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2ème trimestre 2008 • 157
mathématisation de l’économie. Il est un des fondateurs de la Société d’économétrie
et il insiste auprès de ses étudiants, notamment à Harvard, sur la nécessité d’avoir un
bon niveau en mathématiques. Le deuxième élément de la méthode de Schumpeter
est de toujours appuyer ses thèses sur l’histoire. L’économiste a comme seul champ
d’expérimentation de ce qu’il affirme l’étude de l’histoire. Mathématicien, historien,
sociologue, juriste, tel doit être l’économiste. Et tel fut Schumpeter.
Que reste-t-il de ses recherches ? De plus en plus de choses serait-on tenté de dire,
tant, de fait, se sont effacés les simplismes keynésiens et les délires référencés à Marx.
Schumpeter avait déjà remarqué que les disciples proclamés de ces deux grands
hommes, en trahissant la pensée de leur maître, en soulignaient les limites.
Il reste donc un triptyque quasi magique qui permet de comprendre l’économie
capitaliste, depuis les origines de la révolution industrielle jusqu’à nos jours. Ce
triptyque est constitué de l’entrepreneur, du progrès technique et du crédit. Ce qui a
fait la croissance économique depuis le XVIIIe siècle, c’est d’abord l’existence d’in-
dividus déterminés qui ont utilisé leur volonté, non pas à se détruire sur des champs
de bataille comme pendant la période féodale, mais à construire dans des usines ;
c’est ensuite le progrès technique, l’innovation, la destruction créatrice, expressions
aujourd’hui bien connues, y compris du grand public, qui font de l’économie vue par
Schumpeter une dynamique et non pas un équilibre comme l’équilibre de marché
des économistes classiques ou néoclassiques ou l’équilibre de sous-emploi de Marx
et de Keynes ; c’est enfin le prolongement de cet aspect dynamique dans le domaine
monétaire au travers du crédit et du développement du système bancaire.
L’histoire comme expérience, la destruction créatrice comme mécanique du futur,
autant de façon d’intégrer le temps face à des réflexions économiques théoriques qui
ont souvent eu du mal à le cerner, à le comprendre, à rendre compte de ses consé-
quences. Ce jeu du temps, Schumpeter a cru le décrire de façon quasi exhaustive
dans son livre Business cycles de 1939. Œuvre colossale par son ambition et par son
volume, elle ne rencontre pas à l’époque de sa publication l’écho attendu.
En fait, ce qui va assurer la renommée et la survie intellectuelle de Schumpeter, ce
sont deux livres dont il n’aura pas le temps de voir l’impact. En 1942, Capitalisme,
socialisme et démocratie et en 1954, L’Histoire de la pensée économique sont livrés au
grand public. Ces deux livres, remarquables de clarté et de précision, sont le bilan
d’une œuvre et d’une vie. Leur message subliminal est celui du constat désabusé de
l’échec momentané des valeurs du capitalisme auxquelles croit Schumpeter. Dans sa
Tchécoslovaquie natale, en 1948, les communistes s’emparent du pouvoir avec le sou-
tien d’une partie significative de la population. Ingratitude des peuples qui doivent
leur bien-être au capitalisme et qui ne cessent de le vilipender, qui doivent leur travail
Schumpeter, le prophète de l’innovation