Interview avec José Brouwers, directeur du Théâtre Arlequin (Liège)

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Interview avec José Brouwers,
directeur du Théâtre Arlequin (Liège)
Luc VAN KERCHOVE
Luc Van Kerchove: Au mois d’octobre de cette année-ci une soixantaine de nos
collègues ont déjà pu faire votre connaissance lors d’une visite à Liège dans le cadre de
notre rencontre annuelle. Cette journée s’est terminée au Théâtre Arlequin, où vous
nous avez accueillis et où nous avons pu assister à une représentation de “Escurial” de
Michel de Ghelderode. D’après les réactions de nombreux collègues, on a beaucoup
apprécié cette initiative. C’est pourquoi il nous a semblé intéressant de prolonger
quelque peu cette rencontre en parlant avec vous du Théâtre Arlequin et de la vie d’un
directeur de théâtre. Cela nous permettra de revivre cette journée magnifique et d’y
associer les collègues qui n’ont pas pu y assister. Permettez-moi donc de vous remercier
tout d’abord d’avoir accepté de répondre à nos questions.
José Brouwers: Je suis ravi de satisfaire une légitime curiosité.
D’habitude nous interviewons dans notre revue des romanistes et nous leur demandons
souvent pourquoi ils ou elles ont choisi les études de philologie romane. Est-ce que je
peux vous demander, à vous, pourquoi vous avez choisi de faire du théâtre?
C’est un peu le théâtre qui m’a choisi. Adolescent, j’ai fait partie d’une compagnie
d’amateurs. J’y ai découvert le plaisir de jouer. A l’issue d’une représentation scolaire,
lorsque j’étais en rhétorique, le professeur de diction du collège qui avait mis en scène le
spectacle, m’a convaincu de poursuivre dans la voie du théâtre.
En quoi consistaient les études que vous avez faites avant de devenir comédien?
J’ai étudié la diction et l’art dramatique au Conservatoire royal de Liège où j’ai eu pour
professeurs Georges Randax qu’on appelait le “Raimu belge” et Paul Libon qui n’était autre
que mon professeur de diction au collège.
Est-ce que ces études préparent bien à ce métier ?
A l’époque, les cours étaient donnés par des gens qui étaient de grands professionnels et qui
nous transmettaient leur expérience. Aujourd’hui, les nominations sont devenues comme
partout bêtement politiques... On peut donc se retrouver enseignant dans un Conservatoire
sans avoir jamais fait du théâtre...
Est-ce que vous avez pu être engagé immédiatement comme acteur après vos études?
Je n’ai pas été engagé directement après mes études. J’avais tenu de petits rôles pendant que
je faisais mes classes, notamment au Théâtre Royal du Gymnase, aujourd’hui disparu, et
remplacé par un théâtre communal installé provisoirement depuis 20 ans place de l’Yser dans
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un centre qui devait au départ être sportif. C’est alors que je me suis lancé dans le jouralisme,
que j’ai pratiqué pendant 13 ans, avant de revenir au théâtre .
La situation pour les jeunes comédiens aujourd’hui est-elle plus difficile ou plus facile ?
Pour les jeunes comédiens, la situation est aujourd’hui encore plus difficile. Les troupes ont
disparu. On engage au coup par coup pour des périodes déterminées. Les comédiens jeunes
qui ont la chance de jouer se partagent entre la scène et le chômage.
Quand vous regardez votre carrière, y a-t-il des rôles que vous avez affectionnés tout
particulièrement ou qui vous ont laissé un souvenir enthousiaste ?
Tous les rôles que j’ai joués, du plus humble au plus exaltant, m’ont laissé un souvenir
agréable. Mais j’ai spécialement aimé de jouer Harpagon dans “L’avare” de Molière,
Béranger 1er dans “Le roi se meurt” d’Eugène Ionesco, Vladimir dans “En attendant Godot”
de Beckett, Argan dans “Le malade imaginaire”, rôle que je reprends la saison prochaine.
En quelle année et dans quelles circonstances êtes-vous arrivé alors au Théâtre
Arlequin ?
J’ai fondé le Théâtre Arlequin en 1956, il y a quarante ans. Mais c’était alors une compagnie
d’amateurs qui m’ a permis de vivre ma passion du théâtre, pendant que le journalisme me
faisait subsister. J’ai transformé le Théâtre Arlequin en compagnie professionnelle en 1975,
lorsque le Théâtre Royal du Gymnase, dont j’étais devenu directeur artistique, a été exproprié
pour que naisse une nouvelle place St-Lambert que Liège attend toujours....
Pourriez-vous définir la politique que vous avez suivie en tant que directeur de ce
théâtre ?
Ma politique en tant que directeur fut toujours de servir les auteurs d’hier et d’aujourd’hui et
de les faire connaître au public le plus large.
Vous m’avez dit un jour qu’un directeur de théâtre doit être polyvalent. Pourriez-vous
préciser en quoi consiste le travail d’un directeur de théâtre et quelles sont, d’après vous,
les principales qualités requises pour une telle fonction ?
Un directeur de théâtre doit sans doute être un artiste, sinon comment choisir des textes,
engager de bons comédiens, imaginer des mises en scène, mais ce doit être aussi un
gestionnaire. Il faut de l’enthousiasme, un brin de folie, du goût, mais aussi de la prudence, de
la patience, de l’optimisme. Un directeur doit juger de la qualité d’un texte et de la
justification de ce texte par rapport à une politique culturelle, mais aussi de la fiabilité d’un
tissu de scène. Il doit entretenir un esprit dans sa compagnie et veiller au meilleur accueil de
son public, ce qui va jusqu’à l’inspection des toilettes, tout après avoir mis à l’affiche Sartre
ou Camus...
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Est-ce que les comédiens que vous engagez, travaillent exclusivement pour le Théâtre
Arlequin ?
Certains comédiens ne travaillent qu ‘au Théâtre Arlequin. D’autres ont des activités annexes
(parfois essentielles), certaines proches du théâtre, comme cours, animations, prestations pour
le cinéma (rares), la télé ou la radio, la publicité, la danse ou la chorégraphie, la mise en scène
pour des groupes professionnels ou amateurs, le one-man show, etc., d’autres assez éloignées
de notre art, comme le commerce, l’enseignement, etc.
Le choix des pièces que vous montez occupe sans doute une place importante dans votre
activité. Quels critères vous guident dans votre choix ?
Le choix des pièces est une grande préoccupation. Il faut lire et relire. Voir des spectacles en
Belgique comme à l’étranger. Rester ouvert à une certaine actualité des oeuvres du répertoire.
Pourquoi monter “Le malade imaginaire”? Parce que nous vivons une époque où nombre de
gens, comme Argan, souffrent de dépression et abusent de la médecine, comme on abuse de la
drogue. Evidemment, nous orientons notre répertoire dans deux directions: le public jeune à
qui nous voudrions faire découvrir les trésors théâtraux d’hier ou d’avant-hier, les classiques
donc, et un public qui cherche au théâtre, outre la découverte ou la redécouverte, le
divertissement loin des expériences actuelles (indispensables) mais hors des préoccupations
de ceux pour qui le théâtre apporte une richesse différente de ce que donnent le cinéma ou la
télévision.
Vous faites régulièrement des adaptations scéniques d’oeuvres littéraires en prose.
Pensons à “Vendredi” de Michel Tournier, “Candide” ou “Le Capitaine Fracasse”, pour
ne citer que trois productions récentes. Est-ce que vous recourez à de telles adaptations
parce que vous ne trouvez pas facilement des pièces qui vous conviennent ou parce que
ces oeuvres vous inspirent tout particulièrement ?
C’est vrai que nous avons privilégié des adaptations scéniques d’oeuvres romanesques. Le
théâtre joue un rôle d’éveil à la richesse de la lecture. Ce ne sont pas les pièces qui manquent.
Et rien ne remplace sans doute au théâtre une oeuvre écrite pour la scène. Mais il y a des
thèmes que ne développent que des oeuvres littéraires. Là, nous les privilégions. Quitte à
revenir à des vraies pièces de théâtre.
“Le Capitaine Fracasse” de Théophile Gautier est un roman de plus de 500 pages. Une
adaptation pour le théâtre doit vous imposer des choix douloureux. Comment procédez-
vous ?
C’est vrai que plus personne ne semble avoir le courage de lire aujourd’hui “Le Capitaine
Fracasse”. Mais il est peut-être dommage de ne plus laisser parler Gautier à travers ses
personnages. Quand on adapte 500 pages de descriptions en 90 minutes de dialogue, il n’y a
lieu que de montrer que la vie est semblable au théâtre, qu’il faut avoir foi en la possibilité de
rédemption de tout homme, et que le romantisme n’est peut-être pas si loin des jeunes
d’aujourd’hui qui devraient un jour en avoir assez du cynisme de leur époque.
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Je crois pouvoir affirmer que le répertoire du Théâtre Arlequin est axé vers un public
de jeunes. Est-ce qu’il s’agit d’un choix délibéré ?
Comme je l’ai dit, nous avons dès 1975 visé un public jeune. C’est tellement important, le
premier contact avec le théâtre. Cela peut déterminer à aimer ou à haïr notre art. Nous avons
choisi de préparer (en toute modestie) une partie du public de demain.
Depuis quelques années vous jouez assez souvent des matinées scolaires en Flandre.
Comment vous et vos acteurs vivent-ils le contact avec des élèves néerlandophones ?
Nous avons un rapport tout à fait privilégié avec les enseignants et les enseignés en Flandre,
où, soit dit par parenthèse, nous sommes souvent mieux accueillis qu’en Wallonie). Nous
vivons avec fierté cet échange, et avec plaisir. Les jeunes bien préparés au spectacle sont
aussi réceptifs en Flandre qu’en communauté française.
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Est-ce que votre expérience permet de donner des conseils aux professeurs qui
souhaitent préparer leurs élèves à un specatcle ?
Bien préparer un élève à un spectacle, c’est d’abord tenter de le familiariser à l’histoire que
raconte la pièce, au thème, c’est aussi attirer son attention sur les difficultés de vocabulaire. Il
ne semble pas utile de traduire le jargon médical du “Malade imaginaire” qui, s’il reste obscur,
comme c’est le cas pour la plupart des spectateurs adultes et francophones, est d’abord une
charge comique de gens qui emploient des mots incompréhensibles pour impressionner et
garder le pouvoir. Mais les mots qui traduisent le comique d’Argan ou la sensibilité d’Isabelle
sont plus qu’utiles au partage du plaisir de la représentation.
Vous êtes un homme de théâtre “complet”, car vous êtes directeur de théâtre, metteur
en scène, comédien, auteur de textes scéniques et professeur d’art dramatique. Pourriez-
vous nous parler de ces expériences différentes ? Lequel de ces différents “métiers” vous
semble le plus gratifiant ?
Je ne crois pas être complet. Je dirige un théâtre, et je tente de le faire le mieux possible, mais
sans doute pourrait-on faire mieux encore. J’écris, je mets en scène, je joue...oui. Mais il
m’arrive de m’effacer devant d’autres adaptations, par exemple celle de “Vendredi” que je
n’ai pas écrite, de confier à des tiers des mises en scène que je pourrais faire. J’ai enseigné
l’art dramatique, mais à leur grande stupéfaction, quand je le leur disais, mes élèves m’ont
plus appris que je ne leur ai appris. J’ai toujours aimé mettre en scène, partir d’un texte et
arriver à un spectacle, voilà qui donne de la peine, mais aussi quel plaisir!
J’aimerais vous poser une dernière question d’ordre plus général. Nous vivons dans une
société où la culture tend à s’uniformiser et où les jeunes (et les adultes aussi d’ailleurs)
sont confrontés de plus en plus et presque exclusivement à une culture “hollywoodienne”,
qui privilégie la vitesse, les images (de préférence spectaculaires), la facilité et la
passivité. (Je cite ici Benjamin Barber, directeur du Centre Walt-Whitman aux Etats-
Unis, dans une interview au Nouvel Observateur). Quelle est, selon vous, la fonction du
théâtre dans un tel contexte ?
Woody Allen fait dire à son héros dans “Play it again, Sam”, la comédie que nous avons jouée
sous le titre “Une Aspirine pour Deux”: - A Hollywood tout est propre. Ils ne jettent pas leurs
ordures, ils en font des feuilletons télévisés. Cette plaisanterie mise à part, la “culture”
qu’impose Hollywood - ou le Japon avec ses dessins animés - a renoncé à faire appel à
l’intelligence, au sens critique. Le théâtre, lui, avec des moyens dérisoires, met le spectateur
face à un rôle actif. Il lui faut de l’imagination que le ciné ou la télé ne réclament jamais. La
paresse est évidemment mauvaise conseillère dans le cas du théâtre. Mais ce qu’une nouvelle
génération va découvrir, c’est que l’homme et la femme sont des êtres sociaux. Qu’on ne
peut pas rester éternellement devant un écran de télévision et d’ordinateur, coupé du monde
vivant. Dans un théâtre, il existe une convivialité. On partage l’émotion ou le rire en direct
avec l’acteur. C’est de la vie retrouvée. L’image que l’on voit à la télé ne changera plus
jamais. Elle est à jamais figée. Au théâtre, ce sera avec le même texte, les mêmes acteurs, un
spectacle chaque jour différent, parce que ce spectacle sera conçu chaque jour avec la
complicité nouvelle des spectateurs. Il faut peut-être que les jeunes (et les autres)
réapprennent l’essentiel. Le théâtre peut y aider.
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