CRET-LOG Trier ses déchets : une question de « logistique » pour le consommateur ? Les déchets occupent une place cruciale dans l’agenda du développement durable. Cela est particulièrement le cas des déchets ménagers, dont le volume a doublé en 50 ans. Pour les collectivités, un enjeu est d’améliorer la contribution des individus aux systèmes de collecte. Les recherches en marketing suggèrent qu’il s’agit pour cela de motiver les consommateurs : en renforçant leur sensibilité environnementale, en instaurant des pénalités, etc. Ces travaux oublient toutefois que trier est aussi une question de… logistique ! Q ©CRET-LOG ©CRET-LOG uelles que soient ses motivations, le consommateur qui souhaite trier ses déchets ménagers doit en effet résoudre de nombreux problèmes « logistiques » : quels types de bacs utiliser pour trier ? Combien de bacs dois-je utiliser ? Où dois-je stocker mes déchets ? Quel volume de stockage dois-je prévoir ? A quelle fréquence dois-je expédier mes déchets aux points de collecte ? Que faire des bacs une fois les déchets déposés ? La difficulté logistique est d’autant plus importante qu’il ne s’agit pas pour le consommateur de résoudre isolément chacun de ces problèmes ! Il lui faut en effet penser globalement une logistique, qui lui permette de réaliser efficacement les trois activités physiques de la logistique du tri : la séparation des ordures, le stockage à domicile, et enfin l’expédition aux points de collecte. Comment les consommateurs trieurs articulent-ils ces trois activités logistiques entre elles ? Une recherche menée avec Elisa Monnot et Fanny Reniou au sein des domiciles de 20 trieurs montre que les consommateurs déploient trois logistiques : la massification, le juste-à-temps et la mutualisation. 102 Aurélien Rouquet Professeur de Logistique et Supply Chain Management, Neoma Business School, Membre du Cret-Log [email protected] N°81 ■ SUPPLY CHAIN MAGAZINE - JANVIER-FÉVRIER 2014 Trois logistiques utilisées : massification, juste-à-temps et mutualisation La première logistique est la massification. Elle consiste à dédier un espace important au stockage et à la séparation des ordures au sein du domicile. Cet espace, le plus souvent isolé dans une arrière-cuisine, un garage, ou un soussol, a pour fonction de centraliser tous les flux d’ordures générés dans les différentes pièces du domicile. Il comprend en général plusieurs bacs de tri dédiés au stockage d’un type d’ordure. Ces bacs, fréquemment fournis par la mairie, sont souvent de forte capacité et conduisent l’individu à réaliser la séparation des ordures au domicile. La seconde logistique est le juste-àtemps. Elle vise à expédier les ordures rapidement, dès qu’elles sont produites, au moyen de trajets spécifiques jusqu’aux points de collecte. Les individus entreposent le plus souvent les ordures à recycler à même le sol de leur cuisine, à côté d’une poubelle dédiée aux ordures non recyclables. Ils utilisent parfois un coin de couloir, dans l’entrée de l’habitation, pour stocker (logique rationnelle) et au vécu qu’il souhaite avoir avec ses ordures (logique émotionnelle). Cela est loin d’être simple, d’autant que plusieurs individus composent un même foyer ! La nécessité d’accompagner les consommateurs Dans ce cadre, un enjeu clef semble être de mieux accompagner les consommateurs dans la mise en place de la logistique inhérente au tri. Pour les collectivités, il s’agit d’aller au-delà des mesures actuelles, qui cherchent essentiellement : Des logistiques pensées d’un point de vue rationnel et émotionnel 1. à motiver les consommateurs (communication Ainsi que cela paraîtra évident à tout bon sur son importance pour la planète, paiement « logisticien », les con- sommateurs optent pour des ordures au poids) ; telle ou telle logistique en fonction des caractéristiques de leur Supply Chain, qui est ici com- 2. à les informer sur les règles du tri (dépliants posée de leur domicile et du système de indiquant quelle ordure mettre dans quelle poucollecte. Ainsi, la massification est d’autant belle, informations sur les horaires et dates de plus utilisée que les individus ont de la place collecte). chez eux pour stocker Variables influençant le choix d’un type de logistique et que les systèmes de collecte sont éloignés e t c o n t r a i gnants. Inversement, le juste-àtemps est une solution plébiscitée par les individus manquant de place, mais pouvant expédier facilement leurs ordures grâce à une forte proximité des points de collecte. Enfin, la mutualisation est une stratégie mobilisée par les individus devant faire face à la fois à des contraintes de place chez eux et d’éloignement des points de col- Cela pourrait passer par plusieurs types d’actions : lecte, double contrainte qui justifiera d’adopter développement d’une gamme de bacs adaptés une logistique totalement « optimisée ». Toutefois, aux différentes logistiques, au sein de laquelle à la différence des entreprises, les consomma- les consommateurs pourraient puiser le ou les teurs ne sont pas seulement rationnels : ils sont bacs qu’ils souhaitent ; réalisation de guides aussi guidés par leurs émotions ! Or, chaque présentant les différentes solutions logistiques logistique induit pour le consommateur un possibles pour trier ; mise en place par les comvécu différent avec les déchets, qui peut ou munes d’ambassadeurs de tri, qui pourraient non être acceptable. Ainsi, un consommateur qui aller « auditer » les logistiques des individus et ne supporte pas le désordre n’acceptera pas le les aider à trouver des solutions. ■ juste-à-temps, parce qu’il impose de stocker ses déchets à trier sur le sol de la cuisine. Un consommateur qui a un fort besoin de propreté n’acceptera pas la mutualisation, parce qu’elle Le Cret-Log est un centre de recherche en impose de stocker ses bouteilles sales dans le sciences de gestion d’Aix Marseille Université spécabas utilisé pour faire ses courses, etc. L’enjeu cialisé en logistique et Supply Chain Management. pour le consommateur est donc de trouver une www.cret-log.com logistique à la fois adaptée à sa Supply Chain ©CRET-LOG les ordures avant leur expulsion, libérant ainsi l’espace de stockage principal. La troisième logistique du tri est la mutualisation. Elle se sert des autres logistiques du quotidien, notamment les courses alimentaires, pour gérer de manière optimale les flux d’ordures. Ceci conduit à les stocker dans le contenant qui sert à faire les courses (caddie, sac, panier). Ce contenant est placé dans la cuisine, afin à la fois de vider les courses (flux entrant) et de le remplir des ordures à recycler (flux sortant). JANVIER-FÉVRIER 2014 - SUPPLY CHAIN MAGAZINE ■ N°81 103