Téléchargez l'intégralité des supports du programme technique du congrès 2007 sur www.experts-comptables.org/62/ De l'0rdre des Experts-Comptables Europe & Entreprises Opportunités pour l'Expert-Comptable EDITORIAL Délocalisations des activités comptables, bien réfléchir avant d’agir Même si la profession vise un haut niveau de qualité de ses prestations, les cabinets d'expertise comptable doivent optimiser leurs coûts de production pour le traitement comptable. Il existe pour cela plusieurs solutions : délocaliser à l'extérieur de la France [on est alors tenté d'utiliser le terme délocalisation], mutualiser les activités entre plusieurs cabinets pour abaisser les coûts, refondre les processus internes de traitement comptable ou pourquoi pas relocaliser les activités comptables en France mais dans des zones géographiques où le coût de la main d'oeuvre est plus faible [zones franches par exemple ou zones rurales]. Les entreprises cherchent également à externaliser leur fonction comptable pour abaisser leurs coûts de revient pour tout ou partie des processus comptables et financiers. L'opérateur le mieux à même de répondre à cette attente est l'expert-comptable. L'externalisation comptable est déjà une réalité pour les TPE : l'enjeu actuel est la conquête des PME, un marché à conquérir. Toutefois sur le chemin, il y a les SSII ou certains grands opérateurs, concurrents des EC pour le middle market et les grands comptes. Histoire de compliquer la lecture du jeu, il est possible qu'à moyen terme des groupes d'entreprises ayant des fonctions comptables centralisées dans des centrales ou groupements, s'aperçoivent qu'ils peuvent aussi vendre leurs services comptables à d'autres entreprises. De plus en plus, le rôle des entreprises est d'assembler des modules et processus en optimisant la création de valeur. Les cabinets d'expertise comptable peuvent aussi avoir cette même problématique d'assembleur de compétences internes et externes à moyen terme. De toutes les manières la tendance à la concentration de tous les secteurs d'activités, va amener la profession à revoir sa copie en matière de production et de savoir comment les cabinets vont pouvoir générer de la valeur dans le futur. A ce jour, la délocalisation reste encore un phénomène peu répandu pour le secteur des activités comptables aussi bien côté cabinet que parmi les entreprises. Les expériences sont très limitées et les acteurs sont dans une phase d’observation. Toutefois, cela doit nous inciter à entamer une réflexion globale sur de nouvelles modalités des process de traitement comptable en tirant parti des technologies, avec peut-être des solutions collaboratives en réseaux [par exemple des hubs avec d’autres cabinets d’expertise comptable] tout en respectant les normes de qualité de la profession comptable. En 2007, des gisements de gains de productivité sont accessibles immédiatement dès lors que l’on remet en cause nos process de travail habituels, sans avoir besoin de délocaliser. Au-delà d’un horizon de 3 à 5 ans, il est possible que ce constat change, en fonction de la vitesse de propagation de l’innovation dans les entreprises et dans ce cas, la délocalisation sera peut-être à nouveau à l’ordre du jour avec de nouveaux arguments. Thierry Lorot Président de la Commission développement des cabinets et des pratiques innovantes du CSOEC AVERTISSEMENT Ce Livre blanc résulte d'une enquête d'investigation menée par Robert Mauss afin d'identifier les expériences et visions de quelques acteurs. Nous avons voulu faire cette radiographie 2007 loin de tout dogme ou toute polémique afin que chacun puisse se faire son propre jugement sur ce phénomène. Les propos recueillis sont placés sous la responsabilité des différents auteurs interviewés. Ce document est né de la volonté de Jean-Pierre Alix, président du CSOEC, d'éclairer la profession sur les impacts et opportunités potentielles de ce phénomène. La conduite de ce projet a été confiée à Thierry Lorot, président de la commission développement des cabinets et des pratiques innovantes au CSOEC. L'architecture pédagogique du livre blanc a été élaborée par René Duringer, directeur de la prospective et du congrès au CSOEC. Bérengère Bézier, chargée de mission congrès & prospective a coordonné et complété la matière rédactionnelle en s'assurant de son intelligibilité. En l'état actuel ce document de réflexion ne peut traduire une position du CSOEC. Ce document résulte de travaux arrêtés fin juillet 2007. Sommaire Avant-Propos 2 Facteurs clés de succès d’une opération de délocalisation d’activités comptables / Sondage flash 3 I - La délocalisation dans tous ses états 4 1/ Les champs multiples d’une définition 4 2/ Quelles entreprises pour quelles délocalisations de services Techniques des délocalisations Qui délocalise ? Potentiel de délocalisation dans les services opérables à distance Les services délocalisables Catégories de fonctions externalisées par les entreprises Top Ten des fonctions externalisées La menace pour l’emploi 5 5 5 6 6 6 6 7 3/ Centres d’appels : le grand départ Huit mille postes délocalisés Délocalisations : aux Etats-Unis, même les informaticiens flippent 7 7 7 4/ “Il n’y a aucune fatalité aux délocalisations” 8 5/ “L’offshore est une nécessité” 9 6/ Les services informatiques, précurseurs des délocalisations de services Délocalisations : les estimations du Syntec Informatique Offshore : quelques données clés II - Regards 10 11 11 12 1/ ”Depuis septembre 2005, je propose des missions de tenue comptable externalisée et de participation aux travaux de clôture” 12 2/ Délocalisation : la prudence s’impose 13 3/ Un cabinet qui procède à l’externalisation interne 13 4/ “L’externalisation est une réponse à la pénurie de personnel.” 14 5/ Cap sur la Roumanie 14 6/ “Nous sommes capables d’assurer l’ensemble des prestations qui entrent dans le domaine de l’expertise comptable” 15 7/ “La délocalisation a répondu à un besoin précis” 16 8/ Les charmes de la grande île de l’Océan Indien 17 9/ “Pour parvenir à un résultat efficient, il faut non seulement délocaliser un grand nombre de dossiers, mais pas uniquement sur la tenue comptable…” 17 10/ Les délocalisations des cabinets ne sont plus un fantasme, mais pas encore une réalité et encore moins une menace 18 III - Focus sur les travaux du Congrès du 60e Congrès “Et si on parlait de comptabilité ?” - Paris 2005 20 Focus 1/ Atelier de la Profession/La délocalisation : Enjeux, risques et perspectives 20 Focus 2 / La délocalisation va-t-elle séduire les experts-comptables ? 21 Focus 3/ Délocalisations des industries en Europe : la course déflationniste en marche 22 ANNEXES 26 Annexe 1/ Bibliographie 26 Annexe 2/ Questionnaire de l’enquête sur les délocalisations des activités comptables des cabinets d’expertise comptable en Europe auprès de la profession - Avril 2007 27 AVANT-PROPOS Les grands mouvements de développement économique ont toujours été liés aux progrès des techniques de transport. Les Caravelles de Christophe Colomb profitent de leur haut bord et de leur grand-voile carrée pour traverser l’Atlantique. Les Grandes Découvertes sont à l’origine du fabuleux développement économique de l’Europe. L’invention de la machine à vapeur, avec la création des chemins de fer et des bateaux à vapeur, porte littéralement la Révolution Industrielle au XIXe siècle. L’arrivée de l’électricité, fondement du télégraphe et du téléphone raccourcit encore les distances. La radio, le cinéma et la télévision participent également à ce mouvement de village planétaire. L’aviation moderne réduit encore les distances. Aujourd’hui, c’est Internet qui les abolit. Le développement d’Internet est l’un des plus prodigieux de l’histoire de l’Humanité. Il n’y a pas une invention qui ait connu un développement aussi phénoménal. En 1996, on dénombrait quelques happy fews à disposer d’une adresse électronique Aujourd’hui, la moitié des ménages français est équipée d’un ordinateur relié à une connexion à haut débit. Les études dénombrent 1,2 milliard d’Internautes dans le monde. Ce n’est pas en vain que l’on parle de réseau des réseaux… Naissance de l’économie dématérialisée Les Technologies de l’Information et de la Communication réunissent trois grands types d’outils : les instruments de télécommunication, les serveurs informatiques qui permettent de collecter et archiver l’information et les systèmes dits télématiques qui sont positionnés entre les serveurs informatiques. La montée en puissance de ces techniques est littéralement exponentielle. Plus moyen de se plaindre de la lenteur de communication. Il suffit de quelques secondes pour transférer des contrats, des documents, des fichiers toujours plus volumineux. Cette rapidité et cette efficacité du média permettent de revoir les méthodes de travail, c’est l’économie dématérialisée. Les grands groupes ont organisé des groupes de travail autour de systèmes de messagerie et d’applications dites de travail collaboratif. Les entreprises peuvent ainsi s’affranchir des distances et des horaires pour regrouper leurs meilleures compétences autour d’un projet. La création de places de marché virtuelles a favorisé l’externalisation des projets en structurant de manière nouvelle les relations entre un donneur d’ordre et ses fournisseurs. Les entreprises ont ainsi pris l’habitude des mises en concurrence systématiques. Les Acheteurs sont devenus des personnages redoutés. Et surtout, les chefs d’entreprise ont pris l’habitude de regarder systématiquement au-delà de leurs frontières ou de leurs zones de chalandise, les TIC abolissent les frontières. Elles font quasiment disparaître les coûts de communication et les technologies suppriment souvent les besoins de déplacement. Les TIC permettent de mettre en concurrence des prestataires éloignés avec leurs propres ressources. Elles font aussi quasiment disparaître les coûts de transaction. Le chef d’entreprise peut alors se livrer aux joies du benchmarking qui permet de comparer sa compétitivité, étape par étape de production, usine par usine, service par service. Et mettre en compétition ses propres ressources avec celles que le marché lui propose. Progressivement, nous voyons se dessiner sous nos yeux une entreprise qui privilégie la coordination entre partenaires au détriment de son mode d’organisation militaire traditionnelle. Voilà pourquoi, les Technologies de l’Information et de la Communication, nous font passer de l’ère de la sous-traitance à celle de l’externalisation et des délocalisations. 2 Regards croisés sur la délocalisation des activités comptables Les délocalisations, une menace pour l’expert-comptable ? Les cabinets d’expertise comptable peuvent-ils échapper au phénomène ? Oui, dans une large mesure. L’expertcomptable délivre d’abord un conseil de proximité. Il est souvent l’homme de confiance du chef d’entreprise. A ce titre, l’expert-comptable est difficilement délocalisable. Mais progressivement, il voit poindre des menaces nouvelles. Son statut monopolistique est réellement menacé. Les banques ou les sociétés de services en informatiques louchent dangereusement sur ses activités. L’expert-comptable est donc contraint au minimum à un effort de réflexion sur ses activités, ses missions, les services rendus à ses clients et les attentes à venir de ces mêmes clients. A ce titre, l’externalisation en France ou ailleurs, d’une partie de ses tâches, apparaît comme une solution possible. Nous rencontrerons au fil des pages de ce livret des confrères qui ont choisi cette méthode pour des raisons souvent différentes. Nous en rencontrerons d’autres qui, après avoir poussé la réflexion assez loin, ont préféré renoncer à cette tentation. Aujourd’hui, les délocalisations ne concernent qu’une poignée de cabinets. L’offre existe, mais elle est émiettée et encore peu significative. Les prestataires affirment vouloir se concentrer sur une partie seulement des missions actuelles de l’expert-comptable. Ils prétendent le décharger de ses tâches les plus ingrates afin qu’il puisse se concentrer sur le conseil aux entreprises, la partie noble du métier. Le discours est attrayant, mais l’expert-comptable ne doit pas oublier que d’autres l’ont entendu avant lui, avec les résultats que l’on connaît. Facteurs clés de succès d’une opération de délocalisation d’activités comptables Sondage flash 1. Coût de la main d’œuvre locale 2. Infrastructures technologiques du pays d’accueil 3. Compétences comptables du personnel local [tenue, révision] 4. Volume d’écritures à traiter 5. Sécurité politique + climat social du pays d’accueil 6. Professionnalisme, productivité, organisation du management ou comportement du personnel local 7. Maîtrise de technologies avancées pour le cabinet qui va externaliser 8. Référentiel comptable local et notamment proximité par rapport au système comptable français 9. Acceptation des collaborateurs français 10. Capacité des collaborateurs français à réaliser d'autres missions 11. Maîtrise de la langue française du personnel local 12. Facilité d’accès par les transports du pays d’accueil 13. Viabilité du nouveau modèle économique basé sur de nouvelles missions 14. Niveau d’éducation du pays d’accueil 15. Eloignement géographique [par rapport à la France] 16. Capacité du cabinet qui externalise à piloter la qualité des prestations rendues Source : sondage flash avril 2007 auprès d’un mini panel d’experts-comptables Questionnaire en annexe 2 Regards croisés sur la délocalisation des activités comptables 3 I LA DÉLOCALISATION DANS TOUS SES ÉTATS 1/ Les champs multiples d’une définition Derrière le vocable générique de délocalisation, il existe de nombreuses situations. Une entreprise peut être tentée de se séparer d’une partie de ses activités, mais elle peut aussi vouloir les externaliser, les sous-traiter, les partager, les déplacer ou les superviser. Chacune de ces actions recouvre une stratégie adaptée à des circonstances différentes. Dans certains cas, l’entreprise désire faire briller son cours de bourse. Mais, elle peut vouloir aussi confier une activité à des spécialistes plus compétents, conquérir des parts de marché à l’exportation ou gagner en souplesse dans son mode de fonctionnement. Délocalisation, externalisation, offshore, nearshore, sous-traitance, infogérance… petite revue lexicale. Délocalisation Transfert en bloc d’activités existantes du territoire national vers le territoire d’un autre pays [Sénateur Jean Arthuis - Rapport sur les délocalisations]. Le Syntec définit par offshore, ou délocalisation les travaux vendus et facturés en France par des centres implantés à l’étranger. Les six grands types de délocalisation [Source El Mouhoub Mouhoud “Mondialisation et délocalisation des entreprises” La Découverte 2006]. Délocalisation défensive : Afin de se défendre contre une concurrence toujours plus vive, l’entreprise est contrainte de rétablir sa compétitivité par le transfert à l’étranger de ses centres de production, et maintient sur le territoire d’origine les activités de recherche et développement, le marketing, les bureaux de style. Externalisation Transfert répété ou continu de la gestion d’une activité vers un prestataire extérieur. Les principaux motifs d’une externalisation Moins cher qu’en interne Production Distribution/logistique/ transport Informatique/ télécommunications Ressources humaines Administration et finances Services généraux Meilleure Stratégie Flexibilité qualité d’orgaet qu’en nisation souplesse interne +++ + ++ + +++ + + ++ ++ + ++ ++ ++ +++ ++ ++ + ++ ++ ++ + ++ + ++ Importance des critères pour l’externalisation : +++ 40 % et plus, ++ de 20 à 39 %, + moins de 20 %. Source Ernst & Young “Baromètre Outsourcing 2005” Externalisation offshore : Qualificatif savant pour délocalisation. Externalisation nearshore : Délocalisation vers un pays proche. Les entreprises françaises considèrent comme nearshore, les pays d’Europe et du Maghreb. Délocalisation d’accompagnement : Les fournisseurs délocalisent en masse pour se contraindre aux obligations de leur donneur d’ordre. Externalisation à valeur ajoutée : Cette méthode consiste à rémunérer le prestataire selon le chiffre d’affaires que l’activité va générer. Par exemple, l’entreprise A confie à B le soin de mettre au point un produit. A se charge de la distribution et rétribuera B en fonction des résultats des ventes. Délocalisation avec comportement de marge : Les entreprises délocalisent sans répercuter sur leurs prix la baisse des coûts de production. Coexternalisation : Variante de la précédente. Le prestataire est rémunéré en fonction des résultats de la première. Délocalisation d’efficience et de rentabilité : Délocalisation de parties d’activités non compétitives afin de se renforcer sur son propre marché. Externalisation avec prise de participation : En échange d’une délégation d’activité de l’entreprise A vers l’entreprise B, A prend une participation au capital de B. Délocalisation de recentrage sur son métier de base : Délimitation des frontières et recentrage sur les compétences de base dans une logique de dynamique d’innovation et d’apprentissage. Délocalisation itinérante : Délocalisation successive en fonction des hausses des coûts salariaux et de production. Externalisation à choix multiple : Afin de ne pas dépendre d’un prestataire unique, une entreprise va répartir l’activité dont elle se sépare entre plusieurs fournisseurs. C’est souvent le cas dans les transferts d’activités liées à l’informatique ou aux télécommunications. Inconvénient, la méthode fait grimper les coûts de gestion. IDE ou Investissements Directs à l’Etranger Selon une étude du MEDEF, 39 % des PME ont déjà réalisé un investissement à l'étranger. La moitié des entreprises déjà implantées hors de nos frontières ont un nouveau projet d'investissement à l'étranger. La motivation de ces projets est la croissance sur de nouveaux marchés pour 73 % des cas et la délocalisation de la production pour 20 % 4 Regards croisés sur la délocalisation des activités comptables La délocalisation dans tous ses états Autres qualificatifs Downsizing Opération qui vise à améliore la productivité et la compétitivité d’une entreprise par la réduction de ses effectifs. Contrairement à l’externalisation, il n’y aura pas de transfert de personnel vers un prestataire, mais une séparation pure et simple avec une partie des employés. Filialisation Transformation d’un département en entreprise à part entière. A cours des années 1980 et 1990, de nombreux grands groupes ont ainsi filialisé leur département informatique. Infogérance Prise en charge contractuelle de tout ou partie de la gestion d'un système d'information d'un organisme par un prestataire extérieur. [Commission ministérielle de terminologie informatique]. Outsourcing Procédure consistant à confier à un fournisseur une partie complète de ses activités. Les informaticiens parlent aussi de BPO ou Business Process Outsourcing. Sous-traitance Opération par laquelle une entreprise confie à une autre le soin d’exécuter pour son compte et selon un cahier des charges des missions de production ou de services dont elle conserve la responsabilité économique finale. [Conseil Economique et Social]. TMA ou Tierce maintenance applicative Mission confiée à un prestataire extérieur [le tiers] de maintenir en état de fonctionnement une application informatique. Le prestataire supervise la sécurité, il corrige les erreurs, et améliore le fonctionnement en fonction de l’avancée de l’état de l’art. 2/ Quelles entreprises pour quelles délocalisations de services On a longtemps pensé que le mouvement de délocalisation concernait essentiellement le secteur manufacturier, avant de constater que les services étaient eux aussi externalisables à l’étranger. Comme pour les usines, les entreprises qui délocalisent dans le secteur des services, le font d’abord pour profiter dune main d’œuvre de qualité à moindre coût. Mais elles sont également animées par d’autres motivations comme le besoin de contourner les rigidités de notre législation sociale. Elles peuvent aussi vouloir s’implanter sur des marchés émergents riches d’opportunités. Par ailleurs, il ne s’agit plus seulement de transférer des activités à faible valeur ajoutée comme les centres d’appels téléphoniques. Les délocalisations menacent tous les secteurs, y compris ceux de la haute technologie. Si l’on excepte les purs services de proximité [services à la personne, restauration, réparation…] il n’y a pas un pan de l’activité qui ne soit menacé. Entre la montée en gamme des activités et la diversité des motivations, les salariés ont parfaitement le droit de se sentir menacés. N’oublions pas que le secteur tertiaire représente les deux tiers de l’emploi privé. Techniques des délocalisations Il existe plusieurs formes de délocalisation. La presse [et c’est bien normal] braque ses projecteurs sur les plus spectaculaires, ceux qui entraînent la fermeture pure et simple de sites entiers avec transfert complet de l’activité vers un pays étranger. Il arrive même parfois que l’entreprise propose à ses employés de rejoindre le site délocalisé, aux conditions légales et salariales locales. Ces délocalisations se traduisent par une perte nette d’emplois, immédiatement quantifiable. Pourtant, il s’agit d’une goutte d’eau dans la mer. L’institut Katalyse, auteur pour la Commission des Finances du Sénat d’un rapport sur les délocalisations de services, estime que pour un emploi perdu par un transfert brutal d’activité, il faut en compter cinq pour des décisions nettement moins spectaculaires dites de délocalisation diffuse ou de non localisation. Dans le premier cas, une entreprise regroupe à l’étranger une activité jusque là répartie sur plusieurs sites de son territoire national. Il n’y pas de fermetures à grande échelle, ni de La délocalisation dans tous ses états mouvements sociaux. Mais il y a bien des pertes d’emplois. Axa envisage ainsi de regrouper d’ici à 2012 sur ses plates-formes de Chine, d’Inde et du Maroc quelques 70 000 personnes. L’assureur reconnaît que ces postes remplaceront des emplois en Europe et en Amérique du Nord. Axa compte déjà 2 200 employés en Inde. Et pour compenser le départ en retraite d’ici 2012 de 4 500 employés, Axa compte recruter 1 500 personnes en France et autant de Marocains qui auront pour mission de placer par téléphone des contrats d’assurance simples aux consommateurs français. Alcatel a ainsi ouvert des sites de recherche et développement en Chine. Des pans entiers de l’activité informatique bancaire mondiale sont maintenant regroupés en Inde. D’après l’association indienne des sociétés de services en informatique, 8 % des transactions bancaires américaines sont gérés depuis l’Inde, avec une perspective de 30 % en 2010. Enfin, une “non localisation” fait qu’une entreprise choisit tel pays plutôt que tel autre pour implanter un site ou un siège. Pas de licenciements secs, mais un immense manque à gagner. Ainsi, on estime que 8 000 positions de centres d’appels ont été délocalisées, alors que les call centers marocains emploient 22 000 personnes à eux seuls. En 2005, Saint-Gobain a fait de Shanghai son quatrième pôle de recherche, en plus de ses deux centres français et de son unité américaine. Bien sûr, l’expansion prodigieuse de l’économie chinoise justifie de tels investissements, mais c’est autant de débouchés qui se ferment aux étudiants français. Qui délocalise ? Les premières entreprises qui réfléchissent à un éloignement de leurs activités sont celles qui ont le moins à voir avec leur ancrage territorial. Notre expert, l’économiste Jean-Louis Levet rappelle d’ailleurs que plus les liens sont étroits entre une entreprise et son terroir, moins l’entreprise aura la volonté de déplacer ses activités. L’institut Katalyse, dans un rapport réalisé pour la Commission des Finances du Sénat, constate que la dépendance des entreprises du secteur “eau” envers les collectivités locales, les incite à maintenir en France des services pourtant externalisables à l’étranger comme les services généraux. Regards croisés sur la délocalisation des activités comptables 5 La taille de l’entreprise, son organisation historique constituent un second facteur favorable à une délocalisation. Ainsi, une société trouvera rationnel de fusionner au sein d’une même entité des activités ou des services jusque là éclatés entre diverses filiales. A noter que dans certains cas, la délocalisation peut être favorable à l’économie nationale. Le pétrolier Total a ainsi rapatrié en France ses fonctions de support mondial. Plus une entreprise est importante, plus elle compte de filiales, plus le volume de ses tâches administratives augmente, plus elle trouvera naturel de regrouper certains services au sein d’un centre dédié. D’après l’étude Katalyse conduite pour le Sénat, sur 39 000 emplois “susceptibles d’être délocalisés en 2006”, 79 % seront initiés par des entreprises de plus de 500 personnes, alors qu’elles ne représentent que 35 % des emplois de services. Bien entendu, la taille de l’entreprise n’explique pas tout. On constate que des PME du secteur des technologies n’hésitent absolument pas à sous-traiter et même à créer des implantations à l’étranger, même très petites. Comme le souligne Katalyse “les paramètres de taille et de rayon d’action doivent donc être pondérés à la fois par le facteur culturel propre à chaque entreprise, lui-même dépendant dans une certaine mesure du secteur d’activité de l’entreprise concernée et de la nature même des métiers de services concernés par la délocalisation.” Potentiel de délocalisation dans les services opérables à distance. Selon l’étude conduite par Katalyse pour le compte du Sénat, la taille de l’entreprise pondère ces tendances. Dans un grand groupe, aucun service, aucune activité, ne peut se sentir à l’abri d’une délocalisation. PME Gestion transactionnelle et systèmes d’information Recherche et Développement Gestion de la Relation Client Front Office + Moyenne Entreprise ++ Grande Entreprise ++ + o o + + + ++ ++ ++ ++ potentiel très important + potentiel important o potentiel faible Les services délocalisables Les délocalisations de services deviennent courantes quand l’ancrage territorial de l’entreprise n’a rien d’assuré, que ces activités sont banales et répétitives et que par une informatique bien conçue, ces activités peuvent être réalisées à distance sans effets apparents. C’est le cas des systèmes d’information ou de gestion transactionnelle. Les départements de Recherche et Développement figurent également parmi les services à “haut potentiel” de délocalisation. Le développement des technologies de communication et la montée prodigieuse du savoir dans des pays comme la Chine ou l’Inde sont les deux facteurs clés pour de tels mouvements. La Société Générale a ainsi ouvert à Bangalore, la Silicon Valley indienne, SG Software une filiale de 350 personnes avec comme objet d’en faire un centre d’excellence en matière d’informatique et de développement. Les activités de services qui [aujourd’hui] apparaissent comme peu délocalisables sont étroitement liées à la proximité avec le client. Manuel Jacquinet, directeur de Colorado, spécialiste des 6 Regards croisés sur la délocalisation des activités comptables opérations téléphoniques nous rappelle ainsi que les centres d’appels emploient 280 000 personnes en France pour moins d’une dizaine de milliers de positions délocalisées essentiellement au Maghreb. Selon le cabinet Accenture, le secteur du crédit à la consommation est aujourd’hui mûr pour être délocalisé. Les organismes de ce secteur envisagent de regrouper au Maroc ou en Roumanie les plateaux de recouvrement de créances et de scoring. Une telle opération devrait engendrer des économies salariales de l’ordre de 30 %. Pour l’instant, la proximité est considérée comme un enjeu stratégique que l’on hésite à externaliser à l’étranger. C’est le cas des activités de Gestion de la Relation Clients et des services de Front Office, qui en plus sont considérés comme partie prenante du cœur de l’activité de l’entreprise. En scrutant les entreprises qui ont procédé à la délocalisation d’une partie de leurs activités, Katalyse constate que “l’essentiel des mouvements de transfert observés provient du secteur services aux entreprises”. Autrement dit, la nature même du métier explique la délocalisation. Un call center ou la gestion d’un service informatique peuvent passer les frontières d’autant mieux qu’il s’agit d’activités qui ont déjà quitté le giron de l’entreprise. Dans certains cas, les observateurs soulignent que l’opération de délocalisation succède à l’externalisation d’un service vers une autre entreprise française. Afin de ne pas perdre son client en répondant à ses exigences financières, le prestataire implantera le service qu’il gère dans un pays à moindre coût salarial. Catégories de fonctions externalisées par les entreprises Les résultats du tableau concernent des services externalisés essentiellement en France. Le mérite de ce tableau est d’indiquer les fonctions qui sont le plus menacées par une délocalisation pure et simple. Les services généraux La distribution, la logistique et le transport L‘informatique et les télécommunications Les ressources humaines La production L‘administration et les finances La vente, le marketing et la communication 2003 86 % 78 % 77 % 72 % 55 % 55 % 26 % 2005 95 % 83 % 73 % 72 % 62 % 62 % 28 % Source Ernst & Young “Baromètre Outsourcing 2005” Top Ten des fonctions externalisées Restauration Transport Flotte automobile Maintenance applicative Stockage et entreposage Gestion de la paye Logistique Gestion des réseaux et serveurs Gestion des documents Formation Téléservices, accueil et secrétariat 2003 66 % 63 % 53 % 59 % 31 % 48 % 39 % 33 % 42 % 34 % 28 % 2005 74 % 57 % 61 % 57 % 50 % 49 % 45 % 45 % 41 % 41 % 40 % Source Ernst & Young “Baromètre Outsourcing 2005” La délocalisation dans tous ses états La menace pour l’emploi Il est difficile de comptabiliser précisément le nombre d’emplois détruits ou menacés par les délocalisations. En effet, les délocalisations directes sont facilement comptabilisables, contrairement aux emplois perdus à la suite d’une décision de non localisation. Les instituts estiment que pour un emploi disparu à la suite d’un transfert d’activité à l‘étranger, il faut en compter cinq dans le second cas. Katalyse estime ainsi à 39 000 le nombre d’emplois perdus par l’économie nationale en 2006, 8 000 à la suite de délocalisations directes et 31 000 par une non localisation. Ramené à une population active de 28 millions de personnes, on se place à la marge. Mais, les chiffres montent. Katalyse prévoit la perte de 202 000 emplois de services sur la période 2006-2010, soit sur cinq ans “22 % de la création nette de l’emploi salarié sur les cinq années de la période 1993-2003”. Les prestataires en externalisation [ingénierie, centres d’appels…] représentent 45 % des emplois qui seront délocalisés jusqu’en 2010. Les postes d’informaticiens ou de chercheurs perdus s’élèvent à 57 000, dont 52 000 non localisés. Même par rapport aux 13,8 millions de personnes du secteur tertiaire, il s’agit encore d’une goutte d’eau. Mais, il convient de prendre en compte les effets induits par ces pertes d’emploi. 202 000 c’est l’équivalent de la population d’une ville comme Montpellier C’est autant de personnes qui consommeront moins, qui verront leur période de chômage encore prolongée ou de cadres qui devront se satisfaire d’emplois peu satisfaisants. Et surtout, la tendance est là. Pour beaucoup les départs massifs en retraite des baby-boomers donneront le signal d’un mouvement de délocalisation de services autrement plus massif. 3/ Centres d’appels : le grand départ S’il existe un service qui pratique depuis longtemps l’externalisation, c’est bien l’activité téléphonique. A la fin des années 1980, quand les entreprises ont voulu “se recentrer sur leur cœur de métier”, elles ont commencé par sous-traiter leur standard téléphonique à des fournisseurs spécialisés. L’activité a pris de l’ampleur en bénéficiant largement des progrès des technologies. Les centres ont été déplacés selon les intérêts des entreprises. “On dénombre plus de 2 500 centres d’appels en France qui emploient 280 000 personnes” affirme Manuel Jacquinet, directeur associé de Colorado, l’une des principales sociétés de conseil pour les centres d’appels. Et malgré sa jeunesse, la profession s’est bien structurée. Il existe aujourd’hui plusieurs formations comme Accueil Conseil et Vente à Distance dispensées dans certains lycées professionnels [diplôme de niveau IV], des licences professionnelles Métiers des Télé-Services, Management des Centres d’Appels ou Superviseurs en Centres d’Appels. Ces cursus sont ouverts justifiant d’un diplôme type DEUG ou BTS. Et certaines écoles supérieures de commerce proposent à leurs étudiants un Mastère Spécialiste en Management de la Relation Client. Huit mille postes délocalisés Ces efforts sont le prix à payer pour maintenir l’emploi dans l’Hexagone. Car le phénomène que tout un chacun se plait à souligner c’est bien le développement des délocalisations. “Pour l’instant, rappelle Manuel Jacquinet, on estime à 8 000 le nombre de positions externalisées à l’étranger, mais ce nombre augmente de 50 % par an”. Le mouvement a démarré en 2000 avec l’installation d’une filiale de SR. Téléperformance en Tunisie et de Phone Assistance au Maroc. Aujourd’hui, les principales destinations sont toujours le Maroc et la Tunisie, talonnés par l’île Maurice, le Sénégal, Madagascar et la Roumanie. Bien entendu, les donneurs d’ordre veulent profiter de tarifs très attractifs. Selon Colorado, un centre français facture 28 euros une heure d’appel en B to B, 25 euros en B to C, contre 15 euros en moyenne pour un plateau au Maroc. Ajoutons que pour un jeune Marocain ou Sénégalais, un emploi dans un centre d’appel constitue une véritable opportunité professionnelle. Le prix ne fait pas tout. Les délocalisations permettent d’élargir les plages horaires de travail. Manuel Jacquinet souligne l’effet pervers de la Réduction du Temps de Travail : “alors que les entreprises La délocalisation dans tous ses états ont besoin de répondre sans discontinuer à leurs clients entre 8h du matin et 20h le soir, ces lois ont créé de véritables goulots d’étranglement, alors que la tendance historique est à l’amélioration de la disponibilité.” En délocalisant leurs centres d’appels, les entreprises peuvent imaginer des plateaux ouverts sept jours par semaine, et 24 heures par jour. Il s’agit d’un argument fort pour les activités de support informatique, ou pour les Fournisseurs d’Accès à Internet dédiés au monde professionnel. Et puis, comme le reconnaît Manuel Jacquinet, les personnels étrangers sont de mieux en mieux formés. Le patron de Colorado sait de quoi il parle. Son entreprise intervient partout dans le monde, jusqu’en Australie et au Pakistan pour des missions d’optimisation pour le compte d’opérateurs de télécommunication. La délocalisation d’un plateau téléphonique peut-elle se heurter à des freins linguistiques ou culturels ? La réponse de Manuel Jacquinet est sans nuance : “Non, je ne vois aucune mission qui ne puisse pas être traitée depuis l’étranger.” Pays Loyer €/m2/an Salaire mensuel moyen d’un téléconseiller Durée de travail hebdomadaire 200 100 150 15 NC NC 380 450 350 250 450 100 40 48 48 NC ND ND Roumanie Tunisie Maroc Sénégal Ile-Maurice Madagascar Source Colorado Délocalisations : aux Etats-Unis, même les informaticiens flippent Tout le monde se souvient de Michaël Moore piégeant Phil Knight, le patron de Nika qui jurait mordicus que les Américains ne voulaient pas travailler dans une usine de chaussures [“The Big One” 1997]. Mais même la high-tech est menacée… De manière moins humoristique, l’IEEE-USA tire le signal d’alarme. John Steadman, le président du syndicat des ingénieurs informaticiens américains a pu exposer son inquiétude sur le phénomène au cours d’une rencontre organisée par l’Atelier BNP-Paribas en 2004. Regards croisés sur la délocalisation des activités comptables 7 Selon John Steadman 540 000 emplois high-tech ont été perdus aux Etat-Unis en 2003 et 234 000 en 2004. Selon lui, le taux de chômage des informaticiens s’élevait en 2004 à 6,7 % et “d’ici à 2015, ce sont 3,3 millions d’emplois qui pourraient être délocalisés, dont une majorité de postes d’ingénieurs informaticiens ou de scientifiques”. Et lorsque ses interlocuteurs lui rappellent que les dirigeants des entreprises des secteurs high-tech affirment que les délocalisations sont bénéfiques pour les Etats-Unis, John Steadman a beau jeu de mettre en avant les inconvénients : pertes d’emplois qualifiés, dépendance accrue vis-à-vis de l’étranger, aggravation du déficit commercial, transferts d’investissements. “Il reste à prouver que les économies réalisées par les entreprises et le consommateurs résultant de la délocalisation peuvent contrebalancer ces effets négatifs.” 4/ “Il n’y a aucune fatalité aux délocalisations” Jean Louis Levet, directeur général de l’IRES [Institut de Recherches Economiques et Sociales] Directeur de l’IRES depuis décembre 2006, Jean-Louis Levet est docteur d’Etat en Sciences Economiques. Il a exercé différentes responsabilités, notamment au sein du ministère de l’industrie, au cabinet du Premier ministre, à la présidence de la Caisse des dépôts et consignations, à la direction générale d’un groupe industriel et au Commissariat Général au Plan. Jean-Louis Levet est l’auteur de nombreux ouvrages qui animent régulièrement le débat public, dont “Sortir la France de l’impasse”, couronné par l’Académie des sciences morales et politiques [2000], “Localisation des entreprises et rôle de l'Etat : une contribution au débat” publié en 2005 par la Documentation Française, et “Pas d'avenir sans industrie” chez Economica, en octobre 2006. Comment définissez-vous les délocalisations ? Je reprends la définition communément admise. Une délocalisation consiste à produire à l’étranger ce que l’on faisait jusque là chez soi, avant de réimporter la production sur son propre marché. Une opération de délocalisation peut donc se traduire par la fermeture des sites de production. Voilà ce qui distingue une délocalisation d’une externalisation. Lorsque Airbus ouvre une usine en Chine, c’est d’abord pour servir les compagnies aériennes. Il s’agit d’une stratégie de prise de parts de marché. Bien entendu, les événements sont parfois plus compliqués. Les industriels peuvent combiner délocalisation et prise de parts de marché extérieur. Ainsi quand Renault a décidé de construire la Logan en Roumanie, c’était d’abord pour servir des marchés émergents avec un modèle robuste et bon marché. Ce n’est qu’ensuite que Renault a décidé d’importer et distribuer la Logan en France. Existe-t-il d’autres causes pour expliquer le départ d’une partie de la production à l’étranger ? Bien entendu, toutes les délocalisations ne répondent pas au même objet. Certaines sont utiles. Elles permettent de baisser les coûts de revient et de maintenir une grande partie de la production en France. D’autres formes de délocalisation peuvent être destructrices. Par exemple, de grands industriels imposent à leurs sous-traitants des quotas de pièces fabriquées à bas coût à l’étranger. Et si cela ne suffit pas, ces industriels substitueront directement des fournisseurs étrangers à leurs partenaires habituels ; si l’on peut encore parler de partenariat dans ces circonstances. L’arrivée au capital de sociétés de “private equity” avec leurs exigences de rentabilité se traduit par des délocalisations. Ajoutons aussi la confrontation des zones euro/dollar qui provoque des ajustements constants des sites de production. importations. Elles sont à l’origine de moins de 10 % des emplois détruits et représente moins de 4 % de la production globale. Sous l’angle macroéconomique, il s’agit donc d’un phénomène marginal. Mais il faut dépasser ces chiffres bruts pour prendre la mesure véritable du phénomène, et analyser plus finement l’angoisse qu’elles suscitent dans la population. Il faut déjà constater que les délocalisations n’affectent pas tous les secteurs de la même manière. Il y a dix ans, l’industrie textile avait délocalisé sa production à hauteur de 45 %. Cette proportion s’élève aujourd’hui à 65 %. La part de biens délocalisés dans des secteurs comme l’électroménager ou le jouet a doublé, sinon triplé depuis dix ans. Ce qui ajoute aux tourments de nos concitoyens réside dans le lien souvent intime entre la géographie et la spécialisation industrielle. La disparition de pans entiers de l’industrie provoque une désertification de certaines régions. Selon vous, les délocalisations d’industries ou de services sont-elles un phénomène irréversible ? Il n’y a pas de déterminisme en matière économique, sauf dans les systèmes parfaitement clos ou totalitaires, donc les délocalisations n’ont rien d’irrémédiables. Ce qui compte vraiment, c’est la volonté politique : voulons-nous que la France et l’Europe conservent leur tissu industriel ? La question est cruciale. Toutes les projections à 25 ou 30 ans affirment que si nous maintenons les orientations actuelles, l’Europe va se retrouver coincée entre un pôle de très haute technologie USA/Japon et un pôle formé de pays émergents comme l’Inde ou la Chine qui profitent de leurs structures de production à bas coût, mais qui investissent massivement dans l’éducation, la formation et la recherche. Derrière la question des délocalisations, c’est en réalité celle de la désindustrialisation qui est posée. Elle peut induire une perte de substance technologique et de nos capacités d’innovation. A ce rythme, l’Europe deviendra une sorte de paradis touristique avec les services de proximité qui en découlent, et quelques pôles d’excellence. Quelles sont selon vous les bonnes réponses aux délocalisations ? Toutes les études [INSEE, Banque de France,…] nous disent que les délocalisations représentent entre 5 % et 7 % des Le cadre de cet entretien est trop restreint pour décrire les mesures à prendre. Il faudrait une stratégie de Lisbonne puissance deux à mettre en œuvre vraiment et orienter massivement les budgets européens et français vers l’économie de la connaissance dans une perspective de développement durable. Investir au niveau européen dans les grands besoins du futur [santé, énergie] et les enjeux de souveraineté [espace, défense], tout en remettant en cause la concurrence fiscale et sociale. Nous devrions aussi engager une véritable stratégie Euro Méditerranée, et, cesser de laisser le champ libre aux Chinois en Afrique. De même, parallèlement aux négociations OMC, l’Europe doit construire une vraie stratégie commerciale à l’égard de l’Asie. Au niveau national, il s’agit de favoriser la Regards croisés sur la délocalisation des activités comptables La délocalisation dans tous ses états Que représente réellement le phénomène économique des délocalisations ? 8 croissance des PME, source d’emplois et d’ancrage dans les territoires. Les leviers d’action ne manquent pas [commandes publiques, aides existantes…]. Les régions doivent devenir des acteurs à part entière capables de déployer des outils de développement économique, ce qui nécessite de redéfinir un vrai pacte entre l’Etat et les territoires.. Autre possibilité, la politique de formation professionnelle devrait être orientée massivement vers ceux qui en ont vraiment besoin, les salariés peu qualifiés, premières victimes des restructurations et de la financiarisation de l’économie. désormais très liés et complémentaires.. Un expert-comptable peut délocaliser une partie de son activité, mais il doit se dire qu’il s’agit d’un choix parmi d’autres possibles. Comme tout chef d’entreprise, l’expert-comptable doit d’abord réfléchir sur son métier, ses missions, la structure de ses coûts, et sur l’évolution de son métier dans les années à venir. Je vous l’assure, les délocalisations ne sont pas une fatalité. Si le mouvement s’amplifie, c’est aussi à cause de notre incapacité collective à agir. Les dix leviers de la performance globale Pouvez-vous nous citer les secteurs économiques les plus menacés ? Je ne vais pas être très original. Ces secteurs sont ceux qui consentent depuis de nombreuses années le minimum en matière de formation et en recherche et développement. Sans surprise, sur longue période, les industriels du textile sont ceux qui ont le moins investi dans la formation de leur personnel. Lorsqu’il a fallu affronter la concurrence de pays à bas coût, et ce, dès les années 70, ils n’ont pu résister pour la plupart, au détriment des femmes et des hommes qui y travaillaient.. Bien sûr, l’arrivée de la Chine et de l’Inde accélère le phénomène, mais fondamentalement, il faut d’abord balayer devant sa porte. D’ailleurs, si nous procédons à une analyse plus fine, y compris dans les secteurs fortement concurrentiels comme le textile, l’électroménager, la mécanique, nous voyons bien qu’il existe des entreprises prospères qui embauchent, se développent et gagnent des parts de marché à l’international. Ces entreprises sont celles qui investissent dans la formation de leurs personnels et qui conduisent des efforts permanents de créativité, d‘innovation, de connaissance de leurs marchés, de partenariats, etc. Ce qui est valable pour les industries, vaut aussi pour les entreprises du tertiaire, d’autant qu’industrie et services sont Les leviers Créativité Maitrise du savoir-faire technologique Personnels formés et polyvalents Force de la marque Maitrise de la production Dialogue social Maitrise de la distribution et de la logistique Gestion de l’information Actionnariat stable Etroitesse des liens avec son terroir o = relativement neutre + = important Hier + ++ Aujourd’hui ++ +++ Demain +++ +++ o + ++ o/+ + +++ ++ +++ ++ ++ +++ +++ +++ +++ +++ o o ++ ++ +++ ++ +++ +++ +++ ++ = très important +++ = déterminant Source Jean-Louis Levet “Localisation des entreprises et rôle de l’Etat : une contribution au débat”, La Documentation Française, Avril 2005 5/ “L’offshore est une nécessité” Cyrille Meunier, responsable du Département Economie, Marché et Affaires Européennes du Syntec Informatique En janvier 2006, l’organisation syndicale Syntec Informatique a fait paraître une “Etude sur l’impact des délocalisations” sur les sociétés de service en informatique [SSII]. Elle ne prend pas en compte les éditeurs de logiciels qui ont souvent délocalisé une partie de leurs services de recherche et développement aux Etats-Unis. Le Syntec définit par offshore, ou délocalisation les travaux vendus et facturés en France par des centres implantés à l’étranger. A l’origine de cette étude, Cyrille Meunier nous en rappelle les principaux enseignements. Le phénomène de délocalisation, que vous préférez appeler Offshore a-t-il une incidence sur l’emploi des informaticiens en France ? L’offshore en France est encore un phénomène marginal, mais son potentiel est important. Nous estimons que les sociétés de service françaises ont délocalisé 2 % de leur production en 2005, et 3 % l’an dernier. Les volumes sont faibles, mais la croissance se situe à 40 % par an. Fin 2008, l’offshore représentera 5 % du total du chiffre d’affaires des SSII. Mais il ne faut pas s’emballer. Nos études affirment, et nos adhérents le confirment, que l’offshore est structurellement plafonné. Je ne crois pas que l’offshore dépassera 1 % de l’activité totale des SSII. nous, l’offshore ne dépasse pas 10% du marché. Par ailleurs, des pans entiers des projets informatiques ne peuvent pas s’envisager loin du client. Je dirais même qu’un nombre croissant de projets est interdit aux centres de production délocalisés. En effet, le client estime que la réussite d’un déploiement suppose une compréhension intime de son cœur de métier. Sa direction des Services Informatiques explique à son prestataire les réalités de l’entreprise. Cette volonté implique la mise à disposition de développeurs et de chefs de projets réactifs, capables de saisir les inflexions et les tendances au quart de tour. Par définition, la proximité est nécessaire pour entretenir et cultiver cette forme de compréhension. Une large partie des services en informatique implique également la proximité. Par essence, le conseil ne se délivre pas à distance. Les contrats de maintenance imposent quant à eux une résolution des problèmes dans les deux heures qui suivent l’alerte. Les infrastructures sont constamment renforcées. La sécurité est devenue un sujet crucial et il est impossible de déléguer ces matières à un prestataire indien ou autre. Voyez-vous d’autres freins au développement de l’offshore ? Nous constatons déjà qu’aux USA où les habitudes de délocalisation sont autrement plus anciennes et importantes que chez Dans certains cas, la délocalisation est carrément inconcevable. C’est le cas notamment du secteur public français qui pour l’instant confie ses projets à des SSII installées en France [ce qui n’est pas le cas de l’administration britannique, soucieuse La délocalisation dans tous ses états Regards croisés sur la délocalisation des activités comptables Qu’est-ce qui vous rend si optimiste ? 9 d’économie NDLR]. Les PME n’ont pas forcément intérêt à délocaliser. Leurs projets sont nombreux mais souvent de taille modeste, ce qui interdit les allers et retours. Alors selon vous, quels sont les projets qu’une entreprise a intérêt à confier à un prestataire éloigné à l’étranger ? Quelles sont les conditions de réussite ? Un projet offshore suppose une très grande rigueur, le cahier des charges doit être parfaitement formalisé et livré sous la forme d’un package à suivre à la lettre. La délocalisation a horreur de l’approximation, sinon, c’est l’échec assuré. Le Syntec Informatique a d’ailleurs constaté que les projets de délocalisation impliquent paradoxalement des services et des centres de liaison et d’information de proximité. On peut dire que le recours à l’offshore est possible pour les projets longs très formalisés : télémaintenance, tierce maintenance application [TMA]. Comment expliquez-vous que les entreprises françaises recourent moins que leurs concurrentes européennes ou américaines à la délocalisation de leurs projets ? L’offshore se heurte à des réticences culturelles particulièrement vives dans notre pays. Ainsi, pour des raisons de sécurité, le secteur de la Banque/Assurance préfère développer ses propres logiciels, conduire ses propres développements plutôt que de recourir à des solutions packagées : plus la distance est importante, plus les risques augmentent. Les sociétés françaises renouvellent souvent moins leurs logiciels que leurs concurrentes étrangères, aussi leurs besoins sont moindres. Autre problème culturel, les meilleurs centres de traitement sont en Inde, pays anglophone. La langue est un obstacle supplémentaire au développement des délocalisations de services informatiques. C’est un sujet vraiment sensible chez nous, nous avons le sentiment que l’offshore menace l’emploi de nos ingénieurs et les syndicats montent immédiatement au créneau. Un projet de délocalisation, même limité, même justifié, a un impact négatif sur l’image de l’entreprise. Certains parlent d’échec des délocalisations et même de relocalisation des projets informatiques. Partagez-vous ce point de vue ? Un mouvement de relocalisation ? Il s’agit d’entreprises qui ont essuyé les plâtres, avec tous les risques et désagréments que cela suppose. On ne peut d’ailleurs pas dire que cette question concerne les entreprises françaises, moins précurseurs que les anglo-saxonnes. Il y a eu des dégâts surtout aux USA, mais les problèmes sont réglés et les habitudes sont prises. Aujourd’hui, les directions achats des groupes anglo-saxons exigent carrément qu’une part des travaux confiés à une SSII soit réalisée en Inde. Il s’agit de réduire la facture, sans aucune concession sur la qualité. Pensez-vous que le recours à des sous-traitants basés à l’étranger doive toujours être écarté ? Absolument pas. Le Syntec affirme même que cette attitude est une erreur. Il s’agit d’abord d’un problème de ressources car il n’y a pas assez d’informaticiens en France. Le chômage n’affecte que 2,5 % d’entre eux. En plus, les directions informatiques ont pris l’habitude de débaucher les ingénieurs des SSII. Nous sommes également très inquiets devant la désaffection des jeunes pour les filières et les professions scientifiques et d’ingénieurs. Les “forts en math” s’orientent aujourd’hui vers des professions plus rémunératrices : actuaires, traders, analystes financiers… Les Ressources Humaines éprouvent de plus en plus de difficultés pour recruter du personnel en période de croissance. Et comme il est difficile de faire venir des ingénieurs d’Inde, il faut recourir à l’offshore. Face à ce véritable problème, le Syntec Informatique encourage les pouvoirs publics à intensifier les efforts de formation d’informaticiens, et à conduire une politique audacieuse de co-développement avec les pays du pourtour méditerranéen. 6/ Les services informatiques, précurseurs des délocalisations de services Le transfert en Inde de la comptabilité de la compagnie aérienne Swissair avait fait couler beaucoup d’encre à la fin des années 1980. L’opération n’avait pourtant pas empêché l’entreprise de disparaître, malgré des économies avouées de 45 millions d’euros par an, mais elle avait marqué les esprits. L’Inde est le paradis des délocalisations informatiques. Le pays tire profit d’un système universitaire hyper sélectif mais capable de sortir chaque année plus de 200 000 ingénieurs de très haut niveau. Le sous-continent s’accapare quasiment la moitié de ce marché. Selon la Nasscom [India's National Association of Software and Service Companies], les sociétés de services indiennes ont réalisé un chiffre d’affaires de 17,2 milliards de dollars en 2004, contre 12,6 pour le Canada, 1,9 pour la Chine, 1,8 pour les pays d’Europe de l’Est et 0,9 pour les Philippines. Les sociétés indiennes ont enregistré une croissance de 34,5 % en 2004, et devrait progresser d’autant en 2005. Pour 2008, la Nasscom mise sur des revenus de 48 milliards de dollars, sur un total mondial attendu de 94 milliards de dollars. Les grands noms de l’informatique emploient des armées d’informaticiens indiens. IBM compte plus de quarante mille employés en Inde, EDS 3500, et Cap Gemini vient de débourser 1,25 milliard de dollars pour reprendre la SSII locale Kambay et ses 6 900 salariés. Cap Gemini dirige aujourd’hui l’activité de 12 000 informaticiens indiens. Ce mouvement ne devrait d’ailleurs pas s’arrêter là. Bien entendu, les entreprises voient dans les délocalisations un moyen de réduire leurs coûts informatiques d’environ 30 %. Il leur suffit de comparer les salaires : 2 500 euros en France pour un jeune informaticien, 750 euros en Pologne, 400 en Inde pour un ingénieur débutant et 1 800 pour un confirmé, ou 350 en Chine. Mais dans la pratique la délocalisation d’un projet informatique s’avère une opération complexe, et donc … plus onéreuse. Le donneur d’ordre doit missionner des chefs de projet capables de formaliser la commande. Ils devront se déplacer fréquemment, dominer les inconvénients du décalage horaire et se montrer capables de surmonter les différences culturelles et linguistiques. Pas si simple pour les déploiements complexes type ERP ou CRM. Il est certes possible de confier ces contrats à des SSII maghrébines ou européennes, mais malgré leurs progrès ces entreprises sont loin d’avoir atteint le niveau de leurs consoeurs indiennes, et bien sur occidentales. Autre obstacle, les donneurs d’ordre en ont parfois “pour leur argent”. La course aux économies limite le choix des prestataires. Selon une étude d'Unilog et d'IDC réalisée en 2006 auprès de 200 entreprises européennes, 27 % des sociétés ayant externalisé tout ou partie de leur système d'information ont rencontré des difficultés. Les entreprises se heurtent à des difficultés techniques, qui sont encore aggravées par l’opacité des prestataires qui s’engagent médiocrement sur les moyens engagés. Regards croisés sur la délocalisation des activités comptables La délocalisation dans tous ses états 10 Ces obstacles expliquent largement que l’offshore des services informatiques soit un phénomène encore marginal. Mais qui se développe rapidement. Selon une étude conduite par Pierre Audoin Conseils [PAC], la sous-traitance informatique offshore devait toucher 2,5 % à 3 % du marché français contre 1 % en 2002. Et le Syntec informatique enfonce le clou : l’offshore représentera 5% de l’activité des SSII françaises en 2009. Car les délocalisations répondent à une véritable nécessité au moins pour pallier les besoins en main d’œuvre. On compte en France environ 300 000 informaticiens [dont 71 % de cadres selon l’APEC], les créations de postes compensent à peine les départs en retraite, soit une trentaine de milliers de personnes chaque année. Le Syntec informatique sonne d’ailleurs l’alarme en pointant la génération d’informaticiens “baby boomers” qui s‘apprête à partir à la retraite. La mission “Prospective des métiers et qualifications” [PMQ] du Commissariat Général du Plan estime que chaque année 600 000 informaticiens vont prendre leur retraite, alors qu’à peine 150 000 informaticiens arrivent sur le marché dans le même temps. Par ailleurs, la croissance du secteur est largement supérieure à celle de l’économie nationale. Le Syntec Informatique retient une hypothèse de croissance de 2 % par an pour l’économie française, mais de 6 % à 8 % pour l’informatique. PAC estime que la croissance du marché “Logiciels et Services” devrait se situer à 7 % par an d’ici 2009. Il faut donc bien trouver ailleurs la main d’œuvre que l’économie recherche. Selon les analystes de Katalyse, mandaté par la Commission des Finances du Sénat [Documentation Française, juin 2005 pour cerner l’impact des délocalisations de services] l’offshore devrait provoquer la perte de 37 000 emplois d’ici 2010. Mais rassurons-nous, il ne s’agira pas d’un pur et simple transfert de main d’œuvre. Simplement de postes qui auraient pu être créés en France, mais qui pour diverses raisons sont délocalisés en Inde ou ailleurs. Pour reprendre la conclusion du Syntec Informatique “l’offshore est une tendance lourde pour le secteur de l’informatique. Ce phénomène est structurellement plafonné. L’enjeu clé est la compétitivité des employeurs et des salariés en France. Piloter la transformation du secteur plutôt que la subir est le défi majeur auquel sont confrontés les entreprises du secteur, leurs collaborateurs et leurs clients, avec le soutien nécessaire des pouvoirs publics.” Délocalisations : les estimations du Syntec Informatique Selon l’organisme patronal de la profession le potentiel des délocalisations est loin d’être atteint : 2 % aujourd’hui pour 15 % possible. Le CA offshore France 2005 Le nombre d’emplois offshore en France en 2005 La part offshore des prestations réalisées en centre de services en 2005 Le pourcentage des prestations réalisées en centre de services en France en 2005 Le pourcentage des prestations offshore réalisées en Europe La taille des sociétés du secteur utilisant l’offshore par des sociétés dont le CA > 100 M Le CA offshore France 2009 Le taux de croissance annuel 2005-2009 de l’offshore en France Le plafond théorique de l’offshore en France - de 2 % du CA total Services 3000 à 5000 20 à 25 % 6à8% + 50 % + de 90 % du CA réalisé Autour de 5 % du CA total Services + 30 à + 40 % 15 % du CA services Offshore : quelques données clés Source Cabinet d’analyse IDC Cabinet d’analyse Forrester Research Cabinet d’analyse Forrester Research Pierre Audoin Conseil Pierre Audoin Conseil Cabinet A.T Kearney [novembre 2005] Singapour. Chiffre Marché mondial “offshore” 2005 = 12 milliards de dollars [2,8 % du marché des services] dont 9,15 milliards pour les USA et 2,12 milliards pour l’Europe. 4 % des 500 premières entreprises mondiales délocalisent plus de 10% de leur budget informatique La Grande-Bretagne représente 70 % du marché “Europe de l’Ouest” Principaux pays pour les délocalisations depuis la France : Europe du Sud 30 %, Inde 25 %, Afrique du Nord 18%, Europe de l’Est 15 %, autres 12 %. Principaux pays pour les délocalisations depuis l’Allemagne : Asie 50 %, Europe de l’Est 25 %, autres 25 %. Top 5 des destinations offshore : Inde, Chine, Malaisie, Philippines, Salaires bruts comparés des informaticiens diplômés en France et en Inde [€] Jeune informaticien indien Jeune informaticien français Manager confirmé indien Manager confirmé français 4 000 – 5 000 27 000 – 30 000 10 000 – 15 000 50 000 – 70 000 Source Syntec informatique La délocalisation dans tous ses états Regards croisés sur la délocalisation des activités comptables 11 II REGARDS 1/ “Depuis septembre 2005, je propose des missions de tenue comptable externalisée et de participation aux travaux de clôture” Abdelatif Boulaid, cabinet CBA La délocalisation ouvre un champ de développement aux cabinets d’expertise comptable marocains. Abdelatif Boulaid, dirigeant du cabinet Boulaid Abdelatif [CBA] basé à Casablanca a d’ailleurs pris des locaux dans “Casashore” un vaste complexe immobilier consacré à l‘offshore. Pour le confrère marocain, les délocalisations constituent une nouvelle industrie qui se développe de manière considérable grâce notamment à l’appui de l’Etat. Pouvez-vous nous présenter votre groupe ? Je suis engagé dans deux structures. La première est particulièrement destinée à l’offshoring, la SARL Maroc Corporate Patners dont je suis l’associé unique. La deuxième entité est dédiée au conseil. C’est le cabinet Boulaid Abdelatif [CBA] où j’exerce comme consultant indépendant. Je dirige les activités de cinq collaborateurs, et s’il le faut je peux recourir à la délégation de personnel en demandant à des confrères l’appui de certains de leurs collaborateurs. Il s’agit toujours de personnes bien formées. Depuis quand proposez-vous des missions de délocalisation aux EC et aux entreprises françaises ? Depuis septembre 2005, je propose des missions de tenue comptable externalisée et de participation aux travaux de clôture. Vous adressez-vous également aux directions administratives et financières des entreprises ? Nous proposons des prestations d’externalisation pour les entreprises marocaines spécialement en audit interne. Nous envisageons également de développer des prestations dédiées à la gestion externalisée du reporting pour les entreprises françaises. Comment vous faites-vous connaître auprès des experts-comptables et pouvez-vous nous donner une idée du nombre et du type de clients que vous servez ? Je passe des annonces dans des sites Internet spécialisés. Notre portefeuille actuel est constitué de trois cabinets français d’experts-comptables, ce qui représente une soixantaine de dossiers. Pouvez-vous lister et expliquer les principaux avantages d’une délocalisation ? La délocalisation de la tenue comptable entraîne bien entendu la diminution des coûts de traitement. Mais il me semble réducteur d’assimiler systématiquement délocalisation et baisse des charges. En délocalisant la tenue comptable, l’expert-comptable est beaucoup mieux en mesure de se concentrer sur des missions à plus forte valeur ajoutée. Au Maroc, nous employons plus volontiers le vocable d’offshore que celui de délocalisation. Il s’agit d’une activité qui se développe de manière considérable dans notre pays, grâce notamment à l’appui de l’état. Nous-mêmes avons réservé des espaces de travail dans “Casashore” un nouveau parc immobilier, totalement dédié à l’offshoring, près de Casablanca, qui doit ouvrir ses portes fin 2007. Aujourd’hui, le Maroc en est aux prémices de cette nouvelle industrie. Je crois vraiment que le courant est en train de passer. 12 Regards croisés sur la délocalisation des activités comptables Quelles sont les tâches et les missions que vous proposez qui intéressent vos clients ? L’accompagnement pour les missions d’externalisation de l’audit interne et la surveillance comptable sont parmi les missions les plus appréciées de nos clients marocains. Pour nos clients français de la sous-traitance comptable, nous constatons une appréciation très positive des experts-comptables sur la qualité de notre travail, et surtout sur notre bonne réactivité. Quelles sont les compétences de vos collaborateurs, et quels sont vos critères de recrutement ? Nos collaborateurs sont tous issus de l’enseignement supérieur professionnel ou universitaire avec spécialisation en finances et comptabilité. Ils justifient de diplômes au moins bac plus 4. Nous leur assurons en interne au moins deux sessions de formation par mois, orientées vers le domaine fiscal et comptable. Pour ce qui est des nouveautés dans la législation fiscale française nous recevons de nos clients experts-comptables des notes qui listent les décisions qui impactent le dossier comptable de leurs clients. Le recours à la sous-traitance suppose une réorganisation du donneur d’ordre. Quelles sont les procédures de collaboration que vous instaurez avec vos clients ? Comme nous traitons actuellement uniquement avec des experts-comptables, les implications organisationnelles de l’externalisation sont minimes. Nous avons cependant mis à l’étude un package pour la délocalisation administrative et comptable à l’attention des PME françaises en collaboration avec des experts-comptables. Quelles garanties qualitatives pouvez-vous assurer à vos clients ? Sécurité, bonne saisie, respect des délais, etc. En plus de nos procédures internes de contrôle des traitements [lettrage, réconciliations, analyses …] nous définissons avec nos clients des contrôles spécifiques en cas de besoin. En cas de problèmes, de quels recours disposent vos clients contre vous ? Les contrats types que nous proposons prévoient le recours à l’arbitrage international. Nous sommes également couverts par une assurance RC. Regards 2/ Délocalisation : la prudence s’impose Michel Bohdanowicz, expert-comptable, vice-président délégué de L’Ordre des Experts-Comptables Pour Michel Bohdanowicz, vice-président délégué du Conseil de l’Ordre les délocalisations ne sont pas une panacée pour l’expert-comptable. Non seulement, elles n’apportent aucun bénéfice mais en plus elles sont carrément une source de problèmes. “Aujourd’hui, les délocalisations sont rendues possibles par la montée en puissance de technologies de l’information et des communications Mais il s’agit d’un phénomène parfaitement récent. Les procédures d’externalisation, et pire de délocalisation à l’étranger d‘une partie de la production se traduisait par la mise en place d’une logistique infernale, avec des envois postaux plus ou moins sécurisés. Entre les pertes de documents et les erreurs de traitement, surtout avec l’étranger, l’externalisation relevait d’une mission impossible. Avec l’Internet et le haut débit, la Terre s’est contractée. Un document parcourt des milliers de kilomètres en quelques secondes. Lors du dernier congrès de l’Ordre à Paris, deux cabinets ont exposé des solutions de délocalisation, le premier au Maroc et l’autre en Roumanie. Ils ont pu s’exprimer sereinement, sans que personne ne leur apporte la contradiction. Pourtant, la question est sensible. Elle touche à de nombreux domaines comme les technologies, les finances, mais également à la moralité. Il ne s’agit pas pour moi de me placer sur un terrain, propre à des débats sans fin. Je pense simplement qu’avant d’entamer une opération de délocalisation, l’expert-comptable doit réfléchir à l’organisation de son cabinet et aux différentes manières d’améliorer son fonctionnement. Incidemment, si l’organisation de base est déficiente, on ne fera que délocaliser les problèmes sans rien régler. Au contraire, un process d’externalisation requiert une vraie rigueur, sinon on multiplie les procédures de saisie et l’on court à sa perte. Pas de délocalisation pour 50 factures Ma seconde objection à la délocalisation de la production provient de la technique comptable pure. La plupart des dossiers clients se situent entre 1 000 et 1 500 lignes. C'est-à-dire que pour saisir cinquante factures, je ne vois pas où se place l’intérêt de recourir à une tenue externe. Le gain de productivité est trop faible. Je ne parle pas bien entendu des grands comptes mais des petites entreprises qui font le quotidien des experts-comptables. Troisième réflexion, nous sommes loin d’avoir exploité les ressources délivrées par les technologies. Je pense ainsi à la reprise automatique d’informations, comme les données bancaires. Le portail de la profession, Jedeclare.com négocie des accords en ce sens avec la profession bancaire, afin de simplifier nos missions. Il est vrai que ces négociations sont toujours en cours. Mais dans les années à venir, les travaux de normalisation lancés par la profession auront abouti : messages financiers, liasse fiscale, documents électroniques… Lorsque le projet de jeton comptable sera effectif, l’expert-comptable pourra incorporer les documents et les informations directement dans ses logiciels. Les problèmes de saisie et de normes de diffusion seront définitivement réglés. Par ailleurs, on peut estimer à moins de deux jours, le temps consacré par un collaborateur à la saisie d’un millier de lignes. C’est vrai que ce sera sensiblement moins cher au Maroc, mais si l’on arrive à convaincre le client d’adopter un logiciel de facturation, le gain sera encore plus sensible. Je vous assure que même depuis le tableur Excel, il est possible de lancer des programmes d‘exportation d’informations sur des logiciels comptables. Et il existe de nombreux outils sur le marché. Enfin, je ne suis pas certain que le niveau d’exigence soit forcément le même à l’extérieur du cabinet, sans parler d’opérateurs de saisie installés à l’étranger. Nous ne pouvons pas nous satisfaire d’un taux de qualité moyen, même si nos partenaires sont sérieux et nous garantissent un niveau supérieur à ce que l’on obtient en moyenne dans leur pays. Et puis, les délocalisations posent encore d’autres soucis redoutables comme la formation des gens, la culture générale, la langue, etc. Mais le tableau serait incomplet si l’on omet de dire qu’elle résout, il est vrai, des problèmes considérables de recrutement de collaborateurs.” 3/ Un cabinet qui procède à l’externalisation interne Christian Fleuret, expert-comptable, fondateur du cabinet Fleuret La presse a cité l’expérience conduite par le cabinet Fleuret comme une “relocalisation”. Pourtant d’après Christian Fleuret, fondateur d’un cabinet de cinquante personnes [1 500 dossiers] “contrairement à ce que certains articles ont pu faire croire, nous n’avons pas rapatrié depuis un pays étranger quelconque une partie de notre activité. Nous avons simplement procédé voici 18 mois à une externalisation en interne de certaines missions.” Le cabinet s’est doté en interne d’un centre de traitement comptable, précisément calé sur ses critères de qualité. La nomenclature est particulièrement précise : transfert des pièces, ordres de traitement figés, traitement des dossiers par entrée, vérification et contrôle. La démarche est plutôt novatrice. Le centre emploie une douzaine de personnes, pour l’instant exclusivement au service des collaborateurs du Cabinet Fleuret. L’intérêt de cette externalisation est double. D’une part, les collaborateurs sont dégagés des tâches de saisie. Ils gèrent la relation client, en conduisant des missions de conseil et de prévision. Et de l’autre le cabinet recrute pour son centre des jeunes en formation. “Nous repérons ainsi dans ce vivier ceux qui pourront suivre une carrière à part entière dans notre cabinet. Les jeunes du centre sont des étudiants en contrat d’alternance. Ils préparent un BTS ou d’autres diplômes” explique Christian Fleuret. Regards Regards croisés sur la délocalisation des activités comptables Ce n’est pas la première fois que le cabinet Fleuret procède à l’externalisation “interne” d’une partie de ses missions. Le traitement des fiches de paie de ses clients est maintenant confié à un centre de traitement à part, entièrement spécialisé, fort d’une équipe de sept personnes. Progressivement, ces centres seront ouverts à d’autres cabinets d’expertise comptable qui désirent externaliser certaines tâches. Quant aux délocalisations proprement dites, Christian Fleuret est échaudé par les expériences de délocalisation auxquelles il a participé. Il s’était ainsi impliqué dans un projet à Madagascar avant de faire machine arrière : “Les procédures étaient trop compliquées. La sécurité n’était pas assurée, et je ne vous parle pas de l’instabilité politique.” 13 4/ “L’externalisation est une réponse à la pénurie de personnel.” Jean-Marc Guilly, directeur de Gestavision Depuis cinq ans, Jean-Marc Guilly propose les services d’externalisation de comptabilité de sa société Gestavision. Après avoir fait de la sous-traitance pour le compte de cabinets d’expertise comptable, Jean-Marc Guilly a orienté ses activités vers les entreprises. Son opinion est bien sûr subjective, mais il l’exprime clairement : il n’y a pas vraiment d’intérêt à transférer ses dossiers vers un pays étranger. Pourquoi avez-vous cessé de collaborer avec les cabinets d’expertise comptable ? Nous avons constaté que l’externalisation pose de gros problèmes chez les confrères. Du coup, ces problèmes se sont cristallisés et nous arrivaient de manière parfois exagérée. Nous avons constaté que nous portions le chapeau pour des erreurs ou des problèmes propres à nos donneurs d’ordre. Nous avons également souffert du manque de considération de certains à notre égard, et Gestavision a souvent préféré stopper une relation contractuelle, avant qu’elle ne dégénère. Je ne veux pas minimiser nos erreurs et nos propres problèmes, mais nous avons su les surmonter pour proposer une prestation de qualité. Qui sont alors les clients de Gestavision aujourd’hui ? Nos vrais clients sont les entreprises. Il s’agit de grosses PME et même de grandes entreprises. Nous sommes ainsi missionnés par les directions financières de 250 entreprises. Nous leur proposons une méthode de gestion fiable et rapide. Notre outil repose sur la numérisation des documents qui sont ensuite classés automatiquement, archivés, avec des fonctions d’intégration bancaire et de lecture automatique de documents. Avec des masques de saisie, le client peut corriger et valider les écritures que nous lui proposons. Estimez-vous que les experts-comptables doivent externaliser une partie de leur travail ? Les cabinets doivent s’organiser pour contrer une concurrence qui monte. Je pense notamment aux banques. Il existe aujourd’hui deux types de cabinets. Les premiers, les moins nombreux, que l’on peut qualifier de “haut de gamme” se consacrent surtout au conseil et font très peu de travaux de saisie et de fiches de paye. Les seconds, la grande masse, consacrent leur énergie à la tenue des comptes. Pourtant, de nombreux problèmes peuvent être gérés par un expert-comptable. Je pense à la fiscalité ou à la gestion patrimoniale. Il faut des personnes compétentes pour les tâches de saisie et de tenue, et les experts-comptables éprouvent des difficultés pour recruter et surtout conserver du personnel compétent. Nous constatons déjà une situation de blocage à Paris et en Ile-de-France. Il devient difficile de trouver des aides-comptables. L’externalisation constitue donc une réponse à ce problème. Les délocalisations peuvent-elles aussi constituer une réponse à ce problème ? On se fait des idées fausses sur les délocalisations. Si l’on compte bien, les coûts sont souvent supérieurs aux nôtres ! Il y a toujours des coûts cachés pour ne pas dire inattendus, avec des intermédiaires aussi inutiles qu’obligatoires, et qu’il faut bien rémunérer. Nous constatons aussi des problèmes d’incompréhension d’ordre culturel, y compris avec des pays francophones comme ceux du Maghreb, d’Afrique Noire, l’Ile Maurice… Nous avons-nous-même procédé à des tests en Roumanie. La qualité du personnel est bonne, mais les prix montent déjà. Ils finiront par nous rattraper. Et puis attention ! En Afrique, on emploie souvent du personnel très qualifié pour qui la saisie n’est pas qu’un simple petit boulot. On risque donc de délocaliser des missions toujours plus complexes comme les arrêtés de comptes, à la limite du contrôle de gestion. Voilà le danger. 5/ Cap sur la Roumanie Gilbert Métoudi, cabinet BM & associés Le cabinet BM & Associés [du nom de ses fondateurs Roger Berdougo et Gilbert Métoudi] a été créé en 1985. Aujourd’hui, le cabinet est déployé sur deux sites parisiens avec une cinquantaine de personnes pour ses missions d’expertise comptable et de commissariat aux comptes. Et comme prolongement de ses activités, BM & A a ouvert un bureau en Roumanie dont les effectifs varient entre sept et douze personnes selon la charge de travail. BM & A gère 1 200 mandats pour un chiffre d’affaires de 4,8 millions d’euros. “Début 2000, mes associés et moi-même étions inquiets de l’évolution du métier, explique Gilbert Métoudi. Nous privilégions la croissance organique et les performances de la structure doivent suivre. Nous avons été confrontés en 2000 à la fois à un départ massif de collaborateurs et à l’instauration de la réduction du temps de travail [RTT]”. Le cabinet a voulu réfléchir sur des solutions alternatives propices à l’expansion de ses activités, mais qui ne se traduisent pas par de nouvelles complications dans la gestion des ressources humaines. “Nous avons voulu créer des centres de compétences qui cassent les schémas d’organisation habituels des cabinets, affirme Gilbert 14 Regards croisés sur la délocalisation des activités comptables Métoudi. C’est d’ailleurs l’une de mes convictions profondes, ce mode de fonctionnement est conduit à disparaître. Il faut créer et diversifier les compétences, avec un pôle social, un pôle juridique, un pôle informatique. Et la tenue de compte s’inscrit dans ce schéma d’organisation.” Pour BM & Associés, au vu de leurs compétences et de leurs revenus, les collaborateurs doivent se placer entièrement au service du client. La création de tels pôles de compétence permet aussi de créer des équipes homogènes. Une culture commune, un plan comptable commun, une formation commune Mais pourquoi avoir délocalisé en Roumanie la saisie des comptes ? Gilbert Métoudi préfère parler d’externalisation, car BM & Associés est partie prenante dans l’entité ouverte à Bucarest. “En 2002, un client nous a parlé de la Roumanie. Initialement, nous avions pensé au Maghreb ou à l’Afrique Noire. Nous avions d’ailleurs rencontré des confrères et même envisagé Regards une collaboration avec un cabinet français implanté au Maroc. Mais, leur organisation était assez archaïque et nous avons senti qu’ils ne pourraient pas assumer nos dossiers.” Le client français de BM & Associés était implanté à Bucarest. Il a su trouver les mots justes pour valoriser la culture locale et la qualité de la main d’œuvre. Nombre de Roumains sont francophones et surtout, à la chute de la dictature communiste, le pays a adopté le plan comptable français. L’Ordre a assuré la formation des confrères roumains et la comptabilité des entreprises est quasiment identique à la notre. Roger Berdougo et Gilbert Métoudi ont passé une semaine sur place pour rencontrer des experts-comptables avec des critères précis : taille du cabinet, culture et vision partagée du métier. Les collaborateurs roumains justifient d’une formation équivalente à un DUT, et ajoute Gilbert Métoudi “nous nous déplaçons régulièrement à Bucarest pour rencontrer nos associés, superviser l’activité et monter les plans de formation nécessaires. Le fonctionnement du centre de traitement roumain repose entièrement sur les technologies de l’information et de la communication qui permettent selon l’expression de Gilbert Métoudi “de disposer d’une structure intégrée, mais déplacée”. Le système repose sur une application de gestion électronique des documents qui assure la transmission [en haut débit] des pièces. BM & Associés améliore constamment son outil de communication, avec une messagerie, des webcams, la téléphonie IP avec Skype, etc. La liaison est assurée par une ligne dédiée en boucle. En cas de cataclysme, le cabinet ne perd ainsi aucune information. “Nous avons à Paris, une personne à plein temps dédiée à l’envoi des documents, complète Gilbert Métoudi, qui effectue des missions de formation et s’occupe de notre pôle bureautique.” Qui dit délocalisation, dit réduction des coûts. Gilbert Métoudi reconnaît bien volontiers qu’un collaborateur local revient deux fois moins cher que son équivalent français. “Mais, dit-il, je ne compte pas les frais cachés comme nos voyages, le temps passé à faire de la formation”. Par ailleurs, depuis que la Roumanie est entrée dans l’Union Européenne, elle connaît une expansion économique sans précédent. Certes, BM & Associés est heureux de s’impliquer dans les échanges franco-roumains en plein développement, mais cette croissance pèse sur son activité. Les salaires montent, le droit du travail est contraignant, mais surtout le cabinet est pénalisé par un véritable turn-over. Gilbert Métoudi reconnait que ce problème risque de poser la question du maintien de BM & Associés en Roumanie. “Mais pour l’instant tout va bien. La Roumanie n’est pas loin et pas trop chère Les collaborateurs sont sérieux et opérationnels. Mais j’insiste. La délocalisation n’est pas une fin en soi. L’efficacité de BM & Associés est la pierre angulaire de cette démarche. Aujourd’hui, nos collaborateurs français travaillent différemment, et dans le sens que nous souhaitions. A l’exception de quelques dossiers bien spécifiques, les travaux de tenue sont entièrement délocalisés.” 6/ “Nous sommes capables d’assurer l’ensemble des prestations qui entrent dans le domaine de l’expertise comptable” Hassan Lasri, cabinet IL Consulting Expert-comptable toujours inscrit à l’Ordre, Hassan Lasri est installé à Casablanca. Son propos est aujourd’hui de mettre à la disposition de ses confrères français une main d’œuvre compétente et bien formée, pour des tarifs compétitifs. Son cabinet IL Consulting collabore aujourd’hui avec trois cabinets français. Pouvez-vous nous présenter votre groupe ? Je suis moi-même titulaire d’un diplôme d’expertise comptable français, et j’ai exercé en France de 1995 à 2002. Je maintiens d’ailleurs toujours une activité en France, et je suis toujours inscrit à l’Ordre. Mon cabinet, IL Consulting emploie outre moi-même, quatre collaborateurs et deux stagiaires que je forme aux arcanes de la comptabilité française. Nous avons par ailleurs un département de conseil juridique. Depuis quand proposez-vous des missions de délocalisation aux EC et aux entreprises françaises ? Depuis 2002, c'est-à-dire au moment de l’ouverture du cabinet au Maroc. Plusieurs de mes clients français m’ont maintenu leur confiance lorsque j’ai ouvert mon cabinet à Casablanca, ce qui me permet de justifier d’une véritable expérience de collaboration avec des entreprises et des partenaires étrangers. Aujourd’hui, je réserve mes propositions de collaborations à mes confrères français. Nous n’avons engagé aucune action de prospection sur les directions financières des entreprises françaises. Nous nous faisons connaître auprès des confrères français essentiellement par des annonces. Regards Quelles prestations proposez-vous aux expertscomptables français ? Nous pouvons assurer toutes les prestations qui rentrent dans le domaine de l’expertise comptable, notamment celles qui sont en rapport avec la mission de présentation des comptes ; la saisie, le rapprochement bancaire et l’analyse des comptes. Nous pouvons aussi aller jusqu’à la plaquette. Notre mandant français peut simplement éditer la liasse. Quels sont selon vous les principaux avantages d’une délocalisation ? Il faut soulager l’expert-comptable des tâches de saisie, et même de révision afin qu’il puisse se consacrer à ses missions de conseil. Les autres atouts de ce type de délégation résident dans la réduction des coûts et la qualité du travail. Quels sont vos tarifs ? Nos tarifs varient bien entendu selon les tâches [saisie simple, lettrage, rapprochement bancaire ou révision] et du nombre de dossiers. La facturation se fait soit par ligne soit par dossier selon le cas. Disons que pour un dossier annuel de 100 000 lignes, je vais facturer entre 0,06 et 0,08 euros par ligne. Vous pouvez trouver moins cher, mais IL Consulting recrute du personnel de bon niveau, qui profite d’une formation professionnelle continue. Ces efforts ont un coût, celui de la qualité. Quelles sont les compétences de vos collaborateurs, et quels sont vos critères de recrutement ? Nous embauchons des jeunes diplômés au niveau Bac + 4 en comptabilité et en gestion ayant déjà étudié le plan comptable Regards croisés sur la délocalisation des activités comptables 15 français. J’enseigne moi-même dans plusieurs établissements et institutions du supérieur. Et comme je vous l’indiquais, le cabinet assure une formation complémentaire en interne permanente. Nous suivons l’évolution des textes et des lois en France par des abonnements à des revues spécialisées et à des sites WEB. Je vous rappelle aussi que je suis moi-même expert-comptable inscrit en France et que le cabinet reçoit régulièrement les informations sur la profession, comme le programme de la formation annuelle Le recours à la sous-traitance suppose une réorganisation du donneur d’ordre. Quelles sont les procédures de collaboration que vous instaurez avec vos clients ? abonnés à un service Internet à haut débit. Ils sont équipés d’un scanner rapide et d’un logiciel comptable afin que nous puissions récupérer et intégrer simplement les informations. En interne, nous leur recommandons de dédier une personne pour gérer la transmission des données. En cas de problèmes, de quels recours disposent vos clients contre vous ? Nous avons souscrit une assurance professionnelle en France et bien entendu, les clients peuvent toujours recourir à la médiation de l’Ordre. Les progrès des technologies de la communication nous permettent de traiter des volumes importants. Nos clients sont 7/ “La délocalisation a répondu à un besoin précis” Michel Louchard, dirigeant du cabinet Louchard Féru de technologies, Michel Louchard cherche en permanence à innover afin d’améliorer le fonctionnement de son cabinet. Il est ainsi l’auteur du logiciel de comptabilité en ligne Itool.com, aujourd’hui distribué par l’éditeur EBP. “Nous avons conduit une réflexion approfondie sur les délocalisations en 2004 et 2005, avec des expériences comparées sur deux cabinets étrangers au Maroc et à l’Ile Maurice. Le premier facturait 15 euros de l’heure, le second 8 euros pour la saisie et 15 euros pour la supervision. Il faut admettre que le cabinet mauricien a produit un travail de qualité, avec outre la saisie, la révision des comptes tiers et des comptes généraux. Ils se sont montrés capables de signaler les problèmes, comme l’absence de documents. Aujourd’hui, le cabinet va externaliser au Maroc un gros dossier de saisie. Il s’agit d’un fabricant et distributeur important de meubles qui désire ouvrir un second point de vente et modifier ses procédures comptables. Le dossier de ce client totalise déjà 7 000 lignes et devrait donc rapidement doubler, ce qui nous pose des problèmes de personnel. Jusqu’ici, le client se chargeait de la saisie via Itool, et nous récupérions les informations pour consolider le dossier. Aujourd’hui, il nous demande de prendre en charge ce travail. Notre charge de travail est telle qu’il est difficile d’absorber ce dossier. Et je ne peux pas recruter un collaborateur supplémentaire pour ce seul dossier. Via le réseau Itool, j’ai rencontré Régis Barse, expert-comptable dans le sud-ouest qui pilote un cabinet au Maroc, et j’ai décidé, avec l’accord de mon client, de lui confier le dossier. Le cabinet Louchard, précurseur en technologies La chaîne de production s’appuie sur une maîtrise plutôt rare des nouvelles technologies au cabinet Louchard. Le système est basé sur l’exploitation de solutions virtuelles car je préfère recourir à des applications en mode ASP, afin de laisser au prestataire le soin de gérer et de faire évoluer la partie informatique. Le cabinet a sélectionné la solution de gestion électronique de documents fournie par Google, qui outre sa gratuité, permet d’archiver jusqu’à trois giga octets de données. La partie messagerie est également fournie par Google avec Gmail qui accepte les documents traditionnels produits sous Word ou Excel. Une partie des documents arrive au cabinet sous forme 16 Regards croisés sur la délocalisation des activités comptables numérisée, comme les fichiers de vente du client, ou les documents bancaires. Les documents “papier” sont numérisés via un scanner de production Canon IR 3570. Le système numérise les documents, les indexe et les expédie automatiquement à l’adresse e-mail que nous lui avons indiquée. La répartition des documents s’effectue par mots clés. Le destinataire n’a plus qu’à récupérer les documents sous forme de fichiers pdf dans sa boite mail. Il n’a plus qu’à saisir ou à imprimer les informations. Depuis Lille, nous suivons à volonté l’évolution des travaux. De plus, le bureau virtuel permet de conserver l’historique complet du travail. Le back-office peut être décentralisé J’estime que l’on peut délocaliser la totalité du back-office. Pour le client, l’opération est totalement transparente. Les process de communication permettent de suivre en permanence l’état d’un dossier, avec notamment une vision en double écran. On peut relancer le client sans perte de temps. Je désire ajouter qu’il était parfaitement possible de profiter à bon compte de solutions externalisées en France. Si l’on compte bien, une personne employée dans une entreprise située dans une zone franche revient moins chère. Mais le véritable intérêt de la délocalisation réside dans le contournement des contraintes de la législation du travail. En fonction de l’évolution de la charge de travail, il est possible de monter en puissance et d’adapter les effectifs aux besoins de l’entreprise. C’est pour cela que certains dossiers clients devraient être délocalisés. Je pense notamment aux entreprises de distribution qui ont de forts volumes, de nombreuses références et des marges serrées. Pour l’instant il faut recourir à une main d’œuvre humaine. Je ne crois pas à la “machine qui fait tout”. Les miracles sont par essence parfaitement exceptionnels. Par ailleurs, c’est l’usage qui fait la technologie. Et pour l’instant, nous n’y sommes pas du tout. Les experts-comptables progressent lentement, et il ne faut pas s’attendre à des bouleversements pour les années qui viennent.” Regards 8/ Les charmes de la grande île de l’Océan Indien Parmi les destinations possibles pour conduire une délocalisation, Madagascar a des atouts à faire valoir. Depuis des années, l’île dédie une part de sa main d’œuvre à des travaux de saisie informatique. Insuffisant pour remplacer des collaborateurs formés aux subtilités de la comptabilité, mais de quoi constituer les infrastructures nécessaires. A l’autre extrémité de la chaîne, l’INSCAE [Institut National des Sciences Comptables et de l’Administration d’Entreprises] forme depuis quinze ans des cadres de bon niveau. Les étudiants obtiennent des diplômes de niveau bac plus trois ou bac plus cinq. L’INSCAE a d’ailleurs passé des accords d’échange et de partenariat avec l’Université Pierre Mendès France de Grenoble, l’Université Paris XII-Val-de-Marne et l’IAE de Poitiers. De nombreux étudiants malgaches viennent d’ailleurs parfaire leur formation en France. Signalons que notre diplôme d’expert-comptable n’est pas reconnu à Madagascar. Les salaires constituent l’un des charmes essentiels de Madagascar. Un diplômé de l’INSCAE, parfaitement à même de produire une plaquette est rémunéré 500 euros par mois. Un opérateur de saisie, deux à trois fois moins. Du coup, l’expert-comptable local peut superviser l’activité d’une quinzaine de collaborateurs. Les centres de traitement comptables fleurissent donc à Madagascar avec le but avoué de sous-traiter la partie du travail sans “valeur ajoutée” : tenue, saisie et révision. Certains peuvent aller jusqu’à la production de la plaquette annuelle des clients. A noter que les Malgaches ne peuvent pas réaliser les plans de paye. Les délais de production sont parfaitement comparables aux nôtres. L’expert-comptable français donneur d’ordre dispose même d’outils informatiques pour suivre la tenue de dossiers et l’avancement des missions. L’Etat malgache pousse à la création d’une véritable industrie de l’offshore. Il existe des zones franches où se sont installés des plateaux entiers d’opérateurs de saisie. L’Internet haut débit n’a pas encore traversé le canal du Mozambique, mais il est possible de louer une liaison satellite pour mille dollars avec un débit type 2 Mo/s. Cependant, les principales villes de l’île sont déjà câblées, et les équipementiers finalisent le déploiement d’un câble qui reliera Madagascar à l’Afrique du Sud. 9/ “Pour parvenir à un résultat efficient, il faut non seulement délocaliser un grand nombre de dossiers, mais pas uniquement sur la tenue comptable…” Jean-Marc Jaumouillé, directeur des techniques professionnelles de Fiducial Pour le compte du réseau Fiducial, Jean-Marc Jaumouillé a conduit une mission de réflexion sur le bien-fondé d’une délocalisation de la production à l’étranger. Ses conclusions sont simples. Une délocalisation n’aurait pas de sens aujourd’hui. Selon lui, cette stratégie n’est tout simplement pas adaptée aux besoins et à la structure de Fiducial. “Nous avions déjà réfléchi à l’externalisation de nos tâches pendant les années 1990, mais les technologies n’étaient pas au point et les questions techniques nous avaient fait reculer. En 2005, nous avons engagé une nouvelle réflexion sur l’opportunité de délocaliser la production à l’étranger. Et une nouvelle fois, l’idée a été abandonnée pour plusieurs raisons : la taille de la structure à créer à l’étranger, la taille des dossiers, l’acceptation d’une telle décision par le réseau dont l’implication était impérative, les process, le tout pour un gain relativement marginal. Pour parvenir à un résultat efficient, il faut non seulement délocaliser un grand nombre de dossiers, mais pas uniquement sur la tenue comptable [tâche qui représentent moins de 20 % du temps]. Mais pour délocaliser seulement 10 % des dossiers, il faut embaucher entre 400 et 500 personnes, ce qui revient à bâtir une véritable “usine” à comptabilité. Une telle structure exige un investissement colossal en temps et en moyen, pour des résultats financiers a priori peu probants. les salaires locaux, ce qui rendrait l’opération encore moins intéressante. Deuxième facteur négatif, j’estime qu’une délocalisation n’a de sens que pour des dossiers importants, de plus de 5 000 lignes. Or, la plupart des dossiers que nous traitons ne justifient pas forcément un traitement externalisé. Des gains de productivité sont encore possibles sur le territoire national. Autre écueil, l’acceptation par les collaborateurs d’une telle opération. Pour qu’elle fonctionne, il faut impliquer les collaborateurs dans le choix des dossiers mais aussi dans la mise en œuvre des process. Or, aujourd’hui, dans l’imagerie populaire, la délocalisation sous entend le transfert d’emplois vers les pays émergents et la suppression d’emplois en France, même si telle n’était pas notre ambition. Comment espérer de l’aide de la part de quelqu’un qui a peur de perdre son travail, même si je le rappelle, ce n’était pas notre volonté. Car pour nous, la délocalisation était un moyen d’absorber la croissance. En effet, la constitution d’un centre de traitement de 400 personnes exige des locaux, des équipes de recrutement, une intendance informatique, une hiérarchie, des formations, et surtout de la main d’œuvre qualifiée en quantité suffisamment disponible. En outre, une telle quantité de recrutement sur une agglomération entraînerait probablement une hausse sur Enfin, je ne crois pas que les technologies soient suffisamment au point pour compenser la complexification des process. C’est ma quatrième grande réserve. D’une part, il faut passer du temps à scanner des documents, avec tout ce que cela entraîne comme perte de temps [format des documents, agrafage…]. D’autre part, les solutions de reconnaissance de caractères ne permettent pas l’automatisation requise par une délocalisation bien conduite. On a souvent aussi vite fait de saisir les documents de manière traditionnelle, plutôt que de les numériser. Surtout quand il s’agit de petits dossiers où les grandes séries n’existent pas. Par ailleurs, il faut des dossiers absolument bien organisés, car sinon le collaborateur étranger Regards Regards croisés sur la délocalisation des activités comptables 17 et le collaborateur français perdent un temps considérable en échange de données. Et je ne parle même pas des conséquences du traitement des opérations par un collaborateur qui ne connaît rien du dossier, si ce n’est le DP et les pièces comptables. De plus, légalement l’expert-comptable est tenu d’informer ses clients d’une délocalisation du traitement de leurs dossiers. Les chefs d’entreprise auront vite fait de nous demander une restitution d’une partie de la marge. Ce qui réduit encore l’intérêt de l’opération. Je ne suis pas opposé par principe aux délocalisations, mais la méthode n’est pas aujourd’hui adaptée pour nous. Elle peut en revanche correspondre aux besoins d’un cabinet traditionnel. Pour traiter ses dossiers, sans subir les problèmes de recrutement, l’expert-comptable peut parfaitement recourir à une sous-traitance étrangère de “qualité.” 10/ Les délocalisations des cabinets ne sont plus un fantasme, mais pas encore une réalité et encore moins une menace L’expert-comptable connaît bien les méthodes d’externalisation. Il aimerait souvent déléguer à un prestataire national ou étranger une partie de ses tâches afin de se concentrer sur le conseil et l’expertise proprement dite. Mais pour l’instant, les freins sont trop puissants pour que ces désirs se traduisent par un phénomène massif de transfert de tâches à l’étranger. L’externalisation de missions est une pratique répandue depuis des années dans les directions financières et dans les cabinets d’expertise comptable. Une étude de Markess International [mai 2007] montre que si 60 % des entreprises externalisent la fonction Paie aujourd’hui, elles seront 72 % en 2009. Donc pourquoi pas la saisie des comptes ? Il s’agit d’une tâche peu valorisante, pour ne pas dire ingrate, souvent répétitive, et qui mobilise des ressources humaines qui pourraient être consacrées à des missions autrement plus importantes de service au client. Et tant qu’à externaliser autant délocaliser. Les comptables marocains, roumains, malgaches et autres sont aussi compétents que les Français. Au Maroc ou en Tunisie, la semaine de travail légale est de 48 heures. Et le salaire d’un jeune collaborateur est compris entre 400 et 500 euros par mois. A Madagascar, le temps de travail légal est de 41 heures par semaine, cinq jours par semaine. Mais en contrepartie, les salaires sont plus bas. Pas de délocalisation sans technologies Les propositions de délocalisation existent depuis la fin des années 1990, avec le développement d’Internet et des technologies de l’information. Elles émanent souvent d’experts-comptables qui ont fait leurs études et ont exercé en France. La lenteur des communications, la mauvaise qualité des transmissions [rappelons-nous de l’audace nécessaire pour employer les majuscules et les caractères accentués] ont longtemps confiné cette offre au champ expérimental. Certains cabinets, notamment marocains, ont proposé de transmettre les pièces par voie postale. Des coûts attractifs ne font pas tout, et les experts-comptables ont refusé de s’impliquer dans de telles usines à gaz. Les progrès de la technologie bouleversent l’offre. Les communications à haut débit [plusieurs mégabits par seconde] permettent de transférer des dossiers volumineux en quelques secondes. Autre facteur favorable aux délocalisations, les 35 heures qui provoquent l’effondrement de certaines missions comme la saisie. En pratique, la délocalisation repose sur la numérisation des documents. Le cabinet doit acquérir un scanner de production, un logiciel de gestion électronique de documents et [bien entendu] une liaison haut débit sécurisée. La nomenclature 18 Regards croisés sur la délocalisation des activités comptables reprend et adapte les étapes de la procédure traditionnelle. L’expert-comptable collecte les pièces. Il les classe, les vérifie avant de les numériser et d’envoyer les lots à son correspondant étranger qui lui signale la bonne réception des documents. Les pièces sont codées, avant d’être intégrées sur un logiciel de comptabilité. A noter que les cabinets délocalisés possèdent une logithèque complète en la matière. Exactement comme le ferait un collaborateur français, le comptable “délocalisé” analyse le dossier. Il procède aux rapprochements bancaires. En général, un superviseur intervient à cette étape du travail pour vérifier les travaux. Le dossier repart ensuite en France, vers le cabinet pour révision et remise au client. Délocalisation et organisation Progressivement donneur d’ordre et fournisseur prennent des habitudes de collaboration. Il se crée un véritable va-et-vient d’échanges d’informations en utilisant des avis de réception de documents, des outils de messagerie, de téléphonie ou de visiophonie sur Internet. Bien entendu les communications sont sécurisées par des solutions de cryptage, des mots de passe et autres logiciels anti-virus. Ces procédures ont l’apparence de la simplicité, mais elles impliquent un bouleversement complet des méthodes et de l’organisation du cabinet. Techniquement, les collaborateurs doivent se plier aux contraintes de la gestion électronique de documents [GED], l’application qui supporte l’opération. Ainsi, les pièces et les documents doivent être systématiquement scannés et indexés très précisément. L‘informatique ne supporte pas l’à-peu-près. Si l’importance des flux de documents l’exige, il vaut mieux créer un poste de travail à part entière, comme l’a fait Gilbert Metoudi, dirigeant du cabinet parisien BM & Associés. Jusqu’où peut-on confier des missions à des partenaires extérieurs ? Pour Hassan Lasri, du cabinet IL Consulting de Casablanca : “Nous pouvons assurer toutes les prestations qui rentrent dans le domaine de l’expertise comptable, notamment celles qui sont en rapport avec la mission de présentation des comptes ; la saisie, le rapprochement bancaire et l’analyse des comptes. Nous pouvons aussi aller jusqu’à la plaquette. Notre mandant français peut simplement éditer la liasse.” Pourquoi pas. Mais d’une part l’expert-comptable peut éprouver le sentiment d’une perte sur la main mise de ses dossiers. Il faudra aussi sérieusement renforcer les procédures de supervision, et ne plus se contenter des avis de réception, de la communication sur Skype et du savoir-faire du confrère étranger. Regards Une délocalisation est-elle rentable ? Les autres blocages Mais surtout, une délocalisation pose des problèmes d’organisation interne. Les collaborateurs peuvent éprouver l’impression à la fois d’être dessaisis de leurs dossiers, et même menacés d’un prochain licenciement. Le dirigeant va devoir les rassurer. Contrairement à beaucoup d’autres chefs d’entreprise à la recherche des meilleurs coûts de revient, les experts-comptables externalisent ou délocalisent d’abord pour des raisons d’organisation et ensuite pour gérer plus simplement les problèmes de gestion du personnel. Un expert-comptable parisien [huit collaborateurs et 150 dossiers] voulait ainsi abandonner les tâches de saisie afin de “faire monter mes collaborateurs en compétence. Je voulais qu’ils consacrent davantage de temps au service des clients”. Double échec. Le prestataire de service choisi par notre interlocuteur n’a pas répondu à la demande. “Il fallait systématiquement repasser derrière, ce qui enlevait beaucoup d’intérêt à l’opération, explique notre expert-comptable. La saisie comptable exige du savoir-faire. On ne peut pas faire de la saisie au kilomètre comme pour d’autres missions, avec un taux d’erreur acceptable”. Et surtout, ses collaborateurs ont eu le sentiment d’être dépossédés de leur travail. Notre interlocuteur a d’ailleurs constaté que certains de ses salariés se plaisent dans les missions de saisie. D’autres freins protègent encore l’activité des experts-comptables [et de leurs collaborateurs] des délocalisations. Michel Bohdanowicz, vice-président délégué du Conseil de l’Ordre pense que les technologies permettent de bien rationnaliser le travail et d’optimiser l’organisation des cabinets : “on peut estimer à moins de deux jours, le temps consacré par un collaborateur à la saisie d’un millier de lignes. C’est vrai que ce sera sensiblement moins cher au Maroc, mais si l’on arrive à convaincre le client d’adopter un logiciel de facturation, le gain sera insignifiant”. D’autres ne sont pas convaincus de la pertinence des progrès technologiques. Et il est vrai que la numérisation implique une certaine homogénéité des documents. Jean-Marc Jaumouillé, directeur des Techniques Professionnelles de Fiducial insiste aussi sur le caractère émietté de l’offre. Auteur d’un rapport de mission pour son organisation, Jean-Marc Jaumouillé a constaté que les cabinets étrangers qu’il a visités en Afrique du Nord, sont des petites entités, d’une dizaine de personnes. “Or affirme-t-il, pour délocaliser à peine 10 % de nos dossiers, il faudrait ouvrir un centre de traitement de plus de 400 personnes”. Jean-Marc Jaumouillé et Michel Bohdanowicz se rejoignent d’ailleurs pour estimer qu’une délocalisation n’a de sens que pour des dossiers de plus de 5 000 lignes, loin du quotidien de l’expert-comptable. Et Michel Louchard d’ajouter “je crois qu’une opération de délocalisation se justifie pour les entreprises de distribution qui ont de forts volumes, de nombreuses références et des marges serrées”. Enfin, selon la législation, un expert-comptable ne peut pas recourir à la sous-traitance [en France comme à l’étranger] sans l’accord de ses clients. Un chef d’entreprise [même d’une TPE] aura vite fait de demander à son conseil de lui restituer une partie des marges. Michel Louchard, du cabinet du même nom et basé à Lille, a externalisé au Maroc afin d’absorber un dossier plus conséquent que ses missions habituelles. “Mes collaborateurs ne pouvaient pas absorber une charge de travail supplémentaire, et je ne pouvais pas recruter un collaborateur pour un seul dossier même exceptionnel”. Michel Louchard reconnaît volontiers qu’un recrutement dans une zone franche en France ne pèserait pas plus sur ses comptes que la délocalisation du travail au Maroc. Mais, le gain en souplesse et en adaptation est incomparable. “Peut-être faudrait-il développer des formules alternatives comme le travail à domicile. Je suis certain que de nombreuses personnes seraient heureuses d’accepter des missions de ce type, en profitant de leur liberté horaire.” Regards Regards croisés sur la délocalisation des activités comptables 19 III FOCUS SUR LES TRAVAUX DU CONGRÈS DU 60 E CONGRÈS “ET SI ON PARLAIT DE COMPTABILITÉ ?” - PARIS 2005 Focus 1/ Atelier de la Profession / La délocalisation : Enjeux, risques et perspectives La délocalisation : Enjeux, risques et perspectives Source : Extrait du Vademecum du Congrès 2005, page 80 Les mots “délocalisation” et “externalisation” sont l’objet de débats animés lorsqu’ils sont prononcés. Les multiples exemples médiatisés à l’extrême dans la presse ont amené peu à peu l’opinion à voir dans ces pratiques, avant tout, une manière de générer plus de profits ou, au mieux, une façon de prévenir les risques d’une chute de ceux-ci. Il est vrai que les délocalisations s’accompagnent généralement d’une cohorte de licenciements traumatisants pour des familles, une ville, une région. Notre propos n’est pas de faire l’apologie de la délocalisation ou son procès. L’objectif de cet atelier est de présenter ce qu’est réellement l’externalisation ou la délocalisation, comment elle s’organise, ce qu’elle coûte et rapporte, ce qu’elle implique, afin que le public puisse avoir une vision claire de la problématique. La conception et mise en œuvre d’un processus de délocalisation est une alchimie. Si les ingrédients sont connus, le tour de main est déterminant. S’engager dans un tel projet nécessite une stratégie claire et des moyens sérieux. Le contexte et les enjeux La profession dans une logique de marché • concurrence de plus en plus vive ; • remise en cause des modèles de production ; • rentabilité en chute avec des prix en baisse et une hausse des coûts salariaux ; • investissements techniques importants ; • exigences clients en mutation ; • aspirations des hommes et des femmes en évolution. Les enjeux • fidéliser ses bons collaborateurs et en attirer d’autres ; • se préparer à un marché ouvert ; • être productif et développer la qualité ; • être rentable ; • garder ses clients et en conquérir d’autres ; • avoir une image valorisée avec des missions à forte valeur ajoutée. Les principes admis par l’Ordre sous respect des textes réglementaires • délégation et supervision des travaux ; • signature des documents par l’expert-comptable ; • ratio d’encadrement ; • secret professionnel. Les obligations • celle de l’expert-comptable [donc, adapter la police d’assurance à ce cas particulier] ; • contrôler le sous-traitant ; • veiller à ce que celui-ci respecte la réglementation locale. Les impacts • sur le plan technique : quels systèmes informatiques, quels outils, comment les rendre compatibles avec ceux du cabinet ? • sur l’organisation du travail : comment organiser le travail avec l’entité délocalisée ? Quelle répartition des rôles ? Quels sont les délais de traitement ? Comment gère-t-on les erreurs ? Au final, est-ce un levier de productivité ? • sur le management : Délocalisation = destruction d’emploi ? Comment faire adhérer les collaborateurs aux systèmes ? Garde-t-on les mêmes collaborateurs ? Comment les impliquer ? Que font-ils du temps dégagé par l'externalisation de leurs tâches ? Quelles qualifications pour le personnel délocalisé ? Comment manager à distance ? • sur la gestion du cabinet : Quel impact sur la marge ? Comment gère-t-on les temps, la facturation ? Le coût de la sous-traitance ? • sur la relation client : Faut-il dire au client que l’on délocalise ? Quelles sont les réactions ? Comment le lui cacher, éventuellement ? Des risques liés • aux contraintes de la Profession ; • à l’éloignement de l’activité ; • aux aléas de la technologie ; • au pays choisi ; • aux aspects économiques ; • aux aspects socio-économiques. Des opportunités liées • à la stratégie du cabinet ; • au marché ; • à l’évolution des collaborateurs ; • à la rentabilité du cabinet. Alors faut-il créer soit même ou bien s’adresser en sous-traitance à des “externalisateurs” ? Quelles sont les conditions du succès et les facteurs d’échec d’une telle opération ? La responsabilité • délégation et supervision des travaux ; • signature des documents par l’expert-comptable ; • ratio d’encadrement ; • secret professionnel. 20 Regards croisés sur la délocalisation des activités comptables Focus sur les travaux du Congrès du 60e Congrès Focus 2/ La délocalisation va-t-elle séduire les experts-comptables ? La délocalisation va-t-elle séduire les experts-comptables* ? Source : Extrait du Vademecum du Congrès 2005, page 93 *La présentation de cette étude ne peut en aucun cas être assimilée à une prise de position de l’Institution. L’étude sur les délocalisations dans les cabinets d’expertise comptable a été conduite en octobre 2004 par le cabinet RC&A, spécialiste dans l'organisation interne des cabinets d'expertise comptable et dans la mise en œuvre des systèmes d'information des cabinets. RC&A propose également une activité d'étude et de conseil. Cette étude a été conduite auprès de 350 cabinets d’expertise comptable. Sans prétendre à une représentativité parfaite, ce travail permet d’évaluer l’impact du désir de délocalisation à un moment où la profession affiche à la fois sa volonté de se concentrer sur des missions à valeur ajoutée et de restaurer ses marges. La délocalisation est reconnue comme une méthode permettant d’abaisser les coûts en transférant à l’étranger des tâches de production. Elle se distingue ainsi de l’externalisation qui consiste à sous-traiter une partie des missions à une autre société française. Et du reste, les experts-comptables interrogés par RC&A préfèrent sous-traiter leurs missions avec des sociétés nationales [23 %] plutôt qu’avec des entreprises étrangères [20 %]. La délocalisation est encore l’apanage des grandes entreprises. Les PME n’y recourent que rarement, y compris dans le transfert à l’étranger des plateaux téléphoniques. Il est également possible de sous-traiter Aussi l’étude nous délivre une première surprise : 50 % des cabinets d’expertise comptable croient dans l’intérêt des délocalisations, un quart observe la situation, peu désireux d’essuyer les plâtres. Reste un autre quart qui ne sait pas où afficher sa défiance à l’égard de la méthode. Ce résultat est d’autant plus intéressant que plus de la moitié des cabinets interrogés [55,73 %] affirment qu’ils n’ont “aucune connaissance d’expériences” de délocalisation. Les autres ont des échos “négatifs” [9,49 %] ou des échos “positifs” [20,16 %]. Les freins aux délocalisations D’après RC&A, les principaux freins sur la mise en œuvre d’une opération de délocalisation résident sur les doutes, sur la fiabilité de l’opération et des techniques, ou sur des scrupules quant à l’attitude à tenir vis-à-vis des collaborateurs [40,8 %]. Il est également probable que les experts-comptables bien au fait des outils informatiques savent que les nouvelles technologies permettent d’augmenter le niveau de productivité, et donc de rétablir leurs marges au moins autant que les délocalisations. Dans le détail, une moitié des cabinets se pose des questions sur la qualité du travail délégué, une autre s’interroge sur les techniques nécessaires pour mettre en œuvre une opération de délocalisation. A noter qu’un tiers se pose des questions sur la réalité des bénéfices promis et que tout de même 36 % doutent des qualités professionnelles des prestataires étrangers. Parmi les raisons qui freinent les projets de délocalisation, la sécurité figure en bonne place : 45 % des cabinets mettent en cause la “crédibilité de la viabilité technique et la sécurité” de la solution et 35 % redoutent la perte de connaissance et de maîtrise technique des dossiers. Les prestataires devront donc déployer des efforts considérables avant de se faire reconnaître par la Profession comme des interlocuteurs compétents, capables de procurer des services fiables. Focus sur les travaux du Congrès du 60e Congrès La tenue, fonction délocalisable par excellence Quelles sont les missions que les experts-comptables pourraient déléguer à un prestataire externe ? Sans surprise, les cabinets répondent pour 75 % d’entre eux “la tenue” seule. 93 % pensent d’ailleurs que les dossiers de tenue sont les plus adaptés à la délocalisation. Une minorité envisage de déléguer également la tenue et la révision des comptes [15,7 %]. Et on ne compte que 4 % des cabinets pour envisager de déléguer les dossiers de révision seule. Ce résultat s’explique doublement : d’une part la révision implique une participation active du cabinet jusqu’à l’intervention d’un expert-comptable français, et de l’autre par le manque de visibilité sur les capacités des prestataires. La délocalisation concerne une poignée de cabinets et trop peu de retours d’expérience sont perceptibles pour envisager autre chose que la délégation de la partie la plus “simple” des missions traditionnelles du cabinet. Parmi ceux qui envisagent de délocaliser une partie de leur activité, 30 % veulent pouvoir se concentrer sur des prestations plus rentables et 30 % avouent brutalement reconstituer leurs marges. Aujourd’hui, les cabinets d’expertise comptable ne sont pas encore concernés par la délocalisation. Cependant la situation risque de changer rapidement. L’expert-comptable est incité à dématérialiser les documents et les dossiers. Et la délocalisation pourra lui apparaître tout simplement comme un flux de données informatiques supplémentaire à gérer. Nombre d’expertscomptables estiment d’ailleurs que des outils technologiques tels que les logiciels de reconnaissance de caractères ou des solutions plus globales, comme la Gestion Electronique des Documents, vont permettre d’éviter l’externalisation d’une partie des missions. L’étude révèle d’ailleurs que 81 % des cabinets possèdent un scanner et que 8,7 % vont en acquérir un. On pourrait ajouter que l’Internet à haut débit est une technologie largement répandue. Le but consiste à diminuer le volume de papier produit ou géré. Cependant, le déploiement de tels systèmes exige des efforts longs et onéreux. Le cabinet doit radicalement transformer ses méthodes de travail et son organisation. Il doit également former ses collaborateurs sans perdre de vue que des mises à jour de son système de travail seront rapidement nécessaires. D’ailleurs près de 60 % des cabinets estiment que les investissements en informatique sont importants, et surtout que les licences de leurs logiciels sont “excessivement” élevées. Autrement dit, l’informatique est une course à l’armement sans fin, contrairement aux délocalisations autrement plus souples. L’expert-comptable peut quasiment à loisir et sans investissement particulier augmenter ou réduire la charge de travail confiée à un prestataire. Et sans investissement particulier. Sur le papier, la délocalisation permet d’économiser jusqu’à 40 % sur les tâches déléguées. L’expert-comptable peut donc à la fois faire profiter son client d’une économie réelle et reconstituer ses marges. Les délocalisations doivent favoriser l’activité de conseil D’autres facteurs favorisent également les délocalisations. L’expert-comptable peut déléguer une partie de son travail à un tiers afin de pallier des problèmes de recrutement ou de gestion de personnel. D’après RC&A, les deux tiers des cabinets reconnaissent une moindre rentabilité sur leurs missions de tenue du fait de l’augmentation de la masse salariale depuis Regards croisés sur la délocalisation des activités comptables 21 l’instauration de la réduction du temps de travail. Les cabinets n’ont pas pu semble-t-il répercuter cette inflation sur leurs honoraires. L’expert-comptable se plaint également de ses difficultés à recruter, 35 % franchement et 42 % parfois. En délocalisant, le cabinet transfert les questions liées à la gestion des ressources humaines, comme les emplois du temps en période de campagne fiscale. Enfin, en se séparant des missions basiques de tenue, l’expert-comptable espère se concentrer sur le conseil, vécu comme plus gratifiant sur un plan intellectuel, et susceptible d’une facturation améliorée. 63 % des experts-comptables interrogés affirment d’ailleurs que leur cabinet a “résolument une vocation à développer du conseil” et 35 % espèrent développer “si possible” des missions de conseil. Malheureusement, cette vision ressemble à un Eldorado. Au quotidien RC&A constate que les missions traditionnelles forment toujours le fonds de commerce des cabinets. Et surtout contrairement aux espoirs mis dans le conseil, la perte de la tenue des comptes entraîne une dégradation des revenus horaires des cabinets qui passent à moins de 30 euros. L’expert-comptable est peut-être le premier conseil du chef d’entreprise, mais il a du mal à négocier les missions sur-mesure, qui changent de la tenue de compte. Progressivement et malgré les obstacles et les réticences, les délocalisations apparaissent comme une solution d’avenir. En confiant la tenue des comptes de leurs clients à un prestataire externe, l’expert-comptable ne renonce à aucune de ses missions tout en pouvant proposer d’autres services à ses clients. Les technologies sont disponibles. Les prestataires commencent à afficher des références crédibles. Et même, certaines sociétés étrangères peuvent produire des certifications ISO. Par ailleurs souligne RC&A, les experts-comptables ont d’autant plus intérêt à examiner de près les délocalisations qu’ils peuvent s’attendre à une concurrence nouvelle venue des banques, des centres de gestion, de sociétés de comptabilité virtuelles, etc. La pertinence d’une opération de délocalisation dépend de la vitesse de montée en puissance et de l’agressivité de cette concurrence attendue. La Profession ne disposera pas forcément du temps nécessaire pour s’organiser et restructurer les cabinets. Reste cependant une question à laquelle l’étude ne répond pas : comment valider le travail délocalisé. Les risques d’erreurs sont importants. Et ils sont même démultipliés par la constance des échanges de données. Comment alors valider les phases de saisie, comment s’assurer de la bonne tenue des comptes ? Il est impossible de procéder à une délégation de mission comme la saisie des informations, la tenue des comptes ou la réalisation des bulletins de paie sans un contrôle attentif. Et quel intérêt offre une délocalisation, s’il faut superviser et réviser le travail fourni ? Avant de délocaliser ou d’externaliser ses missions, l’expert-comptable devra se poser les bonnes questions sur les procédures à suivre et sur son organisation. Focus 3/ Délocalisations des industries en Europe : la course déflationniste en marche Délocalisations des industries et des services en Europe : la course déflationniste en marche Source : Extrait du Vademecum du Congrès 2005, page 87 Le rejet de la Constitution européenne, le 29 mai dernier, s’est en partie décidé sur la peur des délocalisations. Toutes les études affirmant que le phénomène est limité n’ont suscité que scepticisme, face à l’exploitation politique des effets immédiats les plus visibles. Pour ceux qui subissent fermetures d’usines et licenciements, les analyses des économistes ressemblent à des arguties de privilégiés déconnectés des réalités sociales. Car les premières victimes sont d’abord les salariés non-qualifiés, qui ont l’impression d’être abandonnés. Mais si le sujet a rencontré autant d’écho, c’est aussi parce que ces délocalisations touchent maintenant les activités de service, et même des centres de recherche et développement, auparavant supposés à l’abri de cette menace. Brandi comme un épouvantail par les opposants à la Constitution européenne, le “plombier polonais” aurait pu devenir un drolatique personnage de café-théâtre, si cette grossière ficelle de campagne électorale avait entraîné moins de graves conséquences politiques. Car la caricature s’est révélée efficace pour amalgamer les craintes et les rancœurs d’un pays doutant de lui-même face à la concurrence étrangère, que ce soit sous forme d’immigration de main d’œuvre à bas coût, ou de délocalisations, son parallèle inversé et infernal. Selon la définition habituellement retenue par les économistes, une délocalisation est une “fermeture d’une unité de production en France, suivie de sa réouverture à l’étranger, en vue de réimporter sur le territoire national les biens produits à moindre coût, et/ou de continuer à fournir les marchés d’exportation à partir de cette nouvelle implantation” rappellent Lionel Fontagné et Jean-Hervé Lorenzi, auteur d’un rapport remis au CAE1. La victoire du “non” le 29 mai dernier s’est en partie jouée sur ce sujet. Les délocalisations vers les nouveaux Etats membres de l’est ont cristallisé les mécontentements nés d’une permanente ambivalence face à l’Europe, souvent utilisée pour faire passer au forceps des réformes et une ouverture économiques que les dirigeants politiques savent nécessaires, mais ont rarement expliqué avec courage et clarté. Il était de fait facile d’enfoncer un coin dans cette patiente construction nourrie d’ambiguïtés et de non-dits, notamment autour de l’élargissement à vingt-cinq. Laurent Fabius ne s’en est pas privé, dénonçant l’absence de toute disposition d’harmonisation fiscale et sociale, porte ouverte aux délocalisations intra-européennes d’après lui. Hasard cruel du calendrier, la mise en œuvre effective et totale de l’adhésion de la Chine à l’OMC, avec la fin des quotas textiles, a précédé le référendum européen de quelques semaines, et a achevé d’irriter une majorité de citoyens-travailleurs face à des décisions prises en leur nom, mais dont les conséquences se révélaient néfastes à leurs yeux. Car les exemples concrets n’ont pas manqué au cours des mois ou des semaines précédant le scrutin. En novembre 2004, Elco-Brandt annonçait ainsi des transferts de fabrication de produits d’entrée de gamme en Pologne, qui se traduiront par 300 départs en retraite anticipés dans ses usines de Vendôme [Loir-et-Cher] et Orléans [Loiret]. En février 2005, Electrolux, un autre fabricant d’électroménager, présentait aussi 1. Désindustrialisation - Délocalisations, Lionel Fontagné, Professeur à l’Université Paris 1, Jean-Hervé Lorenzi, professeur à l’Université Paris-Dauphine, conseil d’analyse économique [CAE]. 22 Regards croisés sur la délocalisation des activités comptables Focus sur les travaux du Congrès du 60e Congrès un vaste plan de restructuration, prévoyant fermeture et délocalisation de six sites en Europe, dont celui de Reims, et la construction de deux usines en Pologne. En avril, les 167 salariés de l’usine Ronal, un groupe suisse de sous-traitance automobile ayant installé en 1976 une usine de jantes à FreymingMerlebach, en Moselle, assistaient à la vente aux enchères des dernières machines, après transfert de la production en Pologne. à la main. Au XIXème siècle, l’industrie textile britannique avait ruiné des dizaines de millions d’artisans du textile en Inde, en exportant ses “indiennes” moins chères car copiées à l’échelle industrielle. Nombre de pays émergents, dont les “petits dragons” asiatiques ou encore le Brésil, n’ont réussi à construire une industrie nationale qu’en protégeant derrière des barrières douanières leurs premières entreprises incapables de tenir en qualité et en prix face aux productions européennes ou américaines. Mi-mai, le portail Internet Lycos, proposait sans rire et sans doute pour respecter ses obligations légales, de reclasser en Arménie 34 salariés, pour 300 à 500 euros par mois, contre 2 000 à 3 500 euros mensuels en France pour des développeurs informatiques. Quelques mois auparavant, pour lutter contre les délocalisations de centres d’appels, Nicolas Sarkozy voulait contraindre les télé opérateurs à déclarer d’emblée leur lieu de travail. Passée la fièvre électorale, et le changement de gouvernement, ce propos de tribune électorale est passé à la trappe. Ce “retour de manivelle” sous forme de délocalisations n’est que le dernier épisode de la longue histoire des relations économiques internationales. Au hasard des titres des journaux, qui parfois prennent un relief encore plus dramatique dans la presse de certaines régions durement touchées par la désindustrialisation, le phénomène peut toutefois apparaître nouveau par son ampleur supposée, et irréversible en raison des déséquilibres dont il se nourrit : “les coûts horaires moyens [coûts 2002 au taux de change 2003] dans une grande entreprise sont par exemple de 28 euros en France, 24 aux Etats-Unis, 4 au Mexique et au Brésil et 1,30 en Chine” [Désindustrialisation - délocalisation, rapport au CAE]. Tout ce qui est délocalisable devrait quitter un pays aussi fiscalement et socialement hostile aux vigoureuses lois du marché… Rares sont les secteurs à l’abri [santé, grande distribution, commerce, BTP, ou encore presse, édition…] de ces imparables calculs de gestionnaire. Les services financiers ou comptables n’y échappent pas. Dans un rapport publié en juin dernier3, le cabinet McKinsey indique ainsi “que certaines entreprises ont mis en place des processus de suivi des débiteurs défaillants pour de faibles montants, catégories qu’elles avaient jusqu’alors été contraintes d’ignorer. Dans le cas d’un transporteur aérien qui a transféré sa comptabilité clients en Inde, ces créances recouvrées représentent jusqu’à 65 millions d’euros qui s’ajoutent à une économie annuelle de 40 millions d’euros correspondant à la réduction du coût de la main d’oeuvre”. “Pourquoi les entreprises restent-elles en France ?” s’interrogeait de fait Jean-Louis Levet, auteur d’un rapport pour le Commissariat Général au Plan [avril 2005], en énumérant plusieurs facteurs poussant à la délocalisation des chefs d’entreprise peu enthousiastes. De grands donneurs d’ordre formulent à l’encontre des PMI “la nécessité vitale de délocaliser dans des pays à bas coûts salariaux, sous peine de n’être plus considérés […] Des investisseurs institutionnels tiennent un discours justifiant la délocalisation et s’étonnent auprès de certains des dirigeants de leur attachement à leur territoire et les encouragent à fermer leurs usines de production et à recourir à l’externalisation auprès d’opérateurs asiatiques. La mode est là : pour séduire les marchés financiers, il faut désormais avoir dans son plan de financement “ses Indiens et ses Chinois” : la réduction des coûts comme seule finalité devient un “must” incontournable du bon gestionnaire moderne et responsable [responsable devant les marchés financiers, bien entendu]”4. D’autres annonces ont suivi immédiatement après les élections, indiquant que les mesures étaient en préparation, mais sans doute gelées avant le scrutin. Mi-juin, Alcatel déclarait ainsi à l’attention des analystes financiers que l’essentiel de ses investissements dans de nouveaux centres de recherche et développement se feraient en Inde et en Chine, même si le groupe maintenait ses effectifs en France. Ces derniers exemples expliquent l’ampleur prise par le débat, car ils concernent le secteur des services et la R&D, considérés jusqu’à la fin des années 90 comme un gisement d’emploi à l’abri des restructurations frappant l’industrie depuis longtemps2. Les délocalisations dans l’informatique étaient aussi devenues un sujet de campagne électorale lors des dernières élections présidentielles américaines, en 2004, en raison des pertes de postes au profit d’entreprises situées en Inde. “Les travaux de Forrester Research estiment que 40 % des 1 000 entreprises du classement de Fortune ont délocalisé une partie de leur activité ; que 3,3 millions d’emplois pourraient être délocalisés dans les 15 prochaines années, entraînant la perte de 136 milliards de dollars de masse salariale et que le secteur des technologies de l’information s’apprêterait à délocaliser 500 000 emplois dans les prochaines années” [Désindustrialisation - délocalisation, rapport au CAE]. Les délocalisations seront sans doute un sujet brûlant également lors des prochaines élections en Allemagne, qui pourraient être avancées à 2006. Sur 2 500 PME interrogées par la Fédération allemande de l’industrie, près de la moitié ont déjà délocalisé une partie de leur activité, ou envisagent de le faire. En revanche, le thème n’est pas devenu un enjeu politique lors des élections parlementaires du printemps dernier en Grande-Bretagne, bien que le pays soit le plus en pointe dans les délocalisations de services. Les entreprises britanniques peuvent puiser dans les centaines de millions d’anglophones des anciennes colonies pour des centres d’appels, de la saisie comptable, du développement informatique, etc. Mais ces mouvements n’ont pas suscité de polémique politique dans le plus vieux pays industriel, farouche partisan du libre-échange dont l’économie a subi bien avant les autres toutes les formes de concurrence internationale. La banque HSBC a ainsi transféré plus de 5 000 postes de back-office, en Inde ou au Pakistan, générant 250 millions d’euros d’économie par an. Les pays occidentaux se trouvent ainsi durement confrontés au retour d’une concurrence économique qu’ils avaient d’abord imposée triomphalement au reste du monde, parfois les armes Le cabinet McKinsey confirme sans s’émouvoir le rôle de nouveaux ratios inconnus jusque là. “À l'heure actuelle, les SSII françaises n'emploient qu'une faible fraction de leur main-d'œuvre dans les pays à bas coûts [2 à 6 % en moyenne]. Toutefois, les analystes financiers commencent à considérer ce pourcentage comme une variable essentielle pour déterminer la valeur de l'entreprise, incitant les entreprises de services informatiques à renforcer leur stratégie de délocalisation”, indiquent les auteurs. Ils affirment par ailleurs qu’avec plus de flexibilité et moins de 2. Voir un premier rapport sur le sujet, dès 1993, de Jean Arthuis, Les délocalisations et l’emploi, rapport du Sénat 3. Comment la France peut-elle tirer parti des délocalisations de service, McKinsey Global Institute 4. Tribune dans Les Echos, 14 juin 2005 Focus sur les travaux du Congrès du 60e Congrès Regards croisés sur la délocalisation des activités comptables 23 “réglementation autour des conditions de travail”, la France devrait globalement profiter de ce mouvement de délocalisation dans les services. En dépit de ces bienfaits si chaleureusement défendus, les délocalisations resteraient toutefois très limitées, selon plusieurs études et rapports publiés juste avant le référendum, allant à l’encontre de l’impression de phénomène de masse que laissent les annonces répétées dans les médias. Dans une des estimations les plus récentes et les plus argumentées, l’Insee calcule ainsi que dans l’industrie, sur la période 1995-2001, “en moyenne, 13 500 emplois auraient été délocalisés chaque année, soit 0,35 % de l’emploi industriel”5. Ces chiffrages ont été contestés par les partisans du non, affirmant qu’ils relèvent d’une sous-estimation statistique [Henri Emmanuelli, PS] niant des “réalités catastrophiques”. “Il existe depuis toujours un décalage persistant entre la manière dont les économistes évaluent et mesurent les délocalisations et la façon dont les citoyens se représentent le problème. La quasi-totalité des économistes ont tendance à dire que le phénomène des délocalisations, avec les pertes d’emplois qu’il entraîne, n’est qu’une toute petite partie d’un processus de “destruction créatrice” lui-même à la base du système capitaliste en économie de marché”, peut-on lire en réponse dans l’introduction du numéro spécial consacré au sujet par la revue En temps réel6. D’autres estimations, à l’étranger, confirment cependant cet effet relativement modeste. “Sur les quelques 1 500 cas de restructurations recensés en Europe de Janvier 2002 au 15 juillet 2003, les cas de délocalisation et de sous-traitance internationale ne représentent que 8 % des restructurations et 7 % des emplois supprimés”, [Désindustrialisation – délocalisation, rapport au CAE]. Plus étonnant encore contrairement aux impressions tirées des titres glanés dans la presse, les délocalisations “seraient un peu plus nombreuses à destination des pays développés, notamment des pays limitrophes de la France et des États-Unis. Dans ce cas, le phénomène de “délocalisation” s’inscrit surtout dans un cadre de restructuration des grands groupes multinationaux”, selon l’Insee. Moins de la moitié des emplois perdus le seraient pour des pays émergents. “Parmi ces pays, la Chine représente la principale destination de délocalisation, loin devant l’Afrique du Nord, l’Europe de l’Est, le reste de l’Asie et le Brésil”. La statistique confirme ici l’impression générale pour la Chine, mais elle la nuance sérieusement en ce qui concerne les délocalisations intra-européenne : elles se font à une large majorité vers des pays à niveau de salaires et de charges équivalents [Espagne, Italie, Allemagne], et non vers la République tchèque, la Pologne, les pays baltes ou la Hongrie, utilisés comme des repoussoirs de Constitution. Des études conduites outre-Rhin arrivent au même résultat : “les pertes d’emplois en Allemagne du fait de ces délocalisations vers les nouveaux pays membres ont été estimées à 90 000 emplois sur 1990-2001, soit 0,7 % de l’emploi des entreprises concernées et 0,3 % de l’emploi en Allemagne. Compte tenu des mouvements permanents sur le marché du travail, ce chiffre de 90 000 emplois équivaut au nombre d’emplois créés ou détruits en Allemagne en… une semaine” [Désindustrialisation délocalisation, rapport au CAE]. Pour nuancer encore leur estimation, les auteurs de l’Insee soulignent qu’il ne s’agit pas d’un bilan, les relocalisations dont bénéficient la France n’étant pas retenues, car impossibles à calculer rigoureusement. Elles existent aussi pourtant, mais ne peuvent se remarquer qu’au hasard de quelques annonces opportunes. La société d’hôtels des centres d’appels [SHCA] a rapatrié à Alès [Gard] un bureau ouvert au Maroc, dont la qualité insuffisante ne compensait pas le coût moindre. Carrier, multinationale américaine fabricant des appareils de chauffage et de climatisation, supprimera 1 200 postes à Coblence et Mayence, dans ses établissements allemands, au profit d’une usine tchèque et d’une française, installée à Aubagne [Bouche du Rhône] [Les Echos, 17 et 23 mai 2005]. Mais quel que soit le sens du mouvement, il est difficile à repérer, car aucune donnée statistique ne porte précisément sur ce phénomène. “La méthode se fonde sur l’observation concomitante d’une diminution d’effectifs en France et d’une augmentation des importations par le groupe du même type de bien qui était auparavant produit en France”, expliquent les auteurs de l’étude Insee. Ils retiennent aussi une définition un peu plus étendue de la délocalisation, considérant qu’une fermeture ou une réduction d’effectif suivie d’un accord de sous-traitance pour la fabrication du produit fabriqué auparavant en France suffit à caractériser le fait, sans qu’il y ait besoin d’une prise de contrôle effective. S’il est limité, le phénomène s’amplifie, ce qui était déjà perceptible à la fin de la période étudiée [1995-2001] par l’Insee. Les délais de calcul et de recul nécessaires ne permettent pas d’avoir de données plus récentes, mais “le film s’accélère, les difficultés sont devant nous”, préviennent Lionel Fontagné et Jean-Hervé Lorenzi, auteurs du rapport du CAE. L’analyse ne fait pas ressortir de régions particulièrement frappées par les délocalisations, mais elle souligne en revanche que certains secteurs [habillement et textile, équipements du foyer, fabrication de composants et de matériels électroniques] sont plus exposés que d’autres, même si tous sont touchés. Et surtout toutes les analyses reconnaissent que les salariés les moins qualifiés sont les plus menacés. Les délocalisations sont un des aspects de la compétition internationale qui se teinte plus que les autres d’injustice sociale, car elles profitent finalement au noyau des cadres dirigeants et des actionnaires, aux dépends des salariés affectés à la production. Dans le cas où les dirigeants et actionnaires n’auraient pas anticipé les problèmes en délocalisant, ils sombreraient de toute façon avec leur outil de production. Mais si, pour anticiper la perte de compétitivité et la faillite éventuelle, la direction de l’entreprise ferme ses unités de production en France et les transfère dans un pays à faible coût de main d’oeuvre, elle en récupérera de la marge à répartir entre les clients sous forme de baisse de prix [pour les retenir, ou en gagner de nouveaux], les actionnaires [sous forme de dividende]… et elle-même [pour bons résultats]. Les inconvénients d’une délocalisation frappent durement “les catégories les plus défavorisées et les moins mobiles [les non qualifiés] alors que les impacts positifs sont plus diffus et concernent à la fois les catégories les plus favorisées et les plus mobiles, ainsi que les consommateurs” [En temps réel]. “C’est un cocktail politique explosif, notent Lionel Fontagné et Jean-Hervé Lorenzi. Le traumatisme et ses conséquences sociales, mais aussi son coût politique ne doivent pas être 5. Direction des études et synthèses économiques : Délocalisations et réductions d’effectifs dans l’industrie française, Patrick Aubert et Patrick Sillard 6. En temps réel, avril 2005. Faut-il avoir peur des délocalisations, par Lionel Fontagné, professeur d’économie à Paris I, également co-auteur du rapporteur remis au CAE 24 Regards croisés sur la délocalisation des activités comptables Focus sur les travaux du Congrès du 60e Congrès mésestimés. Il s’agit probablement, tant au niveau de la perception que de la réalité, du principal sujet politique d’aujourd’hui”. Il est ainsi tout à fait logique que l’opposition à la Constitution européenne, accusée de ne rien faire pour contenir les transferts vers les nouveaux Etats membres de l’est, ait été portée surtout par les classes populaires. “Il est tout d’abord primordial de s’occuper des perdants de la mondialisation”, ajoute Lionel Fontagné, qui craint une perte de substance de l’économie nationale, si rien n’est fait pour sortir de la spirale par le haut, en créant notamment des pôles de compétitivité. économies en fonction des avantages comparatifs de chaque pays sera perçu comme une argutie choquante pour les intéressés, a fortiori lorsque cette explication est délivrée par des universitaires, salariés de la fonction publique, et à l’abri de tels risques. Il s’agit du “décalage préoccupant en démocratie, entre élites imprégnées de la complexité du monde et citoyens imprégnés par leur vécu” [En temps réel]. Lionel Fontagné y voit “un grand malentendu”, en relevant malicieusement la blague que se répètent les économistes, devenu un slogan peint sur les murs de STMicroelectronics à Rennes, délocalisée à Singapour : “Pourquoi les requins n’attaquent-ils pas les économistes ? Par courtoisie professionnelle”. Tout à leur analyse précise et pleine de nuances du phénomène, les économistes se sont attachés à circonscrire les pertes d’emplois strictement liées aux délocalisations, à différencier des conséquences de l’approvisionnement à l’étranger des hypermarchés, de la concurrence d’autres entreprises plus productives ou novatrices, ou encore des implantations accompagnant les conquêtes de marché internationaux. Pour les salariés concernés, l’origine du mal est peu ou prou identique. Que cela soit analysé comme le processus normal de la destruction-création d’emploi, et de la spécialisation des Focus sur les travaux du Congrès du 60e Congrès Regards croisés sur la délocalisation des activités comptables 25 ANNEXES Annexe 1/ Bibliographie • The Offshore Nation : Strategies for Success in Global Outsourcing And Offshoring From Atul Vashistha, Avinash Vashistha - McGraw-Hill - March 2006 • Manuel Jacquinet : “Les métiers des centres d’appels et de la relation client à distance” CCL & Woodword-2005 • Philippe Villemus : “Délocalisations. Aurons-nous encore des emplois demain ?” Ed Seuil. 2005. • Jérôme Barthélémy : “Stratégies d’externalisation”. Editions Dunod. Troisième éditions 2007. • El Mouhoub Mouhoud : “Mondialisation et délocalisation des entreprises” Edition La Découverte. Collection Repères. 2006. • Sénateur Jean Arthuis : “Délocalisations : rompre avec les modalités pour suivre le modèle français”. Tome I et tome II. Les Rapports du Sénat. Juin 2005 • Commission de l’Assemblée Nationale des Affaires Economiques de l’Environnement et du Territoire : “Rapport d’information sur les délocalisations.” Novembre 2006. • Françoise Drumetz : “La délocalisation” Direction des Etudes Economiques et de la Recherche de la Banque de France. Bulletin de décembre 2004. • Jean-Louis Levet : Commissariat Général du Plan. “Localisation des entreprises et rôle de l’Etat : une contribution au débat.” La Documentation Française. 2005. • OCDE : “Les délocalisations et l’emploi. Tendances et impacts.” Mai 2007. • Syntec Informatique : “Situation actuelle et développement de l’offshore dans les services informatiques en France.” Décembre 2006. 26 Regards croisés sur la délocalisation des activités comptables ANNEXES Annexe 2/ Questionnaire de l’enquête sur les délocalisations des activités comptables des cabinets d’expertise comptable en Europe auprès de la profession - Avril 2007 Une enquête de la Commission Développement des cabinets et des pratiques innovantes pour la préparation des travaux du 62e Congrès de l’Ordre sur le thème de l’Europe. 1. 2. 3. 4. 5. 6. 7. 8. 9. 10. 11. 12. 13. 14. 15. 16. 17. 18. 19. Avez-vous engagé des réflexions sur la possibilité d’externaliser vos activités comptables ? Si oui, quand et pourquoi avez-vous entamé la réflexion ? Des membres de votre réseau ont-ils déjà réalisé des expériences de délocalisation d’activités comptables en Europe ou à l’extérieur de l’Europe ? Dans quels pays avez-vous mené des investigations exploratoires lors de votre réflexion ? Quel est le différentiel de coût attendu dans ce type de démarche par rapport à des coûts nationaux, si tout est traité dans votre cabinet en France ? [différence en % par rapport à votre structure de coût] Quels sont les retours d’expérience, positifs ou négatifs, de vos contacts exploratoires ou expériences ? Est-ce que le retour sur investissement a été fructueux ? Quelles conséquences pour le cabinet en France, notamment pour l’organisation et les collaborateurs comptables ? Quels point spécifiques à notre réglementation professionnelle posent problème ou nécessitent un éclairage spécifique face à cette innovation dans le process comptable ? [assurance, contrôle qualité, inscription à l’Ordre, cotisations, secret professionnel, conformité à des normes professionnelles, responsabilité du cabinet, contrats, etc.] Vos clients ont-ils été prévenus de l’externalisation ? Comment ont été gérés les gains éventuels de productivité ? Dans une logique de management de la qualité de la tenue comptable, quels sont les points forts et les points faibles d’une externalisation des activités de traitement ? Est-ce que cela s’applique à des types de marché spécifiques en termes de taille d’entreprise ou de secteur d’activité ? Est-ce que la délocalisation implique des montages juridiques spécifiques pour votre cabinet ? De votre point de vue, les pays les plus favorables pour externaliser des activités de tenue comptable ? En Europe et en plutôt dehors de l’Europe ? Votre vision de l’évolution des collaborateurs comptables du cabinet en cas de délocalisation de tout ou partie de la tenue comptable ? Avez-vous envisagé également des formules alternatives à la délocalisation pour abaisser les coûts de production des activités comptables : télétravail, utilisations poussées de la dématérialisation, délocalisation des activités dans des zones à bas salaire en France, etc. ? Merci de nous donner une description brève de vos initiatives… La délocalisation est-elle un procédé viable pour les cabinets d’expertise comptable afin de performer les activités de tenue dans les 5 ans à venir ? Vraie bonne idée ou fausse bonne idée ou bonne idée pour certains cas très spécifiques ? Ce qui vous parait le plus important dans une opération d’externalisation en vue de sa réussite ? Sélectionner 5 points et attribuez leur un ordre d’importance [le 1 étant le point le plus important]. ❏ Professionnalisme, productivité, organisation du management ou comportement du personnel local ? ❏ Niveau d’éducation du pays d’accueil ? ❏ Maîtrise de technologies avancées pour le cabinet qui va externaliser ? ❏ Référentiel comptable local et notamment proximité par rapport au système comptable français ? ❏ Compétences comptables du personnel local [tenue, révision] ? ❏ Sécurité politique + climat social du pays d’accueil ? ❏ Eloignement géographique [par rapport à la France] ? ❏ Maîtrise de la langue française du personnel local ? ❏ Coût de la main d’œuvre locale ? ❏ Facilité d’accès par les transports du pays d’accueil ? ❏ Infrastructures technologiques du pays d’accueil ? ❏ Capacité du cabinet qui externalise à piloter la qualité des prestations rendues ? ❏ Volume d’écritures à traiter ? ❏ Autres [citer] ANNEXES Regards croisés sur la délocalisation des activités comptables 27 Ordre des Experts-Comptables 153 rue de Courcelles / 75017 Paris Tél 01 44 15 60 00 / Fax 01 4 15 90 05 www.experts-comptables.fr De l'0rdre des Experts-Comptables Europe & Entreprises Opportunités pour l'Expert-Comptable