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« Ce que l’on mesure ce n’est pas le travail mais les résultats du travail. Il n’y a pas de
proportionnalité entre le résultat du travail et le travail (et son coût pour le travailleur)».
Christophe Dejours
Introduction
Du grec « ergon » signifiant le travail, l’action, l’œuvre, l’ergologie fait référence à
l’énergie, la vitalité du travailleur. Elle étudie l’activité de travail, celle-ci étant une forme de
l’activité humaine. L’ergologie n’est pas une discipline scientifique, mais une démarche, qui
organise un dialogue de connaissances entre deux types de savoirs (investis et institués). Elle
permet la confrontation et la remise en question des savoirs sur cette activité qu’est le travail.
Elle étudie le point de vue du travailleur, ses choix et ce qui les sous-tend dans un contexte et
une situation donnés, se centre sur le rapport entre la personne et son milieu de travail.
« L’activité peut être considérée comme le lieu de rencontre de plusieurs histoires (de
l’institution, du métier, de l’individu, de l’établissement…) dans lequel l’acteur va établir des
rapports aux prescriptions, à la tâche à réaliser, aux autres (ses collègues,
l’administration…), aux valeurs et à lui-même» (Amigues, 2003).
Les connaissances universitaires dites « savoirs institués » se fondent sur des concepts
dont la définition est précise et compréhensible quel que soit le contexte. Ils sont dégagés du
particulier, du singulier et du spécifique et donc du contexte historique ainsi que du système
de valeurs de ceux qui les ont construits.
Le processus ergologique est le mouvement inverse : les concepts, bien que travaillés avec la
même rigueur, sont approchés au plus près de leur expression contextuelle1. Cette démarche
permet de saisir les modalités de savoirs et de valeurs générés par l’activité en situation, pour
une personne donnée et à un moment donné. Selon Yves Schwartz, « l’activité est un élan de
vie, de santé, sans bornes prédéfinies qui synthétise, croise et noue, tout ce que l’on se
représente séparément (corps/esprit, individuel/collectif, faire/valeurs, privé/professionnel,
imposé/désiré, etc…) ».
L'ergologie ne repose pas sur une étude quantitative du travail (le nombre d'observations ou
d'entretiens sur des échantillons représentatifs) pour généraliser les résultats. Au contraire,
elle s’intéresse à la singularité, au particulier afin de montrer ce qui échappe à toute
généralisation mais qui est aussi le point de passage de l'universel. Ainsi, Canguilhem
explique-t-il que l’utilisation en médecine de la statistique intervient en raison de phénomènes
et contextes historiques, situationnels, qui peuvent être étrangers à la science elle-même.
1 L’ergologie parle d’adhérence locale c'est-à-dire en lien étroit avec la situation vécue ici et maintenant au
moment et à l’endroit dont il est question comme par exemple le langage de métier. Il existe dans le langage
ordinaire un élément de généralité qui permet de se comprendre (tout le monde comprend le mot « voiture »
même non référé à telle voiture spécifique), alors que dans le langage de l’activité, il peut y avoir des phrases
que l’on ne peut comprendre que dans l’ici et maintenant, en situation (exemple : « j’ai fait 10 entrants
aujourd’hui », ou « j’ai tout mis dans Cimaise »).