Jacques Derrida
L'article doit ĂȘtre dĂ©barrassĂ© d'une partie de son
Ce modĂšle est-il pertinent ? Cliquez pour en voir d'autres.
jargon (indiquez la date de pose grĂące au paramĂštre date).
Sa qualitĂ© peut ĂȘtre largement amĂ©liorĂ©e en utilisant un
vocabulaire plus directement compréhensible. Discutez
des points à améliorer en page de discussion.
Pour les articles homonymes, voir Derrida.
Jacques Derrida
Jacques Derrida (de son vrai nom Jackie Derrida) est
un philosophe français né le 15 juillet 1930 àEl Biar
(Algérie) et mort le 8 octobre 2004 àParis.
Professeur Ă  l'École normale supĂ©rieure, puis directeur
d'Ă©tudes Ă  l'École des hautes Ă©tudes en sciences so-
ciales, il a créé et développé l'école de pensée autour
du déconstructionnisme. Dans la lignée de Husserl et de
Heidegger, Derrida remet en question la phénoménologie
et la métaphysique traditionnelle et introduit une nouvelle
maniĂšre de penser les sciences humaines[1].
Le point de dĂ©part de son Ɠuvre est une critique de la
linguistique et de la place dominante qu'elle occupe dans
le champ des sciences humaines. Dans son ouvrage De la
grammatologie (1967), Derrida montre que le modĂšle lin-
guistique alors dominant repose sur une contradiction : la
langue serait constituée d'une parole orale, dont l'écriture
serait la transcription.La vraie langue (la langue origi-
naire) serait donc la langue orale. Mais la linguistique
s’appuie sur la langue Ă©crite pour la structure de la langue,
de sorte que l'origine de la langue Ă©crite est la parole
vive, mais que l'origine de la parole vive est la langue
Ă©crite. Derrida transpose ici dans le domaine de la lin-
guistique le questionnement de l'origine qui Ă©tait celui de
Husserl dans L'Origine de la géométrie (1954) [2] et intro-
duit la notion de supplément originaire, ou simplement de
supplément[3].
Cette contradiction de l'origine, posĂ©e d'abord — au ni-
veau de la langue — entre parole et Ă©criture, va ensuite
se rĂ©percuter dans tous les domaines oĂč Derrida por-
tera son investigation : structure d'un texte et supplé-
ment n'entrant pas dans cette structure mais la fondant
(le pharmakon[4] platonicien[5]), Ɠuvre d'art et cadre ou
marge de l'Ɠuvre (le parergon[6])[7], mort d'une idĂ©o-
logie et principe fondateur de cette idéologie (Spectres
de Marx), donner la mort et assumer la responsabili-
té de la mort donnée (Donner la mort[8])[9], interroga-
tions sur l'hostilitĂ© et l'hospitalitĂ©[10]'[11], sur la diïŹ€Ă©rence
sexuelle[12]

En 2007, Derrida était considéré par The Times Higher
Education Guide[13] comme le troisiĂšme auteur le plus ci-
tĂ© dans les ouvrages de sciences humaines de l’annĂ©e.
1 Biographie
1.1 Une enfance algéroise
Jacques Derrida est le troisiĂšme ïŹls d’AimĂ© Derrida qui
est d'origine séfarade et de Georgette Sultana Esther
Safar[14] qui est issue d'une famille juive d'Algérie et dont
les aïeux établis depuis des siÚcles en Algérie reçurent
la nationalité française lors de la promulgation du décret
Crémieux en 1870[15].
Il grandit en Algérie française et subit les lois de Vichy en
1940 lorsque sa famille est déchue pendant deux ans de
la nationalité française[16]. De 1935 à 1941, il va à l'école
maternelle et primaire d'El-Biar. Les enfants sont obli-
gés de manifester leur attachement au Maréchal de mul-
tiples maniÚres. Derrida, en qualité de juif, doit laisser
au deuxiĂšme de la classe sa place pour le lever de dra-
peau. Son frĂšre et sa sƓur ont Ă©tĂ© exclus de l'Ă©cole pour
la mĂȘme raison[17]. En 1941, il est lui-mĂȘme exclu du ly-
cée Ben Aknoun et il est inscrit jusqu'en 1943 au lycée
Émile-Maupas, mais il ne supporte pas l'atmosphùre com-
munautaire. Il retourne au lycée Ben Aknoun en 1944.
1
21 BIOGRAPHIE
Derrida connaßt ainsi, durant sa jeunesse, une scolarité
mouvementée. Il voit les métropolitains comme oppres-
seurs et normatifs, normalisateurs et moralisateurs. Spor-
tif, il participe à de nombreuses compétitions sportives
et rĂȘve de devenir footballeur professionnel. Mais c'est
aussi à cette époque qu'il découvre et lit des philosophes
et Ă©crivains comme Jean-Jacques Rousseau,Friedrich
Nietzsche,André Gide et Albert Camus. Il commence
à écrire un « journal intime ». En 1947-1948, en classe
de philosophie au lycée Gautier d'Alger, il lit Bergson et
Sartre. En 1948, inscrit en lettres supérieures au lycée
Bugeaud, il est marqué par la lecture de Kierkegaard et
Heidegger[18].
1.2 Les années de formation en France
En 1949, il va en France pour Ă©tudier en classe de
premiĂšre supĂ©rieure au lycĂ©e Louis-le-Grand Ă Paris, oĂč
il se lie d'amitié avec Pierre Bourdieu,Lucien Bianco,
Michel Deguy ou Louis Marin. Son professeur de phi-
losophie Étienne Borne trouve que ses dissertations sont
«plotiniennes[18] ». Il entre — aprĂšs deux Ă©checs — Ă 
l'École normale supĂ©rieure en 1952. Il y fait la rencontre
de Louis Althusser, agrégé-préparateur. Derrida milite
dans des groupes d'extrĂȘme gauche non communiste.
AprÚs sa licence en lettres à l'université de Paris, il part
aux Archives Husserl de Louvain en 1953-1954. Il ob-
tient le diplÎme d'études supérieures en philosophie avec
un mémoire concernant Le ProblÚme de la genÚse dans
la philosophie de Husserl[19], inïŹ‚uencĂ© par les travaux de
Jean Hyppolite,Tran Duc Thao et Jean CavaillĂšs. Il suit
les cours de Michel Foucault.
Reçu quatorziÚme au concours d'agrégation de philo-
sophie de 1956[20], aprĂšs un Ă©chec en 1955, il part Ă 
l'université Harvard comme special auditor. Il commence
la traduction et l'introduction de L'Origine de la géométrie
de Husserl. Il se marie en juin 1957 avec Marguerite Au-
couturier, une psychanalyste qu'il a rencontrée en 1953
par l'intermédiaire de son frÚre qui étudiait avec lui à
l'École normale supĂ©rieure.
Il eïŹ€ectue son service militaire de 1957 Ă  1959 (en pleine
guerre d'Algérie) comme enseignant dans une école
d'enfants de troupe prĂšs d'Alger[21]. Il rencontre souvent
Pierre Bourdieu Ă Alger. Il condamne la politique colo-
niale de la France et espÚre une forme d'indépendance
pour l'AlgĂ©rie oĂč pourraient coexister les AlgĂ©riens et les
Français d'Algérie[22].
En 1959, Derrida est aïŹ€ectĂ© au lycĂ©e Montesquieu du
Mans en classe de lettres supérieures et est invité à la pre-
miÚre décade de Cerisy-la-Salle (cycle de conférences au-
quel il sera invité quatre fois). Il fait son premier voyage
Ă Prague pour rendre visite Ă  la famille de son Ă©pouse.
L'année suivante il devient assistant à la faculté des lettres
de l'université de Paris. Il y enseignera jusqu'en 1964
(« philosophie générale et logique »). Il publie à cette
Ă©poque dans les revues Critique et Tel Quel et se lie
d'amitié avec Philippe Sollers. Il fréquente également
Robert Antelme,Pierre Boulez,Jean Genet,Pierre Klos-
sowski,Francis Ponge et Nathalie Sarraute.
1.3 Des débuts en philosophie
En 1963, naĂźt son premier ïŹls avec Marguerite Aucoutu-
rier, Pierre. La mĂȘme annĂ©e, il donne une confĂ©rence au
CollÚge philosophique sur Michel Foucault en sa présence
et critique sa thĂšse sur la folie Ă  propos de Descartes[23].
En 1964, il obtient le prix Jean-CavaillĂšs (prix
d'épistémologie) pour la traduction et le commen-
taire de l'Origine de la géométrie d'Edmund Husserl[24]. Il
est ensuite nommé maßtre-assistant d'histoire de la philo-
sophie Ă  l'École normale supĂ©rieure sur recommandation
d'Althusser et Jean Hyppolite[25]. Il conservera ce poste
pendant vingt ans.
Sa participation au colloque de Baltimore à l'université
Johns-Hopkins marque le début de ses fréquents voyages
aux États-Unis et de l'introduction de la nouvelle pensĂ©e
française sur le continent nord-américain. La polémique
débute en Amérique entre les partisans et les adversaires
de la « déconstruction ». Derrida rencontre à cette occa-
sion Jacques Lacan et Paul de Man.
1.4 Les premiers succĂšs et l'invention de la
« déconstruction »
En 1967, ses trois premiers livres sont publiés. Il pro-
nonce une conférence à la Société française de philo-
sophie sur « La diïŹ€Ă©rance » et publie ses trois grands
livres : De la grammatologie,L'Ă©criture et la diïŹ€Ă©rence,
La voix et le phénomÚne. Il cÎtoie réguliÚrement Edmond
Jabùs,Gabriel Bounoure ou Maurice Blanchot et s’asso-
cie progressivement Ă  Jean-Luc Nancy,Philippe Lacoue-
Labarthe et Sarah Kofman. Les éditions Galilée sont
fondées à cette époque et deviennent la « voix » de la
déconstruction.
En 1967, naĂźt son second ïŹls avec Marguerite Aucoutu-
rier, Jean.
Derrida participe aux dĂ©ïŹlĂ©s de Mai 1968 et organise
la premiĂšre assemblĂ©e gĂ©nĂ©rale Ă  l'École normale supĂ©-
rieure.
Il est accueilli avec une grande hospitalitĂ© aux États-Unis,
il enseigne dans des dizaines d'universités tandis que son
travail se heurte en France Ă  une opposition massive[26].
En 1970, son pÚre Aimé meurt d'un cancer à l'ùge de 74
ans.
En 1971, il revient en Algérie aprÚs neuf ans d'absence.
Il y donne cours et conférence.
En 1974, il met en place un Groupe de recherches
sur l'enseignement supĂ©rieur philosophique et s’engage
3
contre la Loi Haby de 1975.
En 1975, il devient professeur invité à l'université Yale
puis à l'université Cornell comme A. D. White Professor-
at-large.
En 1977, il signe les Pétitions françaises contre la majorité
sexuelle adressĂ©e au Parlement, appelant Ă  l’abrogation de
plusieurs articles du Code pénal sur la majorité sexuelle
et la dépénalisation de toutes relations consenties entre
adultes et mineurs de moins de quinze ans (la majorité
sexuelle en France) avec Michel Foucault,René Schérer,
Gabriel MatzneïŹ€,Tony Duvert,Louis Althusser,Jean-
Paul Sartre,Simone de Beauvoir et André Glucksmann,
Roland Barthes,Guy Hocquenghem,Jean Danet,Alain
Robbe-Grillet,Philippe Sollers et Françoise Dolto.
En 1978, Jacques Derrida prend l'initiative de lancer les
États gĂ©nĂ©raux de la philosophie Ă  la Sorbonne. Il s’im-
plique de plus en plus dans des actions politiques, do-
maine qu'il avait apparemment écarté de sa vie profes-
sionnelle (il est resté en retrait par rapport aux événe-
ments de mai 1968). Ainsi, il soutient toute sa vie la
cause démocratique en Afrique du Sud, ce qu'il nomme
« l'admiration » de Nelson Mandela ; un de ses ultimes
textes, in articulo mortis, est consacré au sujet de la ré-
conciliation (Commission de la vérité et de la réconcilia-
tion).
En 1980, en vue de poser sa candidature au poste de
professeur laissĂ© vacant par Paul RicƓur Ă  l'universitĂ©
Nanterre-Paris-X, Derrida soutient à l'université Paris-I
une thùse[27] pour le doctorat d'État sur la base d'un en-
semble d'anciens travaux des années 1967 et 1972[28]. Le
poste à Paris-X fut cependant supprimé par la ministre
Alice Saunier-Séïté.
En 1981, il fonde l'association Jean-Hus avec Jean-Pierre
Vernant qui aide les intellectuels tchĂšques dissidents.
Il sera arrĂȘtĂ© et briĂšvement emprisonnĂ© Ă  Prague (des
agents des services tchÚques ont dissimulé de la drogue
dans ses bagages) à la suite d'un séminaire clandestin.
C'est François Mitterrand qui le fera libérer.
1.5 Un philosophe de renommée interna-
tionale
Il fonde le CollĂšge international de philosophie en 1983
avec François Chatelet,Jean Pierre Faye et Dominique
Lecourt. L'une des traces les plus visibles dans son travail
de ce que certains ont considéré comme sa « politisation »
aura été la publication en 1993 de Spectres de Marx.
En 1984, alors toujours maĂźtre-assistant, il devient direc-
teur d'Ă©tudes Ă  l'École des hautes Ă©tudes en sciences so-
ciales.
En 1984, naĂźt son troisiĂšme ïŹls, Daniel Agacinski, issu de
sa relation hors mariage avec Sylviane Agacinski. Jacques
Derrida aura eu donc trois enfants, trois ïŹls.
Il est Distinguished Professor en philosophie, français et
Jacques Derrida avec Chinmoy Guha
littérature comparée à l'Université de Californie à Irvine
aux États-Unis à partir de 1986.
Le 5 décembre 1991, sa mÚre Georgette meurt. Les
derniers mois de vie ont suscité chez Derrida la rédac-
tion d'un texte autobiographique mĂȘlĂ© de rĂ©miniscences
augustiniennes,Circonfession[29].
En 1995, Jacques Derrida est membre du comité de sou-
tien Ă  Lionel Jospin. Mais il refuse de l'ĂȘtre en 2002, en
raison notamment du jugement qu'il porte sur la politique
du gouvernement socialiste sur l'immigration. Sylviane
Agacinski, qui fut la compagne de Derrida dont elle a eu
un ïŹls, Ă©crit dans son Journal interrompu, publiĂ© aprĂšs la
défaite de Jospin : « Je lis le 23 mai dans Libération que
Jacques Derrida n'a pas votĂ© au premier tour “par mau-
vaise humeur contre tous les candidats” ».
En 2002, Jacques Derrida et René Schérer rendent un
hommage à Pierre Bourdieu, à l'occasion d'un débat sur
la question de l'hospitalité[30].
À partir de 2003, Jacques Derrida souïŹ€re d'un cancer du
pancréas et réduit considérablement ses conférences et ses
déplacements. Il meurt le 8 octobre 2004 dans un hÎpital
parisien, Ă  l'Ăąge de 74 ans.
2 Philosophie
2.1 La diïŹ€Ă©rance
Le mot « diïŹ€Ă©rance » apparaĂźt probablement pour la pre-
miĂšre fois sous la plume de Derrida dans le texte d'une
conférence intitulée « GenÚse et structure » et la phénomé-
nologie[31], prononcée à Cerisy-la-Salle en 1959, reprise
ensuite dans L'Écriture et la diïŹ€Ă©rence[32]. Mais surtout,
La diïŹ€Ă©rance est le titre d'une confĂ©rence prononcĂ©e par
Derrida le 27 janvier 1968[33], publiée ensuite dans Théo-
rie d'ensemble[34] et dans Marges – de la philosophie[35].
42 PHILOSOPHIE
Tombe de Jacques Derrida
DÚs l'ouverture, Derrida prévient que ce néo-graphisme
(la diïŹ€Ă©rance) n'est, Ă  la lettre, ni un mot ni un concept,
et que l'intervention graphique qui consiste Ă  rempla-
cer le e par un a, « a été calculée dans le procÚs écrit
d'une question sur l'écriture »[35] (p. 4). Si elle concerne
bien deux voyelles, elle crĂ©e une diïŹ€Ă©rence qui « s’écrit
ou se lit, mais [...] ne s’entend pas. »[35] (p. 4). Ainsi
s’ouvre une sĂ©rie de questions au sujet de l'Ă©criture : « Il
n'y a pas d'écriture purement et rigoureusement phoné-
tique »[35] (p. 5). Sous toute écriture dite phonétique pré-
tendant pouvoir dire le sens idéalement et ainsi se passer
de l'écriture au sens courant, celle-ci ayant toujours été
secondarisée par la métaphysique, il y a un jeu silencieux
(donc non-phonĂ©tique) de diïŹ€Ă©rences (par espacement-
temporisation) qui déjà la travaille. Autrement dit, il y
a dĂ©jĂ  une Ă©criture dans la parole. Il s’agit donc moins,
pour Derrida, de reconduire l'opposition entre Ă©criture et
parole que de montrer que la seconde inclut (tout en la
refoulant) la premiĂšre.
Plus loin, insistant sur le fait que la diïŹ€Ă©rance n'est ni un
mot ni un concept, Derrida fait remarquer que le verbe
diïŹ€Ă©rer dit aussi bien ne pas ĂȘtre identique que remettre Ă 
plus tard. Mais le nom de diïŹ€Ă©rence, lui, n'Ă©voque pas la
temporisation, le délai, le détour du remettre à plus tard.
DiïŹ€Ă©rance au contraire « devrait compenser cette dĂ©per-
dition de sens »[35] (p.8), le a « provenant immédiatement
du participe prĂ©sent (diïŹ€Ă©rant) et nous rapprochant de
l'action en cours du diïŹ€Ă©rer, avant mĂȘme qu'elle ait pro-
duit un eïŹ€et constituĂ© en diïŹ€Ă©rent ou en diïŹ€Ă©rence. »[35]
(p. 8-9). Derrida souligne qu'en français, la terminaison
en ance « reste indécise entre l'actif et le passif »[35] (p.
9) et rappelle ainsi deux motifs que Saussure estimait in-
séparables et corrélatifs : l'arbitraire du signe et son ca-
ractĂšre diïŹ€Ă©rentiel. « Il ne peut y avoir d'arbitraire que
parce que le systÚme des signes est constitué par des dif-
férences, non par le plein des termes. »[35] (p. 11). La
signiïŹcation ne s’annonce qu'Ă  partir du fonctionnement
d'un réseau d'oppositions et de distinctions ; c'est-à-dire
de diïŹ€Ă©rences « sans termes positifs »[35] (p. 11). Les
mots ne sont pas des noyaux compacts. Par conséquent,
« le concept signiïŹĂ© n'est jamais prĂ©sent en lui-mĂȘme,
dans une prĂ©sence suïŹƒsante qui ne renverrait qu'Ă  elle-
mĂȘme. »[35] (p. 11). Tout concept s’inscrit nĂ©cessairement
dans une chaĂźne, dans un jeu de diïŹ€Ă©rences. La diïŹ€Ă©-
rance est « le mouvement de jeu qui “produit” [...] ces
diïŹ€Ă©rences, ces eïŹ€ets de diïŹ€Ă©rence »[35] (p. 12).
La diïŹ€Ă©rance est le mouvement « producteur » des diïŹ€Ă©-
rences : elle est le « processus » par lequel les signiïŹants
se substituent Ă  l'inïŹni, entraĂźnant le besoin d'un idĂ©al qui
porterait son sens au langage [réf. nécessaire]. Contemporain
du structuralisme, Derrida a repensĂ© la diïŹ€Ă©rence qui,
chez Ferdinand de Saussure (Cours de linguistique géné-
rale), donne sens aux Ă©lĂ©ments signiïŹants, par rapport Ă 
la répétition de la trace durable de l'institution d'un si-
gniïŹĂ©, comme absence au cƓur de la prĂ©sence. Aussi, la
« trace »[36] ne permet pas de remonter à une quelconque
origine : les concepts diïŹ€Ăšrent, ne sont jamais pleine-
ment en eux-mĂȘmes et sont intriquĂ©s malgrĂ© leurs appa-
rentes oppositions : il n'y a aucune vérité premiÚre externe
puisque le supplément constitue l'origine, il n'y a aucune
diïŹ€Ă©rence transcendantale Ă  poursuivre[rĂ©f. nĂ©cessaire].
Le philosophe Mikel Dufrenne dans Pour une philosophie
non thĂ©ologique[37], s’oppose aux pensĂ©es qui donnent
le primat à l'expérience de l'absence pure, en particu-
lier Heidegger,Blanchot et Derrida. C'est en absolutisant
l'absence, ou en en faisant le ressort de tout ce que nous
croyons trouver de consistant que la philosophie prĂȘte le
ïŹ‚anc aux thĂ©ologies nĂ©gatives, et donc Ă  la rĂ©introduc-
tion d'une forme de religiosité en philosophie. Ainsi la
"diïŹ€Ă©rance" est-elle un “concept non-conceptualisable”,
échappant à toutes les catégories du connaßtre mais se
trouvant Ă  leur source mĂȘme, Ă  la maniĂšre dont le Dieu
des mystiques ou l'Un nĂ©o-platonicien est ineïŹ€able car
“au-delĂ  de l'ĂȘtre”.
2.2 La déconstruction
Article connexe : DĂ©construction.
Derrida a la rĂ©putation d'ĂȘtre un Ă©crivain diïŹƒcile, exi-
geant pour son lecteur, mĂȘme pour des philosophes. Son
style est dense, il pratique de nombreux jeux de mots et
aïŹ€ectionne les allusions. Sa lecture, souvent dĂ©concer-
tante et nécessitant de nombreuses relectures, révÚle des
ouvertures sur l'avenir de la philosophie. Sa remise en
cause d'Husserl et plus largement de la philosophie occi-
dentale le conduit à déconstruire l'approche phénoméno-
2.3 La trace 5
logique : pour lui, l'Ă©crit a longtemps Ă©tĂ© nĂ©gligĂ© au proïŹt
de la parole. Il fait alors la chasse aux impasses métho-
dologiques. Ce travail prend place dans l'introduction de
l'Origine de la Géométrie.
De Platon (PhÚdre) à Rousseau et Lévi-Strauss, il dé-
nonce la primauté traditionnelle de la parole, conçue
comme « vie » et « prĂ©sence », sur l’écriture[rĂ©f. nĂ©cessaire]. Il
désigne ce systÚme métaphysique comme logocentrisme,
voire phallogocentrisme[38]. Il « déconstruit » donc la
métaphysique occidentale, fondée sur la détermination de
l’ĂȘtre en tant que prĂ©sence, en mettant Ă  jour les prĂ©suppo-
sés qui la sous-tendent et les apories auxquelles elle mÚne.
En particulier, il s’agit de dĂ©couvrir, dans les textes de la
tradition, l'articulation binaire de concepts que la méta-
physique prétend distinguer dans leur pureté :
‱PrĂ©sence / absence ;[rĂ©f. nĂ©cessaire]
‱PhĂ©nomĂšne / essence ; intelligible / sensible, rĂ©alitĂ©
/ apparence ;[réf. nécessaire]
‱Parole / Ă©criture ; nature / culture ; artiïŹce / authen-
ticité ; masculin / féminin...[réf. nécessaire]
Chacune de ces oppositions est complice des autres
et constitue un ensemble de valeurs qui dépassent le
cadre philosophique : cette binarité est proprement
politique[réf. nécessaire] et dévalorise systématiquement l'un
des termes, pensé comme « accident », « parasite », « ex-
crément ».
Or, le langage, mĂȘme oral, ne signiïŹe qu’en impliquant
mort ou absence du référent[39] : l'itérabilité qui fonde la
possibilitĂ© du signe inscrit Ă  mĂȘme celui-ci la coupure de
son « origine », la décontextualisation, l'absence du locu-
teur. Le sens suppose en son cƓur absence de rĂ©fĂ©rent et
de la conscience, car il se dĂ©ploie dans l’intervalle qui les
sépare, dans la convention linguistique qui rend tout signe
par dĂ©ïŹnition dĂ©tachable de son contexte.
Cependant, le travail de la déconstruction assume
de ne jamais se libĂ©rer pleinement de ce qu’elle
dĂ©mystiïŹe[rĂ©f. nĂ©cessaire] : elle travaille Ă  mĂȘme les concepts,
en joue pour les jouer contre eux-mĂȘmes, cherche Ă  dĂ©-
placer les oppositions sans prétendre les anéantir.
Le désir de présence qui habite le désir de sens (que la
chose visée soit donnée en tant que telle dans la visée)
est contradictoire, puisque le sens n'Ă©merge que dans sa
« mortifÚre »[réf. nécessaire] itérabilité.
Derrida Ă©prouve un cƓur d’opacitĂ© au cƓur du rationnel,
identiïŹĂ© comme dĂ©faut nĂ©cessaire et originaire de prĂ©-
sence, comme Ă©cart originaire.
Il s’agit, selon François-David Sebbah[rĂ©f. nĂ©cessaire],
d’éprouver et non de produire des rĂ©sultats positifs.
2.3 La trace
Du fait que dans la langue il n'y a que des diïŹ€Ă©rences, un
jeu de diïŹ€Ă©rences (cf. La diïŹ€Ă©rance, in Marges – de la
philosophie, Éditions de Minuit, 1972, (p. 11), et non des
termes positifs, qui seraient « pleins », pleinement pré-
sents Ă  eux-mĂȘmes, sortes de noyaux stables autonomes,
Derrida propose d'appeler « trace » ce qui permet le pro-
cĂšs de la signiïŹcation, Ă  savoir le fait pour un Ă©lĂ©ment de
la langue de garder « en lui la marque de l'élément pas-
sé » et de se laisser « déjà creuser par la marque de son
rapport à l'élément futur »[36] ( p. 13).
Illustrant le jeu de la diïŹ€Ă©rance, la trace n'est ni l'absence
ni la présence : « La trace n'[est] pas une présence mais
le simulacre d'une présence qui se disloque, se déplace,
se renvoie, n'a proprement pas lieu, l'eïŹ€acement appar-
tient à sa structure [...] » (p. 25). Le présent « devient
une fonction dans une structure de renvoi généralisé ».
Plus généralement, le concept de trace tel que Der-
rida l'Ă©labore permet de contester d'une certaine fa-
çon (déconstruire) l'autorité du présent, de la conscience
pleine, du comme tel (auquel la philosophie a toujours cru
et sur lequel elle s’est fondĂ©e), l'autoritĂ© de l'essence, du
signiïŹĂ© transcendantal, etc. (p. 27).
2.4 La dissémination
La dissémination est un essai paru d'abord en 1969 dans
la revue Critique et qui a ensuite pris place Ă  la ïŹn d'un
ouvrage auquel il a donnĂ© son nom, en 1972 aux Éditions
du Seuil (Paris). Cet essai (p. 319 à 407) s’appuie no-
tamment sur certains textes de Mallarmé et des romans
de Philippe Sollers (Drame,Nombres...) pour dévelop-
per un « concept » inscrit, comme le dit Derrida dans
la “chaĂźne ouverte de la diïŹ€Ă©rance, du “supplĂ©ment”, de
l' "Ă©criture”, du “gramme”, du "pharmakon" [...]. DissĂ©-
mination ne veut rien dire en derniĂšre instance et ne peut
se rassembler dans une dĂ©ïŹnition [...]. Si on ne peut rĂ©-
sumer la dissĂ©mination, la diïŹ€Ă©rence sĂ©minale, dans sa
teneur conceptuelle, c'est que la force et la forme de sa
disruption crÚvent l'horizon sémantique[40].
Autrement dit, la dissémination excÚde la polysémie, car
celle-ci « s’organise dans l'horizon implicite d'une rĂ©-
sumption unitaire du sens, voire d'une dialectique »[40].
« La dissémination, au contraire, pour produire un
nombre non-ïŹni d'eïŹ€ets sĂ©mantiques, ne se laisse recon-
duire ni à un présent d'origine simple [...], ni à une pré-
sence eschatologique. Elle marque une multiplicité irré-
ductible et générative. »[40]. La dissémination est le jeu
de ce qui empĂȘche la formalisation sans reste de la signi-
ïŹcation prĂ©tendue d'un texte. C'est le nom d'un « rĂ©gime
moteur du surplus (et du) manque »[40] de sens d'un texte
(qu'on a toujours tendance Ă  supposer ïŹni, mĂȘme s’il y a
polysémie). La dissémination, c'est ce qui interrompt la
totalisation : « la série des valences sémantiques ne peut
plus se fermer ou se rassembler »[41]. Cela dit, le jeu de la
1 / 14 100%
La catégorie de ce document est-elle correcte?
Merci pour votre participation!

Faire une suggestion

Avez-vous trouvé des erreurs dans linterface ou les textes ? Ou savez-vous comment améliorer linterface utilisateur de StudyLib ? Nhésitez pas à envoyer vos suggestions. Cest trÚs important pour nous !