La nocardiose est-elle plus fréquemment observée depuis l’introduction des nouveaux immunosuppresseurs en transplantation rénale? S. Canet, V. Garrigue, J. Bismuth, G. Chong, A. Lesnik1, P. Taourel1 et G. Mourad Service de néphrologie et transplantation rénale, 1Département de radiologie, Hôpital Lapeyronie, Montpellier Dans notre série de 1374 transplantations rénales effectuées entre février 1970 et décembre 2002, nous avons observé six infections dues à Nocardia asteroides. Il s’agissait de quatre hommes, deux femmes, âgés de 49,8 ± 12 ans (29 à 63 ans). Seul un patient recevait sa première transplantation, les cinq autres étant des retransplantations. Trois patients sur six étaient hyperimmunisés (anticorps anti-HLA > 80% du panel de lymphocytes) et deux étaient porteurs d’anticorps anti-HLA détruisant respectivement 28% et 40% du panel. La localisation de l’infection était pulmonaire dans cinq cas, cérébrale dans deux cas et médiastinale dans un cas. Deux des six patients avaient été traités par des bolus de solumédrol pour rejet aigu. Lorsque nous avons analysé la survenue de ces infections en fonction des protocoles immunosuppresseurs, nous avons observé deux cas parmi 933 receveurs traités par ciclosporine entre 1985 et 2002, et quatre cas parmi 174 receveurs traités par tacrolimus entre 1996 et 2002. Tous les patients atteints avaient reçu un traitement d’induction par anticorps polyclonaux (lymphoglobuline ou thymoglobuline) et cinq des six patients étaient soumis au long cours à une triple immunosuppression par stéroïdes, anticalcineurine et azathioprine ou mycophénolate mofétil (MMF). Notre série suggère que les patients à haut risque immunologique, le niveau élevé de l’immunosuppression et peut-être le traitement par tacrolimus sont des facteurs de risque de nocardiose. Un diagnostic précoce, la réduction du traitement immunosuppresseur et une antibiothérapie prolongée par sulfamides ont permis d’obtenir la guérison de tous nos patients. In our series of 1374 renal transplantations performed between february 1970 and december 2002, we observed 6 cases of infection due to Nocardia asteroids. There were 4 male and 2 female, aged 49.8 ± 12 years (29 to 63 years). One patient received his first transplantation and the 5 others retransplants. Three patients had PRA > 80%, one 28% and one 40%. One patient was diabetic and two had HCV infection.Two from 6 patients experienced acute rejection episodes. Nocardiosis localisation was pulmonary in 5 cases, cerebral in two and mediastinal in one. All patients recovered after reduction of immunosuppression and appropriate antibiotherapy with trimetoprim-sulfamethoxasole (TMP-SMX). When we analyzed the role of immunosuppression, we observed that only two cases were observed in the 933 recipients transplanted between 1985 and 2002 and receiving ciclosporin, contrasting with 4 cases among 174 recipients transplanted between 1996 and 2002 and receiving tacrolimus. Our data suggest that high immunologic risk patients, heavy immunosuppression, and perhaps tacrolimus-based immunosuppression are risk factors of nocardial infection. Early diagnosis of this severe infection, reduction of immunosuppression and appropriate therapy with TMP-SMX resulted in complete recovery in all our patients. Mots-clés : Nocardiose – Transplantation rénale – Tacrolimus – Mycophénolate mofétil. Key words : Nocardiosis – Renal transplantation – Tacrolimus – Mycophenolate mofetil – Overimmunosuppression. ● Abréviations AZA: Azathioprine® ATG : Thymoglobuline (Imtix-Sangstat, Lyon, France) CsA : Ciclosporine HLA : Human leucocyte antigens IS : Immunosuppression LBA : Lavage broncho-alvéolaire MMF : Mycophénolate mofétil (Cellcept®, Roche) Pred : Prednisolone Néphrologie Vol. 25 n° 2 2004, pp. 43-48 RC : Rein de cadavre SAL : Sérum antilymphocytaire (Lymphoglobuline® Mérieux, Lyon, France) Tc : Tacrolimus TDM : Tomodensitométrie Tx : Transplantation VIH : Virus de l’immunodéficience humaine VHC : Virus de l’hépatite C 43 articles originaux Résumé • Summary articles originaux ■ Introduction (100 à 150 mg/j). Les crises de rejet aigu étaient traitées par de la méthylprednisolone i.v. à forte dose (500 mg/j pendant trois jours puis 4 mg/kg/j pendant deux jours puis 3 mg/kg/j pendant deux jours puis 1 mg/kg/j per os pendant quinze jours). La nocardiose est une infection opportuniste survenant la plupart du temps dans un contexte d’immunodépression (VIH, transplantation d’organes solides, hémopathies malignes notamment). Cependant, dans une enquête réalisée entre 1972 et 1974 aux Etats-Unis, plus de 15% des cas étaient observés chez des sujets non immunodéprimés.1 La nocardiose est due à une bactérie à Gram positif, aérobie stricte et acido-alcoolo résistante. L’identification bactériologique se fait par l’observation de pseudo-mycelium Gram positif et de hyphes acido-alcoolo résistants.2 La culture sur milieux enrichis est longue (quelques jours à plusieurs semaines). Il existe trois espèces pathogènes chez l’homme : Nocardia Asteroides (la plus fréquente : 90% des cas chez les transplantés rénaux) ; Nocardia brasilensis et Nocardia caviae.3 Nocardia asteroides est une bactérie tellurique ubiquitaire dont la porte d’entrée chez l’homme est le plus souvent respiratoire.3,4,5 Par conséquent, la forme clinique la plus fréquente est une infection pulmonaire (présente dans 60 à 80% des cas).4,5 La dissémination secondaire par voie hématogène est observée dans près d’un cas sur deux : 6 les organes les plus souvent atteints sont la peau, le tissu sous-cutané et le système nerveux central, (articulations, cœur et reins étant moins souvent touchés).3 Bien que l’incidence de la nocardiose soit plus élevée chez les transplantés rénaux par rapport aux autres transplantions d’organes,3,7 les publications sont souvent consacrées à la description de cas cliniques et à leur évolution.8-16 Par conséquent, l’absence d’études analysant de grandes cohortes de transplantés ne permet pas d’interpréter correctement l’influence respective des différents traitements immunosuppresseurs sur la survenue de la maladie.4 Ceci nous a incité à rapporter l’expérience de notre centre où six observations de nocardiose ont été diagnostiquées entre 1993 et 2002, et à analyser la survenue de ces cas en fonction du traitement immunosuppresseur. Durant cette période où de nombreux immunosuppresseurs ont été introduits, nous pouvons distinguer deux protocoles d’immunosuppression. Le premier à base de ciclosporine (Néoral®) en association avec le MMF (2 g/j) et des stéroïdes. Le second à base de tacrolimus à la dose de 0,2 mg/kg/j à adapter en fonction des tacrolémies résiduelles (10 à 15 ng/ml durant le premier mois, puis 5 à 10 ng/ml au long cours), en association avec des stéroïdes et de l’azathioprine. Chez les patients à haut risque immunologique, l’azathioprine était remplacée par le MMF. La majorité des patients recevaient une induction par thymoglobulines à faible dose (50 à 75 mg/j en perfusions intermittentes effectuées lorsque le taux de lymphocytes CD3 était supérieur à 20/mm3 ) jusqu’à ce que la créatininémie atteigne 200 µmol/l.17 ■ Patients et immunosuppresion ■ Résultats ● Patients ● Cas cliniques Entre février 1970 et décembre 2002,1374 transplantations rénales ont été effectuées dans notre centre. Six cas de nocardiose ont été diagnostiqués. Six patients ont présenté une nocardiose : quatre hommes et deux femmes, âgés de 29 à 63 ans (tableau I). Il s’agissait d’une première transplantation dans un cas et d’une deuxième transplantation dans les cinq autres cas. Trois patients étaient hyperimmunisés et deux autres avaient des anticorps anti-HLA détruisant respectivement 28 et 40% du panel de lymphocytes. Tous les patients étaient VIH négatif. Un patient était VHC positif, un second diabétique et un troisième diabétique et VHC positif. Tous les patients ont reçu un traitement d’induction par SAL ou ATG. Le délai de survenue de l’infection était de quatre à seize mois post-transplantation. Tous les patients étaient fébriles lors du diagnostic (37°3 C à 39° C) ; cinq d’entre eux se présentaient avec des signes respiratoires, parfois sévères (fig. 1) ; l’atteinte pulmonaire était associée à une médiastinite dans un cas et à un abcès cérébral dans un autre. Le sixième patient se plaignait de céphalées isolées et d’une fébricule (37°3 C) révélant un abcès cérébral (fig. 2), sans atteinte pulmonaire. ● Immunosuppression Nous distinguons trois périodes successives dans notre pratique de l’immunosuppression. Première période (1970-1984) Les patients recevaient du sérum anti-lymphocytaire (SAL ; lymphoglobulines ; Laboratoire Mérieux, Lyon, France) à forte dose (une perfusion de trois ampoules par jour pendant quinze jours, puis décroissance progressive : trois perfusions par semaine pendant un mois puis deux perfusions par semaine pendant un mois puis une perfusion par semaine pendant un mois) associées à des stéroïdes à faible dose (20 mg/jour) et de l’azathioprine 44 Deuxième période (1985-1995) Les patients recevaient de la ciclosporine dans le cadre d’un traitement séquentiel incluant : SAL ou thymoglobulines (ATG ; 50 à 75 mg/jour pendant quinze jours), azathioprine et stéroïdes. Lorsque la créatininémie atteignait 200 µmol/l, la ciclosporine était introduite à la dose de 6 mg/kg/j, dose adaptée en fonction des concentrations résiduelles (200 ng/ml pendant le premier mois, 150 à 200 ng/ml durant les 2e et 3e mois, 100 à 150 ng/ml du 4e au 6e mois et 100 ng/ml au long cours). Les crises de rejet aigu étaient traitées par trois bolus successifs de méthylprednisolone (500 mg/j i.v.). Les rejets corticorésistants étaient traités par OKT3 (5 mg/j pendant dix jours). Troisième période (1996-2002) Néphrologie Vol. 25 n° 2 2004 Tableau I : Caractéristiques cliniques, traitement et évolution des patients. Age Sexe Comorbidité N° Tx et date IS Rejet aigu Délai Post-Tx Clinique Organes atteints Diagnostic Bactéries Traitement Evolution 1 H 59 ans VHC + Diabète 2e Tx RC (1993) SAL Pred CsA AZA Non 12 mois Toux, fièvre, expectoration, amaigrissement Poumon Biopsie s/TDM Nocardia Bactrim® Guérison 2 H 48 ans VHC + 2e Tx RC (1992) SAL Pred CsA AZA Non 16 mois Dyspnée, fièvre, douleur thoracique, céphalées, AEG Poumon Cerveau Biopsie s/TDM Nocardia Bactrim® Guérison 3 F 29 ans 2e Tx RC (1998) ATG Pred Tc AZA Non 9 mois Fièvre, dysphagie, abcès médiastinal fistule œsophagotrachéale Médiastin Poumon LBA Nocardia Bactrim® Guérison 4 H 48 ans 1re Tx RC (2000) ATG Pred Tc AZA Oui 8 mois Céphalées Cerveau Biopsie s/TDM Nocardia Bactrim® Chirurgie Guérison 5 H 48 ans 2e Tx RC (2000) ATG Pred Tc MMF Oui 4 mois Douleur thoracique, fièvre Poumon Biopsie s/TDM Nocardia Bactrim® Guérison 6 F 67 ans 2e Tx RC (2000) ATG Pred Tc AZA Non Poumon Biopsie s/TDM Non obtenu 15 mois Dyspnée, fièvre Imipénem Guérison Minocycline Fig. 1: TDM thoracique du patient 6 : nombreuses opacités nodulaires bilatérales, de taille variable. Fig. 2 : TDM cérébrale du patient 4 : image arrondie frontopariétale gauche, avec œdème périlésionnel. Le traitement antibiotique fut un sulfamide pour cinq des six patients et l’imipénem relayé par la minocycline chez un patient allergique aux sulfamides. L’immunosuppression a été allégée chez tous les patients (arrêt de l’azathioprine ou du MMF et diminution des doses des anticalcineurines). L’évolution a été favorable chez tous les patients. L’infection n’a pas eu de retentissement défavorable sur la fonction du transplant. 645 patients transplantés entre 1985 et 1995. Enfin, quatre cas sont survenus parmi les 462 patients transplantés depuis 1996 (tableau II). Durant cette dernière période, les quatre observations de nocardiose concernaient exclusivement des receveurs traités par tacrolimus : un patient recevait une bithérapie tacrolimus et stéroïdes, les trois autres une trithérapie tacrolimus, MMF et stéroïdes (un cas), et tacrolimus, azathioprine et stéroïdes (deux cas). Il n’y a pas de différence en ce qui concerne l’âge, le sexe et le nombre de crises de rejet aigu entre les patients ayant présenté une nocardiose et la population globale des transplantés de notre centre. Par contre, il s’agissait d’une deuxième transplantation chez cinq de nos six patients et deux étaient hyperimmunisés, circonstances où une immunosuppression forte est indiquée. ● Survenue des cas en fonction du traitement immunosuppresseur Aucun cas de nocardiose n’a été recensé chez les 267 patients transplantés avant 1985. Deux cas ont été diagnostiqués chez les Néphrologie Vol. 25 n° 2 2004 45 articles originaux Diabète Tableau II : Cas incidents de nocardiose en fonction du traitement immunosuppresseur. Période Immunosuppression Nombre transplantations Nombre nocardioses 1970-1984 ALG/AZA/Pred 267 0 1985-1995 ALG/AZA/CsA/Pred 645 2 1995-2002 ATG/MMF/CsA/Pred 288 0 ATG/AZA ou MMF/Tacrolimus/Pred 174 4 1374 6 Total articles originaux ■ Discussion L’incidence de la nocardiose chez les transplantés rénaux est variable selon les séries (0 à 20%) mais se situe en général aux environs de 4%.3,7,18 Dans notre série, elle est de 0,4% mais avec une majorité de cas survenant entre 1995 et 2002, période où l’immunosuppression a été intensifiée. La mortalité globale restant élevée (25%),3 il est primordial d’obtenir un diagnostic précoce de l’infection. Ce diagnostic est souvent difficile en raison du caractère aspécifique de la présentation clinique, en particulier en ce qui concerne l’atteinte pulmonaire.2,19 Comme cela a été observé chez les patients 3 et 5, il n’est pas rare que le diagnostic de nocardiose soit d’ailleurs évoqué devant la persistance de signes respiratoires initialement traités comme une infection à germes banaux. Aucune méthode indirecte fiable n’étant actuellement disponible (sérologie, antigène soluble),3 le diagnostic doit être systématiquement confirmé par une procédure invasive permettant d’isoler la bactérie (LBA, ponction d’une opacité pulmonaire guidée par TDM, ponction stéréotaxique d’un abcès cérébral).2,3,11,14,20 La localisation cérébrale secondaire, sous la forme d’abcès unique ou multiple est fréquente chez les transplantés rénaux (20 à 38% des cas de nocardiose)3,5,21,22 avec une mortalité atteignant près de 80% dans certaines séries. Dans notre population, l’évolution des deux patients présentant une localisation cérébrale a été favorable. L’atteinte cérébrale de la nocardiose est parfois asymptomatique et beaucoup d’auteurs recommandent son dépistage systématique par TDM ou IRM devant toute nocardiose diagnostiquée chez un patient immunodéprimé ou pour tout tableau neurologique fébrile chez un immunodéprimé. Les sulfamides restent l’antibiothérapie de référence. Avant leur apparition, la mortalité de la nocardiose était de 80% environ.3 L’obtention d’un diagnostic précoce et le traitement prolongé (> 6 mois) par sulfamides ont permis la guérison de tous nos patients. La durée du traitement n’est pas actuellement consensuelle. Rubin souligne l’importance d’un bilan d’extension soigneux initial pour déterminer la durée du traitement. Selon lui, l’antibiothérapie doit être poursuivie voire renforcée jusqu’à disparition complète de tous les foyers infectieux présents lors du diagnostic.23 Les cas de rechute survenant majoritairement chez des patients traités pendant moins de six mois, tous les auteurs recommandent un traitement par sulfamide pour une durée minimale de six mois pour les localisations pulmonaires et de douze mois pour les localisations cérébrales.2,24 D’autre part, le traitement chirurgical des abcès cérébraux est préconisé, Filice et coll. ayant décrit une nette diminution de la mortalité chez les 46 patients traités par antibiothérapie et chirurgie comparés aux patients traités par antibiothérapie seule.25 Une alternative thérapeutique est parfois nécessaire en cas d’intolérance aux sulfamides ou de détérioration de la fonction du transplant sous sulfamides. Elle fait appel à l’amikacine, à l’imipénem et aux céphalosporines de troisième génération (céfotaxime ou ceftriaxone) par voie parentérale.2,19 Par contre, l’efficacité du traitement d’entretien par minocycline a été récemment remise en cause par deux observations de dissémination cérébrale d’une nocardiose pulmonaire traitée par minocycline.26 Enfin, certains auteurs considèrent que la prévention de la pneumocystose pulmonaire par les sulfamides permet également de prévenir efficacement la nocardiose.24 L’intensité globale du traitement immunosuppresseur joue un rôle déterminant dans la survenue de nocardiose. En effet, le nombre de rejet(s) aigus(s), l’utilisation de fortes doses de stéroïdes, l’intensité du traitement immunosuppresseur sont des facteurs de risque déjà reconnus chez les transplantés rénaux.2,7,18 Notre expérience est en accord avec ces données puisque si seulement deux de nos patients (4 et 5) avaient présenté une crise de rejet aigu respectivement quatre et six mois avant le diagnostic de nocardiose, le niveau global d’immunosuppression était très élevé chez cinq d’entre eux (induction par anticorps polyclonaux, trithérapie d’entretien associant un inhibiteur de la calcineurine avec des stéroïdes et un inhibiteur des purines). Ceci est justifié par la présence d’un haut risque immunologique (PRA > 80% chez trois patients ; deuxième transplantation chez cinq patients). Par contre, l’influence du type d’immunosuppresssion dans la survenue de la nocardiose reste débattue. En effet, certains auteurs ont constaté une nette diminution de la nocardiose (de près de 30%) chez des patients traités par CsA-stéroïdes par rapport à un groupe de patients recevant des AZA-stéroïdes.4 Le mode d’action de l’azathioprine (inhibition de la fonction « helper», effet neutropéniant) en serait l’explication. Dans notre série, aucun des patients traités par AZA-stéroïdes entre 1970 et 1984 n’a présenté de nocardiose. Il est possible que le diagnostic n’ait pas été porté chez ces patients, mais cette hypothèse nous semble peu probable, la nocardiose étant bien connue des transplanteurs depuis très longtemps et les méthodes diagnostiques n’ayant pas évolué depuis une trentaine d’années. Concernant l’influence respective de la ciclosporine et du tacrolimus sur la survenue de nocardiose, nous ne disposons pas de données prospectives randomisées permettant de conclure. En dehors de quelques analyses rétrospectives monocentriques comme celle d’Arduino,4 l’incidence exacte de la nocardiose chez les transplantés rénaux recevant de la ciclosporine n’a jamais été déterminée. De même, en ce qui concerne le tacrolimus, aucune donnée n’est actuellement disponible. Néanmoins, plusieurs observations de nocardiose chez des transplantés rénaux recevant du tacrolimus ont été publiées au cours des cinq dernières années (tableau III).11-15 Il faut souligner que dans la plupart de ces cas, le tacrolimus était associé au MMF.12-14 Dans notre centre, nous constatons une augmentation de la fréquence de la nocardiose chez les transplantés rénaux soumis à un traitement à base de tacrolimus (4/174, soit 2,3%) comparés à ceux recevant une immunosuppression à base de ciclosporine (2/933, soit 0,2%) alors que nous continuons à très largement utiliser la ciclosporine, y compris chez les receveurs à haut risque immunologique. Si le rôle du MMF est difficile à préciser dans notre série (un seul patient recevait l’association tacrolimus/MMF), une publica- Néphrologie Vol. 25 n° 2 2004 Tableau III : Nocardiose et Tacrolimus : principaux cas publiés. Tx IS Rejet aigu/traitement F 50 1re Tx RC Tc/Pred/AZA N°1 : J19 stéroïdes IV CsA → tacrolimus Délai post-RA Délai post-Tx (jours) (mois) Organes Traitement Evolution Réf. 13 3 Cerveau Méropénem Rifampicine puis Quinolones Guérison 11 255 9 Cerveau Bactrim® Guérison 12 1,5 Abcès périrénal Imipénem Macrolides Guérison 13 3 Poumon Bactrim® Guérison 14 29 Poumon Cerveau Méropénem Céfotaxime puis Minocycline Décédée 15 N°2 : J90 stéroïdes IV re H 29 1 Tx RC Tc/Pred/MMF J15 stéroïdes IV + OKT3 CsA → tacrolimus H 50 2e Tx RC Tc/Pred/MMF Non F 48 1re Tx RC Tc/Pred J7 stéroïdes IV introduction MMF F 45 1re Tx RC Tc/Pred/AZA Non 77 4. Arduino RC, Johnson PC, Miranda AG. Nocardiosis in renal transplant recipients undergoing immunosuppression with cyclosporin. Clin Infect Dis 1993 ; 16 : 505-12. tion récente a rapporté une augmentation de plusieurs infections opportunistes dont la nocardiose chez des transplantés rénaux recevant du tacrolimus et/ou du MMF.27 S’il est certainement prématuré de considérer que l’utilisation du tacrolimus est un facteur de risque plus important de nocardiose par rapport à la ciclosporine, nos résultats suggèrent qu’un traitement à base de tacrolimus serait responsable de l’augmentation récente de la fréquence de la nocardiose dans notre centre. De plus, nous constatons comme d’autres auteurs un délai moyen de survenue de la nocardiose plus court chez les patients recevant du tacrolimus (six mois dans notre série ; six semaines à neuf mois dans les observations déjà publiées)11-15 que chez les patients traités par ciclosporine (12,3 mois pour nos patients ; 19 mois environ pour Arduino).4 Enfin, des facteurs de comorbidité associés pouvant favoriser la survenue de l’infection sont classiquement décrits dans la littérature : il s’agit comme chez certains de nos patients, du diabète sucré, de l’âge et de l’infection VIH.2,3 10. Palomares M, Martinez T, Pastor J, Osuna A, Bravo JA, Alvarez G, Asensio C. Cerebral abscess caused by Nocardia asteroides in renal transplant recipient. Nephrol Dial Transplant 1999 ; 14 : 2950-2. Adresse de correspondance : 11. Hartmann A, Halvorsen CE, Jenssen T, et al. Intracerebral abscess caused by Nocardia otitidiscaviarum in a renal transplant patient cured by evacuation plus antibiotic therapy. 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