FIG 2013 M. HOLZMAN La pollution environnementale en Chine 1
La pollution environnementale
en Chine
Article de Marie Holzman, universitaire, sinologue spécialiste de la Chine
contemporaine.
La rapidité du développement économique en Chine durant ces trente dernières
années a un coût : la dégradation encore plus rapide de l’environnement. Les
dirigeants chinois affirment publiquement qu’ils en sont conscients, qu’ils vont
exiger un plus grand respect des normes environnementales, afin de diminuer leur
production de gaz à effets de serre et de nettoyer la pollution ambiante. Faut-il les
croire ? Dans cette course contre la montre pour atteindre le « rêve chinois » tant
vanté par Xi Jinping, le nouveau Président chinois, le développement du pays
parviendra-t-il à se réaliser avant la destruction de conditions de vie décentes pour
un milliard et demi de Chinois ?
CONSTAT
Voici plus de trente ans que de nombreuses industries polluantes du monde entier
se sont délocalisées vers la Chine : main d’œuvre bon marché, législation peu
regardante, espace disponible pour d’innombrables ateliers destinés à produire ce
que réclame le marché mondial sont à l’origine de l’émergence fulgurante de
l’économie chinoise. Parallèlement, la qualité de l’air s’est dégradée, les cours
d’eau sont maintenant considérés comme tous plus ou moins pollués, et un
cinquième des terres agricoles sont saturées de métaux dangereux comme le
cadmium ou le plomb que l’on retrouve dans les récoltes de riz du Hunan,
notamment.
Il est clair que le problème ne date pas d’hier et que les Chinois ont commencé à
détruire leur environnement depuis plusieurs siècles en déboisant les pans de
collines et de montagnes de façon inconsidérée, ce qui a entraîné une érosion des
sols et une progression des serts qui n’ont fait que s’accélérer au cours du
XXe siècle. Mais le coup de grâce a été porté à partir de 1992, au moment où
Deng Xiaoping a lancé l’ensemble de la population chinoise dans une course au
profit, au détriment de toute autre considération que celle de l’argent rapide. Du
jour au lendemain, le respect des valeurs les plus fondamentales s’est évanoui : la
santé et la sécurité des ouvriers au travail, la qualité des produits alimentaires, le
maintien des paysans sur leurs terres n’entraient plus en compte lorsqu’il
s’agissait de livrer les commandes, d’offrir de nouveaux produits sur le marché ou
de laisser s’implanter des usines polluantes.
Après d’innombrables incidents en tous genres, les citoyens chinois commencent
enfin à prendre conscience des risques qu’ils encourent et, selon quelques
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économistes renommés tels que Zhang Shuguang
1
, ils affirment haut et fort que
l’Etat doit maintenant accorder la priorité à l’assainissement de l’environnement
plutôt qu’à la croissance économique.
L’AIR
L’année 2013 a été l’une des plus éprouvantes pour les habitants des grandes
villes chinoises : durant les mois de décembre 2012 et de janvier 2013 Pékin a
vécu un « airpocalypse », expression inventée par la presse anglophone pour
décrire la pollution atmosphérique ambiante. Ces deux mois calamiteux ont
provoqué trois fois plus d’hospitalisations liées aux maladies respiratoires que
d’ordinaire et un nouveau mot scientifique est entré dans le vocabulaire courant :
les particules PM2.5.
2
Véritable cocktail pour cancers et maladies neurologiques,
ces particules sont chargées d’arsenic, de mercure, de plomb, de sélénium, de
soufre, etc. Durant l’hiver, il est estimé que les niveaux de pollution ont été
quarante fois plus élevés à Pékin que la norme considérée comme acceptable !
Une bonne partie de la pollution vient de l’industrie et de la circulation routière,
comme dans toutes les grandes villes, mais aussi de la combustion du charbon.
En effet on brûle plus de charbon dans un périmètre de 600 km autour de Pékin
que dans tous les États-Unis…
Parce que l’hiver 2013 a été particulièrement froid, les foyers ont utiliser plus
de charbon pour se chauffer que d’ordinaire, et les concentrations de particules
fines ont dépassé les 700 microgrammes par m3 durant trois jours (du 11 au
14 janvier) avec, par endroits, des pics à 886 microgrammes par m3. Ces chiffres
sont à mettre en relation avec celui de 25 microgrammes par m3, le seuil que
l’OMS recommande de ne pas dépasser sur une moyenne de 24 h.
Personne ne pouvait plus sortir dans la rue sans larmoyer et presque tout le
monde se couvrait la bouche d’un masque pour tenter de se protéger des fumées
âcres qui agressaient les rares piétons. Les sorties scolaires ont été annulées, les
cours de gymnastique se sont faits au sein des classes et les enfants ont été
soigneusement cloîtrés, chez eux, ou dans les internats. Malgré tout, les hôpitaux
de Pékin ont accueilli 9 000 enfants en urgence durant le mois de Pékin, dont la
moitié pour détresse respiratoire.
La circulation routière contribue grandement à la mauvaise qualité de l’air à Pékin.
La Municipalité, qui doit déjà gérer les embouteillages de cinq millions de
véhicules qui sillonnent la capitale, s’est engagée à limiter le nombre de voitures à
six millions en 2020. Ce genre de déclarations prête à sourire. En effet Pékin est
le siège du pouvoir et les Ministères, les hauts cadres du parti, les dirigeants de
l’Armée populaire de Libération ne reçoivent d’ordre de personne d’autre que du
Bureau politique du Parti communiste chinois. S’ils décident d’allouer de nouveaux
moyens de transport à leurs administrés (ou leurs parents, leurs proches et leurs
protégés) personne ne pourra les en empêcher ! De plus, le fait que la ville de
Pékin ne cesse de s’agrandir et que les trajets imposés aux habitants des villes
1
Zhang Shuguang, économiste, est chercheur dans l’Institut Unirule, dirigé par Mao Yushi. Né en 1929,
Mao Yushi est connu et admiré pour son courage intellectuel et ses idées libérales.
2
Ces particules, qui ont un diamètre inférieur à 2,5 micromètres, sont appelées « particules fines ».
Les particules supérieures à 10 micromètres sont retenues par les voies aériennes (le nez et la bouche)
alors que les particules fines pénètrent jusque dans les alvéoles pulmonaires.
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nouvelles, qui se développent comme des champignons autour de la riphérie
sans que réseau de transports urbains puissent suivre le rythme de la
construction, impose, en quelque sorte, l’usage de la voiture privée à la grande
majorité des Pékinois qui travaillent en centre-ville.
La peur des maladies respiratoires a provoqué des réactions en chaîne :
dorénavant les parents choisissent l’école ils vont envoyer leur précieux enfant
unique en fonction de la qualité des filtres à air qui y ont été installés, plus qu’en
fonction de ses résultats académiques. Certaines écoles construisent des dômes
en textiles synthétiques pour protéger les cours et les terrains de sport des effets
du soleil et de la poussière. Les professeurs consultent les tableaux publiés toutes
les heures par l’Ambassade des Etats-Unis à Pékin avant d’autoriser la moindre
sortie à l’air libre. Ce sont en effet les Américains qui ont dévoilé en premiers la
détérioration catastrophique de l’air aux Pékinois et qui ont, en quelque sorte forcé
le gouvernement chinois à publier de vrais chiffres sur la qualité de l’air, mais la
population fait maintenant plus confiance à ce qu’elle trouve sur le site de
l’ambassade des USA qu’au bulletin météo de la télévision officielle. Tirant les
conséquences de ces résultats déplorables, le gouvernement américain attribue
un bonus d’environ 15 % du salaire de base aux diplomates en poste à kin,
10% pour ceux qui travaillent à Shanghai, car il devient de plus en plus difficile de
convaincre les familles de s’établir pour quelques années en Chine.
Tandis que les expatriés souhaitent retourner vivre dans leur pays d’origine, de
leur côté, les jeunes parents chinois fortunés envisagent d’émigrer pour éviter à
leur progéniture de devenir asthmatique dès son plus jeune âge
3
. Les Chinois ne
commentent pas toujours ouvertement ce qu’ils observent, mais ils se souviennent
de tous les scandales qui ont secoué le pays depuis 2008 et sont furieux de la
négligence des autorités vis-à-vis du bien-être de leurs enfants. Il y a d’abord eu le
scandale du lait contaminé qui a fait, officiellement, six morts parmi les
nourrissons, mais qui a laissé des centaines de milliers de bébés handicapés à vie
pour déficience rénale. En effet, les plus grands fabricants de lait maternisé
(Sanlu, Mengniu) avaient cru bon d’ajouter de la mélamine à la poudre de lait sous
prétexte d’augmenter la qualité des protéines ingérées, sans réfléchir aux
conséquences dramatiques de cette substance, qui est une forme de colle, sur les
minuscules canaux urinaires des nouveaux nés… Depuis la découverte de cette
terrible supercherie, au lendemain de la tenue des Jeux Olympiques de l’été 2008,
le plus beau cadeau que l’on puisse faire à ses amis chinois est de leur rapporter
des boîtes de poudre de lait de France, de Hong Kong ou de tout autre pays
extérieur à la Chine. Pas surprenant de voir la première usine laitière chinoise
s’établir en septembre 2013 en Bretagne ! La société Synutra International, dont le
siège se trouve à Qingdao au Shandong, vient en effet d’investir cent millions
d’euros dans la construction d’une usine de lait en poudre en France et devrait
être opérationnelle au premier semestre 2015
4
.
Avant le scandale du lait contaminé, il y avait eu le tremblement de terre du
Sichuan du 12 mai 2008. Même si ce drame-là était provoqué par la nature, ses
conséquences furent amèrement reprochées au gouvernement chinois. En effet,
sur les 70 000 morts, 18 000 disparus et quelque 300 000 blessés, on déplore le
décès de 5 000 enfants, victimes de l’effondrement de leurs écoles bâties dans
3
Article du 24 avril 2013 dans le New York Times, d’Edward Wong.
4
Agence de presse Xinhua du 4 septembre 2013.
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des matériaux de mauvaise qualité surnommés depuis lors « constructions en
pâté de soja ». Ceux qui ont tenté d’apporter des informations sur les
effondrements de ces quelque 17 000 écoles effondrées, en prenant des photos
sur leurs ruines et en montrant comment des immeubles voisins, mieux construits,
avaient résisté aux secousses, tels Huang Qi, ou Tan Zuoren, ont été arrêtés par
les autorités et condamnés à de lourdes peines de prison. Les autorités locales
ont tenté d’acheter le silence des parents en versant rapidement des
compensations financières aux familles des victimes, mais le scandale s’est
d’autant moins effacé des mémoires que le lèbre artiste Ai Weiwei s’est
beaucoup impliqué dans la lutte contre l’oubli de ces petites victimes en
organisant la collecte de leurs noms, en tentant de faire la lumière sur ces drames
et en communiquant abondamment autour des récits individuels et collectifs.
Ce qui ressort de ces drames à répétition c’est que, de quelque côté qu’ils se
tournent, les parents chinois ont l’impression que l’État ne fait rien pour améliorer
l’environnement dans lequel ils doivent élever leurs enfants et que, au contraire,
tout est fait pour dissimuler la réalité des faits, et, du coup, faire courir des risques
de plus en plus grands à la population. En effet, comment se protéger si l’on ne
connaît pas la nature du danger que l’on court ? Si l’on ne sait pas que les écoles
sont mal construites, que l’huile est frelatée, que le lait est impropre à la
consommation, etc. ? Dès qu’un journaliste ou un citoyen courageux s’avise de
dénoncer les dérives des fonctionnaires corrompus, il est promptement rappelé à
l’ordre et perd souvent sa liberté. Ce fut le cas pour Huang Qi (cité plus haut) qui
fut condamné à trois ans de prison en 2009 pour « possession de secrets d’État »
parce qu’il avait tende participer au travail d’assistance aux victimes du séisme
du Sichuan et de Tan Zuoren, qui fut condamné à cinq ans de prison en 2010 pour
« tentative de subversion », et qui croupit toujours dans une prison du Sichuan,
parce qu’il s’était rendu auprès des parents des victimes du isme et avait tenté
de mettre sur pied une base de données concernant les enfants disparus.
L’EAU
Comme s’il ne suffisait pas de ne plus pouvoir respirer un air décent, de craindre
la contamination du lait pour les enfants, et la fragilité des édifices pour les écoles,
il devient pratiquement impossible de trouver un cours d’eau qui ne soit pas
gravement souillé. Durant l’hiver 2012, les habitants de Shanghai ont même eu la
désagréable surprise de découvrir quelque 16 000 carcasses de porcs flottant
dans les eaux du Yangtsé et venant s’échouer non loin de la métropole ! Il faut
mettre cet incident en relation avec le fait que la Chine abrite la moitié des porcs
du monde entier, soit 700 millions de tête, dont la mortalité naturelle représente
3 à 5 % du cheptel, soit 18 à 35 millions selon les années. Que faire de toutes ces
carcasses ? Théoriquement, il faudrait les brûler ou les enfouir à plus d’un mètre
cinquante, mais en fait beaucoup d’éleveurs trouvent plus aisé de les balancer
dans les cours d’eau…
Ajoutés aux nombreuses annonces d’empoisonnements et d’incidents dans la
chaîne alimentaire, l’épisode des porcs morts a apporté une touche macabre au
triste constat de l’état des cours d’eau en Chine. Depuis plusieurs années déjà, les
experts chinois et occidentaux estiment qu’un cinquième du Fleuve Jaune, qui
alimente la Chine du Nord, ne devrait pas être utilisé pour quoi que ce soit : ni
pour la consommation en eau potable, ni pour la production d’énergie, et surtout
pas pour l’arrosage des cultures. Près de 40 % de la Hai, qui irrigue les grandes
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plaines du Nord-est sont considérés comme inutilisables. D’ailleurs cette pollution
a ouvert des marchés à la France, qui, en 2009, a signé un accord de coopération
franco-chinois pour l’assainissement de ce fleuve, long de 1 400 km, qui traverse
les provinces du Hebei, du Shanxi, du Henan et de Mongolie intérieure. Son
bassin, qui couvre une zone de 320 000 km carrés, souffre, selon les experts, de
« sécheresse chronique, de pollution et de dégradation environnementale »
5
.
De fait, environ 15 % des plus grands cours d’eau nationaux sont considérés
comme impropres au moindre usage, et plus de la moitié des nappes phréatiques
sont qualifiées de « polluées » ou d’ « extrêmement polluées », selon les plus
récentes statistiques officielles.
Des accidents provoqués par l’industrie chimique ou l’absence de traitement des
eaux sales provenant des égouts ne cessent d’attirer l’attention sur la qualité
délabrée de l’eau du pays, mais l’essentiel de la pollution vient pourtant encore
plus souvent de l’agriculture elle-même : l’usage abusif de pesticides, d’engrais
chimiques, ainsi que les déjections des animaux provoquent des pollutions qui
sont entraînées dans les rivières, les marécages, les lacs, les eaux tières et les
réserves souterraines par la pluie et la fonte des neiges.
En 2004, le gouvernement chinois avait tenté de proposer une « croissance du
PNB verte » et estimé que le coût de la pollution annulait environ 3 % de
croissance du PNB. De son côté la Banque Mondiale estime que, durant la
décennie des années 2000, ce serait plutôt 10 % de points de croissance qui
auraient éannulés par la dégradation de l’environnement, dont 2,1 % seraient
liés à la pollution de l’eau et 1,1 % à la pollution du sol. Cette étude prenait surtout
en compte l’impact de la pollution sur la santé humaine.
Selon une enquête établie par un activiste environnementaliste, Lu Jun, en mai
2013, 298 millions de Chinois seraient actuellement obligés de se passer d’eau
considérée comme potable par les scientifiques.
Les villages du cancer
Ce n’est qu’en mars 2013 que le gouvernement chinois a fini par reconnaître qu’il
existait quatre cents « villages du cancer » recensés à travers le pays. Ces
villages où l’apparition de cancers au sein de la population prenait des proportions
tout à fait hors normes sont bien connus de tous les observateurs et chercheurs
chinois et étrangers, mais leur existence faisait encore partie des « secrets
d’État » soigneusement gardés, et il n’était pas question de mentionner leur
existence dans la presse. Pourtant, entre 2008 et 2011, il s’est produit un grave
incident lié à l’utilisation de produits chimiques tous les cinq jours
6
Ces villages
du cancer sont particulièrement nombreux dans les zones côtières à cause des
nombreuses usines polluantes, que ce soit dans le textile, qui ne traite pas les
eaux servant à la teinture des textiles, ou dans l’industrie du cuir, qui ne recycle
pas les produits servant à assouplir les peaux, ou dans une ateliers de recyclage
des déchets de l’informatique, ou encore dans des provinces reculées l’usage
des pesticides et des engrais chimiques a augmenté de façon inconsidérée, sans
que les paysans soient le moins du monde formés à leur utilisation, ni aux
précautions d’usage lors de l’épandage, de la manipulation ou du dosage. De la
même façon, les ouvriers dans les mines, atteints de silicose, mettent parfois des
5
Bulletin de l’ambassade de France en Chine du 9 février 2012.
6
Chiffres cités par le responsable du Projet Green peace, Jiang Zhuoshan sur son site en chinois, le 2
mars 2013.
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