PREFACE
Le point de départ de ce travail résidait dans la volonté de
souligner la portée à la fois philosophique et politique de la sociologie
bourdieusienne. Soucieux en effet de montrer l'unité de l'oeuvre inmlense
et polyphonique de Pierre Bourdieu et, surtout, d'en tirer des
enseignen1ents utiles pour une science politique adaptée à notre temps,
nous avons voulu, en lui consacrant cette thèse~ attirer l'attention sur la
notion d' habitus, qui est selon nous la notion centrale de cette oeuvre.
Bourdieu oppose l'habitus -concept illitialenlent aristotélicien
nlais qu'il repense entièrelnent, notamment à partir de la philosophie
française contemporaine -à l'action en apparence libre, mais en réalité
déternlinée par ses conditions sociales de production. A côté de 1'habitus
individuel, il existe donc aussi un habitus social, un ensemble de
dispositions plus ou moins pennanentes, produites par la société, ou, plus
précisément, par l'idéologie des classes sociales dominantes. Il y a ainsi
selon Bourdieu un véritable déterluinisTIle sociat dont les effets pernicieux
se font sentir aussi bien dans l'organisation de la société que dans] e
langage et la manière d'être de chacun.
A cet égard, un des enjeux principaux de cette thèse est de situer
Bourdieu dans une tradition philosophique de réflexion sur le corps, dont
participent Bergson, Sartre, Merleau-Ponty et Foucault, tradition qu'il ne
fait en quelque sorte que prolonger. C'est dans cette philosophie du corps
que réside la portée proprelnent philosophique de la notion bourdieusienne
d'habitus, qui excède donc le chan1p purement sociologique. Ce qui nous
senlble en effet déterminant dans son oeuvre à cet égard, c'est le statut
reconnu au sujet, résultat d'une réflexion intéressante sur le rôle de la
subjectivité dans le champ social.
Cette analyse philosophique s'accompagne bien évidemment chez
Bourdieu d'une étude serrée des effets néfastes de l'habitus sur le tissu
social. l'habitus étant alors considéré comme le véritable vecteur de la
dOl1Ûnation.La portée politique de ce concept est indéniable. C'est en effet
sur 1~
habitus que notre auteur axe sa réflexion sur la violence symbolique,
violence qui ne s'exerce pas directement mais emprunte le masque de
l'idéologie dominante. L'examen de cette notion, qui rappelle le concept
maDdste d'aliénation, sera pour nous l'occasion de traiter des relations
aInbiguës que Bourdieu entretient avec le nlarxisme, dont il partage
l'idéologie sociale et la condamnation de l'exploitation mais non
l'optimisme pour ce qui est de la possibilité de nlettre fin à la domination
des classes dominantes.