LA PUBLICITE REDACTIONNELLE DE JEU VIDEO SUR YOUTUBE- ENQUETE SUR LES PERCEPTIONS ET REPRESENTATIONS DES ADOLESCENTS Anthony Galluzzo* IUT de Saint Etienne, Laboratoire COACTIS [email protected] * 28 Avenue Léon Jouhaux, 42100 Saint-Étienne - 04 77 46 33 00 Résumé : (Cet article se propose d’évaluer la perception des publicités rédactionnelles de jeux vidéo sur Youtube chez les adolescents. La recherche a été menée dans un collège et repose sur des projections vidéo suivis d’entretiens collectifs en groupes naturels. Il apparait que les publicités rédactionnelles sont très peu reconnues comme telles par les adolescents qui, une fois informés, ne les rejettent que très rarement sur des arguments moraux. Mots clef : publicité rédactionnelle ; influence ; Youtube ; entretien collectif ; jeux vidéo. VIDEOGAME ADVERTORIALS ON YOUTUBE – AN INQUIRY ON TEENAGERS’ REPRESENTATIONS AND PERCEPTIONS Abstract : This article deals with the perception of advertorial movies on YouTube among teenagers. This research was conducted in a secondary school, by using video projections and focus groups. It appears that advertorial movies on Youtube are hardly ever perceived as such by teenagers which, once informed, seldom reject them on a moral basis. Keywords : advertorial ; publicity ; Youtube ; focus groups ; videogames. LA PUBLICITE REDACTIONNELLE DE JEU VIDEO SUR YOUTUBE- ENQUETE SUR LES PERCEPTIONS ET REPRESENTATIONS DES ADOLESCENTS Introduction Depuis son lancement en 2005, Youtube s’est peu à peu imposé comme une plate-forme de communication incontournable pour les industries culturelles (Kim, 2012) et notamment celle des jeux vidéo. Les plans média réalisés à l’occasion des nouvelles sorties intègrent désormais souvent la production de vidéos à diffuser sur Internet à des fins de promotion. Plutôt que de considérer Youtube comme un relai publicitaire classique, le marketing digital d’influence propose d’aborder cet outil de communication telle une plate-forme de relations publiques. Dès lors, l’enrôlement des youtubers1 les plus suivis dans des dispositifs publirédactionnels pose question. Une telle stratégie de communication est-elle viable et efficace ? Comment ces alliances sont-elles perçues et appréciées par les consommateurs ? Notre recherche vise à évaluer la perception des publicités rédactionnelles de jeux vidéo sur Youtube chez les adolescents. Notre objectif est double : (1) évaluer la sensibilité des spectateurs adolescents aux publicités rédactionnelles sur Youtube (les identifient-ils facilement comme telles ?) et (2) comprendre la réception de ces publicités rédactionnelles par les adolescents d’un point de vue moral et éthique (intègrent-ils ces formes de communication telles des pratiques acceptables et normales ?). Notre recherche porte ainsi sur les perceptions et sur les représentations construites par les jeunes spectateurs à propos des acteurs du discours promotionnel sur Youtube. L’industrie des jeux vidéo et la publicité rédactionnelle sur Youtube Le secteur du jeu vidéo est une véritable locomotive dans le monde des industries culturelles. Depuis leur émergence, les jeux vidéo ont connu un taux de croissance fort : une augmentation annuelle moyenne de 16% pour la période 2005-2009, qui devrait se maintenir à 5,1% pour 2015-2019 (PWC, 2009 ; Simon, 2012). Si les jeux vidéo sont aujourd’hui répandus dans la plupart des classes d’âge, les adolescents restent une cible privilégiée pour au moins deux raisons. (1) Le taux de pénétration des jeux vidéo dépasse les 50% chez tous les moins de cinquante ans, mais atteint son maximum chez les adolescents avec un indice de 89,1% pour les 10-14 ans (CNC, 2014). (2) De plus, les adolescents, à défaut d’être toujours acheteurs, sont souvent d’importants prescripteurs familiaux (Brée, 2012). Pour toucher les adolescents, les éditeurs de jeux vidéo ne peuvent négliger l’Internet et plus particulièrement le service web d'hébergement de vidéos Youtube, troisième site le plus visité au monde2, où le thème des jeux vidéo est l’un des plus populaires. Pour utiliser les youtubers comme des relais promotionnels, une entreprise peut faire appel aux agences intermédiaires (souvent appelées MCN - « multi-channel network ») chargées notamment de leur transmettre les offres de placement de produits et de publireportage. Les vidéos commandées par l’éditeur au youtuber ne prennent dans ce cas pas la forme d’une publicité classique ; elles se confondent avec la production habituelle et spontanée du youtuber. Depuis deux ans, plusieurs journalistes3 ont dénoncé cette pratique, qu’ils considèrent comme de la publicité cachée et trompeuse. Sans mention explicite, il est effectivement parfois difficile « de différencier une pure création d’une pseudo-création produite à des fins virales » (Burgess et Green, 2009, p. 39). 1 « Néologisme désignant des diffuseurs de vidéos sur Youtube accédant à une certaine notoriété » (Babeau, 2014) 2 Après Google et Facebook. Source : http://www.alexa.com/topsites, consulté en juillet 2015. 3 Eg. Adrien Sénécat, « YouTube: les liaisons dangereuses de Cyprien avec les marques », 08/12/2014, lexpansion.lexpress.fr. 1 La publicité rédactionnelle ou publireportage – advertorial ou feature advertising en anglais – est une forme de message hybride qui se fond, par sa forme, dans le contenu éditorial du médium qui l’accueille (Cameron, 1994). Les publicités rédactionnelles imitent le style et la rhétorique des contenus éditoriaux de façon à faire oublier au lecteur/spectateur l’intention commerciale des auteurs du message et renforcer par là sa crédibilité (Tanaka, 1994). Sous sa forme audiovisuelle, la publicité rédactionnelle prend souvent la forme d’un programme télévisé faisant la promotion du produit ou de l’image d’une organisation, en ayant recours à l’information et à la persuasion (Balasubramanian, 1994). La publicité rédactionnelle télévisée présente trois avantages : elle permet (1) de déployer des démonstrations et des argumentations longues, (2) de construire un rapport d’intimité avec le spectateur et (3) d’accroitre les chances d’accrocher les téléspectateurs pratiquant le saut de chaîne (Agee et Martin, 2001). Les messages hybrides observés chez certains youtubers en jeux vidéo se situent dans la continuité de la publicité rédactionnelle télévisée mais n’y sont pas en tous points conformes. Les comptes les plus suivis sur Youtube, dans le domaine du jeu vidéo, s’articulent autour d’un personnage central, le youtuber, une célébrité œuvrant à sa propre mise en scène, et entretenant une relation para-sociale et directe avec son public (Burgess et Green, 2009). Dans ce cadre, la publicité rédactionnelle est médiatisée par le youtuber, figure familière à son public, lui inspirant un sentiment de confiance. Cette forme de publicité rédactionnelle peut être rapprochée de ce que Balasubramanian (1994) a appelé le message de type « célébrité masquée » (« Masked celebrity message »). Ce type de message hybride « implique des célébrités masquant leur rôle de porte-parole rémunéré de l’entreprise dont ils promeuvent les produits lors d’apparitions publiques ». Méthodologie Des entretiens collectifs en groupes naturels (Duchesne et Haegel, 2008) auprès d’adolescents de 12 à 14 ans ont été organisés au collège « Les champs » de Saint-Etienne, en collaboration avec le centre de documentation de l’établissement. Dix-sept entretiens ont été menés dans des demi-classes de 10 à 19 élèves, de niveaux 4ème et 3ème. Au total, 231 collégiens ont participé aux entretiens collectifs. Au début de ces entretiens, deux vidéos issues d’une campagne de publicité rédactionnelle menées par la chaîne Youtube « Cyprien Gaming » pour le jeu vidéo « Fifa 14 » ont été projetées et ont servi de base à une discussion d’une heure. L’objectif de la discussion était d’évaluer si (1) la notion de publicité était souvent et spontanément évoquée à la suite des visionnages et si (2) la publicité rédactionnelle était considérée comme une pratique acceptable par les spectateurs. Chaque entretien collectif a été enregistré et intégralement retranscrit sous Microsoft Word. Le fait de mener un entretien permet de faire réagir les répondants sans induire a priori chez eux le thème de la publicité rédactionnelle. L’entretien collectif a pour avantage sur l’entretien individuel de repérer les conflits argumentatifs et d’évaluer le degré de consensualité de différentes idées à l’intérieur d’un groupe. L’entretien collectif a été mené selon un guide d’entretien structuré (Duchesne et Haegel, 2008). Les données récoltées ont fait l’objet d’une analyse de contenu thématique manuelle (Miles et Huberman, 2003). Cette analyse qualitative consiste en le codage et la réduction des discours en fragments homogènes dans leurs significations. Les unités codées – les interventions des différents participants aux entretiens – ont été regroupés par thèmes et par sous-thèmes. Les entretiens ont fait l’objet d’une relecture et d’une recodification à deux semaines d’intervalle pour renforcer la fiabilité interne du codage. Résultats Nos résultats révèlent une faible sensibilité des spectateurs adolescents aux publicités rédactionnelles sur Youtube. Seuls 8 élèves dans 6 groupes, parmi les 231 élèves et les 17 2 groupes ayant participé aux entretiens, ont évoqué spontanément la notion de publicité suite aux visionnages des vidéos de la campagne « Fifa 14 » menée par Cyprien Gaming. Les deux vidéos projetées n’ont pas été assimilés à des messages promotionnels pour trois raisons : L’absence du champ lexical de la vente - Les vidéos projetées n’ont pas été identifiées comme de la publicité, car elles sont dépourvues d’un réel discours ou argumentaire de vente et d’incitation directe à l’achat. Le produit mis en scène est vu comme accessoire à la vidéo, qui consiste avant tout en un sketch : la centralité de la marque est faible. L’absence des codes visuels issus de la publicité télévisée classique – Aux yeux des collégiens, les vidéos ont semblé trop hybrides - parasitées par de multiples influences et références extérieures au produit mis en scène - pour être des publicités. Les vidéos projetées ne correspondent pas aux codes de la publicité telle qu’elle s’est institutionnalisée, notamment à la télévision. Les élèves ont notamment souligné l’absence totale de packshots et la rareté des images issues du jeu. Le problème de la crédibilité - L’hypothèse selon laquelle ces deux vidéos seraient des publicités déguisées commanditées par EA Sports a souvent été rejetée par les collégiens pour des raisons de crédibilité et d’asymétrie des partenaires supposés. Les collégiens sont très nombreux à considérer que les vidéos proposées « font de la publicité » pour Fifa, mais sont réticents à l’idée de les qualifier de publicité, c’est-à-dire de messages commandités par un annonceur, ici, l’éditeur EA Sports. Les deux vidéos « font la publicité » de Fifa, dans le sens où elles permettent de faire connaitre un peu plus le produit, mais il s’agit d’une conséquence indue, non planifiée, presque fortuite. Les quelques élèves qui ont déclaré penser que ces deux vidéos étaient des publicités au sens propre, c’est-à-dire des messages commandités et financés par un annonceur, ont très souvent été rabroués par leurs camarades. Nos résultats révèlent également une réception positive de la publicité rédactionnelle en tant que pratique promotionnelle. Interrogés explicitement dans le dernier tiers de l’entretien collectif sur le fait de savoir si la publicité rédactionnelle leur paraissait moralement dérangeante, les collégiens ont répondu non à une très forte majorité (93,5%). Lorsque les collégiens sont relancés plus précisément sur la rémunération du youtuber par un éditeur, ils défendent pour beaucoup le droit du youtuber à avoir recours à ces pratiques, au nom de la liberté contractuelle. Ils évoquent notamment l’idée d’un partenariat gagnant-gagnant entre l’éditeur/annonceur et le youtuber, dont ils décrivent les intérêts sans antagonisme. Certains collégiens disent considérer que le partenariat qui s’établit entre un youtuber et un éditeur/annonceur relève de la vie privée, et que le spectateur/consommateur – qui se situe en dehors de l’échange - n’a pas à en être informé. L’opacité autour de la pratique de la publicité rédactionnelle est décrite comme justifiée par beaucoup de collégiens, selon une logique d’identification aux intérêts du youtuber : la dissimulation est défendue comme nécessaire pour éviter toute répercussion néfaste en termes d’image. D’après leurs déclarations, on peut penser des collégiens qu’ils ne se sentent aucunement menacés ou fragilisés en tant que spectateur par la pratique dissimulée de la publicité rédactionnelle sur Youtube. L’argument le plus souvent évoqué par les élèves est le fait qu’il n’est pas concevable d’être floué lorsque le produit consommé est gratuit et que sur le marché ouvert des vidéos que constitue Youtube, chaque spectateur est libre de se tourner vers le vidéaste de son choix. Les élèves évoquent un sentiment d’autonomie et de liberté et semblent s’en remettre à leurs capacités critiques individuelles pour faire sens des produits qui peuvent leur être proposés via ce médium. 3 Discussion et voies de recherche Des résultats de notre étude nous permettent de répondre à nos deux questions initiales. Premièrement, les spectateurs adolescents se montrent très peu sensibles aux publicités rédactionnelles sur Youtube telles que pratiquées dans notre échantillon vidéo. Rares ont été les élèves à évoquer spontanément la dimension publicitaire de ces vidéos. Lorsque cela s’est produit, ces élèves ont été peu suivis, voire contredits par leurs camarades. La nonassimilation des deux vidéos projetées à des outils promotionnels s’explique par l’éloignement de la publicité rédactionnelle vis-à-vis des codes de la publicité traditionnelle à un niveau lexical et visuel - et par le fait que les spectateurs doutent de la valeur prescriptrice du youtuber et ne considèrent pas le caractère potentiellement agentique de la guest star par rapport à l’éditeur/annonceur, invisible à l’image et donc inexistant dans les représentations. Deuxièmement, on peut conclure à une relative indifférence des spectateurs adolescents concernant la dimension publi-rédactionnelle des vidéos projetées. Les publicités rédactionnelles ne sont que très rarement rejetées comme trompeuses ou immorales. Aux critiques possibles, les collégiens ont souvent renvoyé à l’idée d’un marché de la vidéo ouvert et vaste où le spectateur peut se tourner vers d’autres youtubers correspondant davantage à ses opinions. On retrouve ici l’image du consommateur votant (Schwarzkopf, 2011). Ces idées semblent s’ancrer, chez les collégiens, dans une confiance en leurs propres capacités de lecture critique et de discernement, confiance que Pollay (1986, p.901) décrit comme un « mythe de l’immunité personnelle ». Tout semble donc indiquer que le public adolescent est insensible, voire indifférent à la publicité rédactionnelle telle que pratiquée dans notre échantillon vidéo. La publicité rédactionnelle sur Youtube constitue ainsi une nouvelle forme de message hybride, dans le prolongement de la publicité rédactionnelle télévisée et de la célébrité masquée (Balasubramanian, 1994), qui mérite toute notre attention. L’étude ici menée présente essentiellement deux limites. Tout d’abord, la méthode de l’entretien collectif s’inscrit dans une dynamique de groupe : les propos recueillis reflètent ainsi des inhibitions propres au groupe naturel, et hors de portée du chercheur non ethnographe. Une autre limite s’exprime par les objectifs mêmes de notre étude : celle-ci s’est donnée pour but d’évaluer la propension des adolescents à reconnaitre la publicité rédactionnelle sur Youtube et à analyser son acceptation morale. Notre enquête ne dit rien de l’efficacité de cette méthode publicitaire. Si nous avons montré ici que la publicité rédactionnelle, telle que nous l’avons saisie à travers les deux vidéos que nous avons projetées, est une pratique peu remarquée par les adolescents et finalement bien acceptée, rien n’indique qu’elle soit efficace et qu’elle permette à l’entreprise d’atteindre ses objectifs commerciaux. Dans la continuité de notre étude, nous proposons trois voies de recherche : (1) l’expérimentation visant à évaluer l’acceptation de la publicité rédactionnelle en fonction des variations de certaines caractéristiques des vidéos, (2) l’expérimentation visant à évaluer l’impact du visionnage d’une publicité rédactionnelle sur l’attitude envers la marque, (3) la réalisation d’une analyse typologique pour distinguer plusieurs profils de spectateurs et modes de réception face à la publicité rédactionnelle. Références Agee T. et Martin B. (2001), « Planned or Impulse Purchases ? How to Create Effective Infomercials », Journal of advertising research, Vol. 41, No. 6, p. 35-42. Babeau F. (2014), « La participation politique des citoyens « ordinaires » sur l’Internet : La plateforme Youtube comme lieu d’observation », Politiques de communication, No. 3 4 Balasubramanian S. (1994), « Beyond Advertising and Publicity: Hybrid Messages and Public Policy Issues », Journal of Advertising, Vol. 23, No. 4, p. 29-46. Brée J. (2012), Kids marketing, EMS, Cormelles-Le-Royal. Burgess J. et Green J. (2009), Youtube : digital media and society series, Cambridge, Polity Press. Cameron G. (1994), « Does publicity outperform advertising ? An experimental test of the third-party endorsement », Journal of public relations research, Vol. 6, No. 3, p. 185-207.3 Centre National du Cinéma et de l’Image Animée (2014), Les pratiques de consommation de jeux vidéo des Français, disponible sur : http://www.cnc.fr/web/fr/ressources//ressources/5986318 Duchesne S. et Haegel F. (2008), L’entretien collectif : l’enquête et ses méthodes, Paris, Armand Colin. Kim J. (2012), « The institutionalization of YouTube: From user-generated content to professionally generated content », Media Culture Society, Vol. 34, No. 1, p. 53-67. Miles M. et Huberman M. 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