Dimanche 28 Juin 2009
Dimanche après la Trinité
Luc 15, 1-10
Jean –Mattieu THALLINGER
Froeschwiller
Voltaire dans son œuvre la plus célèbre, le conte « Candide ou l’optimisme », nous
raconte l’histoire d’un jeune homme nommé Candide qui crut longtemps, que tout
était dans le meilleur des mondes et fera brutalement l’expérience du contraire.
Enrôlé dans l’armée bulgare il découvrira la boucherie militaire. Il partira pour le
Portugal où il rencontrera l’Inquisition et l’intolérance suite au tremblement de terre
de Lisbonne. Il s’enfuira pour l’Amérique croisera les tribus anthropophages, le
royaume utopique d’Eldorado et les horreurs de l’esclavage.
De retour en Europe il découvrira les errements de la richesse bourgeoise : « on peut
posséder tout ce qu’il faut pour être heureux, et ne pas l’être ».
Le tour du monde s’achèvera par une morale assez pessimiste lorsque Candide
conclura, revenu de tout : « Il faut cultiver notre jardin. »
C’est une morale du repli. La morale de ceux qui en ayant trop vu et trop subi
décident finalement de jeter les armes, de faire route à l’écart de ce monde trop dur
ou trop injuste.
Passons du coq à l’âne, ou plutôt de Candide à la brebis, du conte de Voltaire aux
paraboles de Jésus en Luc 15. La première, nous raconte l’histoire de cette 100e
brebis égarée.
Elle est souvent lue en se centrant sur la bonté de ce maître qui fait tout pour la
retrouver. Elle a souvent été utilisée pour dire que devant Dieu chacun de nous, est
accepté, même les pires, les immoraux, même les blondes, les gauchers, les belles-
mères, les conseillers presbytéraux autoritaires, les pasteurs, les Bernard Madoff et
autres boucs émissaires, la liste pourra être complétée par chacun.
De ce point de vue, bien du chemin nous reste encore à parcourir.
La brebis de la parabole, ne ressemble-t-elle pas singulièrement à Candide ? Elle
part, au risque de se perdre, pour interroger, comprendre, chercher … au risque de la
désillusion.
Pourquoi s’est-elle perdue ? D’ailleurs s’est-elle vraiment perdue ? Si cette brebis
était simplement une forte tête, ou plus simplement une brebis protestante ? Qui a
décidé de faire sa route toute seule ? De créer son propre courant, d’user de son
libre-arbitre. Qui refuse d’être mouton de Panurge.
Le mouton de Panurge est la cousine lointaine et l’antithèse de la brebis de la
parabole et de Candide. Panurge, héros de Rabelais pour se venger d’un marchand
lui acheta un mouton et le fit se précipiter à la mer. Tout le troupeau du commerçant
ainsi que lui-même s’y précipitèrent à sa suite.
La brebis de la parabole aurait-elle été de Panurge, que la parabole se fut intitulée :
la parabole du troupeau perdu. Nous aurions pu à notre aise prêcher sur les bancs
vides de nos églises, fuis par des paroissiens « panurgiques ».
La brebis de la parabole qui veut faire sa route seule est autonome. Cette brebis
n’est-elle pas comme Candide, elle a décidé de découvrir le monde par elle-même ?
elle veut cultiver son jardin elle-même. Ou peut-être est-elle comme certaines fleurs
dans le jardin qu’une paroissienne me fit visiter un jour : certaines fleurs qui avaient
été plantées à un certain endroit et qui n’avaient pas tenu. Replantées ailleurs elles
n’avaient pas mieux résisté. Encore et encore replantées elles avaient fini par trouver
leur place.
Son jardin était pour elle son Eldorado (le pays de l’or mythique d’Amérique du Sud
que visita Candide pour en revenir).
Et si la 100e brebis n’avait pas non plus trouvé sa place dans le troupeau ? Elle avait
fait route pour essayer de trouver sa place ailleurs. Comme souvent dans nos vies, il
est des moments où nous pouvons en avoir assez d’être des brebis, de subir la vie et
que nous essayions d’en reprendre les rênes. Pour trouver la terre dans laquelle nous
pourrons nous épanouir.
Candide comme notre brebis ressemble finalement beaucoup au fils perdu et
retrouvé de la 3e parabole de Luc 15.
La pointe de ces récits, et des trois paraboles de Luc 15 ne sont-elles pas dans
l’insistance sur le mouvement du retour ? Dans la repentance comme le signifie
Jésus dans sa conclusion aux deux premières paraboles.
Le chrétien est fondamentalement un repenti.
L’expérience de la foi est un retour à notre humanité plus qu’une nouveauté.
En hébreu on parle de la « teshouva ». C’est un mot qui signifie le retour et qui
désigne la conversion d’une personne à la foi. Bien souvent nous avons tendance à
comprendre la conversion comme la rupture avec un passé. Elle est selon la teshouva
tout son contraire. La conversion est un retour.
Et nous pouvons penser à cette histoire juive qui rapporte que le fœtus dans le ventre
de sa mère connaît toute la Torah. Mais au moment de sa naissance, un ange arrive
et lui donne un petit coup sur la lèvre et l’enfant oublie tout ce qu’il savait.
Lorsque plus tard l’adolescent puis l’adulte qu’il devient apprendra la Torah, va
rencontrer Dieu, ce seront plus des retrouvailles, qu’une découverte nouvelle. Des
retrouvailles avec une vérité profonde qui est en lui.
Le mouvement de la teshouva, du retour, n’est jamais achevé, puisqu’on n’a jamais
fini de revenir à son être le plus profond, à l’Adam, à l’humain qui est en soi.
Jésus s’adresse tant à la foule des péagers et pécheurs qu’aux pharisiens et scribes. A
ces derniers il leur renvoie un défaut (au sens propre, un manque) : leur inaptitude au
repentir.
Pensons à tant de personnages bibliques : Jonas, Pierre, Abraham, Paul, … tous
connurent le mouvement du retour.
Dieu serait-il un peu comme le marchand cybernétique d’occasion Ebay, il redonne
vie à l’ancien, il recycle nos existences … ?
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