1 L` « informel » ou la petite production marchande revisités

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L’ « informel » ou la petite production marchande revisités quarante ans après
Philippe Hugon1, Professeur émérite Paris Ouest Nanterre, La Défense
Résumé
L’avantage de l’âge c’est que l’on peut rappeler des histoires anciennes vécues qui sont peut être éclairantes pour les
jeunes générations Nous avons, au début des années 1970, participé aux débats initiés par Hart pour le Ghana (1971)
et le rapport Kenya du BIT(1972) sur l’informel et réalisé plusieurs enquêtes de terrain en Afrique. Qu’en est-il 40
ans après? Nous rappellerons les débats fondateurs les questionnements et les résultats concernant l’économie
« informelle », l’économie populaire urbaine ou la petite production marchande avant de voir ce qu’il en est 40 ans
plus tard tant au niveau des analyses théoriques que du fonctionnement de l’ »informel » Nous prendrons comme
illustration l’Afrique.
Mots clés : accumulation, dualisme ; informel, institutionnalisme, petite production marchande, régulation
JEL : O11
Abstract
The advantage of age is that you can tell old stories that you have lived that can be hopefully enlightening for the
younger generations. In the early 1970s, debates on the informal sector emerged, initiated by Hart for Ghana (1971)
and by the ILO report concerning Kenya (1972) and several field surveys in Africa were conducted. What happened
40 years later? In the present paper, we first recall the founding debates, the questions and results concerning the
"informal" economy, the popular urban economy or small commodity production. Then we seeing where we are 40
years later both in terms of theoretical analyses and in terms of the performance of the "informal". We will take the
African continent as an illustration.
Keywords : accumulation, development theory, dualism, informal sector, institutionalism,petty commodity
production
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La prise de conscience et l’utilisation du terme de secteur, d’emplois ou de revenus informels a résulté, au
début des années soixante-dix, de l’observation conjointe en Afrique de l’explosion urbaine, de la création
limitée d’emplois salariés et d’un chômage enregistré apparent ou déguisé qui n’augmentait que faiblement.
L’essentiel de l’emploi et une part importante de la contribution au PIB n’étaient pas enregistrés par les
comptes nationaux. Les explications traditionnelles de ces phénomènes s’avéraient insuffisantes que ce
soit les thèses du parasitisme (un travailleur fait vivre en villes des non travailleurs), le rôle des transferts de
revenus entre les campagnes et les villes ou de l’absence de création de valeur ajoutée par des activités
traditionnelles considérées comme étant refuge, parasitaire ou d’attente par rapport à la norme salariale. Il
s’agissait, dès lors, de ne pas traiter des activités, dominantes quantitativement, comme se situation
seulement aux marges2.
Nous avons au début des années 70 participé aux débats initiés par Hart pour le Ghana(1971) et le rapport
Kenya du BIT sur l’ « informel » (1972) ou les petites activités urbaines et réalisé plusieurs enquêtes de
terrain en Afrique3. Qu’en est-il 40 ans après. ? Nous rappellerons les débats fondateurs, les
questionnements et les résultats concernant l’économie « informelle » avant de voir ce qu’il en est 40 ans
plus tard. Nous illustrerons notre propos par des exemples africains.
1. Les débats fondateurs sur l’« informel » et les résultats il y a quarante ans
Les travaux fondateurs se situaient dans un contexte les théories dualistes et l’anthropologie rurale
(malgré les travaux de Balandier) dominaient. On observait une position critique de la part des travaux
structuralistes et marxistes et de l’anthropologie économique. Les questionnements différaient
évidemment selon les chercheurs et les organisations internationales. Fallait-il, dans une conception
économiste et statistique, comparer, mesurer, intégrer le secteur informel dans les comptes nationaux afin
d’agir ou, dans une conception davantage socio ou anthropo-économique, comprendre les modes
spécifiques de fonctionnement et de reproduction des sociétés urbaines « sous développées ». ? Fallait-il
utiliser des catégories universelles pour étudier des segments spécifiques de production ou mobiliser des
catégories prenant en compte la spécificité des rapports sociaux et des contextes socio historiques ? Il en
résultait plusieurs débats différents.
1.1. Les débats sémantiques
Le terme anglo-saxon informal traduit par informel était alors absent du vocabulaire français. Il paraissait de
plus inapproprié, comme celui de non structuré (Nihan 1980, Sethuraman 1976), puisqu’il désignait une
réalité négative en se référents à une norme le formel. L’implicite était lune conception dualiste des
sociétés opposant formel et informel et l’absence de règles, de structure ou de forme et donc une
conception anomique des sociétés sous développées4. Il fallait, au contraire, voir comment la pluralité des
règles, des normes, des institutions, des représentations conduisait à différents modes de structuration de
systèmes complexes.
Le terme de secteur a été également critiqué du fait de l’hétérogénéité des activités qu’il regroupait. Il était
une manière d’assimiler les petits métiers et les petites entreprises, les professions, les métiers, les
branches, les statuts ou les classes sociales en se plaçant du seul point de vue de l’unité de production ou
de l’ « entreprise » et en supposant que les comportements les pratiques et les organisations sont
indépendantes du « système global ». En revanche, l’insertion dans la comptabilité nationale imposait des
codifications et des normes comptables permettant la mesure et la commensurabilité.
Les termes alternatifs utilisés ont été alors ceux d’économie cachée, souterraine, non enregistrée,
d’économie populaire urbaine (Bugnicourt 1973)5, de petites activités marchandes ou de petite production
marchande (Hugon 1977, Deblé Hugon 1982), de secteur transitionnel. de développement spontané
(Penouil, Lachaud 1985), d’économies non officielles (Archambault Greffe 1984), d’économie d’entreprise
2 Le terrain urbain conduisait à observer une multitude de petites activités depuis les artisans, les commerçantes, jusqu’aux
acteurs dans la débrouillardise tels les les sauveteurs (qui vendent à la sauvette) de Yaoundé, les récupérateurs des dépôts d’ordure
de Tananarive, les hawkers marchands ambulants de Nairobi,, les tabliers ou les préparatrices de gari à Lagos…
3 Ces travaux résultaient t de la convergence de ma thèse doctorat de 1965 sur l’évolution de l’emploi à long terme et
l’hétérogénéité du secteur tertiaire, de recherches sur les activités urbaines en Afrique que j’appelai alors, comme Philippe Couty,
transitionnelles ou intermédiaire et de l’incitation de Michel Gaud, Michel Montfort et Yves Berthelot du ministère de la
coopération à décrypter le terme de secteur non structuré ou informel que venait d’inventer le BIT.
4 Selon la théorie de la forme, les propriétés d’un phénomène nr résultent pas de la simple addition des propriétés de ses éléments
mais de leur agencement.
5 « On entend par économie populaire l’ensemble des activités économiques et des pratiques sociales développées par les groupes
populaires en vue de garantir, par l’utilisation de leur propre force de travail et des ressources disponibles, la satisfaction des
besoins de base, matériels autant qu’immatériels. » (Sarria Icaza et al., 2006 page259)
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et de bazar (Geertz 1963). Certains chercheurs, tels Lautier et al (1994) refuseront, par contre, de
reconnaitre l’existence du « secteur informel » autrement que comme un projet idéologique6.
1.2 Les débats sur la définition et la caractérisation de l’informel
Deux principaux critères peuvent être mobilisés pour circonscrire l’ « informel » le rapport au marché et le
rapport à l’Etat.
Le rapport au marché permet de différencier quatre configurations selon le critère de production de biens
et services marchands et d’utilisation de la force de travail ou de la convention de travail correspondant à
4 segments (domestique, PPM, capitaliste, étatique public). L’informel correspond à la petite production
marchande. Beaucoup d’activités qui seraient prises en charge par l’économie domestique du fait des biens
durables (moyens de transport, gazinière, machine à laver..) dont disposent les ménages, par l’économie
publique (du fait des transports publics, des services publics et des systèmes de protection sociale) sont
assurées par les petits producteurs marchands. Mais les pratiques des acteurs sont faites de combinaison
ou d’hybridations entre ces différents référents
Tableau 1. Typologie selon le rapport au marché des biens et du travail
Biens et services / travail
Convention salariale
Convention non salariale
Marchand
Capitalisme privé
Petite production marchande
Non marchand
Economie publique
Economie domestique
Le rapport au pouvoir et à l’Etat peut se faire selon le double critère de la légalité et de la légitimité ou de la
régularité en différenciant les activités a légales, irrégulières, illégales, illégitimes. Il y a absence
d’enregistrement, de comptabilité, de fiscalité. L’ « informel » se définit, alors, en relation avec la norme et
la loi. Les petites activités sont généralement a-légales mais légitimes et elles traduisent les modes de survie
des populations ce qui les différencie des activités illicites ou criminelles. La petite production marchande
se distingue de l’économie parallèle et maffieuse interne et internationale, favorisée par la décomposition
des États et un monde sans loi. encore, les frontières sont floues et des formes d’hybridations ou de
combinaisons de plusieurs registres normatifs existent.
Tableau 2. Typologie selon le rapport à l’Etat et à la loi
Loi/ légitimité
Régulier légitime
Irrégulier illégitime
Légal
Economie officiel
Economie irrégulière(violence légale)
Non légal
Economie a- légale
Economie Illégitime, criminelle
La définition proposée de la petite production marchande
La petite production marchande peut se définir comme un ensemble d’unités de production à petite
échelle, sans comptabilité et non enregistrées, le salariat est absent (ou limité), le capital avancé est
faible, mais il y a néanmoins circulation monétaire et production de biens et services onéreux. Les
règles, normes sociales et conventions dominantes ne sont pas salariales mais coutumières, hiérarchiques,
paternalistes. Elles renvoient à la pluralité des droits et des normes juridiques qui caractérisent les sociétés
africaines.
L’économie « informelle » regroupe, selon ces deux critères, des activités aussi diverses que : le petit
commerce fixe ou ambulant ; l’artisanat de production (meubles, outils, confection, bâtiment...) ; les
services personnels (réparation, prêteurs sur gages, soin des vêtements, domesticité qui est la première
forme d’emploi féminin non agricole dans le monde...) ; les services collectifs (transport, tontines, micro-
crédit, mutuelles de santé, coopératives...). Certaines activités résultent de la modernisation des villes
(exemple des services de réparation), alors que d’autres sont proches de formes anciennes (services
personnels, petit commerce) ; certaines s’expliquent par l’existence de classes sociales à haut revenu
(services domestiques, d’entretien, d’artisanat d’art) et d’autres par la misère sociale (petits intermédiaires,
créateurs de divisibilité pour des catégories à faible pouvoir d’achat, récupérateurs de produits usagers...)
1.3. Les débats méthodologiques
Le deuxième type de débat était méthodologique. Comment réaliser un repérage statistique d’activités non
enregistrées ? : producteurs travaillant souvent sans emplacement fixe, ne payant pas de patente ou
d’impôts, exclus de la règlementation sociale, n’ayant pas de comptabilité. Il fallait décomposer une réalité
hétérogène, différencier les questions d’activités, d’emploi et d’entreprises et avoir une méthode adaptée à
l’objet étudié.
6 Lautier utilise la métaphore pour désigner le « secteur informel » de la girafe difficile à décrire mais facile à reconnaitre et de la
licorne animal dont les descriptions précises abondent mais qu’il est impossible de reconnaitre.
4
Enquêtes ménages versus unités de production
La plupart des travaux privilégiaient l’unité de production ; les critères retenus par le rapport Kenya sont la
facilité d’accès aux activités, le recours aux ressources locales, la propriété familiale des entreprises,
l’échelle retreinte des opérations, les techniques à forte intensité de main d’œuvre, les qualifications
acquises hors du système scolaire officiel, mes marchés échappant à tout règlement et ouverts à la
concurrence
D’autres travaux mettaient, au contraire, l’accent sur les revenus et l’emploi (statut et segmentation du travail).
L’emploi informel se définit par l’absence de protection sociale et la précarité (absence de contrat de
travail..). L’OIT prenait comme critère des travailleurs pauvres, exerçant un travail pénible, dont les
activités économiques ne sont ni reconnues, ni enregistrées, ni protégées, ni réglementées par les pouvoir
publics. Hart (1971) distinguait ainsi les sources de revenus formelles (salaires et allocations diverses) et
informelles (auto emploi), légitimes ou non usure, trafic de drogues, prostitution, corruption, contrebande
D’autres enquêtes privilégiaient les enquêtes ménages pour comprendre la pluri activités ou les stratégies
d’offre diversifiée de travail et les liens entre budget des ménages et des petites unités.
Certaines enquêtes se plaçaient, enfin, au niveau des filières pour comprendre les interdépendances en
amont et en aval ou au niveau des réseaux informels pour comprendre les relations économiques, sociales
et politiques d’activités encastrées dans le social
Il apparaissait nécessaire de mobiliser plusieurs de ces méthodes en combinant des enquêtes ménages et
unités de production, quantitatives et socio-économiques qualitatives. Les travaux de Dial (notamment de
Roubaud au Mexique 1994) et à Madagascar (Madio) ont combiné les diverses types d’enquêtes Des
enquêtes 1 pour le marché du travail, 2 pour les entreprises et 3 pour les dépenses des ménages ont été
ainsi lancées au Cameroun en 1993 à Madagascar en 1995 puis dans 15 pays francophones (Afristat 2009)
Enquêtes normées internationalement versus enquêtes contextualisées
Fallait-il réaliser des enquêtes internationales normées permettant des comparaisons internationales; telle
était la position des organisations internationales (OIT, Banque mondiale) et des chercheurs travaillant
pour elles. Fallait-il, au contraire, réaliser des enquêtes socio-économiques spécifiques ? Les comparaisons
internationales ou l’insertion du secteur informel dans la comptabilité supposent le respect de normes
permettant la commensurabilité des unités économiques. Les enquêtes reposant sur les spécificités socio-
économique des sociétés évitaient, par contre, les décalcomanies de catégories inadaptées telles le terme
d’apprentis ou d’emplois pour spécifier des relations de dépendance ou de procès de travail spécifique.
Au-delà du terme d’informel il importait de repérer la pluralité des règles, des normes, des comportements
et des espaces de légitimation. La tension entre, d’une part la nécessité du comparatisme et universalisme
et, d’autre part, le relativisme et le particularisme imposait de compléter les enquêtes standardisées réalisées
auprès des unités de production par des entretiens qualitatifs en langue nationale, auprès des ménages et
des travailleurs.
1.4. Les débats théoriques
Les travaux s’inscrivent dans un contexte idéologique et historique donné. Il paraissait de manière de plus
en plus visible que la prolifération des petites activités urbaines rentrait mal dans la représentation des
modèles dualistes ou des travaux privilégiant le monde rural. Dans les années soixante-dix il y avait
opposition nette entre le Nord et de Sud et la question de l’informel concernait le Sud ou les économies
en développement. La pensée dominante était keynésienne et était influencée par le structuralisme et par le
marxisme. L’analyse du sous développement mobilisait les modèles dualistes ou la désarticulation et
l’extraversion, les travaux sur le chômage déguisé (Robinson) et le lumpen prolétariat (formes flottantes
latentes et stagnantes de Marx), les travaux latino sur la marginalité ou les « dynamiques du dedans »
(Balandier)
La critique des modèles dualistes : dualisme versus relations asymétriques :
Le paradigme dominant pour comprendre les économies sous développées était celui du dualisme entre
secteur capitaliste ou moderne versus secteur traditionnel ou de subsistance (Lewis 1954) Le premier était
guidé par les lois économiques (offre et demande, efficience, rationalité, rentabilité, accumulation). Le
second caractérisé par l’absence de comptabilité, de mobile de rentabilité, de poly-activité et de relations
personnalisées devait à terme être absorbé par le premier. La théorie de la segmentation du marché du
travail différenciant les formes de coordination par les règles sur les marchés internes et les prix sur les
marchés externes conduisant à une segmentation des emplois et des travailleurs (Doeringer, Piore 1971).
L’apparition de l’économie informelle était une nouvelle manière de penser l’hétérogénéité des marchés du
travail. D’inspiration néo-classique, post keynésiens ou ricardiens, ces modèles supposent une
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juxtaposition entre l’économie formelle et l’économie informelle (Nihan, 1980 ; Charmes, 1990; Lachaud,
1990) ou construisent des modèles trialistes : secteur traditionnel, intermédiaire et moderne (Steel 2009). Il
y avait infirmation des modèles transitionnels à la Todaro avec l’hypothèse d’un secteur d’attente ou refuge
permettant le passage du monde rural au monde salarial caractérisé par des revenus supérieurs mais à
probabilité faible. Si l’emploi urbain croit, la hausse de l’espérance mathématique du revenu urbain accroit
le rythme de la migration et donc le chômage urbain.
Ces travaux dualistes ou trialistes faisaient l’objet de critiques en juxtaposant des secteurs au lieu de voir
leurs imbrications et en assimilant le développement économique au seul secteur moderne. L’économie
moderne, largement extravertie, fonctionne, en réalité, en symbiose avec les relations de pouvoirs
extérieurs et internes ; elle répond le plus souvent à une logique de rente et mobilise des règles
« informelles ». Le secteur dit informel fonctionne en symbiose avec l’économie moderne et l’économie
domestique. L'économiste de terrain ne rencontre, dès lors, que des catégories ambivalentes et des
pratiques d’agents à la fois insérés dans le marché et pris dans des réseaux multiples de relations sociales.
Les débats sur les activités non capitalistes et la surexploitation des travailleurs
Les débats sur la valeur, l’articulation des modes de production, la reproduction de la force de travail
étaient très présents dans un univers académique. La théorie marxiste dominante était celle de sociétés
précapitalistes qui n’avaient pas encore été absorbées par le capitalisme. Mais l’observation du faible
développement du salariat et de la prolifération des petites activités remettait en cause ce schéma
évolutionniste. Deux thèses s’opposaient à propos du caractère fonctionnel ou non des petites activités
urbaines
Selon la thèse de la marginalité, l’économie informelle est identifiée au segment du marché du travail le
moins productif et aux rémunérations les plus faibles auquel participe la main-d’œuvre excédentaire qui n’a
pas accès à l’économie formelle ou qui en est expulsé. Il y a surabondance de travailleurs par rapport aux
besoins de l’accumulation. Le capitalisme périphérique est caractéri par une prolifération d’activités
parasitaires, refuge, essentiellement tertiaires, entretenues à partir de la consommation improductive de la
plus value (rentes, profits, impôts). On retrouve des catégories proches des formes latentes, stagnantes ou
flottantes de la surpopulation relative de Marx mais considérée comme dysfonctionnelle par rapport au
capital (Nun 1969, Quijano 1971). Dans cette perspective, l’économie informelle formée serait vouée à
régresser sous l’effet de la croissance économique globale et de l’absorption croissante de la main-d’œuvre
par l’économie formelle (Tokman, 1990).
La thèse fonctionnaliste (Bromley, Gerry 1979, Gallissot, 1991, Morice 1985, Moser 1978) reconnaît, au
contraire, l’existence de connexions entre l’économie non capitaliste et capitaliste, en termes de
fonctionnalité par rapport à l’accumulation capitaliste : Soit, il y a transfert de valeur du mode de
production précapitaliste vers le mode de production capitaliste (cf. les travaux de Amin 1974, Meillassoux
1979). Soit, on considère que le secteur « informel » réduit le coût de la reproduction socialisée de la force
de travail en prenant à sa charge les pré, post et non productifs, en évitant les dépenses de protection
sociale ou en produisant des biens salariaux à des prix inférieurs aux marchandises capitalistes (Freyssinet
1976). Les travailleurs de l’économie informelle jouent un rôle favorable pour la valorisation du capital ; ils
fournissent des biens et des services à des prix inférieurs à ceux de l’économie moderne. Les travailleurs
de l’économie informelle peuvent être considérés comme des quasi-salariés en situation de surexploitation.
Nos travaux sur la petite production marchande étaient un positionnement critique vis-à-vis de
l’évolutionnisme en termes de normes salariales et traitant les sociétés non capitalistes comme
précapitalistes. Ils critiquaient également ces deux approches de l’excédent structurel de la force de travail
et du secteur éponge ou de la soumission des formes de production au capital et du rôle fonctionnel des
petites activités.7 Par contre, l’hypothèse de prise en charge des non salariés dans les sociétés sans système
généralisé de protection sociale parait plus pertinente. Il s’agissait d’analyser les relations que la petite
production marchande entretenait avec l’économie capitaliste, l’économie domestique et l’économie
publique. Comment les « acteurs du bas » construisent-ils la modernité par des stratégies de vie ou de
survie. Ouvrir la « boîte noire » de linformel conduisait à analyser les formes d’hybridations, les tensions
et métissages entre référents « traditionnels » et « modernes.
7 A titre exemplaire, les petits producteurs ne produisent pas généralement des biens qui réduiraient le coût de reproduction de la
force de travail ; d’une part les prix des petites activités ne sont pas nécessairement inférieurs à ceux des marchandises capitalistes ;
les groupes consommateurs de ces biens et services sont autant les infra urbains, la bourgeoise nationale et étrangère, les classes
moyennes ou les salariés.
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