PHILOMAX CHAPITRE AUTRUI

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CHAPITRE 3. AUTRUI (ES, S et L)
INTRODUCTION
Nous vivons dans un monde peuplé par une multitude d’êtres différents. Parmi ces
êtres, il y a ceux qui sont vivants (les hommes, les animaux, les végétaux) et ceux qui
ne sont pas vivants (les choses). Parmi les vivants, il y a les êtres intelligents, et les
êtres vivants sans intelligence. Ces êtres intelligents sont les hommes. Ils sont des
êtres intelligents, conscients, ils veulent connaître le monde, les choses, les
comprendre. On peut voir que certains de ces êtres sont très différents de nous : les
choses, les êtres sans intelligence, les non vivants. Et que d’autres sont proches, nous
ressemblent, pour ces derniers on parle d’autrui.
Autrui est un terme qui est dérivé du latin « alter » et qui signifie étranger, autre,
différent, etc. Autrui serait donc une altérité, un autre sujet, « un autre moi qui n’est
pas moi », un autre humain. Autrui n’est pas donc une chose, un végétal, un animal,
mais uniquement un être humain comme moi.
Dans ce cours nous aborderons les questions suivantes : Peut-on connaître autrui ?
Quelle connaissance pouvons-nous avoir sur lui ? Qui est-il ? Quelle relation peut-on
avoir avec lui : une relation conflictuelle ? Une relation affective ? Une relation
morale ?
I. La découverte et la connaissance d’autrui
1. Découvrir autrui par la perception intellectuelle
Une bonne partie de notre connaissance factuelle nous provient de l’esprit. Nous
percevons intellectuellement le monde, la réalité. Sans la perception, nous ne
pouvons pas connaitre grand-chose. Sans l’esprit, il est donc difficile, voire impossible
de connaitre. C’est la première certitude indubitable dans la conscience de soi. J’ai
conscience premièrement de mon esprit, de ma pensée, de ma « substance
pensante ».
Descartes, doutant de toutes les choses- les choses sensibles, les connaissances
rationnelles, la réalité- avait pourtant aboutit à la stabilité et la permanence du cogito
dans cette épreuve de doute. La pensée se montre comme une certitude
inébranlable dans cet océan de doute. Par l’esprit, la pensée, l’existence d’autrui
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m’est donnée. Sans la synthèse de l’esprit, autrui ne serait rien d’autre que des
perceptions multiples. Autrui serait une chemise, un pantalon, une montre, un
chapeau, un manteau, une cravate, une lunette de soleil… Ainsi, l’esprit est la
condition de mon existence, mais aussi, selon Descartes, de l’existence d’autrui et de
toute autre chose. Seule la pensée permet de distinguer autrui de tous ces éléments
extérieurs, même constat pour les choses (Cf. le morceau de cire, Descartes).
De ce fait, autrui ne peut exister sans le moi, sans le sujet pensant. Son existence
dépend de mon esprit, de moi : c’est le solipsisme. Car cette situation enferme le
sujet pensant dans une solitude existentielle. Il est la seule réalité et tout ce qui
environne cette chose pensante représente un vide. La seule chose dont je peux faire
l’expérience est ma propre conscience, ma pensée, mon esprit.
2. Découvrir autrui par son corps
Mais qui est autrui ? Qui est cet être que nous percevons par l’esprit ? Sans aucun
doute, il est impossible d’accéder à la conscience de l’autre et de connaître ses
pensées et ses sentiments véritables, car l’autre est une pure intériorité qui échappe
fondamentalement à ma propre conscience. Je ne peux pas donc connaître
directement autrui. Mais je peux le connaître indirectement : autrui me ressemble
extérieurement, physiquement ; il a un corps semblable au mien. Je sais que mon
corps abrite une conscience. Par conséquent si autrui me ressemble extérieurement,
il me ressemble aussi probablement intérieurement ; si autrui me ressemble
corporellement, il me ressemble aussi psychologiquement. On peut donc déduire de
ce raisonnement analogique que le corps d’autrui aussi possède une conscience,
qu’autrui est aussi une pensée, une conscience (Cf. Descartes). Autrui me ressemble
donc : c’est mon semblable. Le corps d’autrui permet donc de découvrir
partiellement son psychisme, sa conscience. Le corps nous rapproche d’autrui.
Mais ce n’est pas malheureusement toujours le cas. La découverte d’autrui par son
corps peut être (avait été) terrible. L’esclavage est l’exemple le plus frappant. Après la
colonisation de l’Afrique par les Occidentaux, l’homme européen rencontre et
découvre l’homme africain, l’homme noir. Il découvre un homme de couleur noire,
physiquement fort, pas ou peu éduqué. Corporellement, il le perçoit comme un être
différent, un physique infatigable, un animal sauvage, et pas comme un homme
comme lui, humain comme lui, émotionnel comme lui, fatigable comme lui… Faussé
par ce corps, l’homme blanc achète l’homme noir, il l’envoie travailler dans son
champ, le flagelle quand il se fatigue, l’interdit de vivre comme l’homme. Il ne le
traite pas comme un humain, mais comme un animal, parce qu’il le perçoit
corporellement comme tel.
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3. Découvrir autrui par le langage
On voit bien que la découverte d’autrui par l’esprit ou par le corps peut nous mettre
en erreur, en isolement, en esclavage, en préjugé. Pour connaitre davantage autrui, il
faut parler avec lui, il faut discuter avec lui. En parlant avec autrui, via le langage, il
nous est possible de connaitre ce qu’il pense, ses idées, ce qu’il ressent, ses
sentiments, ce qu’il veut, ses désirs, ses espoirs. Par le langage, autrui nous ouvre son
intérieur, on découvre médiatement sa vie mentale, sentimentale, émotionnelle.
Par le langage, on découvre qu’autrui nous est différent, qu’il a une autre
représentation du monde que la mienne. Il pense mais à sa façon, il désire mais à sa
façon, il pense mais à sa façon. Il ressent mais à sa façon. Il nous communique ses
sentiments, on ne peut pas savoir s’il a les mêmes sentiments que nous. Il nous dit ce
qu’il désire, et ses désirs et les miens se ressemblent quelquefois, mais ils sont
majoritairement différents. Ses idées ne sont pas les mêmes que les nôtres, ses
sensibilités politiques, ses projets…. peuvent différer des miennes.
On découvre en effet un être qui pense comme nous, qui désire comme nous, qui
ressent comme nous, qui parle comme nous… Autrui est donc un être qui me
ressemble. Semblable oui, mais pas identique. Comment alors comprendre autrui s’il
m’est essentiellement différent? Cette distance entre lui et moi peut-elle compliquer
la relation entre nous ? Peut-elle être la source d’une relation conflictuelle avec les
autres?
II. Une rencontre compliquée et conflictuelle avec autrui
1. La lutte des consciences
Selon Hegel, le monde est dialectique, la vie est dialectique. Elle est lutte, opposition,
contrariété : la vie et la mort, l’amour et la haine, etc. Cette structure dialectisée du
monde est généralisée. Elle englobe aussi la conscience. Les consciences des hommes
sont en conflit entre elles. Il se produit une lutte de reconnaissance entre les
différents sujets conscients : « chaque conscience veut la mort de la conscience de
l’autre » affirme Hegel.
Dans ce combat, il y aura un vaincu et un vainqueur : le vaincu est celui qui préfère la
vie à la liberté et qui est très attachée à la vie. Il va finir par se soumettre. Le
vainqueur est celui qui ne veut pas la vie et qui accorde une importance à la liberté
plutôt que la vie. Il va réaliser sa supériorité. Mais le vainqueur au lieu de tuer le
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perdant va préférer le maintenir en vie pour qu’il demeure une preuve de sa victoire
et pour savourer cette victoire le plus durablement possible : c’est la célèbre
dialectique du maître et de l’esclave. Le vaincu se trouve donc au service de son
maître et lui doit obéissance. Mais par la suite, le maître devient avec le temps
dépendant de son esclave. Le maître devient l’esclave de son esclave et l’esclave
devient le maître de son maître.
Par conséquent, contrairement à la chose, à l’objet qui ne nous résiste pas, qu’on
dispose librement de la manière dont on le souhaite, autrui est un sujet qui résiste à
ma domination. Il refuse de se faire traiter comme un objet, d’être la propriété d’un
autre homme. La lutte est donc inévitable entre les hommes, entre le dominateur et
le résistant, entre autrui et moi: lutter pour gagner sa liberté, lutter pour gagner sa
vie, lutter pour faire valoir ses droits, lutter même jusqu’à la mort pour sa liberté, sa
dignité, son honneur, sa famille, sa patrie…. La lutte qui m’oppose à autrui est
multiple, elle peut être culturelle, idéologique, cultuelle, politique, économique,
professionnelle.
2. Le regard et le jugement d’autrui
Lorsque l’autre me regarde, je ne suis plus un sujet, je deviens l’objet de son regard ;
le regard de l’autre me chosifie donc. Dès l’instant que je pénètre dans le champ
visuel de l’autre, j’ai honte de ce regard sur moi. Ce regard me dénude, me
culpabilise : « L’enfer, c’est les autres » dira Sartre. Car le regard d’autrui me juge, se
moque de moi, m’inspecte, me surprend dans le mal, me regarde violemment,
méchamment, jalousement, etc. Mon malheur serait donc le regard de l’autre, il faut
constamment surveiller ce regard en permanence posé sur moi.
Dans le Coran, on dit qu’Allah nous regarde, que personne ne pourra se cacher de ce
regard divin, de l’œil divin car l’œil de Dieu ne dort jamais. Allah nous voit sans
aucune différence dans le noir, dans l’obscurité totale, comme dans le jour, dans le
clair, dans la lumière. Son œil se promène partout, dans tout espace et en tout
temps. Je suis regardé, surveillé par d’autres regards : la société me regarde, la loi me
regarde, la famille me regarde, autrui me regarde, la morale me regarde, etc. Le
regard de l’autre m’épie, me torture, m’espionne. L’enfer, c’est quand je suis regardé.
Par conséquent, l’homme fuit le regard des autres, il se cache dans sa maison,
s’emmure derrière le mur de sa maison, dans sa chambre, etc.
Autrui est donc le seul être autour de moi qui puisse me juger et me regarder. Les
choses inanimées ne me font pas de soucis, les animaux, les végétaux non plus. Il est
vrai que l’animal aussi me regarde, mais son regard est uniquement visuel, il ne me
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juge pas, ce n’est pas un regard psychologique, un regard jugeant. Seul le regard
d’autrui juge l’autre. Ce jugement sur moi me dérange, me fait du souci. Regardé,
jugé, l’homme doit constamment faire attention à ce regard posé sur lui, et il devient
de moins en moins libre, de moins en moins spontané.
Mais, en un autre sens, ce regard m’est vraiment bénéfique, car il me permet de
juger mes actes, de prendre conscience de la gravité de certains de mes actes, de ma
faute, de moi-même, et de me corriger, de progresser. Ce regard est donc un regard
correcteur : il me corrige, il me persuade du mal. Sans ces regards sur moi, je tombe
facilement dans le mal, dans l’immoral, dans l’interdit, dans l’illégal, dans l’illicite, etc.
Sans les regards des autres, je vole les affaires des autres élèves, je pisse derrière les
bâtiments du lycée, je ne prends pas soin de moi : de mon apparence, de mes
comportements, etc.
3. L’homme, un être par nature méchant
Pour Hobbes, l’homme est un être naturellement méchant et violent, il est un animal
sauvage. Sa méchanceté est profondément ancrée dans sa nature biologique, dans
son être. Il compare métaphoriquement l’homme à un animal, et un animal incarnant
la méchanceté : le loup. « L’homme est un loup pour l’homme » parce que l’homme
tue l’homme, l’homme égorge l’homme, l’homme vole l’homme, l’homme torture
l’homme, l’homme détruit l’homme, l’homme écrase l’homme, l’homme infériorise
l’homme, l’homme maltraite l’homme, l’homme corrompt l’homme, l’homme
combat l’homme, etc. Bref, l’homme est méchant à l’égard de l’homme. Mon
semblable, autrui, est paradoxalement mon ennemi, mon rival, un rival dont je dois
me méfier et combattre: c’est une guerre totale et ouverte entre les hommes.
Difficile donc d’adoucir culturellement cet homme méchant par nature. Même
sociabilisé, civilisé, modernisé, éduqué, humanisé, l’homme tue encore, vole encore,
écrase encore, trahit encore, corrompt encore, etc. L’homme blanc se disant civilisé,
éduqué, démocrate, ne s’est-il pas invité en Afrique et ailleurs prétextant son désir
d’apporter la civilisation, l’éducation, la démocratie à l’homme noir… Mais cet
homme blanc civilisé et civilisateur n’a-t-il pas brillé par l’esclavage massif, le pillage
des ressources naturelles, la torture, l’assassinat des leaders et des indépendantistes,
le parrainage des régimes brutaux, des dictateurs...
Raison pour laquelle, religion, morale, loi, culture, civilisation, éducation, se
conjuguent pour freiner la violence humaine et persuader l’homme de la méchanceté
et du mal. La religion jure au méchant, au tueur, au voleur, au corrupteur à une vie
infernale, terrible, impitoyable dans l’au-delà (la religion). La loi, la justice préparent
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la prison, la cellule, l’isolement pour le tueur, le voleur, le criminel, l’anti-social. La
démocratie minimise le pouvoir du gouvernant, balance les pouvoirs politiques du
pays. Sinon, si l’homme totalise tous les pouvoirs, tous les moyens, sa violence et son
animosité explosent ; il devient un monstre incontrôlable, une machine sanguinaire:
la folie d’HITLER avait ôté la vie à des dizaines de millions d’humains. Mussolini,
Staline, Bush, Bachar… et d’autres fureurs ont versé des fleuves de sang.
Thomas Hobbes n’a-t-il pas raison de craindre l’homme, de voir chez son semblable
un danger permanent et terrifiant. Cependant, l’homme peut-il être vraiment qualifié
d’animal sauvage ? La relation avec autrui est-elle inévitablement conflictuelle et
violente ? Contrairement à l’animal, l’humain n’est-il pas disposé naturellement à
s’approcher des autres hommes ?
III. La bonté naturelle de l’homme vis-à-vis d’autrui
1. Dialoguer avec autrui
L’homme est le seul être qui parle. Cette disposition naturelle lui donne la possibilité
de parler, de s’exprimer, de discuter, de négocier, d’argumenter, de convaincre, de
partager. Contrairement à l’animal qui ne parle pas et qui règle son différend que par
la force, la violence et la guerre, l’homme a une autre alternative autre que celle
animale, violente : il dialogue et règle verbalement ses différends. Par le dialogue, la
consultation, le consensus, les hommes ont mis en œuvre un ensemble de codes, de
règles pour pouvoir trancher et régler les litiges : par exemple le Xeer cise (la loi des
issas), l’Afar madqa (la loi des afars), les Droits de l’homme, etc. Le dialogue libère
l’homme de ses opinions et préjugés, il faudrait nécessairement confronter
véritablement sa pensée avec celles des autres (Cf. Platon). Par ce moyen, nous
pourrons éviter la rivalité et le conflit entre les consciences.
Le dialogue serait donc la base d’une meilleure compréhension, communication les
uns avec les autres, de pacification et de vivre-ensemble. Mais ce dialogue ne doit pas
être un dialogue des sourds qui enfermerait chacun dans son monologue ; il doit être
un vrai dialogue dans lequel chacun présente ses arguments tout en écoutant et
examinant les arguments de l’autre : un vrai entretien dialectique. Et non pas un
dialogue malhonnête dont chaque camp veut gagner et sortir gagnant. C’est par ce
dialogue sincère, la discussion, le compromis, le consensus que notre pays a brillé
depuis son indépendance, d’où le surnom de Djibouti, havre de paix.
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2. Aimer autrui
L’homme est aussi un être aimé et aimant. C’est un être d’amour. L’amour est un
élan du cœur vers un être, une personne autre que moi, vers autrui. L’amour (eros)
apparait initialement comme un désir, un manque de quelqu’un ; c’est un désir qui
implique aussi la reproduction et la conservation de l’espèce humaine.
Dans le Banquet, Platon, à travers le mythe Aristophane, nous raconte de l’origine de
l’amour. Il raconte qu’ « ils y avaient trois catégories d’êtres humains » : le mâle, la
femelle et l’androgyne (une troisième catégorie composée de l’assemblage des deux
êtres : le mâle et la femelle). Chaque androgyne avait « quatre mains », « un nombre
de jambes égal à celui des mains », « deux visages », « une tête unique pourvue de
quatre oreilles » et « deux sexes ». Platon raconte que cette dernière catégorie, les
androgynes, se sentant fort et redoutable « entreprirent l’escalade du ciel » pour s’en
prendre aux dieux. Les dieux réagirent : ils décidèrent de couper les androgynes en
deux pour les affaiblir et les punir. Depuis ce jour, l’homme, coupé en deux moitiés,
cherche éperdument à retrouver et fusionner avec sa moitié. Il est donc un être
humain naturellement aimant.
Cet amour sentimental joint, unit deux êtres différents : sexuellement différents,
psychologiquement différents, physiquement différents; ils peuvent être aussi
culturellement différents, théologiquement différents, racialement différents,
ethniquement différents, socialement différents, idéologiquement différents,
philosophiquement différents, etc. On peut se demander légitimement si cette
différence est au service de l’accomplissement de mon amour ou si, au contraire, elle
nuit à son épanouissement.
Il est vrai qu’il n’est pas si facile de vivre avec son aimé-e- quand il (elle) est si
différent(e) de nous. Mais cette différence est nécessaire pour que la relation
perdure. C’est cette altérité, cette différence entre les deux amoureux qui
permettent à la relation amoureuse de s’enrichir, de s’approfondir, de s’épanouir, de
s’amplifier, de se renouveler. La relation intimement amoureuse métamorphose les
amoureux : la tendresse, l’affection, la bonté, etc. fleurissent de l’amour. Mais cet
amour sentimental semble paradoxalement être intéressé et égoïste: lorsque nous
aimons quelqu’un, notre amour est motivé par des causes, des qualités (PASCAL).
J’aime quelqu’un pour ses qualités, des qualités que je désire, que j’ai besoin, qui me
manque, que je veux posséder. Tout amour est premièrement amour de soi-même.
Aimer un autre, c’est s’aimer soi-même.
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Toutefois, il convient de distinguer cet amour sentimental mystérieux de l’amour
biologique, maternel, paternel, fraternel, familial… L’amour authentique ne calcule
pas, ne cherche des qualités ; il est désintéressé et gratuit. C’est un amour qui va audelà de la beauté physique ou psychologique, du profit, du matériel : une mère aime
son enfant petit, adolescent, adulte, malade, handicapé, sain, riche, pauvre, aimable,
non aimable, etc. C’est un amour naturel, authentique, pur, fidèle, brut, etc. L’islam
interdit la maltraitance à l’égard de ses parents, et particulièrement à l’égard des
mères : ne jamais dire « ouf » à ses parents (le Coran), « le paradis se trouve sous les
pieds de nos mères » (le prophète). Respectons et aimons nos mères !
Il y a aussi l’amour de Dieu. Nous aimons aussi Dieu, parce qu’il nous a créé
gratuitement. Personne n’a payé sa création, elle est gratuite. Dieu a créé l’homme,
et il lui a donné aussi gratuitement la vie. Quelle belle chose ! Il pouvait nous créer
sous forme de pierre, d’étoile, d’eau, d’air, mais il nous a créés vivants, avec la vie. La
vie mais pas n’importe quelle vie, la vie humaine. Il pouvait nous créer animal,
végétal… Dieu a décidé de créer les hommes vivants, humains, en bonne santé,
intelligents, supérieurs. Une création presque parfaite, dans un organisme
extraordinairement réglé (meilleure façon possible : le Coran). Et tout ça
gratuitement !
On aime Dieu, mais on aime aussi ceux qui aiment notre Dieu. Nous aimons ceux qui
croient comme nous en Lui, et plus particulièrement ceux qui croient au même Dieu
que nous. Nous nous sentons très proches d’eux, ils sont nos frères et nos sœurs en
islam, car nous appartenons à une même communauté : par exemple, la OUMA, la
communauté musulmane. Ainsi, les musulmans aiment les musulmans plus que les
autres croyants, les chrétiens les chrétiens….. Même si les hommes doivent aimer
tous les hommes humainement et indépendamment de leur croyance, race,
culture…, force est de constater que l’amour de Dieu rapproche davantage entre eux
ceux qui sont dans la même croyance, appartiennent à la communauté….
3. Avoir pitié de l’autre
Pour J.J.Rousseau, les hommes communiquent et échangent sentimentalement entre
eux : c’est la « pitié » (voir aussi la sympathie). Car l’homme est un être
naturellement bon et bienveillant. Il a naturellement, spontanément,
universellement, humainement pitié de l’autre, d’autrui. L’homme participe
émotionnellement aux affects des autres hommes : je partage une joie, une douleur,
une tristesse, etc. Quand une personne, et particulièrement qui compte pour moi est
joyeuse, je semble être aussi joyeux ; quand une personne que j’aime est triste,
chagrinée, je semble partager ses ressentis. Les hommes sont donc les seuls êtres
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vivants sentimentalement solidaires, car cette solidarité sentimentale semble ne pas
exister chez l’espèce animale.
Les animaux se dévorent entre eux. L’animal chasse son semblable animal, il le
mange cru, vivant, souffrant, criant de douleur, agonisant, etc. Certains animaux
semblent même prendre du plaisir dans la mise à mort de leur proie ; ils les torturent,
les condamnent à une mort à petit feu. Par exemple, le chat torture la souris avant de
la manger, etc. Il semble donc évident devant cette scène horrible que l’animal ne
connaît pas la sympathie, la solidarité émotionnelle. La sympathie serait donc
spécifiquement humaine. Mais est-elle réelle ? Eprouvons-nous véritablement les
mêmes émotions que les autres ? Est-elle universelle?
Incontestablement, nos émotions ne sont pas identiques à celles des autres dans la
sympathie. Ainsi, pour Larochefoucauld, la pitié est superficielle. Je ne partage pas
sincèrement avec l’autre sa souffrance, je vais semblant de souffrir avec lui : elle est
égoïste, mensongère, théâtrale, malhonnête, etc. La pitié n’est pas donc profonde,
intérieure, réelle, elle est superficielle, extérieure, artificielle. Et elle n’est pas
universelle : l’homme n’a pas toujours, dans tous les contextes, pitié de l’autre : par
exemple, le palestinien n’a pas pitié de l’israélien : le juif est satisfait quand un
palestinien est tué et le palestinien est satisfait quand un attentat terroriste décapite
des innocents juifs : enfants, femmes, etc.
4. Respecter autrui
Le respect d’autrui est un des premiers principes de toute structure sociale : je dois
impérativement respecter autrui parce qu’il est un autre moi, un humain comme moi.
En respectant autrui, je reconnais son humanité, l’égalité entre lui et moi. Le respect
est une exigence morale universelle : l’islam, le christianisme, le bouddhisme, etc.
presque toutes les religions exigent de respecter autrui. Respecter l’autre, c’est
considérer sa particularité, tolérer sa différence, ne pas l’instrumentaliser, accepter
sa liberté, etc.
Le respect de l’autre englobe son corps, sa vie, son bien, sa dignité, son intimité, sa
croyance, sa liberté, ses opinions, etc. L’Islam interdit de tuer une personne
innocente, de voler ou de s’approprier illégalement du bien de l’autre, de haïr l’autre
même s’il n’a pas la même croyance que nous, d’insulter, de salir ou de porter
atteinte à la dignité de l’autre, de mentir à l’autre, de tricher et de tromper autrui, de
torturer autrui ou de porter physiquement atteinte à son corps : même en cas de
mise à mort, elle doit être rapide et sans souffrance (hadith du prophète), etc.
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Cependant, Pascal établit une différence entre deux sortes de respect : les « respects
naturels » et « les respects d’établissement ». Lorsque j’éprouve un respect
d’établissement pour quelqu’un, je lui respecte, conformément à la règle de ma
société (par exemple, se mettre à genoux devant un roi, etc.). Mais le respect naturel
ne s’éprouve pas institutionnellement, c’est un respect plutôt consenti par mon âme :
mon esprit s’incline devant « un homme de condition inférieure » pour « la droiture
de son caractère », c’est-à-dire pour sa grandeur naturelle.
Mais le respect est-il lui aussi sentimental comme la pitié ? Pour Kant, le respect n’est
pas un sentiment affectif, il est un sentiment moral : le respect nécessite un jugement
rationnel pour reconnaître le bien moral et la valeur de la personne respectée. Le
respect n’a pas sa source dans la sensibilité, sa racine s’ancre dans la raison : le
respect est le produit du jugement rationnel. C’est la raison qui dicte la morale
humaine.
CONCLUSION
L’homme est un être qui vit avec les autres parmi ses semblables humains. Sans les
autres, il ne sait ni écrire, ni lire, ni parler, ni communiquer, ni travailler, ni aimer, etc.
Sans les autres, il ne peut pas aimer, avoir un ami, une mère, un père, un frère, une
sœur, un fils, une fille. Sans les autres, il n’est rien. Autrui est donc indispensable dans
mon existence. On le découvre par notre esprit son existence, sa nature. On le
découvre aussi à travers son corps : un corps semblable au mien, mais pas identique.
On le découvre aussi via le langage : on découvre ses idées, ses pensées, ses
sentiments, ses désirs…
Mais autrui est problématique. L’autre avec qui tu parles, ne te parle pas, te parle
mal, t’insulte, se moque de toi, crie sur toi, te rabaisse, t’injurie, te maudit, etc.
L’autre qui te ressemble te déteste, te vole, te tue, te torture, t’emprisonne, te pille,
t’espionne, te trompe, te jalouse, te concurrence. Mon ami me trahit, me trompe, se
détourne de moi. Mon amour me déteste, s’éloigne de moi, me divorce, me
complique la vie. Ma famille me délaisse, ne me respecte pas, ne me considère pas.
Mais qui est autrui ? Est-il réellement humain ? Ou est-il un animal habillé humain ?
Que faire ? Haïr tout le monde ? Le dialogue sincère, l’amour authentique, la
sympathie, l’amitié pure, le respect d’autrui, l’éducation, la civilisation,
l’humanisation, etc. autant de belles dispositions naturelles et culturelles qui peuvent
rapprocher, unir, solidariser, fortifier et développer les hommes.
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