ANNETTE LUGAND DANS « OTHELL0 »
Un bel exercice abstrait
Une petite Anglaise
SHEILA
WHITE
LES P'TITES FEMMES
DE BROADWAY
de George Haimsohn
et Robin Miller,
musique de Jim Wise.
Adaptation française de
Jacques Lanzmann
Théâtre des Nouveautés
Ça se passe en 1930 et
c'est
comme S1-- cette comédie musicale
-
avait été écrite à l'époque, tant elle
est démodée, tant la musique, les
paroles, la situation — des marins
français qui font monter des chan-
teuses de music-hall de Broadway,
à bord de leur torpilleur -- sont
conventionnelles. Avec cette mise,
en scène,
ces
décors et ces acteurs,
sans talent, on se croirait à Pézenas
ou à Poughkeepsie (le Pézenas amé-
ricain), il y a quarante an's...
Mais on a engagé une petite An-
glaise, Sheila White, créatrice du
rôle à
Londres. Et tout se transfor-
me. C'est la Audrey flepburn du
music-hall,
qui joue
les godiches,
les bossues qui louchent, les idio-
tes sentimentales avec un accent à
couper au couteau et une intelligen-
ce où, dès les premières secondes,
le public, moins bête que ne le
Croient les exploitants de ces sor-
tes
de
théâtres, reconnaît le vrai
talent :
lorsqu'elle émerge
de
son
rôle de petite cruche, elle danse et
chante à ravir, avec un charme très
anglais
et
irrésistible.
Grâce à elle, on comprend subite-
ment pourquoi les comédies musica-
les les plus stupides Peuvent avoir,
tant de succès à Londres ou à New
York. Allez voir Sheila White et fai-
tes, ensuite, la grève des music-
halls,
tant
qu'on n'aura pas,
en
Fran-
ce, des artistes de ce talent.
G. D.
Théâtre
Shakespeare
à la
française
* Il n'y gagne pas
grand-chose
HENRY VIII
de Shakespeare
(traduction
de Richard Marienstras)
Théâtre de la Commune
(Aubervilliers)
OTHELLO
Tiré » de Shakespeare
par José Valverde
Théâtre Gérard-Philipe
(Saint-Denis)
Après « Hamlet », monté
par' Maurice Jacquemont, et
« Roméo et Juliette », par
Marcel Maréchal, voici les
troisième et quatrième spectacles
Shakespeare en quelques jours. Une
véritable épidérnie. Ce ne serait pas
pour nous plaindre, si nous y avions
gagné quelque chose. Ce n'est pas le
cas. •
A lire les prospectus et program-
mas des théâtres de Saint-Denis et
d'Aubervilliers, banlieues communis-
tes, je m'attendais à découvrir un
Shakespeare d'actualité, entièrement
« repensé », connue l'avait fait Patri-
ce 'Chéreau pour « Richard II ». Unie
interprétation marxiste de Shakes-
peare, pourquoi pas ? La lecture de
Brecht
;
de tukacs, de Jan Kott per-
met amplement de réfléchir sur un
« nouveau » Shakespeare, arraché au
romantisme, à la psychologie ou à
l'esthétisme incertain 'auquel il appar-
tenait jusqu'ici — dans l'incapacité où
nous sommes de retrouver le ton du
théâtre élisabéthain,
Même après
avoir
lu Antonin Artaud.
,
Déjà aurait-il fallu ne pas choisir,
comme l'a fait Gabriel •Garran, une
pièce qui ne peut pas être, qui n'est
pas de Shakespeare — _cet « Hen-
ry VIII » qui, c'est vrai, figure dans
le « folio » de 1623 (1) ert aurait été
représenté en 1613, provoquant l'in-
cendie et la destruction totale du
Théâtre du Globe. On en discute
depuis deux cents ans et Henri Flu-
chère a remarquablement résumé les
arguments contradictoires dans sa
préface à l'édition de « la Pléiade ».
Je le suivrai lorsqu'il dit, sans vou-
loir conclure en faveur de •ou contre
l'attribution, .qu'en tout état de cause
« Henry VIII » marque le déclin du
drame historique auquel Shakespeare
avait renoncé depuis quinze ans.
Esthétisme partout
Cette
œuvre abstraite, apologétique,
qui s'achève sur la naissance de la
future reine JElisabeth, dont on pro-
clame sera là plus grande
reine de l'univers, ne comporte
qu'une ou deux scènes dignes •de
l'auteur de « Richard III ». Le reste
n'est qu'une sorte de discours protes-
tant, presque calviniste, sur les vani-
tés de ce monde et tendant à démon-
trer que les Puissants doivent toujours
se soumettre à la toute-puissance
royale:
Pour s'y. intéresser, encore faudrait-
il bien connaître l'histoire de l'An-
gleterre à cette époque et je doute
(1) Deuxième
édition
des œuvres
de Shakespeare, établie sept ans
après sa mort.
que ce soit le cas de la majorité
public français et, en particulier, de
celui d'Aubervilliers où Gabriel
Garran a charge d'âmes. Imposer à
ce public trois heures d'une œuvre
aussi morne a quelque chose qui frise
la provocation...
On aurait pu espérer que Gabriel
Garran s'en servirait pour se livrer à
quelque démonstration politique que,
pour ma part, -je ne songerais pas à
rejeter. Mais si son spectacle peut
retenir, ce n'est ni par une
gence particulière des situations
ni
grâce à l'interprétation (mise à part
celle de Pierre Santini en 1
-
Ienri VIII).
Les seules choses appréciables, ce
sont les coutumes, c'est le dispositif
scénique, tout d'aluminium, c'est la
Musique de Ramon Ruiz, bref, une
pure esthétique qui . aurait trouvé,
meilleur emploi dans rune « comédie »
plus distrayante.
Esthétisme aussi à Saint-Denis,
Chez- José Valverde, qui a construit
pour
e
Othello » tout
un réseau de
plates-formes et de passerelles ultra-
compliqné, ceinturé
par un vante
cyclorama sûr lequel
défilent des pro-
jections de visages, de dessins abs-
traits qui veillent renouveler notre
vision du drame shakespearien en le
rapprochant de l'univers cinémato-
graphique et pictural Contemporain.
Mais je n'ai pas Compris pourquoi
José Valverde disait qu'il avait
4
tiré » son spectacle de l'
e
Othello
de Shakespeare, alors qu'il nous pré-
sente bien la pièce envoûtante que
nous connaissons, dans laquelle il a
seulement opéré quelques coupures
qui ne s'imposaient pas.
Nains d'étrangleurs
Pourquoi ces coupures ? C'est que
José 'Valverde — qui est lui-même
un très bon Iago — voulant tourner
le dos à Antonin Artaud et au
« théâtre de la cruauté », a considé-
rablement atténué la violence de ce
drame de la jalousie et, j'y consens,
du racisme: On se croirait revenu au
XVIII'
siècle, quand Ducis donnait
une fin heureuse à « Othello ». A
Saint-Denis, le Maure étrangle en-
core Desdémone Mais par image
interposée. Tandis qu'ils sont tous
deux juchés sur deux de ces fameu-
ses plates-formes et qu'ils se parlent
de loin sans bouger, tels des héros
raciniens — pas la peine que
Stendhal ait écrit son « Racine et
Shaloaspeare —, on projette la
silhouette de Desdémon,e menacée par
de grosses mains d'étrangleur. Est-ce
pour compenser la frêle stature du
. comédien qui joue le rôle d'Othello ?
Toujours est-il que l'insoutenable
scène :finale, comme le reste de là
pièce, devient un bel exercice abstrait
et qu'on chercherait en vain les ré-
sonances politiques indiquées dans
le programme et dans le petit
,
apolo-
gue brechtien 'récité à la fin.
Avant de parler, la semaine der-
nière, du « Roméo et Juliette » de
Maréchal, j'aurais dû voir ces deux
spectacles : j'aurais
été
plus aimable
pour Maréchal qui, lui, fait bouger
Shakespeare alors que les deux
autres l'ont figé.
GUY DUMUR
P.S. — Le Théâtre de Genevil-
liers joue jusqu'à la fin du mois une
intéressante pièce
de Flaubert, e
Candidat
t> .(18113). zA.unusant de voir
applaudie par un public gauchiste
une pièce contre le suffrage univer-
sel, la (bête noire de Flaubert. La
pièce n'est pas
aussi mauvaise qu'on
le
dit généralement et je la verrais
très bien au répertoire d'un théâtre
subventionné, qui disposerait de plus
de ressources que
la sympathique
troupe de Bernard Sobel et Jean
Dufour.
. Le Nouvel Observateur
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