revue de presse - Théâtre de l`aquarium

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REVUE DE PRESSE //////////////
VICTOR F. de Laurent Gutmann
5 > 24 janvier 2016
Tél. 01 43 74 99 61
theatredelaquarium.com
PEGGY
PICKIT
VOITdimanche
LA FACE DE 24
DIEUjanvier 2016
mardi
5>
DANS LES VEINES RALENTIES
de Roland Schimmelpfennig
d’après Cris et chuchotements
d’Ingmar Bergman
d’Elsa Granat
diptyque > deux spectacles à voir ensemble outexte
séparément
Victor F.
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mise en scène Aurélie de
VanLaurent
Den DaeleGutmann
d’après Frankenstein de Mary Shelley
texte et mise en scène Laurent Gutmann
scénographie Alexandre de Dardel, lumière Yann Loric, son Estelle Gotteland, costumes
Axel Aust, maquillages, perruques Catherine Saint-Sever, collaboration artistique Aurélien
Desclozeaux, masque Alexis Kinebanyan – KFX Studio
avec Éric Petitjean, Cassandre Vittu de Kerraoul, Luc Schiltz et Serge Wolf
photographie Pierre Grosbois
ce qu’en dit la presse en quelques mots !
Le parti pris d’actualisation est mené de main de maître. (...) la réalisation
est constamment auréolée d’humour dans le jeu, ce qui permet de penser
en s’amusant. Parole, ce n’est pas tous les jours que l’intelligence et
l’esprit de finesse sont ainsi mis à contribution. On souhaite une longue
vie théâtrale à ce monstre en mal d’amour, qui semble une effrayante
marionnette consumériste de supermarché.
Jean-Pierre Léonardini
Alliant grotesque et profondeur, le spectacle de Laurent Gutmann
nous gagne immédiatement à la cause de son univers. Virtuosité des
comédiens, brio de la scénographie, finesse du texte et de la mise en
scène : pas une fausse note ne vient contrarier cette grande réussite.
Manuel Piolat Soleymat
La mise en scène et la scénographie sont au rendez-vous du propos. La
pièce est belle. Le spectacle est un ravissement.
David Rofé-Sarfati
La force du spectacle c’est ce boitillement entre expérimentation
hasardeuse et maîtrise, c’est ce balbutiement entre tragique et loufoque,
cette alternance entre une nature enchanteresse et les débuts du
surhomme.
Anna Grahm
La représentation bien rythmée oscille en permanence entre la fantaisie
et l’étrangeté, en s’appuyant sur un texte ciselé dont la drôlerie ne
gomme pas la nature des propos.
Jean Chollet
Le retour du Dr Frankenstein
En 1816, en Suisse, pour tromper son désœuvrement, Mary Shelley (20 ans), jeune
femme britannique aux cheveux sagement coiffés en bandeaux, compose Frankenstein
ou le Prométhée moderne, un conte voué à une longue postérité cinématographique.
La créature monstre qu’elle invente, campée à l’écran par Boris Karloff, ne porte pas
encore ce nom illustre, gage d’effroi, car Frankenstein n’est que le patronyme du savant
démiurge qui la crée de toutes pièces.
Avec Mary Shelley, pas de boulons ni d’électrodes chez l’espèce de robot humanoïde qui
finit par tout casser par manque d’amour. Idem pour Laurent Gutmann qui, d’après le
roman, a écrit et mis en scène Victor F. Il y remet hardiment le mythe populaire au goût
du jour. La scène est contemporaine, dans une scénographie sobre et claire d’Alexandre
de Dardel. Victor F. (Éric Petijean), assis, l’air mi-figue mi-raisin, attend le public, avant
de confier à Henri, son ami aveugle (Serge Wolf), ses doutes raisonnes sur la viabilité de
son expérience folle. Apparition d’une autre figure, celle de la fiancée (Cassandre Vittu de
Kerraoul) du scientifique désabusé, laquelle l’arrache à sa morosité pour d’oublieuses
vacances dans un riant décor de printemps helvétique. L’étrange créature abandonnée
(Luc Schiltz) ne l’entend pas de cette oreille. Lancée sur la trace de celui qui s’en lave les
mains en déniant toute paternité, elle surgit aux champs, terrorisant son monde.
Formidable idée : sur un corps normal, une tête énorme (masque d’Alexis Kinebanyan) au
grand sourire éternellement figé. Imaginez quelque chose entre les frères Bogdanov et
la mascotte du championnat d’Europe de football. Le parti pris d’actualisation est mené
de main de maître. Ainsi illustrée, la volonté scientiste effrénée de manipulation sur le
vivant décline, en sourdine, une réflexion sur les « transhumanismes » en tout genre dont
les tenants se targuent d’être les docteurs Frankenstein d’aujourd’hui et de demain.
Il y a, par-dessus tout, que la réalisation est constamment auréolée d’humour dans le jeu,
ce qui permet de penser en s’amusant. Parole, ce n’est pas tous les jours que l’intelligence
et l’esprit de finesse sont ainsi mis à contribution. On souhaite une longue vie théâtrale
à ce monstre en mal d’amour, qui semble une effrayante marionnette consumériste de
supermarché.
Jean-Pierre Léonardini
le 11 janvier 2016
Frankenstein, ne vois-tu rien venir ?
Forcément, la question que se pose
d’emblée le spectateur, c’est : verra-t-on le
monstre de Frankenstein, et, si oui, quelle
gueule aura-t-il ? Celle de Boris Karloff,
avec ses agrafes et ses boulons ? ou un
visage génétiquement modifié ? Une tête
d’animal rebidouillée ? Le metteur en scène
Laurent Gutmann annonçant d’emblée qu’il
a écrit cette pièce d’après le chef d’œuvre
de Mary Shelley, on s’interroge. Aura-t-on
peur un peu, beaucoup, passionnément ?
Pourquoi cette relecture ? Vers quoi va-telle nous emmener ?
Tout commence avec Victor F., gringalet
barbichu à lunettes qui a l’air très content de
lui et nous fait un topo à la Steve Jobs, avec
petites confidences perso, gestuelle ad hoc,
et l’air de nous prendre pour des demeurés.
Ce soir, mesdames et messieurs, « vous
allez assister à la naissance du premier
être humain conçu de manière entièrement
artificiellei». Présent dans un coin, son ami
aveugle Henri ne dit mot. Surgissant dans
la salle, l’amoureuse du savant fou dit son
scepticisme « Ton homme nouveau, on
l’embarque avec nous ? On emménage à
trois ? On le scolarise ? »
Et le moment tant attendu arrive. On entend
un cri, on ne voit rien. Victor F. nous demande
de partir, « il n’y a rien a voir », que s’est-il
passe de si affreux ?
Apparaîtra enfin la créature, qu’on ne décrira
pas ici. Disons juste qu’elle est très réussie,
très troublante, à la fois belle et horrible,
d’une inquiétante étrangeté, avec son sourire
permanent aussi délicieux qu’atroce, entre
celui de l’Homme qui rit et celui du chat
d’Alice... Nous nous retrouverons ensuite
dans un décor de Suisse paradisiaque, un
chromo trop beau pour être vrai, la nature
à l’état pur comme on la rêve bêtement.
Comme dans le roman, le drame va suivre
son cours, la créature solitaire s’interroger
sur son identité, rencontrer son créateur,
lequel lâche le morceau « Quand je travaillais
à ta fabrication, je te rêvais fort, déterminé,
débarrassé des peurs qui nous entravent,
nous, les humains, affolés à l’idée de mourir
un jour ». Mais voilà que cet imbécile d’ «
homme nouveau » réclame de l’amour, une
reconnaissance, un père, une filiation, un
lien ! Et, cela, le savant en est incapable ;
peut-on se reconnaître le père d’un machin
fabriqué dans un laboratoire ?
Ça finira mal, évidemment. Et bien pour
nous : car, mine de rien, sur un mode
ironique, facétieux, subtilement décalé,
Gutmann et ses trois (bons) acteurs nous
auront fait gamberger sur les manipulations
aujourd’hui en cours, notamment celles
que nous promettent les transhumanistes,
ces allumés persuadés que l’homme ne
doit pas être seulement réparé, mais
augmenté, qu’il doit s’affranchir de la mort
et des limites naturelles que lui impose
son corps. Pour eux, les pauvres humains
d’aujourd’hui, bientôt dépassés, ne sont
que les «cchimpanzés du futur ». Amis
chimpanzés, courez voir ce spectacle !
Jean-Luc Parquet
le 13 janvier 2016
Après le saisissant Angels in America présenté en fin d’année
2015, le Théâtre de l’Aquarium ouvre aujourd’hui ses portes à
une nouvelle grande réussite : une revisitation de Frankenstein
signée Laurent Gutmann. Avec les comédiens Eric Petitjean,
Cassandre Vittu de Kerraoul, Luc Schiltz et Serge Wolf.
Tout commence comme un genre de conférence. Un homme (Eric Petitjean), présent
sur le plateau avant le début de la représentation, finit par demander à un personnage
aveugle, qui lui servira d’assistant, d’entrer sur scène (Henri, interprété par Serge
Wolf). Puis il prend la parole pour s’adresser au public. Se présente. Dit quelques mots
sur son enfance. Montre des images de sa Suisse natale, du village de Lungern, plus
précisément, et de son lac, auprès duquel il a grandi. De son hamster Gérard, de son petit
frère William, tous les deux disparus, le second à l’âge de douze ans. Ce décès prématuré
fut pour lui la première occasion de réfléchir à ce que sont la vie et la mort, aux mystères
du cosmos et de l’existence. Cet homme, c’est Victor F. Comme Victor Frankenstein.
C’est le double contemporain du personnage créé au XIXe siècle par Mary Shelley (dans
son roman Frankenstein ou le Prométhée moderne) qui, comme son prédécesseur, est
devenu scientifique et a décidé de concevoir, ex nihilo, un être humain vivant. Un homme
nouveau.
Entre loufoque et horreur
Une Créature (Luc Schiltz) dont la naissance s’opère devant nos yeux et ceux d’Elisabeth
(Cassandre Vittu de Kerraoul), la compagne de Victor, qui ne parvient pas à empêcher
l’expérience. Sur un ton badin, léger, qui puise en permanence dans le deuxième degré,
le spectacle de Laurent Gutmann avance comme une fantaisie pleine d’étrangeté. Alliant
grotesque et profondeur, il nous gagne immédiatement à la cause de son univers.
Virtuosité des comédiens, brio de la scénographie (signée Alexandre de Dardel, le
masque de la Créature est d’Alexis Kinebanyan – KFX Studio), finesse du texte et de la
mise en scène : pas une fausse note ne vient contrarier cette grande réussite. Et si la
drôlerie de cette réflexion sur le rejet, la solitude, l’essence de la vie, les racines de la
monstruosité…, traverse l’ensemble de la représentation, une émotion diffuse, un effroi,
même, travaillent en arrière plan cette matière théâtrale. Toutefois, malgré la gravité
des questions qui surgissent, aucun esprit de sérieux ne pèse jamais sur Victor F. C’est
le signe du talent que de chercher ainsi à interroger, à explorer les thèmes les plus
profonds tout en faisant sourire. Le signe du talent et de l’intelligence.
Manuel Piolat Soleymat
le 21 décembre 2015
Après tout Victor Frankenstein n’était qu’un
homme ! Pauvre exclamation qui risque de
laisser sur leur faim les amateurs de films
d’horreur et ceux qui confondent le créateur
d’un monstre avec sa créature.
Bizarrement, l’adaptation théâtrale du roman
par Laurent GUTMANN va délibérément à
contrepied de cette visée, espérant sortir du
brouhaha confus de la conscience du savant
une figure du monstre plus objective, plus
adaptée au contexte de notre époque d’esprit
hélas, mais ce n’est qu’un point de vue, plus
matérialiste, en tout cas, très éloignée du
romantisme gothique de Mary SHELLEY,
épouse du célèbre poète Percy SHELLEY ami
du scandaleux et ténébreux Byron.
Mary SHELLEY a écrit FRANKENSTEIN il y a
deux siècles, presque au coin du feu, racontet-elle, pour combler l’ennui de quelques
soirées d’hiver entre amis lors d’un séjour en
Suisse. C’est alors qu’elle eut l’idée lumineuse
de coupler ses informations scientifiques avec
ses propres lectures d’histoires allemandes de Visuellement, la créature du monstre est très
fantômes.
réussie, elle peut frapper l’imagination par son
caractère avenant à la façon d’un masque de
Les adaptations cinématographiques du théâtre, de grosse tête de carnaval à qui il ne
roman, ont mis l’accent sur l’aspect fantastique manque qu’un fouet.
du scénario. Que se passerait-il si l’homme à
l’instar du créateur était capable de créer une Le décor restituant un paysage de montagne
créature dérivée de lui-même ? Mary SHELLEY dans les environs de Genève est rutilant de
imagine que la créature qui ne peut être qu’un couleurs, magique à souhait. C’est dans ce
monstre se révolte contre son créateur qui le décor merveilleux mais glacé que Victor F, son
renie parce qu’il considère avoir complètement ami aveugle, sa dulcinée et le monstre errent
raté son objectif celui de créer un humain comme des pantins. La glace va-t-elle se
immortel, fort et lumineux, libéré de toutes fissurer pour laisser place au procès qui appelle
les vicissitudes humaines marquées par la à la barre Victor F jugé pour les meurtres de
souffrance, la peur, etc.
ses amis, commis par sa créaturei?
Ainsi sans le savoir Mary SHELLEY soulève un
lièvre, celui de l’eugénisme (prôné par les nazis)
qui fait débat et questionne les manipulations
génétiques actuelles et à venir des savants sur
les embryons d’animaux et humains.
Il appartient aux spectateurs d’en juger à la
faveur de cette proposition déconcertante
qui entend ouvrir le débat, en humanisant la
créature de Victor F. Il est dit que Dieu créa
l’homme à son image. Conclusion, les hommes
ne risquent-ils pas de créer des monstres à
Il est probable que les savants d’aujourd’hui leur image ?! Quel danger ! Car l’homme qui
n’ont rien à voir avec la folie anxieuse du savant n’a pas encore vaincu la mort ne sait pas non
Frankenstein particulièrement captivante plus se regarder dans un miroir !
dans le roman de Mary SHELLEY. L’ombre de
cette folie plane tout le long du récit parce que
l’auteure entend permettre à « l’imagination de
Evelyne Trân
cerner les passions humaines de manière plus
le 11 janvier 2016
complète et plus riche qu’un enchaînement de
faits réels ».
Après avoir exploré le deuil du père dans la pièce Zohar, Laurent Gutmann revient avec
une pièce sur le père, mais cette fois sur celui qui se défausse. Nous l’avions compté dans
les dix spectacles à ne pas rater ce mois de janvier. Nous l’attendions avec impatience.
Écrit par une jeune femme de 20 ans, Mary Shelley,
Frankenstein a connu un immense succès d’édition.
Hollywood s’en est emparé mais en s’éloignant du
mythe original. Car Mary Shelley a d’abord écrit un
roman fantasmatique personnel. C’est à la suite d’un
de ses cauchemars qu’elle raconte cette histoire d’un
Victor détruit par la disparition d’êtres chers et qui
se consacrera à redonner la vie aux morts à partir
de cadavres, en s’égalant au Créateur. Héritier des
Lumières, le docteur Frankenstein croit en la science
dans ce qu’elle est supposée pouvoir libérer l’homme
de son destin tragique de mortel.
aimé, à être nommé, à être écouté. Sans l’accueil de
son « père », sans l’accueil d’un autre indispensable
à la vie psychique, il essaiera de construire un trait
d’identification commun en se rendant en Suisse, lieu
d’origine de ce père fuyant. Il essayera aussi de parler
à l’alter ego de son créateur, le meilleur ami aveugle.
Dans une Suisse de carton pâte, kitsch et vaine
comme l’est le fantasme originaire de la créature, le
drame se dépliera. Sans « l’autre » et sans nom, la
créature soumise à la pulsion seule sera emportée
par ce qu’est la pulsion lorsqu’elle se rappelle qu’elle
est aussi une pulsion de mort.
Sophie Marret-Maleval, psychanalyste, a consacré un
livre au mythe inventé par Mary Shelley. Elle écrit :
La mise en scène et la scénographie sont au rendezvous du propos. La pièce est belle. Le spectacle est
un ravissement. Éric Petitjean (Victor) tient la pièce,
nous attrape et nous restitue avec tout son talent
ce tour de cadran de la pensée qui va emmener son
personnage de l’espoir maniaque et convaincu en la
science, avenir de l’humanité jusqu’à la mélancolie de
la défaite et son amère affliction auto culpabilisante.
Cassandre Vittu de Kerraoul (Élisabeth) célèbre
avec charme sa proposition d’une épouse falote
et optimiste qui tentera d’arracher son mari au
fantasme d’un monde libéré du corps périssable
et de ses contingences aliénantes. Dans une scène
dansée de séduction, elle est éblouissante. Serge
Wolf (Henri) sera l’observateur et l’alter ego de Victor.
Bien qu’aveugle il parviendra à être le complice de
notre voyeurisme doucement coupable. Luc Schiltz
(la créature) assure une création admirable.
Dans son roman, Mary Shelley ouvre à un savoir sur
l’inconscient comme épave du savoir scientifique,
sur ce que celui-ci refoule : le sujet de l’inconscient,
l’objet cause du désir, la castration de l’Autre, le réel.
Elle montre les incidences funestes de l’exclusion
du sujet. En ce sens, c’est un roman d’une grande
actualité, qui saisit à l’orée de la montée en puissance
du discours de la science, ses impasses à venir.
Laurent Gutmann a peut-être lu Marret-Maleval.
Car il rend compte de cette impossible réparation de
la science et de l’impasse que constitue l’existence
lorsqu’un autre humain, qui vous aura précédé,
ne vient pas vous accueillir à votre naissance. La
créature de Frankenstein est refusée et abandonnée
à la naissance par son créateur, par celui qui venait
avant. Le projet de Victor est de créer un sujet enfin
désaliéné de son origine et des dettes au passé, un être
nouveau libre et immortel. Mais c’est grâce à l’image
de l’autre que notre moi se construit. L’unité du moi
s’établit à l’aide de la pulsion qui cherche sans relâche
dans l’autre la complétude, l’harmonie. Ici, Victor, le
père, le créateur s’enfuit. Aucune identification n’est
possible. Elle est pourtant indispensable. Gutmann,
avec sa troupe a mis en scène et la monstruosité de
la créature et son humanité. Son monstre que l’on
ne spoliera pas ici est une réussite. Son étrangeté
nous est d’autant plus que dérangeante que ce
monstre est notre frère dans sa demande à être
On l’aura compris. La pièce est riche par l’esprit
de son texte et par le jeu des acteurs. La place du
père, l’ancrage à l’origine, l’identification à l’autre,
le transhumaniste, la place de la science comme
croyance hégémonique sont questionnés et rien ne
s’épuise tant la pièce ouvre à penser autrement.
Nous avons eu raison. Victor F. est un bijou à ne pas
rater en janvier 2016.
David Rofé-Sarfati
le 11 janvier 2016
Le retour de Frankenstein
Il s’appelle Victor F., comme Frankenstein. Comme le héros
de Mary Shelley, le savant qui se voulait démiurge à l’égal de
Dieu. Las, la créature parfaite et immortelle qu’il entendait
créer de toutes pièces se révéla monstrueuse, avec sa tête
énorme et sa bouche d’homme qui rit éternellement. À peine
l’avait-il achevée qu’il la renia et l’abandonna. Mais cette
dernière retrouva ce « père », qui la rejeta à nouveau. Alors,
interdit d’amour, la créature s’engagea sur la voie du mal.
Auteur et metteur en scène de Victor F., Laurent Gutmann
aborde les questions premières des manipulations génénques
et du mystère de la vie qui se voudrait plus forte que la mort ;
du transhumanisme en quête de l’être parfait, refusant toute
différence, tout défaut, transformant l’humain en robot. Mais
il le fait avec légèreté, sur fond de Suisse idyllique, avec ses
champs, ses forêts et son lac. Un conte charmant pour adultes
et enfants.
Dider Méreuze
le 16 janvier 2016
Pas évident de renouveler le thème de Frankenstein,
c’est pourtant le pari du dramaturge-metteur en scène
Laurent Gutmann. Il parvient plutôt joliment à actualiser
la vieille et éternelle histoire de Mary Shelley, du savant
démiurge face à la créature qu’il a forgée et qui n’est
pas encore complètement au point… Dans une Suisse
d’aujourd’hui mais de fantaisie, le scientifique Victor
F. s’acharne depuis des années à inventer un homme
neuf. Mais à peine jailli de son cerveau, il rejette celuici… Comment vivre avec nos monstres, comment
les apprivoiser en en acceptant la paternité ? Via une
scénographie inventive, la fable est vive, intelligente et
remarquablement interprétée.
Fabienne Pascaud
le 11 janvier 2016
Une interrogation diablement actuelle
L’auteur :
Après une formation de comédien à l’école de Chaillot, dirigée par Antoine Vitez, et avoir parallèlement obtenu
un DEA de philosophie, Laurent Gutmann, né en 1967, commence par être l’assistant de Jean-Pierre Vincent. En
1994, il crée sa propre compagnie, « Le Théâtre suranné » et réalise ses premières mises en scène, dont « Le Coup
de filet » de Bertolt Brecht. En 1999, il va s’installer en région Centre. En 2002, il est lauréat du concours « Villa
Médicis hors les murs » pour un projet de collaboration à Tokyo avec le metteur en scène japonais Oriza Hirata ;
puis, en 2004, prend la direction du Théâtre Populaire de Lorraine. Redevenu metteur en scène indépendant en
2010, il a signé la réalisation et l’écriture de nombreux spectacles dont, en 2012, « Le Petit Poucet ou du bienfait
des balades en forêt dans l’éducation des enfants » et une adaptation du « Prince » de Machiavel. Avec ce « Victor
F. », Laurent Gutmann qui aime les paris audacieux et la revisitation de grands textes, a voulu transposer dans
notre époque l’un des romans d’épouvante le plus marquants du XIXe siècle, « Frankenstein ».
Thème :
Le titre de la pièce ne l’indique pas d’emblée, mais « Victor F. », c’est Victor Frankenstein. Comme dans le roman
originel de Mary Shelley, on va voir, sur scène, un savant créer ex nihilo, en dehors de toute fécondation, une
créature humaine, qui faute de pouvoir se faire aimer à cause de sa difformité, va, par désespoir, se transformer
en un monstrueux assassin. Mais au fond, qui est vraiment responsable de ces crimes affreux ? La créature qui
tue par manque d’amour et de réelle humanité ? Ou celui qui, croyant pouvoir abolir la mort, et se plaçant de ce
fait au-dessus de Dieu, a engendré cette créature ? Le roman portait cette interrogation. Elle est au centre du
texte de Laurent Gutmann.
Points forts :
- D’abord les questions suscitées par le texte donné à entendre ici. En transposant dans notre époque cette histoire
publiée en 1817, Laurent Gutmann y a vu l’occasion de proposer une fable passionnante sur quelques unes des
problématiques qui secouent ce début du XXIe siècle : le rejet de la différence, les manipulations génétiques, et
l’obsession du progrès « à tout prix », qui pousse certains scientifiques à fabriquer des « machines » porteuses
de destruction.
- L’esprit de la représentation : Pour contrebalancer la gravité des questions qu’il soulève, l’auteur a choisi de
les poser sur un ton ironique, badin et décalé. Ce deuxième degré permet au spectateur d’échapper à l’effroi, et
même, par moments de sourire et de rire.
- La virtuosité des comédiens. Ils sont quatre. Et leur quatuor fonctionne à merveille.
- La scénographie. Elle est simple, belle, efficace.
Points faibles :
- Paradoxalement, le ton de la représentation. Si elle permet d’échapper à la lourdeur et à la peur, la loufoquerie
systématique du texte et de la mise en scène affadit à plusieurs reprises l’enjeu du questionnement, et, par
ricochet, gomme l’émotion.
- L’aspect de la créature. Puisque tout le monde la rejette à cause de sa monstruosité, elle devrait avoir un aspect
sinon repoussant, du moins inquiétant. Le masque porté par le comédien qui l’interprète ici, suscite un malaise,
mais pas vraiment de répulsion. C ‘est dommage.
En deux mots :
Quand le théâtre permet de revenir au contenu initial d’un roman dévoyé par les nombreuses adaptations
cinématographiques qu’il a suscitées, alors, on en redemande. Surtout quand c’est fait, comme c’est le cas
ici, avec brio et intelligence.
Dominique Poncet
le 14 janvier 2016
Il faut lâcher prise et se laisser envahir par
l’étrange atmosphère qui se dégage du décor
vert. Sur le plateau, Victor F., incarné par le
malicieux Éric Petitjean, raconte sa jeunesse
heureuse, décline sa généalogie à travers des
tableaux. Si son récit captive, quelque chose de
bancal affleure, cette obsession de faire revivre
ces chers disparus, cette manie d’avoir conservé
des échantillons de vie, feuille, animal empaillé,
mèche de cheveux, intrigue. Mais Victor, brillant
étudiant en biologie devenu adulte, poursuit son
idée fixe : comprendre ce qui distingue la matière
animée de l’inanimé, réparer, redonner la vie,
concevoir un être qui ne connaîtra ni maladie,
ni vieillesse, ni mort. Le jeune savant a rêvé de
fabriquer un homme dont l’intelligence ne fera
que s’accroître et un jour en secret il l’a fait.
En 1816, Mary Shelley, 19 ans, écrit le célèbre livre
de science fiction, Frankenstein. Aujourd’hui, sa
fiction est presque devenue réalité, et la réalité
qui prend corps, qui est en train de breveter, de
régir le vivant, est en passe d’instrumentaliser
l’être humain. Pour pouvoir penser ce savoirfaire, la mise en scène de Laurent Gutmann
convoque la poésie, invite à se représenter ce
qui échappe, cet emballement de la science, cet
effacement de l’humain auquel nous assistons.
Victor est un apprenti sorcier, il tâtonne, plante
son nez dans les étoiles et parle à la poussière.
Si la naissance virtuelle de son nouvel Adam
grossièrement masquée derrière une paroi de
protection semble dérisoire et prête à sourire,
son cheminement, souvent plongé dans le noir –
à l’instar de sa plongée dans l’inconnu – permet
de faire flamber l’imaginaire du spectateur. La
force du spectacle c’est ce boitillement entre
expérimentation hasardeuse et maitrise, c’est
ce balbutiement entre tragique et loufoque, cette
alternance entre une nature enchanteresse et les
débuts du surhomme.
Alors que Victor fuit sa folle création et que sa
fiancée, plus sensuelle, plus exubérante et
amoureuse que jamais, lui fait entrevoir une
toute nouvelle vie, l’homme nouveau, le jouet
qu’il a engendré le rattrape et l’épouvante. Et
ce qui de prime abord était apparu enfantin,
presqu’attendrissant devient, par son insistance,
peu à peu effrayant. Car le personnage, mélange
de chair et de plastique, avec ses yeux immobiles,
son sourire figé et sa tête démesurée, marche,
pense et revendique d’être reconnu.
Mais à chacune de ses apparitions, la peur qu’il
suscite ressurgit démultipliée. Et très vite, l’être
hybride qui exigeait d’être semblable, qui voulait
une famille, un cadre social, se désorganise,
apprend du rejet, devient mauvais, violent, sans
pitié.
Ici l’espérance du devenir de l’homme transformé
en immortel se heurte à l’inquiétude de l’homme
fragilisé, qui craint d’être dénaturé, qui ne sait
pas intégrer les innovations qu’il a imaginé, qui
se voit envahi, traqué, diminué, renversé, anéanti
par ses propres avancées scientifiques.
Ainsi, fabriquée et repoussée du genre humain,
la créature dont on se détourne, qui n’a pas
d’identité, devient l’innommable, le monstre, le
barbare. L’homme augmenté des fantasmes de
son créateur, intégrant la violence de l’exclusion,
passe à l’acte, pour poser les bases d’une autre
société. Et c’est désormais dans ce monde sans
limite, ni altérité, que celui qu’on juge dans une
cage de verre, qui plaide sa responsabilité et
s’accuse d’être le cerveau du tueur, se voit forcé
de pactiser avec son prédateur.
Des acteurs savoureux, une scénographie
surprenante, un curieux spectacle qui ouvre un
large spectre de réflexions sur les avancées de
notre civilisation et son ensauvagement, sur les
bienfaits des progrès de la science et la défiance
à l’égard du projet transhumaniste.
Anna Grahm
le 10 janvier 2016
Monstre de Frankenstein
cherche père désespérément
Laurent Gutmann revisite le mythe du “Prométhée moderne” popularisé par Mary Shelley et en profite pour
explorer la relation quasi filiale entre Victor Frankenstein et sa monstrueuse créature. En ressort une comédie
grinçante qui parvient à nous faire rire et à faire du “monstre” un être humain, trop humain.
Tout le monde connaît le mythe de Frankenstein, mais
qui connaît vraiment l’histoire de celui qui l’a conçu,
l’homme derrière le “monstre” ? Contrairement à la
multitude de films sur ce thème, le sujet cette fois-ci
n’est pas la créature mais son créateur, le “Victor F.” qui
donne son titre à la pièce.
Thème pas si original que cela puisqu’il est à l’origine
d’un film avec l’ancien acteur de Harry Potter, Daniel
Radcliffe, et apparaît aussi dans la kitschissime série
télévisée Penny Dreadful, avec Eva Green. De l’œuvre de
Mary Shelley, l’Anglaise de 20 ans qui l’écrivit, il reste bien
peu dans cette adaptation, à part peut-être la référence
à la Suisse, pays d’origine de Victor Frankenstein.
Au début, on craignait le pire : un comédien seul en scène,
Victor F., qui décrit son histoire, d’une voix désincarnée,
Frankenstein façon stand-up, devant son meilleur ami
aveugle. La mort du petit frère de Victor F. – centrale
dans la construction du personnage puisqu’elle explique
son désir insatiable de redonner la vie à ce qui n’est plus
– est expédiée en une phrase, sous les rires du public,
comme s’il s’agissait d’un détail, d’une mauvaise blague.
Alors que Victor F. présente son projet de “recréer la vie
humaine artificiellement”, sa fiancée débarque, elle “qui
l’attendait en Suisse, comme une cruche” en attendant
qu’il finisse sa thèse à Paris. Comme une piqûre de
rappel à la réalité alors que Frankenstein s’apprête à
lancer son incroyable projet.
Quand la créature prend vie, Victor F. préfère prendre
la fuite et se réfugier en Suisse. On change alors de
cadre. L’essentiel de la pièce a pour décor une vallée,
reproduction à l’identique d’un tableau représentant le
cadre de l’enfance de Victor F., seule vraie référence à
l’œuvre de Mary Shelley.
Terreur d’être père
Loin du blockbuster hollywoodien, du conte macabre
abondamment traité, revisité, réchauffé, Laurent
Gutmann parvient à faire du mythe une comédie, et
rend sa créature humaine. Le monstre de Frankenstein
devient une métaphore de l’humanité tout entière : seule
au monde, cherchant désespérément un but, prête à
tout pour être aimée et acceptée, tout à la fois victime
et meurtrière.
Ici, la “créature” de Frankenstein n’est pas une bestiole
couverte de sutures. Son aspect monstrueux est
matérialisé par une énorme tête au sourire figé posée
sur un corps aux proportions ordinaires. Le projet quasifasciste de Frankenstein, celui de créer un “homme
nouveau”, est forcément condamné à l’échec.
Victor F. aurait voulu un homme qui naisse “sans peur”,
sans avoir eu à connaître les douleurs de l’enfance et
de l’adolescence. Mais parce qu’elle n’a pas fait ce
douloureux mais nécessaire apprentissage de la vie, sa
créature est condamnée à errer sans but, sans connaître
autre chose que la peur et le rejet.
Thème sous-jacent qui parcourt toute la pièce, Victor F.
est aussi l’incarnation d’un autre mal : la terreur devant
la paternité. Coincé entre la créature qu’il a tant bien que
mal “enfantée” et sa fiancée de toujours qui lui réclame
une vie de famille plus classique, Victor F. n’a pas plus
de désir pour l’une que pour l’autre.
La pièce se conclut de façon ironique, sur un épilogue
doux-amer : Victor F. est contraint de cohabiter tant bien
que mal avec son “fils”, ce dernier tout heureux d’être
enfin réunis avec son père. Père et fils se retrouvent
enfin, même si c’est sur le banc des accusés, pour le
meilleur et pour le pire.
rhinoceros.eu
janvier 2016
Victor F. comme Frankenstein ?
Nous sommes en 2016. La décapante adaptation contemporaine de Laurent Gutmann
évacue toute la noirceur gothique du roman classique du début du XIXe siècle. Si la réflexion
sur l’immortalité du corps est évoquée en début de pièce en lien avec notre modernité
technique et scientifique, toute métaphysique et magie est abandonnée au profit d’un
matérialisme déconcertant, reflet de notre époque. La complexité des personnages et des
enjeux ont disparu. La fable devient une histoire linéaire qui abandonne tout cauchemar
tragique au profit d’une structure narrative digne d’un feuilleton sentimental.
Le point de vue finit progressivement par transformer Victor F. en comédie avec des scènes
d’une drôlerie parfois digne d’un Woody Allen. Remarquable Cassandre Vittu de Kerraoul
qui interprète une Elizabeth castratrice amoureuse du docteur. Digne et poétique Serge
Wolf dans un Henri aveugle qui fait avancer l’action en échangeant avec Victor.
La scénographie d’Alexandre de Dardel présente un plateau valorisant une forme popkitch. La suisse refuge du docteur a des airs de paysage Milka, et la masque très réussi
de la créature de Frankenstein rappelle les créations contemporaines hyperréalistes
d’un Ron Mueck, les sculptures carnavalesques d’un Jeff Koons. Un univers cohérent
avec une vision qui accentue un côté parodique du Frankenstein du Mary Shelley.
Laurent Gutmann s’amuse avec le mythe. Sa version, farce contemporaine, est un miroir
d’une époque cynique qui ne prend pas assez le temps de réfléchir, une déontologie qui
structure des codes moraux sans même penser à l’action et ses conséquences à long
terme. L’ensemble finit justement dans la judiciarisation comme dernier secours à la
non-pensée. Victor F., Prométhée moderne ?
Sébastien Mounier
le 23 janvier 2016
La première œuvre de l’année 2016 proposé par le Théâtre de l’Aquarium donne le ton.
Présentée jusqu’au 24 janvier prochain, la pièce Victor F., mise en scène par Laurent Gutmann
d’après le roman « Frankenstein » de Mary Shelley, est un petit bijou de modernité. Preuve que
ce haut lieu de la Cartoucherie n’a rien perdu de sa superbe après une année difficile.
Si Laurent Gutmann a souhaité transposer l’œuvre de Mary Shelley à la lumière accrue et acerbe du
21e siècle, c’est pour mieux nous démontrer, de par le prisme de la monstruosité et de la différence,
les nombreuses failles sociétales qui subsistent à travers notre ère technologique. Cela saute d’ailleurs
facilement aux yeux. Accoutré de la même manière que feu le dirigeant d’Apple, le comédien Éric Petitjean
commence la pièce par une présentation digne du génie de la pomme. Smartphone dans une main, petite
télécommande dans l’autre, il s’adresse au public qu’il considère comme un parterre de journalistes et
présente son projet – son bébé comme il l’appelle -, tel que le ferait Steve Jobs. Impossible alors de ne pas
faire le lien entre le projet diabolique du scientifique un peu fou et les révolutions technologiques qui ont
couronné et animé le fondateur d’Apple, jusqu’à la fin de sa vie. Cette course à la technologie, à l’invention,
au « toujours plus, toujours mieux » qui finira pourtant par gâcher la vie de ce père scientifique, n’estelle finalement pas en train de grignoter morceau après morceau, miettes après miettes la nôtre ? Cette
course folle ne sonnerait-elle pas la fin de notre intégrité physique et de nos interactions sociales ? La
question se pose à travers cette retranscription scénique contemporaine et entreprenante d’une œuvre
pourtant écrite en 1818. Quel rapport l’homme entretient-il avec ses inventions aujourd’hui ? L’inventeur
est-il un père fondateur ou au contraire un monstre visionnaire qui devrait « rester à sa place » ? Il
semblerait que la jeune Mary Shelley avait un train d’avance sur son temps puisque ce sont aujourd’hui
des débats qui agitent bien souvent le monde scientifique et technologique.
Si la première partie est un chouilla longue à se mettre en place – il est vrai que l’on guette sans cesse
l’arrivée du monstre -, la fuite en avant de Victor donne un bon coup de fouet à l’énergie scénique. Oublié
le vert criard, place au vert paradisiaque et au décor de carte postale. La pièce trouve enfin son public, le
monstre se dévoile pour notre plus grand plaisir sadique et la délicieuse Elisabeth interprété par Cassandre
Vittu de Kerraoul anime avec humour et frivolité un Victor légèrement déprimé. De là, les péripéties
s’enchaînent et la pièce revêt des allures de cartoon sympathique. On rigole, on s’émeut et surtout on
acquiesce d’un léger mouvement de tête la plupart des raisonnements intérieurs de la créature au visage
disproportionné. C’est plutôt bien vu ! Quant à la dernière partie, elle ne perd rien de son mordant. Le
dernier acte sous forme de « jugement dernier » est une esquisse connue dans le théâtre classique. Ici,
revisité à la sauce actuelle, elle prend tout son sens didactique et pédagogique.
Le point important à souligner chez Victor F. reste la scénographie audacieuse et résolument moderne
qui apporte à la pièce une dimension grandiose. Durant 90 minutes, c’est un vrai spectacle qui se joue
sous nos yeux. Nos pupilles s’émerveillent face à l’impressionnant dispositif scénique qui permet à la fois
de se trouver tantôt dans les étoiles et tantôt dans les montagnes verdoyantes du Lac Léman en Suisse. À
travers ces choix, Laurent Gutmann a réussi à transposer la sensibilité et la douceur qui se dégageait du
roman de Mary Shelley pourtant souvent considéré comme un roman de « fiction » un tantinet gore. Pour
ce très beau tour de force, on dit bravo !
Morgane Mallet
le 13 janvier 2016
Frankenstein revisité
Le metteur en scène Laurent Gutmann signe avec « Victor F. » une adaptation du mythe
de Frankenstein, tirée de l’œuvre de Mary Shelley, des plus libres, où le rire est roi.
Victor F., version contemporaine du docteur Frankenstein, en jean et sous-pull, assis au milieu
de la scène, attend que le public prenne enfin place (il regarde sa montre, un brin impatient),
pour lui dresser un vague topo biographique.
Allant chercher quelques tableaux bien kitsch, il nous présente sa Suisse natale – un paysage
verdoyant au bord d’un lac qui servira par la suite de fond de scène –, son hamster qui a fini
empaillé et son frère William, mort à l’âge de 12 ans. Une disparition qui l’amènera à vouloir
créer un être immortel, bravant le biblique « Tu es né poussière, tu retourneras poussière ».
Et de nous raconter qu’il a quitté son pays pour suivre de brillantes études à l’étranger et qu’il est
resté enfermé dans son labo pendant sept ans, ne voyant que son voisin et ami, aveugle, Henri.
Quand le grand jour arrive et qu’il est enfin prêt à engendrer la créature, voilà que débarque de
Suisse sa fiancée Élisabeth qui tente de l’en dissuader. Il est temps qu’il revienne au bercail,
alors que ça fait des plombes qu’elle l’attend et puis, que vont-ils faire de la chose ?
Le burlesque est planté, l’histoire peut continuer. Victor passe à l’acte et, en découvrant son
monstre, se taille dare-dare vers la Suisse. La créature n’est pas composée de bouts de cadavres
comme dans le film d’horreur de James Whale de 1931 mais est affublée d’une grosse tête au
sourire figé. Comme dans le récit initial, le monstre va poursuivre son créateur et faire des dégâts.
Les grandes questions que soulève l’histoire de Frankenstein, inventée par Mary Shelley au
début du XIXe siècle sont belles et bien présentes, car toujours d’actualité : la manipulation du
vivant, le rejet de l’étrange, l’esquive des responsabilités…
Mais elles sont traitées ici par le biais de l’humour. La scène finale, où Victor F. (incarné avec
brio par Éric Petitjean) comparait devant un tribunal pour le meurtre de son meilleur ami et
de sa compagne, perpétré par sa créature, est assez hilarante, quand il lâche, effondré : « J’ai
fait une connerie… ». En attendant, malgré les rires, les interrogations perdurent sur ceux qui,
voulant sauver l’humanité, la mènent à sa perte…
Amélie Meffre
le 9 janvier 2016
Inspiré par le roman Frankenstein, Laurent Gutmann (texte et mise en scène)
renouvelle à sa façon le mythe de la célèbre créature née de l’imagination
de Mary Shelley (1797-1851), offrant au Théâtre de l’Aquarium un spectacle
étrange, poétique et fort original.
Qui ne connaît pas le célèbre monstre né de la littérature anglaise du XIXe siècle orientée vers les
délices gothiques du romantisme et du fantastique ? Popularisée par les images expressionnistes
et sombres du film de 1931 signé James Whale sous les traits de l’inquiétant Boris Karloff, la
créature kitch des bas-fonds de la science monstrueuse et des pulsions improbables se profile par
excellence « théâtrale ». Visiblement, le mythe inspire l’espace scénique, et l’on signalera actuellement une excellente pièce
inspirée d’un récit de Thierry Debroux, mettant à l’honneur l’univers de Frankenstein [Mademoiselle
Frankenstein, mis en scène par Frédéric Gray et Géraldine Clément, A La Folie Théâtre jusqu’au
4 février 2016]. Avec Victor F., Laurent Gutmann nous propose une sorte de conte philosophique
charmant et cruel questionnant le rapport mystérieux qui lie le scientifique illuminé à sa créature.
Également, le spectacle aborde sur le mode allusif des débats contemporains sur la manipulation
du vivant et les risques de dérapage des idées transhumanistes. Plantant son « savant » atypique (Victor F.) dans le décor bucolique d’une Suisse de carte postale,
le metteur en scène sur le mode de l’émotion voilée et de l’humour décalé oscille constamment
côté climat entre sérieux et grotesque dans cette histoire de fou furieux presque raisonnable ayant
réalisé son rêve (ou plutôt cauchemar !) de concevoir artificiellement un homme nouveau. Le jeu
des comédiens se révèle efficace. Les déambulations presque nonchalantes de Victor F. nous sont
contées à travers son entourage immédiat : un ami-assistant (Henri), aveugle débonnaire, philosophe
et un peu collant ; une femme (Elisabeth) avec qui le savant noue des rapports passionnément
compliqués… La créature nous apparaît sur scène avec un drôle de masque issu du KFX Studio. L’échec de la
relation entre cette dernière et son démiurge nous est suggéré par l’expression de la frustration
de la créature, reprochant à Victor F. son manque d’amour et son refus de lui donner un nom. La
manipulation du vivant et le refus symbolique de la paternité par Victor F. servent de thématique
forte à la pièce. Au final, un spectacle surprenant à la drôlerie déconcertante avec un fort accent de
poésie !
Thierry de Fages
le 11 janvier 2016
Laurent Gutman ressuscite le Frankenstein de Mary Shelley
dans une adaptation qui pose les questions existentielles et
obsessionnelles de la vie et de la mort.
Victor F., une pièce de théâtre qui dérange les
esprits les plus obtus et séduit ouvertement
un public avide de découverte artistique.
Lequel a manifesté son engouement par
des applaudissements nourris à l’issue de
la générale de presse. La scène mue en un
laboratoire d’expérimentation scientifique
dont l’occupant, Victor F., s’affaire à créer
un être généré dans un mode out-ovulation.
L’objectif du chercheur, réinventer la vie. La
prétention du sujet pourrait laisser perplexe
les plus sceptiques, mais la mise en scène de
Laurent Gutman incite les esprits curieux à
se laisser emporter dans cette déambulation
métaphysique. La vie et la mort, l’équation des
extrêmes se pose à l’endroit et à l’envers, le
résultat libère une inconnue déclinée à l’infini.
Réinventer la vie, une réflexion sur la fuite
en avant de l’homme en quête de lui-même
ou d’un autre. Le débat ne relève pas des
contemporains, il date de l’esprit scientifique
des mathématiciens et des philosophes
helléniques, Euxode, Ptolémée, Aristote... Les
fondements de l’humanité, qu’en restera-til si Victor F. arrive à ses fins ? Soutenu par
son meilleur ami et déficient visuel, Henri,
il tente de prouver que ses travaux ne sont
pas dénués d’intérêts et que le monde est à
portée d’étoiles. Quarante-deux secondes, le
compte-à-rebours est déclenché, quarante,
trente, vingt, dix... pour découvrir l’homme
qui va bouleverser l’humanité. Victor F. prend
la décision immédiate de retourner dans la
région de son enfance en Suisse, Henri le suit.
Pourquoi un tel revirement ? La création de
l’homme nouveau, un échec ou un leurre ?
En Suisse, une amie invite Victor à se ranger
après avoir passé le concours de professeur de
collège.
Le décor des alpages et de la campagne
helvète sont un retour aux sources pures
et indispensables pour évacuer des années
de travaux laborieux menés sans répit. La
création de l’homme nouveau, le fruit d’une
imagination nourrie par un malaise identitaire
ou la preuve sur pied de longues années de
travaux scientifiques. Victor F., qui est-il ?
Existe-t-il vraiment ?
L’adaptation et la mise en scène de Laurent
Gutman, la synthèse d’une écriture fictionnelle,
accidentelle et témoin d’une intrigue humaine
qui soulève autant de points d’interrogation que
de points de suspension. L’ensemble s’avère
juste et mené selon une dynamique artistique
cohérente. Le jeu respectif des comédiens
s’accorde à un fil d’Ariane accroché à deux
opus existentiels, que sont la vie et la mort.
Il est à noter la diction des interprètes qui
s’avère exigeante et intelligible, ce qui permet
l’accessibilité de Victor F. aux déficients
auditifs. Victor F., une fiction théâtrale qui
s’apprécie avec un plaisir curieux et un intérêt
prononcé.
Philippe Delhumeau
le 8 janvier 2016
Monstre si humain
Victor F. est une adaptation de « Frankenstein » par Laurent Gutmann. Dans
un décor concret (table basse, verre, téléphone…) mais n’illustrant aucune
situation particulière, surgissent deux personnages, l’inventeur et son ami.
Une complicité humoristique est rapidement créée avec le public grâce à un
texte qui insiste régulièrement sur des détails complètement futiles. Dans le
même temps, quelques questions essentielles sont posées: qu’est-ce que la
vie ou le mal, pourquoi se contenter de réparer les corps si on peut en créer
qui soient de qualité supérieure à ceux que la nature fait ? Les références
évangéliques – « tu es poussière et tu retourneras poussière » – sont présentes,
même si c’est pour en tirer une conclusion inattendue (« alors, cette terre,
avant, c’était quelqu’un »). La symbolique des chiffres n’est pas oubliée : c’est
pendant « sept ans » que le créateur Frankenstein a travaillé avant d’arriver à
l’étape ultime. Ici encore, le ton reste léger et amusant.
La naissance du fils constitue la charnière du spectacle. Car ce monstre est
sans cesse repoussé du fait de son apparence physique. Il voudrait aimer,
mais personne ne veut de lui, ni son « père » ni la jeune fille qu’il admire.
Il y a accessoirement une très bonne observation de la psychologie
féminine au moment des retrouvailles entre le créateur Victor et sa
femme ; la légèreté reste présente dans cette partie-là du spectacle aussi.
Bref, on tient là un bon divertissement, au surplus intelligent !
Pierre François
le 8 janvier 2016
Un homme nouveau inquiétant
Lorsque ce roman est publié en 1818 avec la
mention Prométhée moderne, son auteure
anglaise est alors âgée de vingt-et-un ans
(1797-1851). Il connaît un succès immédiat
qui ne se démentira pas au fil des années, et
fera l’objet de nombreuses adaptations pour le
cinéma, le théâtre, le music–hall ou la bande
dessinée.
Aujourd’hui, Laurent Gutmann porte à la scène
l’histoire du docteur Victor Frankenstein,
avec une libre adaptation conservant l’aspect
narratif de l’œuvre, dans une transposition
moderne. Chercheur en biologie, Victor
a réussi à mettre au point un procédé
scientifique permettant la création d’une
créature humaine. À partir de l’évocation de
ses souvenirs familiaux et des deuils de son
enfance qui ont forgé sa personnalité et son
besoin de « franchir les limites entre la vie et
la mort », il évoque le cheminement de ses
travaux, ponctué de ses relations et échanges
avec un ami voisin aveugle et philosophe,
Henri, et avec sa compagne, Elizabeth, frustrée
par ses absences, qui le suivent sur sa terre
natale en Suisse où ils assistent à l’apparition
à l’âge adulte de cet homme nouveau, qui se
révèle monstrueux et cherche en vain à établir
une relation avec son créateur qui le rejette.
Devenu criminel, sans états d’âme, il sera
soumis à un procès, qui laisse ouvertes
les
interrogations
philosophiques
et
métaphysiques soulevées par cette singulière
expérience génétique. Au regard d’une
prétention à vouloir libérer l’humanité de ses
angoisses de la mort, qui au contraire peut se
retourner contre elle et marquer sa fin telle
qu’elle existe aujourd’hui, face à la capacité
scientifique potentielle à engendrer des
monstres.
Un débat contemporain, puisque sont
annoncées les perspectives d’un homme
immortel, programmé aujourd’hui dans le
cadre des recherches de la fondation SNES au
cœur de la Sillicon Valley.
Dans le décor transformable de Alexandre
de Dardel, qui introduit une imagerie en
situation (ciel étoilé intersidéral, paysage
montagneux…), la représentation bien rythmée
oscille en permanence entre la fantaisie et
l’étrangeté, en s’appuyant sur un texte ciselé
dont la drôlerie ne gomme pas la nature des
propos. Eric Petitjean prête à Victor F., un
comportement distancié, d’un rationalisme
conforme à une culture scientifique, Serge
Wolf, Henri, excellent dans son rôle d’aveugle
se transforme en avocat un peu moins
convaincant lors du procès et Cassandre Vittu
de Kerraoul, fiancée délaissée (puis juge)
alterne les accents véhéments ou tendres
d’une femme qui aspire au bonheur immédiat
sans contrainte. Parmi eux, la présence de
« La créature », nouvel Adam en costume noir,
s’exprime surtout par la tête surdimensionnée
au sourire niais figé et inquiétant, réalisée par
Alexis Kinebanyan et portée par Luc Schiltz
dont les attitudes et la gestuelle ouvre parfois
sur la compassion.
Une représentation en forme de conte
contemporain, qui se situe avec légèreté entre
réalisme et fantastique, pour ouvrir débats et
réflexions.
Jean Chollet
le 10 janvier 2016
Monstre si humain
« Victor F. » est une adaptation de « Frankenstein » par Laurent Gutmann.
Dans un décor concret (table basse, verre, téléphone…) mais n’illustrant
aucune situation particulière, surgissent deux personnages, l’inventeur et
son ami. Une complicité humoristique est rapidement créée avec le public
grâce à un texte qui insiste régulièrement sur des détails complètement
futiles. Dans le même temps, quelques questions essentielles sont posées:
qu’est-ce que la vie ou le mal, pourquoi se contenter de réparer les corps
si on peut en créer qui soient de qualité supérieure à ceux que la nature
fait ? Les références évangéliques – « tu es poussière et tu retourneras
poussière » – sont présentes, même si c’est pour en tirer une conclusion
inattendue (« alors, cette terre, avant, c’était quelqu’un »). La symbolique
des chiffres n’est pas oubliée : c’est pendant « sept ans » que le créateur
Frankenstein a travaillé avant d’arriver à l’étape ultime. Ici encore, le ton
reste léger et amusant.
La naissance du fils constitue la charnière du spectacle. Car ce monstre est
sans cesse repoussé du fait de son apparence physique. Il voudrait aimer,
mais personne ne veut de lui, ni son « père » ni la jeune fille qu’il admire.
Il y a accessoirement une très bonne observation de la psychologie
féminine au moment des retrouvailles entre le créateur Victor et sa
femme ; la légèreté reste présente dans cette partie-là du spectacle aussi.
Bref, on tient là un bon divertissement, au surplus intelligent !
Pierre François
décembre 2015
La responsabilité du créateur
Laurent Gutmann créé une version moderne du mythe de Frankenstein dans
laquelle on retrouve la question du transhumanisme mais aussi celle de la
responsabilité du créateur.
Théâtral magazine : Victor F, est­ce une adaptation Comment expliquez-vous alors ce rejet ?
théâtrale du roman de Mary Shelley ?
Il ne se reconnaît pas dedans et il n'avait pas du
Laurent Gutmann : Non. Le livre a servi seulement tout anticipé qu'elle lui demande des comptes. Or
de point de départ au spectacle, même s'il en est tout geste créateur induit une responsa­bilité. Et là,
très imprégné. Cela fait longtemps que je tourne elle est particulièrement grande puisqu'il a créé
autour de la question du monstre et de la laideur et un homme.
de cette possibilité offerte par notre époque de se
refaçonner un corps. Le mythe du Golem, un être Pourtant lors de son procès, il plaide coupable.
fabriqué de toutes pièces qui se retourne contre
son créateur, a traversé beaucoup de spectacles Oui mais il déplace le problème en disant: « je suis
que j'ai montés. Et j'ai trouvé dans Frankenstein, coupable parce que je me suis mis à la place de
qui a été écrit par une jeune fille de 18 ans en 1818, Dieu, j’ai voulu donner la vie à la matière inerte
une synthèse de questions qui me préoccupaient. alors que c’est une prérogative divine. » Tout ce
Mais j'ai dé­barrassé le spectacle de l'univers go­ discours empreint de religiosité n’apparaît pas du
thiquedu roman
qui ne m'intéressait pas tout avant la naissance de la créature. Frankenstein
particulièrement.
n'est pas du tout quelqu'un qui vibrait dans la foi.
Mais il s'est fabriqué un discours a posteriori pour
Qu'est-ce que raconte votre version ?
se dégager d'une res­ponsabilité par rapport à cet
être auquel il a donné la vie.
Ce qui était totalement farfelu à l'époque du
roman, comme le fait de donner la vie à de la Est-ce que pour autant, on doit re­douter le
matière inerte, est aujourd'hui envisageable. progrès ?
Donc le docteur Frankenstein, qui se vit comme
un artiste avec un besoin manifeste d'affirmation Ça peut faire peur de se dire qu'un jour l'intelligence
de soi, convoque tout un public pour réali­ser artificielle va sup­planter l'esprit humain. Mais je
une performance à partir de la poussière. C'est pense que le mouvement est lancé. On porte depuis
le côté spectacle­ performance qui l'emporte. longtemps des lu­nettes, des verres de contact, des
La vraie difficulté aujourd'hui, c'est la tête qu'on prothèses, des pacemakers et on en est au cœur
donne au monstre. Si au XXIe siècle, on veut jouer artificiel. On serait déjà mort 10 fois s'il n'y avait
au docteur Frankenstein, c'est pour fabriquer un pas le pro­grès.
être supérieur à nous, donc un être plus résistant,
pourquoi pas im­mortel et tant qu'à faire plus beau
et souriant. Mais si la créature est belle, il faut
Propos recueillis par Hélène Chevrier
trouver une raison pour que son créateur la rejette.
Théâtral magazine n°57 / Janvier - Février 2016
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