N°81 SUPPLY CHAIN MAGAZINE - JANVIER-FÉVRIER 2014
102
CRET-LOG
Trier ses déchets :
une question de « logistique »
pour le consommateur ?
Les déchets occupent une place cruciale dans l’agenda du développement durable.
Cela est particulièrement le cas des déchets ménagers, dont le volume a doublé
en 50 ans. Pour les collectivités, un enjeu est d’améliorer la contribution des individus
aux systèmes de collecte. Les recherches en marketing suggèrent qu’il s’agit pour
cela de motiver les consommateurs : en renforçant leur sensibilité environnementale,
en instaurant des pénalités, etc. Ces travaux oublient toutefois que trier est aussi
une question de… logistique !
©CRET-LOG
Aurélien Rouquet
Professeur de Logistique et Supply Chain Management,
Neoma Business School, Membre du Cret-Log
Quelles que soient ses
motivations, le
consommateur qui
souhaite trier ses
déchets ménagers
doit en effet résoudre de nom-
breux problèmes « logistiques » :
quels types de bacs utiliser pour
trier ? Combien de bacs dois-je
utiliser ? Où dois-je stocker mes
déchets ? Quel volume de stockage
dois-je prévoir ? A quelle fré-
quence dois-je expédier mes
déchets aux points de collecte ?
Que faire des bacs une fois les
déchets déposés ? La difficulté
logistique est d’autant plus impor-
tante qu’il ne s’agit pas pour le
consommateur de résoudre isolément chacun de
ces problèmes ! Il lui faut en effet penser globa-
lement une logistique, qui lui permette de réaliser
efficacement les trois activités physiques de la
logistique du tri : la séparation des ordures, le
stockage à domicile, et enfin l’expédition aux
points de collecte. Comment les consommateurs
trieurs articulent-ils ces trois activités logistiques
entre elles ? Une recherche menée avec Elisa
Monnot et Fanny Reniou au sein des domiciles
de 20 trieurs montre que les consommateurs
déploient trois logistiques : la massification, le
juste-à-temps et la mutualisation.
Trois logistiques utilisées : massification,
juste-à-temps et mutualisation
La première logistique est la massification. Elle
consiste à dédier un espace important au
stockage et à la séparation des ordures au sein
du domicile. Cet espace, le plus souvent isolé
dans une arrière-cuisine, un garage, ou un sous-
sol, a pour fonction de centraliser tous les flux
d’ordures générés dans les différentes pièces du
domicile. Il comprend en général plusieurs bacs
de tri dédiés au stockage d’un type d’ordure. Ces
bacs, fréquemment fournis par la mairie, sont
souvent de forte capacité et conduisent l’indi-
vidu à réaliser la séparation des ordures au
domicile. La seconde logistique est le juste-à-
temps. Elle vise à expédier les ordures rapide-
ment, dès qu’elles sont produites, au moyen de
trajets spécifiques jusqu’aux points de collecte.
Les individus entreposent le plus souvent les
ordures à recycler à même le sol de leur cuisine,
à côté d’une poubelle dédiée aux ordures non
recyclables. Ils utilisent parfois un coin de cou-
loir, dans l’entrée de l’habitation, pour stocker
©CRET-LOG
JANVIER-FÉVRIER 2014 - SUPPLY CHAIN MAGAZINE N°81 103
Le Cret-Log est un centre de recherche en
sciences de gestion d’Aix Marseille Université spé-
cialisé en logistique et Supply Chain Management.
www.cret-log.com
les ordures avant leur expulsion, libérant ainsi
l’espace de stockage principal. La troisième
logistique du tri est la mutualisation. Elle se sert
des autres logistiques du quotidien, notamment
les courses alimentaires, pour gérer de manière
optimale les flux d’ordures. Ceci conduit à les
stocker dans le contenant qui sert à faire les
courses (caddie, sac, panier). Ce contenant est
placé dans la cuisine, afin à la fois de vider les
courses (flux entrant) et de le remplir des ordures
à recycler (flux sortant).
Des logistiques pensées d’un point de vue
rationnel et émotionnel
Ainsi que cela paraîtra évident à tout bon
« logisticien », les con- sommateurs optent pour
telle ou telle logistique en fonction des caracté-
ristiques de leur Supply Chain, qui est ici com-
posée de leur domicile et du système de
collecte. Ainsi, la massification est d’autant
plus utilisée que les individus ont de la place
chez eux pour stocker
et que les systèmes de
collecte sont éloignés
et contraignants.
Inversement, le juste-à-
temps est une solution
plébiscitée par les indi-
vidus manquant de
place, mais pouvant
expédier facilement
leurs ordures grâce à
une forte proximité des
points de collecte.
Enfin, la mutualisation
est une stratégie mobi-
lisée par les individus
devant faire face à la
fois à des contraintes de
place chez eux et d’éloignement des points de col-
lecte, double contrainte qui justifiera d’adopter
une logistique totalement « optimisée ». Toutefois,
à la différence des entreprises, les consomma-
teurs ne sont pas seulement rationnels : ils sont
aussi guidés par leurs émotions ! Or, chaque
logistique induit pour le consommateur un
vécu différent avec les déchets, qui peut ou
non être acceptable. Ainsi, un consommateur qui
ne supporte pas le désordre n’acceptera pas le
juste-à-temps, parce qu’il impose de stocker ses
déchets à trier sur le sol de la cuisine. Un
consommateur qui a un fort besoin de propreté
n’acceptera pas la mutualisation, parce qu’elle
impose de stocker ses bouteilles sales dans le
cabas utilisé pour faire ses courses, etc. L’enjeu
pour le consommateur est donc de trouver une
logistique à la fois adaptée à sa Supply Chain
(logique rationnelle) et au vécu qu’il souhaite
avoir avec ses ordures (logique émotionnelle).
Cela est loin d’être simple, d’autant que plusieurs
individus composent un même foyer !
La nécessité d’accompagner
les consommateurs
Dans ce cadre, un enjeu clef semble être de mieux
accompagner les consommateurs dans la mise en
place de la logistique inhérente au tri. Pour les
collectivités, il s’agit d’aller au-delà des mesures
actuelles, qui cherchent essentiellement :
1. à motiver les consommateurs (communication
sur son importance pour la planète, paiement
des ordures au poids) ;
2. à les informer sur les règles du tri (dépliants
indiquant quelle ordure mettre dans quelle pou-
belle, informations sur les horaires et dates de
collecte).
Cela pourrait passer par plusieurs types d’actions :
développement d’une gamme de bacs adaptés
aux différentes logistiques, au sein de laquelle
les consommateurs pourraient puiser le ou les
bacs qu’ils souhaitent ; réalisation de guides
présentant les différentes solutions logistiques
possibles pour trier ; mise en place par les com-
munes d’ambassadeurs de tri, qui pourraient
aller « auditer » les logistiques des individus et
les aider à trouver des solutions.
Variables influençant le choix d’un type de logistique
©CRET-LOG
1 / 2 100%
La catégorie de ce document est-elle correcte?
Merci pour votre participation!

Faire une suggestion

Avez-vous trouvé des erreurs dans linterface ou les textes ? Ou savez-vous comment améliorer linterface utilisateur de StudyLib ? Nhésitez pas à envoyer vos suggestions. Cest très important pour nous !