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Discussion et voies de recherche
Des résultats de notre étude nous permettent de répondre à nos deux questions initiales.
Premièrement, les spectateurs adolescents se montrent très peu sensibles aux publicités
rédactionnelles sur Youtube telles que pratiquées dans notre échantillon vidéo. Rares ont été
les élèves à évoquer spontanément la dimension publicitaire de ces vidéos. Lorsque cela s’est
produit, ces élèves ont été peu suivis, voire contredits par leurs camarades. La non-
assimilation des deux vidéos projetées à des outils promotionnels s’explique par
l’éloignement de la publicité rédactionnelle vis-à-vis des codes de la publicité traditionnelle -
à un niveau lexical et visuel - et par le fait que les spectateurs doutent de la valeur
prescriptrice du youtuber et ne considèrent pas le caractère potentiellement agentique de la
guest star par rapport à l’éditeur/annonceur, invisible à l’image et donc inexistant dans les
représentations. Deuxièmement, on peut conclure à une relative indifférence des spectateurs
adolescents concernant la dimension publi-rédactionnelle des vidéos projetées. Les publicités
rédactionnelles ne sont que très rarement rejetées comme trompeuses ou immorales. Aux
critiques possibles, les collégiens ont souvent renvoyé à l’idée d’un marché de la vidéo ouvert
et vaste où le spectateur peut se tourner vers d’autres youtubers correspondant davantage à ses
opinions. On retrouve ici l’image du consommateur votant (Schwarzkopf, 2011). Ces idées
semblent s’ancrer, chez les collégiens, dans une confiance en leurs propres capacités de
lecture critique et de discernement, confiance que Pollay (1986, p.901) décrit comme un
« mythe de l’immunité personnelle ».
Tout semble donc indiquer que le public adolescent est insensible, voire indifférent à la
publicité rédactionnelle telle que pratiquée dans notre échantillon vidéo. La publicité
rédactionnelle sur Youtube constitue ainsi une nouvelle forme de message hybride, dans le
prolongement de la publicité rédactionnelle télévisée et de la célébrité masquée
(Balasubramanian, 1994), qui mérite toute notre attention.
L’étude ici menée présente essentiellement deux limites. Tout d’abord, la méthode de
l’entretien collectif s’inscrit dans une dynamique de groupe : les propos recueillis reflètent
ainsi des inhibitions propres au groupe naturel, et hors de portée du chercheur non
ethnographe. Une autre limite s’exprime par les objectifs mêmes de notre étude : celle-ci s’est
donnée pour but d’évaluer la propension des adolescents à reconnaitre la publicité
rédactionnelle sur Youtube et à analyser son acceptation morale. Notre enquête ne dit rien de
l’efficacité de cette méthode publicitaire. Si nous avons montré ici que la publicité
rédactionnelle, telle que nous l’avons saisie à travers les deux vidéos que nous avons
projetées, est une pratique peu remarquée par les adolescents et finalement bien acceptée, rien
n’indique qu’elle soit efficace et qu’elle permette à l’entreprise d’atteindre ses objectifs
commerciaux. Dans la continuité de notre étude, nous proposons trois voies de recherche : (1)
l’expérimentation visant à évaluer l’acceptation de la publicité rédactionnelle en fonction des
variations de certaines caractéristiques des vidéos, (2) l’expérimentation visant à évaluer
l’impact du visionnage d’une publicité rédactionnelle sur l’attitude envers la marque, (3) la
réalisation d’une analyse typologique pour distinguer plusieurs profils de spectateurs et modes
de réception face à la publicité rédactionnelle.
Références
Agee T. et Martin B. (2001), « Planned or Impulse Purchases ? How to Create Effective
Infomercials », Journal of advertising research, Vol. 41, No. 6, p. 35-42.
Babeau F. (2014), « La participation politique des citoyens « ordinaires » sur l’Internet : La
plateforme Youtube comme lieu d’observation », Politiques de communication, No. 3