Analyse de la communication sur l’audit social :
le cas de la grande distribution1
Beierlein Laurence Coëdel Denis
PRAG, Doctorante en Sciences de Gestion Doctorant en Sciences de Gestion
IRG, Université Paris XII IRG, Université Paris XII
1Réalisé dans le cadre du programme de recherche Le potentiel régulatoire de la RSE financé par l'ANR. Projet
soutenu par l'attribution d'une allocation doctorale Région Île de France.
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Analyse de la communication sur l’audit social :
le cas de la grande distribution.2
Résumé : L'audit social de la chaîne d'approvisionnement est souvent considéré comme un des
piliers de la responsabilité sociale des entreprises de grande distribution. Individuellement ou
collectivement, les enseignes s'organisent pour montrer l'intérêt qu'elles portent aux conditions
sociales de fabrication des produits qu’elles vendent et justifier de leur engagement
responsable dans ce domaine. Cette étude exploratoire est centrée sur la nature et la teneur de
la communication en la matière, et vise à en analyser le potentiel stratégique pour ce secteur
fortement visible et concurrentiel. Entre stratégie de légitimation et stratégie de gestion des
risques, l'audit social semble ainsi davantage s'adresser aux agences de notation et aux
organisations de la société civile qu'aux fournisseurs ou aux consommateurs, l’objectif principal
étant de donner une bonne image de l'entreprise et de prévenir un risque important de scandale
concernant le respect des droits sociaux dans la chaîne d'approvisionnement.
Mots-clefs : audit social, chaîne d'approvisionnement, sous-traitance, grande distribution, communication.
Abstract : It is often considered that monitoring labor standards in the retailers’ supply chain through third
party auditors plays a major role in the assessment of their corporate social responsibility performance.
On an individual level or in partnerships, retailers have organized themselves in order to show their
concern for working conditions at production sites and stress their commitment for ethical trading. This
exploratory research work is focused on the nature and content of the related communication and aims at
analyzing its strategical potential for this highly visible and competitive sector. Auditing practices, caught
between the need for legitimation on one hand and risk management strategy on the other, seem to be
intended for rating agencies and non-governmental organizations rather than for suppliers and customers,
their main concern being to give a positive image of the company and avoid the risk of public campaigns
related to labor conditions in the supply chain.
Keywords : supplier audit, supply chain, sourcing, retail industry, communication
Le 27 janvier 2007, le Comité International des Entreprises à Succursales, regroupant les
principales entreprises mondiales du secteur de la Grande Distribution, annonçait la création du
Programme mondial pour la conformité sociale (Global Social Compliance Programme GSCP)3 dont le
but est d'organiser une concertation sur les codes de conduites et procédures d'audit mis en place
individuellement par ses membres. A l'échelle nationale, la Fédération des entreprises du Commerce et de
la Distribution (FCD) a créé un groupe de travail intitulé Initiative Clause Sociale en 1998. Cette
initiative regroupe aujourd'hui 14 enseignes françaises de grande distribution autour d'un référentiel
commun « pour mener à bien une démarche de progrès social, en allant vérifier les pratiques sociales des
fournisseurs dans les pays de sourcing direct, à travers la conduite d'audits sociaux externes et en
2Réalisé dans le cadre du programme de recherche Le potentiel régulatoire de la RSE financé par l'ANR. Projet
soutenu par l'attribution d'une allocation doctorale Région Île de France.
3« La grande distribution face au consommateur responsable », Le monde, 13/02/2007, p.IV.
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supportant le coût de ces audits »4.
Ces deux exemples nous montrent le degré de mobilisation autour des questions d'audit social des
filières d'approvisionnement, les conditions de fabrication des marchandises prenant une importance
croissante dans un marché où les distributeurs développent de plus en plus de marques propres. Leur
image, leur réputation, mais aussi leur chiffre d'affaires, semblent par conséquent être mis en jeu par le
comportement de leurs fournisseurs et sous-traitants, maillons stratégiques de la chaîne
d'approvisionnement dans un secteur où les marges se font principalement sur les achats et le sourcing.
L'audit social de la chaîne d'approvisionnement a ainsi pour objectif de vérifier les conditions
sociales de fabrication des marchandises vendues - conditions d'hygiène et de sécurité, de travail et
d'emploi ainsi que le respect des principaux droits humains par les fournisseurs, souvent localisés dans
les pays en voie de développement. Définir un référentiel reconnu par tous, établir une méthodologie
d'audit et mettre en avant une pratique responsable de l'audit social constituent des enjeux majeurs pour la
démarche de Responsabilité Sociale des Entreprises (RSE) de la grande distribution. Au travers de
coopérations multiples, en fédérations ou avec des Organisations Non Gouvernementales (ONG), les
entreprises du secteur semblent briguer une réelle reconnaissance de leurs engagements responsables.
Le présent article fait suite à une recherche exploratoire sur l'audit social et sur la RSE dans la
grande distribution. Nous avons choisi de nous centrer ici sur la communication faite autour des pratiques
et des résultats des audits sociaux dans le secteur de la grande distribution afin de comprendre en quoi
ceux-ci peuvent constituer un outil pour la stratégie de communication liée au développement durable de
l'entreprise. Notre démarche est centrée uniquement sur les informations publiées pour les années 2005 et
2006 mais donnera lieu, a posteriori, à une étude longitudinale plus approfondie. Elle se base sur une
étude documentaire des rapports publiés par les entreprises et sur des entrevues avec des professionnels
du secteur de la grande distribution, des ONG et des spécialistes des audits sociaux. Notre propos ne sera
pas ici de présenter ou de critiquer l'intégralité de la démarche d'audit social, de ses pratiques et de ses
résultats, mais d'essayer d'appréhender la portée stratégique potentielle de ceux-ci pour les entreprises
dans leur communication relative à leurs comportements responsables ou dits de « développement
durable ».
I. Audit social et gestion du risque réputationnel :
Nous nous interrogerons dans un premier temps sur les origines et les acteurs de l'audit social en
essayant de comprendre en quoi ils fondent sa légitimité, pour ensuite examiner succinctement les
facteurs légitimant la pratique d'audit. Enfin, en nous appuyant sur ces deux premières présentations, nous
explorerons la question du marché des audits sociaux au prisme de l'hypothèse de l'existence d'un marché
4Initiative Clause Sociale : faire bouger les réalités, Communiqué de presse de la FCD du 18 mai 2006, p. 2,
consultable sur http://www.fcd.asso.fr/site/index.php?rub=devdur&rub1=communiques&theme=3.
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de la légitimation.
1/ La légitimité historique de l'audit social de la chaîne d'approvisionnement :
En prenant le parti de considérer l'audit social de la chaîne d'approvisionnement comme un
véritable fait social, nous envisagerons les différents sens, les couches de significations, pour reprendre
l'expression de Danilo Martuccelli5, accumulées au cours du temps, notamment les pratiques, les
perceptions et les représentations. Si l'audit social devient un véritable enjeu pour l'entreprise, c'est qu'il
est issu d'une longue histoire qui fonde son utilisation aujourd'hui.
a/ Filiation de l'audit social :
Issu de l'audit comptable et financier, l'audit social ne peut en être dissocié si l'on souhaite étudier
la question de sa légitimité. Par conséquent, dans une perspective historique, comprendre d'où vient la
légitimité des cabinets d'audit comptable et financier nous permettra de mieux appréhender celle des
audits sociaux.
Pour rétablir la confiance dans les marchés financiers ébranlés par la crise de 1929, des autorités
de régulation ont été créées, les normes comptables améliorées et l'indépendance des auditeurs renforcée.
C’est ainsi que, au cours du XXème siècle, les méthodes d’investigation et les pratiques de contrôle
légitimant la démarche des cabinets d'audit ont été continuellement développées et améliorées. « Les
auditeurs financiers et les commissaires aux comptes ont créé des outils d'analyse et développé des
démarches d'investigation qui ont été appréciées, notamment par les directions générales et les conseils
d'administration des sociétés de grande taille »6.
Or, rapidement, au vu du succès de ces méthodes d'analyse, l'élargissement des objets d'audit
apparaît comme envisageable voire nécessaire. Ainsi, quelques auteurs aux Etats-Unis, comme Bowen en
1953, Steiner en 1971 ou encore Humble en 1973, cherchent à fonder l'idée d'un audit sur le « social » de
l'entreprise. Bowen envisage l'audit social comme un outil du changement institutionnel permettant aux
entreprises de devenir plus responsables. « De même que les dirigeants soumettent leurs comptes à des
audits réalisés par des commissaires aux comptes indépendants, ils pourraient également accepter de
soumettre leurs performances sociales à des experts extérieurs à l'entreprise et indépendants »7.
En France, P. Sudreau, dans son rapport rendu en 1975 au gouvernement, préconise la mise en
place de l'audit social en arguant que « si l'on veut que la gestion sociale participe aux préoccupations
stratégiques de la firme, il faut qu'elle sorte du relatif et du subjectif [...] »8. Cette « rationalisation » de la
5Martuccelli, Danilo (2005), La consistance du social, une sociologie pour la modernité, Rennes, éd. Presses
Universitaires de Rennes, coll. Le sens social.
6Combemale Martine, Igalens Jacques (2005), L'audit social, Paris, éd. PUF, Coll. Que sais-je?, p.8.
7Bowen, Howard R. (1953) , in Igalens Jacques, Benraiss Laïla (2005), Aux fondements de l'audit social :
Howard R. Bowen et les églises protestantes, Actes de la 23° Université d'été de l'Audit Social, 1er et 2
septembre 2005, IAE de Lille, http://ias2005.free.fr/
8Combemale M., Igalens J. (2005), Op. Cit., p. 13.
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gestion sociale sera formalisée par le bilan social, première forme de reporting social créé par la loi de
1977 intégrée au Code du travail : « le bilan social récapitule en un document unique les principales
données chiffrées permettant d'apprécier la situation de l'entreprise dans le domaine social »9.
Depuis le « sommet de la terre » des Nations Unies à Rio en 1992 notamment, qui fit connaître la
notion de développement durable, est apparue une nouvelle forme d'audit, l'audit social de RSE ou de la
chaîne d'approvisionnement. Il s'agit d'appliquer les méthodes de l'audit social aux fournisseurs et sous-
traitants, principalement à l'international, afin de garantir le respect des droits de l'homme lors de la
fabrication des produits importés dans les pays occidentaux.
Est ainsi associée à la pratique d'audit social une réputation de confiance, de sérieux, issue de sa
filiation avec l'audit comptable et financier. Cette légitimité héritée est issue de ce que Françoise Quairel-
Lanoizelée10 appelle le glissement sémantique de l'audit comptable et financier vers l'audit social. Même
si, en réalité, la comparaison des pratiques respectives d'audits ne paraît guère appropriée, « les fonctions
sociales de l'outil et leur rôle de légitimation symbolique constituent la caractéristique la plus importante
du glissement sémantique »11. De plus, une deuxième dimension fonde cette légitimité : la légitimité
rationnelle-légale au sens wébérien. Celle-ci repose sur la croyance en la force de la loi et des règlements,
eux-mêmes considérés comme rationnels et donc valides. Dans le cas de l'audit financier nous voyons
donc tout autant l'influence de la loi que des méthodes rationnelles dans la construction de la légitimité de
celui-ci. Actuellement l'audit social se situe dans une logique similaire qui tend vers davantage de
rationalisation, tant au niveau légal que méthodologique.
b/ Les acteurs de l'audit social de la chaîne d'approvisionnement :
Une seconde dimension vient renforcer la légitimité perçue des audits sociaux de la chaîne
d'approvisionnement : les acteurs de ces audits. En général, on distingue les auditeurs de première partie
ou auditeurs internes ; les auditeurs de deuxième partie, qui sont les auditeurs externes affiliés à des
cabinets d'audit ou à des ONG mandatées par l'entreprise ; et enfin, les auditeurs de troisième partie qui
appartiennent à des ONG de contrôle.
L'audit de première partie est réalisé par des auditeurs internes qui, selon les entreprises, sont
rattachés à la direction générale, au service qualité, ou encore au service achat. Quel que soit le cas, ce
type d’audit correspond à une demande de l'entreprise et les résultats en sont rarement publiés. De ce fait
c’est celui qui bénéficie de la plus faible légitimité externe. Pour simplifier, nous pourrions dire que sa
légitimité est principalement reconnue à l'intérieur de l'entreprise, ce qui en fait davantage un outil de
pilotage qu'un outil de communication.
9Idem.
10 Quairel-Lanoizelée Françoise (2005), « la mesure de la performance sociétale à l'aune de l'instrumentation
comptable et financière », in Le Roy Frédéric, Marchesnay Michel (dir.), (2005), La responsabilité sociale de
l'entreprise, éd. EMS, Coll. Gestion en Liberté, p. 73-94.
11 Quairel-Lanoizelée (2005), Op. Cit., p.85.
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