Gelures de montagne
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Revue de l'ACOMEN, 1999, vol.5, n°1
Aspects cliniques
La gelure est une lésion localisée causée par l’action di-
recte du froid au cours d’une exposition plus ou moins
longue à une température inférieure à 0°C. Les gelures
sont habituellement (1) classées en trois (ou quatre) sta-
des de gravité suivant l’aspect clinique et l’évolution.
Le premier degré est caractérisé par une pâleur ou une
cyanose transitoire suivie d’un érythème lors du réchauf-
fement, une sensibilité émoussée et une guérison en quel-
ques jours. Le deuxième degré superficiel est marqué par
l’apparition de phlyctènes claires en 6 à 12 heures ; le de-
venir reste le même ; les troubles sensitifs peuvent persis-
ter plus longtemps. Le deuxième degré profond est carac-
térisé par une anesthésie complète, des phlyctènes séro-
hématiques et un œdème important en amont. Lorsque
l’évolution de ces gelures profondes conduit à la nécrose,
puis à l’amputation, on parle de 3eme degré.
Plusieurs facteurs favorisent l’apparition des gelures : la
température extérieure, le vent qui augmente la perte con-
vective, l’humidité (conduction), la gêne à la circulation
(vêtements trop serrés, fractures déplacées), l’état d’hy-
dratation de la victime, l’hypoxie, la polyglobulie d’alti-
tude et la qualité de l’équipement. Enfin, tous les hommes
ne sont pas égaux devant la gelure ; les facteurs de risque
sont classiquement les acrosyndromes, mais on peut éga-
lement retenir les connectivites, le tabagisme et surtout les
gelures antérieures (1).
Le diagnostic clinique est évident, c’est généralement le
patient qui le fait, très rapidement pour les doigts, plus
tardivement pour les orteils. Les engelures, qui sont un
acrosyndrome présentant un œdème et un érythème pruri-
gineux lors du réchauffement sont habituellement connues
du patient et ne prêtent pas à confusion.
Nous recevons à Chamonix une centaine de cas par an.
Dans les trois-quart des cas, il s’agit de gelures superfi-
cielles. Pour les gelures profondes, toute l’action théra-
peutique s’attache à éviter qu’elles n’aboutissent à des
amputations (8 % des cas). Dans notre série, les gelures
des pieds représentent 57 % des cas (avec atteinte préfé-
rentielle du gros orteil) et 46 % des patients présentent
des gelures des mains (avec respect habituel du pouce).
Enfin les gelures de la face ne sont pas rares (17 %), en
particulier le nez ou les oreilles.
Physiopathologie
Elle a été détaillée par J.R. Morandeira lors de cette même
conférence. En résumé, la gelure évolue en trois phases :
1. Une phase initiale d’aggression directe du froid (vaso-
constriction, hypoxie périphérique et gel des tissus).
2. Une phase secondaire précoce de nécrose progessive
due à un véritable phénomène d’ischémie reperfusion
lors du réchauffement (2,3).
3. Une phase tardive où les lésions sont établies. Elle dé-
bute à la 48ème heure.
A cette classification temporelle, Morandeira associe une
classification spatiale (4) :
1. Une zone de coagulation où l’action du froid a été maxi-
male et où prédomine la nécrose dès les premières heu-
res.
2. Une zone de stase où l’on ne constate pas initialement
de dommages irréversibles, mais qui a tendance à se
transformer en zone de coagulation en 48 heures.
3.Une zone d’hyperhémie, où le froid a été moins intense
et où l’on peut espérer une récupération spontanée en
moins de 10 jours.
Au total, la pathogénie des gelures s’échelonne entre deux
extrêmes, ce qui explique la diversité de la clinique, de l’évo-
lution et de l’efficacité thérapeutique. Pour des températu-
res très froides, le mécanisme est essentiellement lié au
gel, de la cellule et se caractérise par une nécrose, source
d’amputations. A l’autre extrême, avec des températures
plus clémentes et une ambiance humide, les lésions sont
plutôt vasculaires, avec des séquelles essentiellement fonc-
tionnelles et trophiques (pied de tranchée).
GELURES DE MONTAGNE
B. MARSIGNY
Service Anesthésie Réanimation Urgences - Centre Hospitalier
- Chamonix -
B. MARSIGNY
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Pronostic
Le pronostic précoce est difficile à établir cliniquement.
Trois à quatre jours sont habituellement nécessaires pour
savoir s’il s’agit d’une gelure superficielle ou profonde et,
dans ce cas, il faut patienter jusqu’à l’apparition du sillon
d’élimination, plus de 30 jours après, pour situer le niveau
d’amputation. Cette attente du verdict est intolérable pour
le patient ; heureusement la scintigraphie osseuse au Tech-
nétium 99 permet de raccourcir ce délai (5,6). L’examen ne
doit pas être trop précoce car il peut être faussement ras-
surant si les lésions de nécrose progressive n’ont pas eu
le temps de s’installer. La scintigraphie se déroule en trois
temps avec une phase immédiate ou vasculaire, une phase
précoce ou tissulaire et une phase tardive (à 3 heures) ou
osseuse. Dans tous les cas de notre série de 80 cas où la
scintigraphie a montré une fixation normale du traceur au
temps tardif, il n’y a pas eu d’amputation. Au contraire, si
le cliché tardif montrait une hypofixation franche, le pa-
tient a dû être amputé. Une étude est en cours à Chamonix
pour apprécier l’intérêt de l’IRM qui pourrait être supé-
rieure à la scintigraphie car elle permet une visualisation
directe des vaisseaux occlus et des tissus environnants et
une appréciation plus précoce de la ligne de démarcation
avec le tissu ischémié (7).
Approches thérapeutiques
La thérapeutique repose sur la physiopathologie : il faut
réchauffer, lutter contre le vasospasme, l’hyperviscosité,
la thrombose et prévenir l’inflammation et l’infection.
Moyens physiques
Le réchauffement est une urgence thérapeutique. Le pro-
tocole habituellement préconisé (1,8) est un bain de 30’
dans de l’eau à 38° additionnée d’un antiseptique doux.
L’agitation améliore les échanges thermiques.
Toutes les situations de ralentissement circulatoire, en
particulier les gelures, compromettent l’efficacité de l’hé-
modilution physiologique (l’hématocrite capillaire instan-
tané est en moyenne autour de 15 %). Le rôle de l’hémodi-
lution normovolémique est de rétablir des conditions rhéo-
logiques distales optimales. Un hématocrite de 30 % per-
met d’assurer une oxygénation tissulaire optimale.
Moyens pharmacologiques
Administré quotidiennement à faible dose, l’aspirine in-
hibe de façon irréversible et totale la synthèse du thrombo-
xane A2 au niveau plaquettaire, tout en permettant aux cel-
lules endothéliales de reprendre rapidement leur synthèse
de prostacycline. Il doit être donné le plus tôt possible.
Pour leur effet anti-agrégant, on peut également retenir les
dextrans de bas poids moléculaire qui ont aussi une ac-
tion sur la sédimentation érythrocytaire.
Les thrombolytiques permettent de lever la thrombose qui
se forme dans les heures qui suivent la décongélation des
tissus et d’empêcher sa réapparition. L’urokinase (9), la
streptokinase (10) et le rTPa (11) ont successivement été
essayés avec des résultats prometteurs mais qui n’ont ja-
mais dépassé chez l’homme le stade de l’étude pilote. Le
relais est pris par une héparine de bas poids moléculaire,
plus maniable et qui présente moins d’action pro-agrégante
sur les plaquettes que l’héparine.
La plupart des équipes ont rapporté l’intérêt des vasodila-
tateurs dans le traitement des gelures (1,8) avec parfois
des résultats contradictoires (12). Idéalement, la molécule
retenue doit être cytoprotectrice, anti-oedèmateuse et avoir
une action d’antiagrégation plaquettaire, leucocytaire et
érythrocytaire. Elle doit être surtout vasodilatatrice sur la
micro-circulation, pour éviter un effet de vol vasculaire par
détournement du flux sanguin par des gros troncs mieux
dilatés. On peut donc retenir dans cette indication : le
buflomédil (Fonzylane®), le naftidrofuryl (Praxilène®) (1),
la pentoxifylline (Torental®) (13)...
Les AINS inhibent tous la cyclo-oxygénase à des degrés
divers. Sur le plan clinique, les anti-inflammatoires non
stéroïdiens sont intéressants dans la réduction de l’œdème
qui se développe en amont de la gelure et qui, s’il est circu-
laire, peut compromettre la vascularisation d’aval.
L’Iloprost (Ilomédine®) est l’analogue stable de la pros-
tacycline, ou PGI2. Elle inhibe, en antagonisant le thrombo-
xane A2, tous les niveaux et conséquences de l’activation
plaquettaire, en particulier les phénomènes d’agrégation
et d’adhésion à la paroi vasculaire. Elle est, par effet re-
laxant direct sur la fibre musculaire lisse, l’un des vasodila-
tateurs les plus puissants connus à ce jour. Elle inhibe
l’activation leucocytaire et la libération de facteurs cyto-
toxiques et est cytoprotectrice. C’est donc, en théorie la
molécule idéale (14). Nous l’avons utilisée dans plus de 35
cas avec des résultats intéressants. Dans le même ordre
d’idée, plusieurs publications font état de l’utilisation de
la PGE1 par voie artérielle (15) ou orale (16).
Plusieurs auteurs (2,13) ont retenu l’aloe vera en applica-
tion cutanée pour son action inhibitrice locale sur la
thromboxane synthétase et ont rapporté son efficacité chez
l’homme, associé à de l’ibuprofène per os.
Autres approches thérapeutiques
Qu’il soit chirurgical (historique) ou pharmacologique par
le biais de bloc rachidiens, plexiques (17) ou tronculaires,
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le blocage sympathique est régulièrement préconisé et
parfois décrié (18). Plus volontiers efficace au niveau des
gros troncs, l’effet bénéfique rapporté pourrait être dû à
l’augmentation globale du flux dans le territoire concerné.
Il aurait une action préventive des séquelles neuro-vascu-
laires.
L’oxygène hyperbare a beaucoup été utilisée à la fin des
années 60 (19) sans faire la preuve de son efficacité.
Enfin la stimuation neurospinale est préconisée par l’équi-
pe de Saragosse. Son mécanisme serait lié à la vasodilata-
tion neurovégétative et à la stimulation de la production
de prostacycline (20).
En pratique
Le traitement le plus simple et le plus efficace est le ré-
chauffement immédiat dans de l’eau à 38° additionnée d’un
antiseptique doux. Ce traitement doit pouvoir être effectué
en refuge. Par la suite, l’œdème qui s’installe empèche gé-
néralement la victime de se rechausser et le regel doit être
évité à tout prix.
Pour les gelures du Ier degré et IIème degré superficiel,
nous associons l’aspirine (250 mg/j), le buflomédil
(Fonzylane®) dont la posologie augmente en fonction de
la gravité (jusqu’à 800 mg/j) et un anti-inflammatoire.
Pour les cas les plus graves, on utilise l’iloprost (jusqu’à
50 µg/j) pendant 5 à 7 jours et parfois le rTPA (30 à 50 mg)
à l’admission en tenant compte des contre-indications, en
particulier en cas de traumatisme. Le relais est pris par une
HBPM. L’aspirine est toujours indiqué. Une bonne volémie
est essentielle, ainsi que le respect des règles d’asepsie.
Les parties gelées sont surélevées tant que persiste
l’œdème (une semaine). Les bains à remous sont répétés
deux fois par jour. Ils lavent les plaies, tuent les bactéries
et favorisent un débridement doux. Dès que l’œdème a
disparu, le patient doit faire des exercices actifs pendant le
bain. On ne touche pas aux phlyctènes sauf s’ils sont cons-
trictifs ou en cas d’infection ; dans ce cas les antibioti-
ques sont indiqués. La prévention du tétanos est systé-
matique.
Une première scintigraphie est effectuée dans les 48 heu-
res suivie éventuellement d’une deuxième 5 à 7 jours plus
tard pour apprécier l’efficacité du traitement.
Après la première semaine intervient le temps chirurgical,
avec l’excision des phlyctènes et nécroses superficielles.
Un bon état nutritif et psychologique doit être maintenu.
Le temps des amputations est très tardif afin de laisser le
temps aux nécroses sèches de s’installer pour respecter
au mieux la délimitation naturelle que nous offre l’orga-
nisme. L’amputation est minimale, quite à réintervenir plus
tard dans le cadre d’un geste de chirurgie plastique. La
fermeture du moignon est parfois problématique (21) et ne
doit pas être réalisée à tout prix.
Séquelles
On constate régulièrement des troubles sensitifs qui peu-
vent persister longtemps (douleurs, hypo ou hyperesthé-
sie), une hyperhydrose, une ankylose des doigts en flexion,
des troubles trophiques de la peau et des phanères. A
plus long terme (plusieurs années), apparaissent de l’os-
téoporose et de l’arthrose précoce par atteinte du cartilage
(22). Chez les patients amputés, la chirurgie réparatrice et
reconstructive permet souvent une bonne récupération
fonctionnelle.
Conclusion
La prévention reste essentielle. En cas de gelure consti-
tuée, la mise en route précoce d’un traitement adapté fait
toute la différence. Le réchauffement par bain d’eau chaude
est une urgence thérapeutique. C’est ensuite qu’intervien-
nent les inhibiteurs de la cascade de l’acide arachidonique,
les vasodilatateurs de la microcirculation et les antithrom-
botiques. L’évolution est toujours longue, les amputation
sont rares, mais les séquelles fonctionnelles et trophiques
peuvent être invalidantes.
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