RH & CHANGE
Le télétravail et la transformation des organisations
NOVEMBRE 2016
ÉDITO FRANÇOISE GRI
Télétravail… ou changement culturel ?
Si la loi en France n’encadre le sujet que depuis 2012, les
premiers projets de télétravail datent de la n des années 90.
On a donc aujourd’hui beaucoup de recul et d’expérience sur les
conditions de succès de ces démarches. Si l’on devait résumer,
on dirait : beaucoup d’avantages pour tous, à condition de
faire plus de management, mais un management différent. A
l’heure du changement qu’impose la transformation digitale des
entreprises, il est intéressant de s’interroger sur comment ces
nouvelles pratiques de management vont également faciliter
l’indispensable nouvelle évolution culturelle des organisations.
Revenons d’abord sur l’histoire.
Les sociétés précurseuses, dont IBM, ont d’abord développé le
concept de mobilité pour leurs équipes de commerciaux et de
consultants. Les collaborateurs étaient équipés de PC portables
pour que ceux-ci puissent travailler à distance — chez eux ou
n’importe où ailleurs — et des espaces de co-working étaient
testés à l’extérieur des grandes agglomérations pour permettre
l’accès à des équipements plus sophistiqués : imprimantes
rapides, vidéoconférence par exemple. Ces collaborateurs étaient
déjà autonomes dans l’organisation de leur travail qui exigeait
par structure beaucoup de déplacements et une part d’activité
importante exercée à l’extérieur de l’entreprise. Le premier
objectif était donc d’augmenter le confort et la productivité de ces
équipes en leur évitant de devoir ‘repasser’ au bureau pour traiter
leurs tâches sédentaires.
Très vite, l’opportunité d’optimiser l’espace de bureaux, qui était
par conséquence sous utilisé, est apparue évidente. Ont donc
été développés plus largement des espaces de travail partagés
où les postes de travail n’étaient plus attribués nominativement,
chacun s’installant là où il y avait une place libre, ou réservant une
salle de réunion à l’avance pour travailler avec d’autres.
A cette époque aussi, la globalisation des fonctions a amené
certains collaborateurs à travailler de façon plus intensive avec
des collègues localisés ailleurs dans le monde qu’avec des
personnes présentes dans le même immeuble, et pour ceux-ci,
travailler depuis leur domicile est devenue une évidence.
Et puisque les cadres travaillaient à distance, les fonctions
supports : secrétariat, fonctions administratives pouvaient
également devenir ‘mobiles’ et ce d’autant plus que les centres
de services partagés s’emparaient des activités sédentaires de
production qui demandaient une supervision plus rapprochée.
Ces transformations du mode de travail de tous ont été facilitées
par l’adoption de la téléphonie sur IP qui permettait de virtualiser
un poste de travail complet, par lévolution de la connectivité et du
téléphone mobile, ainsi que par la mise à disposition d’intranets
très complets permettant à chaque collaborateur, où qu’il soit,
d’accéder à l’information dont il avait besoin et de gérer les
petites procédures de la vie quotidienne comme les demandes
de congés et les remboursements de notes de frais.
C’est donc par cercles concentriques, et aies par l’évolution
de la technologie, que ces entreprises pionnières ont petit à petit
changé totalement l’organisation du travail de la majorité de leurs
équipes.
Rapidement après le démarrage de ces initiatives, est apparue
la nécessité d’accompagner cette nouvelle mobilité au-delà de la
mise en place des outils, et de travailler plus largement sur les
comportements :
- pour éviter les attitudes non respectueuses de la communauté :
la pollution sonore dans les espaces de travail partagés,
l’appropriation systématique des espaces de co-working
ou des salles de réunion, la dégradation plus importante du
matériel ou de la propreté des lieux... parce que l’usage des
ocaux se faisait plus anonyme, l’autorégulation par le groupe
de travail ne s’y développait pas de la même façon,
- pour s’assurer de l’existence et de la qualité des moments
collectifs dans les organisations: il est tellement plus facile de
faire son mail pendant une conférence téléphonique que d’y
contribuer, et si simple de croire que parce que l’on a tenu une
téléconférence on a fait son travail de manageur !
- pour aider les manageurs à mettre en place de nouvelles
pratiques d’interaction avec leurs collaborateurs : points
réguliers quotidiens ou hebdomadaires, réunions d’équipes
structurées, usage de ‘chats’ etc... et les aider à choisir le
bon media (mail, téléphone, réunion physique) pour que ces
moments soient les plus efcaces.
- pour aider les collaborateurs à gérer leurs temps de travail et
leurs temps de vie personnelle.
De fait, on a découvert assez vite que pour être plus mobile et plus
flexible, il fallait formaliser plus systématiquement des rituels de
management ainsi que des rituels d’interaction et de partage. Il
a fallu un peu plus de temps pour constater que ces nouveaux
modes d’organisation du travail, s’ils apportaient effectivement
à la fois plus de productivité pour l’entreprise et plus de flexibilité
Françoise Gri, senior advisor chez Sia Partners, ancienne présidente-directrice générale
d'IBM France, de Manpower branche France et Europe du Sud, puis directrice générale
du groupe Pierre & Vacances-Center Parcs, observe et contribue aux évolutions des
modes de travail depuis plus de 20 ans.
pour les collaborateurs dans l’organisation de son temps, avaient
aussi pour conséquence de casser les relations informelles sur
les lieux de travail lorsqu’ils devenaient la norme 5 jours sur 5.
Plus de conversations à la machine à café, moins de discussions
impromptues, pas de rencontre non planiée, le lien de chacun
avec sa communauté s’affaiblissait avec le temps, impactant le
climat et le niveau d’engagement.
Il y avait aussi ces collaborateurs totalement isolés que de
mémoire de manageurs on n'avait plus vus depuis plusieurs mois :
ou qu’ils aient décidé eux-mêmes de pousser la logique du
travail à distance en allant s’installer loin ‘à la campagne’, ou que
ce mode de travail ait permis une évolution des organisations
en évitant de coûteuses relocalisations ou restructurations,
changeant la mission ou la ligne hiérarchique d’un collaborateur
tout en conservant sa localisation initiale.
Ces dérives constatées, il est devenu impératif d’édicter des
limites, limites du nombre de jours de travail hebdomadaires
ou mensuels passés totalement hors des locaux de l’entreprise,
limites dans la fragmentation physique des organisations, limites
dans les actes de management pratiqués à distance. Et en même
temps, il a fallu inventer de nouveaux moments collectifs pour
encourager les rencontres et les échanges.
Aujourd’hui, en dehors de cas exceptionnels comme celui de
Yahoo (voir encadré), il ne viendrait à l’esprit de personne dans
ces entreprises pionnières de revenir en arrière et d’exiger de
leurs collaborateurs une présence physique à des horaires xes.
Mais la nécessité de réinventer les pratiques de management a
été mise en évidence ainsi que celle de les penser au niveau de
l’entreprise et de les formaliser. Sont apparues indispensables :
- la mise en place d’une structure de réunions pour systématiser
les interactions indispensables à la conduite de l’activité et à
l’atteinte des objectifs
- la codication des actes incontournables de management,
le manageur ayant à développer à la fois un rôle de coach et
d’animateur, très éloigné de celui du contrôleur jouant de sa
position hiérarchique
- la mise en place de moments de rencontres et de partages
indispensables au développement de communautés et
réseaux spécialisés, pour que le collaborateur, travaillant
en autonomie, soit connecté à des groupes, au-delà de son
organisation hiérarchique, suivant ses intérêts et ses missions
Il est intéressant de constater que ces nouveaux piliers du
management sont aussi ceux qui facilitent la mise en place
d’organisations agiles, donnant des articulations xes au
fonctionnement d’équipes produisant de façon permanente en
mode projet.
L’accompagnement d’un projet de télétravail et de mobilité
doit donc bien être conçu comme l’accompagnement d’une
transformation culturelle et managériale et non pas seulement
comme celui d’un projet immobilier ou de bien-être au travail.
• Pierre de Villeneuve
Comité de rédaction
• Claire Gallois-Xie
Thomas Troublaiewitch
COMITÉ ÉDITORIAL
• Pauline de Crouzet-Zebel
Liste des contributeurs
SOMMAIRE
Le télétravail est pratiqué depuis longtemps par les entreprises
les plus innovantes ou les plus mondialisées. En France, il s’est
développé par la Loi depuis 2012 et, en juillet 2016, 64% des
salariés se disaient favorables au télétravail1.
Au-delà des avantages liés à l’amélioration de l’équilibre vie
privée-vie professionnelle, il intègre les réflexions liées aux
performances économiques et sociales des organisations – dont
les modes de production – ainsi qu’à l’optimisation des coûts,
notamment ceux liés à l’immobilier.
Ainsi, le télétravail transforme ; il transforme les modes de
travail, les modes de management, les modes d’interaction entre
salariés ; il touche l’ensemble des piliers de la culture d’entreprise
et la modie.
Sous-tendant une autonomie et une responsabilisation
des salariés comme des managers, il suppose une agilité
nouvelle dans le travail. Il exige aussi de sortir les notions de
« subordination » et de « temps de travail effectif » de nos schémas
mentaux, piliers de nos relations au travail, pour intégrer celles de
« conance » et de « contrôle à la tâche ».
Et de nombreuses questions se posent encore, en particulier
sur l’investissement qu’il représente et le risque juridique lié à
l’obligation de résultat de l’employeur portant sur la santé et la
sécurité de ses salariés. Ce dernier point emporte la question du
contrôle des conditions de travail au domicile, souvent traitées
par simple déclaration du salarié.
Peut-être sont-ce les raisons des réticences françaises à passer
à l’heure du travail à distance ?
A ces incertitudes en attente de jurisprudence, s’ajoute une
insécurité juridique liée à la construction toujours en cours du
dispositif. En effet, la Loi Travail d’août 2016 crée le « droit à la
connexion » qu’il s’agira d’intégrer dès 2017 dans les relations
sociales, et la concertation nationale interprofessionnelle
d’octobre 2016 dont les éléments de sortie sont à ce jour inconnus,
pourrait encore modier l’ingénierie générale du télétravail.
C’est pourquoi il nous semble essentiel d’approcher le télétravail
avec les méthodologies du changement et de la transformation.
En intégrant d’une part toutes les parties prenantes (les
lignes managériales, l'I.T, les salariés, les Ressources
Humaines, les lignes managériales stratégiques, les Instances
Représentatives du Personnel, la Communication…) et d’autre
part, en utilisant l’ensemble des outils de la politique RH et de
l’embarquement liés à un projet de transformation ussi. C'est
aussi de cette coopération transversale que naîtra une véritable
« expérience salariée ».
1 Etude Randstad Awards 2016
Le télétravail, comme mode de travail, pose la
possibilité de l’évolution des cultures d’entreprise
1. Le télétravail est un pont entre l’amélioration des
conditions de travail, la qualité de vie au travail et la
performance économique de l’entreprise
Les avantages du télétravail pour le salarié
Les avantages du télétravail pour l’entreprise
L’exemple des Etats-Unis, une mise en place complète
et décomplexée
2. En France, la loi de 2012 a favorisé l’utilisation du
télétravail par le CAC 40
Historiquement peu utilisatrice du dispositif par
rapport à ses voisins, la France a initié un mouvement
normatif qui se poursuit aujourd’hui
Depuis que la France a initié son travail d’intégration
juridique, le CAC 40 se saisit du dispositif
3. Malgré un cadre juridique concis et simple
d’utilisation, le télétravail comporte un certain
nombre de risques
Anticiper les fortes incertitudes juridiques
Anticiper les risques managériaux et de déstabilisation
de l’organisation
4. Accompagner et anticiper les changements
liés aux modes de travail : un véritable projet de
transformation
Pourquoi choisir le télétravail : anticiper les
changements culturels liés au travail à distance
Comment mettre en place le télétravail ? Dénir les
modalités d’application du dispositif
Quand lancer le télétravail ? Accompagner les
acteurs à la mise en oeuvre du télétravail et à ses
conséquences
Quelles mesures proposer pour embarquer et ancrer
ce mode de travail dans l’organisation
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