REVUE DE PRESSE ////////////// VICTOR F. de Laurent Gutmann 5 > 24 janvier 2016 Tél. 01 43 74 99 61 theatredelaquarium.com PEGGY PICKIT VOITdimanche LA FACE DE 24 DIEUjanvier 2016 mardi 5> DANS LES VEINES RALENTIES de Roland Schimmelpfennig d’après Cris et chuchotements d’Ingmar Bergman d’Elsa Granat diptyque > deux spectacles à voir ensemble outexte séparément Victor F. ///////////////////////////////////////////////////////////////////////////////////////////////////////// mise en scène Aurélie de VanLaurent Den DaeleGutmann d’après Frankenstein de Mary Shelley texte et mise en scène Laurent Gutmann scénographie Alexandre de Dardel, lumière Yann Loric, son Estelle Gotteland, costumes Axel Aust, maquillages, perruques Catherine Saint-Sever, collaboration artistique Aurélien Desclozeaux, masque Alexis Kinebanyan – KFX Studio avec Éric Petitjean, Cassandre Vittu de Kerraoul, Luc Schiltz et Serge Wolf photographie Pierre Grosbois ce qu’en dit la presse en quelques mots ! Le parti pris d’actualisation est mené de main de maître. (...) la réalisation est constamment auréolée d’humour dans le jeu, ce qui permet de penser en s’amusant. Parole, ce n’est pas tous les jours que l’intelligence et l’esprit de finesse sont ainsi mis à contribution. On souhaite une longue vie théâtrale à ce monstre en mal d’amour, qui semble une effrayante marionnette consumériste de supermarché. Jean-Pierre Léonardini Alliant grotesque et profondeur, le spectacle de Laurent Gutmann nous gagne immédiatement à la cause de son univers. Virtuosité des comédiens, brio de la scénographie, finesse du texte et de la mise en scène : pas une fausse note ne vient contrarier cette grande réussite. Manuel Piolat Soleymat La mise en scène et la scénographie sont au rendez-vous du propos. La pièce est belle. Le spectacle est un ravissement. David Rofé-Sarfati La force du spectacle c’est ce boitillement entre expérimentation hasardeuse et maîtrise, c’est ce balbutiement entre tragique et loufoque, cette alternance entre une nature enchanteresse et les débuts du surhomme. Anna Grahm La représentation bien rythmée oscille en permanence entre la fantaisie et l’étrangeté, en s’appuyant sur un texte ciselé dont la drôlerie ne gomme pas la nature des propos. Jean Chollet Le retour du Dr Frankenstein En 1816, en Suisse, pour tromper son désœuvrement, Mary Shelley (20 ans), jeune femme britannique aux cheveux sagement coiffés en bandeaux, compose Frankenstein ou le Prométhée moderne, un conte voué à une longue postérité cinématographique. La créature monstre qu’elle invente, campée à l’écran par Boris Karloff, ne porte pas encore ce nom illustre, gage d’effroi, car Frankenstein n’est que le patronyme du savant démiurge qui la crée de toutes pièces. Avec Mary Shelley, pas de boulons ni d’électrodes chez l’espèce de robot humanoïde qui finit par tout casser par manque d’amour. Idem pour Laurent Gutmann qui, d’après le roman, a écrit et mis en scène Victor F. Il y remet hardiment le mythe populaire au goût du jour. La scène est contemporaine, dans une scénographie sobre et claire d’Alexandre de Dardel. Victor F. (Éric Petijean), assis, l’air mi-figue mi-raisin, attend le public, avant de confier à Henri, son ami aveugle (Serge Wolf), ses doutes raisonnes sur la viabilité de son expérience folle. Apparition d’une autre figure, celle de la fiancée (Cassandre Vittu de Kerraoul) du scientifique désabusé, laquelle l’arrache à sa morosité pour d’oublieuses vacances dans un riant décor de printemps helvétique. L’étrange créature abandonnée (Luc Schiltz) ne l’entend pas de cette oreille. Lancée sur la trace de celui qui s’en lave les mains en déniant toute paternité, elle surgit aux champs, terrorisant son monde. Formidable idée : sur un corps normal, une tête énorme (masque d’Alexis Kinebanyan) au grand sourire éternellement figé. Imaginez quelque chose entre les frères Bogdanov et la mascotte du championnat d’Europe de football. Le parti pris d’actualisation est mené de main de maître. Ainsi illustrée, la volonté scientiste effrénée de manipulation sur le vivant décline, en sourdine, une réflexion sur les « transhumanismes » en tout genre dont les tenants se targuent d’être les docteurs Frankenstein d’aujourd’hui et de demain. Il y a, par-dessus tout, que la réalisation est constamment auréolée d’humour dans le jeu, ce qui permet de penser en s’amusant. Parole, ce n’est pas tous les jours que l’intelligence et l’esprit de finesse sont ainsi mis à contribution. On souhaite une longue vie théâtrale à ce monstre en mal d’amour, qui semble une effrayante marionnette consumériste de supermarché. Jean-Pierre Léonardini le 11 janvier 2016 Frankenstein, ne vois-tu rien venir ? Forcément, la question que se pose d’emblée le spectateur, c’est : verra-t-on le monstre de Frankenstein, et, si oui, quelle gueule aura-t-il ? Celle de Boris Karloff, avec ses agrafes et ses boulons ? ou un visage génétiquement modifié ? Une tête d’animal rebidouillée ? Le metteur en scène Laurent Gutmann annonçant d’emblée qu’il a écrit cette pièce d’après le chef d’œuvre de Mary Shelley, on s’interroge. Aura-t-on peur un peu, beaucoup, passionnément ? Pourquoi cette relecture ? Vers quoi va-telle nous emmener ? Tout commence avec Victor F., gringalet barbichu à lunettes qui a l’air très content de lui et nous fait un topo à la Steve Jobs, avec petites confidences perso, gestuelle ad hoc, et l’air de nous prendre pour des demeurés. Ce soir, mesdames et messieurs, « vous allez assister à la naissance du premier être humain conçu de manière entièrement artificiellei». Présent dans un coin, son ami aveugle Henri ne dit mot. Surgissant dans la salle, l’amoureuse du savant fou dit son scepticisme « Ton homme nouveau, on l’embarque avec nous ? On emménage à trois ? On le scolarise ? » Et le moment tant attendu arrive. On entend un cri, on ne voit rien. Victor F. nous demande de partir, « il n’y a rien a voir », que s’est-il passe de si affreux ? Apparaîtra enfin la créature, qu’on ne décrira pas ici. Disons juste qu’elle est très réussie, très troublante, à la fois belle et horrible, d’une inquiétante étrangeté, avec son sourire permanent aussi délicieux qu’atroce, entre celui de l’Homme qui rit et celui du chat d’Alice... Nous nous retrouverons ensuite dans un décor de Suisse paradisiaque, un chromo trop beau pour être vrai, la nature à l’état pur comme on la rêve bêtement. Comme dans le roman, le drame va suivre son cours, la créature solitaire s’interroger sur son identité, rencontrer son créateur, lequel lâche le morceau « Quand je travaillais à ta fabrication, je te rêvais fort, déterminé, débarrassé des peurs qui nous entravent, nous, les humains, affolés à l’idée de mourir un jour ». Mais voilà que cet imbécile d’ « homme nouveau » réclame de l’amour, une reconnaissance, un père, une filiation, un lien ! Et, cela, le savant en est incapable ; peut-on se reconnaître le père d’un machin fabriqué dans un laboratoire ? Ça finira mal, évidemment. Et bien pour nous : car, mine de rien, sur un mode ironique, facétieux, subtilement décalé, Gutmann et ses trois (bons) acteurs nous auront fait gamberger sur les manipulations aujourd’hui en cours, notamment celles que nous promettent les transhumanistes, ces allumés persuadés que l’homme ne doit pas être seulement réparé, mais augmenté, qu’il doit s’affranchir de la mort et des limites naturelles que lui impose son corps. Pour eux, les pauvres humains d’aujourd’hui, bientôt dépassés, ne sont que les «cchimpanzés du futur ». Amis chimpanzés, courez voir ce spectacle ! Jean-Luc Parquet le 13 janvier 2016 Après le saisissant Angels in America présenté en fin d’année 2015, le Théâtre de l’Aquarium ouvre aujourd’hui ses portes à une nouvelle grande réussite : une revisitation de Frankenstein signée Laurent Gutmann. Avec les comédiens Eric Petitjean, Cassandre Vittu de Kerraoul, Luc Schiltz et Serge Wolf. Tout commence comme un genre de conférence. Un homme (Eric Petitjean), présent sur le plateau avant le début de la représentation, finit par demander à un personnage aveugle, qui lui servira d’assistant, d’entrer sur scène (Henri, interprété par Serge Wolf). Puis il prend la parole pour s’adresser au public. Se présente. Dit quelques mots sur son enfance. Montre des images de sa Suisse natale, du village de Lungern, plus précisément, et de son lac, auprès duquel il a grandi. De son hamster Gérard, de son petit frère William, tous les deux disparus, le second à l’âge de douze ans. Ce décès prématuré fut pour lui la première occasion de réfléchir à ce que sont la vie et la mort, aux mystères du cosmos et de l’existence. Cet homme, c’est Victor F. Comme Victor Frankenstein. C’est le double contemporain du personnage créé au XIXe siècle par Mary Shelley (dans son roman Frankenstein ou le Prométhée moderne) qui, comme son prédécesseur, est devenu scientifique et a décidé de concevoir, ex nihilo, un être humain vivant. Un homme nouveau. Entre loufoque et horreur Une Créature (Luc Schiltz) dont la naissance s’opère devant nos yeux et ceux d’Elisabeth (Cassandre Vittu de Kerraoul), la compagne de Victor, qui ne parvient pas à empêcher l’expérience. Sur un ton badin, léger, qui puise en permanence dans le deuxième degré, le spectacle de Laurent Gutmann avance comme une fantaisie pleine d’étrangeté. Alliant grotesque et profondeur, il nous gagne immédiatement à la cause de son univers. Virtuosité des comédiens, brio de la scénographie (signée Alexandre de Dardel, le masque de la Créature est d’Alexis Kinebanyan – KFX Studio), finesse du texte et de la mise en scène : pas une fausse note ne vient contrarier cette grande réussite. Et si la drôlerie de cette réflexion sur le rejet, la solitude, l’essence de la vie, les racines de la monstruosité…, traverse l’ensemble de la représentation, une émotion diffuse, un effroi, même, travaillent en arrière plan cette matière théâtrale. Toutefois, malgré la gravité des questions qui surgissent, aucun esprit de sérieux ne pèse jamais sur Victor F. C’est le signe du talent que de chercher ainsi à interroger, à explorer les thèmes les plus profonds tout en faisant sourire. Le signe du talent et de l’intelligence. Manuel Piolat Soleymat le 21 décembre 2015 Après tout Victor Frankenstein n’était qu’un homme ! Pauvre exclamation qui risque de laisser sur leur faim les amateurs de films d’horreur et ceux qui confondent le créateur d’un monstre avec sa créature. Bizarrement, l’adaptation théâtrale du roman par Laurent GUTMANN va délibérément à contrepied de cette visée, espérant sortir du brouhaha confus de la conscience du savant une figure du monstre plus objective, plus adaptée au contexte de notre époque d’esprit hélas, mais ce n’est qu’un point de vue, plus matérialiste, en tout cas, très éloignée du romantisme gothique de Mary SHELLEY, épouse du célèbre poète Percy SHELLEY ami du scandaleux et ténébreux Byron. Mary SHELLEY a écrit FRANKENSTEIN il y a deux siècles, presque au coin du feu, racontet-elle, pour combler l’ennui de quelques soirées d’hiver entre amis lors d’un séjour en Suisse. C’est alors qu’elle eut l’idée lumineuse de coupler ses informations scientifiques avec ses propres lectures d’histoires allemandes de Visuellement, la créature du monstre est très fantômes. réussie, elle peut frapper l’imagination par son caractère avenant à la façon d’un masque de Les adaptations cinématographiques du théâtre, de grosse tête de carnaval à qui il ne roman, ont mis l’accent sur l’aspect fantastique manque qu’un fouet. du scénario. Que se passerait-il si l’homme à l’instar du créateur était capable de créer une Le décor restituant un paysage de montagne créature dérivée de lui-même ? Mary SHELLEY dans les environs de Genève est rutilant de imagine que la créature qui ne peut être qu’un couleurs, magique à souhait. C’est dans ce monstre se révolte contre son créateur qui le décor merveilleux mais glacé que Victor F, son renie parce qu’il considère avoir complètement ami aveugle, sa dulcinée et le monstre errent raté son objectif celui de créer un humain comme des pantins. La glace va-t-elle se immortel, fort et lumineux, libéré de toutes fissurer pour laisser place au procès qui appelle les vicissitudes humaines marquées par la à la barre Victor F jugé pour les meurtres de souffrance, la peur, etc. ses amis, commis par sa créaturei? Ainsi sans le savoir Mary SHELLEY soulève un lièvre, celui de l’eugénisme (prôné par les nazis) qui fait débat et questionne les manipulations génétiques actuelles et à venir des savants sur les embryons d’animaux et humains. Il appartient aux spectateurs d’en juger à la faveur de cette proposition déconcertante qui entend ouvrir le débat, en humanisant la créature de Victor F. Il est dit que Dieu créa l’homme à son image. Conclusion, les hommes ne risquent-ils pas de créer des monstres à Il est probable que les savants d’aujourd’hui leur image ?! Quel danger ! Car l’homme qui n’ont rien à voir avec la folie anxieuse du savant n’a pas encore vaincu la mort ne sait pas non Frankenstein particulièrement captivante plus se regarder dans un miroir ! dans le roman de Mary SHELLEY. L’ombre de cette folie plane tout le long du récit parce que l’auteure entend permettre à « l’imagination de Evelyne Trân cerner les passions humaines de manière plus le 11 janvier 2016 complète et plus riche qu’un enchaînement de faits réels ». Après avoir exploré le deuil du père dans la pièce Zohar, Laurent Gutmann revient avec une pièce sur le père, mais cette fois sur celui qui se défausse. Nous l’avions compté dans les dix spectacles à ne pas rater ce mois de janvier. Nous l’attendions avec impatience. Écrit par une jeune femme de 20 ans, Mary Shelley, Frankenstein a connu un immense succès d’édition. Hollywood s’en est emparé mais en s’éloignant du mythe original. Car Mary Shelley a d’abord écrit un roman fantasmatique personnel. C’est à la suite d’un de ses cauchemars qu’elle raconte cette histoire d’un Victor détruit par la disparition d’êtres chers et qui se consacrera à redonner la vie aux morts à partir de cadavres, en s’égalant au Créateur. Héritier des Lumières, le docteur Frankenstein croit en la science dans ce qu’elle est supposée pouvoir libérer l’homme de son destin tragique de mortel. aimé, à être nommé, à être écouté. Sans l’accueil de son « père », sans l’accueil d’un autre indispensable à la vie psychique, il essaiera de construire un trait d’identification commun en se rendant en Suisse, lieu d’origine de ce père fuyant. Il essayera aussi de parler à l’alter ego de son créateur, le meilleur ami aveugle. Dans une Suisse de carton pâte, kitsch et vaine comme l’est le fantasme originaire de la créature, le drame se dépliera. Sans « l’autre » et sans nom, la créature soumise à la pulsion seule sera emportée par ce qu’est la pulsion lorsqu’elle se rappelle qu’elle est aussi une pulsion de mort. Sophie Marret-Maleval, psychanalyste, a consacré un livre au mythe inventé par Mary Shelley. Elle écrit : La mise en scène et la scénographie sont au rendezvous du propos. La pièce est belle. Le spectacle est un ravissement. Éric Petitjean (Victor) tient la pièce, nous attrape et nous restitue avec tout son talent ce tour de cadran de la pensée qui va emmener son personnage de l’espoir maniaque et convaincu en la science, avenir de l’humanité jusqu’à la mélancolie de la défaite et son amère affliction auto culpabilisante. Cassandre Vittu de Kerraoul (Élisabeth) célèbre avec charme sa proposition d’une épouse falote et optimiste qui tentera d’arracher son mari au fantasme d’un monde libéré du corps périssable et de ses contingences aliénantes. Dans une scène dansée de séduction, elle est éblouissante. Serge Wolf (Henri) sera l’observateur et l’alter ego de Victor. Bien qu’aveugle il parviendra à être le complice de notre voyeurisme doucement coupable. Luc Schiltz (la créature) assure une création admirable. Dans son roman, Mary Shelley ouvre à un savoir sur l’inconscient comme épave du savoir scientifique, sur ce que celui-ci refoule : le sujet de l’inconscient, l’objet cause du désir, la castration de l’Autre, le réel. Elle montre les incidences funestes de l’exclusion du sujet. En ce sens, c’est un roman d’une grande actualité, qui saisit à l’orée de la montée en puissance du discours de la science, ses impasses à venir. Laurent Gutmann a peut-être lu Marret-Maleval. Car il rend compte de cette impossible réparation de la science et de l’impasse que constitue l’existence lorsqu’un autre humain, qui vous aura précédé, ne vient pas vous accueillir à votre naissance. La créature de Frankenstein est refusée et abandonnée à la naissance par son créateur, par celui qui venait avant. Le projet de Victor est de créer un sujet enfin désaliéné de son origine et des dettes au passé, un être nouveau libre et immortel. Mais c’est grâce à l’image de l’autre que notre moi se construit. L’unité du moi s’établit à l’aide de la pulsion qui cherche sans relâche dans l’autre la complétude, l’harmonie. Ici, Victor, le père, le créateur s’enfuit. Aucune identification n’est possible. Elle est pourtant indispensable. Gutmann, avec sa troupe a mis en scène et la monstruosité de la créature et son humanité. Son monstre que l’on ne spoliera pas ici est une réussite. Son étrangeté nous est d’autant plus que dérangeante que ce monstre est notre frère dans sa demande à être On l’aura compris. La pièce est riche par l’esprit de son texte et par le jeu des acteurs. La place du père, l’ancrage à l’origine, l’identification à l’autre, le transhumaniste, la place de la science comme croyance hégémonique sont questionnés et rien ne s’épuise tant la pièce ouvre à penser autrement. Nous avons eu raison. Victor F. est un bijou à ne pas rater en janvier 2016. David Rofé-Sarfati le 11 janvier 2016 Le retour de Frankenstein Il s’appelle Victor F., comme Frankenstein. Comme le héros de Mary Shelley, le savant qui se voulait démiurge à l’égal de Dieu. Las, la créature parfaite et immortelle qu’il entendait créer de toutes pièces se révéla monstrueuse, avec sa tête énorme et sa bouche d’homme qui rit éternellement. À peine l’avait-il achevée qu’il la renia et l’abandonna. Mais cette dernière retrouva ce « père », qui la rejeta à nouveau. Alors, interdit d’amour, la créature s’engagea sur la voie du mal. Auteur et metteur en scène de Victor F., Laurent Gutmann aborde les questions premières des manipulations génénques et du mystère de la vie qui se voudrait plus forte que la mort ; du transhumanisme en quête de l’être parfait, refusant toute différence, tout défaut, transformant l’humain en robot. Mais il le fait avec légèreté, sur fond de Suisse idyllique, avec ses champs, ses forêts et son lac. Un conte charmant pour adultes et enfants. Dider Méreuze le 16 janvier 2016 Pas évident de renouveler le thème de Frankenstein, c’est pourtant le pari du dramaturge-metteur en scène Laurent Gutmann. Il parvient plutôt joliment à actualiser la vieille et éternelle histoire de Mary Shelley, du savant démiurge face à la créature qu’il a forgée et qui n’est pas encore complètement au point… Dans une Suisse d’aujourd’hui mais de fantaisie, le scientifique Victor F. s’acharne depuis des années à inventer un homme neuf. Mais à peine jailli de son cerveau, il rejette celuici… Comment vivre avec nos monstres, comment les apprivoiser en en acceptant la paternité ? Via une scénographie inventive, la fable est vive, intelligente et remarquablement interprétée. Fabienne Pascaud le 11 janvier 2016 Une interrogation diablement actuelle L’auteur : Après une formation de comédien à l’école de Chaillot, dirigée par Antoine Vitez, et avoir parallèlement obtenu un DEA de philosophie, Laurent Gutmann, né en 1967, commence par être l’assistant de Jean-Pierre Vincent. En 1994, il crée sa propre compagnie, « Le Théâtre suranné » et réalise ses premières mises en scène, dont « Le Coup de filet » de Bertolt Brecht. En 1999, il va s’installer en région Centre. En 2002, il est lauréat du concours « Villa Médicis hors les murs » pour un projet de collaboration à Tokyo avec le metteur en scène japonais Oriza Hirata ; puis, en 2004, prend la direction du Théâtre Populaire de Lorraine. Redevenu metteur en scène indépendant en 2010, il a signé la réalisation et l’écriture de nombreux spectacles dont, en 2012, « Le Petit Poucet ou du bienfait des balades en forêt dans l’éducation des enfants » et une adaptation du « Prince » de Machiavel. Avec ce « Victor F. », Laurent Gutmann qui aime les paris audacieux et la revisitation de grands textes, a voulu transposer dans notre époque l’un des romans d’épouvante le plus marquants du XIXe siècle, « Frankenstein ». Thème : Le titre de la pièce ne l’indique pas d’emblée, mais « Victor F. », c’est Victor Frankenstein. Comme dans le roman originel de Mary Shelley, on va voir, sur scène, un savant créer ex nihilo, en dehors de toute fécondation, une créature humaine, qui faute de pouvoir se faire aimer à cause de sa difformité, va, par désespoir, se transformer en un monstrueux assassin. Mais au fond, qui est vraiment responsable de ces crimes affreux ? La créature qui tue par manque d’amour et de réelle humanité ? Ou celui qui, croyant pouvoir abolir la mort, et se plaçant de ce fait au-dessus de Dieu, a engendré cette créature ? Le roman portait cette interrogation. Elle est au centre du texte de Laurent Gutmann. Points forts : - D’abord les questions suscitées par le texte donné à entendre ici. En transposant dans notre époque cette histoire publiée en 1817, Laurent Gutmann y a vu l’occasion de proposer une fable passionnante sur quelques unes des problématiques qui secouent ce début du XXIe siècle : le rejet de la différence, les manipulations génétiques, et l’obsession du progrès « à tout prix », qui pousse certains scientifiques à fabriquer des « machines » porteuses de destruction. - L’esprit de la représentation : Pour contrebalancer la gravité des questions qu’il soulève, l’auteur a choisi de les poser sur un ton ironique, badin et décalé. Ce deuxième degré permet au spectateur d’échapper à l’effroi, et même, par moments de sourire et de rire. - La virtuosité des comédiens. Ils sont quatre. Et leur quatuor fonctionne à merveille. - La scénographie. Elle est simple, belle, efficace. Points faibles : - Paradoxalement, le ton de la représentation. Si elle permet d’échapper à la lourdeur et à la peur, la loufoquerie systématique du texte et de la mise en scène affadit à plusieurs reprises l’enjeu du questionnement, et, par ricochet, gomme l’émotion. - L’aspect de la créature. Puisque tout le monde la rejette à cause de sa monstruosité, elle devrait avoir un aspect sinon repoussant, du moins inquiétant. Le masque porté par le comédien qui l’interprète ici, suscite un malaise, mais pas vraiment de répulsion. C ‘est dommage. En deux mots : Quand le théâtre permet de revenir au contenu initial d’un roman dévoyé par les nombreuses adaptations cinématographiques qu’il a suscitées, alors, on en redemande. Surtout quand c’est fait, comme c’est le cas ici, avec brio et intelligence. Dominique Poncet le 14 janvier 2016 Il faut lâcher prise et se laisser envahir par l’étrange atmosphère qui se dégage du décor vert. Sur le plateau, Victor F., incarné par le malicieux Éric Petitjean, raconte sa jeunesse heureuse, décline sa généalogie à travers des tableaux. Si son récit captive, quelque chose de bancal affleure, cette obsession de faire revivre ces chers disparus, cette manie d’avoir conservé des échantillons de vie, feuille, animal empaillé, mèche de cheveux, intrigue. Mais Victor, brillant étudiant en biologie devenu adulte, poursuit son idée fixe : comprendre ce qui distingue la matière animée de l’inanimé, réparer, redonner la vie, concevoir un être qui ne connaîtra ni maladie, ni vieillesse, ni mort. Le jeune savant a rêvé de fabriquer un homme dont l’intelligence ne fera que s’accroître et un jour en secret il l’a fait. En 1816, Mary Shelley, 19 ans, écrit le célèbre livre de science fiction, Frankenstein. Aujourd’hui, sa fiction est presque devenue réalité, et la réalité qui prend corps, qui est en train de breveter, de régir le vivant, est en passe d’instrumentaliser l’être humain. Pour pouvoir penser ce savoirfaire, la mise en scène de Laurent Gutmann convoque la poésie, invite à se représenter ce qui échappe, cet emballement de la science, cet effacement de l’humain auquel nous assistons. Victor est un apprenti sorcier, il tâtonne, plante son nez dans les étoiles et parle à la poussière. Si la naissance virtuelle de son nouvel Adam grossièrement masquée derrière une paroi de protection semble dérisoire et prête à sourire, son cheminement, souvent plongé dans le noir – à l’instar de sa plongée dans l’inconnu – permet de faire flamber l’imaginaire du spectateur. La force du spectacle c’est ce boitillement entre expérimentation hasardeuse et maitrise, c’est ce balbutiement entre tragique et loufoque, cette alternance entre une nature enchanteresse et les débuts du surhomme. Alors que Victor fuit sa folle création et que sa fiancée, plus sensuelle, plus exubérante et amoureuse que jamais, lui fait entrevoir une toute nouvelle vie, l’homme nouveau, le jouet qu’il a engendré le rattrape et l’épouvante. Et ce qui de prime abord était apparu enfantin, presqu’attendrissant devient, par son insistance, peu à peu effrayant. Car le personnage, mélange de chair et de plastique, avec ses yeux immobiles, son sourire figé et sa tête démesurée, marche, pense et revendique d’être reconnu. Mais à chacune de ses apparitions, la peur qu’il suscite ressurgit démultipliée. Et très vite, l’être hybride qui exigeait d’être semblable, qui voulait une famille, un cadre social, se désorganise, apprend du rejet, devient mauvais, violent, sans pitié. Ici l’espérance du devenir de l’homme transformé en immortel se heurte à l’inquiétude de l’homme fragilisé, qui craint d’être dénaturé, qui ne sait pas intégrer les innovations qu’il a imaginé, qui se voit envahi, traqué, diminué, renversé, anéanti par ses propres avancées scientifiques. Ainsi, fabriquée et repoussée du genre humain, la créature dont on se détourne, qui n’a pas d’identité, devient l’innommable, le monstre, le barbare. L’homme augmenté des fantasmes de son créateur, intégrant la violence de l’exclusion, passe à l’acte, pour poser les bases d’une autre société. Et c’est désormais dans ce monde sans limite, ni altérité, que celui qu’on juge dans une cage de verre, qui plaide sa responsabilité et s’accuse d’être le cerveau du tueur, se voit forcé de pactiser avec son prédateur. Des acteurs savoureux, une scénographie surprenante, un curieux spectacle qui ouvre un large spectre de réflexions sur les avancées de notre civilisation et son ensauvagement, sur les bienfaits des progrès de la science et la défiance à l’égard du projet transhumaniste. Anna Grahm le 10 janvier 2016 Monstre de Frankenstein cherche père désespérément Laurent Gutmann revisite le mythe du “Prométhée moderne” popularisé par Mary Shelley et en profite pour explorer la relation quasi filiale entre Victor Frankenstein et sa monstrueuse créature. En ressort une comédie grinçante qui parvient à nous faire rire et à faire du “monstre” un être humain, trop humain. Tout le monde connaît le mythe de Frankenstein, mais qui connaît vraiment l’histoire de celui qui l’a conçu, l’homme derrière le “monstre” ? Contrairement à la multitude de films sur ce thème, le sujet cette fois-ci n’est pas la créature mais son créateur, le “Victor F.” qui donne son titre à la pièce. Thème pas si original que cela puisqu’il est à l’origine d’un film avec l’ancien acteur de Harry Potter, Daniel Radcliffe, et apparaît aussi dans la kitschissime série télévisée Penny Dreadful, avec Eva Green. De l’œuvre de Mary Shelley, l’Anglaise de 20 ans qui l’écrivit, il reste bien peu dans cette adaptation, à part peut-être la référence à la Suisse, pays d’origine de Victor Frankenstein. Au début, on craignait le pire : un comédien seul en scène, Victor F., qui décrit son histoire, d’une voix désincarnée, Frankenstein façon stand-up, devant son meilleur ami aveugle. La mort du petit frère de Victor F. – centrale dans la construction du personnage puisqu’elle explique son désir insatiable de redonner la vie à ce qui n’est plus – est expédiée en une phrase, sous les rires du public, comme s’il s’agissait d’un détail, d’une mauvaise blague. Alors que Victor F. présente son projet de “recréer la vie humaine artificiellement”, sa fiancée débarque, elle “qui l’attendait en Suisse, comme une cruche” en attendant qu’il finisse sa thèse à Paris. Comme une piqûre de rappel à la réalité alors que Frankenstein s’apprête à lancer son incroyable projet. Quand la créature prend vie, Victor F. préfère prendre la fuite et se réfugier en Suisse. On change alors de cadre. L’essentiel de la pièce a pour décor une vallée, reproduction à l’identique d’un tableau représentant le cadre de l’enfance de Victor F., seule vraie référence à l’œuvre de Mary Shelley. Terreur d’être père Loin du blockbuster hollywoodien, du conte macabre abondamment traité, revisité, réchauffé, Laurent Gutmann parvient à faire du mythe une comédie, et rend sa créature humaine. Le monstre de Frankenstein devient une métaphore de l’humanité tout entière : seule au monde, cherchant désespérément un but, prête à tout pour être aimée et acceptée, tout à la fois victime et meurtrière. Ici, la “créature” de Frankenstein n’est pas une bestiole couverte de sutures. Son aspect monstrueux est matérialisé par une énorme tête au sourire figé posée sur un corps aux proportions ordinaires. Le projet quasifasciste de Frankenstein, celui de créer un “homme nouveau”, est forcément condamné à l’échec. Victor F. aurait voulu un homme qui naisse “sans peur”, sans avoir eu à connaître les douleurs de l’enfance et de l’adolescence. Mais parce qu’elle n’a pas fait ce douloureux mais nécessaire apprentissage de la vie, sa créature est condamnée à errer sans but, sans connaître autre chose que la peur et le rejet. Thème sous-jacent qui parcourt toute la pièce, Victor F. est aussi l’incarnation d’un autre mal : la terreur devant la paternité. Coincé entre la créature qu’il a tant bien que mal “enfantée” et sa fiancée de toujours qui lui réclame une vie de famille plus classique, Victor F. n’a pas plus de désir pour l’une que pour l’autre. La pièce se conclut de façon ironique, sur un épilogue doux-amer : Victor F. est contraint de cohabiter tant bien que mal avec son “fils”, ce dernier tout heureux d’être enfin réunis avec son père. Père et fils se retrouvent enfin, même si c’est sur le banc des accusés, pour le meilleur et pour le pire. rhinoceros.eu janvier 2016 Victor F. comme Frankenstein ? Nous sommes en 2016. La décapante adaptation contemporaine de Laurent Gutmann évacue toute la noirceur gothique du roman classique du début du XIXe siècle. Si la réflexion sur l’immortalité du corps est évoquée en début de pièce en lien avec notre modernité technique et scientifique, toute métaphysique et magie est abandonnée au profit d’un matérialisme déconcertant, reflet de notre époque. La complexité des personnages et des enjeux ont disparu. La fable devient une histoire linéaire qui abandonne tout cauchemar tragique au profit d’une structure narrative digne d’un feuilleton sentimental. Le point de vue finit progressivement par transformer Victor F. en comédie avec des scènes d’une drôlerie parfois digne d’un Woody Allen. Remarquable Cassandre Vittu de Kerraoul qui interprète une Elizabeth castratrice amoureuse du docteur. Digne et poétique Serge Wolf dans un Henri aveugle qui fait avancer l’action en échangeant avec Victor. La scénographie d’Alexandre de Dardel présente un plateau valorisant une forme popkitch. La suisse refuge du docteur a des airs de paysage Milka, et la masque très réussi de la créature de Frankenstein rappelle les créations contemporaines hyperréalistes d’un Ron Mueck, les sculptures carnavalesques d’un Jeff Koons. Un univers cohérent avec une vision qui accentue un côté parodique du Frankenstein du Mary Shelley. Laurent Gutmann s’amuse avec le mythe. Sa version, farce contemporaine, est un miroir d’une époque cynique qui ne prend pas assez le temps de réfléchir, une déontologie qui structure des codes moraux sans même penser à l’action et ses conséquences à long terme. L’ensemble finit justement dans la judiciarisation comme dernier secours à la non-pensée. Victor F., Prométhée moderne ? Sébastien Mounier le 23 janvier 2016 La première œuvre de l’année 2016 proposé par le Théâtre de l’Aquarium donne le ton. Présentée jusqu’au 24 janvier prochain, la pièce Victor F., mise en scène par Laurent Gutmann d’après le roman « Frankenstein » de Mary Shelley, est un petit bijou de modernité. Preuve que ce haut lieu de la Cartoucherie n’a rien perdu de sa superbe après une année difficile. Si Laurent Gutmann a souhaité transposer l’œuvre de Mary Shelley à la lumière accrue et acerbe du 21e siècle, c’est pour mieux nous démontrer, de par le prisme de la monstruosité et de la différence, les nombreuses failles sociétales qui subsistent à travers notre ère technologique. Cela saute d’ailleurs facilement aux yeux. Accoutré de la même manière que feu le dirigeant d’Apple, le comédien Éric Petitjean commence la pièce par une présentation digne du génie de la pomme. Smartphone dans une main, petite télécommande dans l’autre, il s’adresse au public qu’il considère comme un parterre de journalistes et présente son projet – son bébé comme il l’appelle -, tel que le ferait Steve Jobs. Impossible alors de ne pas faire le lien entre le projet diabolique du scientifique un peu fou et les révolutions technologiques qui ont couronné et animé le fondateur d’Apple, jusqu’à la fin de sa vie. Cette course à la technologie, à l’invention, au « toujours plus, toujours mieux » qui finira pourtant par gâcher la vie de ce père scientifique, n’estelle finalement pas en train de grignoter morceau après morceau, miettes après miettes la nôtre ? Cette course folle ne sonnerait-elle pas la fin de notre intégrité physique et de nos interactions sociales ? La question se pose à travers cette retranscription scénique contemporaine et entreprenante d’une œuvre pourtant écrite en 1818. Quel rapport l’homme entretient-il avec ses inventions aujourd’hui ? L’inventeur est-il un père fondateur ou au contraire un monstre visionnaire qui devrait « rester à sa place » ? Il semblerait que la jeune Mary Shelley avait un train d’avance sur son temps puisque ce sont aujourd’hui des débats qui agitent bien souvent le monde scientifique et technologique. Si la première partie est un chouilla longue à se mettre en place – il est vrai que l’on guette sans cesse l’arrivée du monstre -, la fuite en avant de Victor donne un bon coup de fouet à l’énergie scénique. Oublié le vert criard, place au vert paradisiaque et au décor de carte postale. La pièce trouve enfin son public, le monstre se dévoile pour notre plus grand plaisir sadique et la délicieuse Elisabeth interprété par Cassandre Vittu de Kerraoul anime avec humour et frivolité un Victor légèrement déprimé. De là, les péripéties s’enchaînent et la pièce revêt des allures de cartoon sympathique. On rigole, on s’émeut et surtout on acquiesce d’un léger mouvement de tête la plupart des raisonnements intérieurs de la créature au visage disproportionné. C’est plutôt bien vu ! Quant à la dernière partie, elle ne perd rien de son mordant. Le dernier acte sous forme de « jugement dernier » est une esquisse connue dans le théâtre classique. Ici, revisité à la sauce actuelle, elle prend tout son sens didactique et pédagogique. Le point important à souligner chez Victor F. reste la scénographie audacieuse et résolument moderne qui apporte à la pièce une dimension grandiose. Durant 90 minutes, c’est un vrai spectacle qui se joue sous nos yeux. Nos pupilles s’émerveillent face à l’impressionnant dispositif scénique qui permet à la fois de se trouver tantôt dans les étoiles et tantôt dans les montagnes verdoyantes du Lac Léman en Suisse. À travers ces choix, Laurent Gutmann a réussi à transposer la sensibilité et la douceur qui se dégageait du roman de Mary Shelley pourtant souvent considéré comme un roman de « fiction » un tantinet gore. Pour ce très beau tour de force, on dit bravo ! Morgane Mallet le 13 janvier 2016 Frankenstein revisité Le metteur en scène Laurent Gutmann signe avec « Victor F. » une adaptation du mythe de Frankenstein, tirée de l’œuvre de Mary Shelley, des plus libres, où le rire est roi. Victor F., version contemporaine du docteur Frankenstein, en jean et sous-pull, assis au milieu de la scène, attend que le public prenne enfin place (il regarde sa montre, un brin impatient), pour lui dresser un vague topo biographique. Allant chercher quelques tableaux bien kitsch, il nous présente sa Suisse natale – un paysage verdoyant au bord d’un lac qui servira par la suite de fond de scène –, son hamster qui a fini empaillé et son frère William, mort à l’âge de 12 ans. Une disparition qui l’amènera à vouloir créer un être immortel, bravant le biblique « Tu es né poussière, tu retourneras poussière ». Et de nous raconter qu’il a quitté son pays pour suivre de brillantes études à l’étranger et qu’il est resté enfermé dans son labo pendant sept ans, ne voyant que son voisin et ami, aveugle, Henri. Quand le grand jour arrive et qu’il est enfin prêt à engendrer la créature, voilà que débarque de Suisse sa fiancée Élisabeth qui tente de l’en dissuader. Il est temps qu’il revienne au bercail, alors que ça fait des plombes qu’elle l’attend et puis, que vont-ils faire de la chose ? Le burlesque est planté, l’histoire peut continuer. Victor passe à l’acte et, en découvrant son monstre, se taille dare-dare vers la Suisse. La créature n’est pas composée de bouts de cadavres comme dans le film d’horreur de James Whale de 1931 mais est affublée d’une grosse tête au sourire figé. Comme dans le récit initial, le monstre va poursuivre son créateur et faire des dégâts. Les grandes questions que soulève l’histoire de Frankenstein, inventée par Mary Shelley au début du XIXe siècle sont belles et bien présentes, car toujours d’actualité : la manipulation du vivant, le rejet de l’étrange, l’esquive des responsabilités… Mais elles sont traitées ici par le biais de l’humour. La scène finale, où Victor F. (incarné avec brio par Éric Petitjean) comparait devant un tribunal pour le meurtre de son meilleur ami et de sa compagne, perpétré par sa créature, est assez hilarante, quand il lâche, effondré : « J’ai fait une connerie… ». En attendant, malgré les rires, les interrogations perdurent sur ceux qui, voulant sauver l’humanité, la mènent à sa perte… Amélie Meffre le 9 janvier 2016 Inspiré par le roman Frankenstein, Laurent Gutmann (texte et mise en scène) renouvelle à sa façon le mythe de la célèbre créature née de l’imagination de Mary Shelley (1797-1851), offrant au Théâtre de l’Aquarium un spectacle étrange, poétique et fort original. Qui ne connaît pas le célèbre monstre né de la littérature anglaise du XIXe siècle orientée vers les délices gothiques du romantisme et du fantastique ? Popularisée par les images expressionnistes et sombres du film de 1931 signé James Whale sous les traits de l’inquiétant Boris Karloff, la créature kitch des bas-fonds de la science monstrueuse et des pulsions improbables se profile par excellence « théâtrale ». Visiblement, le mythe inspire l’espace scénique, et l’on signalera actuellement une excellente pièce inspirée d’un récit de Thierry Debroux, mettant à l’honneur l’univers de Frankenstein [Mademoiselle Frankenstein, mis en scène par Frédéric Gray et Géraldine Clément, A La Folie Théâtre jusqu’au 4 février 2016]. Avec Victor F., Laurent Gutmann nous propose une sorte de conte philosophique charmant et cruel questionnant le rapport mystérieux qui lie le scientifique illuminé à sa créature. Également, le spectacle aborde sur le mode allusif des débats contemporains sur la manipulation du vivant et les risques de dérapage des idées transhumanistes. Plantant son « savant » atypique (Victor F.) dans le décor bucolique d’une Suisse de carte postale, le metteur en scène sur le mode de l’émotion voilée et de l’humour décalé oscille constamment côté climat entre sérieux et grotesque dans cette histoire de fou furieux presque raisonnable ayant réalisé son rêve (ou plutôt cauchemar !) de concevoir artificiellement un homme nouveau. Le jeu des comédiens se révèle efficace. Les déambulations presque nonchalantes de Victor F. nous sont contées à travers son entourage immédiat : un ami-assistant (Henri), aveugle débonnaire, philosophe et un peu collant ; une femme (Elisabeth) avec qui le savant noue des rapports passionnément compliqués… La créature nous apparaît sur scène avec un drôle de masque issu du KFX Studio. L’échec de la relation entre cette dernière et son démiurge nous est suggéré par l’expression de la frustration de la créature, reprochant à Victor F. son manque d’amour et son refus de lui donner un nom. La manipulation du vivant et le refus symbolique de la paternité par Victor F. servent de thématique forte à la pièce. Au final, un spectacle surprenant à la drôlerie déconcertante avec un fort accent de poésie ! Thierry de Fages le 11 janvier 2016 Laurent Gutman ressuscite le Frankenstein de Mary Shelley dans une adaptation qui pose les questions existentielles et obsessionnelles de la vie et de la mort. Victor F., une pièce de théâtre qui dérange les esprits les plus obtus et séduit ouvertement un public avide de découverte artistique. Lequel a manifesté son engouement par des applaudissements nourris à l’issue de la générale de presse. La scène mue en un laboratoire d’expérimentation scientifique dont l’occupant, Victor F., s’affaire à créer un être généré dans un mode out-ovulation. L’objectif du chercheur, réinventer la vie. La prétention du sujet pourrait laisser perplexe les plus sceptiques, mais la mise en scène de Laurent Gutman incite les esprits curieux à se laisser emporter dans cette déambulation métaphysique. La vie et la mort, l’équation des extrêmes se pose à l’endroit et à l’envers, le résultat libère une inconnue déclinée à l’infini. Réinventer la vie, une réflexion sur la fuite en avant de l’homme en quête de lui-même ou d’un autre. Le débat ne relève pas des contemporains, il date de l’esprit scientifique des mathématiciens et des philosophes helléniques, Euxode, Ptolémée, Aristote... Les fondements de l’humanité, qu’en restera-til si Victor F. arrive à ses fins ? Soutenu par son meilleur ami et déficient visuel, Henri, il tente de prouver que ses travaux ne sont pas dénués d’intérêts et que le monde est à portée d’étoiles. Quarante-deux secondes, le compte-à-rebours est déclenché, quarante, trente, vingt, dix... pour découvrir l’homme qui va bouleverser l’humanité. Victor F. prend la décision immédiate de retourner dans la région de son enfance en Suisse, Henri le suit. Pourquoi un tel revirement ? La création de l’homme nouveau, un échec ou un leurre ? En Suisse, une amie invite Victor à se ranger après avoir passé le concours de professeur de collège. Le décor des alpages et de la campagne helvète sont un retour aux sources pures et indispensables pour évacuer des années de travaux laborieux menés sans répit. La création de l’homme nouveau, le fruit d’une imagination nourrie par un malaise identitaire ou la preuve sur pied de longues années de travaux scientifiques. Victor F., qui est-il ? Existe-t-il vraiment ? L’adaptation et la mise en scène de Laurent Gutman, la synthèse d’une écriture fictionnelle, accidentelle et témoin d’une intrigue humaine qui soulève autant de points d’interrogation que de points de suspension. L’ensemble s’avère juste et mené selon une dynamique artistique cohérente. Le jeu respectif des comédiens s’accorde à un fil d’Ariane accroché à deux opus existentiels, que sont la vie et la mort. Il est à noter la diction des interprètes qui s’avère exigeante et intelligible, ce qui permet l’accessibilité de Victor F. aux déficients auditifs. Victor F., une fiction théâtrale qui s’apprécie avec un plaisir curieux et un intérêt prononcé. Philippe Delhumeau le 8 janvier 2016 Monstre si humain Victor F. est une adaptation de « Frankenstein » par Laurent Gutmann. Dans un décor concret (table basse, verre, téléphone…) mais n’illustrant aucune situation particulière, surgissent deux personnages, l’inventeur et son ami. Une complicité humoristique est rapidement créée avec le public grâce à un texte qui insiste régulièrement sur des détails complètement futiles. Dans le même temps, quelques questions essentielles sont posées: qu’est-ce que la vie ou le mal, pourquoi se contenter de réparer les corps si on peut en créer qui soient de qualité supérieure à ceux que la nature fait ? Les références évangéliques – « tu es poussière et tu retourneras poussière » – sont présentes, même si c’est pour en tirer une conclusion inattendue (« alors, cette terre, avant, c’était quelqu’un »). La symbolique des chiffres n’est pas oubliée : c’est pendant « sept ans » que le créateur Frankenstein a travaillé avant d’arriver à l’étape ultime. Ici encore, le ton reste léger et amusant. La naissance du fils constitue la charnière du spectacle. Car ce monstre est sans cesse repoussé du fait de son apparence physique. Il voudrait aimer, mais personne ne veut de lui, ni son « père » ni la jeune fille qu’il admire. Il y a accessoirement une très bonne observation de la psychologie féminine au moment des retrouvailles entre le créateur Victor et sa femme ; la légèreté reste présente dans cette partie-là du spectacle aussi. Bref, on tient là un bon divertissement, au surplus intelligent ! Pierre François le 8 janvier 2016 Un homme nouveau inquiétant Lorsque ce roman est publié en 1818 avec la mention Prométhée moderne, son auteure anglaise est alors âgée de vingt-et-un ans (1797-1851). Il connaît un succès immédiat qui ne se démentira pas au fil des années, et fera l’objet de nombreuses adaptations pour le cinéma, le théâtre, le music–hall ou la bande dessinée. Aujourd’hui, Laurent Gutmann porte à la scène l’histoire du docteur Victor Frankenstein, avec une libre adaptation conservant l’aspect narratif de l’œuvre, dans une transposition moderne. Chercheur en biologie, Victor a réussi à mettre au point un procédé scientifique permettant la création d’une créature humaine. À partir de l’évocation de ses souvenirs familiaux et des deuils de son enfance qui ont forgé sa personnalité et son besoin de « franchir les limites entre la vie et la mort », il évoque le cheminement de ses travaux, ponctué de ses relations et échanges avec un ami voisin aveugle et philosophe, Henri, et avec sa compagne, Elizabeth, frustrée par ses absences, qui le suivent sur sa terre natale en Suisse où ils assistent à l’apparition à l’âge adulte de cet homme nouveau, qui se révèle monstrueux et cherche en vain à établir une relation avec son créateur qui le rejette. Devenu criminel, sans états d’âme, il sera soumis à un procès, qui laisse ouvertes les interrogations philosophiques et métaphysiques soulevées par cette singulière expérience génétique. Au regard d’une prétention à vouloir libérer l’humanité de ses angoisses de la mort, qui au contraire peut se retourner contre elle et marquer sa fin telle qu’elle existe aujourd’hui, face à la capacité scientifique potentielle à engendrer des monstres. Un débat contemporain, puisque sont annoncées les perspectives d’un homme immortel, programmé aujourd’hui dans le cadre des recherches de la fondation SNES au cœur de la Sillicon Valley. Dans le décor transformable de Alexandre de Dardel, qui introduit une imagerie en situation (ciel étoilé intersidéral, paysage montagneux…), la représentation bien rythmée oscille en permanence entre la fantaisie et l’étrangeté, en s’appuyant sur un texte ciselé dont la drôlerie ne gomme pas la nature des propos. Eric Petitjean prête à Victor F., un comportement distancié, d’un rationalisme conforme à une culture scientifique, Serge Wolf, Henri, excellent dans son rôle d’aveugle se transforme en avocat un peu moins convaincant lors du procès et Cassandre Vittu de Kerraoul, fiancée délaissée (puis juge) alterne les accents véhéments ou tendres d’une femme qui aspire au bonheur immédiat sans contrainte. Parmi eux, la présence de « La créature », nouvel Adam en costume noir, s’exprime surtout par la tête surdimensionnée au sourire niais figé et inquiétant, réalisée par Alexis Kinebanyan et portée par Luc Schiltz dont les attitudes et la gestuelle ouvre parfois sur la compassion. Une représentation en forme de conte contemporain, qui se situe avec légèreté entre réalisme et fantastique, pour ouvrir débats et réflexions. Jean Chollet le 10 janvier 2016 Monstre si humain « Victor F. » est une adaptation de « Frankenstein » par Laurent Gutmann. Dans un décor concret (table basse, verre, téléphone…) mais n’illustrant aucune situation particulière, surgissent deux personnages, l’inventeur et son ami. Une complicité humoristique est rapidement créée avec le public grâce à un texte qui insiste régulièrement sur des détails complètement futiles. Dans le même temps, quelques questions essentielles sont posées: qu’est-ce que la vie ou le mal, pourquoi se contenter de réparer les corps si on peut en créer qui soient de qualité supérieure à ceux que la nature fait ? Les références évangéliques – « tu es poussière et tu retourneras poussière » – sont présentes, même si c’est pour en tirer une conclusion inattendue (« alors, cette terre, avant, c’était quelqu’un »). La symbolique des chiffres n’est pas oubliée : c’est pendant « sept ans » que le créateur Frankenstein a travaillé avant d’arriver à l’étape ultime. Ici encore, le ton reste léger et amusant. La naissance du fils constitue la charnière du spectacle. Car ce monstre est sans cesse repoussé du fait de son apparence physique. Il voudrait aimer, mais personne ne veut de lui, ni son « père » ni la jeune fille qu’il admire. Il y a accessoirement une très bonne observation de la psychologie féminine au moment des retrouvailles entre le créateur Victor et sa femme ; la légèreté reste présente dans cette partie-là du spectacle aussi. Bref, on tient là un bon divertissement, au surplus intelligent ! Pierre François décembre 2015 La responsabilité du créateur Laurent Gutmann créé une version moderne du mythe de Frankenstein dans laquelle on retrouve la question du transhumanisme mais aussi celle de la responsabilité du créateur. Théâtral magazine : Victor F, est­ce une adaptation Comment expliquez-vous alors ce rejet ? théâtrale du roman de Mary Shelley ? Il ne se reconnaît pas dedans et il n'avait pas du Laurent Gutmann : Non. Le livre a servi seulement tout anticipé qu'elle lui demande des comptes. Or de point de départ au spectacle, même s'il en est tout geste créateur induit une responsa­bilité. Et là, très imprégné. Cela fait longtemps que je tourne elle est particulièrement grande puisqu'il a créé autour de la question du monstre et de la laideur et un homme. de cette possibilité offerte par notre époque de se refaçonner un corps. Le mythe du Golem, un être Pourtant lors de son procès, il plaide coupable. fabriqué de toutes pièces qui se retourne contre son créateur, a traversé beaucoup de spectacles Oui mais il déplace le problème en disant: « je suis que j'ai montés. Et j'ai trouvé dans Frankenstein, coupable parce que je me suis mis à la place de qui a été écrit par une jeune fille de 18 ans en 1818, Dieu, j’ai voulu donner la vie à la matière inerte une synthèse de questions qui me préoccupaient. alors que c’est une prérogative divine. » Tout ce Mais j'ai dé­barrassé le spectacle de l'univers go­ discours empreint de religiosité n’apparaît pas du thiquedu roman qui ne m'intéressait pas tout avant la naissance de la créature. Frankenstein particulièrement. n'est pas du tout quelqu'un qui vibrait dans la foi. Mais il s'est fabriqué un discours a posteriori pour Qu'est-ce que raconte votre version ? se dégager d'une res­ponsabilité par rapport à cet être auquel il a donné la vie. Ce qui était totalement farfelu à l'époque du roman, comme le fait de donner la vie à de la Est-ce que pour autant, on doit re­douter le matière inerte, est aujourd'hui envisageable. progrès ? Donc le docteur Frankenstein, qui se vit comme un artiste avec un besoin manifeste d'affirmation Ça peut faire peur de se dire qu'un jour l'intelligence de soi, convoque tout un public pour réali­ser artificielle va sup­planter l'esprit humain. Mais je une performance à partir de la poussière. C'est pense que le mouvement est lancé. On porte depuis le côté spectacle­ performance qui l'emporte. longtemps des lu­nettes, des verres de contact, des La vraie difficulté aujourd'hui, c'est la tête qu'on prothèses, des pacemakers et on en est au cœur donne au monstre. Si au XXIe siècle, on veut jouer artificiel. On serait déjà mort 10 fois s'il n'y avait au docteur Frankenstein, c'est pour fabriquer un pas le pro­grès. être supérieur à nous, donc un être plus résistant, pourquoi pas im­mortel et tant qu'à faire plus beau et souriant. Mais si la créature est belle, il faut Propos recueillis par Hélène Chevrier trouver une raison pour que son créateur la rejette. Théâtral magazine n°57 / Janvier - Février 2016