Orthod Fr 2017;88:15–23
c
EDP Sciences, SFODF, 2017
DOI: 10.1051/orthodfr/2016040
Disponible en ligne sur :
www.orthodfr.org
Article original
Possibilités et limites du traitement de la dysharmonie
dents-arcades par chirurgie maxillo-faciale
Christian PAULUS*
4 rue Bador 69500 Bron, France
MOTS CLÉS :
Macrodontie /
Distraction /
Ostéotomie /
Orthodontie
RÉSUMÉ Introduction : La dysharmonie dents-arcades autrefois appelée « dys-
harmonie dento-maxillaire » ou « macrodontie/microdontie relative » correspond à
une disproportion de volume entre les dents et les bases osseuses. En présence
d’un volume dentaire trop important par rapport à la longueur d’arcade, un traitement
avec extraction peut être proposé. Les techniques de « distraction osseuse » mises
au point par Ilizarov dans les années 1950 permettent actuellement d’augmenter la
longueur d’arcade au maxillaire et à la mandibule. Matériels et méthodes : Les au-
teurs décriront la mise en œuvre orthodontico-chirurgicale de cette augmentation de
longueur d’arcade depuis l’établissement du plan thérapeutique jusqu’à l’obtention
d’une longueur d’arcade suffisante ainsi que l’intérêt thérapeutique devant l’encom-
brement dentaire, la vestibuloversion et les troubles des fonctions orofaciales. Dis-
cussion : La distraction est un moyen thérapeutique intéressant à envisager dans la
prise en charge de la dysharmonie dents-arcades, qui permet de gagner la longueur
d’arcade nécessaire à l’objectif thérapeutique fixé.
KEYWORDS:
Macrodontia /
Distraction /
Osteotomy /
Orthodontics
ABSTRACT
Possibilities and limits of orthodontico-surgical treatments in
case of macrodontia. Introduction: Tooth-arch discrepancy is a disproportion be-
tween dental volume and bone base. Extraction therapy can be a solution in case
of excessive tooth volume and insufficient basal bone length. Techniques including
bone distraction popularized by Ilizarov in the fifties allow the increase of the basal
arch length in the maxilla as well as in the mandible. Materials and methods: We will
describe the procedure of this dental arch length augmentation since the reflection
about the therapeutic plan until the sufficient arch length is obtained and describe
the indications of this orthodontic and surgical treatment in case of dental crowd-
ing, buccal and labial inclination and functional problems. Discussion: Distraction is
an interesting technique to be considered for the management of macrodontia that
allows to get enough basal bone lenght to reach the therapeutic goal.
1. Introduction
La dysharmonie dents-arcades autrefois appelée
« dysharmonie dento-maxillaire » ou « macrodontie
relative » correspond à une disproportion de volume
entre les dents et les bases osseuses.
En présence d’un volume dentaire trop impor-
tant par rapport à la longueur d’arcade, un traite-
* Auteur pour correspondance :
ment avec extraction peut être proposé. Les tech-
niques de « distraction osseuse » mises au point par
Ilizarov [12] dans les années 1950 permettent actuel-
lement d’augmenter la longueur d’arcade au maxil-
laire et à la mandibule.
L’insuffisance de longueur d’arcade s’exprime soit
par l’encombrement dentaire soit par des déforma-
tions d’arcade (arcade en lyre, versions dentaires).
Le patient consulte souvent pour le premier mo-
tif. La dysharmonie dents-arcades peut être traitée
Article publié par EDP Sciences
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Figure 1
La zone d’indication idéale de la distraction se situe entre l’extraction d’une incisive si le praticien souhaite la faire figurer dans
son plan de traitement et l’extraction de deux prémolaires (schéma de W. Kater).
par une réduction dentaire ou par une augmenta-
tion de la longueur d’arcade. La distalisation dentaire
est également une option. Selon Kandasamy [13], il
en résulte néanmoins souvent un manque d’espace
postérieur.
Le gain de place d’une extraction de deux pré-
molaires est souvent supérieur au besoin. Elle dé-
veloppe de 1315 mm en moyenne. La réduction
amélaire permet d’obtenir au mieux 12 mm.
Après le diagnostic de dysharmonie dents-
arcades, le plan thérapeutique peut faire appel à la
distraction osseuse, en particulier si l’insuffisance de
longueur d’arcade se situe entre 3 et 13 mm (Fig. 1).
2. La distraction osseuse
La distraction osseuse est une technique d’allon-
gement osseux basé sur le processus naturel de la
cicatrisation et la consolidation.
C’est Ilizarov [12], dans les années 1950, qui est
à l’origine de ce concept en traitant les angulations
post-traumatiques des membres. Il a montré le ca-
ractère pluri-tissulaire des effets de la distraction et
c’est McCarthy qui a appliqué cette technique au
domaine de l’hypoplasie mandibulaire malformative.
Guerrero, et al.[9] ont publié la distraction symphy-
saire médiane pour traiter l’encombrement dentaire
incisivo-canin mandibulaire.
Au maxillaire, c’est Bell et Epker [5], en 1976
puis 1999, qui ont décrit l’expansion maxillaire chi-
rurgicalement assistée en 1997.
3. Au maxillaire
Selon Proffit [20], l’hypoplasie maxillaire
transversale est fréquemment observée dans les
dysmorphoses chez l’adulte ou l’adolescent. La
distraction du maxillaire (SARPE ou SARME pour
les auteurs anglophones) permet de traiter les in-
suffisances transversales, l’insuffisance de longueur
d’arcade et donc la dysharmonie dents-arcades au
sens large, comprenant la vestibulo-version incisive
excessive. Devant une insuffisance transversale de
l’arcade mandibulaire associée, une distraction à
ce niveau peut être nécessaire. Celle-ci peut être
réalisée dans le même temps chirurgical que la
distraction maxillaire. Cette technique s’adresse
à des patients dont la suture intermaxillaire n’est
plus stimulable (12 ans pour nous). Pratiquer
une disjonction intermaxillaire non chirurgicale
alors que la suture est fusionnée expose à des
problèmes parodontaux et à des récidives, les effets
n’étant pas un déplacement de l’os basal [20]. Pour
Koudstaal [14], la distraction maxillaire améliore la
position de la langue et la ventilation nasale.
Chez les patients de plus de 13 ans, la distrac-
tion maxillaire orthodontico-chirurgicale peut être
proposée, le geste chirurgical consistant à recréer
Paulus C. Possibilités et limites du traitement de la dysharmonie dents-arcades par chirurgie maxillo-faciale 17
a b c
Figure 2
Distracteurs (a) dentoporté, (b) ostéopor et (c) ostéoporté sur mesure.
a b
Figure 3
(a) Dysharmonie dents-arcades au maxillaire avec déformation de l’arcade et vestibuloversion. (b) Après distraction maxillaire et
alignement en vue de la chirurgie de la dimension sagittale et verticale.
des conditions anatomiques favorables à l’expansion
squelettique des maxillaires. Plusieurs techniques
ont été décrites. Notre technique habituelle com-
porte des incisions muqueuses réduites vestibulaires
supérieures droite et gauche, avec des ostéotomies
antéro-latérales, la disjonction ptérygo-maxillaire as-
sociée à une incision verticale médiane et une ostéo-
tomie entre 11 et 21. Certaines équipes proposent
la distraction maxillaire en réalisant deux traits pa-
ramédians entre les incisives latérales et les canines
avec alors un abaissement complet de l’infrastruc-
ture maxillaire [15]. Le principal avantage de cette
technique est le report du diastème central à deux
zones paramédianes moins importantes. Le distrac-
teur est placé par l’orthodontiste sur quatre bagues
maxillaires. Pour plus de flexibilité, il peut com-
prendre deux axes d’activation. Un distracteur ostéo-
porté prenant appui sur l’os basal maxillaire peut être
utilisé par le chirurgien (Fig. 2).
Il peut être confectionné sur mesure et prendre
appui sur des vis d’ancrage, ou bien le chirurgien
opte pour un distracteur vendu dans le commerce.
Ce dernier permet la réalisation de la distraction en
présence d’un appareil multibague et l’alignement
dentaire rapide. Une fois les ostéotomies réalisées,
le disjoncteur est testé afin de s’assurer de la mo-
bilité des hémi-maxillaires droit et gauche. Le dis-
joncteur est activé de 8 quarts de tours en fin
d’intervention afin de débuter la correction dans
la dimension transversale, en surveillant la vascu-
larisation de la papille inter-incisive. Après une pé-
riode de latence de cinq jours, la distraction est
réalisée à une vitesse de 1/4 de tour matin et soir
jusqu’à obtention d’une longueur d’arcade et d’une
dimension transversale suffisante pour l’objectif à
atteindre. Une sur-correction n’est pas nécessaire se-
lon Habersack [11] ; pour Chamberland [2], il est
préférable de sur-corriger de 30 %. La correction
squelettique est stable dans le temps, il se produit
cependant une récidive alvéolaire. Le distracteur est
bloqué ou par un point de colle ou pour les distrac-
teurs ostéoportés par la vis prévue à cet effet et laissé
en place durant trois mois. Le distracteur ostéoporté
nécessite une anesthésie locale pour être retiré.
Grâce à cette technique de distraction, l’équipe
orthodontiste-chirurgien peut réaliser le traitement
de la dysharmonie dents-arcades sans extraction
(Fig. 3) si cela paraît souhaitable pour obtenir une
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Figure 4
Radiographie après distraction symphysaire. Noter l’os néoformé encore visible.
occlusion dentaire stable dans le cadre d’une har-
monie faciale fonctionnelle et esthétique. Elle donne
plus de possibilités à la construction d’un sourire
et le rétablissement d’un torque incisif qui illumine
le sourire [23]. Un plan thérapeutique avec distrac-
tion sans extraction peut utilement être envisagé si
l’insuffisance de longueur d’arcade est inférieure à
13 mm (espace produit par l’extraction de deux pré-
molaires). Devant une proalvéolie modérée, la dis-
traction permet de définir le torque précis souhai-
table pour l’obtention du sourire adapté au patient.
Pour Carlino [1], la distraction est un bon moyen
pour traiter la proalvéolie.
Nous devons également exposer au patient les
complications possibles de la distraction. Ce sont
celles d’une anesthésie générale, une récession pa-
rodontale (même si, pour Gauthier [7], les effets
négatifs sur le parodonte sont rares), une non-
consolidation, une déviation de la cloison nasale,
une dévitalisation dentaire en particulier pour les
dents avoisinant le trait d’ostéotomie médiane, une
consolidation précoce ou asymétrique nécessitant
une réintervention.
Durant le début de la phase de distraction, il faut
prévenir le patient qu’un diastème de la dimension
de l’augmentation de la longueur d’arcade apparaît
même si la migration spontanée des dents dans l’es-
pace produit fait que ce diastème est moindre que
l’importance de la distraction et transitoire.
4. À la mandibule
Si la disjonction intermaxillaire orthopédique est
réalisable, elle est impossible à la symphyse man-
dibulaire [16]. La distraction symphysaire permet
de s’affranchir de cette limite. Elle est indiquée dès
que le manque de longueur d’arcade dépasse les
3mm[6] et permet de traiter l’encombrement den-
taire symphysaire, ainsi que la vestibuloversion. Il
s’agit d’une procédure stable [3] et sans répercus-
sion sur les ATM. Après les travaux chez l’animal
de Snyder [25], avant l’application de la distraction
par McCarthy [18] à la mandibule hypoplasique,
Guerrero [9] a décrit la distraction mandibulaire
symphysaire en 1990. Jusqu’alors, l’augmentation de
la longueur d’arcade mandibulaire avait été tentée
par expansion ou élargissement chirurgical à l’aide
d’une greffe osseuse, techniques vouées soit à la
récidive, soit présentant un nombre important de
complications et, de ce fait, abandonnées. La dis-
traction mandibulaire symphysaire est particulière-
ment adaptée au traitement de l’encombrement den-
taire avec maxillaire normal ou devant bénéficier
d’une disjonction chez l’enfant ou d’une distraction
maxillaire.
Le concept est celui d’une distraction mention-
née ci-dessus. Ainsi, après une section symphysaire
entre 31 et 41 ou paramédiane en fonction des es-
paces disponibles, le distracteur permet d’ouvrir pro-
gressivement le trait d’ostéotomie (Fig. 4).
L’intervention peut se faire sous anesthésie locale
ou générale associée à l’extraction des germes des
dents de sagesse ou à une distraction maxillaire. L’in-
cision, d’une longueur réduite à 2 cm, se situe dans
le vestibule buccal inférieur. Le décollement se li-
mite à la préparation du site de l’ostéotomie afin de
préserver l’anatomie musculaire du menton. La sec-
tion osseuse est réalisée, soit à la scie, soit aux ultra-
sons, du bord basilaire à la région qui se trouve entre
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a b
Figure 5
Distracteurs symphysaires (a) dento-porté et (b) ostéopor en fin d’activation.
les apex. L’ostéotomie inter-radiculaire est réalisée au
ciseau frappé pour la majorité des auteurs. L’activa-
tion du disjoncteur permet de vérifier la mobilité des
fragments.
Les distracteurs utilisés sont soit dento-portés
(Fig. 5), soit ostéo-portés, soit mixtes. Certains sont
posés par l’orthodontiste en préopératoire ou par le
chirurgien en peropératoire. Notre préférence va vers
les distracteurs de type hyrax dento-portés, situés en
rétro-incisif et fixés sur les premières prémolaires et
les premières molaires. Dans cette technique, le bord
basilaire s’écarte moins que la région alvéolaire [4],
ce qui, pour Lesne [16], peut contribuer à un risque
de récidive alvéolaire, mais limite le risque d’entraî-
ner une largeur du menton excessive, craint par cer-
tains mais jamais retrouvé chez nos patients. L’inter-
vention peut être associée à une distraction maxil-
laire (Fig. 6).
Une période de latence est observée durant cinq
jours. Le distracteur est alors activé de 0,51mm
par jour en deux à trois fois selon les distracteurs.
Le moulage diagnostique permet de quantifier l’in-
suffisance de périmètre d’arcade et de décider de la
quantité de distraction nécessaire. Dans certains cas,
l’objectif est très important, obligeant à un change-
ment de distracteur en cours de traitement. Une fois
la distraction terminée, le dispositif est bloqué par
un fil ou une pointe de résine. Deux semaines après
la fin de la distraction active, le multibague peut être
posé.
Là encore, la technique peut comporter deux
traits d’ostéotomie latéraux nécessitant alors d’isoler
un fragment dento-alvéolaire [26]. Elle est particu-
lièrement intéressante devant un encombrement an-
térieur associé à un surplomb. L’orthodontiste crée
une divergence radiculaire en distal des canines pour
faciliter la section osseuse et installe un distracteur
dento-porté en vestibulaire de cet espace. Le chirur-
gien mobilise le fragment incisivo-canin et le fixe
à l’aide d’une plaque articulée de manière à défi-
nir la nouvelle position des apex. La partie coro-
naire est avancée par le distracteur progressivement
au rythme de 1/2 mm par jour. Après une période
de consolidation de trois mois, le distracteur et la
plaque articulée peuvent alors être retirés.
La distraction de la symphyse mandibulaire per-
met de traiter des encombrements dentaires impor-
tants. Dans l’étude de Gunbay [1], la distraction
moyenne était de 6,48 mm pour traiter l’encombre-
ment mandibulaire. Elle peut être poursuivie jusqu’à
obtention de l’objectif visé. Dans certains cas, un
deuxième distracteur doit remplacer un premier ar-
rivé au bout de sa course. La distraction symphysaire
est une technique sûre et stable [16,22].
L’éventuelle complication, dont il faut parler aux
patients, est la lésion d’une dent adjacente à l’ostéo-
tomie (d’où l’intérêt de choisir un site pas forcément
médian mais éventuellement entre incisive latérale et
centrale, voire incisive latérale et canine ou de pré-
parer orthodontiquement un diastème entre les inci-
sives centrales).
Si la distraction n’est pas conduite à une vitesse
adéquate, l’ossification peut être trop rapide, néces-
sitant une reprise chirurgicale. Comme dans toute
chirurgie, un hématome ou une infection peuvent
survenir. La distraction symphysaire, dans le cadre
de l’augmentation de la longueur d’arcade pour trai-
ter l’encombrement dentaire ou la vestibuloversion,
n’a pas d’effets négatifs sur les ATM [8,10].
5. Discussion
Le concours de la chirurgie maxillo-faciale pour
traiter la dysharmonie dents-arcades est un concept
plus récent que celui du traitement des anomalies
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