
D
ÓRA
S
CHNELLER
:
Artaud et Van Gogh mis en scène…
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rupture totale avec le monde, mais imposée toujours par la société. Artaud écrit
dans une lettre à André Breton :
Mon internement a été une saleté pure et simple, saleté voulue non par la police
de l’état, mais par la police de tout le monde, parce que, à de très rares
exceptions près, personne, en dehors de quelques amis très rares n’a pu
supporter Mr. Antonin Artaud, et que tout le monde l’a toujours dit fou
4
.
Van Gogh a subi une répression semblable. Artaud et Van Gogh sont seuls
en face de leurs famille, en face des médecins et de la société. Et ils sont
rejetés, dit Artaud et Jacques Baillart, parce qu’ils ont essayé d’échapper aux
aliénations et restrictions mentales pour rechercher l’infini :
Et il avait raison Van Gogh, on peut vivre pour l’infini, ne se satisfaire que d’infini,
il y a assez d’infini sur la terre et dans les sphères pour rassasier mille grands
génies, et si Van Gogh n’a pas comblé son désir d’en irradier sa vie entière, c’est
que la société le lui a interdit.
5
Le renversement de dispositif scénique réalise un changement de rôle qui a
pour but de souligner le caractère relatif de la notion de la folie qu’Artaud
affirme vigoureusement dans son essai sur le peintre et que plus tard Michel
Foucault a souligné aussi dans son Histoire de la folie. Foucault a fait figurer
Artaud à la fin de son livre, mais en transfigurant la notion même de folie.
Les dernières lignes de l’ouvrage sont éloquentes à cet égard: « Ruse et
nouveau triomphe de la folie: ce monde qui croit la mesurer, la justifier par la
psychologie, c’est devant elle qu’il doit se justifier puisque dans son effort et
ses débats, il se mesure à la démesure d’œuvres comme celle de Nietzsche, de
Van Gogh, d’Artaud. »
6
Nous voyons une sorte d’écho des propos d’Artaud et de Foucault dans la
mise en scène de Jacques Baillart, du moins en ce qui concerne la configuration
de la salle. C’est le monde qui est devenu anormal et malade, dit Baillart.
Les fous sont ceux qui sont sur la « scène » et qui ont construit cette « scène »
qui n’est rien d’autre que la société.
4
Antonin Artaud, « Lettre à André Breton », Paris le 2 juin 1946, in Suppôts et Suppliciations,
Œuvres Complètes, tome XIV., Paris, Gallimard, p. 137.
5
Antonin Artaud, « Van Gogh le suicidé de la société », Œuvres Complètes, tome XIII., Paris,
Gallimard, 1974, p. 60.
6
Michel Foucault, Histoire de la folie à l'âge classique, Paris, Librairie PIon, 1961 et Union
générale d'édition, 1964, coll. „Le monde en 10/18”, p. 304.