Souffrant de phobie intersubjective, il ne reconnaissait pas

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Souffrant de phobie intersubjective, il ne reconnaissait pas
autrui
Author : Alexis Feertchak
Categories : Art & Société
Date : 11 septembre 2014
Thomas Nouthévède souffre d’un mal rarissime, la "phobie intersubjective", qui l’handicape
depuis de nombreuses années. C’est à la lecture de Kant, Husserl, Levinas, Jorge Luis Borges et
René Girard qu’il parvient peu à peu à revenir à une vie normale. Il nous a raconté son histoire,
celle d’un cas-limite qui ébranle l’édifice du moi tel que conçu depuis des siècles par les
philosophes. Il va mieux aujourd’hui, reconnaît autrui sans difficulté et compte même se lancer en
politique. Témoignage d’une phobie dépassée par les lectures.
Déjà à l’école, le jeune Thomas s’embrouillait dans les pronoms personnels. Ne sachant s’il
devait utiliser le « je » ou le « nous », le « tu » ou le « vous », il prit cette manie d’utiliser le pronom
impersonnel « on ». En proie au doute perpétuel, il ne parvenait pas à découvrir l’altérité dans le
visage de l’autre. Il voyait en chacun des autres un autre lui-même ou personne, selon les cas.
Adolescent, il ignorait ses camarades, ne les voyant pas, ou, au contraire, s’attachait à quelques
uns pour la raison qu’ils lui tendaient comme un miroir de ce qu’il était. Et cela le plongeait alors
dans un grand tourment.
Se rappelant le mythe de Narcisse, il était persuadé d’être condamné à la noyade par admiration
de son propre reflet dans la figure d’Autrui. Et en même temps, se voyant dans chaque individu, il
ne cessait de se dire que l’on n’était personne puisque l’on était tout le monde. Devant le
comportement mauvais d’autrui, il avait honte comme si c'était lui le fautif et non Autrui. Ce que
fait un homme c'est comme si tous les hommes le faisaient, se disait-il au fond de lui.
Schopenhauer a peut-être raison : je suis les autres, n'importe quel homme est tous les hommes.
Thomas Nouthévède est pris en tenaille entre cette croyance de n’être personne, puisqu’il se voit
dans chaque visage, et la croyance d’être seul contre tous, croyant percevoir au contraire une
altérité radicale, trop radicale pour qu’il y survive. « Moi je suis seul et eux ils sont tous » écrit
Dostoïevski dans Les Carnets du sous-sol. Cette pensée le hantait et le traumatisait. Il n’avait pas
encore lu René Girard et ne savait pas que « chacun se croit seul en enfer et (que) c'est cela
l'enfer ».
Et puis à vingt ans, c’est le choc de la lecture de Jorge Luis Borges qui lui fait apparaître son
propre moi dans l’altérité du visage de l’autre. Il se rend alors compte que sa phobie
intersubjective, en plus de l’isoler des autres, l’isole de lui-même. La nouvelle de Borges « La
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forme de l’épée » (in Fictions) met en scène un personnage : « Une balafre rancunière lui sillonnait
le visage » rappelant à tout jamais la conduite honteuse qu’il avait eue bien des années
auparavant ; impossible de l’effacer, ni même de l’oublier tellement toute rencontre lui faisait
croiser le regard dégoûté de ceux qu’il était amené à fréquenter[1]. Il comprend alors que tous
nous portons des balafres qui nous distinguent et nous identifient, et que le regard de l’autre porté
sur ces balafres nous fait exister en propre et en même temps nous fait prendre conscience
d’autrui.
Alors, il comprit enfin le texte de Levinas sur le visage qui parle, « le visage (qui) s’impose à moi
sans que je puisse cesser d’être responsable de sa misère ». Il comprend que, derrière les « il y a »
et les « on » impersonnels auxquels il était confronté et qui l’effrayaient, les visages nus et fragiles
d'autrui exigent de lui une responsabilité morale totale. Il est responsable devant tous les Autres,
mais cela ne lui fait plus peur. Face à toutes les fautes qu’il avait commises par sa phobie
intersubjective, qui l’avait conduites tantôt à la misanthropie, tantôt à l’égotisme, il décida de
changer radicalement et de faire de la politique pour être responsable devant tous les Autres. Il
décida donc de se présenter à la députation, encore fallait-il pour cela qu’une place se libère.
[1] Anne Carvallo, « un dialogue entre les cultures est-il possible ? », iPhilo, 25/12/2012.
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