RÔLE DU PHARMACIEN DANS LA LUTTE CONTRE LE DOPAGE

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Bull. Soc. Pharm. Bordeaux, 1997, 136, 77-86
RÔLE DU PHARMACIEN
DANS LA LUTTE CONTRE LE DOPAGE (*)
V. GARDET, F. DESEMERIE, R. LOPEZ,
J. BONAFÉ, X. ARNOULD (**)
Qu’il exerce en milieu officinal, hospitalier ou industriel,
tout pharmacien est un acteur incontournable de la lutte contre
le dopage. La surenchère dans la mise au point de techniques de
dopage toujours plus efficaces, permettant d’échapper aux
contrôles démontre que les enjeux du dopage n’ont rien perdu de
leur actualité.
INTRODUCTION
Parmi les douze millions de sportifs licenciés que compte la France,
certains sont tentés un jour par le dopage. Il nous appartient, en qualité de
professionnels de santé souvent consultés, de les dissuader de telles
pratiques, qui constituent non seulement une perversion de l’esprit sportif
mais également un réel danger pour la santé de celui qui s’y prête. Par ailleurs
le pharmacien est confronté en première ligne au difficile problème de soins
(*)
(**)
Manuscrit reçu le 14 Mars 1997
Laboratoire de Biochimie - Hopital d'Instruction des Armées Robert Picqué
- 33998 Bordeaux Armées. .
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aux sportifs malades, notamment dans le domaine de la pathologie O.R.L. et
bronchopulmonaire, d’où la nécessité de bien connaître les substances et
spécialités pouvant être incriminées.
DÉFINITION DU DOPAGE
La Commission médicale du Comité International Olympique définit le
dopage comme " l’utilisation de substances ou de procédés de nature à
modifier artificiellement les capacités de l’organisme ou à masquer l’emploi de
substances ou de procédés ayant cette propriété ".
Sont incluses :
- les substances ayant une activité dopante intrinsèque
- les molécules susceptibles de positiver un contrôle antidopage
- les techniques de dopage sanguin (autotransfusions, injections
d’érythropoiétine).
Fondée sur l’interdiction de classes pharmaceutiques, cette définition
prévoit la possibilité d’une extension aux molécules nouvelles.
LE CADRE LÉGISLATIF
En France, le cadre législatif est défini par la loi 89-432 du 28 juin
1989, plusieurs décrets et arrêtés d’application et les missions de prévention,
de proposition et de réflexion sont confiées à la Commission nationale de lutte
contre le dopage en relation avec le Ministère de la Jeunesse et des Sports .
Les interdictions concernent :
— les athlètes participant à des compétitions et manifestations sportives
organisées ou agréées par des fédérations sportives. La préparation à ces
compétitions, donc les entraînements, sont également concernés.
— toutes les personnes susceptibles
• d’administrer des substances interdites
• d’appliquer des procédés interdits
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• d’inciter à leur usage
• de faciliter leur administration
donc les personnels de santé en tout premier lieu puisque, tout comme
les athlètes eux-mêmes, soumis à des sanctions administratives et sportives,
ils sont passibles de sanctions pénales (amendes ou peines d’emprisonnement
alourdies si l’intéressé est mineur).
La loi invite tout prescripteur engageant sa responsabilité, et
indirectement le pharmacien délivrant des médicaments, à :
• s’enquérir du statut sportif de son patient
• l’informer du contenu de la prescription
• veiller à prévenir toute automédication préjudiciable.
LES SUBSTANCES INTERDITES
Pour aider les prescripteurs et les athlètes à ne pas risquer de se trouver
en infraction, le Ministère de la Jeunesse et des Sports publie annuellement
une liste des spécialités pharmaceutiques françaises contenant
une ou plusieurs des 500 substances dopantes, classées en 8
familles pharmacologiques :
1 MJS
AMPHÉTAMINES ET AUTRES STIMULANTS
2 MJS
STUPÉFIANTS ANTIDOULEURS ET AUTRES
ANTIDOULEURS
3 MJS
CORTISONE ET CORTICOÏDES PAR VOIE GÉNÉRALE
4 MJS
TESTOSTÉRONE ET AUTRES ANABOLISANTS
5 MJS
HORMONES PEPTIDIQUES
6 MJS
DIURÉTIQUES ET AUTRES PRODUITS MASQUANTS
7 MJS
BÊTA BLOQUANTS
8 MJS
ANESTHÉSIQUES LOCAUX
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En examinant cette liste en détail, on peut noter que :
• l’alcool n’est pas interdit, bien que des contrôles puissent être
demandés par les fédérations internationales.
• la caféine est considérée comme produit dopant si sa teneur urinaire
excède 12 mg/l ( une tasse de café renfermant 100 à 200 mg de caféine
conduit à des concentrations urinaires de l’ordre de 2 à 6 mg/l ).
• la cocaïne et les cannabinoÎdes sont prohibés.
• certains médicaments sont indexés de la lettre ( J ) pour justification
thérapeutique.
La loi offre en effet la possibilité de prescrire certaines substances :
• s’il n’existe aucune alternative thérapeutique
• sur ordonnance et avec constitution d’un dossier médical justificatif au
moment de la prescription et non pas a posteriori, si un contrôle s’avérait
positif !
Cette procédure concerne un nombre restreint de produits :
• ANESTHÉSIQUES LOCAUX
• BÉTA BLOQUANTS
• CORTICOÏDES,
dans les indications prévues par l’AMM :
• POUR APPLICATION LOCALE
• POUR INHALATION
• POUR INJECTION LOCALE
• CERTAINS STIMULANTS :
• ÉPHÉDRINE
• BÉTA- 2- MIMÉTIQUES DANS L’ASTHME
LES RISQUES DU DOPAGE
Le pharmacien doit connaître les effets recherchés mais surtout les
effets indésirables des produits pour le sportif qui consomme en général de
fortes doses de façon répétée.
1 . Les amphétamines et autres stimulants regroupent des
molécules très différentes, recherchées pour leur action :
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• sur le SNC.
• sur le muscle cardiaque (caféine, sympathomimétiques comme
l’éphédrine) ou le muscle squelettique.
• sur les muscles lisses bronchiques (salbutamol, éphédrine qui ont un
effet bronchodilatateur).
Les effets pervers de ces produits se manifestent par :
• des troubles cardiaques, neurologiques, psychiatriques.
• une défaillance respiratoire.
• et surtout une accoutumance avec surestimation de la résistance à la
fatigue (y compris pour la caféine) qui entraîne un recul des barrières
physiologiques de tolérance physique , psychique et biologique.
De nombreuses spécialités O.R.L. entrent dans cette catégorie puisque
les décongestionnants per os et les vasoconstricteurs locaux contiennent
quasiment tous des dérivés de l’éphédrine, y compris ceux qui sont délivrés
sans ordonnance.
2 . Les stupéfiants antidouleurs et autres antidouleurs
comprennent deux classes de produits :
— les dérivés morphiniques et les analgésiques de synthèse
recherchés pour leur action sur la douleur musculaire, dont les effets
secondaires sont bien connus :
• dépression respiratoire.
• dépassement des capacités physiques.
• dépendance psychique et physique.
— les antitussifs dérivés de la morphine : codéine, codéthyline, non
toxicomanogènes à doses usuelles, sans réel effet dopant, mais susceptibles
de positiver les contrôles dépistage des opiacés. Les spécialités de conseil
sont particulièrement représentées dans cette catégorie.
3 . Les glucocorticoïdes par voie générale sont susceptibles
d’être détournés pour leur propriétés :
• anti inflammatoires.
• euphorisantes et excitantes.
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Une utilisation prolongée conduit à :
• une dépression de l’axe hypothalamo-hypophyso-surrénalien et donc
à un syndrome d’insuffisance surrénalienne et à des accidents métaboliques
dramatiques pour un sportif.
• une fonte musculaire.
• une ostéoporose avec exposition aux fractures.
• des troubles du rythme cardiaque.
• un risque infectieux exagéré.
4 . La testostérone et les autres anabolisants détournés
dans toutes les disciplines sportives augmentent la synthèse protéique, donc la
puissance musculaire, et améliorent la résistance et la récupération.
Leurs effets secondaires, liés à leur activité androgénique, se
manifestent différemment suivant l’âge et le sexe du sujet :
• chez l’adolescent : puberté précoce avec soudure prématurée des
cartilages de conjugaison d’où arrêt de croissance.
• chez la femme : virilisation avec aménorrhée.
• chez l’homme : gynécomastie, atrophie testiculaire, impuissance,
stérilité, hépatite, troubles de l’humeur.
5 . Parmi les hormones peptidiques sont classées :
• la corticotropine ou ACTH.
• la somatotropine ou hormone de croissance ou GH.
• l’érythropoiétine ou EPO.
L’ACTH ( SYNACTÈNE® ) stimulant la production périphérique de
minéralocorticoÏdes, d’androgènes et de glucocorticoïdes conduit à des
désordres similaires à l’administration directe de glucocorticoïdes.
L’hormone de croissance utilisée dans l’espoir d’augmenter la masse
musculaire par l’intermédiaire de la stimulation de la synthèse protéique et la
mobilisation des réserves énergétiques a des effets secondaires graves :
• acromégalie.
• arthrose articulaire.
• atteintes rénale, hépatique, cardiaque.
• hypertension artérielle.
• diabète
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L’érythropoiétine, agissant sur la différenciation de la lignée
érythrocytaire, permet d’accroître la masse totale d’hémoglobine circulante et
d’augmenter ainsi les capacités d’oxygénation musculaire. La polyglobulie
induite artificiellement risque de provoquer des accidents de thrombose et une
hypertension liée à l’hyperviscosité sanguine.
Les conditions particulières de délivrance des hormones sont supposées
décourager les tentatives de détournement mais il faut suspecter l’existence de
réseaux d’approvisionnement échappant au contrôle pharmaceutique.
L’administration d’érythropoiétine est à rapprocher de la pratique des
autotransfusions, dont les indications et les risques sont superposables, sans
parler des risques intrinsèques à toute transfusion (septicémie,
hyperthermie...).
Le dépistage de ces pratiques s’appuie sur la mesure de l’hématocrite.
Des produits nouveaux, tels que l’hémoglobine réticulée, sont
susceptibles de supplanter l’érythropoiétine et les autotransfusions dans un
avenir proche.
6 . Les diurétiques permettent d’abaisser rapidement la masse
corporelle dans les disciplines où le poids intervient sur les performances. En
contrepartie, ils induisent des désordres hydro-électrolytiques, des troubles
cardiaques et musculaires bien évidemment contradictoires avec les
performances sportives escomptées.
Utilisés par ailleurs comme produits masquants, ils ont pour effet :
• soit d’augmenter le volume urinaire pour abaisser la concentration de
substance en-deçà du seuil de détectabilité analytique,
• soit de modifier le pH urinaire, afin de réduire l’excrétion des
substances basiques par action sur l’anhydrase carbonique par exemple,
• soit de retarder l’excrétion rénale des substances acides liées à
l’albumine comme le réalise le probénécide (uricosurique non diurétique ).
7 . Les bêtabloquants préviennent l’excitation et l’anxiété avant la
compétition, limitent la tachycardie pendant l’effort et améliorent la
coordination psychomotrice ( golf, tir à l’arc ...).
A doses élevées, ils limitent la performance musculaire par inhibition
de l’adaptation du coeur à l’exercice, d’où une fatigabilité anormale avec des
troubles cardiaques, défaillance respiratoire et risque de décès.
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8 . Les anesthésiques locaux, utilisés abusivement, peuvent
conduire le sportif à dépasser ses capacités physiques par abolition de la
douleur, d’où les accidents de claquage musculo-tendineux ou les
traumatismes articulaires.
MÉTHODES D’ANALYSE
Les aspects analytiques du contrôle antidopage sont confiés à vingtdeux laboratoires agréés à l’échelle internationale dont un seul en France, le
Laboratoire National de dépistage du dopage à Chatenay-Malabry.
Le dépistage associe une technique de chromatographie en phase
gazeuse couplée à la spectrométrie de masse, et des techniques
d’immunoanalyse notamment pour certains métabolites médicamenteux.
L’identification et la confirmation reposent sur la spectrométrie de masse.
Il convient de souligner la difficulté des contrôles, liée :
• à la diversité des molécules à rechercher,
• au faible volume d’urine (ou de sang ) disponible,
• aux faibles concentrations de substances présentes dans les
échantillons.
CONCLUSION
En conclusion, tout pharmacien, bien que non désigné explicitement par
la loi, est un acteur privilégié de la politique de prévention et d’éducation des
pouvoirs publics. A ce titre, il doit en effet être particulièrement vigilant quant
au statut sportif de ses patients et à la composition des médicaments, et se doit
d’informer sur les risques de l’automédication chez un sportif qui n’aurait pas
l’intention de tricher.
Concrètement, l’essentiel de ce que peut conseiller le pharmacien
ressort de la pathologie O.R.L. et bronchopulmonaire. Il peut proposer :
— contre la fièvre, des antipyrétiques classiques (paracétamol,
aspirine)
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— devant une rhinorrhée sans complications, des lavages à l’aide de
sérum physiologique associés à des vasoconstricteurs autorisés, des dérivés
balsamiques ou des fluidifiants
— en présence d’une toux, un fluidifiant bronchique
— en cas d’otalgies, de douleurs pharyngées et amygdaliennes,
l’aspirine pour ses actions antalgiques et anti-inflammatoires en se référant
aux " listes des spécialités pharmaceutiques françaises ne contenant pas de
substances dopantes " qu’il est possible de prescrire en O.R.L., en odontostomatologie ou à action antitussive éditées par le Ministère de la Jeunesse et
des Sports.
Enfin, chacun gardera à l’esprit que la déontologie lui recommande d’
inviter le patient à consulter un médecin si les symptômes persistent au-delà
de 24-48 heures.
BIBLIOGRAPHIE
LOI N° 89-432 du 28 juin 1989, relative à la prévention et à la répression de
l’usage des produits dopants à l’occasion des compétitions et
manifestations sportives.- JORF du 1er juillet 1989, 8146-8149.
Décret n° 90-440 du 29 mai 1990, relatif à la composition et au
fonctionnement de la Commission Nationale de lutte contre le dopage.JORF du 31 mai 1990,6449-6451
Décret n° 91-837 du 30 août 1991, concernant les contrôles prévus par la loi
n°89-432 du 28 juin 1989.-JORF du 1er septembre 1991,11505.
Décret n° 92-381 du 1er avril 1992 relatif aux dispositions que les fédérations
chargées d’une mission de service public doivent adopter dans leur
règlement en application du deuxième alinéa de l’article 16 de la loi
n°89-432 du 28 juin 1989. -JORF du 4 avril 1992,5058-5061.
Dopage sportif et pharmaciens. -Actual. pharmaceutiques, 1990, 277,
Dossier de synthèse.
Le dopage en pratique sportive. - Prescrire, 1992, 12, (119), 314-316.
Contrôle antidopage aux Jeux olympiques. d’Albertville. Utilisation de
méthodes immunologiques et leur application en toxicologie et
toxicomanie. - OPTION/BIO, 1992, 77, I-IV.
86
Léon (C.), Pailler (F.M.), Lafarge (J.P.) - Dopage : où en sommes- nous
aujourd’hui ? - Médecine et armées, 1993, 21, (5), 359-363.
Adresses utiles
Laboratoire National de dépistage du dopage
143, avenue Roger Salengro
92 290 Châtenay-Malabry
Tél. 01 46 60 28 69
Direction des sports
Mission Médecine du sport - Lutte contre le dopage
78 rue Olivier de Serres
75 739 Paris Cedex 15
Tél. 01 40 45 90 00
ABSTRACT
Role of chemist in the struggle against doping
Every chemist is an essential actor in the struggle against doping. The
outbidding in the search for more effective new doping technics or drugs that
allow to fool controls shows the actuality of doping question.
Key Words : Doping - drugs - chemist - prevention.
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