Un spectacle-monde
La compagnie O’brother est née du désir de remettre les acteurs au centre du processus
de répétition et de représentation. Je corrobore totalement cette volonté. Et pour ce faire,
ma première attention, en tant que metteur en scène invité, sera de proposer un principe
esthétique et un style de jeu absolument… théâtraux. Je rêve d’un spectacle conçu et
réalisé avec les moyens, les artices (et les limites) du théâtre. C’est peu. C’est beaucoup.
Mais c’est assez, car le théâtre est un monde en soi — un globe, pour reprendre la
sémantique shakespearienne. Est-ce à dire que notre proposition sera poussiéreuse,
dépassée, ringarde (osons le mot) ? Non, car le théâtre dispose aujourd’hui de moyens
assez divers pour se renouveler tout en conservant son essence, sa beauté et sa rigueur.
Une grande traversée du monde et du temps par le théâtre : voilà une dénition claire et
forte de notre Othello (ou comment je suis devenu un monstre…).
L’origine du Mal
Mettre en scène Othello de Shakespeare, c’est parler de l’origine du mal. Et le Mal, c’est
Iago. Quelle est sa cause première? D’où vient ce désir de frapper autrui si durement ? Et
si ce Machiavel élisabéthain trouvait sa source dans un personnage antérieur, Shylock ?
Ainsi, notre spectacle s’ouvrirait sur un prologue de comédie, librement inspiré du
Marchand de Venise, écrit quelques années avant Othello. Une société insouciante,
libérale et irresponsable est saisie d’une passion collective et humilie la seule gure de
l’Autre : le Juif. Parce qu’il veut respecter le contrat conclu, il sera puni. Parce qu’il fait
commerce d’usure (ce qui est interdit aux Chrétiens), il sera puni. Ainsi raillé, violenté,
détruit, Shylock devient Iago. La victime devient le bourreau. Ainsi, la fable d’Othello fait
le récit implacable de la vengeance d’un réprouvé.
Une histoire du Temps
Raconter le passage du Marchand de Venise à Othello, c’est aussi raconter le passage
de la comédie à la tragédie et conséquemment, le passage d’un temps à un autre temps.
C’est reproduire le chemin du soleil — aurore, zénith, crépuscule. Je formule donc cette
hypothèse en forme de métonymie : Othello (ou comment je suis devenu un monstre…)
racontera le passage d’un théâtre de machineries artisanales, de rideaux, de roulettes,
de boiseries, de tissus riches, de couleurs vives, à une modernité bétonnée, métallique,
athée, virtuelle, apocalyptique, âpre, brutale. Notre joli plateau de bois, machine à créer
des illusions, se transformera en espace déstructuré et hostile, usine à fabriquer du doute.
Ainsi, nous redonnerons au théâtre sa puissance originelle — car lui seul peut montrer le
Temps.
SHAKESPEARE