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CRITIQUES FONDAMENTALES
DU SRISK
FRANCK BANCEL*
NICOLAS DARBO**
HENRI PHILIPPE***
Le secteur financier se caractérise par une très grande interdé-
pendance des établissements les uns par rapport aux autres. La
faillite de l’un d’entre eux peut mettre en défaut le système
financier tout entier. La question se pose particulièrement pour les
grands établissements dits « systémiques » ou « too big to fail », dont la
disparition serait extrêmement dommageable à l’ensemble de l’écono-
mie. Depuis la crise financière de 2008, l’évaluation et la maîtrise du
risque systémique sont ainsi devenues des enjeux majeurs pour les
régulateurs.
La littérature économique et financière s’intéresse au risque systémi-
que depuis de nombreuses années et recouvre aujourd’hui un ensemble
trèsvastedetravaux.Leschercheursétudientlesconditionsdanslesquel-
les un choc peut être diffusé à l’ensemble du système financier. Par exem-
ple, Cetorelli et Goldberg (2011) montrent que la globalisation du sec-
teur bancaire a une influence majeure sur la transmission d’un choc de
liquidité. Kamil et Rai (2010) s’intéressent à la stabilité du financement
des banques étrangères dans les pays émergents.
* ESCP Europe. Contact : bancelsescpeurope.eu.
** Accuracy. Contact : nicolas.darbosaccuracy.com.
*** Accuracy. Contact : henri.philippesaccuracy.com.
Dans le cadre de l’une de ses missions, le cabinet Accuracy a été amené à s’interroger sur les conditions
dans lesquelles le SRISK pourrait être appliqué pour mesurer la contribution au risque systémique. Cet
article vise à étendre ce travail dans la sphère académique et à contribuer ainsi au débat scientifique et
public. Il a été présenté dans des séminaires académiques et professionnels. Nous remercions l’ensemble
des académiques et des professionnels qui nous ont aidés à élaborer cet article et plus particulièrement
le professeur Didier Marteau, Jean Baptiste Bellon (Trapeza) et Mamikon Margaryan (Accuracy), ainsi
que les deux rapporteurs anonymes dont l’aide nous a été précieuse.
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Dans la période récente, un nouveau champ de recherche a émergé.
Il tente d’évaluer l’impact d’un choc sur les établissements financiers
à partir des seules données de marché (cours de Bourse, spread de
crédit, etc.). Les travaux de recherche sont fondés sur des modélisa-
tions complexes et plusieurs approches complémentaires sont propo-
sées. Parmi les mesures de risque systémique les plus diffusées dans
la communauté académique, on trouve le systemic expected shortfall
(SES) (Acharya et al., 2010), le delta conditional value at risk (CoVar)
(Adrian et Brunnermeier, 2011) et enfin le systemic risk measure
(SRISK) (Acharya et al., 2012 ; Brownlees et Engle, 2012 ; Engle
et al., 2013).
Le critère du SRISK sur lequel se concentre cet article vise à
apprécier le besoin de recapitalisation d’une institution financière
induit par un choc boursier de grande importance. Selon ce modèle,
les établissements financiers apparaissent dans leur très grande ma-
jorité comme étant très significativement sous-capitalisés et devraient
augmenter leur capital dans des proportions importantes. Le SRISK
a été diffusé dans la communauté académique et dans les milieux
professionnels (analystes financiers, services de recherche écono-
mique, régulateurs, etc.)1. Il a également été repris dans un certain
nombre de médias grand public. Il est publié en ligne pour un très
grand nombre d’établissements financiers avec des mises à jour
régulières sur deux sites Internet : http://vlab.stern.nyu.edu/ et
http://www.crml.ch/.
Du fait de sa diffusion volontairement large, le SRISK a ainsi quitté
le seul champ académique pour devenir un objet du débat public et
potentiellement, selon ses auteurs, un outil de la régulation. Cela étant,
le passage du statut de modèle théorique à un outil normatif ne peut se
faire sans un examen approfondi des conditions dans lesquelles il
pourrait constituer une alternative crédible au cadre prudentiel « stan-
dard ». L’objet de cet article est de discuter les hypothèses sur lesquelles
repose le SRISK et de s’interroger sur son utilisation comme outil
normatif. Après avoir exposé ses principes, nous détaillons ses faiblesses
qui constituent autant de limites du modèle. Nous concluons sur la
nécessité de prendre en compte les multiples dimensions du risque pour
construire un indicateur fiable et de ne pas se limiter aux seules données
de marché.
PRÉSENTATION DU SRISK
Le SRISK repose sur l’hypothèse que le manque de capitaux
propres d’un établissement financier impose des coûts externes im-
portants à l’ensemble de l’économie, particulièrement en période de
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crise. La faillite d’une banque ne peut en effet être absorbée par les
autres institutions si ces dernières sont sous-capitalisées. Ainsi, le
« manque » de capital ferait supporter un risque important
aux banques (à leurs créanciers et à leurs actionnaires), mais égale-
ment au reste de l’économie par effet de contagion. Le SRISK a
donc été conçu pour évaluer le besoin de recapitalisation d’une
institution financière conditionnel à une crise boursière de grande
ampleur. Pour un établissement financier, il se définit de la manière
suivante2:
SRISK=max[0;k×(dette+(1LRMES)×Ve)(1LRMES)×Ve]
avec « k» le ratio prudentiel, « dette » la valeur comptable de la dette,
«V
e» la valeur de marché des capitaux propres et « LRMES » (long run
marginal expected shortfall) l’espérance mathématique de la baisse de la
capitalisation boursière de l’établissement financier dans un cas de situa-
tion de stress généralisé.
Développé à l’origine par Acharya et al. (2010), le SRISK a été
étendu à une version conditionnelle par Acharya et al. (2012) et
Brownlees et Engle (2012). La modélisation de la LRMES est
présentée de manière détaillée dans les articles consacrés au SRISK
(Brownlees et Engle, 2012 ; Benoit et al., 2013 ; Engle et al., 2013).
Le lecteur pourra s’y référer directement. Dans l’approche SRISK, les
capitaux propres comptables ou prudentiels tels que définis par les
régulateurs ne sont pas utilisés. Le calcul du SRISK est fondé sur des
données de marché (« Ve») et des données comptables (« dette ») qui
sont observables3. Selon ces auteurs, le SRISK présente ainsi l’avantage
de reposer sur des informations publiques alors que l’approche mise
en œuvre par les régulateurs nécessite l’accès à des informations
privées pour définir l’exposition au risque des établissements. Le
modèle suppose un montant comptable de la dette constant sur la
période. En revanche, la valeur de marché des fonds propres diminue
en cas de crise. Plus précisément, évaluer le SRISK revient à répondre
à trois questions.
– Quelle estimation peut-on faire de la baisse de la capitalisation
boursière en cas de crise (soit (1 – LRMES) × Ve)?
Pour répondre, il convient de modéliser la baisse de la capitalisation
boursière (avec pour hypothèse une baisse de l’indice boursier de
référence de 40 % sur six mois) en estimant la LRMES.
– Quel est le besoin de fonds propres d’un établissement financier en
situation de crise (soit k × [dette + (1 – LRMES) × Ve]) ?
La réponse s’obtient simplement en multipliant le ratio prudentiel k
par la somme du montant comptable de la dette (« dette ») et de la valeur
de marché des fonds propres « stressés » (soit (1 – LRMES) × Ve).
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– Quel est le montant de capitaux propres additionnels qui serait
nécessaire à l’établissement pour faire face à une situation de crise (soit
k × [dette + (1 – LRMES) × Ve] – (1 – LRMES) × Ve)?
Si le SRISK est supérieur à 0, il convient de procéder ex ante à une
augmentation de capital pour atteindre la valeur proposée par le mo-
dèle. Si le SRISK est égal à 0, l’établissement est alors suffisamment
capitalisé.
Trois facteurs influencent le SRISK : la taille, le levier financier (en
valeur de marché pour les fonds propres et considérant le montant
comptable de la dette) et la baisse relative de l’action par rapport au
marché durant une crise boursière. Toutes choses égales par ailleurs, un
accroissement de la taille ou du levier ou encore une baisse significative
du cours de Bourse accroissent ex ante le besoin de capitaux propres
supplémentaires4. Acharya et al. (2013) indiquent que les stress tests
développés dans le cadre de Bâle seraient insuffisants car ils ne per-
mettraient pas ex ante d’appréhender l’accroissement du risque et parce
que les banques pourraient contourner le dispositif en place, sous-
évaluer leurs encours moyens pondérés et réduire leur besoin de capital
réglementaire.
LE FACTEUR K N’EST PAS DÉFINI
PAR UNE ANALYSE ÉCONOMIQUE
Nous allons expliquer que le facteur kn’est pas défini par une analyse
économique, mais est déterminé de manière ad hoc, sans « arrimage »
théorique ou empirique. En simulant différentes valeurs de k, nous
montrons ensuite l’importance de ce ratio prudentiel dans le calcul du
SRISK. Nous concluons sur le fait que l’absence de définition écono-
mique du ratio prudentiel kest une faiblesse majeure du modèle.
Qu’est-ce que le ratio prudentiel k ?
Dans le SRISK, kest défini par les auteurs comme un ratio pru-
dentiel (Acharya et al., 2012 et 2013 ; Engle et al., 2013). Les auteurs
le fixentà8%pour les banques américaines et à 5,5 % pour les banques
européennes du fait d’un écart structurel de taille de bilan. Plus pré-
cisément, ils indiquent que les US GAAP (United States generally
accepted accounting principles) autorisent les banques américaines à
comptabiliser les dérivés sur une base nette contrairement aux IFRS
(international financial reporting standards) qui, dans la plupart des cas,
ne le permettent pas (d’où une taille plus faible des bilans des banques
américaines, toutes choses égales par ailleurs). Engle et al. (2013)
précisent que l’actif des banques européennes serait ainsi entre 40 % et
60 % plus élevé que celui des banques américaines. Cela justifie une
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valeur de kcomprise entre 5,8 % et 5,2 % pour les banques européen-
nes, considérant une valeur de 8 % pour les banques américaines.
Notons tout d’abord que l’écart de taille entre banques américaines
et banques européennes évoqué par les auteurs n’est qu’une appro-
ximation. À titre d’exemple, le total du bilan de JP Morgan s’éta-
blissait en 2010 à 2 032 Md$ en US GAAP et à 3 517 Md$ en IFRS
(différence de 73 %). À la même date, celui de Deutsche Bank était
évalué à 891 MdAen US GAAP et à 1 501 MdAen IFRS (différence
de 68 %) (Barnes et al., 2010). Ainsi, si l’on devait retenir ces
différences respectives de 73 % et de 68 % entre US GAAP et IFRS,
le ratio kdevant être appliqué aux banques européennes serait alors
égal à 4,8 % et à 4,9 %. Cet écart n’est pas anodin puisque le choix
de ka une influence considérable sur le SRISK, comme nous le
verrons plus loin.
Mais l’écueil principal n’est pas là. Plus fondamentalement, on peut
s’interroger sur le sens et la justification de ce ratio prudentiel kde 8 %
pour les États-Unis et de 5,5 % pour l’Europe. Les auteurs emploient
le terme « prudentiel », mais leur ratio s’apparente à un ratio de levier
sans pondération des actifs. kn’a cependant aucun point commun avec
le ratio de levier défini par le Comité de Bâle III dont le seuil est
aujourd’hui fixéà3%àl’horizon de 2018. Dans le cadre prudentiel,
établir un ratio de levier de 3 % (ou un ratio de solvabilité à partir des
risques pondérés) revient à définir la perte maximale qu’un établisse-
ment peut supporter et à s’assurer que ses fonds propres prudentiels
sont suffisants pour faire face. Dans le cas du SRISK, le raisonnement
est tout autre parce que les fonds propres ne sont pas « prudentiels »,
mais exprimés en valeur de marché. Comme nous le verrons infra,la
valeur de marché des fonds propres est fondée sur l’actualisation des
cash flows futurs et est soumise à de fortes variations liées aux aléas du
marché. Le cours de Bourse peut baisser de manière significative sans
remettre en cause la viabilité d’une institution financière.
En définissant un ratio prudentiel de 5,5 % pour les banques
européennes (et de 8 % pour les banques américaines), les auteurs du
SRISK « décrètent » une valeur pour kqui doit s’imposer à l’ensemble
des établissements financiers. Dans le modèle, le ratio kest une variable
définie de manière ad hoc sans « arrimage » théorique ou empirique.
Cela limite considérablement la capacité du SRISK à constituer une
alternative au cadre prudentiel et la portée des conclusions que l’on
peut tirer de la mise en œuvre du modèle. Le SRISK utilise le terme de
« ratio prudentiel » pour définir k, ce qui pourrait laisser croire qu’un
lien direct peut être établi avec le cadre standard de la régulation, mais
ce n’est pas le cas. À ce stade de développement du SRISK, la définition
précise de kreste à construire.
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