LA CONSCIENCE DE SOI EST-ELLE UNE
CONNAISSANCE DE SOI ?
« Tout ce qui agite puissamment notre organisme nous donne une conscience
intime de notre existence : voilà le plaisir» a dit Balzac dans la Comédie Humaine, sous-
entendant que tous les changements qui surviennent en nous nous donnent le sentiment de
vivre. Mais n’est-ce qu’un plaisir ? La conscience de soi n’a-t-elle pas un but de connaissance
de soi ? La conscience de soi, ou le fait de savoir que l’on existe, que l’on respire, et la
connaissance de soi, descente au plus profond de soi-même, sont-elle différentiables ou au
contraire si liées que l’on peut les confondre ? Et au fond, la conscience de soi a-t-elle un
autre but que celui de nous différencier des objets et du monde qui nous entoure ? Avoir
conscience de soi en tant que sujet, est-ce pour autant connaître le tréfonds de notre âme avec
ses secrets, ses peurs, et ses désirs ? Plusieurs interrogations pour un même problème : la
conscience de soi est-elle une connaissance de soi ?
Pour décemment pouvoir parler de conscience et de connaissance, il faut
d’abord savoir ce que l’on entend en utilisant ces expressions.
Qu’est-ce que la conscience de soi ? Cette notion peut se définir de plusieurs
manières, et par conséquent, peut avoir un certain nombre de sens différents.
Tout d’abord, il faut savoir que la conscience est toujours conscience de soi car elle permet de
ramener sa pensée à soi-même.
Ainsi, la conscience est une perception, une compréhension plus ou moins claire que chacun peut
avoir du monde extérieur, des autres et de soi-même.. C’est aussi une manière de comprendre et de
percevoir divers phénomènes ou objets déterminés : avoir conscience d’un arbre, c’est percevoir la
granulosité de son tronc, le bruissement de ses feuilles, son odeur, mais aussi associer cet objet que
l’on perçoit à un mot que l’on a appris. C’est seulement après tout ce processus que l’on peut dire que
ce qui se tient devant nous est un arbre. La conscience de soi est donc, de la même façon, une manière
de se rendre compte que l’on respire et que l’on est.
La conscience de soi est aussi, par extension, un acte ou un état dans lequel le sujet se
détermine en tant que sujet à part entière, et à une faculté de se distinguer des objets qu’il
côtoie. On peut ainsi voir que tant que je sais me différencier des choses qui m’entourent, je
peux porter le nom de sujet conscient. Ainsi, lorsque que je perds conscience, je ne peux plus
distinguer si je suis bien moi ou si je ne me suis pas subitement mêlé à la terre, au bois de la
table sur laquelle j’écrivais ou au stylo que je tenais dans la main.
La conscience peut tour à tour renvoyer à un rapport à soi, à une perception extérieure
ou encore à un jugement moral, et ce n’est pas rare de retrouver tous ces sens mélangés
lorsque l’on parle de conscience.
Pour John Locke, un philosophe anglais du XVIIème siècle (il appartient à la philosophie
moderne), la conscience est une activité réflexive de l’esprit. De son point de vue, on peut
nommer « conscience » l’individu singulier. Le mot conscience désigne chez lui le sujet en
lui-même ou bien, par usage d’une métonymie, l’âme de ce sujet, le cœur de celui-ci ou
également son esprit et son intelligence. Ce fut lui qui dit : « la conscience est la façon dont un
homme perçoit ce qui (ce) passe dans son propre esprit ». Il faut comprendre par-là que la
conscience est un critère de l’identité et de la responsabilité personnelle. C’est par-là qu’un
individu peut se considérer lui-même comme lui-même. De ce fait, on retrouve bel et bien
notre conscience de soi profondément ancrée dans l’idée de conscience, qui est vue comme
une perception de soi.
Si la conscience de soi est polysémique selon le cadre, l’époque ou la personne
qui en parle, il reste certain qu’elle est indissociable de l’idée de subjectivité. Mais la
conscience de soi n’est pas le seul problème qui nous intéresse ici. Reste à définir l’idée de
connaissance de soi.
Lorsqu’on parle de « connaissance de soi », qu’entend-on, au juste ? Le concept
de connaissance de soi admet lui-aussi plusieurs significations.
La connaissance est tout d’abord la faculté de connaître, de se représenter quelque
chose ou quelqu'un. C’est une manière de comprendre, de percevoir le monde qui nous
entoure, grâce à l’étude que l’on en a fait. Sans connaissance, il serait impossible de nommer
les objets que nous voyons, et par-là de leur donner un sens, un objectif ou une utilisation.
La connaissance de soi, est une notion plus précise de cette connaissance, qui sous-
entend le fait de se percevoir soi-même. Se connaître soi-même, c’est d’abord pouvoir, grâce
à plusieurs méthodes telles que l’introspection de Montaigne, aller au plus profond de son
être, observer tout ce qu’on y trouve et être à même de comprendre ce que l’on a vu. La
connaissance de soi est aussi, si l’on complète la définition donnée ci-dessus, la faculté de
pouvoir accepter sa situation, et ses traits de caractère (si faciles à trouver chez les autres
mais que l’on remarque si peu chez soi).
Socrate, par sa célèbre maxime « Connais-toi toi-même » (qui était au départ une
exhortation prononcée par le Dieu Apollon), veut nous pousser à étudier notre propre
nature, et ainsi à pouvoir réfléchir sur celle-ci, ce qui pourrait permettre de nous améliorer.
La connaissance de soi, en prenant acte des données trouvées par introspection et en
cherchant à les comprendre ou à les expliquer, permet un progrès vers la félicité et la
compréhension universelle que nous apporterait la connaissance totale de soi, en tant que
sujet.
La connaissance de soi est aussi, dans certains cas, la conscience de soi : un malade
qui n’a plus toute sa connaissance est une personne qui vient de s’évanouir : dans la langue
française, la nécessité a rassemblé deux mots que la philosophie sépare pourtant. Ainsi,
perdre conscience et perdre connaissance veulent, en vocabulaire, dire la même chose, ce qui
n’est absolument pas le cas pour la conscience de soi et la connaissance de soi, au sens
philosophique.
La connaissance de soi possède ainsi elle-aussi plusieurs sens. Mais seul l’un
d’eux nous intéresse ici : la connaissance de soi en tant que moyen de voir au-delà des
apparences.
Deux termes opposés qu’il va falloir confronter et mêler afin de tenter de
répondre à l’interrogation dont nous sommes victimes : être conscient de soi, est-ce se
connaître ?
La conscience de soi, par certains égards, est en effet une connaissance de soi.
À quels moments et dans quelles conditions se rejoignent ces deux notions ?
La conscience de soi est une connaissance de soi présente à l’essence même de
la connaissance.
En effet, s’il n’y a pas de conscience de soi, il ne peut en aucun cas y avoir de
connaissance de soi, étant donné qu’un objet non conscient n’est pas doué du privilège de la
pensée. Sans pensée, pas de réflexion possible. Ce qui nous fait dire que la conscience de soi
est la condition sine qua none de la connaissance de soi.
C’est là une des idées fondamentales de René Descartes, philosophe français moderne
contemporain de John Locke précédemment cité, qui fait (à partir de son « cogito ergo
sum »), de la conscience de soi le point de départ de la connaissance (la conscience est pour
lui constitutive de la connaissance car c’est grâce à elle que l’on sait que l’on existe, et qui l’on
est.). Ainsi, la conscience concorde avec les pensées qui nous sont présentes à l’esprit, et donc
avec la connaissance que l’on a de soi-même. Descartes pensait qu’être conscient de soi, c’est
être conscient de sa faculté à penser, mais avant tout à connaître et à comprendre (ce qui
nous amène à dire que la conscience de soi est la possibilité de penser, de réfléchir sur soi et
donc de se connaître.)
Nous savons aussi que le mot « conscience » vient du latin « conscientia », c’est à dire
cum scientia, ce qui veut dire « accompagné de savoir ». Ainsi, dès l’Antiquité, l’idée de
conscience est liée à celle de connaissance.
En accord sur ce point avec Descartes, la phénoménologie de la conscience nous dit
qu’être conscient, c’est savoir. Savoir qu’on existe, que le monde existe, et qu’on existe dans
un monde qui est différent de nous. Husserl (un philosophe contemporain) affirme que la
conscience est toujours consciente de quelque chose, et distingue plusieurs niveaux de
conscience (donc par extension, de savoir) : tout d’abord, la conscience spontanée qui, dans
la notion du « soi », cela reviendrait à un sentiment immédiat de soi-même. Il y a aussi la
conscience réfléchie, qui corrobore plus explicitement le fait que la conscience de soi soit une
connaissance de soi : en effet, la conscience réfléchie est une conscience qui est à-même de
prendre ses propres états de conscience comme sujet de réflexion (ce qui revient à une
introspection).Cette forme de conscience, par sa capacité de réflexion, permet d’instaurer une
connaissance de soi.
Par son origine même, la conscience de soi est une connaissance de soi. Mais
existe-t-il d’autres situations où cette relation fonctionne aussi ?
Nous avons vu que le vocabulaire rapprochait la conscience de soi et la
connaissance de soi.
Effectivement, dans la langue française, les expressions « perdre connaissance », et
« perdre conscience » signifient toutes deux la même chose : s’évanouir, perdre, durant un
moment, la vision que l’on perçoit du monde. Si ces deux expressions sont, dans ce contexte,
similaires, ce n’est pas anodin : cela montre en effet que « conscience de soi », et
« connaissance de soi » sont ici associés : ainsi, dans le vocabulaire médical la conscience de
soi est une connaissance de soi.
De plus, d’un point de vue moral, on peut dire aussi que la connaissance est un élément
constitutif de la conscience. En effet, sans connaissance de soi et de ses limites, de ses actes et
de ses traits de caractères, il est impossible à la conscience morale de fonctionner. Si l’on ne
connaît pas son caractère (qui peut-être voleur, ou sage), notre conscience de soi ne peut pas
se manifester et nous faire comprendre que telle ou telle action est mauvaise. Par exemple, si
une personne qui n’a jamais fait de mauvaises actions est tout à coup prise d’une envie de
voler, elle doit savoir que le vol est puni par la loi. Ainsi sa conscience pourra se mettre en
marche et l’en dissuader. Le contraire aussi est valable : il y a une relation très poussée entre
la connaissance de faits et d’interdiction morale, et la conscience de ces même faits.
Ainsi, un enfant qui ne sait pas que voler est mal, parce qu’on ne lui a jamais appris, s’il
est tenté par quelque chose qu’il ne peut avoir, le volera très certainement : sa conscience ne
pourra lui faire de reproche, étant donné qu’elle ignorera cette notion du mal. Cet enfant se
fera réprimander, et comprendra que l’action qu’il a faite est une faute. Sa conscience s’en
souviendra, et si d’aventure le vol le tente encore, celle-ci le fera réfléchir et culpabiliser : il ne
recommencera pas.
Nous pouvons donc dire que la conscience morale est basée sur la
connaissance de soi, et que par conséquent, que la conscience (morale) de soi est une
connaissance de soi.
Ainsi, de plusieurs points de vue, la conscience de soi est réellement
connaissance de soi. Mais en est-il toujours de même ?
Si parfois, la conscience de soi peut être une connaissance de soi, il n’en va pas
de même à tous moments.
En effet, d’un certain point de vue, on peut voir la fausseté de la connaissance
donnée par la conscience.
La connaissance que nous apporte notre conscience est partielle et fausse. En effet, si
notre conscience nous aide à percevoir, on ne peut se satisfaire des seules connaissances
qu’elle nous apporte : grâce à la conscience, nous percevons des sensations, des
odeurs…mais il nous faut y ajouter des connaissances théoriques afin de recréer le monde.
Sans ces connaissances que l’on apprends au fil du temps, le monde resterait un monde
énigmatique uniquement fait de perceptions innommables. Ceci est donc valable pour la
conscience de soi : savoir que l’on est vivant ne nous permet pas de savoir qui l’on est ! Par
exemple, dans le cas de l’amnésie, le patient atteint se rend compte qu’il respire, donc qu’il
vit. Mais ce n’est pas pour autant qu’il connaît son identité, ni ses différentes façons de réagir
face à diverses situations : ceci, seule l’expérience de ces situations permettrait de le
connaître, la conscience de soi ne peut pas nous y aider.
Pour Spinoza, un philosophe hollandais du XVIIème siècle, la conscience de soi ne nous
apporte qu’une connaissance illusoire. Il est vrai que la connaissance que nous apporte notre
conscience n’est pas véritablement une connaissance, dans le premier sens du terme. En effet,
comme nous l’avons dit, la conscience de soi ne nous permet d’avoir qu’une infinité de
perceptions que l’on ramène à soi. Or, la connaissance de soi est une manière de nommer ce
que l’on a appris sur soi par l’étude ou la pratique. Comment, dans ce cas, dire que la
conscience me permet de savoir si je suis généreux ou misanthrope, ou si j’ai un fort sens de
l’éthique ? Ce sont des choses que la seule conscience de soi, si elle n’est pas doublée
d’introspection, ne nous dit pas.
Ceci nous montre donc que la connaissance apportée par la conscience est
discutable, et qu’on ne peut donc affirmer que la conscience de soi est une connaissance de
soi.
Il nous faut savoir qu’en ayant conscience de soi, on ne peut se connaître
réellement.
Qu’est-ce que la connaissance de soi ? N’est-elle pas subjective, si l’on regarde au-delà
des apparences ? Et depuis ce moment, ne peut-on s’illusionner sur la connaissance de soi ?
« Je suis moi », n’est qu’une phrase. Il faut déjà réussir à définir ce moi. Et le définir sans avis
objectif est une des choses les plus difficiles qu’il existe. Parvenir à se connaître sans y glisser
une parcelle de partialité est une entreprise presque impossible. Donc lorsqu’on parle de
connaissance de soi, parle-t-on de quelque chose de réalisable ? C’est la question qu’il faut se
poser. Leibniz partage cette vision, car de son point de vue, il est impossible pour l’esprit de
se connaître pour sa propre réflexion, et donc par conséquent, par sa conscience.
Pour Kant (philosophe allemand qui opéra une révolution dans la manière de penser de
l’époque, au XVIIIème siècle) « la chose en soi est inconnaissable », de même que tous les
concepts métaphysiques. Même si le « moi » n’est pas à proprement parler une chose, on
peut le classer parmi les concepts métaphysiques, puisque la métaphysique est une
démarche visant à atteindre la connaissance de l’être absolu. Dans le cas où le moi serait
effectivement un concept métaphysique, donc inconnaissable, comment peut-on parler d’une
connaissance du moi ? Ce qui nous amène à dire que la conscience de soi n’est pas une
connaissance de soi, étant donné que la connaissance de soi n’existe pas. Or, si la
connaissance de soi n’existe pas, on ne peut par conséquent pas avancer le thèse que la
conscience de soi est une connaissance de soi.
En remettant en cause la connaissance de soi , on peut montrer que la
conscience de soi n’est pas une connaissance de soi
La conscience de soi ne peut être considérée une connaissance de soi, nous
venons de le voir. Cette thèse est donc, par certains côtés, fausse.
Après avoir défini et étudié séparément la question de la conscience de soi et
de la connaissance de soi, après avoir confronté ces deux notions, nous pouvons apporter
à la phrase : « la conscience de soi est-elle une connaissance de soi ? » une réponse
mitigée. En effet, si par certains égards la réponse à cette phrase est affirmative, il nous
faut reconnaître que si l’on y regarde par un autre côté, on ne peut occulter le fait que
cette phrase peut aussi avoir une réponse négative. Ainsi, si du point de vue de la nature
de la conscience et de la connaissance, ainsi que du vocabulaire, la conscience de soi est
effectivement une connaissance de soi, il ne faut pas oublier que si l’on regarde mieux la
notion de connaissance de soi, on en conclut à l’exact contraire. En conclusion, nous
pouvons dire que la conscience de soi ne donne jamais complètement une connaissance
entière du soi.
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