■Discussion
L’incidence de la nocardiose chez les transplantés rénaux est
variable selon les séries (0 à 20%) mais se situe en général aux
environs de 4%.3,7,18 Dans notre série, elle est de 0,4% mais avec
une majorité de cas survenant entre 1995 et 2002, période où
l’immunosuppression a été intensifiée.
La mortalité globale restant élevée (25%),3il est primordial
d’obtenir un diagnostic précoce de l’infection. Ce diagnostic est
souvent difficile en raison du caractère aspécifique de la présen-
tation clinique, en particulier en ce qui concerne l’atteinte pul-
monaire.2,19 Comme cela a été observé chez les patients 3 et 5, il
n’est pas rare que le diagnostic de nocardiose soit d’ailleurs évo-
qué devant la persistance de signes respiratoires initialement
traités comme une infection à germes banaux. Aucune méthode
indirecte fiable n’étant actuellement disponible (sérologie, anti-
gène soluble),3le diagnostic doit être systématiquement confirmé
par une procédure invasive permettant d’isoler la bactérie (LBA,
ponction d’une opacité pulmonaire guidée par TDM, ponction
stéréotaxique d’un abcès cérébral).2,3,11,14,20
La localisation cérébrale secondaire, sous la forme d’abcès
unique ou multiple est fréquente chez les transplantés rénaux
(20 à 38% des cas de nocardiose)3,5,21,22 avec une mortalité attei-
gnant près de 80% dans certaines séries. Dans notre population,
l’évolution des deux patients présentant une localisation céré-
brale a été favorable. L’atteinte cérébrale de la nocardiose est
parfois asymptomatique et beaucoup d’auteurs recommandent
son dépistage systématique par TDM ou IRM devant toute
nocardiose diagnostiquée chez un patient immunodéprimé ou
pour tout tableau neurologique fébrile chez un immunodéprimé.
Les sulfamides restent l’antibiothérapie de référence. Avant
leur apparition, la mortalité de la nocardiose était de 80% envi-
ron.3L’obtention d’un diagnostic précoce et le traitement pro-
longé (> 6 mois) par sulfamides ont permis la guérison de tous
nos patients. La durée du traitement n’est pas actuellement
consensuelle. Rubin souligne l’importance d’un bilan d’extension
soigneux initial pour déterminer la durée du traitement. Selon
lui, l’antibiothérapie doit être poursuivie voire renforcée jusqu’à
disparition complète de tous les foyers infectieux présents lors du
diagnostic.23 Les cas de rechute survenant majoritairement chez
des patients traités pendant moins de six mois, tous les auteurs
recommandent un traitement par sulfamide pour une durée
minimale de six mois pour les localisations pulmonaires et de
douze mois pour les localisations cérébrales.2,24 D’autre part, le
traitement chirurgical des abcès cérébraux est préconisé, Filice et
coll. ayant décrit une nette diminution de la mortalité chez les
patients traités par antibiothérapie et chirurgie comparés aux
patients traités par antibiothérapie seule.25
Une alternative thérapeutique est parfois nécessaire en cas
d’intolérance aux sulfamides ou de détérioration de la fonction
du transplant sous sulfamides. Elle fait appel à l’amikacine, à l’imi-
pénem et aux céphalosporines de troisième génération (céfo-
taxime ou ceftriaxone) par voie parentérale.2,19 Par contre, l’effica-
cité du traitement d’entretien par minocycline a été récemment
remise en cause par deux observations de dissémination cérébrale
d’une nocardiose pulmonaire traitée par minocycline.26 Enfin, cer-
tains auteurs considèrent que la prévention de la pneumocystose
pulmonaire par les sulfamides permet également de prévenir effi-
cacement la nocardiose.24
L’intensité globale du traitement immunosuppresseur joue
un rôle déterminant dans la survenue de nocardiose. En effet, le
nombre de rejet(s) aigus(s), l’utilisation de fortes doses de stéroïdes,
l’intensité du traitement immunosuppresseur sont des facteurs
de risque déjà reconnus chez les transplantés rénaux.2,7,18 Notre
expérience est en accord avec ces données puisque si seulement
deux de nos patients (4 et 5) avaient présenté une crise de rejet
aigu respectivement quatre et six mois avant le diagnostic de
nocardiose, le niveau global d’immunosuppression était très élevé
chez cinq d’entre eux (induction par anticorps polyclonaux, trithé-
rapie d’entretien associant un inhibiteur de la calcineurine avec
des stéroïdes et un inhibiteur des purines). Ceci est justifié par la
présence d’un haut risque immunologique (PRA > 80% chez trois
patients; deuxième transplantation chez cinq patients).
Par contre, l’influence du type d’immunosuppresssion dans
la survenue de la nocardiose reste débattue. En effet, certains
auteurs ont constaté une nette diminution de la nocardiose (de
près de 30%) chez des patients traités par CsA-stéroïdes par rap-
port à un groupe de patients recevant des AZA-stéroïdes.4Le
mode d’action de l’azathioprine (inhibition de la fonction «hel-
per», effet neutropéniant) en serait l’explication. Dans notre
série, aucun des patients traités par AZA-stéroïdes entre 1970 et
1984 n’a présenté de nocardiose. Il est possible que le diagnostic
n’ait pas été porté chez ces patients, mais cette hypothèse nous
semble peu probable, la nocardiose étant bien connue des trans-
planteurs depuis très longtemps et les méthodes diagnostiques
n’ayant pas évolué depuis une trentaine d’années.
Concernant l’influence respective de la ciclosporine et du
tacrolimus sur la survenue de nocardiose, nous ne disposons pas
de données prospectives randomisées permettant de conclure. En
dehors de quelques analyses rétrospectives monocentriques
comme celle d’Arduino,4l’incidence exacte de la nocardiose chez
les transplantés rénaux recevant de la ciclosporine n’a jamais été
déterminée. De même, en ce qui concerne le tacrolimus, aucune
donnée n’est actuellement disponible. Néanmoins, plusieurs
observations de nocardiose chez des transplantés rénaux rece-
vant du tacrolimus ont été publiées au cours des cinq dernières
années (tableau III).11-15 Il faut souligner que dans la plupart de ces
cas, le tacrolimus était associé au MMF.12-14
Dans notre centre, nous constatons une augmentation de la
fréquence de la nocardiose chez les transplantés rénaux soumis à
un traitement à base de tacrolimus (4/174, soit 2,3%) comparés
à ceux recevant une immunosuppression à base de ciclosporine
(2/933, soit 0,2%) alors que nous continuons à très largement
utiliser la ciclosporine, y compris chez les receveurs à haut risque
immunologique.
Si le rôle du MMF est difficile à préciser dans notre série (un
seul patient recevait l’association tacrolimus/MMF), une publica-
articles originaux
Néphrologie Vol. 25 n° 2 2004
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Tableau II: Cas incidents de nocardiose en fonction du traitement
immunosuppresseur.
Période Immunosuppression Nombre Nombre
transplantations nocardioses
1970-1984 ALG/AZA/Pred 267 0
1985-1995 ALG/AZA/CsA/Pred 645 2
1995-2002 ATG/MMF/CsA/Pred 288 0
ATG/AZA ou 174 4
MMF/Tacrolimus/Pred
Total 1374 6