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La prise de conscience et l’utilisation du terme de secteur, d’emplois ou de revenus informels a résulté, au
début des années soixante-dix, de l’observation conjointe en Afrique de l’explosion urbaine, de la création
limitée d’emplois salariés et d’un chômage enregistré apparent ou déguisé qui n’augmentait que faiblement.
L’essentiel de l’emploi et une part importante de la contribution au PIB n’étaient pas enregistrés par les
comptes nationaux. Les explications traditionnelles de ces phénomènes s’avéraient insuffisantes que ce
soit les thèses du parasitisme (un travailleur fait vivre en villes des non travailleurs), le rôle des transferts de
revenus entre les campagnes et les villes ou de l’absence de création de valeur ajoutée par des activités
traditionnelles considérées comme étant refuge, parasitaire ou d’attente par rapport à la norme salariale. Il
s’agissait, dès lors, de ne pas traiter des activités, dominantes quantitativement, comme se situation
seulement aux marges2.
Nous avons au début des années 70 participé aux débats initiés par Hart pour le Ghana(1971) et le rapport
Kenya du BIT sur l’ « informel » (1972) ou les petites activités urbaines et réalisé plusieurs enquêtes de
terrain en Afrique3. Qu’en est-il 40 ans après. ? Nous rappellerons les débats fondateurs, les
questionnements et les résultats concernant l’économie « informelle » avant de voir ce qu’il en est 40 ans
plus tard. Nous illustrerons notre propos par des exemples africains.
1. Les débats fondateurs sur l’« informel » et les résultats il y a quarante ans
Les travaux fondateurs se situaient dans un contexte où les théories dualistes et l’anthropologie rurale
(malgré les travaux de Balandier) dominaient. On observait une position critique de la part des travaux
structuralistes et marxistes et de l’anthropologie économique. Les questionnements différaient
évidemment selon les chercheurs et les organisations internationales. Fallait-il, dans une conception
économiste et statistique, comparer, mesurer, intégrer le secteur informel dans les comptes nationaux afin
d’agir ou, dans une conception davantage socio ou anthropo-économique, comprendre les modes
spécifiques de fonctionnement et de reproduction des sociétés urbaines « sous développées ». ? Fallait-il
utiliser des catégories universelles pour étudier des segments spécifiques de production ou mobiliser des
catégories prenant en compte la spécificité des rapports sociaux et des contextes socio historiques ? Il en
résultait plusieurs débats différents.
1.1. Les débats sémantiques
Le terme anglo-saxon informal traduit par informel était alors absent du vocabulaire français. Il paraissait de
plus inapproprié, comme celui de non structuré (Nihan 1980, Sethuraman 1976), puisqu’il désignait une
réalité négative en se référents à une norme le formel. L’implicite était lune conception dualiste des
sociétés opposant formel et informel et l’absence de règles, de structure ou de forme et donc une
conception anomique des sociétés sous développées4. Il fallait, au contraire, voir comment la pluralité des
règles, des normes, des institutions, des représentations conduisait à différents modes de structuration de
systèmes complexes.
Le terme de secteur a été également critiqué du fait de l’hétérogénéité des activités qu’il regroupait. Il était
une manière d’assimiler les petits métiers et les petites entreprises, les professions, les métiers, les
branches, les statuts ou les classes sociales en se plaçant du seul point de vue de l’unité de production ou
de l’ « entreprise » et en supposant que les comportements les pratiques et les organisations sont
indépendantes du « système global ». En revanche, l’insertion dans la comptabilité nationale imposait des
codifications et des normes comptables permettant la mesure et la commensurabilité.
Les termes alternatifs utilisés ont été alors ceux d’économie cachée, souterraine, non enregistrée,
d’économie populaire urbaine (Bugnicourt 1973)5, de petites activités marchandes ou de petite production
marchande (Hugon 1977, Deblé Hugon 1982), de secteur transitionnel. de développement spontané
(Penouil, Lachaud 1985), d’économies non officielles (Archambault Greffe 1984), d’économie d’entreprise
2 Le terrain urbain conduisait à observer une multitude de petites activités depuis les artisans, les commerçantes, jusqu’aux
acteurs dans la débrouillardise tels les les sauveteurs (qui vendent à la sauvette) de Yaoundé, les récupérateurs des dépôts d’ordure
de Tananarive, les hawkers marchands ambulants de Nairobi,, les tabliers ou les préparatrices de gari à Lagos…
3 Ces travaux résultaient t de la convergence de ma thèse doctorat de 1965 sur l’évolution de l’emploi à long terme et
l’hétérogénéité du secteur tertiaire, de recherches sur les activités urbaines en Afrique que j’appelai alors, comme Philippe Couty,
transitionnelles ou intermédiaire et de l’incitation de Michel Gaud, Michel Montfort et Yves Berthelot du ministère de la
coopération à décrypter le terme de secteur non structuré ou informel que venait d’inventer le BIT.
4 Selon la théorie de la forme, les propriétés d’un phénomène nr résultent pas de la simple addition des propriétés de ses éléments
mais de leur agencement.
5 « On entend par économie populaire l’ensemble des activités économiques et des pratiques sociales développées par les groupes
populaires en vue de garantir, par l’utilisation de leur propre force de travail et des ressources disponibles, la satisfaction des
besoins de base, matériels autant qu’immatériels. » (Sarria Icaza et al., 2006 page259)