Cours de philosophie de M.Basch — Autrui
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πάθoς, souffrance). Avec l’empathie, nous nous mettons spontanément à la place d’autrui
lorsque nous le voyons exprimer certaines émotions. Le monde intérieur de l’autre s’ouvre à
nous et devient une part entière de notre expérience vécue ; la réalité vécue de l’autre devient
aussi notre réalité. Grâce à l’empathie, nous pouvons comprendre l’autre sans utilisation
d’aucun langage : un homme désespéré qui pleure nous inspire peine et compassion, un enfant qui
rit avec insouciance nous prodigue une joie communicative. Sans l’empathie, la communication entre
hommes serait impossible : chacun d’entre nous serait enfermé dans son propre monde intérieur, sans
fenêtre ouverte vers l’autre.
La pitié est sans doute la forme d’empathie la plus intense, et Rousseau, qui fonde sa morale sur elle,
a bien vu que sans elle la survie de l’espèce serait compromise :
Il est donc bien certain que la pitié est un sentiment naturel qui, modérant dans chaque individu
l'activité de l'amour de soi-même, concourt à la conservation mutuelle de toute l'espèce. C'est elle qui
nous porte sans réflexion au secours de ceux que nous voyons souffrir; c'est elle qui, dans l'état de
nature, tient lieu de lois, de mœurs et de vertu, avec cet avantage que nul n'est tenté de désobéir à sa
douce voix ; c'est elle qui détournera tout sauvage robuste d'enlever à un faible enfant ou à un vieillard
infirme sa subsistance acquise avec peine, si lui-même espère pouvoir trouver la sienne ailleurs ; c'est
elle qui, au lieu de cette maxime sublime de justice raisonnée : « Fais à autrui comme tu veux qu'on te
fasse », inspire à tous les hommes cette autre maxime de bonté naturelle, bien moins parfaite, mais
plus utile peut-être que la précédente : « Fais ton bien avec le moindre mal d'autrui qu'il est possible
». C'est, en un mot, dans ce sentiment naturel qu'il faut chercher la cause de la répugnance que tout
homme éprouverait à mal faire, même indépendamment des maximes de l'éducation.
Jean-Jacques Rousseau, Discours sur l’origine et les fondements de l’inégalité parmi les hommes, 1755
On sait désormais qu’il y a dans notre cerveau un réseau de
neurones miroirs qui est l’un des supports de l’empathie.
Quand on observe notre semblable réaliser une action, comme
prendre un objet avec la main, et quand on réalise cette action
nous-mêmes, les mêmes neurones sont activés dans le cerveau.
Cela prouve que la capacité de l’homme à interagir avec les
autres est en grande partie innée ; il y a un instinct qui nous
pousse à chercher la compagnie d’autrui, à comprendre ses émotions et intentions et à communiquer
avec lui. L’homme est biologiquement programmé à comprendre son semblable et à l’imiter ;
nous sommes tous des miroirs les uns pour les autres et nous nous renvoyons réciproquement
nos émotions et intentions, tissant spontanément des liens avec les autres, construisant
progressivement notre personnalité sous l’influence des autres.
Un nouveau-né, 45 minutes environ après sa naissance, est déjà
capable d’imiter les autres : alors même qu’il ne s’est jamais reconnu
dans un miroir et que sa conscience de soi n’est presque pas du tout
développée, il peut déjà imiter les gestes et mimiques de ses parents,
comme l’acte de tirer la langue. Toute l’éducation est fondée sur ce
principe d’imitation : notre culture, notre langage, nos savoir-faire
proviennent de l’imitation de notre entourage.
L’homme est naturellement heureux de transmettre ses
connaissances et de partager ses émotions ; sa joie augmente quand il voie la joie de l’autre, et il
s’afflige quand il voit le malheur de son prochain. Nous sommes tous irrévocablement liés aux autres,
et la conquête de notre bonheur passe toujours par un effort pour faire le bonheur des autres :