«La psychologie est davantage qu`une profession»

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PANORAMA
5|2004
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LA LEÇON D’ADIEU DU PROFESSEUR ZURICHOIS FRANÇOIS STOLL
«La psychologie est davantage
qu’une profession»
François Stoll
Fin août, le professeur François Stoll a mis un terme à son activité à la division de
Psychologie appliquée de l’Institut de psychologie de l’Université de Zurich. Il y a
donné son dernier cours intitulé «La psychologie comme profession » le 1 er juillet.
Nous publions des e xtraits de ce te xte, qui peut être également téléchargé dans sa
forme intégrale (voir page 30).
La psychologie est tout à la fois une science et une profession. Je parlerai aujourd’hui surtout de la psychologie en tant que
profession. Mais comme il existe d’innombrables interactions entre science et profession, il peut être utile de présenter
sommairement ce qu’il faut entendre par
psychologie comme science.
UNE PSYCHOLOGIE AVIDE DE MÉTHODES
La psychologie est la science des processus
mentaux conscients et inconscients de la
vie et du comportement. La psychologie,
resp. les psychologues n’ont toutefois pas
l’exclusivité de cet objet. Il est également
élaboré par les sociologues, les pédagogues, les ethnologues, les médecins et
d’autres spécialistes. Par comparaison, la
psychologie se centre ou se spécialise peutêtre davantage sur le vécu humain, sa pensée et son action. Ce qui fait de cet objet
une science est le respect de quelques
règles du jeu. Il s’agit en particulier de la
façon dont, on observe, on décrit, on explique et prédit, on prouve et falsifie.
Cette exigence méthodologique n’est pas
non plus une exclusivité de la psychologie.
Mais on peut démontrer que la complexité
de nos problématiques a eu pour conséquence que de nombreux développements
méthodologiques sont issus des milieux de
la psychologie et ont influencé différentes
disciplines voisines. Elle a aussi influencé
le concept de formation à cette discipline
universitaire qu’est la psychologie. Les méthodes et la méthodologie y jouent un rôle
particulièrement important, qu’Angela
Koch a résumé de la manière suivante dans
son livre «Psychologie als Profession»: «Il
n’existe à l’heure actuelle aucun groupe de
titulaires de diplômes des filières des sciences sociales et naturelles qui dispose au
terme de leurs études d’un entraînement
aussi pointu et différencié dans les méthodes de recherche empirique que les psychologues. Pas de doute, le psychisme humain
et un objet de recherche difficile.»
LES ANALOGIES NE PROUVENT RIEN
Je ne vais pas contredire celles et ceux
d’entre vous qui viennent de la pratique et
trouvent maintenant que la psychologie,
comme discipline universitaire ou comme
science, peaufine de façon exagérée ses
méthodes – vous avez parfois raison. Mais
j’aimerais que vous réfléchissiez au fait que
le fort ancrage méthodologique de notre
discipline présente des avantages pour
vous en tant que praticiens. J’affirme en
particulier que l’identité des psychologues
(profession) profite, dans une mesure importante, des acquis et du contrôle de la
psychologie (science).
Je connais des praticiennes et des praticiens qui prétendent que des développements importants de la psychologie ou de
la psychothérapie seraient nés en dehors
de la recherche psychologique. On cite souvent des écoles de psychothérapie. Cela
peut être parfois vrai. Mais ce qui est essentiel pour la légitimation sociale n’est
pas la source, mais l’intégration dans un
système scientifique. C’est ce qui rassure
ou impressionne les décideurs et les
concurrents. A propos d’intégration rationnelle, j’attends ici davantage que des analogies superficielles, comme entre la «programmation neuro-linguistique (PNL)» et
le savoir issu de la neuro-psychologie ou
entre certaines théories du choix professionnel et les connaissances tirées de la
psychologie du développement. Les analogies peuvent être utiles au plan didactique, mais elles ne prouvent rien.
POUR UNE SPÉCIALISATION ULTÉRIEURE
La spécialisation constitue un problème
ancien de la carrière professionnelle et de
la qualification des psychologues. Il est
évident qu’une spécialisation s’impose.
Mais dès les études ou seulement en formation continue? Dans quelle mesure les
cloisons liées aux certificats et règlements
doivent-elles être perméables? Autrement
dit: dans quelle mesure les activités principales, les capacités et les compétences des
psychologues d’entreprise, des psychologues cliniciens, des experts en éducation,
des conseillers en orientation académique
PANORAMA
5|2004
O R I E N TAT I O N P R O F E S S I O N N E L L E
Prof. Dr François Stoll
Photo:
Frederic Meyer
Au cours de plus de 30 années d’activité, le
Prof. François Stoll a contribué de façon
importante au développement de l’orientation
professionnelle, en dernier lieu en développement l’instrument de test «Explorix». Il a été
nommé membre d’honneur de l’ASOSP lors du
Congrès de l’AIOSP, le 5 septembre 2003.
et carrière, les neuro-psychologues et les
psychothérapeutes sont-elles apparentées?
C’est avec ces questions en tête que A.
Gale, de l’Université de Southampton (GB)
et ses collègues de la British Psychological
Society ont interrogé dans le long terme
leurs collègues des spécialisations les plus
diverses sur leurs activités quotidiennes. Je
ne peux pas vous expliquer ici le détail du
déroulement de l’enquête et de l’analyse
des réponses. Je me contente d’en rapporter le résultat principal, parce qu’il correspond entièrement à une de mes intuitions: les capacités et compétences transversales aux spécialisations ne sont pas
seulement nombreuses, mais elles sont
également si importantes qu’elles appellent une grande perméabilité horizontale
entre les différentes filières de formation et
de spécialisation.
Quelles sont ces compétences centrales? Je
vais les distinguer en compétences cognitives et en attitudes.
COMPÉTENCES COGNITIVES ET ATTITUDES
Résolution de problèmes: tous les psychologues analysent les composantes de situations à problèmes. Tous les problèmes
psychologiques ont plusieurs causes. L’analyse de problèmes spécifiques est guidée
par une connaissance de l’origine et des
causes du comportement humain. Reformuler le problème fait également partie de
sa résolution.
Changer: le changement est une caractéristique de chaque intervention psychologique. Clientes et clients aspirent à un changement. La mesure et l’attribution des
changements existent dans tous les domaines de la psychologie professionnelle.
Planifier des interventions: les principes et
les techniques psychologiques déterminent
la planification d’une intervention psychologique et créent les conditions nécessaires
au changement. L’intervention doit être
possible et réalisable dans un contexte déterminé. La suite naturelle de cette planification est l’évaluation.
Enseigner et former: ces compétences sont
désignées de façon différente selon les
contextes. Mais il y est toujours question
de rendre un client ou une cliente capable
de maîtriser de nouvelles façons d’accomplir ses tâches.
Maîtriser: il est rare que la vie soit sans
problèmes. Aussi bien les psychologues
que leur clientèle doivent développer des
stratégies permettant de faire avec le
stress, la pression du temps et les risques.
Transmettre: un rapport oral ou écrit fait
partie de toute intervention. Il est important de l’adapter à ses destinataires. Dans
ce cadre, il ne faut pas seulement prendre
en compte leurs connaissances psychologiques, mais aussi leurs compétences linguistiques et leurs références culturelles.
Sur les deux attitudes: Qualité de vie: les
psychologues se font implicitement un devoir d’améliorer la qualité de vie de leur
clientèle, que ce soit en termes d’émotions,
de relations, d’efficacité personnelle ou de
performance. Droits et autonomie de la
clientèle: les clients et clientes ont des droits et des devoirs, qui sont redéfinis par la
société en fonction des circonstances. Il
s’ensuit que la relation entre psychologue
et client est réglée par les normes sociales,
sociétales et légales actuelles. En revanche,
le client doit prendre finalement lui-même
les décisions, parce qu’il est le mieux à
même de savoir ce qui est juste ou faux
pour lui. Les psychologues ne cherchent
pas à imposer leurs propres valeurs à leur
clientèle.
Comme Gale, je suis d’avis que ces compétences sont importantes et centrales – et
valables dans tous les domaines d’une
psychologie appliquée professionnelle – le
fondement par excellence d’un master ou
d’une licence en psychologie coordonnés et
communs. De ce point de vue, une spécialisation ne devrait émerger dans la formation continue que dans la mesure où elle
est absolument nécessaire. Les spécificités
du titre professionnel prennent souvent en
compte des conditions et des règlements
qui se transforment plus vite que prévu.
Les compétences centrales, qui peuvent
être – comme on l’a vu – transférées d’une
spécialisation à l’autre, perdurent, elles, et
resteront encore valables dans 20 ans.
Informations supplémentaires: page 30
Deux successions
L’Institut de psychologie de l’Université
de Zurich s’est développé depuis quelques
années. Dans le cadre de la spécialisation
en psychologie appliquée, deux professeurs, Martin Kleinmann et Willibald Ruch,
sont entrés en activité dès septembre 2003.
La succession de François Stoll sera
assurée par Alexandra M. Freund dès le
1er janvier 2005.
La succession du professeur de psychologie appliquée fribourgeois Hans-Dieter
Schneider, à la retraite depuis une année,
est assurée dès cet automne par Petra
Klumb et Jürgen Sauer (80%), au terme
d’une année d’intérim assuré par la
Dr Simone Grebner.
Voir: www.panorama.ch/files/3826p.pdf
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