Dossier : se332645_3b2_V11 Document : Heidegger_332645
Date : 11/8/2014 16h12 Page 25/176
Dans son influente biographie, Rüdiger Safranski a réso-
lument affirmé que Heidegger n'avait pas été antisémite
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.
C'est jusqu'à présent l'opinion dominante. On connaît
l'importante thèse apologétique : Heidegger s'engagea bien
dans le national-socialisme, pour une brève période selon les
uns, plus longtemps selon d'autres, mais il ne fut pas antisé-
mite. Est-ce que sa biographie n'en témoigne pas ? Aurait-il
pu être antisémite, lui qui fréquentait des Juifs de façon
naturelle, et qui eut même au moins une maîtresse juive ?
On peut dire qu'était et est antisémite ce qui est affective-
ment et/ou administrativement dirigé contre les Juifs à partir
de rumeurs, de préjugés ou de sources pseudo-scientifiques
(relevant de la théorie des races ou du racisme), et qui
conduit a) à des diffamations, b) à une image générale du
« Juif » comme ennemi, c) à une mise à l'écart –interdit
professionnel, ghetto, camp, d) à l'expulsion –émigration,
e) à l'extermination –pogromes, massacres de masse, camps
d'extermination. Aujourd'hui il faut en outre caractériser
comme antisémite le fait de désigner des Juifs comme « les
Juifs ». D'un côté, dans les faits, il est difficile de séparer
ces différents degrés. D'un autre côté, je tiens pour
1. Rüdiger Safranski, Heidegger et son temps, trad. I. Kalinowski, Paris,
Grasset, 1996, p. 269 : « Heidegger –antisémite ?/ Il ne l'était pas au sens du
système idéologique obsessionnel des nationaux-socialistes. On ne rencontre
en effet de remarques antisémites ou racistes ni dans ses cours ou ses écrits
philosophiques, ni dans ses discours et ses pamphlets politiques. » Sur le
même sujet cf. Philippe Lacoue-Labarthe, La Fiction du politique. Heidegger,
l'art et la politique, Paris, Christian Bourgois, 1998. La pensée de Heidegger
ne peut être caractérisée comme « idéologie », elle rejette strictement l'idéo-
logie, mais elle a été, par moments, idéologique.
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Introduction