« Il ne serait plus possible aujourd`hui de construire l`Hôtel Dieu… le

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« Il ne serait plus possible aujourd’hui de construire l’Hôtel Dieu… le temps
de la bienfaisance a cédé la place à une autre époque »
Alain Collombet, directeur général adjoint des Hospices Civils de Lyon (HCL),
répond à nos questions : où en sont les HCL de leur projet de restructuration,
le plus important en France ? Comment les mutations de l’hôpital modifientelles sa relation avec la ville, sur le plan physique et symbolique ?
Finalement, comment les HCL se projetent-t-il dans la métropole de demain ?
Propos recueillis par Cédric Polère, le 14 juin 2007.
Peut-on dire que l’hôpital connaît
aujourd’hui un grand mouvement
de
transformation
de
son
organisation, comparable à celui
lié, au tournant du 20ème siècle, à
la révolution pasteurienne ?
Effectivement, vous ne trouverez pas
en France une organisation qui a
évolué aussi vite que l’hôpital au
cours de ces 20 dernières années,
sinon peut-être l’armée, qui s’est
professionnalisée.
L’hôpital
est
confronté
à
des
évolutions
importantes, notamment liées à
quatre grands facteurs.
Le premier est démographique. Le
vieillissement de la population fait de
nous, à partir de 75 ans, des êtres
“polypathologiques”.
Ses
conséquences sont multiples sur
l’hôpital, et nous imposent de revoir
ses fonctions et son organisation ;
notez que ce facteur démographique
concerne également les personnels
avec l’augmentation de l’âge moyen
qui peut avoir des incidences sur
l’organisation du travail.
Le deuxième est technologique. Les
technologies évoluent rapidement,
avec des cycles de 5 à 10 ans. Leur
progrès impacte l’organisation de
l’hôpital
et
son
architecture
intérieure : installation d’équipements
à fortes contraintes comme les
petscans, IRM à haut champs, mais
aussi
certains
services
à
configuration spécifique comme la
radiothérapie ou l’hématologie ; les
progrès des produits anesthésiques
et médicamenteux modifient les
modes de prise en charge des
patients,
facilitent
encore
la
diminution de la durée des séjours,
permettant de faire de l’hôpital de
jour ; ces avancées ont aussi un
impact sur les métiers de l’hôpital, en
suscitant l’apparition de nouveaux
métiers
comme
ceux
de
radiophysiciens ou de manipulateurs
radio (avec par exemple le travail
informatique sur consoles pour la
reconstruction d’image).
Le troisième est la transformation du
rapport
au
travail.
Les
réglementations européennes sur le
temps de travail à l’hôpital, et la
baisse de la durée du temps de
travail en France poussent à inventer
de nouvelles manières de travailler.
Certains praticiens, par exemple,
dans
des
services
d’urgence
préfèrent regrouper leur temps de
travail sur des journées de 24
heures.
Enfin, le quatrième facteur est celui
de l’importance croissante de la
gestion des risques en matière
d’hygiène et de vigilance. Il impacte
les processus d’organisation, la
recherche d’amélioration continue de
la qualité et bien entendu les modes
de travail du personnel.
Au-delà de ces éléments, il faut aussi
retenir que, dans la foulée du plan
hôpital 2007, les HCL ont aussi
entrepris de modifier en interne leur
management
pour
se
tourner
délibérément vers un management
médico-administratif
avec
notamment la mise en place de 24
pôles d’activité médicale.
Que représentent les HCL dans
l’agglomération ?
Les HCL forment le deuxième centre
hospitalier universitaire (CHU) de
France, avec 16 établissements, et la
première plate-forme de soins sur la
région. C’est aussi le premier
employeur
de
l’agglomération
lyonnaise, en tant qu’établissement
juridiquement autonome. 22 000
bulletins de salaires sont produits
tous les mois. La présence des HCL
n’est pas seulement sanitaire et
sociale, elle aussi est économique,
scientifique par l’enseignement et la
recherche, industrielle par ses
relations aux différents métiers, aux
PME et aux grands groupes.
Les HCL sont producteurs de soins.
Notre
projet
d’établissement
configure
cette
mission
pour
plusieurs années. Les HCL assurent
une mission de proximité, en
répondant aux besoins 24 heures sur
24, 365 jours par an. Ils sont aussi
centre de recours et de référence. En
France, c’est le seul établissement,
en dehors de l’Assistance Publique Hôpitaux de Paris qui prend en
charge toutes les pathologies, ce qui
se traduit par le fait que l’activité des
HCL couvre l’ensemble de ce que
l’on appelle aujourd’hui les groupes
homogènes de malades (GHM)1.
1
La réforme de la tarification à l’activité initiée par la
loi de financement du 20 décembre 2002 a en effet
Comment expliquez-vous cette
spécificité lyonnaise qui fait que
les HCL sont présents dans toutes
les
pathologies,
dont
les
pathologies rares ?
Je pense que “l’effet taille” est la
première raison. Les HCL constituent
un centre de recours et de référence
pour d’autres hôpitaux plus petits qui
nous envoient leurs patients. Au
cours du temps, les différentes
écoles médicales lyonnaises ont par
ailleurs su explorer tous les pans de
la médecine et de la chirurgie.
Quoiqu’il en soit, les HCL sont
devenus un centre d’expertise et de
recours pour de nombreux patients.
A titre d’exemple, les HCL disposent
de 12 centres de référents maladies
rares et sont associés à 5 autres
centres.
Comment les HCL se projettent-ils
dans la ville de demain ? Les HCL
ont amorcé leur restructuration à
partir du plan Noir, en 1993. Où en
est-on aujourd'hui ?
Le projet de restructuration fait
apparaître
trois
groupements
hospitaliers
pluridisciplinaires
(groupe hospitalier Lyon Sud, groupe
hospitalier Nord, et Edouard Herriot),
et des groupements spécialisés,
d’une part les hôpitaux Neurologique,
Cardiologique-Pneumologique
et
Femme-Mère-Enfant (HFME), et
d’autre
part
le
groupement
gériatrique avec 5 établissements sur
l’agglomération. Ces regroupements
d’activités sont réfléchis en interne,
modifié le mode de tarification du séjour du patient à
l’hôpital. Le prix global du séjour est désormais lié au
GHM, auquel appartient le patient (il existe 493
GHM). Le GHM est défini grâce au codage et à la
saisie des informations médicales lors de
l’hospitalisation (diagnostic principal et actes réalisés).
Du GHM dépend le montant forfaitaire alloué à
l’établissement de santé qui permet de couvrir toutes
les dépenses liées à une hospitalisation (c’est le tarif
GHS : Groupe Homogène de Séjour, établi à partir
d’une échelle nationale).
en lien avec les autorités de tutelle,
puisque le projet d’établissement doit
être
approuvé
par
l’Agence
Régionale d’Hospitalisation (ARH).
Par ailleurs, dans le cadre du
schéma
régional
d’organisation
sanitaire, les HCL s’inscrivent dans
la logique des territoires de santé.
Sur un plan concret, ceci se traduit
notamment par des constructions :
HFME et centre de biologie au
groupement hospitalier Est, pavillon
médical et centre de biologie au
groupement hospitalier Sud, pavillon
clinique et centre de biologie au
groupement hospitalier Nord…
Quelles sont les raisons de ce
projet ?
La dispersion des sites hospitaliers
n’est plus possible, pour des raisons
de
démographie
médicale,
d’astreintes, et de coût des
technologies à l’hôpital. Nous avons
constaté que l’on peut faire mieux
avec un coût identique, par des
regroupements de services et des
réaménagements. Cela nécessite
certes des investissements, mais on
y gagne au final tant qualitativement
que financièrement. Par rapport au
nombre de lits, il revient par exemple
moins cher de faire fonctionner une
unité de 24 lits qu’une unité de 15
lits.
Si les HCL avaient eu la possibilité
de réaménager ou reconstruire un
nouvel hôpital à l’Antiquaille
(fermé en 2003) ou à Debrousse
(désaffecté en 2008), l’auraient-ils
fait ?
Non, notre souci est de créer des
masses critiques suffisantes pour
plus d’opérationnalité.
Est-il plus difficile de moderniser
l’Hôtel Dieu construit il y a
plusieurs siècles, l’hôpital de la
Croix-Rousse apparu dans les
années 1860, Grange Blanche
inauguré dans les années 1930, où
les hôpitaux monoblocs récents ?
Pour chaque type d’hôpital, nous
avons des contraintes différentes. A
l’hôpital
cardiologique
et
pneumologique Louis Pradel, il est
plus facile de faire des travaux de
restructuration, car un hôpital
monobloc est une sorte de boîte. La
difficulté vient du fait que le bâtiment
entier est une caisse de résonance.
Tout chantier diffuse bruits et
vibrations.
Conséquence :
des
contraintes importantes de chantier
pour que le reste de l’hôpital
continue à fonctionner pendant les
travaux. Dans un établissement
pavillonnaire
comme
Edouard
Herriot, il est difficile d’optimiser les
dimensions des unités. Il reste de
manière générale qu’il est plus facile
de faire évoluer un bâtiment neuf
qu’un bâtiment ancien. Ensuite,
interviennent la manière dont l’hôpital
a été construit, le fait que l’hôpital
soit classé au titre des monuments
historiques,
les
contraintes
d’intégration au site. C’est le cas de
l’hôpital Edouard Herriot, ce qui
interdit d’intervenir sur sa globalité.
Néanmoins, après signature d’un
protocole entre l’Etat et les HCL,
nous avons obtenu l’autorisation de
le faire évoluer avec d’une part le
remplacement de 4 pavillons par la
construction d’un nouvel ensemble,
mais aussi la réhabilitation de
plusieurs autres pavillons, tout ceci
dans le respect du projet de Tony
Garnier.
Quand est prévue la fin des
restructurations ?
Elle interviendra en 2015-2016 avec
l’hôpital Edouard Herriot. Mais nous
devrons continuer à évoluer ! Tous
les 3-4 ans, des besoins nouveaux
émergent à l’hôpital, liés aux progrès
techniques,
à
l’évolution
des
réglementations, aux changements
d’organisation. Chaque fois, il y a
deux alternatives : soit nous avons la
capacité de les intégrer sans
remplacer les bâtiments, soit cela
n’est pas possible et il faut refaire
quelque chose de plus adapté et
évolutif.
Quand les HCL réalisent un nouvel
hôpital comme l’établissement
Femme-Mère-Enfant,
comment
s’assurent-ils qu’ils ne sera pas
trop vite désuet ? Bref, quel est
pour vous l’hôpital idéal, au jour
d’aujourd’hui ?
Une fois posé qu’il n’existe pas
d’hôpital idéal, quelques principes se
dégagent pour éviter que l’hôpital ne
vieillisse trop vite : un grand hôpital
devrait se construire autour du
plateau technique (bloc opératoire,
imagerie), noyau dur de l’hôpital,
avec les urgences à proximité et les
soins
critiques
(réanimation,…).
Autour de ce dispositif devraient
trouver
place
les
activités
ambulatoires puis enfin les unités
d’hospitalisation
conventionnelles.
Après, se posent les questions
d’organisation qui influent sur les
modes de travail médicaux et sur la
logistique. C’est à l’équipe de
maîtrise
d’œuvre
(architectes,
économistes,
bureaux
d’étude,
ergonomes, urbanistes…) de trouver
les bons compromis, par exemple les
circuits courts entre réanimation et
urgence, à bien penser les circuits
patients, personnels, « matières », à
proposer enfin des arbitrages entre
polyvalence
spécialisation.
de
locaux
ou
Historiquement,
l’hôpital
est
davantage enchâssé qu’intégré
dans le tissu urbain, clos par des
hauts murs. Depuis une dizaine
d’années, on parle de l’ouverture
nécessaire de l’hôpital sur la ville,
d’accueil du patient par une
transition douce entre extérieur et
intérieur de l’hôpital. Comment
cela se manifeste-t-il ?
Pour de multiples raisons, l’hôpital
s’ouvre
aujourd’hui
à
son
environnement. Au niveau des soins,
le patient revient au centre de
l’hôpital, ce qui est lié à une
compréhension plus globale du soin.
Les associations de patients ont
également un rôle de plus en plus
important, complémentaire du nôtre.
Exemples parmi
d’autres
:
l’association pour le traitement à
domicile
des
insuffisances
respiratoires ; l’association pour la
prise en charge de l’insuffisance
rénale chronique… La présence des
usagers non seulement en tant
qu’associations mais aussi en tant
que représentants dans les instances
des hôpitaux vient impacter leur
fonctionnement : plus de dialogue,
de circulation d’information. Enfin au
niveau culturel, de nombreuses
initiatives se concrétisent depuis
plusieurs
années :
orchestres,
animations pour les enfants et les
personnes âgées… la culture entre à
l’hôpital.
Cependant, l’hôpital n’est pas un lieu
public comme les autres. Il faut
veiller à trouver un compromis entre
ouverture et repli sur le soin
technique.
(privée) ? Selon vous, va-t-on vers
une concurrence accrue entre
public et privé à Lyon ?
Peut-on dire que l’hôpital va se
diffuser dans la ville, par le biais
des réseaux de santé et par
l’hospitalisation à domicile ?
Un premier constat : le patient n’a
pas à être à l’hôpital s’il peut être
chez lui ; personne ne vient à
l’hôpital pour son plaisir.
Une deuxième approche est que la
prise en charge hospitalière au sens
strict ne résout pas la globalité des
problèmes de santé du patient.
A partir de là, l’hôpital s’insère de
plus en plus dans le tissu médical,
soignant, social, après en avoir été
un peu éloigné pour différentes
raisons. Le rôle des réseaux de
santé trouve ici toute sa légitimité et
son importance. Il en existe une
multitude qui favorise la graduation
dans la prise en charge du patient.
Exemple en oncologie, le réseau
Concorde, le plus important en
Rhône-Alpes, fédère à la fois des
médecins libéraux, des cliniques
privées, des hôpitaux généraux et
CHU. Il existe aussi des réseaux en
insuffisance rénale chronique, en
pédiatrie,
en
urgences
cardiologiques, en périnatalité, etc.
Notre spécificité en tant que CHU est
le plateau technique. Pour le suivi
des personnes âgées, les maladies
chroniques, nous passons de plus en
plus par des conventions avec des
établissements publics ou privés, en
amont pour éviter l’hospitalisation ou
en aval pour des soins de suite.
C’est une double tendance.
Les cliniques privées se nomment
elles-mêmes de plus en plus
« hôpitaux », comme le fait le
groupe des Hôpitaux Privés de
Lyon (HPL). Est-ce la fin de la
distinction
structurante
entre
hôpital
(public)
et
clinique
Nous sommes concurrents mais
aussi complémentaires, c’est toute la
difficulté. Sur le plan général de
l’activité, quand l’un fait plus, c’est au
détriment de l’autre, car nous nous
partageons
des
créneaux
de
« patients ».
Ainsi,
si
dans
l’agglomération la part des cliniques
augmente en chirurgie, celle des
hôpitaux publics diminuera. Les
raisons de ces phénomènes sont
multiples : créneaux d’activité de plus
en plus spécialisés (exemple pour la
chirurgie du pied : orteil, tendon,
voûte plantaire, et ceci en urgencetraumatologie ou en programmé) ;
contraintes
et
suggestions
différentes, avec du côté du CHU,
formation des personnels médicaux
et enseignement, urgences 24
heures sur 24, flux de patients
différents avec délais d’attente ;
facturation
et
rémunération
différentes.
Êtes vous malgré tout aussi en
situation de complémentarité ?
Oui, à plusieurs niveaux : les projets
d’établissements sont maintenant
coordonnés par les ARH, la réflexion
est conduite en terme de bassin de
santé, la mise en place des réseaux
implique une prise en charge
graduée des soins donc une
collaboration
des
différents
professionnels de santé. Mais
surtout, quand un patient change
d’établissement, son dossier est
transmis.
A Lyon, l'hôpital de demain
continuera-t-il, comme celui d'hier,
d'avoir une fonction symbolique
forte, de marquer la ville ? Il
semble que les HCL soient de plus
en plus discrets : sur le plan
architectural, les gestes forts et
visibles
depuis
quelques
décennies sont ailleurs que dans
l’hôpital…
Il ne serait plus possible aujourd’hui
de construire l’Hôtel Dieu, sa façade
et son dôme, pour des raisons
évidentes de coût : le temps de la
bienfaisance a cédé la place à une
autre époque marquée notamment
par l’ajustement des comptes
publics. Les dépenses hospitalières
sont de plus en plus contrôlées. Ce
qui importe aux HCL n’est pas
d’édifier des hôpitaux à l’architecture
monumentale, mais d’avoir un bon
retour sur investissement lors de
l’exploitation d’un hôpital. Lorsque
nous réalisons un appel d’offre pour
la
construction
d’un
nouvel
établissement, les premiers critères
que l’on examine sont : le projet
répond-il
bien,
c’est-à-dire
fonctionnellement, au programme
médical ? Quel est le projet qui
permet d’optimiser au mieux les
coûts d’exploitation ? Le signe
architectural vient forcément après.
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