,
comme c’est le cas pour la plupart des spectateurs adultes et francophones, est d’abord une
charge comique de gens qui emploient des mots incompréhensibles pour impressionner et
garder le pouvoir. Mais les mots qui traduisent le comique d’Argan ou la sensibilité d’Isabelle
sont plus qu’utiles au partage du plaisir de la représentation.
Vous êtes un homme de théâtre “complet”, car vous êtes directeur de théâtre, metteur
en scène, comédien, auteur de textes scéniques et professeur d’art dramatique. Pourriez-
vous nous parler de ces expériences différentes ? Lequel de ces différents “métiers” vous
semble le plus gratifiant ?
Je ne crois pas être complet. Je dirige un théâtre, et je tente de le faire le mieux possible, mais
sans doute pourrait-on faire mieux encore. J’écris, je mets en scène, je joue...oui. Mais il
m’arrive de m’effacer devant d’autres adaptations, par exemple celle de “Vendredi” que je
n’ai pas écrite, de confier à des tiers des mises en scène que je pourrais faire. J’ai enseigné
l’art dramatique, mais à leur grande stupéfaction, quand je le leur disais, mes élèves m’ont
plus appris que je ne leur ai appris. J’ai toujours aimé mettre en scène, partir d’un texte et
arriver à un spectacle, voilà qui donne de la peine, mais aussi quel plaisir!
J’aimerais vous poser une dernière question d’ordre plus général. Nous vivons dans une
société où la culture tend à s’uniformiser et où les jeunes (et les adultes aussi d’ailleurs)
sont confrontés de plus en plus et presque exclusivement à une culture “hollywoodienne”,
qui privilégie la vitesse, les images (de préférence spectaculaires), la facilité et la
passivité. (Je cite ici Benjamin Barber, directeur du Centre Walt-Whitman aux Etats-
Unis, dans une interview au Nouvel Observateur). Quelle est, selon vous, la fonction du
théâtre dans un tel contexte ?
Woody Allen fait dire à son héros dans “Play it again, Sam”, la comédie que nous avons jouée
sous le titre “Une Aspirine pour Deux”: - A Hollywood tout est propre. Ils ne jettent pas leurs
ordures, ils en font des feuilletons télévisés. Cette plaisanterie mise à part, la “culture”
qu’impose Hollywood - ou le Japon avec ses dessins animés - a renoncé à faire appel à
l’intelligence, au sens critique. Le théâtre, lui, avec des moyens dérisoires, met le spectateur
face à un rôle actif. Il lui faut de l’imagination que le ciné ou la télé ne réclament jamais. La
paresse est évidemment mauvaise conseillère dans le cas du théâtre. Mais ce qu’une nouvelle
génération va découvrir, c’est que l’homme et la femme sont des êtres sociaux. Qu’on ne
peut pas rester éternellement devant un écran de télévision et d’ordinateur, coupé du monde
vivant. Dans un théâtre, il existe une convivialité. On partage l’émotion ou le rire en direct
avec l’acteur. C’est de la vie retrouvée. L’image que l’on voit à la télé ne changera plus
jamais. Elle est à jamais figée. Au théâtre, ce sera avec le même texte, les mêmes acteurs, un
spectacle chaque jour différent, parce que ce spectacle sera conçu chaque jour avec la
complicité nouvelle des spectateurs. Il faut peut-être que les jeunes (et les autres)
réapprennent l’essentiel. Le théâtre peut y aider.