de Shakespeare, alors qu'il nous présente bien la pièce envoûtante que nous connaissons, dans laquelle il a seulement opéré quelques coupures qui ne s'imposaient pas. Nains d'étrangleurs ANNETTE LUGAND DANS « OTHELL0 » Un bel exercice abstrait Théâtre Shakespeare à la française * Il n'y gagne pas grand-chose HENRY VIII de Shakespeare (traduction de Richard Marienstras) Théâtre de la Commune (Aubervilliers) OTHELLO • Tiré » de Shakespeare par José Valverde Théâtre Gérard-Philipe (Saint-Denis) • Après « Hamlet », monté par' Maurice Jacquemont, et « Roméo et Juliette », par Marcel Maréchal, voici les troisième et quatrième spectacles Shakespeare en quelques jours. Une véritable épidérnie. Ce ne serait pas pour nous plaindre, si nous y avions gagné quelque chose. Ce n'est pas le cas. • A lire les prospectus et programmas des théâtres de Saint-Denis et d'Aubervilliers, banlieues communistes, je m'attendais à découvrir un Shakespeare d'actualité, entièrement « repensé », connue l'avait fait Patrice 'Chéreau pour « Richard II ». Unie interprétation marxiste de Shakespeare, pourquoi pas ? La lecture de Brecht de tukacs, de Jan Kott permet amplement de réfléchir sur un « nouveau » Shakespeare, arraché au romantisme, à la psychologie ou à l'esthétisme incertain 'auquel il appartenait jusqu'ici — dans l'incapacité où nous sommes de retrouver le ton du théâtre élisabéthain, Même après avoir lu Antonin Artaud. Déjà aurait-il fallu ne pas choisir, comme l'a fait Gabriel •Garran, une pièce qui ne peut pas être, qui n'est pas de Shakespeare — _cet « Henry VIII » qui, c'est vrai, figure dans ; , le « folio » de 1623 (1) ert aurait été représenté en 1613, provoquant l'incendie et la destruction totale du Théâtre du Globe. On en discute depuis deux cents ans et Henri Fluchère a remarquablement résumé les arguments contradictoires dans sa préface à l'édition de « la Pléiade ». Je le suivrai lorsqu'il dit, sans vouloir conclure en faveur de •ou contre l'attribution, .qu'en tout état de cause « Henry VIII » marque le déclin du drame historique auquel Shakespeare avait renoncé depuis quinze ans. Esthétisme partout Cette œuvre abstraite, apologétique, qui s'achève sur la naissance de la future reine JElisabeth, dont on proclame sera là plus grande reine de l'univers, ne comporte qu'une ou deux scènes dignes •de l'auteur de « Richard III ». Le reste n'est qu'une sorte de discours protestant, presque calviniste, sur les vanités de ce monde et tendant à démontrer que les Puissants doivent toujours se soumettre à la toute-puissance royale: Pour s'y. intéresser, encore faudraitil bien connaître l'histoire de l'Angleterre à cette époque et je doute (1) Deuxième édition des œuvres de Shakespeare, établie sept ans après sa mort. que ce soit le cas de la majorité public français et, en particulier, de celui d'Aubervilliers où Gabriel Garran a charge d'âmes. Imposer à ce public trois heures d'une œuvre aussi morne a quelque chose qui frise la provocation... On aurait pu espérer que Gabriel Garran s'en servirait pour se livrer à quelque démonstration politique que, pour ma part, -je ne songerais pas à rejeter. Mais si son spectacle peut retenir, ce n'est ni par une gence particulière des situations ni grâce à l'interprétation (mise à part celle de Pierre Santini en 1 Ienri VIII). Les seules choses appréciables, ce sont les coutumes, c'est le dispositif scénique, tout d'aluminium, c'est la Musique de Ramon Ruiz, bref, une pure esthétique qui . aurait trouvé, meilleur emploi dans rune « comédie » plus distrayante. Esthétisme aussi à Saint-Denis, Chez- José Valverde, qui a construit pour e Othello » tout un réseau de plates-formes et de passerelles ultracompliqné, ceinturé par un vante cyclorama sûr lequel défilent des projections de visages, de dessins abstraits qui veillent renouveler notre vision du drame shakespearien en le rapprochant de l'univers cinématographique et pictural Contemporain. Mais je n'ai pas Compris pourquoi José Valverde disait qu'il avait 4 tiré » son spectacle de l' e Othello - Une petite Anglaise LES P'TITES FEMMES DE BROADWAY de George Haimsohn et Robin Miller, musique de Jim Wise. Adaptation française de Jacques Lanzmann Théâtre des Nouveautés • Ça se passe en 1930 et c'est comme S1-- cette comédie musicale - avait été écrite à l'époque, tant elle est démodée, tant la musique, les paroles, la situation — des marins français qui font monter des chanteuses de music-hall de Broadway, à bord de leur torpilleur -- sont conventionnelles. Avec cette mise, en scène, ces décors et ces acteurs, sans talent, on se croirait à Pézenas ou à Poughkeepsie (le Pézenas américain), il y a quarante an's... Mais on a engagé une petite Anglaise, Sheila White, créatrice du Pourquoi ces coupures ? C'est que José 'Valverde — qui est lui-même un très bon Iago — voulant tourner le dos à Antonin Artaud et au « théâtre de la cruauté », a considérablement atténué la violence de ce drame de la jalousie et, j'y consens, du racisme: On se croirait revenu au XVIII' siècle, quand Ducis donnait une fin heureuse à « Othello ». A Saint-Denis, le Maure étrangle encore Desdémone Mais par image interposée. Tandis qu'ils sont tous deux juchés sur deux de ces fameuses plates-formes et qu'ils se parlent de loin sans bouger, tels des héros raciniens — pas la peine que Stendhal ait écrit son « Racine et Shaloaspeare —, on projette la silhouette de Desdémon,e menacée par de grosses mains d'étrangleur. Est-ce pour compenser la frêle stature du . comédien qui joue le rôle d'Othello ? Toujours est-il que l'insoutenable scène :finale, comme le reste de là pièce, devient un bel exercice abstrait et qu'on chercherait en vain les résonances politiques indiquées dans le programme et dans le petit apologue brechtien 'récité à la fin. Avant de parler, la semaine dernière, du « Roméo et Juliette » de Maréchal, j'aurais dû voir ces deux spectacles : j'aurais été plus aimable pour Maréchal qui, lui, fait bouger Shakespeare alors que les deux autres l'ont figé. GUY DUMUR , P.S. — Le Théâtre de Genevilliers joue jusqu'à la fin du mois une intéressante pièce de Flaubert, e Candidat t> .(18113). zA.unusant de voir applaudie par un public gauchiste une pièce contre le suffrage universel, la (bête noire de Flaubert. La pièce n'est pas aussi mauvaise qu'on le dit généralement et je la verrais très bien au répertoire d'un théâtre subventionné, qui disposerait de plus de ressources que la sympathique troupe de Bernard Sobel et Jean Dufour. SHEILA WHITE rôle à Londres. Et tout se transforme. C'est la Audrey flepburn du music-hall, qui joue les godiches, les bossues qui louchent, les idiotes sentimentales avec un accent à couper au couteau et une intelligence où, dès les premières secondes, le public, moins bête que ne le Croient les exploitants de ces sortes de théâtres, reconnaît le vrai talent : lorsqu'elle émerge de son rôle de petite cruche, elle danse et chante à ravir, avec un charme très anglais et irrésistible. Grâce à elle, on comprend subitement pourquoi les comédies musicales les plus stupides Peuvent avoir, tant de succès à Londres ou à New York. Allez voir Sheila White et faites, ensuite, la grève des musichalls, tant qu'on n'aura pas, en France, des artistes de ce talent. G. D. . Le Nouvel Observateur Page 55 .