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Transformation structurelle, croissance inclusive et
développement humain en Afrique
Mohamed Ben Amar1 et Mohamed Tlili Hamdi2
Résumé : Ce travail explique dans quelle mesure les progrès économiques réalisés en Afrique
ne sont pas transformés en un développement humain. Particulièrement, ce travail traite le lien
entre la transformation structurelle et la croissance économique inclusive dune part et le lien
entre la croissance économique inclusive et le développement humain dautre part. Les
principaux résultats dégagés de ce travail sont au nombre de quatre. Premièrement, le niveau
faible d’inclusion de la croissance économique des pays africains peut s’expliquer par
l’absence d’une implication de ces pays dans un processus efficace de transformation
structurelle. Deuxièmement, cette qualité insuffisante de la croissance économique a pe
lourd sur la réalisation du veloppement humain. Troisièmement, la réalisation du
développement humain en Afrique exige le déclanchement d’un processus efficace de
transformation structurelle pour améliorer le niveau d’inclusion de la croissance économique
dans notre continent via la création de l’emploi de qualité. Enfin, ces premiers résultats sont
confirmés par notre travail empirique pour un échantillon de pays africains au cours de la
période (1986-2012). Autrement dit, la transformation structurelle et le veloppement
humain ne se renforcent pas mutuellement en Afrique comme dans d’autres pays en
développement dans le reste du monde.
Mots-clés : transformation structurelle, croissance inclusive, emploi,veloppement humain,
Afrique.
Abstract: This work explains how economic progress in Africa is not transformed into a
human development. Specifically, this work deals with the relationship between structural
transformation and inclusive economic growth on one hand and the link between inclusive
economic growth and human development on the other. The main results emerged from this
work are four. First, the low inclusion of economic growth in African countries can be
explained by the implication lack of these countries in an effective process of structural
transformation. Second, the insufficient quality of economic growth weighted heavily on the
achievement of human development. Third, the achievement of human development in Africa
requires triggering of an effective process of structural transformation to improve the level of
inclusion of economic growth in our continent through the creation of skilled employment.
Finally, these preliminary results are confirmed by our empirical work for a sample of African
countries during the period (1986-2012). In other words, structural transformation and human
development do not reinforce mutually in Africa as in other developing countries in the world.
Keywords: structural transformation, inclusive growth, employment, human development,
Africa.
JEL Classification: C23, O14, O15, O40
1 Maître Assistant en Sciences Economiques à la Faculté des Sciences Economiques et de Gestion de Sfax,
Tunisie ; e-mail: benamarmoha@gmail.com
2 Maître de conférences en Sciences Economiques à l’Institut Supérieur d’Administration des Affaires de Sfax,
Tunisie. e-mail: mtlili2001@yahoo.fr
2
Introduction
Au cours de la dernière cennie, les institutions internationales et les groupes internationaux
de consultation économique et financière ont beaucoup parlé des pays africains.
Particulièrement, ils ont cité les grandes performances économiques réalisées dans ce
continent et de son potentiel immense en matière de ressources naturelles et en matière
d’autres facteurs de croissance économique.
The potential of Africa is vast. While the African economies as a group are unlikely to
challenge the BRICs3 (…), they could deliver significant growth and higher incomes over
next several decades” (Goldman Sachs Asset Management, 2010, p7).
De même, dans un travail empirique qui consiste en une estimation en panel pour un
échantillon de pays africains, Ben Amar et Hamdi (2012) ont montré que la compétitivité
globale des économies de ces pays a exercé des effets positifs sur leur croissance économique
au cours de la dernière décennie.
En termes de développement humain, l’Afrique enregistre un grand retard par rapport aux
autres régions en veloppement. En effet, en matière d’égalité du revenu, de santé,
d’éducation, d’égalité de genre, de lutte contre la pauvreté et de vulnérabilité de la croissance
économique par rapport aux chocs extérieurs, il reste encore beaucoup du travail à effectuer.
Dans ce cadre, Hamdi et Omri (2012) ont mont que dans l’ensemble, la croissance
économique des pays africains est vulnérable aux chocs extérieurs. Particulièrement, ils ont
montré que cette vulnérabilité concerne plus l’Afrique Subsaharienne que l’Afrique du Nord.
« L’amélioration de la performance économique réalisée durant la dernière décennie ne s’est
traduite ni par une réduction correspondante du chômage, ni par une réduction de la pauvreté
ni par des progrès significatifs vers la réalisation des Objectifs du Millénaire pour le
Développement (OMD) » (CEA et UA, 2011, p3)
« Malgré les avancées observées entre 1996 et 2005, l’Afrique continue de progresser plus
lentement sur le front de lutte contre la pauvreté que les autres régions en veloppement
(…). Si la situation s’est améliorée dans nombre de pays depuis 1996, la croissance a souvent
été le fait de secteurs n’entretenant que des liens distendus avec le reste de l’économie -
comme les mines et le pétrole - et n’ayant, de ce fait, que des retombées limitées sur la
création d’emplois et la réduction de la pauvreté ; » (BAD, OCDE, PNUD et CEA, 2011).
Les derniers rapports d’Africa Progress Panel4 (2010, 2011 et 2012) ont traité successivement
les trois questions suivantes : i) la valorisation des ressources de l’Afrique par la réalisation
d’une croissance économique durable et équitable et la diminution de la pauvreté, ii) le le
d’un ensemble de partenariats à velopper pour transformer l’Afrique. Autrement dit pour
réaliser un développement humain, iii) et le le de lemploi, la justice et l’équidans la
transformation des performances économiques en matière de croissance économique en un
développement humain, par le moyen des effets qu’ils exercent sur toute la société.
De même, la Commission Economique Africaine (CEA) et l’Union Africaine (UA) dans leurs
rapports économiques sur l’Afrique de 2010 et 2011 ont traité successivement limportance de
l’aspect qualitatif de la croissance économique dans la réduction de la pauvreté et par
conséquent la réalisation du développement humain, et l’importance de la transformation
structurelle dans la création de l’emploi non vulnérable.
Donc, la grande majorides rapports déjà publiés insistent sur limportance d’une croissance
inclusive dans la réalisation du développement humain.
3 Brésil, Russie, Inde et Chine.
4 Présidé par Kofi Annan.
3
Enfin, l’ONUDU et la CNUCED, dans un rapport spécial publié en 2011, supposent que dans
les économies modernes, une croissance forte et durable, capable de réduire la pauvreté,
implique généralement le déclenchement d’un processus d’industrialisation et
particulièrement l’essor du secteur manufacturier.
En se basant sur les principaux résultats de ces rapports publiés sur l’Afrique, on a voulu
étudier le lien entre la transformation structurelle et la croissance inclusive d’une part, et le
lien entre la croissance inclusive et le veloppement humain d’autre part. Pour atteindre tel
objectif, on va traiter les deux questions suivantes : i) comment la transformation structurelle
peut améliorer le niveau d’inclusion de la croissance économique? et ii) comment la
croissance inclusive peut contribuer dans la réalisation du développement humain en
Afrique ?
Le choix de cette problématique est justifié essentiellement par au moins trois facteurs.
Premièrement, le fort lien entre la transformation structurelle et le développement humain.
L’expérience d’autres pays en veloppement (le Brésil et d’autres pays asiatiques) a mont
que la transformation structurelle dans un contexte de croissance économique rapide peut
amener au développement humain. Deuxièmement, le coût très élevé de la non-inclusion dans
le continent dont les estimations effectuées montrent qu’une accentuation des inégalités de
1% aggrave la pauvreté de 2.16%. Troisièmement, l’obligation doptimiser l’utilisation des
ressources naturelles du continent qui sont épuisables et mêmes non renouvelables pour
certaines.
En réalité, la croissance inclusive est basée sur un ensemble de mécanismes dont
particulièrement la diminution des inégalis5, la création de l’emploi décent, la diminution de
la pauvreté et la protection des populations les plus vulnérables. Dans ce présent travail nous
allons focaliser notre analyse sur le concept d’emploi pour au moins quatre grandes raisons
qui sont présentées par la BAD (2013). Premièrement, parmi ces différents concepts adoptés,
l’emploi reste l’élément essentiel et le majeur fi à relever pour aboutir à une croissance
inclusive. Deuxièmement, la grande leçon économique de la décennie donnée par la région
MENA et qui consiste à montrer que ce qui importe n’est pas la croissance en soi, mais par
contre la qualiet le modèle de la croissance6. Troisièmement, dans son élaboration d’un
score pour la croissance inclusive dans les pays de l’Afrique du Nord, la BAD a montré la
forte sensibilide ce score par rapport aux indicateurs de l’emploi. Enfin, contrairement aux
pays d’Asie de l’Est et du Sud-est, l’Afrique n’a pas tiré parti de ses atouts démographiques.
En effet, entre 1970 et 2000, dans les 4.3% de croissance réelle du PIB par consommateur
effectif, le dividende démographique dans ces pays a contrib à raison de 1.9 point de
pourcentage. Alors que pour l’Afrique, ces taux sont respectivement de 0.8 et 0.06%. Donc,
pour ces différentes raisons, nous allons assimiler la croissance inclusive à la capacide la
croissance économique de créer de l’emploi de qualité. Autrement dit, l’emploi productif et
bien rémuré.
Pour traiter cette problématique, nous organiserons notre travail en trois sections. La première
section est consacrée à une présentation bve des performances économiques réalisées par les
pays africains, leur potentiel immense en matière de ressources et leur retard en matière de
croissance inclusive et par conséquent en matière de développement humain. La deuxième
5 Toutes catégories confondues.
6 Au cours de la période (2000-2010), cette région a réalisée une croissance annuelle moyenne du PIB réel autour
de 4 à 5%. Mais, les disparités régionales et le chômage des jeunes ont représentés les principales
caractéristiques de ces économies. Boughzala et Hamdi (2014) ont attribué les revendications sociales dans
quelques pays essentiellement à ces deux facteurs. De même, la Banque Mondiale dans un rapport publié en
2014 a souligné l’importance de la création de l’emploi de bonne qualité pour que la Tunisie dépasse cette
situation très difficile.
4
section s’occupe de l’analyse théorique et empirique du rôle joué par la transformation
structurelle dans la réalisation de la croissance économique inclusive en Afrique. La dernière
section traite la contribution de la croissance économique inclusive dans la réalisation du
développement humain en Afrique.
1. L’Afrique : des performances économiques, mais pas de croissance inclusive et de
développement humain
En réalité, les pays africains ont enregistré des grandes performances économiques et
disposent d’un grand potentiel en ressources, mais ils ont rencontré des grandes difficultés
pour les transformer en une croissance inclusive et en un développement humain.
1.1. L’Afrique : des performances économiques et un potentiel immense en
ressources
En matière de performances économiques et selon le rapport publié en 2010 par McKinsey
Global Institute, les pays africains ont réalisé une grande amélioration au cours de la dernière
décennie. Ainsi, le PIB africain a enregistré une croissance annuelle moyenne de 4.9% au
cours de la période 2000-20087. Ce taux a plus que doublé par rapport à celui des années 80 et
90. Le PIB africain a atteint en 2008 les 1.600 milliards de dollars ; presque l’équivalent de
celui du Brésil et de la Russie. De même, les dépenses de consommation en 2008 sont
estimées à 860 billions de dollars. Enfin, après une baisse constante au cours des années
quatre-vingt et quatre-vingt dix, la productividu travail en Afrique a retourné à augmenter
avec une forte croissance annuelle moyenne de 3% au cours de la période 2000-2008.
En plus des performances jà réalisées en matière de croissance économique et toujours
selon le rapport publié en 2010 par McKinsey Global Institute, l’Afrique possède un grand
potentiel de croissance économique à sa disposition d’une grande richesse naturelle et des
ressources humaines.
« If recent trends continue, Africa will play an increasing important role in the global
economy. By 2040, the continent will be home to one in five of the planet’s young people,
and the size of its labor force will top China’s. Companies already operating in Africa should
consider expanding». (McKinsey Global Institute, 2010, p8)
Ainsi, le PIB africain en 2020 est estimé à 2.6 trillion de dollar. De même, les dépenses de
consommation en Afrique sont aussi estimées à 1.4 trillion de dollars en 2020. Ces
estimations sont appuyées sur un ensemble de facteurs. Premièrement, en matière de
ressources, l’Afrique dispose des réserves mondiales importantes : 10% en trole, 40% en or,
80% en chrome et 90% du groupe des métaux de platine. Deuxièmement, en matière de
changements sociaux et mographiques ; le taux d’urbanisation est estimé à 50% en 2030.
Enfin, l’Afrique est le continent le plus jeune dans la planète et le nombre des travailleurs en
Afrique est estià 1.1 milliard en 2040. Toutefois, cette croissance économique n’était pas
inclusive et transformée en un développement humain.
7 L’Afrique est classée deuxième en matière de croissance la plus rapide au niveau mondial derrière l’Asie de
l’Est (CEA, et UA, 2012).De même, entre 2000 et 2009, 11 pays africains ont enregistré un taux de croissance
supérieur ou égal à 7% (CEA, 2013). Enfin, en matière de climat d’affaire, les rapports d’évaluation publiés par
la Banque Mondiale et la Banque Africaine de Développement depuis 2004 ont montré un grand avancement
réalisé par les pays africains dans ce domaine.
5
1.2. L’Afrique : un retard en matière de croissance inclusive et de
développement humain
En dépit de ces grandes performances sur le plan économique, l’Afrique enregistre encore un
grand retard sur le plan du développement humain par rapport aux autres régions en
développement dans le monde. Ainsi, la croissance économique n’était pas inclusive, car, elle
n’a pas touché la grande majorité des dimensions du développement humain. En effet, l’accès
aux services sociaux de base est limité. Les inégalités sont flagrantes. La création d’emploi
décent est très faible. Enfin, comme conséquence inévitable à ces différents fauts la
pauvreté demeure très élevée dans le continent.
Commençons par l’accès aux services sociaux de base, entre 2006 et 2009, 28% seulement de
la population africaine avait accès à l’électricicontre 70% dans d’autres régions du monde
en développement. De même, en matière de conditions d’accès à l’eau, ces taux sont
respectivement 69% et 88%. (BAD, 2012).
En matière de moyens de subsistance alimentaire, dans son rapport sur le veloppement
humain en Afrique publen 2012, le PNUD a évoqué la question d’insécurité alimentaire
dans le continent et sa persistance malgré l’abondance des ressources. Ce rapport a souligné
aussi comment la curité alimentaire peut représenter un facteur de développement humain et
que seulement la croissance économique inclusive qui peut contribuer au développement
humain.
« Depuis 2000, l’Afrique a subi plusieurs épisodes graves d’insécurité alimentaire, qui se sont
soldés par de lourdes pertes en vies humaines et en moyens d’existence. Au moment même où
le présent rapport est publié, une nouvelle crise alimentaire frappe de plein fouet la région du
sahel, en Afrique de l’Ouest. Au cours de la seule année 2011, des millions de personnes ont
été affectées par la famine, de l’autre côté du continent, dans la Corne de l’Afrique, et plus
précisément dans certaines régions de la Somalie ». (PNUD, 2012, p3).
L’impact limité de la forte croissance économique sur l’acs aux services sociaux de base et
les moyens de subsistance a contribau creusement des inégalités dans le continent. En
effet, l’Afrique est classée deuxième au niveau mondial en 2008 avec un coefficient de Gini
de 44.2%, juste derrière l’Amérique latine et les Caraïbes. En 2010, six parmi les dix pays
souffrant le plus d’inégalis dans le monde sont africains. (Cummins et Ortiz, 2012).
Les inégalis entre les sexes et les zones géographiques sont aussi fortement présentes dans
notre continent. Ainsi, les femmes du quintile le plus riche ont près de trois fois plus de
chances que les femmes du quintile le plus pauvre d’accoucher en présence de personnel
qualifié. De même, 90% des femmes qui vivent en zone urbaine ont bénéficié d’au moins
d’une visite prénatale pendant leur grossesse, contre seulement 71% des femmes vivant en
zones rurales. (CEA et UA, 2014).
En matière demploi, pour la grande majorité des pays africains, les taux de chômage n’ont
pas bougé au cours de la dernière décennie. En 2008, le taux de chômage est de 10% en
Afrique du Nord et de 7.6% en Afrique Subsaharienne. Ce chômage touche essentiellement
les jeunes qui représentent le grand morceau de la population africaine; plus de 60% des
africains ont moins de 25 ans et ont le taux de chômage le plus élevé (OIT, 2009).
En Afrique, l’emploi a un certain nombre de caractéristiques spécifiques. Premièrement,
l’emploi est essentiellement crée dans le secteur agricole. En 2007, en Afrique Subsaharienne,
la part du secteur agricole dans la création d’emploi est de 62.5%8. Deuxièmement, environ
8 Au niveau mondial, ce taux est de l’ordre de 34.4% seulement.
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