Psychobiologie de la conscience Plan : 1. Les différentes facettes de la conscience 1.1. L’esprit 1.2. Le niveau de conscience 1.3. Le contenu de la conscience 1.4. Les conceptions dualistes et matérialistes 2. Les bases cérébrales de la conscience 2.1. Neurophysiologie du niveau de conscience 2.2. Neurophysiologie du contenu de la conscience 2.2.1. Les troubles de la conscience 2.2.2. L’étude de la conscience perceptive Peut-on définir la conscience ? nécessité de distinguer la prise de conscience, l'éveil et l'attention Peut-on déterminer des supports biologiques ? oui dans le cadre du matérialisme identitaire (neurosciences cognitives) Existe-t-il des conditions minimales pour être conscient ? Faut-il être dans un état conscient pour avoir une représentation consciente ? importance de la vigilance et de l’attention Quels sont les états cérébraux associés ? niveau de conscience et dialogue thalamo-cortical modulation d’activité et/ou activité spécifique de certaines structures synchronisations neuronales 1. Les différentes facettes de la conscience On peut distinguer 2 aspects à la conscience : le niveau de conscience : la vigilance (« arousal ») et l'attention = “être conscient” (intransitif) le contenu de la conscience : les représentations (« awareness ») = “avoir conscience de” (transitif) Fortes interactions : représentations qd vigilance Parfois dissociés : représentations conscientes en sommeil (rêve lucide), absence de représentations conscientes à l’éveil (état végétatif) 1.1. Le niveau de conscience C’est le niveau d’alerte Il est déterminé par : le niveau de vigilance (endormi éveillé) l’attention (distrait concentré) Hebb (1966) Mais un haut niveau de conscience (vigilance, attention) n'est pas forcément un préalable à la prise de conscience 1.2. Le contenu de la conscience 1.2.1. L’esprit Esprit = états mentaux : perceptions, pensées, sentiments, émotions… = capacité de former et d’utiliser des représentations Les représentations sont symboliques ou non (comme la perception qui est une des formes principales de représentations) Selon Fodor, les représentations sont : modulaires (pour une information spécifique : réflexes, sensations, anatomiquement déterminés) ou globales (processus intégratifs : modèles du monde, de soi, d’autrui) Les représentations sont conscientes ou inconscientes la conscience n’est qu’un mode de l’esprit car la plupart des états sont inconscients 1.2.2. Les représentations conscientes Ce sont les pensées réflexives comme les perceptions, souvenirs, intentions Les représentations conscientes sont : continues, liées au présent +/- intenses et claires : selon la vigilance, l’attention, la tonalité affective, la nouveauté… Selon Ned Block (1995) il faut distinguer au moins deux formes : la conscience d’accès et la conscience phénoménale a) La conscience d'accès et le modèle de l’espace de travail global La conscience d’accès dont les contenus sont utilisables par un raisonnement, le langage… = « j’ai conscience de quelque chose » = ressentir quelque chose = conscience intentionnelle et cognitive (peut être objectivée) Le modèle de l'espace de travail global conscient (Bernard Baars) est en accord avec la notion d’accès De nombreux processeurs opèrent en parallèle, seule une coalition envoie son résultat à l'espace de travail conscient, qui devient alors accessible aux autres processeurs (comme le langage) Avoir conscience d’une information signifierait simplement qu'il est possible de la rapporter (verbalement ou pas) et qu'elle est accessible (conscience d'accès) b) La conscience phénoménale La conscience phénoménale (= qualia) c’est le vécu, l'effet que cela fait de ressentir (le sentiment de bien-être, le frisson musical...) Les quale sont de nature qualitative et privée, inaccessibles à la connaissance objective, ineffables = conscience intrinsèque : difficile à établir problème de la chauve-souris par Nagel (écho et sentiment) problème « difficile » selon Chalmers (en opposition au « problème facile » de la conscience d’accès) zombie-p : pourquoi sentons-nous quelque chose plutôt que rien ? Pour d'autres, comme Daniel Dennett, cette distinction n’est qu’une chimère car la conscience phénoménale est impossible à établir c) Autres formes Le libre-arbitre, la conscience morale La méta-conscience : réflexive, « je suis conscient d’être conscient » La conscience de soi : unité de vie mentale Certains auteurs (Damasio, Denton) mettent en avant l'importance des émotions et des représentations de soi dans l'émergence de la conscience La prise de conscience serait la mise en relation de l’environnement avec un proto-soi = émotions primaires, primordiales le test du miroir 1.3. Les conceptions dualistes et matérialistes Possibilité d’une biologie de l’esprit et de la conscience ? Nature de l’esprit = physique ou non ? Dualisme = esprit et cerveau sont 2 phénomènes distincts Descartes : interactions âme-corps peu claires Eccles, Sperry : les neurones ont des propriétés non physiques Matérialisme/monisme/physicalisme = l’esprit a une nature biologique Fonctionnalisme : relations difficiles à établir (états mentaux irréductibles) = Dualisme des propriétés = deux niveaux de description Réductionnisme : isomorphisme (comportementalistes) Matérialisme identité : à tout état mental correspond un état du SN mais l’inverse n’est pas vrai Si on accepte (au moins temporairement) le matérialisme alors : « tout se passe dans le cerveau ! » Niveau et contenu de la conscience reposent sur des bases cérébrales très différentes 2. Les bases cérébrales de la conscience 2.1. Neurophysiologie du niveau de conscience Phénomènes attentionnels et cycle veille-sommeil ont des bases neuronales spécifiques a) L’attention volontaire et l’attention automatique filtrage des stimulus qui ne nous intéressent pas détournement d'attention possible vers les stimulus ignorés s'ils sont importants Broadbent (1958) Selon Corbetta, il existerait deux systèmes neuronaux responsables de l'attention volontaire ou automatique Attention volontaire système dorsal : modulerait préalablement les aires sensorielles et perceptives = stratégie « top-down » système dorsal cortex frontal cortex pariétal système ventral Attention automatique système ventral : interromprait la cognition pour réorienter l’attention = après le traitement sensoriel « bottom-up » b) Eveil, sommeil lent, sommeil paradoxal Les 3 états de vigilance sont contrôlés par des structures sous-corticales qui guident un dialogue thalamo-cortical SL hypothalamus antérieur _ _ synchronisation noyaux du raphé - locus cæruleus - formation réticulée thalamus cortex tronc cérébral Eveil / SP L’état conscient est un préalable aux représentations conscientes mais non suffisant bases cérébrales du contenu de la conscience 2.2. Neurophysiologie du contenu de la conscience On ne peut étudier que certains aspects de la conscience et seulement ceux qui se manifestent sur de courts instants Les bases cérébrales vont dépendre de ce dont on est conscient, donc peuvent faire intervenir différents mécanismes : - processus sensoriels, moteurs et/ou cognitifs (langage…) - mémoire de travail et régions frontales Mais qu’est-ce qui donne une unité à l’ensemble des processus ? – une ou des structures particulières ? – un état neuronal particulier ? 2.2.1. Les troubles de la conscience a) La « vision aveugle » Patient GY avec cécité complète du champ visuel gauche (excision de V1 droit) Si lumière dans l’hémichamp gauche (surtout si proche de la fovéa) les performances de détections correctes > au hasard (Weiskrantz et al., 1974) Hypothèse : V1 indispensable à la conscience visuelle (et CGL peut permettre une représentation inconsciente) b) Les agnosies Patiente DF après lésion voie extrastriée ventrale : - ne peut pas rapporter l’orientation de la fente d’une boîte aux lettres - mais est capable de l’incliner correctement sans en avoir conscience Goodale et Milner (1991) Hypothèse : voie ventrale indispensable à la prise de conscience L’information peut devenir consciente seulement si les structures sont sollicitées, mais non indispensables pour une représentation inconsciente 2.2.2. L’étude de la conscience perceptive Il est nécessaire de comparer les perceptions consciente et inconsciente (durant l’éveil) pour comprendre comment émerge la prise de conscience Par exemple avec la perception subliminale = présentation brève et masquée d'une amorce : télé amorce truite = mesure de la latence de réaction à la cible cible pas de perception consciente de l'amorce effet d'amorçage malgré tout observé (dissociation des mesures) : cible reconnue + rapidement = amorce perçue inconsciemment a) Activation corticale et attention Perception consciente Perception inconsciente Dehaene et al. (2001) Il n’y a pas une structure responsable de la conscience mais des structures dont le niveau d’activation détermine la possibilité d’une prise de conscience Phénomènes attentionnels nécessaires à la prise de conscience (sinon l’information reste préconsciente) b) Le liage informationnel et la synchronisation neuronale Le problème du liage informationnel : Comment une représentation unifiée peut émerger des ≠ analyses du stimulus, réalisées par des structures qui sont séparées anatomiquement ? Le codage de population Le codage hiérarchique vs cellule « gnostique » Hypothèse : l’intégration des traits de l’objet se ferait par l’activation d’une « assemblée de neurones » dont les décharges se synchronisent temporellement (Engel et al., 1990) Liage par synchronisations neuronales La synchronisation serait un mécanisme général d’intégration cérébral soustendant la cognition (mémoire, langage, intégration multisensorielle…) Par extension, Crick & Koch (1990) ont proposé que la synchronisation permettrait l’ « unité de la conscience » Différentes structures participent au traitement de l'information et communiquent entre elles sous forme de synchronisations Des neurones +/- distants peuvent produire un même signal électrique en même temps : Synchronies locales Synchronies longue distance animal Synchronies locales Synchronies longue-distance humain Synchronie de phase Enregistrements cellulaires chez l’animal Rivalité binoclaire : 1 image dans chaque œil, une vue devient dominante puis l’autre alternativement Fries et al 1997 synchronisation locale (phase) dans V1 controlatéral quand percept Enregistrements EEG chez l’humain Présentation rapide de symboles, perçus consciemment ou non Wyart et al. (2008) synchronisation locale (puissance) dans V1 quand sujet conscient / non conscient Présentation subliminale ou supraliminale de mots : Melloni et al. (2007) synchronisation longue-distance quand mot non masqué / masqué Aspects discrets et continus de la conscience phénoménale : toutes les oscillations cérébrales sont « multiplexées » dans des ondes lentes (Stériade, 2000) Doesburg et al. (2009) En conclusion : Il n’y a pas une structure responsable de la conscience mais des structures dont le niveau d’activation détermine la possibilité d’une prise de conscience Il serait nécessaire que le dialogue thalamo-cortical cesse pour laisser place à l’installation synchronisations locales (aire sensorielle) et/ou longue-distance (aires sensorielles et cognitives)