La pollution environnementale en Chine

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La pollution environnementale
en Chine
Article de Marie Holzman, universitaire, sinologue spécialiste de la Chine
contemporaine.
La rapidité du développement économique en Chine durant ces trente dernières
années a un coût : la dégradation encore plus rapide de l’environnement. Les
dirigeants chinois affirment publiquement qu’ils en sont conscients, qu’ils vont
exiger un plus grand respect des normes environnementales, afin de diminuer leur
production de gaz à effets de serre et de nettoyer la pollution ambiante. Faut-il les
croire ? Dans cette course contre la montre pour atteindre le « rêve chinois » tant
vanté par Xi Jinping, le nouveau Président chinois, le développement du pays
parviendra-t-il à se réaliser avant la destruction de conditions de vie décentes pour
un milliard et demi de Chinois ?
CONSTAT
Voici plus de trente ans que de nombreuses industries polluantes du monde entier
se sont délocalisées vers la Chine : main d’œuvre bon marché, législation peu
regardante, espace disponible pour d’innombrables ateliers destinés à produire ce
que réclame le marché mondial sont à l’origine de l’émergence fulgurante de
l’économie chinoise. Parallèlement, la qualité de l’air s’est dégradée, les cours
d’eau sont maintenant considérés comme tous plus ou moins pollués, et un
cinquième des terres agricoles sont saturées de métaux dangereux comme le
cadmium ou le plomb que l’on retrouve dans les récoltes de riz du Hunan,
notamment.
Il est clair que le problème ne date pas d’hier et que les Chinois ont commencé à
détruire leur environnement depuis plusieurs siècles en déboisant les pans de
collines et de montagnes de façon inconsidérée, ce qui a entraîné une érosion des
sols et une progression des déserts qui n’ont fait que s’accélérer au cours du
XXe siècle. Mais le coup de grâce a été porté à partir de 1992, au moment où
Deng Xiaoping a lancé l’ensemble de la population chinoise dans une course au
profit, au détriment de toute autre considération que celle de l’argent rapide. Du
jour au lendemain, le respect des valeurs les plus fondamentales s’est évanoui : la
santé et la sécurité des ouvriers au travail, la qualité des produits alimentaires, le
maintien des paysans sur leurs terres n’entraient plus en compte lorsqu’il
s’agissait de livrer les commandes, d’offrir de nouveaux produits sur le marché ou
de laisser s’implanter des usines polluantes.
Après d’innombrables incidents en tous genres, les citoyens chinois commencent
enfin à prendre conscience des risques qu’ils encourent et, selon quelques
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économistes renommés tels que Zhang Shuguang1, ils affirment haut et fort que
l’Etat doit maintenant accorder la priorité à l’assainissement de l’environnement
plutôt qu’à la croissance économique.
L’AIR
L’année 2013 a été l’une des plus éprouvantes pour les habitants des grandes
villes chinoises : durant les mois de décembre 2012 et de janvier 2013 Pékin a
vécu un « airpocalypse », expression inventée par la presse anglophone pour
décrire la pollution atmosphérique ambiante. Ces deux mois calamiteux ont
provoqué trois fois plus d’hospitalisations liées aux maladies respiratoires que
d’ordinaire et un nouveau mot scientifique est entré dans le vocabulaire courant :
les particules PM2.5.2 Véritable cocktail pour cancers et maladies neurologiques,
ces particules sont chargées d’arsenic, de mercure, de plomb, de sélénium, de
soufre, etc. Durant l’hiver, il est estimé que les niveaux de pollution ont été
quarante fois plus élevés à Pékin que la norme considérée comme acceptable !
Une bonne partie de la pollution vient de l’industrie et de la circulation routière,
comme dans toutes les grandes villes, mais aussi de la combustion du charbon.
En effet on brûle plus de charbon dans un périmètre de 600 km autour de Pékin
que dans tous les États-Unis…
Parce que l’hiver 2013 a été particulièrement froid, les foyers ont dû utiliser plus
de charbon pour se chauffer que d’ordinaire, et les concentrations de particules
fines ont dépassé les 700 microgrammes par m3 durant trois jours (du 11 au
14 janvier) avec, par endroits, des pics à 886 microgrammes par m3. Ces chiffres
sont à mettre en relation avec celui de 25 microgrammes par m3, le seuil que
l’OMS recommande de ne pas dépasser sur une moyenne de 24 h.
Personne ne pouvait plus sortir dans la rue sans larmoyer et presque tout le
monde se couvrait la bouche d’un masque pour tenter de se protéger des fumées
âcres qui agressaient les rares piétons. Les sorties scolaires ont été annulées, les
cours de gymnastique se sont faits au sein des classes et les enfants ont été
soigneusement cloîtrés, chez eux, ou dans les internats. Malgré tout, les hôpitaux
de Pékin ont accueilli 9 000 enfants en urgence durant le mois de Pékin, dont la
moitié pour détresse respiratoire.
La circulation routière contribue grandement à la mauvaise qualité de l’air à Pékin.
La Municipalité, qui doit déjà gérer les embouteillages de cinq millions de
véhicules qui sillonnent la capitale, s’est engagée à limiter le nombre de voitures à
six millions en 2020. Ce genre de déclarations prête à sourire. En effet Pékin est
le siège du pouvoir et les Ministères, les hauts cadres du parti, les dirigeants de
l’Armée populaire de Libération ne reçoivent d’ordre de personne d’autre que du
Bureau politique du Parti communiste chinois. S’ils décident d’allouer de nouveaux
moyens de transport à leurs administrés (ou leurs parents, leurs proches et leurs
protégés) personne ne pourra les en empêcher ! De plus, le fait que la ville de
Pékin ne cesse de s’agrandir et que les trajets imposés aux habitants des villes
Zhang Shuguang, économiste, est chercheur dans l’Institut Unirule, dirigé par Mao Yushi. Né en 1929,
Mao Yushi est connu et admiré pour son courage intellectuel et ses idées libérales.
2 Ces particules, qui ont un diamètre inférieur à 2,5 micromètres, sont appelées « particules fines ».
Les particules supérieures à 10 micromètres sont retenues par les voies aériennes (le nez et la bouche)
alors que les particules fines pénètrent jusque dans les alvéoles pulmonaires.
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nouvelles, qui se développent comme des champignons autour de la périphérie
sans que réseau de transports urbains puissent suivre le rythme de la
construction, impose, en quelque sorte, l’usage de la voiture privée à la grande
majorité des Pékinois qui travaillent en centre-ville.
La peur des maladies respiratoires a provoqué des réactions en chaîne :
dorénavant les parents choisissent l’école où ils vont envoyer leur précieux enfant
unique en fonction de la qualité des filtres à air qui y ont été installés, plus qu’en
fonction de ses résultats académiques. Certaines écoles construisent des dômes
en textiles synthétiques pour protéger les cours et les terrains de sport des effets
du soleil et de la poussière. Les professeurs consultent les tableaux publiés toutes
les heures par l’Ambassade des Etats-Unis à Pékin avant d’autoriser la moindre
sortie à l’air libre. Ce sont en effet les Américains qui ont dévoilé en premiers la
détérioration catastrophique de l’air aux Pékinois et qui ont, en quelque sorte forcé
le gouvernement chinois à publier de vrais chiffres sur la qualité de l’air, mais la
population fait maintenant plus confiance à ce qu’elle trouve sur le site de
l’ambassade des USA qu’au bulletin météo de la télévision officielle. Tirant les
conséquences de ces résultats déplorables, le gouvernement américain attribue
un bonus d’environ 15 % du salaire de base aux diplomates en poste à Pékin,
10% pour ceux qui travaillent à Shanghai, car il devient de plus en plus difficile de
convaincre les familles de s’établir pour quelques années en Chine.
Tandis que les expatriés souhaitent retourner vivre dans leur pays d’origine, de
leur côté, les jeunes parents chinois fortunés envisagent d’émigrer pour éviter à
leur progéniture de devenir asthmatique dès son plus jeune âge 3. Les Chinois ne
commentent pas toujours ouvertement ce qu’ils observent, mais ils se souviennent
de tous les scandales qui ont secoué le pays depuis 2008 et sont furieux de la
négligence des autorités vis-à-vis du bien-être de leurs enfants. Il y a d’abord eu le
scandale du lait contaminé qui a fait, officiellement, six morts parmi les
nourrissons, mais qui a laissé des centaines de milliers de bébés handicapés à vie
pour déficience rénale. En effet, les plus grands fabricants de lait maternisé
(Sanlu, Mengniu) avaient cru bon d’ajouter de la mélamine à la poudre de lait sous
prétexte d’augmenter la qualité des protéines ingérées, sans réfléchir aux
conséquences dramatiques de cette substance, qui est une forme de colle, sur les
minuscules canaux urinaires des nouveaux nés… Depuis la découverte de cette
terrible supercherie, au lendemain de la tenue des Jeux Olympiques de l’été 2008,
le plus beau cadeau que l’on puisse faire à ses amis chinois est de leur rapporter
des boîtes de poudre de lait de France, de Hong Kong ou de tout autre pays
extérieur à la Chine. Pas surprenant de voir la première usine laitière chinoise
s’établir en septembre 2013 en Bretagne ! La société Synutra International, dont le
siège se trouve à Qingdao au Shandong, vient en effet d’investir cent millions
d’euros dans la construction d’une usine de lait en poudre en France et devrait
être opérationnelle au premier semestre 20154.
Avant le scandale du lait contaminé, il y avait eu le tremblement de terre du
Sichuan du 12 mai 2008. Même si ce drame-là était provoqué par la nature, ses
conséquences furent amèrement reprochées au gouvernement chinois. En effet,
sur les 70 000 morts, 18 000 disparus et quelque 300 000 blessés, on déplore le
décès de 5 000 enfants, victimes de l’effondrement de leurs écoles bâties dans
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Article du 24 avril 2013 dans le New York Times, d’Edward Wong.
Agence de presse Xinhua du 4 septembre 2013.
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des matériaux de mauvaise qualité surnommés depuis lors « constructions en
pâté de soja ». Ceux qui ont tenté d’apporter des informations sur les
effondrements de ces quelque 17 000 écoles effondrées, en prenant des photos
sur leurs ruines et en montrant comment des immeubles voisins, mieux construits,
avaient résisté aux secousses, tels Huang Qi, ou Tan Zuoren, ont été arrêtés par
les autorités et condamnés à de lourdes peines de prison. Les autorités locales
ont tenté d’acheter le silence des parents en versant rapidement des
compensations financières aux familles des victimes, mais le scandale s’est
d’autant moins effacé des mémoires que le célèbre artiste Ai Weiwei s’est
beaucoup impliqué dans la lutte contre l’oubli de ces petites victimes en
organisant la collecte de leurs noms, en tentant de faire la lumière sur ces drames
et en communiquant abondamment autour des récits individuels et collectifs.
Ce qui ressort de ces drames à répétition c’est que, de quelque côté qu’ils se
tournent, les parents chinois ont l’impression que l’État ne fait rien pour améliorer
l’environnement dans lequel ils doivent élever leurs enfants et que, au contraire,
tout est fait pour dissimuler la réalité des faits, et, du coup, faire courir des risques
de plus en plus grands à la population. En effet, comment se protéger si l’on ne
connaît pas la nature du danger que l’on court ? Si l’on ne sait pas que les écoles
sont mal construites, que l’huile est frelatée, que le lait est impropre à la
consommation, etc. ? Dès qu’un journaliste ou un citoyen courageux s’avise de
dénoncer les dérives des fonctionnaires corrompus, il est promptement rappelé à
l’ordre et perd souvent sa liberté. Ce fut le cas pour Huang Qi (cité plus haut) qui
fut condamné à trois ans de prison en 2009 pour « possession de secrets d’État »
parce qu’il avait tenté de participer au travail d’assistance aux victimes du séisme
du Sichuan et de Tan Zuoren, qui fut condamné à cinq ans de prison en 2010 pour
« tentative de subversion », et qui croupit toujours dans une prison du Sichuan,
parce qu’il s’était rendu auprès des parents des victimes du séisme et avait tenté
de mettre sur pied une base de données concernant les enfants disparus.
L’EAU
Comme s’il ne suffisait pas de ne plus pouvoir respirer un air décent, de craindre
la contamination du lait pour les enfants, et la fragilité des édifices pour les écoles,
il devient pratiquement impossible de trouver un cours d’eau qui ne soit pas
gravement souillé. Durant l’hiver 2012, les habitants de Shanghai ont même eu la
désagréable surprise de découvrir quelque 16 000 carcasses de porcs flottant
dans les eaux du Yangtsé et venant s’échouer non loin de la métropole ! Il faut
mettre cet incident en relation avec le fait que la Chine abrite la moitié des porcs
du monde entier, soit 700 millions de tête, dont la mortalité naturelle représente
3 à 5 % du cheptel, soit 18 à 35 millions selon les années. Que faire de toutes ces
carcasses ? Théoriquement, il faudrait les brûler ou les enfouir à plus d’un mètre
cinquante, mais en fait beaucoup d’éleveurs trouvent plus aisé de les balancer
dans les cours d’eau…
Ajoutés aux nombreuses annonces d’empoisonnements et d’incidents dans la
chaîne alimentaire, l’épisode des porcs morts a apporté une touche macabre au
triste constat de l’état des cours d’eau en Chine. Depuis plusieurs années déjà, les
experts chinois et occidentaux estiment qu’un cinquième du Fleuve Jaune, qui
alimente la Chine du Nord, ne devrait pas être utilisé pour quoi que ce soit : ni
pour la consommation en eau potable, ni pour la production d’énergie, et surtout
pas pour l’arrosage des cultures. Près de 40 % de la Hai, qui irrigue les grandes
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plaines du Nord-est sont considérés comme inutilisables. D’ailleurs cette pollution
a ouvert des marchés à la France, qui, en 2009, a signé un accord de coopération
franco-chinois pour l’assainissement de ce fleuve, long de 1 400 km, qui traverse
les provinces du Hebei, du Shanxi, du Henan et de Mongolie intérieure. Son
bassin, qui couvre une zone de 320 000 km carrés, souffre, selon les experts, de
« sécheresse chronique, de pollution et de dégradation environnementale »5.
De fait, environ 15 % des plus grands cours d’eau nationaux sont considérés
comme impropres au moindre usage, et plus de la moitié des nappes phréatiques
sont qualifiées de « polluées » ou d’ « extrêmement polluées », selon les plus
récentes statistiques officielles.
Des accidents provoqués par l’industrie chimique ou l’absence de traitement des
eaux sales provenant des égouts ne cessent d’attirer l’attention sur la qualité
délabrée de l’eau du pays, mais l’essentiel de la pollution vient pourtant encore
plus souvent de l’agriculture elle-même : l’usage abusif de pesticides, d’engrais
chimiques, ainsi que les déjections des animaux provoquent des pollutions qui
sont entraînées dans les rivières, les marécages, les lacs, les eaux côtières et les
réserves souterraines par la pluie et la fonte des neiges.
En 2004, le gouvernement chinois avait tenté de proposer une « croissance du
PNB verte » et estimé que le coût de la pollution annulait environ 3 % de
croissance du PNB. De son côté la Banque Mondiale estime que, durant la
décennie des années 2000, ce serait plutôt 10 % de points de croissance qui
auraient été annulés par la dégradation de l’environnement, dont 2,1 % seraient
liés à la pollution de l’eau et 1,1 % à la pollution du sol. Cette étude prenait surtout
en compte l’impact de la pollution sur la santé humaine.
Selon une enquête établie par un activiste environnementaliste, Lu Jun, en mai
2013, 298 millions de Chinois seraient actuellement obligés de se passer d’eau
considérée comme potable par les scientifiques.
Les villages du cancer
Ce n’est qu’en mars 2013 que le gouvernement chinois a fini par reconnaître qu’il
existait quatre cents « villages du cancer » recensés à travers le pays. Ces
villages où l’apparition de cancers au sein de la population prenait des proportions
tout à fait hors normes sont bien connus de tous les observateurs et chercheurs
chinois et étrangers, mais leur existence faisait encore partie des « secrets
d’État » soigneusement gardés, et il n’était pas question de mentionner leur
existence dans la presse. Pourtant, entre 2008 et 2011, il s’est produit un grave
incident lié à l’utilisation de produits chimiques tous les cinq jours6… Ces villages
du cancer sont particulièrement nombreux dans les zones côtières à cause des
nombreuses usines polluantes, que ce soit dans le textile, qui ne traite pas les
eaux servant à la teinture des textiles, ou dans l’industrie du cuir, qui ne recycle
pas les produits servant à assouplir les peaux, ou dans une ateliers de recyclage
des déchets de l’informatique, ou encore dans des provinces reculées où l’usage
des pesticides et des engrais chimiques a augmenté de façon inconsidérée, sans
que les paysans soient le moins du monde formés à leur utilisation, ni aux
précautions d’usage lors de l’épandage, de la manipulation ou du dosage. De la
même façon, les ouvriers dans les mines, atteints de silicose, mettent parfois des
Bulletin de l’ambassade de France en Chine du 9 février 2012.
Chiffres cités par le responsable du Projet Green peace, Jiang Zhuoshan sur son site en chinois, le 2
mars 2013.
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années avant de comprendre l’origine de leurs maux. Les médecins leur affirment
qu’ils doivent soigner leur tuberculose pour éviter que les patients portent plainte
contre leurs patrons pour maladie professionnelle !
A force de cacher la vérité au public, le pouvoir chinois et ses sbires provoquent la
colère des internautes. A l’occasion de la dernière Assemblée Nationale, qui s’est
tenue en mars 2013, l’avocat Dong Zhengwei a fait connaître son
mécontentement après que le Ministère de l’Environnement ait refusé de lui
communiquer des données concernant la pollution des sols parce qu’il s’agissait
d’un « secret d’État ». Pourtant il existe une enquête d’échelle nationale,
commencée en 2006 et conclue en 2010 sur la qualité des sols, mais M. Dong n’a
pas pu avoir accès aux conclusions de cette étude. Il est maintenant connu que
dans certaines provinces, comme le Hunan, 100 % des récoltes de riz sont
polluées par les métaux lourds comme le cadmium et le plomb. Pourtant le
gouvernement continue à commercialiser et à exporter ce riz sans informer le
public des risques encourus lors de sa consommation. Selon Liu Xin, un expert en
santé alimentaire, conseiller parlementaire, 40 % de l’agriculture chinoise est
irriguée par des eaux souterraines, et 90 % de cette eau est polluée7. C’est dans
ce contexte que Dong Zhengwei s’est fait connaître, à la suite de dizaine de
procès contre des cabinets gouvernementaux suite à la découverte de produits
alimentaires toxiques.
Ce genre d’incidents, qui commencent à être de mieux en mieux connus grâce à
Internet et à la prise de conscience progressive de la population, ne font
qu’augmenter un sentiment d’angoisse, voire de panique, par rapport à la
nourriture. Pourtant les Chinois ont toujours accordé à la nourriture une place de
choix dans leur existence. Fins gourmets, ils gardent aussi le souvenir des
révoltes paysannes provoquées par la famine qui pouvaient autrefois renverser
des dynasties. Tout le monde considère que se nourrir représente un besoin vital
pour la population, et nourrir le peuple une nécessité pour les gouvernants. Pour
autant, souvent excessifs, les élites chinoises, les nouveaux riches, les patrons
d’entreprise ou les fonctionnaires se laissent volontiers aller aux pires excès,
gaspillant sans hésiter, s’invitant les uns les autres, et rivalisant dans le luxe et la
dépense pour afficher leur statut social. Même si ce genre de comportements ne
concerne qu’une petite minorité de la population, elle représente déjà plus de cent
millions de Chinois, qui constituent la classe aisée urbaine. Ceux-là contribuent à
leur façon à la destruction de la biodiversité à l’échelle de la planète en jouissant
du plaisir de manger des oiseaux rares ou des plats exotiques comme les ailerons
de requin, la corne de rhinocéros ou la patte d’ours. Ce désir de goûter des mets
rares remonte à une tradition ancienne dans la gastronomie chinoise, mais, à
l’heure actuelle, rares sont ceux qui ont pris conscience des dangers que
représente cette coutume. La tendance serait plutôt d’en faire la quintessence de
la culture chinoise. Du coup, les espèces protégées deviennent plus un objet de
convoitise qu’une inspiration pour les écologistes ! Ce genre d’excès peut même
mener à des comportements à risque : la dégustation de civettes dans la province
du Guangdong est considérée comme une cause possible de la propagation de
l’épidémie du SRAS 8 en 2003 ; pourtant, dès que l’épidémie a été maîtrisée,
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Cité par l’hebdomadaire Nanfang Zhoumo, du 9 mars 2013.
Syndrome respiratoire atypique.
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l’appel à la prudence par rapport à la consommation de ces rongeurs a été vite
oublié. La gourmandise est repartie de plus belle.
Aujourd’hui, grâce aux appels d’écologistes motivés, l’opinion publique en Chine
commence à évoluer, et l’on s’interroge sur les dérives de cette tradition
ancestrale. Mais cela suffira-t-il à modifier les mœurs ? Sans doute pas. Les
Chinois semblent avoir oublié que l’homme ne peut exister sur cette planète sans
protéger les animaux, comme ils ont oublié qu’il fallait protéger l’individu contre la
violence arbitraire des plus forts.
L’URBANISATION
Le phénomène de l’urbanisation de la population mérite que l’on s’y attarde un
instant. En effet, pour la première fois dans l’histoire chinoise, la population
urbaine représente en 2013 52 % de la population. Rappelons que près de 80 %
des Chinois travaillaient encore la terre en 1980. Et ce que l’on appelle le « rêve
chinois », c’est, entre autres, l’intégration de 300 à 400 millions de paysans
supplémentaires dans les villes chinoises durant les quinze années à venir. Cette
transformation rapide de la société devrait être à l’origine d’une bonne part de la
croissance économique mondiale… si tout se passe comme dans un beau rêve et
que rien ne le fasse tourner au cauchemar, bien sûr ! Le scénario optimiste
évoque l’accroissement de la classe moyenne, qui représenterait environ
150 millions de Chinois à l’heure actuelle à environ 670 millions en 20219. C’est en
tout cas une thèse que soutient Joseph Stiglitz, Prix Nobel d’économie, qui
effectue de fréquents voyages en Chine. Mais pour cela, il faudrait donner aux
paysans fraîchement arrivés en ville un véritable statut d’urbain, ce qui reste
encore problématique. En effet, la société chinoise vit encore au rythme du
« hukou », système de classification de la population entre ruraux et urbains. Tant
que ce système ne sera pas réformé, et que les paysans ne pourront pas profiter
des mêmes bénéfices sociaux que les ruraux, cette émergence d’une classe
moyenne élargie ne pourra pas se faire, et l’urbanisation se poursuivra dans une
forme de violence, à l’égard des hommes comme de la nature.
Cette course à l’urbanisation et à la production a fait que la Chine a consommé en
2010, par exemple, 53 % du ciment dans le monde, 47 % du charbon, 45 % de
l’acier et du plomb, 39 % du cuivre, etc. mais la production chinoise ne représente
que 9,3 % du PNB mondial. Comme le fait remarquer l’économiste Zhang
Shuguang dans un article publié en Chine populaire 10 « on voit bien là que
l’efficacité économique chinoise est très faible. Même si l’on doit reconnaître
qu’elle a connu un développement considérable durant les années 1980 et 1990,
on peut dire qu’elle est maintenant au point mort, ou même qu’elle régresse. En
effet, la performance se base sur l’innovation et sur des réformes qui stimulent la
croissance. Nous n’avons fait qu’importer des technologies modernes mais
restons à la traîne de ceux qui innovent. »
En effet la dégradation de l’environnement s’explique autant par une absence de
volonté politique de préserver la santé de la population que par une
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Chiffres proposés par Homi Kharas, analyste de Brookings Institution, cité par Kam Wing Chan,
professeur de l’Université de Washington dans le département de géographie. Texte d’une conférence
visible sur son website.
10 Shidai Zhoubao (Hebdomadaire du Temps), du 25 juillet 2013.
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industrialisation trop rapide et mal gérée. Depuis la fin des années 1990, des
organisations non gouvernementales ont tenté d’exister pour protester contre la
construction du Barrage des Trois Gorges, contre l’implantation d’usines
chimiques trop près des villages, contre la pollution des lacs, etc. Leurs militants
ont souvent connu de durs revers : dissolution de leurs associations, destruction
de leurs archives, arrestation des plus actifs ne sont que quelques péripéties de la
longue lutte de la société chinoise pour se faire entendre et respecter.
À l’heure actuelle, un ancien industriel reconverti dans la médiation et fondateur
de l’Institut de l’Education civile Xin Shidai (Temps Modernes) à Pékin, Zhou
Hongling consacre son temps et ses compétences à tenter de jouer les
médiateurs entre des populations rurales exaspérées par les abus des cadres
locaux à leur égard. Selon lui, la situation sociale en Chine correspondrait à ce
que les sociologues définissent comme un « low intensity conflict », un pays en
« conflit de faible intensité », où la moindre étincelle peut provoquer des incidents
plus ou moins graves. Les autorités reconnaissent que ce qu’elles appellent des
« incidents » ne font qu’augmenter, année après année. Sur les quelque
180 000 incidents qui se sont produits chaque année depuis 2010, plus de la
moitié sont dus à des conflits entre paysans ou petits propriétaires et les autorités
locales. Selon M. Zhou il y aurait actuellement entre quarante et cinquante millions
de paysans sans terre qui seraient maintenant privés de tout moyen de
subsistance suite à des expulsions trop rapides. Pour lui l’enrichissement rapide
d’une partie de la population chinoise proviendrait essentiellement d’un marché
immobilier détourné au profit d’une minorité de fonctionnaires et de cadres locaux
corrompus. La moyenne nationale des transactions sur la terre tournerait autour
d’un rapport de 1 à 44. Cela signifie que, lorsqu’un paysan reçoit un dollar pour un
mètre carré de terre, par exemple, au bout du compte ce mètre carré sera revendu
44 dollars au futur investisseur. En chemin, les cadres locaux auront eu le temps
de se répartir les bénéfices de l’opération…
Pour Zhou Hongling, qui voyage constamment d’une province chinoise à l’autre, et
qui observe toutes sortes de situations dramatiques, la première étape de tout
projet d’aménagement urbain passe par des expropriations et l’appropriation de
terres essentiellement agricoles. Comme, en pratique, toute la terre appartient à
l’Etat chinois et que les paysans ne sont que locataires de leurs champs, au
travers de baux délivrés par les fonctionnaires locaux, il est facile d’avancer
l’argument de « l’intérêt collectif », de la « modernisation » pour accorder de
nouveaux « titres de propriété » de cinquante ou soixante ans à des entreprises
ou à des investisseurs immobiliers.
Cette démarche se passe généralement dans la plus grande opacité et il n’y a
aucune concertation entre les cadres locaux et les paysans destinés à être
expropriés. En cas de conflit, a décrit Zhou Hongling lors d’une allocution faite
dans l’enceinte de Forum Mondial des Droits de l’Homme à Nantes le
24 mai 2013, les personnes concernées commencent par porter plainte auprès
des tribunaux locaux, puis se rendent au chef-lieu du district, à la capitale
provinciale. Ils demandent audience, font appel, s’adressent à la presse et,
lorsque tout a échoué, ils cherchent de l’aide auprès d’avocats défenseurs des
droits civiques, ou tentent de se suicider en s’immolant par le feu ou en absorbant
du DDT ou de la mort aux rats.
Dans le village de Luzhuang, district de Shizhuang, province du Jiangsu, Zhou
Hongling affirme que, sur 6 000 habitants actifs, 1 000 ont connu des violences
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physiques entre 2003 et 2013. Le plus âgé d’entre eux avait plus de 80 ans.
Comme les autres, il a été battu, jeté en prison, condamné à des peines de
réclusions pouvant aller jusque trois ans sans procès, ni passage devant les
tribunaux.
Dans un ouvrage à paraître des chercheurs américains ont réalisé une étude11 au
début de l’année 2013 intitulée « Une nouvelle approche du mouvement collectif
des pétitionnaires dans la Chine rurale ». Ils expliquent qu’ils ont découvert que,
« dans chacune des cinq provinces étudiées, les syndicats du crime, et les
réseaux clandestins travaillaient en symbiose avec les administrations locales. Les
cadres villageois réorientaient les contrats dans la construction immobilière,
l’argent et les autres ressources en direction des réseaux de criminalité organisée,
pour obtenir en retour la garantie que les habitants des villages seraient
suffisamment intimidés pour ne pas tenter d’obtenir justice dans des cas
d’injustice tels que les terres réquisitionnées, l’extorsion fiscale, l’application
violente de la politique de l’enfant unique. »
Ce modèle de sous-traitance de la violence s’et développé au cours des dix
dernières années, parallèlement à la centralisation du pouvoir politique et des
ressources matérielles qui s’est consolidée au milieu des années 1990. Comme
cela était prévisible, cette nouvelle catégorie de gangsters employés officiellement
par les gouvernements locaux sous l’appellation de « chengguan » (vigiles) a
commencé à réclamer sa part de gâteau en retour de services rendus pour le
maintien de l’ordre social.
Le Premier Ministre actuel Li Keqiang, qui a obtenu son diplôme en sciences
économiques à l’Université de Pékin dans les années 1980 dans le climat libéral
de l’époque, a la lourde charge d’imposer son autorité sur des centaines de
districts et des milliers de cantons qui partagent le pouvoir avec des gangs
criminels. C’est dans ce contexte difficile que le régime chinois a dévoilé son
budget de la défense lors de l'ouverture du 12ème Congrès national du peuple le
5 mars 2013. Celui-ci est en hausse de plus de 10 %, atteignant 114 milliards de
dollars.
Mais le budget de la sécurité intérieure, sous la supervision du Comité
des affaires politiques et juridiques, va atteindre près de 124 milliards de dollars12.
Ce budget est principalement dédié à la répression et au « maintien de la
stabilité ». Autrement dit l’ennemi numéro 1 du gouvernement chinois est bien le
peuple chinois.
Il est ainsi plus facile de comprendre pourquoi les bonnes intentions du pouvoir
chinois en matière de réduction des effets de serre, de mise en place de stratégies
pour développer l’économie verte ne sont pas toujours suivies d’effet : si la
corruption permet à certains de s’enrichir en implantant de nouvelles industries
polluantes, il y a peu de chances que les personnes lésées par ces choix fassent
entendre leur point de vue. Malgré tout, la prise de conscience progresse. La
nécessité d’imposer des réformes politiques en profondeur semble de plus en plus
évidente et l’économiste Zhang Shuguang a quantifié cette évolution dans les
consciences du public.
11
Reassessing Collective Petitioning in Rural China, à paraître dans Comparative Politics, édité par City
University of New York.
12 Les experts discutent le montant réel du budget de la Sécurité publique, selon que ce dernier englobe
ou non le coût des frais de fonctionnement du Ministère de la Sécurité publique. Pour une analyse de ce
budget, voir l’article d’Emmanuel Puig, sur le site de Asia Centre, avril 2012, L’influence politique du
Ministère de la sécurité publique en Chine : acteurs et dynamiques contemporaines.
FIG 2013 – M. HOLZMAN– La pollution environnementale en Chine
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« Ce n’est que lorsque la population se mobilisera pour lutter contre la pollution
que les pollueurs seront dans l’obligation de respecter les règles. En fait, la
population est déjà pleinement consciente de la nécessité de préserver la nature.
Une enquête menée en 2013 auprès de la population urbaine a montré que
77,2 % des habitants estimaient que la protection de l’environnement passait
avant la croissance économique. 48,3 % des personnes interrogées estiment que
le gouvernement devrait consacrer les bénéfices de la croissance à la protection
de l’environnement, soit beaucoup plus que ceux qui souhaiteraient voir ces
sommes allouées aux dépenses de santé (28 %), à l’habitat (9 %), ou aux
investissements en faveur de la croissance économique (4,9 %). 13» Dans l’esprit
des Chinois, les temps ont déjà changé. L’heure n’est plus à la croissance
économique à tout-va. Elle est à la remise au propre de la copie du
gouvernement !
13
« Quel est en fait le coût environnemental du développement économique chinois ? » article de
Zhang Shuguang paru le 25 juillet 2013 dans le numéro 243 de l’hebdomadaire « Times » (Shidai
zhoubao) en chinois.
FIG 2013 – M. HOLZMAN– La pollution environnementale en Chine
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