othello - Théâtre de la Tempête

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OTHELLO
de William Shakespeare
nouvelle traduction de André Markowicz
mise en scène Gilles Bouillon
Crédit photo : Nathalie Holt
Durée estimée : 2 h 10
Création au Centre Dramatique Régional de Tours
du mardi 9 octobre au vendredi 26 octobre 2007
à 20h sauf mardi et jeudi à 19h, relâche samedi et dimanche
Tarifs : de 19 à 7 €
Nouvel Olympia
Théâtre communautaire
7 rue de Lucé – 37000 Tours
Tél : 02 47 64 50 50
Théâtre de la Tempête – Cartoucherie de Vincennes
du mardi 13 novembre au dimanche 16 décembre 2007
du mardi au samedi à 20h – dimanche 16h
Tarifs : 18, 13 et 10 € (mercredi tarif unique : 10 €)
Métro : Château de Vincennes
Sortir en tête de ligne puis prendre la navette Cartoucherie
départ toutes les quinze minutes
Premier voyage 1 h avant le début du spectacle
ou bus 112, arrêt Cartoucherie
Tél. : 01 43 28 36 36
Distribution
Mise en scène
Gilles Bouillon
Dramaturgie
Bernard Pico
Scénographie
Nathalie Holt
Costumes
Marc Anselmi
Lumière
Michel Theuil
Musique
Alain Bruel
Assistante à la mise en scène
Sophie Mayer
Peinture et Sculptures
Thierry Dalat
Maquillage
Nathalie Charbaut
Maître d’armes
Noël Dufois
Régie Générale
Laurent Choquet
Construction du décor
l'équipe technique du CDR
de Tours
Avec
Babacar M’Baye Fall
Othello
Christophe Brault
Iago
Emmanuelle Wion
Desdémone
Alain Payen
Brabantio
Xavier Guittet
Rodorigo
Alice Benoit
Emilia
Mathilde Martineau
Bianca
Marik Renner
Coryphée
Samuel Bodin
Montano
Solal Bouloudnine
Lodovico
Gaëtan Guérin
Cassio
Bertand Fieret
Le Duc
Production du Centre Dramatique Régional de Tours
Avec le soutien de la D.R.A.C. Centre et de la Région Centre (Jeune Théâtre en
Région Centre) et le soutien du Fonds d’Insertion pour Jeunes Artistes
Dramatiques, D.R.A.C. et Région Provence-Alpes-Côte d’Azur, en coréalisation
avec le Théâtre de la Tempête.
Diffusion : Giovanna Pace – 06 12 56 61 40 – [email protected]
Sommaire
- « Leçon de Ténèbres », par Bernard Pico, dramaturge
- Notes d’intention, pistes dramaturgiques, partis-pris de
mise en scène par Gilles Bouillon, metteur en scène
- « Noirceur du racisme », texte de Pierre Corcos,
journaliste, écrit pour la création d’Othello, publié dans
le journal du cdr de Tours
- La source d’Othello
- « Le tragique étouffement de la lumière », texte de
Victor Hugo sur Othello, in William Shakespeare
- Quelques citations
- Bibliographie rapide
- Propositions pédagogiques
Leçon de Ténèbres
Dans Othello comme dans les grands chefs-d’œuvre tragiques qu’il compose à la
même époque, Shakespeare obstinément scrute la fascination pour le mal, sa
puissance de séduction.
Iago est d’abord un séducteur irrésistible, qui met ses talents d’acteur et de
metteur en scène au service de sa volonté de puissance.
Maître de théâtre, il organise les situations, les rencontres, les points de vue, il
crée de la réalité, il l’invente à partir de rien, dans l’ombre, sous le masque,
trafiquant de l’irréel avec juste un murmure à l’oreille.
Séduction de la parole, dont il appartient à la nouvelle traduction d’André
Markowicz de rendre musicalement et rythmiquement le charme ou la violence
de ces voix qui traversent la nuit.
Othello s’enracine dans l’actualité du temps, drame « moderne » qui fait respirer
les grands espaces, souffler le grand vent de l’histoire et de l’épopée. On est
dans l’Iliade, on est dans l’Arioste.
Triomphe de l’amour et triomphe solaire du héros.
D’un jour à l’autre, d’une nuit à l’autre, le cadre se resserre jusqu’à l’asphyxie :
de Venise reine des mers à Chypre, l’île forteresse, de la chambre au lit, à
l’oreiller, à la mort : Othello malade de jalousie tue Desdémone. Desdémone
réduite, comme toutes les femmes de cette tragédie, au silence, la chanson du
saule étouffée sous un oreiller.
Focale double. Le basculement brutal de l’épopée à la tragédie, de l’univers
politique à celui de l’intime, la fermeture de l’espace géographique et mental, tel
est le mouvement original du drame d’Othello.
L’énigme posée est celle d’une chute dans l’horreur, une métamorphose
monstrueuse, un égarement. L’énigme de la destruction aveugle de la vertu, de
la beauté, de l’amour.
C’est une histoire sombre, âpre, d’une infinie tristesse.
Je t’aime, je te tue.
C’est le cœur de la tragédie.
En même temps, peu d’œuvres dramatiques ont une telle puissance d’évocation
charnelle et vont fouiller de façon si troublante, le désir sexuel, les fantasmes de
l’animalité, les liens de l’érotisme et de la mort.
Au début, deux couples, dissymétriques, mais fondés l’un et l’autre à la fois sur
l’accord et le désaccord.
Othello et Desdémone, le noir et la blanche, l’amour conquis sur les préjugés.
Othello et Iago, liés par de plus sombres motifs, les feux de l’envie, « le précipice
près du glissement ».
Conjonction explosive de forces égales dans un trio qui finit par s’autodétruire.
Triomphe de la haine, de l’esprit de négation qui habite Iago – si Othello est
contaminé, Iago en est infecté le premier : jeu de miroirs à la lumière biaisée de
la jalousie.
Iago brûle de détruire la beauté et la valeur, tout ce dont il est exclu à jamais.
Iago tisse sa toile autour des faiblesses, des leurres ou des fantasmes qui
empiègent pourtant « le désir d’être » des autres personnages pour les conduire
à la destruction.
Tout semble donné dans le titre, La tragédie d’Othello le Maure de Venise :
Othello n’est pas vénitien. Sa vertu guerrière en fait certes un « champion », il
reste un étranger : un « barbare » à Venise, un noir chez les blancs.
Hier comme aujourd’hui, l’altérité attise fantasmes et angoisses.
Et donc Othello, noir comme l’enfer : bélier noir qui grimpe la brebis blanche.
Noir comme la mélancolie : en proie à la bile noire, à la fureur de la jalousie
meurtrière dont on suit le trajet fatal du poison.
Noir comme la nuit. Le rideau s’ouvre sur une nuit, se referme sur une nuit entre les deux, une obscurité épaisse trouée de quelques éclats de jour. Les eaux
noires de Venise ou de Chypre reflètent la seule lueur des torches, des éclairs et
des feux des garnisons coloniales.
Othello raconte « le tragique étouffement de la lumière » (V.Hugo). Une
irrésistible plongée dans la nuit. Une poétique de l’ombre et de la lumière. Une
dramaturgie des ténèbres de l’âme. Le sommeil de la raison comme chez Goya
accouche des monstres.
Bernard Pico, dramaturge, avril 2007
Notes d’intention, pistes dramaturgiques
Pourquoi Othello ?
Noirceur
Othello c’est une des grandes tragédies.
Peut-être la plus théâtrale.
Ce qui m’intéresse c’est la noirceur
C’est l’univers de noirceur qui est évoqué.
Univers nocturne, incertain, pas de points de repère, danger.
Iago
1 - The villain, le scélérat
Avant tout ce qui me fascine, c’est le personnage de Iago.
Evidemment Othello, Desdémone, etc.
Mais c’est lui qui a le volume de texte le plus important, et de loin.
Rarement chez Shakespeare un personnage détient autant la parole, occupe
autant de « surface » sur la scène.
Le héros méchant qui fascine toujours plus (voir les feuilletons américains :
Soprano, Shield)
Il hait Othello, il hait la beauté, la vertu, la noblesse, il hait tout le monde, il se
hait lui-même.
ET SANS RAISON. Une haine sans motif. Le mal pour le mal.
On a le sentiment qu’il improvise, n’a pas de projet plus précis que de nourrir sa
haine, invente au fur et à mesure, qu’il triche au ralenti, qu’il jouit de cela,
divertissement, jubilation.
Fascinant aussi parce qu’il manipule les autres à partir de presque rien, un
silence, une hésitation, un verre de vin, un mouchoir. IL suggère, à partir de
rien, des images sans aucun fondement et finit par leur donner le poids de la
réalité.
2 – Iago metteur en scène et acteur.
Comme si Shakespeare lui avait donné la possibilité de créer et de mener la
tragédie comme il l’entend, à la place du dramaturge.
Iago nous interroge par là sur les pouvoirs du théâtre : pouvoir du fantasme,
pouvoir de l’image, pouvoir des mots, pouvoir de dire une vérité sur les êtres, les
évènements et sur le monde.
C’est un personnage entre le plateau et le public.
Il joue aussi avec le public, il a une dimension populaire et, paradoxalement, une
puissance comique que je veux particulièrement explorer.
La musique d’Othello
1 - Bonheur de retrouver cette langue de Shakespeare, tendue comme un arc
(en ciel !) et capable de relier, d’embrasser les extrêmes, le microcosme et le
macrocosme, l’humain fini et l’univers infini, la tragédie et la comédie, le plus
poétique et le plus trivial : Shakespeare aime tous les langages, compose avec
tous les niveaux de langue un poème absolument accessible à tous les publics.
Je suis convaincu que nous avons besoin de revenir à ce théâtre totalement
ouvert au public avec ses grands récits qui à notre époque « post-moderne »
font cruellement défaut – dans l’attente que notre temps crée sa propre
mythologie, mais est-ce une utopie ?
2 – Je voudrais citer le philosophe Georges Steiner qui dit dans La mort de la
tragédie : « Le théâtre c’est le langage porté à une si haute pression du
sentiment que les mots impliquent nécessairement et immédiatement le
geste ».
Ma passion pour l’œuvre de Shakespeare vient de là, de la densité, l’épaisseur de
sens de cette langue, des sens multiples, des images, des sonorités, du souffle.
Et pourtant cette langue ne se referme pas sur elle-même, n’est jamais
hermétique, elle est limpide, efficace, évidente, quand l’acteur s’en saisit pour la
jouer.
Les vers ou la prose de Shakespeare (il y a les deux dans Othello) provoquent,
suscitent le jeu, appellent le corps, la voix, l’émotion du comédien. Chaque mot
est une invitation au théâtre.
Vertigineux.
Nulle part dans aucune autre œuvre dramatique, cette incandescence, ce
foisonnement.
Quelques partis pris pour la mise en scène
A / FAIRE ENTENDRE cette langue et la traduction de André Markowicz
La traduction
- Rythmes, sonorités, le souffle, c’est fondamental, ça s’entend, ça se joue, c’est
écrit pour les acteurs.
- Jamais explicatif et toujours « juste. Il trouve des solutions toujours
« poétiques », c’est un écrivain qui s’engage vraiment dans sa traduction.
Faire entendre le « vivant » dans toutes ses variations, ses nuances, son
mouvement.
Sans monotonie.
Faire respirer le texte.
Sans surcharger.
Sans souligner ou surligner !
Donner la pièce avec fluidité, vitalité, rapidité.
L’essentiel pour moi c’est toujours le corps à corps entre le texte et l’acteur.
Othello suppose aussi un travail de troupe, un véritable travail de compagnie,
avec ses protocoles précis, ses processus propres, avec une éthique.
B / SCENOGRAPHIE
Espace à jouer
Avec Nathalie Holt, la scénographe nous avons choisi un espace plutôt abstrait.
Pas la représentation réaliste des lieux de l’action, pas de narration, pas
d’illustration.
Mais un jeu poétique, plastique, avec les matières, les couleurs, les surfaces.
C’est un espace de théâtre, qui affirme sa théâtralité.
C’est avant tout un espace à jouer.
Ce qui m’intéresse c’est de faire surgir la fable, comme Iago !, à partir de
presque rien, de trouver des points d’appuis, des solutions ludiques, légères,
poétiques.
Double focale
Une des originalités de cette pièce, c’est la présence alternée d’une double
focale :
- une action épique avec tempête, conseil de guerre, bagarres de rues,
meurtres, etc.
- une action tragique, huis-clos, théâtre de chambre comme on dit musique de
chambre, c'est-à-dire concentration, tension, choix de timbres solos,
contrepoint…
C’est vers ce « théâtre de chambre » que je veux concentrer et faire converger
les forces de la pièce, autour du lit qui est à la fois celui des noces et de la mort
blanche(s) de Desdémone.
Chœur
La dimension épique, collective de la fable sera prise en charge par cinq acteurs :
ils joueront tour à tour les rôles qui dessinent les univers de Venise et de Chypre.
Ils seront comme un chœur pour accompagner la marche de la tragédie.
Chœur
à la fois chorégraphique : une grande mobilité, transformation des espaces de
jeu, etc.
et choral : jeu sur les voix, amplifiées ou non, les timbres, etc.
Pour le chœur la possibilité qu’offre la scénographie de jouer ALL OVER
C / UNE ŒUVRE OUVERTE
Le théâtre de Shakespeare est toujours ouvert vers le public ;
Othello particulièrement, notamment grâce au personnage de Iago, entre la
scène et le public, il crée une relation permanente avec le public.
Je ne veux pas refermer le quatrième mur.
Je ne veux pas enfermer dans une « explication » appuyée cette pièce qui plus
qu’une autre est ouverte à des interprétations multiples.
Gilles Bouillon, metteur en scène
Noirceur du racisme
Tout comme Le Marchand de Venise, Othello laisse éclater le racisme violent des
protagonistes. Non seulement Shakespeare ne pratique guère l'euphémisme et
l'atténuation, mais il a recours aux plus éloquentes métaphores pour exhumer les
archétypes enfouis du racisme. A cet égard, Othello - qui met en scène l'un des
premiers héros africains du théâtre européen - déroule un chapelet de
qualificatifs infamants à propos du Maure, lesquels renvoient tous à l'Empire des
ténèbres, aux forces chtoniennes, nous offrant comme un accès à la matrice
imaginaire du vocabulaire raciste... Mais, tout comme les messagers porteurs de
funestes nouvelles souvent se faisaient mettre à mort dans l'Antiquité,
simplement parce qu'ils étaient les fourriers du malheur, Shakespeare a été luimême accusé de racisme, parce qu'il le désignait, en montrait clairement la
virulence et la fureur ! Plus finement, Othello nous dévoile sans doute l'un des
effets les plus insidieux et dévastateurs de la xénophobie : le doute, puis la haine
de soi qu'elle développe sur des êtres secrètement fragiles.
C'est là une hypothèse, mais qu'on y réfléchisse : Othello peut-il accepter de
réussir aussi bien, mieux qu'un noble vénitien, et rester à la hauteur où son
héroïsme l'a hissé ? Peut-il complètement croire que le peuple est fier de lui et
que Desdémone l'aime avec ferveur ? Et pourquoi prête-t-il cette oreille plus que
complaisante au raciste Iago, qui lui inocule le poison du doute ?... On peut se
demander si, en dépit de sa gloire militaire et de sa réussite sentimentale,
Othello n'a pas intériorisé à son insu la haine tenace dont il est l'objet, lui le
Maure, l'Africain, jusqu'à douter d'avoir le droit à ce mariage, de mériter la
blanche Desdémone et tout ce triomphe. C'est l'une des causes de la jalousie, on
le sait, que ce sentiment du mal-aimé de ne pas "mériter" l'autre (qui, bien
évidemment, ne peut que trahir, tôt ou tard). Plus largement, nous aurions ici
affaire à cet effroyable mécanisme sacrificiel d'identification de la victime au
bourreau (Liliana Cavani l'avait jadis illustré dans un film quelque peu sommaire,
Portier de nuit).
Alors, comme s'il se condamnait lui-même, Othello se rue dans le crime qui va
donner plus que raison à ceux qui vilipendaient un tel mariage comme
transgressif, intolérable, catastrophique. Même un bon esprit, comme le critique
littéraire romantique allemand Schlegel, développa l'idée d'un Othello africain,
maure à moitié barbare et imprégné par les moeurs misogynes de séquestration
propres au harem ! La tragédie est aussi là, dans la noirceur du racisme que les
bourreaux ont étendue sur Othello, pour l'égarer...
Pierre Corcos, journaliste
La source d’Othello
Hecatommythi, III, 7 (les cent histoires)
de Giraldi Cinthio (1504-1573)
On ne sait si Shakespeare utilisa le texte italien ou la traduction française parue
en 1584 dans le Premier volume des cent excellentes nouvelles de Georges
Chappuys.
Fu gia in Venezia un Moro… Il était une fois un Maure à Venise
Disdemona, noble vénitienne de grande beauté et de haute vertu, aime et
épouse un gentilhomme more, malgré l’opposition de ses parents. Quand il est
envoyé à Chypre pour commander la garnison, elle n’a de cesse qu’elle
l’accompagne, son amour et son sens du devoir l’emportant sur toute crainte
naturelle. Un capitaine et un enseigne (porte-drapeau), avec sa femme, les
accompagnent (ce sont, dans Shakespeare : Cassio, Iago et Emilia). La passion
de l’enseigne pour Disdemona n’étant point payée de retour, il soupçonne, dans
sa jalousie, qu’elle aime le capitaine, ami du More, dont il est fréquemment
l’hôte, et la méchanceté de l’enseigne machine leur perte à tous trois. L’occasion
se présente pour lui le jour où le More casse l capitaine pour s’être livré à des
voies de fait sur un soldat, et où Disdemona tente de lui faire rendre son grade.
Voyant cela, l’enseigne donne à entendre au More que Disdemona et le capitaine
s’aiment ; comme on exige une preuve, il dérobe à la ceinture de Disdemona un
mouchoir brodé cependant qu’elle fait des caresses à la fille de l’enseigne lors
d’une visite chez celui-ci. Quand le capitaine trouve ce mouchoir caché dans sa
maison, il s’en va le rendre, ayant reconnu qu’il est à Disdemona, mais,
entendant la voix du More, il s’éloigne en hâte, et ne fait ainsi qu’aggraver les
soupçons du More qui croit l’avoir surpris. L’enseigne plaisante avec le capitaine
sous les yeux du More, sans que celui-ci puisse cependant les entendre, et
raconte ensuite au More que le capitaine a couché avec Disdemona, qui lui a
donné son mouchoir. Elle ne trouve pas le mouchoir quand le More le lui
demande. Le capitaine, entre-temps, décide de faire copier par une lingère la
broderie du mouchoir, et sa culpabilité ne fait plus de doute aux yeux du More
quand l’enseigne montre à son chef la femme occupée à cette tâche. Soudoyé
par le More pour tuer le capitaine, l’enseigne ne réussit qu’à le blesser à la
jambe. Mais la sympathie toute naturelle de Disdemona pour le capitaine accroît
encore la fureur du More. Il s’arrange avec l’enseigne pour que celui-ci la batte à
mort, et les deux hommes font ensuite crouler une partie du plafond de façon
que cette mort ait l’air d’un accident.
A la fin de cette sordide histoire, les remords de conscience du More se changent
en haine envers l’enseigne. Lorsque ce dernier révèle le complot et le crime au
capitaine, celui-ci obtient l’arrestation du More, qui est jugé, torturé, banni et
finalement mis à mort par les gens de la famille de Disdemona. L’enseigne meurt
après torture, ayant été arrêté pour un autre crime.
D’après Bernard Harris, préface à Othello, in Shakespeare, Œuvres complètes,
Club Français du Livre
Du récit à la tragédie
Qu’est-ce que Shakespeare a conservé de la nouvelle, qu’est ce qu’il a supprimé,
transformé, inventé ?
Ce premier repérage introduit aux choix dramaturgiques de l’écrivain, concernant
l’action, les lieux, la temporalité, les personnages (leur nom, leur nombre, leur
« caractère »), etc.
Dans quel sens adapte-t-il le matériau originel pour le porter à la scène ?
Comment la relation d’un fait divers sordide devient-elle une action tragique ?
Le tragique étouffement de la lumière
Maintenant qu’est-ce qu’Othello ? C’est la nuit. Immense figure fatale. La nuit est
amoureuse du jour. La noirceur aime l’aurore. L’Africain adore la Blanche. Othello
a pour clarté et pour folie Desdemona. Aussi comme la jalousie lui est facile ! Il
est grand, il est auguste, il est majestueux, il est au dessus de toutes les têtes, il
a pour cortège la bravoure, la bataille, la fanfare, la bannière, la renommée, la
gloire, il a le rayonnement de vingt victoires, il est plein d’astres, cet Othello,
mais il est noir. Aussi comme, jaloux, le héros est vite monstre ! le noir devient
nègre. Comme la nuit a vite fait signe à la mort !
A côté d’Othello, qui est la nuit, il y a Iago, qui est le mal. Le mal, l’autre forme
de l’ombre. La nuit n’est que la nuit du monde ; le mal est la nuit de l’âme.
Quelle obscurité que la perfidie et le mensonge ! avoir dans les veines de l’encre
ou la trahison, c’est la même chose. Quiconque a coudoyé l’imposture et le
parjure, le sait ; on est à tâtons dans un fourbe. Versez l’hypocrisie sur le point
du jour, vous éteindrez le soleil. C’est là, grâce aux fausses religions, ce qui
arrive à Dieu.
Iago près d’Othello, c’est le précipice près du glissement. Par ici ! dit-il tout bas.
Le piège conseille la cécité. Le ténébreux guide le noir. La tromperie se charge de
l’éclaircissement qu’il faut à la nuit. La jalousie a le mensonge pour chien
d’aveugle. Contre la blancheur et la candeur, Othello le nègre, Iago le traître,
quoi de plus terrible ! ces férocités de l’ombre s’entendent. Ces deux incarnations
de l’éclipse conspirent, l’une en rugissant, l’autre en ricanant, le tragique
étouffement de la lumière.
Sondez cette chose profonde. Othello est la nuit. Et étant la nuit, et voulant tuer,
qu’est-ce qu’il prend pour tuer ? Le poison ? la massue ? la hache ? le couteau ?
Non, l’oreiller. Tuer, c’est endormir. Shakespeare lui-même ne s’est peut-être
pas rendu compte de ceci. Le créateur, quelquefois presque à son insu, obéit à
son type, tant ce type est une puissance. Et c’est ainsi que Desdemona, épouse
de l’homme Nuit, meurt étouffée par l’oreiller, qui a eu le premier baiser et qui a
le dernier souffle.
Victor Hugo, William Shakespeare
Citations
1
Othello est une pièce où l’homme que l’opinion moyenne de la cité désigne
comme un être bestial et un sorcier, parce que c’est un être venu de loin, est
amené à détruire deux individus qui incarnent, chacun dans leur ordre, la
perfection de la vertu : lui-même et Desdémone. Et il le fait sous l’influence d’un
mal, ou d’un quasi-démon, qui gîtait au cœur même de la cité. Ainsi
Shakespeare, prenant ses distances par rapport aux idées reçues sur les
étrangers, en modifie le caractère et la portée sans entièrement s’en libérer. Les
lectures multiples qu’autorise cette tragédie en sont la preuve.
Richard Marienstras, Le proche et le lointain, Editions de Minuit
2
Dans l’espace neuf d’une île nue, dans le cercle fermé de ses remparts où tout se
joue à ciel ouvert, homologue de cet espace vide, sans qualité, qu’est une scène
de bois nu au centre d’un théâtre en rond, telle la scène enclose dans le théâtre
du Globe, Iago va faire jouer une tragédie de sa façon, dans une durée que
Shakespeare le laisse gérer en quelque sorte, lui faisant passation de ses talents
de montreur d’ombres dans ce lieu déshérité, c'est-à-dire sans héritage culturel
défini, aux marges de la civilisation occidentale menacée.
3
Le personnage de théâtre qu’est prioritairement Iago, capable de porter sur
l’envers et sur l’endroit indifféremment le masque de la comédie et celui de la
tragédie, par un jeu de renversement supplémentaire dans cette tragédie de tous
les renversements, devient celui qui ne parle ou n’agit apparemment que pour
démasquer les faux-semblants, dénoncer l’hypocrisie, démonter les rouages des
appétits sexuels, de la possessivité jalouse, mettre à l’envers les masques des
autres. Ce faisant, son rôle principal pourrait bien être surtout de renverser les
rôles : Shakespeare comme à l’accoutumée ne feint de berner son spectateur
complice que pour mieux l’éclairer, ne donne à Iago ce rôle de directeur des
bonnes consciences, que pour mieux mettre au jour, sans pédantisme, sans
dogmatisme, les pièges et les ravages d’une société du refus.
4
Par ses talents d’improvisateur de la vie et des passions des autres, Iago peut à
loisir se faire créateur d’impromptus de théâtre aussi vraisemblables que fictifs ,
comme l’est tout théâtre… Par ses talents d’acteur Iago inverse la traditionnelle
couleur du mal, le noir des abysses démoniques, identifiable, et peut-être à ce
titre évitable, pour en faire la nouvelle couleur d’un nouveau mal, le plus redouté
dans l’éthique protestante, car invisible, et indivisible de la couleur du bien,
l’hypocrisie, qui vaut à l’hypocrite, comme dans une tragédie de Webster, le nom
de « démon blanc », autrement dit ici « l’honnête, honnête Iago ».
5
Shakespeare fait d’Othello la tragédie la plus exclusivement théâtrale, celle qui
dépend le plus des apparences et de la dissociation radicale entre les choses et
les mots qui les représentent : rien n’arrive, tout n’est arrivé que par l’échange
verbal, essence même du théâtre, et parce que cet échange subit en Iago un
détournement, une dépravation sans précédent qui non seulement le prive de
toute valeur d’échange, mais fait de tout échange de paroles un danger
potentiel.
Gisèle Venet, Notice d’Othello, in Shakespeare, Tragédies, Edition de la Pléiade,
Gallimard
Bibliographie rapide
Le texte
- Traduction d’André Markowicz (celle de la création du c d r de Tours), éditions
Les Solitaires Intempestifs, parution début octobre 2007
- Traduction d’Yves Bonnefoy, Folio, édition bilingue, 2006
- Traduction de Jean-Michel Desprats, in Shakespeare, Tragédies, Bibliothèque
de la Pléiade, éditions Gallimard (voir la remarquable notice d’Othello par Gisèle
Venet)
Sur Shakespeare
- Henri Suhamy, Dictionnaire Shakespeare, Ed.Ellipses,2005
- Peter Ackroyd, Shakespeare, la biographie, éditions Philippe Rey, 2006
Analyses et commentaires sur Othello dans les ouvrages suivants :
- Jan Kott, Shakespeare notre contemporain, Payot, 1993
- Richard Marienstras : Le proche et le lointain, ed.de Minuit, 2001
- René Girard, Les feux de l’envie, ed. Grasset, 1990
- W.H.Auden, Shakespeare, Anatolia, ed. Le Rocher, 2003
- Robert Burton, Anatomie de la mélancolie, ed. Corti
Quelques lectures sur la jalousie, la violence et la passion :
- Ovide, Métamorphoses (la tunique de Nessus), Livre IX
- L’Arioste, Roland Furieux
- Boito, Senso
- Mérimée, Carmen
- Proust, La prisonnière, Un amour de Swann
- Robbe-Grillet, La jalousie
Ces six derniers textes constituent le programme des lectures de cette saison
au Centre dramatique de Tours : « Anatomie de la Jalousie ».
Les lectures auront lieu : les lundis 26 novembre, 17 décembre, 21 janvier, 25
février, 17 mars, et 21 avril, à 19 heures au Nouvel Olympia.
Propositions pédagogiques pour Othello
Sensibilisation sur le spectacle
Une intervention d’une heure (ou plus si nécessaire) pour présenter le projet
dans les établissements :
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Rencontre avec l’équipe artistique
La pièce : le texte, la question de la traduction.
Les partis-pris de la mise en scène
La scénographie, les costumes, la musique, la lumière
Approche de l’œuvre par le jeu
Un atelier de pratique d’acteur (1h30 ou 2 heures) dans les établissements. Pour
tous publics. Aucune expérience requise. Il sera convenu auparavant des scènes
qui seront abordées au cours de l’atelier.
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Lecture
Mise en espace, mise en jeu
Travail sur les personnages
Improvisation
Travail corporel
Relations avec le public
Mina de Suremain
06 60 20 77 26
[email protected]
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