EN R ECHERCHE SOINS INFIRMIERS Revue Trimestrielle 4 numéros par an. Directrice de la publication : Monique FORMARIER COMITÉ DE RÉDACTION Monique FORMARIER Nicole MAIRESSE Brigitte GUERRIN Guy ISAMBART Ljiljana JOVIC Martine PEGON Cholet Rueil Pontoise Clermont-de-l’Oise Paris Montpellier Paule BIROT Geneviève POIRIER COUTANSAIS Thérèse PSIUK Geneviève ROBERTON Paulin TCHASSOU Arles La Roche s/Yon Lille Lyon Paris ABONNEMENTS MALLET CONSEIL : 2, place Antonin Jutard, 69003 Lyon Tél. : 04 78 95 10 11 Fax 04 78 95 39 68 SIÈGE SOCIAL ARSI – 31, rue du Docteur Chatellier – 60600 CLERMONT Tél. : 03 44 50 36 03 Fax 03 44 50 57 05 E-mail : giarsi@club-internet. fr U.R.L. : http://perso.club-internet.fr/giarsi/ Commission paritaire : 71232 ISSN : 0297-2964 La revue « Recherche en Soins Infirmiers » (RSI) est répertoriée dans les banques de données : - PASCAL de l’I.N.I.S.T. (Institut de l’Information Scientifique et Technique) - B.D.S.P. (Banque de Données de Santé Publique) - C.I.N.A.H.L. (Cumulative Index to Nursing and Allied Health Littérature) ÉDITION MALLET CONSEIL ABONNEMENTS 2002 Les abonnements passés en cours d’année portent sur les 4 numéros de l’année en cours. ✂ Je m’abonne pour 1 an (4 numéros de l’année en cours) à la revue « Recherche en soins Infirmiers ». NOM Prénom FONCTION Secteur d’Activité ADRESSE Téléphone TARIFS 2002 TTC – FRAIS DE PORT COMPRIS : ❏ 4 Nos (1 par trimestre) ❏ FRANCE 88 € ❏ ÉTRANGER 100 € POUR COMPLÉTER VOS COLLECTIONS : ❏ Collection 87 : 23 € ❏ Collection 93 : 31 € ❏ Collection 88 : 23 € ❏ Collection 94 : 39 € ❏ Collection 89 : 23 € ❏ Collection 95 : 39 € ❏ Collection 90 : 31 € ❏ Collection 96 : 39 € ❏ Collection 91 : 31 € ❏ Spécial Méthodologie sept. 97 : 22 € Je verse la somme de représentant abonnement(s) ❏ Collection 97 ❏ Collection 98 ❏ Collection 99 ❏ Collection 2000 ❏ Collection 2001 par chèque à l’ordre de MALLET CONSEIL, 2, Place Antonin Jutard, 69003 Lyon. : 39 € : 39 € : 46 € : 49 € : 54 € S OMMAIRE N° 69 JUIN 2002 RECHERCHE EN SOINS INFIRMIERS ÉDITORIAL . ................................................................................................................................................ Monique FORMARIER RENCONTRE De quelques déterminants paramédicaux à l’esquisse d’une figure soignante........................................... Dominique BOURGEON MÉTHODOLOGIE Les outils de bonnes pratiques et d’aide pour l’action de soins........................................................................ Ljiljana JOVIC Annie COMPAGNON Françoise FABRE 3 5 30 Conférence de consensus : prévention et traitement des escarres de l’adulte et du sujet âgé.................... 41 RECHERCHE Partenariat et renouvellement du paradigme éducatif en sciences infirmières........................................... Hélène LEFEBVRE, Diane PELCHAT et Michelle PROULX 53 Satisfaction des parents à la naissance d’un enfant ayant une déficience lors d’une intervention familiale ............................................................................................................... Diane PELCHAT, Hélène LEFEBVRE, Michelle PROULX et Mary REIDY Recherche présentée en 4 parties : • expériences et significations du réconfort pour la personne opérée et pour l’infirmière qui en prend soin (1ère partie) ................................................................................ Maud BECHERRAZ 68 80 • de l’intérêt de la phénoménologie pour la mise en évidence de l’expertise infirmière et le développement de connaissances en soins infirmiers (2ème partie) ............................................... Maud BECHERRAZ 88 • expériences et significations du réconfort pour la personne opérée (3ème partie) .................................. Maud BECHERRAZ 100 • expériences et significations du réconfort pour l’infirmière (4ème partie) ............................................... Maud BECHERRAZ 111 VARIATION Les notes infirmières : quelle contribution à la qualité du dossier de soins ? ............................................ Ronald MÜLLER, Anne Claire RAË, Vincent DUPONT, Sandra MERKLI et Ingrid LANG Le vaccin contre la grippe et les personnes âgées : étude sur les représentations menées auprès de cinq focus qroups à GENÈVE....................................................................................... Eliane PERRIN et Vanessa VAUCHER 2 Recherche en soins infirmiers N° 69 - juin 2002 122 130 E DITORIAL M. FORMARIER Rédactrice R.S.I. La revue R.S.I. pour la 1ère fois publie dans un de ses numéros, les conclusions d’une conférence de consensus (1). Ces méthodes permettent la construction de la science d’aujourd’hui. La recherche est indispensable pour la compréhension des phénomènes et la maîtrise de leur utilisation car, si la technique est par nature faite d’une accumulation de détails, elle ne peut progresser sans en comprendre les lois. Si ce type de travaux est largement diffusé dans la presse scientifique médicale ou autre, il n’en est pas de même dans la presse infirmière française. Notre époque est caractérisée par un impératif : comprendre pour mieux agir. Les conférences de consensus, les recommandations pour la pratique clinique et toutes les méthodes qui reposent sur des confrontations d’idées et de recherches ont permis, au fil des siècles, de construire des paradigmes scientifiques. La critique des professionnels est essentielle car elle repose sur un pragmatisme qui englobe la faisabilité et l’application possible de nouvelles techniques, de nouveaux procédés aux situations concrètes. Dans ses travaux, KUHN (1962) estime que la science ne procède pas de manière cumulative mais constitue un champ d’affrontement permanent de théories et de paradigmes concurrents. La confrontation, entre pairs, des travaux scientifiques, entraîne des prises de risque que chaque chercheur, dans toutes les disciplines, doit être prêt à assumer car il est indissolublement lié à tout ce qu’il entreprend. Les infirmières européennes pratiquent peu les méthodes de confrontation scientifiques : • frilosité intellectuelle ? • manque d’assurance dans les recherches ? • manque de structures adaptées ? • esprit de chapelle ? Au sein d’une communauté scientifique, le risque ne peut plus être subi ou calculé mais pris après avoir été évalué et modélisé car, comme dans beaucoup d’autres domaines, il y a la nécessité de répondre à une concurrence nationale et internationale souvent féroce. La vérité se trouve sûrement au carrefour de toutes ces hypothèses. Un grand nombre d’infirmières travaillent actuellement de façon confidentielle sur des protocoles, des recommandations dans tous les domaines des soins : techniques, relationnels, éducatifs. Cette pression permanente de prise de risque scientifique pousse les chercheurs à améliorer sans cesse leurs travaux pour parfaire les résultats. On ne peut que déplorer le manque d’échanges, de confrontations, de publications des travaux réalisés. L’inorganisation de notre profession n’encourage pas ce type de rencontre scientifique. La confrontation est au centre des conférences de consensus : • confrontation entre chercheurs venant de plusieurs disciplines comme nous le montre la conférence de consensus sur la prévention et le traitement des escarres. • Confrontation au cours d’un débat public avec des professionnels. Il est souhaitable, et nous nous efforçons d’œuvrer dans ce sens, que les conférences de consensus soient encouragées, soutenues, diffusées quand elles concernent le domaine des soins infirmiers. 3 Recherche en soins infirmiers N° 69 - juin 2002 1 MÉTHODE «CONFÉRENCE DE CONSENSUS» MÉTHODE «RECOMMANDATIONS POUR LA PRATIQUE CLINIQUE» (OU «MÉTHODE RPC») Méthode standardisée d’élaboration de recommandations médicales et professionnelles. Méthode standardisée d’élaboration de recommandations médicales et professionnelles. Les recommandations sont élaborées par un jury multidisciplinaire et multiprofessionnel, au terme de la présentation et de la discussion publiques de rapports d’experts. La séance publique tient à la fois de la conférence scientifique, du débat démocratique durant lequel les experts et l’auditoire peuvent exprimer leurs points de vue et de la procédure judiciaire au terme de laquelle un jury doit prendre position. La rédaction des recommandations se fait à huis clos, entre 24 et 48 heures, au terme du débat public. Les recommandations sont élaborées par un groupe de travail multidisciplinaire et multiprofessionnel au terme : 1) d’une analyse et d’une synthèse des données scientifiques disponibles et 2) l’avis d’un groupe de lecture extérieur, également multidisciplinaire et multiprofessionnel, qui permettent de définir «l’état de l’art» à un moment donné sur le thème des recommandations. Idéalement, cette méthode trouve sa place lorsque le thème des recommandations se décline en de nombreuses questions et sous-questions préétablies, auxquelles le groupe de travail répond en élaborant des recommandations détaillées ; Idéalement, cette méthode trouve sa place lorsque : – le thème des recommandations peut se décliner en quatre à six questions préétablies, auxquelles le jury doit avoir matériellement le temps de répondre dans le délai limité dont il dispose. – le thème à traiter donne lieu à une controverse exigeant un débat public de la part des professionnels et une prise de position claire à un moment donné, définie par le jury. – l’élaboration des recommandations consiste avant tout à faire une synthèse de données multiples et dispersées et non de résoudre une controverse exigeant un débat public de la part des professionnels. Ces définitions sont empruntées à : ANDEM. Glossaire des termes techniques couramment utilisés par l’ANDEM. Paris, ANDEM, mai 1997. 4 Recherche en soins infirmiers N° 69 - juin 2002 R ENCONTRE Dominique BOURGEON. Manipulateur en électroradiologie, Formateur. DE QUELQUES DÉTERMINANTS PARAMÉDICAUX À... L’ESQUISSE D’UNE FIGURE SOIGNANTE... RÉSUMÉ Cet article se propose d’étudier le sens de la vocation à l’aide d’un modèle théorique issu de l’anthropologie. L’auteur postule que le don de guérir et le sens profond du désir de «prendre soin» prennent leur source dans les biographies des soignants. La vocation répondrait en fait à un désir de donner, de donner à l’autre afin de recevoir à notre tour. Ce geste compensatoire nous éclairerait sur notre propre personnalité malmenée par un destin «hors normes». Né du malheur, le don de soi serait en fait un don d’échange et s’inscrirait dans cette réciprocité généralisée mise en exergue par Marcel Mauss au sein des sociétés traditionnelles. La réflexion porte sur les professions paramédicales d’infirmier(ère) et de manipulateur(trice) en électroradiologie. Mots clés : don maussien, don de soi, vocation, sacrifice, soin relationnel. Formateur en Institut de Formation des Cadres de santé et terminant une thèse de sociologie, je n’imaginais pas que mes travaux de recherche allaient rejoindre mon quotidien au détour d’une réflexion sur le projet professionnel. Depuis trois ans, je tentais de comprendre à la fois le «don de guérison» des guérisseurs et «le prendre soin » défendu par certains auteurs infirmiers. J’établissais un rapprochement entre ces deux dimensions par le biais de la vocation. Ce terme est toujours omniprésent dans le discours infirmier et apparaît parfois (j’insiste sur le parfois) sous le vocable du don de soi. Le don du guérisseur est souvent hérité, transmis de père en fils et le rapprochement avec les professions paramédicales me faisait envisager la vocation comme un don hérité, un héritage, une donation particulière. Par ailleurs, devant animer un groupe de suivi pédagogique sur la base du projet professionnel de chaque étudiant(e), j’étais, je l’avoue, dans l’expectative. Cette démarche me semblait artificielle dans le sens où il me paraissait difficile de travailler sur un devenir sans avoir réfléchi sur les choix professionnels antérieurs. Pourquoi avons-nous choisi de devenir infirmier ou manipulateur en électroradiologie? Pourquoi souhaitons nous devenir Cadre de santé?. Les réponses à ces interrogations me paraissent primordiales tant en terme d’identité professionnelle que du point de vue d’une posture épistémologique. Pourquoi ce dernier point ? Pourquoi cette exigence épistémologique? Parce que nous souhaitons par ailleurs développer la recherche en soins et ce désir exige, dans le même mouvement, de nous connaître. L’identification de certains déterminants infirmiers offrirait une certaine valeur heuristique dans le sens où elle permettrait d’éclairer la relation soignant-soigné ou, plus particulièrement, la relation d’aide. Enfin, un futur Cadre doit se libérer de problèmes identitaires car le management, la gestion des hommes isolent l’individu. Il n’y a pas de rupture temporelle; le passé ou plutôt les choix passés conditionnent l’avenir, déterminent notre futur professionnel qui naît à la fois de notre volonté et des opportunités du système. J’ai donc proposé au groupe de suivi de profiter des stages en IFSI pour réaliser une grande enquête auprès des étudiant(e)s infirmier(ère)s et des futur(e)s manipulateur(trice)s. L’enquête idéale aurait du reposer sur des histoires de vie car il paraît utopique de résumer les choix d’une profession à partir d’un nombre restreint de critères prédéfinis. 5 Recherche en soins infirmiers N° 69 - juin 2002 Nous allons donc tenter d’éclairer ces déterminants paramédicaux à la lueur du don anthropologique et la première démarche consistera à expliciter ce concept. Nous plongerons ensuite dans l’historique de l’infirmière laïque où nous allons dégager une figure soignante ; celle de la veuve et de l’orphelin. A travers ce symbole, nous tenterons de montrer que la vocation, le désir de prendre soin naît d’une rupture ou d’une succession de ruptures biographiques, que le désir de donner, de se donner naît du malheur. Les difficultés de la vie semble relancer l’individu dans un nouveau cycle vital où le matériel importe peu : donner la vie devient l’essentiel... Malheureusement, nous n’avions pas les moyens de nos ambitions et nous avons privilégié le questionnaire uniquement par pragmatisme. L’enquête a été réalisée sur six IFSI (dont quatre d’Ile de France et deux de province) et quatre Institut de Formation de Manipulateurs en Electroradiologie d’Ile de France. Les critères choisis émanaient de mon travail théorique sur le don de guérison et le « prendre soin ». Ils visent à étudier les ruptures biographiques, les événements marquants où le destin bascule. Nos interrogations portent bien entendu sur des événements antérieurs à l’entrée en Institut. Nous avons réuni 434 questionnaires émanant des IFSI et 171 provenant des IFMEM. L’étude des étudiant(e)s manipulateur(trices) a le mérite d’élargir la réflexion et de tenter de mesurer l’impact de la technologie. Nous souhaitions interroger des étudiant(e)s car leurs représentations sont encore essentiellement profanes, non ou peu imprégnées de considérations d’ordre stratégique. Une question finale les interrogeait sur leur projet professionnel. Bien entendu celui-ci peut évoluer au fil du temps mais le choix fondateur de l’entrée en école paramédicale reste intéressant et certainement porteur de sens. Enfin, nous aurions pu « cibler » les premières années. Nous avons privilégié le nombre d’autant qu’une enquête de 1992 ne montrait pas d’évolution notable des motivations professionnelles au cours des trois années d’étude. Nous montrerons ensuite, à travers la figure oedipienne qu’un destin hors-norme, a-normal, peut revêtir les traits de la malédiction et que le soignant, devenu symbole du mal à travers son parcours de malheurs, peut devenir sorcier ou plutôt être pensé comme sorcier et devenir bouc émissaire. Au delà de l’histoire oedipienne, nous exhumerons une figure soignante oubliée, une figure anthropologique qui semble réunir, à elle seule, l’ambivalence de ce don issu du malheur. Ne plus accepter son destin (et ses aléas) semble pousser le soignant à devenir maître de sa destinée ou, du moins, maître du destin des autres. Il détient alors un pouvoir de vie et de mort et ce pouvoir le rend suspect aux yeux de l’autre : qui peut le bien peut le mal... Autrement dit, ce pouvoir fatal contient en son sein son propre excès et ses propres défauts. La démesure peut s’avérer thérapeutique et pathogène à la fois et cette ambivalence semble s’incarner, nous le montrerons, dans ce que les grecs appelaient « le pouvoir du double ». Nous conclurons autour d’une image-synthèse, celle du survivant, celle de ce soignant qui donne pour se connaître, qui donne pour se révéler, qui donne pour se survivre... Toutefois, compte tenu de ce choix, cet article a uniquement valeur de réflexion. Il ne suggère aucune véracité mais fournit ou semble fournir des pistes de recherche, des perspectives de questionnement. Il tente d’identifier quelques déterminants dictant le choix de nos professions et d’isoler un modèle particulier, une figure de soignant singulière. Nous vous le livrons à l’état brut. Sa réalisation n’a été possible que par la volonté des étudiant(e) s (IFSI & IFCS)) et de nos collègues des IFSI et des IFMEM que nous tenons à remercier. Nous souhaitons leur dédier ces quelques pages car il n’est jamais facile de s’interroger sur soi-même. Autoriser une telle enquête au sein de son établissement témoigne d’un intérêt réel pour la profession. Enfin, si l’apport théorique relève de mes travaux de recherche, cet article est le fruit de l’ensemble du groupe de travail, à savoir : I. LE SENS DU DON Marcel Mauss a mis le don en exergue en étudiant diverses sociétés primitives où les échanges sont organisés autour de la triple obligation de donner, recevoir et rendre. Recevant un cadeau, nous nous sentons obligé de l’accepter et de le rendre, voire sous une autre forme, au donateur. Le « sous autre forme » est important car cela permet de distinguer le don d’un esprit comptable, purement mercantile du « donnantdonnant ». En s’acquittant d’une dette immédiatement, nous nous dégageons de tout lien avec l’autre et cela C. ARNAUD, C. BRAAS, D. CELESTE, B. CORDIER, J. DELPORT, V. DURAND, T. GRANGE, A. JABIOL, I. MABIT, C. MARCOUX, P. PINELLI & MP. SPENGLER. Et plus particulièrement de Catherine MARCOUX et de Corinne ARNAUD qui ont esquissé quelques portraits de soignants. 6 Recherche en soins infirmiers N° 69 - juin 2002 DE QUELQUES DÉTERMINANTS PARAMÉDICAUX À... L’ESQUISSE D’UNE FIGURE SOIGNANTE... ciplinarité s’impose. Il en est ainsi de la douleur, de l’approche de la mort, du don d’organe... C’est l’ensemble de l’individu qui meurt avec son histoire, ses croyances... La mort ne se contente pas d’un organe. Cette confrontation de l’être partiel et de l’homme total constitue bien le point d’achoppement de la médecine actuelle et le don anthropologique semble nous offrir une perspective intéressante, un champ d’étude efficace sur les « noman’s land » de la pensée médicale... Pourquoi ? Parce qu’il restaure l’individu dans sa totalité et qu’il doit sans doute permettre de mettre en relief le rôle charnière du paramédical... relève plus du système marchand que du don. Dans ce dernier, le contre don n’a pas forcément la même valeur que l’objet ou le service reçu. Le don n’est pas égalitaire dans son esprit et n’engage pas forcément un retour immédiat. Prenons l’exemple classique pour concrétiser ces propos, un exemple que nous connaissons tous dans nos sociétés modernes : invités à dîner par des amis, nous apportons en retour, des fleurs, un dessert ou du vin. Notre contre don n’est en aucun cas l’équivalent de l’invitation mais il noue le lien social car nous pourrons rendre à notre tour l’invitation, rentrant ainsi dans une spirale du don, du donner, recevoir et rendre... Par ces obligations successives, le don constitue le lien social et construit chaque individu dans le collectif : il est en fait identitaire. En donnant quelque chose à quelqu’un, nous donnons une part de nous même car nous nous sommes reconnus dans ce quelqu’un. L’objet donné porte le don de soi, un don de soi mutuel et l’échange devient alors un phénomène de double reconnaissance. De la justification conceptuelle... Le paramédical se situe exactement à la charnière de l’acte technique et du « prendre soin relationnel ». Manipulateur en électroradiologie de par ma formation, mon esprit revient à ces nombreuses journées où je devais réaliser, les unes après les autres, ces images radiologiques qui portaient en elles le destin du patient. Imaginez vous au seuil du poste de radiologie... Vous regardez vers le négatoscope et vous voyez un cliché, un résumé objectivé mais partiel du patient. Retournez vous pour apercevoir l’intérieur de la salle d’examen : au delà de la technologie, vous recevez l’image d’un être humain, singulier par sa biologie et son histoire. Vous le percevez le plus souvent fragile, dénudé, portant toutes ses angoisses, toutes les peurs liées à son avenir. Voilà la singularité du paramédical : ce double regard qui doit être à la fois profane et professionnel : • Profane car le contact humain exige une relation de personne à personne. Pour réaliser l’acte technique, nous avons besoin de la confiance du patient. Seule sa collaboration, le don momentané de sa personne permet l’obtention de l’image. L’acte relationnel fonde l’acte technique. Nous devons susciter le don... • Regard professionnel car nos actes deviennent des procédures, des gestes techniques purement dégagés de la gangue « humaine ». Le cliché radiologique comme l’acte technique infirmier sont abstraits du contexte et deviennent objet d’étude. Le don domine, dans nos sociétés modernes, au sein de la famille, du tissu associatif, des communautés restreintes voire dans nombre de situations dès lors que nous nous reconnaissons chez l’autre et que nous sommes reconnus par l’autre... Le don personnalise l’échange et construit le lien social. Etrange dimension : il reconnaît l’un (l’individu) dans l’interaction et constitue le tout, le collectif... Le don met l’accent sur la personne et non sur l’objet d’échange, il établit une relation interpersonnelle, où les qualités des individus priment. Le don personnalise et individualise. A. Caillé qualifie le don de socialité primaire où « la personnalité des personnes importe plus que les fonctions qu’elles accomplissent (ce qui n’empêche pas ces fonctions d’exister et d’importer) et le distingue de la socialité secondaire » soumise à la loi de l’impersonnalité (comme sur le marché, dans le droit ou dans la science)... » [1er semestre 1998, p.78]. Nous donnons parce que l’autre nous intéresse ; nous achetons et nous vendons lorsque notre rapport à l’objet fluctue. Nous pouvons ainsi distinguer deux types d’échanges au sein de notre société : l’un relevant du don et renvoyant à la globalité de la personne, l’autre s’intéressant à l’objet échangé et non à la qualité des individus. Bien entendu, il s’agit d’esquisser un idéal-type afin de bien cerner les dimensions du don. La réalité est plus nuancée. Le meilleur vendeur est peut-être celui qui relie l’objet de l’échange à la personnalité de l’individu... Quant à la science, elle se fonde sur un objet d’étude : la médecine a choisi la maladie et non le patient. Ce postulat a généré cet essor impressionnant de la connaissance médicale depuis le XIXo Siècle. Toutefois, dès que la globalité de la personne est en cause, le paradigme médical s’essouffle et une pluridis- Le paramédical est un trait d’union, un médiateur entre l’homme partiel, objet de la science, et l’homme total, sujet de sa maladie et de ses souffrances. Nous pouvons l’assimiler à un entre deux, un pont réunissant l’objet et le sujet. Plus l’aspect technique de la profession est prononcé, plus le professionnel insiste sur l’im- 7 Recherche en soins infirmiers N° 69 - juin 2002 maison familiale. C’est pourquoi, elle vécut très difficilement son séjour à l’hôpital. Cette femme était perdue, déboussolée dans ce milieu inconnu, et froid. Le personnel soignant tentait de lui expliquer la nécessité de cette étape dans ce lieu, mais elle leur rétorquait que depuis toujours elle s’était soignée seule. Elle ne comprenait pas les contraintes liées à son hospitalisation, et ne désirait qu’une seule chose : retrouver sa maison. portance des deux rives du fleuve-frontière, plus il marque son intérêt aux « deux côtés » : • « Il fallait un côté technique mais aussi un bon côté relation humaine». F, 21 ans étudiante manipulatrice. Parents étrangers. Grands-parents maternels divorcés. • « J’ai choisi ce métier pour le côté soignant, être proche des gens et l’aspect technique de la profession ». F, 23 ans étudiante manipulatrice. Grand-mère paternelle étrangère. Parents de culte différent. Comme chaque fin d’après midi, je frappais à la porte de sa chambre, mais ce jour là était différent. Elle était allongée, les poignets maintenus aux barreaux de son lit. Elle pleurait, personne ici dans cet hôpital ne voulait l’entendre et ne comprenait ces propos. Elle désirait seulement une chose : retrouver sa maison, son jardin, ses lapins... Je me sentais impuissante entre les dires de ma grand mère qui me touchaient profondément et les mesures prises par le personnel soignant. Celui-ci n’avait peut-être pas pris ou pas pu prendre le temps de l’écouter ; et par solution de facilité avait choisi les grands moyens. J’étais révoltée, réellement en colère par cette pratique, une autre solution me semblait pourtant envisageable. Pour moi, avec seulement un peu de temps, une envie réelle de rentrer en contact avec cette femme et d’écouter ses dires, aurait certainement solutionner son envie de fuir. C’est le sujet ici qui devait être pris en considération. Les notions d’aide et de reconnaissance sont toujours présentes et associées aux « deux côtés » : • « J’aime le côté technique et le côté soignant, c’est pour cela que j’ai choisi cette voie. J’aime le milieu hospitalier... la valorisation de soi-même en aidant les autres ». M, 21 ans étudiant manipulateur. Parents divorcés. Mère atteinte d’une maladie grave compromettant son avenir. Grand-père paternel étranger, né dans une ancienne colonie française. • « J’aime le côté soignant de ma future profession ». F, 26 ans étudiante manipulatrice. Parents de culte différent nés dans une ancienne colonie française. Le mot « lien » revient de façon récurrente comme en témoignent les exemples suivants : Ma grand mère était restée deux semaines à l’hôpital. Cette aventure a marqué un repère dans mon chemin de vie et m’a probablement orienté dans le choix de mon métier paramédical, où je tente jour après jour, d’écouter ce que les gens ont à dire.» • « Lien avec les gens, beaucoup de côté humain dans le métier : aide avec les autres ». F, 22 ans étudiante manipulatrice. • « Le côté relationnel m’a intéressé, de plus il est lié au soulagement de la maladie que ce soit par la parole ou par des actes. Enfin, il s’agit d’un travail d’équipe ». F, 21 ans étudiante manipulatrice. C.M. Notons l’importance du souvenir, de l’écoute, de la parole entre les générations... Le milieu hospitalier est parfois évoqué comme un monde froid, inhumain où transpire le patient objet et la nécessité de le réhabiliter en tant que sujet comme l’exprime cet élément de biographie : Face au médecin, le patient se présente et se pense dans sa totalité. Statistiquement parlant, il n’intègre pas la rupture entre le corps et l’esprit, entre le matériel et l’immatériel, entre l’organique et le spirituel. La maladie peut alors être interprétée comme une faute, un écart à la norme qui nécessite le jugement d’un soignant. Voyant son destin basculer, le malade cherche la fortune auprès du médical et souffre parfois de voir son corps morcelé par la démarche du praticien. Précisons toutefois que nous ne faisons pas le procès de la médecine actuelle, elle génère des « miracles », suscite des prodiges. Victime d’un accident de la circulation, nous préférons être secourus par le SAMU et non par un guérisseur. Simplement, la médecine ne peut occuper seule l’ensemble du champ thérapeutique et il devra toujours exister des soignants susceptibles de répondre aux deux «Tout à certainement débuté, cet après midi là où j’ai rendu visite à ma grand mère hospitalisée pour un problème de calcul rénaux. J’étais lycéenne, interne en terminale scientifique dans la ville où se trouvait le seul centre hospitalier de la région. Toute ma famille proche résidait à plusieurs kilomètres de cet établissement. J’avais alors le privilège de rencontrer ma grand mère journellement et de transmettre « les dernières nouvelles » à ses enfants. Pour ma grand mère, c’était une première, jamais de toute sa vie de femme, elle n’avait été hospitalisée. Ces huit enfants étaient nés dans la 8 Recherche en soins infirmiers N° 69 - juin 2002 DE QUELQUES DÉTERMINANTS PARAMÉDICAUX À... L’ESQUISSE D’UNE FIGURE SOIGNANTE... toujours sa vocation de sa misère, de son ignorance ou de sa gourmandise ». Pour soigner, il faut, selon cet auteur, avoir souffert ou être particulièrement cupide. dimensions traditionnelles du soin : « prendre soin de» et soigner, «to care et to cure»... Ayant éprouvé le caractère opératoire du don dans cette spécificité qu’est la relation soignante, plongeons successivement dans l’historique infirmier et dans la biographie des soignants actuels afin d’isoler un trait marquant, un ensemble de déterminants signifiants. Cette étude, dans sa dimension diachronique, se cantonnera au domaine laïque car nous ne désirons pas nous perdre dans l’immensité du fait religieux. Notre intérêt concerne strictement la « figure infirmière » et il paraît judicieux de l’isoler de la sphère religieuse même si l’histoire et la notion de vocation les réunissent souvent. Enfin, le don maussien nous servira de guide, de « boîte à outils » conceptuelle et notre démarche s’appuiera volontiers sur des modèles anthropologiques. Pourquoi ? Simplement parce que le don imprègne les sociétés traditionnelles alors qu’il est masqué, au sein de notre modernité, par les dimensions marchande et utilitariste. Il convient de traquer le « signifiant » au cœur de la socialité primaire mais nos figures anthropologiques ne doivent pas altérer la réalité actuelle ; elles doivent la prolonger, l’éclairer... Parfois, l’infirmier est choisi parmi les patients et ce fait renforce le modèle émergeant : le mal soigne le mal et malades et soignants partagent le même destin. Dans le règlement pour le service intérieur de l’Hospice général de Tours [1854], nous trouvons cette phrase explicite : «les infirmiers et infirmières sont choisis par le directeur et pris, autant que possible, parmi les individus valides et capables de l’Hospice» [p. 93]. Il semblerait qu’un destin difficile permettrait d’agir sur le destin des autres... Toutefois, de cette excursion historique, deux figures majeures semblent apparaître parmi ces déshérités : la vieille femme et l’orphelin. La première apparaît déjà dans les écrits de Saint Jérôme datant du IVo siècle. Rome, déjà, possède ses soignantes dissociées des médecins ou mages de toutes sortes : « Es-tu malade ?... Si tu n’as pas à ta portée des personnes de parenté aussi proche et d’une telle chasteté [que ta mère, ta sœur ou ta femme], l’Eglise nourrit beaucoup de vieilles femmes qui pourraient rendre ces bons offices et recevoir un salaire pour le service rendu ; ainsi même ta maladie aurait pour résultat une aumône ». Mais, en réalité, l’image de la vieille femme en masque une autre beaucoup plus précise ; celle de la veuve : II. DE L’INFIRMIER(ÈRE)...OU LE MALHEUR COMME SOURCE DU DON • « Dans les premiers temps de l’Eglise, des femmes veuves ou célibataires appelées Diaconesses, nom tiré du grec signifiant : procurer ou servir, avaient pour fonction d’apporter leur aide. » [E. Desjardins, S. Giroux, E. C Flanagan, 1970, p. 18] • « Paula [patricienne romaine], demeurée veuve à 33 ans et nantie d’une grande fortune, fonda le premier hôpital chrétien de Jérusalem » [p. 19]. • « Vincent de Paul confia à Louise Legras, une veuve, mieux connue sous le nom de Louise de Marillac, la tâche de former les filles de la Charité à leur rôle d’infirmières » [p. 23] La « bonne fée » au destin difficile La laïcisation des hôpitaux de Paris en 1877 provoqua un manque crucial de personnel et le recrutement se fit parmi des « filles de la campagne, des enfants assistés, de vieilles femmes non rétribuées venant là en attendant leur entrée à l’hospice... Les hôpitaux embauchent » des jeunes filles sans famille, que l’inintelligence ou une tare congénitale (claudication, gibbosité, surdité) ont empêchées d’apprendre un métier « [G. Charles, 1979, p. 74 & 75]. De ces citations, nous pouvons retenir, a priori, que le mal appelle le mal. La tare, l’empreinte ou la marque du mal portent les pas de ces indigentes auprès du lit des patients : l’infirmier naît infirme, infirme physique et/ou social. La solitude voire l’abandon semblent être le trait commun de ces soignants : enfants assistés, filles sans familles, vieilles femmes vouées à l’hospice... Ces particularités font dire à Curmer1 [1841] que le personnel infirmier « tient Au XVIo siècle, l’Ordre des hospitalières de Lyon recrute parmi des filles repenties, des orphelines et des veuves. Au XVIIo siècle, la duchesse d’Aiguillon, veuve à 22 ans, fonde l’Hôtel-Dieu de Québec et Jeanne Mance (née en 1606), première infirmière laïque de cette province française d’outre-atlantique fonde sa vocation sur un destin dramatique : «à l’âge de quinze ans, la mort de sa mère l’obligea à prendre charge de la maison familiale. Huit ans plus tard, elle perdit son père...» [p. 34]. Quant à l’hôpital de Montréal, il fut pris en charge, en 1747, par 1. « les Français peints par eux mêmes » cité par G. Charles. 9 Recherche en soins infirmiers N° 69 - juin 2002 Madame d’Youville après une vie ponctuée de malheurs. A 21 ans, elle épouse un homme qui dilapidera sa fortune et l’obligera à vivre avec une belle-mère insupportable. Veuve à 31 ans et couverte de dettes, elle se consacre aux malades et aux indigents. Ces quelques exemples renforcent notre modèle émergeant en révélant ces destins tragiques. Toutefois, masquée par l’image de la vieille femme, nous n’avions pas spontanément noté la récurrence de la veuve et de l’orphelin; deux réalités témoignant, il est vrai, d’une certaine infortune. L’image de la vieille femme masque le veuvage pour la simple raison que, tout au long des siècles, la femme meurt soit très jeune, soit à un âge supérieur à son mari. La mortalité précoce est liée aux accidents survenant lors des grossesses et accouchements. Cette surmortalité rend le pourcentage de jeunes veuves extrêmement faible et, de surcroît, toute veuve encore en âge de procréer est vite remariée car un homme seul ne peut subvenir aux besoins de la famille. Le veuvage, source de vocation, concerne donc, d’une façon générale, des femmes relativement âgées, compte tenu de la durée moyenne de vie de l’époque. De ces dernières lignes, nous pouvons donc noter deux figures récurrentes, celles de la veuve et de l’orphelin, marquées par un destin difficile voire tragique. Vers une figure ambivalente... Nous avons pu, toutefois, noter des remarques très dures concernant ces premières infirmières laïques. Elles sont suspectées de cupidité, nous l’avons vu, par un auteur du XIXo Siècle. A Montréal, la fondatrice de l’hôpital et ses compagnes deviennent, pour certains, faiseuses de maux : «on répandit dans le public les calomnies les plus injurieuses jusqu’à assurer qu’au mépris des lois ecclésiastiques et des ordonnances du roi, elles vendaient des liqueurs fortes aux sauvages et leur fournissaient ainsi le moyen de s’enivrer et même ce qui était le comble de la plus grotesque extravagance, qu’elles usaient de ces sortes de liqueurs pour s’enivrer elles-mêmes... » [A. Ferland-Angers2, 1945]. Comme si le pouvoir de guérison permettait également d’offrir la mort : «l’art de tuer et l’art de guérir sont toujours dans la même main » [Malinowski, 1922, p. 132]. Le modèle historique de l’infirmière ou, plus largement, de la femme soignante nous renvoie une figure essentiellement ambivalente, oscillant entre les portraits de la bonne fée et de la sorcière. La prédominance des veuves chez les thérapeutes se retrouvent chez les sorcières comme le note J. Pitt-Rivers [1977, p. 134] : «si les veuves étaient si souvent accusées de sorcellerie, c’est que l’on substituait une logique en quelque sorte mécanique (sorcières parce que veuves) à une logique statistique fondée sur un fait d’observation, à savoir que les femmes qui n’avaient plus d’homme pour les assister tendaient à tomber dans l’indigence». Au risque d’une comparaison risquée, il est intéressant, à cet endroit, de citer B. Malinowski [1922, p. 131]. Cet ethnologue, lors de la première moitié du XXo Siècle, a longuement étudié une société traditionnelle vivant dans le pacifique occidental. A propos du sorcier, il nous livre l’information suivante : «lorsqu’un homme acquiert la magie noire, il l’applique à une première victime qui, toujours, doit être quelqu’un de sa propre famille... Elle doit d’abord s’exercer sur sa mère ou sa sœur, ou sur tout parent maternel. Pareil matricide fait de lui un authentique bwaga’u» [sorcier]. Tout dépend du point de vue choisi pour l’analyse. Renversons la cause et la conséquence : le pouvoir magique naît-il du matricide ou est-ce la perte des proches qui offre le don? Dans la première interprétation, le sorcier est maître de son destin, dans la seconde, il en est la victime. Dans le premier cas, il détient un pouvoir, une puissance et nous comprenons l’intérêt d’inverser l’analyse. La veuve et l’orphelin peuvent donc être considérés comme des faibles ou, consciemment ou non consciemment, comme des puissants, assassins de leurs proches et porteurs de mal. Que dire d’une jeune veuve? La belle femme, la «bella dona», la belladone n’est-elle pas un poison en substance? ne symbolise-t-elle pas le charme destructeur et maléfique? Toute chose signifie à la fois «tout et son contraire», seul le point de vue et/ou le contexte déterminent le véritable sens. Cette ambivalence est également perceptible dans le double sens du mot remède car le remède est à la fois un poison et le poison, un remède : • « poison » se disait en ancien français à la fois d’un remède, d’une boisson salutaire (vers 1165), (sens repris par son doublet savant « potion ») et d’un philtre d’amour (avant 1560). La disparition de ce sens s’explique par la gêne qu’occasionnait la coexistence de valeurs aussi antithétiques ». • « potion du latin potio-nem, accusatif de potio, -nis « action de boire » d’où par métonymie « breuvage, boisson ». Par spécialisation, le mot a désigné un breuvage médicinal et un breuvage empoisonné, un philtre magique ». • «Pharmacie» du grec pharmakeia : «emploi de médicaments ou de poisons». Le mot vient lui même de phar- 2. Cité par E. Desjardins, S. Giroux, E.C Flanagan. Histoire de la profession infirmière au Québec. Association des infirmières et infirmiers de la Province de Québec. Montréal. 10 Recherche en soins infirmiers N° 69 - juin 2002 DE QUELQUES DÉTERMINANTS PARAMÉDICAUX À... L’ESQUISSE D’UNE FIGURE SOIGNANTE... makeuein («donner ou préparer un remède, administrer un poison») dérivé de pharmakon «plante médicinale». Le mot signifie aussi «drogue» (remède ou poison), «breuvage magique» et plus généralement «sortilège». Qui est capable du bien peut engendrer le mal ou, autrement dit, tout pouvoir a ses excès et la capacité de guérir n’échappe pas à la règle. Selon Mauss [1947], la veuve se voit souvent accusée du meurtre de son époux; elle est parfois sacrifiée ou elle se suicide face à la pression sociale (voir p. 175). Pour l’auteur, la femme est le sujet et non l’objet du deuil. Dans les sociétés dites primitives, toujours selon l’auteur, la mort naturelle n’existe pas (p. 191) et cette croyance implique, obligatoirement la recherche d’un coupable. Lequel peut être envisagé, selon le contexte, hors du clan ou parmi les proches du défunt. Du don de soi, nous pouvons glisser au sacrifice... La femme soignante peut devenir bouc émissaire et « se charger » du mal de la société. Car nous avons affaire à un étrange paradoxe : la société a toujours émis le vœu de protéger la veuve et l’orphelin et, dans un même élan, elle les envoie affronter le mal.... Ces remarques établies, quittons le passé et confrontonsle aux biographies actuelles. A t-il une pertinence de nos jours ou est-ce l’empreinte d’un symbolisme oublié? De l’infirmière actuelle... L’ouvrage de M. Wenner [1988] portant sur les générations actuelles de soignantes nous offre le même registre et confirme notre modèle sur deux points : 1. L’auteur remarque que la profession a historiquement attirée un nombre certain de veuves, de divorcées ou d’orphelines. 2. L’auteur nous offre un récapitulatif de quatre cas représentatifs d’une trajectoire douloureuse, d’une succession de malheurs et d’infortunes. La vocation de guérir semble effectivement émerger d’un destin difficile, d’une connaissance du mal. Le tableau 1 reprend les données de l’auteur [p. 110 & 111] ; les événements relatés sont antérieurs au choix professionnel. Nous ne pouvons que constater le nombre important de décès et d’événements brutaux. Morts brutales, divorces, maladies, émigration, morcellent et altèrent le corps familial et nous offrent un tableau parfaitement condensé dans ce portrait d’infirmière : « En tant qu’infirmière en formation cadre de santé, j’ai eu l’occasion de m’interroger sur mon parcours professionnel et les raisons qui avaient pu me pousser à m’engager dans la filière soignante. Ayant eu connaissances des concepts soulignant les notions de ruptures dans son histoire familiale ou de besoins de réparation, j’ai été frappée par l’accumulation de ses situations dans mon histoire de vie. Mon père est né hors mariage dans un milieu rural, ma grand-mère maternelle était montrée du doigt comme fille-mère. Il n’a pas connu son père qui est mort alors qu’il n’avait que quelques semaines (tuberculose). Cette grand-mère qui s’était mariée quelques années plus tard a ensuite divorcé dans les années cinquante. Alex • immigration des grands-parents. • mariage « hors norme » entre un père, prisonnier de guerre français, et une mère allemande. • maladie grave de la mère : paralysée à 30 ans. Alex est quasi-orphelin de mère. Betty • • • • mort accidentelle des grands parents des deux lignées. Père et mère orphelins. Mère muette. Divorce et tentative de suicide Katy • • • • • Divorce des parents. Maladie grave de la mère. Faillite du magasin maternel. Décès du frère par accident de moto Décès de la mère Josée • Grands-parents : lignée maternelle allemande, agnats français. • Parents : mariage religieux mixte. • Divorce de Josée et tentative de suicide. Tableau 1 11 Recherche en soins infirmiers N° 69 - juin 2002 Ma mère est issue d’une famille nombreuse (7 enfants) au sein de laquelle, je ne sais pour quelles raisons des discordes et des jalousies ont été très fortes. Notre enquête portant sur 434 questionnaires remplis par des étudiants infirmiers de première, deuxième et troisième année confirme la prévalence de la maladie grave et des destins dramatiques. Nous reproduisons les résultats concernant la maladie dans le tableau 2. Mes parents ont divorcé alors que j’avais 10 ans. Cette séparation a été très conflictuelle. Ma mère était partie avec un autre homme, certains de mes oncles et tantes maternelles ont témoigné contre ma mère. C’est mon père qui a d’abord eu notre garde jusqu’à ce que nous, les enfants, fuguions plusieurs fois (nous avons eu à « choisir » entre l’un et l’autre de nos parents). Trois modèles semblent apparaître au sein des futurs soignants confrontés à la maladie : 1. Un groupe «Infirmier(ère)s/puéricultrices/étudiant(e)s généralistes» où la maladie affecte la famille restreinte selon le schéma suivant : Mon grand-père maternel est mort d’un cancer alors que j’avais quatorze ans, ma grand mère paternelle est aussi morte d’un cancer généralisé quelques années après ». • Elle atteint en premier lieu le père : de 18,43 % à 19,14 %... • Puis la mère : de 14,05 % à 17,02 % (étudiantes infirmières, généralistes)... • L’étudiante elle-même : 10,51 % à 10,82 %... • Et enfin, la fratrie. Portrait réalisé par C. A La maladie du corps familial total IDE total IDE % Total Hommes IDE Hommes IDE % Total Femmes IDE Femmes IDE % Etudiant(e)s généralistes Etudiant(e)s généralistes % Puéricultrices Puéricultrices % Inf. de bloc opé. maladie étudiant maladie du père maladie de la mère maladie de la fratrie 47 80 61 36 10,82% 18,43% 14,05% 8,29% 6 7 3 2 13,63% 15,90% 6,81% 4,54% 41 73 58 34 10,51% 18,71% 14,87% 8,71% 20 35 32 14 10,63% 18,61% 17,02% 7,44% 15 27 20 11 10,63% 19,14% 14,18% 7,80% 9 9 6 4 17,30% 17,30% 11,53% 7,69% 11,00 16,00 10,00 9,00 10,78% 15,68% 9,80% 8,82% Manipulateur(trice)s 10 22 22 9 Manipulateur(trice)s 5,85% 12,86% 12,86% 5,26% Inf. de bloc opé. % anesthésistes Anesthésistes % Par étudiant(e) généraliste, nous entendons l'ensemble des étudiant(e)s n'ayant pas manifesté le désir de se spécialiser. Rappelons que les vocables «puéricultrices, infirmières de bloc opératoire, anesthésistes» ne mentionnent pas une spécialisation actuelle des étudiants. Ils traduisent un souhait, un vœu, un éventuel projet professionnel. Ces sous-groupes sont significatifs et renvoient à des modèles différentiés. Faute de données comparatives avec un échantillon «non soignant» cette étude n'a de valeur que dans la comparaison des sous-groupes. Tableau 2 12 Recherche en soins infirmiers N° 69 - juin 2002 DE QUELQUES DÉTERMINANTS PARAMÉDICAUX À... L’ESQUISSE D’UNE FIGURE SOIGNANTE... En termes d’écarts, le père et la mère se distinguent nettement sauf chez les étudiant(e)s à vocation généraliste où les deux figures parentales tendent à se rejoindre. Les manipulateur(trice)s ne diffèrent pas des étudiant(e)s infirmier(ère)s généralistes dans la répartition de la maladie au sein de la famille restreinte. Par contre, l’impact de la pathologie est moindre au sein de cette population. La vocation soignante chez la femme infirmière concernerait, en premier chef, les ascendants et notamment l’image, la figure du père. Nous pourrions, avec néanmoins un certain risque théorique, émettre l’hypothèse suivante : le don de femme permettrait, à travers les « choix de vie, choix d’une « corporation ». 30 ans, F. Père décédé à la suite d’une maladie, parents ayant vécu aux colonies. 2. Un groupe constitué d’étudiants infirmiers masculins et d’étudiants(e) à « vocation anesthésiste » où l’altération de la santé paternelle reste prédominante mais est directement suivie de pathologies concernant l’étudiant lui même... (Tableau 3) « De multiples hospitalisations pendant mon enfance ont motivé mon choix de carrière ». 22 ans, F. maladie étudiant maladie du père maladie de la mère maladie de la fratrie Hommes IDE % 13,63% 15,90% 6,81% 4,54% Anesthésistes % 10,78% 15,68% 9,80% 8,82% Tableau 3 autres, de restaurer l’image de l’ascendant, de perpétuer le souvenir, de prolonger le corps familial. On donne à d’autres ce que l’on n’a pu offrir à notre ascendant... «C’est en connaissant le milieu hospitalier durant mon enfance que la vocation n’est venue, je pense avoir été marquée». 23 ans, F. maladie grave à l’avenir incertain. [Ce métier doit]] «Me permettre de donner aux autres ce que je n’ai pu faire et donner à mes grands-parents». 22 ans, F. Branche agnatique étrangère. Grands-parents paternels et maternels décédés brutalement et prématurément. « Ma maladie a beaucoup influencé le choix de ma profession ». 22 ans, F. Etudiant maladie grave à l’avenir incertain. Un événement particulier a-t-il motivé votre choix de carrière ? « oui, la mort de mon père [d’une maladie grave] »... 34 ans, F. 2 frères (ou sœurs) décédés. « Les décès et accidents survenus dans la famille ont en partie motivé mon choix ». 23 ans. F. Mère maladie grave à avenir incertain. Grands parents maternels décédés brutalement et prématurément. Anesthésistes H % « Je pense, qu’inconsciemment, avoir côtoyé le monde hospitalier à plusieurs reprises en tant que patient a influencé le choix de ma carrière ». 25 ans, M. Si nous étudions les étudiants de sexe masculin à vocation anesthésiste, nous nous apercevons qu’ils souhaitent, en premier lieu, se réanimer (ou s’anesthésier) eux mêmes... (Tableau 4) maladie étudiant maladie du père maladie de la mère maladie de la fratrie 8,33% 4.16% 4,16% 0,00% Tableau 4 Une phrase d’une étudiante, à propos de sa vocation, est étonnante : elle souhaite rejoindre un corps, s’incorporer ou incorporer ? : Ils renforcent la tendance «masculine» esquissée par les étudiants masculins tous projets confondus. En effet, ceux-ci, à l’inverse de la femme soignante, semblent moins concernés par la maladie familiale : (Tableau 5) maladie étudiant maladie du père maladie de la mère maladie de la fratrie Etudiantes* 10,51% 18,71% 14,87% 8,71% Etudiants* 13,63% 15,90% 6,81% 4,54% * Tous projets confondus Tableau 5 13 Recherche en soins infirmiers N° 69 - juin 2002 3. Enfin, les étudiants(es) à vocation « bloc opératoire » constituent une troisième catégorie où la maladie concerne, à proportions identiques, le père et l’étudiant lui même. Différence notoire étayant notre distinguo, le caractère de gravité de la maladie est beaucoup plus important dans ce dernier groupe. Ce taux est calculé par le rapport maladie grave avec avenir compromis/maladie grave sans avenir compromis. Nous intéressant à des étudiants parfois de première année, nous avons volontairement adopté un discours « profane » et évité des termes plus professionnels comme, par exemple, le pronostic... Nos questions distinguaient donc deux éventualités : l’une ou la maladie grave ne mettait pas en péril l’avenir du sujet concerné, l’autre évoquant un destin compromis (Tableau 6). % population totale3 moyenne d'âge sans désir de spécialité 43,31% 30,6 bloc opératoire 11,98% 22,87 Anesthésie 23,5% 22,31 Puériculture 32,48% 21,89 Tableau 7 La souffrance : Le petit nombre d’étudiants de sexe masculin de cette catégorie ne peut permettre une analyse de l’impact de la maladie selon le discriminant « sexe ». Nous avions noté, lors de nos réflexions sur les guérisseurs, cette notion de souffrance souvent associée à la révélation ou à l’exercice du don. Lors de notre enquête auprès des 434 étudiant(e)s infirmier(ère)s, nous avions posé comme question finale : « avant votre entrée en IFSI, avez-vous connu une période de grande souffrance ? ». L’interrogation, par elle même, offre peu de sens et suscite des réponses éminemment subjectives. D’autre part, nombre d’étudiant(e)s sortent de l’adolescence, période synonyme, parfois, de remises en question, de doutes, de conflits. Tout échantillon de la même classe d’âge engendrerait peut-être les mêmes réponses. Néanmoins, notre question peut devenir pertinente si les résultats varient de façon significative en fonction de données objectives ou du désir professionnel de l’étudiant : elle ne prend sens que dans la comparaison. Enfin, la subjectivité nous intéresse : si l’étudiant(e) estime avoir connu une grande souffrance, nous le prenons comme un fait... La fratrie semble susciter la vocation si le rapport de gravité est élevé : 5,8 pour toutes les étudiantes, tous projets confondus. La population « souffrance » se caractérise par un taux supérieur de décès au sein de la famille restreinte (Tableau 8) : Etudiants(es) à vocation bloc opératoire étudiants(es) tous projets confondus rapport de gravité rapport de gravité étudiant 7 1,52 père 8 3,7 mère 5 2,81 fratrie 4 5,8 Tableau 6 L’étude de la moyenne d’âge des étudiant(e)s en fonction du projet professionnel témoigne d’un phénomène que nous n’avions pas appréhendé spontanément : les plus jeunes semblent attirés par la spécialisation. Est-ce l’attrait de la technicité ou de l’enfance pour les étudiant(e)s désireux(ses) de devenir puéricultrices ? Est-ce lié à une représentation dominante de la maladie ? Les plus jeunes perçoivent-ils les pathologies comme un processus brutal, un accident nécessitant réanimation et intervention chirurgicale ? Chez les plus âgées, un processus plus lent de l’ordre de la maladie chronique évoquerait-il un recours à la médecine ? L’écart important concernant la moyenne d’âge est certainement porteur de sens (Tableau 7) : population générale (434) population «souffrance» (186) décès du père 8,52% 15,05% décès de la mère 1,84% 3,22% décès d'un membre de la fratrie 2,76% 5,91% Total 13,13% 24,73% Tableau 8 Grosso modo, l’impact des décès est double chez les étudiant(e)s ayant éprouvé une grande souffrance et l’image du père reste centrale. Nous retrouvons égale- 3. Le total dépasse les 100% car environ 11% des étudiants hésitent entre deux projets professionnels. 14 Recherche en soins infirmiers N° 69 - juin 2002 DE QUELQUES DÉTERMINANTS PARAMÉDICAUX À... L’ESQUISSE D’UNE FIGURE SOIGNANTE... ment l’importance de la maladie ; par rapport à la population générale, les pathologies augmentent d’environ 5 % sur l’ensemble des membres de la famille restreinte. Aucune autre variation significative n’est à signaler concernant ce critère. Conformément à la tendance esquissée par la maladie, les manipulateur(trice)s ne sont que 27,48 % a mentionner une grande souffrance. En fait, cette population se démarque du modèle infirmier tout en révélant des points communs : elle est à la fois différente et semblable. Nous soulignerons l’une de ses particularités lors d’un chapitre ultérieur... Les décès 49 étudiant(e)s sont concerné(e)s par un décès au sein de la famille restreinte soit 11,29 % de la population totale : plus d’un(e) étudiant(e) sur dix a été directement confronté(e) à la mort... Le sexe ne semble pas être une variable déterminante en ce qui concerne les décès. Nous notons simplement une légère hausse de la population féminine (Tableau 9) : % population totale % étudiant(e)s concerné(e)s par les décès Femmes 89,86% 91,8% Hommes 10,14% 8,2% décès nombre pourcentage père 37 8,52% mère 8 1,84% fratrie 12 2,76% Tableau 10 La répartition des étudiant(e)s en fonction de leur projet professionnel témoigne d’une légère baisse des spécialités au profit des généralistes et la variation de la moyenne d’âge des étudiant(e)s concerné(e)s par un décès nous suggère quelques réflexions (Tableau 11) : Ces calculs ont été effectués à partir des décès paternels car ils représentent le plus grand nombre et la figure du «chef de famille» nous intéresse particulièrement. Près d’un décès sur deux concerne des étudiant(e)s à vocation généraliste. Le père serait-il décédé d’une maladie chronique orientant ainsi la vocation vers la médecine? Notons, par ailleurs, que les décès n’augmentent pas la moyenne d’âge chez les futur(e)s anesthésistes et infirmier(ère)s de bloc opératoire. Les «orphelins» sont sensiblement plus jeunes : le père aurait-il connu une fin accidentelle ? Brutale ? Ces données ne peuvent que favoriser le questionnement et offrir des perspectives de recherche ultérieures... Le don comme vocation : Tableau 9 Si l’on étudie plus particulièrement les décès au sein de la famille restreinte, la figure du père reste centrale (Tableau 10) : Presque un décès sur dix concerne le père et ces 37 personnes ont une moyenne d’âge de 27, 25 ans (au lieu d’environ 23 ans pour l’ensemble de la population). Ces évènements antérieurs au choix professionnels, et notamment des destins particulièrement dramatiques semblent inciter l’étudiant(e) à choisir le métier d’infirmier(ère) afin de restaurer le corps familial ou de se survivre. Le malheur accorde le don de guérison ou, plus précisément, la volonté de « prendre soin ». Cette réflexion nous conduit directement à la définition de la vocation suggérée par des auteurs ayant étudié ce personnel paramédical : « Qu’est-ce qu’une vocation ? % population totale4 moyenne d'âge % étudiant(e)s concerné(e)s par par les décès moyenne d'âge étudiant(e)s concerné(e)s par es décès sans désir de spécialité 43,31% 30,6 50% 29,57 bloc opératoire 11,98% 22,87 11,53% 22,8 Anesthésie 23,5% 22,31 17,30% 21,66 Puériculture 32,48% 21,89 28,84% 26,89 Tableau 11 4. Le total dépasse les 100% car environ 11% des étudiants hésitent entre deux projets professionnels. 15 Recherche en soins infirmiers N° 69 - juin 2002 Une incitation intérieure à engager notre vie dans une voie qui semble répondre à nos aspirations profondes et à nos capacités. Elle marque pour chacun d’entre nous, la singularité de notre destinée » [J. Saliba, B. Bon-Saliba, B. Ouvry-Vial, 1993, p. 167]. Nous sommes prédestinés par la vocation qui nous apparaît comme un héritage d’événements tragiques, un don douloureux hérité d’hier et conditionnant notre présent, notre devenir. En témoigne notre propre enquête agrémentée de propos recueillis lors du concours d’entrée en Institut de formation en soins infirmiers : « C’est un choix mûrement réfléchi car, dans mon cas, il s’agit d’une vocation ». 26 ans, F étudiante en IFSI. Sœur jumelle infirmière. Père accidenté de la route, avenir compromis, sœur idem. « En ce qui me concerne, je pense que c’est une vocation. Mes premières études m’ont été imposées (médecine) et je ne regrette pas d’avoir imposé mon choix finalement malgré une rupture brutale». 22 ans, F étudiante en IFSI, maladie grave à avenir incertain. Mère étrangère avec maladie grave à avenir incertain. Grandmère maternelle et grand-père paternel étrangers. « Le métier d’infirmière est une vocation ». 21 ans, F étudiante en IFSI. grand-parents maternels étrangers. « Je pense que c’est un métier qui nécessite une certaine vocation ». F, 22 ans étudiante manipulatrice. Accident grave pour l’ensemble de la famille restreinte. Seul l’avenir de l’étudiante semble compromis... « Comme tous les professionnels de santé, on choisit cette profession par vocation». F, 20 ans étudiante manipulatrice. Agnats français nés dans une ancienne colonie. Il s’agit d’un choix qui s’impose à l’étudiant(e) et semblant relever d’une marque : « C’est en connaissant le milieu hospitalier durant mon enfance que la vocation n’est venue, je pense avoir été marquée ». 23 ans, F étudiante en IFSI. Maladie grave à l’avenir incertain. « Ce n’est pas un choix, c’est un métier qui s’est imposé à moi dès le collège ». 20 ans, F étudiante en IFSI. A connu une grande souffrance. Parents et cognats de culte différent. Il semble accompagner l’étudiant depuis de nombreuses années : « J’ai toujours aimé soigner, aller vers les autres ». F, 18 ans, candidate au concours d’entrée en IFSI. Et être inhérent au don de soi : « Etre infirmière, les gens apprécient, reconnaissent... Les infirmières se donnent beaucoup à eux, elles sont reconnues pour ce qu’elles font. A l’époque, c’était la religieuse, c’était la vocation. L’infirmière se donne vraiment aux autres ». F, 20 ans, candidate au concours d’entrée en IFSI. Une autre enquête [CEEIEC, 1992] réalisée en 1992 auprès de 1515 étudiants confirme nos propos. Une question demandait aux étudiants (es) de citer trois personnalités qu’ils (elles) auraient aimé rencontrer ainsi que trois adjectifs caractérisant le personnage de leur choix. La célébrité la plus citée est Mère Térésa suivie par L. Schwarzenberg, Coluche, P. Cabrol et Cousteau. Les qualités humaines caractérisées par les adjectifs « dévoué, charitable, bon, généreux, humain, humaniste » sont louées prioritairement : 24,6 % des réponses. Coluche est-il cité pour ses qualités d’humoriste ou pour son action sociale des « restaus du cœur » ? Ce groupe de qualificatifs est suivi de près par un ensemble d’adjectifs évoquant le génial, l’étonnant, le merveilleux, l’exceptionnel (23,8 %). Le tableau 12 emprunté à cet enquête, regroupe les raisons essentielles, selon les étudiants (es), du choix de la profession d’infirmière (Tableau 12) : Le point 7 semble contredire radicalement les résultats de notre enquête et les travaux de M. Wenner. L’explication réside peut-être dans la formulation de la question. Cette enquête la posait ainsi : « quelles sont les raisons essentielles du choix de la profession infirmière ». Pour notre part, nous n’avons pas lié directement les pathologies familiales et le choix professionnel. Les questions sur la maladie étaient fermées, passaient en revue l’ensemble de la famille restreinte et visaient plus à établir une cartographie familiale qu’une détermination du choix professionnel. Elles appelaient une réponse témoignant d’un fait objectif et n’exigeaient pas d’interprétation. Ce n’est qu’à la lueur de nos remarques précédentes que nous établissons un lien entre le pourcentage non négligeable de maladies graves et le choix professionnel. Certes, l’ensemble des questions suggéraient fortement une recherche de déterminants mais le caractère « signalétique », multiforme des questions tend à isoler le sens de chaque interrogation de la totalité, du but recherché. Sans que pour autant les étudiants (es) soient dupes de cette quête. Certains d’entre eux nous signifient, d’ailleurs, leur dénie d’un quelconque déterminant en fin de questionnaire, lors d’un espace alloué à leurs remarques : 16 Recherche en soins infirmiers N° 69 - juin 2002 DE QUELQUES DÉTERMINANTS PARAMÉDICAUX À... L’ESQUISSE D’UNE FIGURE SOIGNANTE... 1ère année 2° année 3° année total 17 16,8 17,9 17,2 2. Aide/relation 39,6 35,9 31,1 36,1 3. Attrait pour le milieu médical ; curiosité scientifique ; connaissance du corps 8,1 9,5 14,1 10,2 4. Raisons économiques ; filière courte ; existence de débouchés ; recherche d'une formation professionnelle 8,5 10,5 11 9,8 5. Choix d'une spécialisation (puéricultrice...) 7,9 6 7,6 7,2 6. Besoin de se sentir utile 10,3 8,6 4 8 1 3,1 1,6 1,9 8. Besoin de combattre ses propres peurs de la maladie, de la douleur, de la mort 1,1 0,9 0,2 0,7 9. Accès à la formation à la suite d'échec, pour n'avoir pas réussi dans d'autres branches, pour n'avoir pu faire que ce métier 2,6 3,6 6,8 4,1 10. Absence de réponse 3,9 5,1 5,7 4,8 Total 100 100 100 100 Mots clés ou thème dominant 1. Désir de soigner ; motivation ; vocation «a toujours voulu faire ce métier» 7. Influence de la famille ; présence de malades parmi les proches Tableau 12 « [choix] non motivé par un décès : grand-mère maternelle décédée avant ma naissance ». 23 ans, F. « Je ne pense pas que mon envie de devenir infirmière soit liée à des événements tels que accident ou maladie des proches car ces événements se sont produits avant ma naissance ». 21 ans, F. Mère avec maladie grave à avenir incertain. Grand-mère maternelle étrangère. « Je ne pense pas avoir été motivée par l’histoire de ma famille pour choisir ma profession car je ne vis pas avec mon père et mon grand-père [paternel] est décédé 30 ans avant ma naissance ». 21 ans, F. Père accidenté de la route, avenir compromis. ainsi près de 60 % des réponses. Nous sommes ainsi les produits d’une histoire antérieure et si nous détenons une liberté d’agir, tout individu est indubitablement conditionné par son origine sociale et culturelle. Ces précisions apportées, deux pistes de recherche s’offrent à nous : • Explorer les figures de la veuve et de l’orphelin car, à l’ambivalence de la figure infirmière semble correspondre un étrange double sens étymologique puisque le latin « orbus » signifie tour à tour : 1. « veuf » 2. « orphelin » 3. « privé de vue, frappé de cécité » Ces remarques semblent contrarier à priori notre thèse mais l’argument évoqué se retourne en notre faveur : les évènements survenus avant la naissance sont de remarquables déterminants révélant les âmes perdues de la famille, les dons de mémoire, de vie, de paroles non transmis... Enfin, pour résumer notre pensée, sur les 1515 étudiants (es) interrogés (es) en 1992, nombre d’entre eux avaient peut-être un membre de la famille malade. Mais le lien entre cette réalité et leur choix professionnel n’était peut être pas conscient... Ce vocable a son correspondant grec dans le mot « orphanos » désignant la personne privée d’un parent et plus précisément d’un père ou d’une mère. Les deux termes « veuve et orphelin », renvoyant à un unique vocable latin ou grec, dissimuleraient-ils une notion unique et porteuse de sens ? Ces remarques établies, plusieurs rubriques du tableau nous intéressent directement : la vocation, la relation, l’aide, le besoin de se sentir utile... Nous interrogeons Le mythe oedipien semble parfaitement illustrer le deuxième point et il a le mérite d’évoquer un processus pathogène. (Edipe ne peut échapper à son sort. • analyser la notion de destin en pointant particulièrement sa dimension d’irrévocabilité. La vocation naîtrait du destin et il serait difficile d’y échapper. 17 Recherche en soins infirmiers N° 69 - juin 2002 Son histoire nous permettrait-elle d’éclairer cette vocation du prendre soin ? La tragédie produit, par ailleurs, un effet de catharsis sur les spectateurs et cela suscite l’attention en tant que phénomène thérapeutique. Nous commencerons donc par étudier cette première dimension avant de nous pencher plus particulièrement sur cette notion d’orphanos regroupant les figures de la veuve et de l’orphelin. Par contre, nous allons relire l’histoire d’Œdipe sans tenir compte de l’interprétation freudienne. Nous ne sommes pas confrontés à des mathématiques, le mythe offre une pluralité de sens. Tentons de voir, à travers Œdipe, que le « prendre soin » peut conduire au sacrifice, que la société peut considérer le soignant, la veuve et l’orphelin comme symboles du mal et traiter le mal par le mal en les envoyant au chevet du malade... Tentons de montrer que le soignant issu du malheur n’a véritablement, dans le mythe, que deux choix : maîtriser son destin ou sombrer dans le malheur, guérir ou se sacrifier... Œdipe devait sauver Thèbes ou mourir...en se chargeant du mal de la cité. III. ŒDIPE OU LE DESTIN MAUDIT Laïos, roi de Thèbes, a un fils nommé Œdipe, un nom signifiant « pieds enflés ». Consultant un oracle, le monarque thébain apprend que son rejeton, à l’âge adulte, le tuera et épousera sa mère devenant ainsi parricide et incestueux. Face à cette révélation, Laïos décide de tuer son fils et charge un berger de l’abandonner en rase campagne où il deviendra la proie des animaux sauvages. Mais l’homme ne peut assumer cette mission et confie l’enfant à l’un de ses pairs, sujet du roi de Corynthe. Lequel se voit privé à ce jour de descendance. Œdipe est donc adopté par ce nouveau monarque et connaît une enfance heureuse auprès de ce père adoptif. Jusqu’au jour où, consultant à son tour l’oracle, il apprend la terrible malédiction. Se croyant contraint par le destin d’assassiner son père adoptif (il ignore sa véritable origine), Œdipe part pour le royaume de Thèbes et croise en chemin son père biologique. Cette rencontre provoque une dispute : le chemin est étroit et nul ne veut céder le passage. Œdipe tue Laïos et, arrivant à Thèbes, obtient la couronne laissée vacante par le crime en résolvant une énigme posée par la Sphinx. Il épouse ainsi sa mère biologique et règne sur le royaume de Thèbes. Peu après, une malédiction s’abat sur la ville et Œdipe interprète ces malheurs comme la conséquence du meurtre impuni de Laïos. Il convient d’arrêter le coupable afin de palier à la colère des dieux. Œdipe ne connaît pas l’identité de l’homme qu’il a assassiné et il va lancer une enquête qui va le révéler comme patient ne faisant qu’un à travers un destin commun. « Au terme de l’enquête, le justicier se découvre identique à l’assassin » [J. P Vernant & P. Vidal-Jacquet, 1988, p. 29]. Comme le notent ces auteurs pré-cités, l’une des deux composantes essentielles de la tragédie est la péripétie5, « c’est à dire le renversement de l’action en son contraire » [p. 28]. Marionnette du destin ou abominable criminel, le jugement envers Œdipe s’inverse selon le sens du temps. Cette remarque nous renvoie à Malinowski et à l’exemple du sorcier : le changement de point de vue représente, consciemment ou non, une pensée circulaire : la perte d’un proche génère le sorcier et le sorcier suscite la mort de l’un de ses parents. Sa puissance est à la fois son héritage et le résultat de ses actes ; la cause devient conséquence et inversement. Le cercle est bouclé, les rôles tournent comme le montre l’étymologie du mot : de réa signifiant roue... Oedipe est-il réellement un parricide, un incestueux ou bien le devient-il en tant que symbole après avoir commis une faute ou une succession de fautes ? Il est vrai que l’image est forte : enfant exposé et monstrueux (les pieds enflés), assassin de son père et amant de sa mère... Ne servirait-elle une autre démonstration ? La tragédie mobiliserait-elle une morale sociale ? Donnerait-elle sens à la pratique antique du bouc émissaire ? La dimension symbolique est probante ; tout est métaphore dans cette tragédie : Oedipe se crèvera les yeux lorsque sa faute sera démontrée ; il s’aveuglera lorsque (nous n’osons le dire) son aveuglement lui sautera aux yeux... De sauveur de Thèbes, Œdipe devient l’homme de tous les maux. La tragédie commence dans un contexte d’épidémie, de stérilité et de famine. Il faut trouver un coupable pour laver la souillure de la cité. Mais pourquoi Sophocle nous propose-t-il le roi de Thèbes ? Quels sont les critères décisifs du choix de ce bouc émissaire ? Quelle serait la faute commise si l’on admet que l’inceste et le parricide ne relèvent que de la métaphore ? 5. La seconde est la reconnaissance... 18 Recherche en soins infirmiers N° 69 - juin 2002 DE QUELQUES DÉTERMINANTS PARAMÉDICAUX À... L’ESQUISSE D’UNE FIGURE SOIGNANTE... Nous pouvons en suggérer plusieurs : • La trahison de son amitié avec Créon, son beau-frère et oncle. Dans sa recherche de l’assassin de Laïos, Œdipe consulte un vieillard aveugle doué paradoxalement d’un pouvoir de clairvoyance. Or celui-ci désigne Œdipe lui-même comme le criminel de son père. Devant l’accusation, Œdipe imagine un complot entre ce vieillard et Créon, son beau-frère. Cette cabale serait destinée à le compromettre puis à le destituer : Œdipe : « Créon, le loyal Créon, l’ami de toujours, cherche aujourd’hui sournoisement à me jouer, à me chasser d’ici »... Créon : « Rejeter un ami loyal, c’est en fait se priver d’une part de sa propre vie » • L’accusation portée sur un innocent : Créon... « il n’est pas équitable de prendre à la légère les méchants pour les bons, les bons pour les méchants ». • La non prise en compte du serment de Créon dont les dieux sont témoins. Jocaste : « au nom des dieux, Œdipe... respecte sa parole – les dieux en sont garants – respecte moi aussi et tous ceux qui sont là ». Le chœur : « c’est ton parent ; un serment le protège : ne lui fais pas l’affront de l’accuser sur un simple soupçon » [...] « respecte ici un homme qui jamais ne fut fou, et qu’aujourd’hui son serment rend sacré » Œdipe souhaite la mort d’un innocent et Sophocle nous offre, par le biais du chœur, cette réflexion : « la démesure enfante le tyran. Lorsque la démesure s’est gavée follement... et lorsqu’elle est montée au plus haut sur le faîte, la voilà soudain qui s’abîme dans un précipice fatal ». La démesure va provoquer la chute du roi de Thèbes assimilé à un tyran et à un ingrat : Jocaste, « Œdipe laisse ses chagrins ébranler un peu trop son cœur. Il ne sait pas juger avec sang-froid du présent par le passé ». Oedipe oublie l’amitié d’hier, les dons anciens et le passé va le rattraper à l’image de cette malédiction lancée sur l’assassin de Laïos : Œdipe, « je crains bien d’avoir, sans m’en douter, lancé contre moi-même tout à l’heure d’étranges malédictions ». Le temps et le sort dessinent une étrange boucle. Les mots dits retournent à leur propriétaire, deviennent « maux dits » : le mal appelle le mal. Mais au fond, toutes ces erreurs successives s’expliquent par l’illégitimité de son pouvoir engendrant la crainte de la trahison et de la destitution. Il a obtenu sa couronne de par ses dons (du ciel ?) et non par sa naissance puisqu’il n’a pas connaissance de ses origines et que nous postulons, de surcroît, que l’enfant exposé et difforme est un élément constitutif du symbole du mal. L’illégitimité le rend inquiet, suspicieux (nous pourrions dire aveugle ! comme Oedipe – orphanos6) comme en témoignent ses propos lorsque Créon lui rappelle ses droits à la couronne7. • Créon : « Voyons : tu as bien épousé ma sœur ! Tu règnes donc sur ce pays avec des droits égaux aux siens ? Et n’ai-je pas, moi, part égale de votre pouvoir à tous deux ? ». • Œdipe : « Et c’est là justement que tu te révèles un félon ». • Créon : « Thèbes est à moi autant qu’à toi ». • Œdipe : « pensais-tu que je ne saurais pas surprendre ton complot en marche ?... toi qui, sans amis, pars à la conquête d’un trône que l’on a jamais obtenu que par le peuple et par l’argent. » Œdipe ne détient pas son pouvoir de son nom mais d’un don du peuple exigeant retour et justice : • « j’ai reçu ce don que je n’aurais jamais dû recevoir après lui avoir été si utile » [Œdipe à Colonne, 525 & 539 – 41] En fait, l’ingratitude et l’injustice génèrent le destin du roi de Thèbes. Il n’a su rendre ce qu’il a reçu. Il est le fils de la Fortune et, selon la remarque de Malinowski, l’excès de chance devient funeste suscitant envie, jalousie, haine et sorcellerie. • Le Coriphée : « Personne dans sa ville ne pouvait contempler son destin sans envie ». • Le Chœur : « Quel est donc l’homme qui obtint plus de bonheur qu’il en faut pour paraître heureux ? » • « Il avait visé au plus haut. Il s’était rendu maître d’une fortune et d’un bonheur complet » • « il avait lancé sa flèche plus loin qu’un autre ». • Œdipe : « je me tiens, moi, pour fils de la fortune, Fortune la généreuse et n’en éprouve point de honte. 6. orpheus, l’aveugle en grec, est un nom dérivé d’orphanos 7. Créon a abandonné sa légitimité, préférant la vie aisée aux difficultés du pouvoir. 19 Recherche en soins infirmiers N° 69 - juin 2002 C’est Fortune qui fut ma mère, et les années qui ont accompagné ma vie m’ont fait tour à tour petit et grand ». Ayant accumulé les présents du destin, Œdipe, devenu roi et symbole de justice, devait éviter la démesure par de nombreux contre dons. L’illégitimité doit se nourrir de reconnaissance sinon elle prend l’aspect d’une puissance maléfique, le pouvoir n’étant pas lié au sang ancestral. La tragédie de Sophocle est un plaidoyer contre la tyrannie et elle revendique un juste partage. L’histoire de Polycrate, tyran de la seconde moitié du VIo Siècle est de la même teneur : son bonheur attise la jalousie des dieux et, pour éviter la vengeance divine, il doit se dépouiller de son objet le plus cher. Malheureusement pour lui, l’offrande est rejetée et Polycrate est condamné à expier « une prospérité trop continue » [L. Gernet, 1968, p. 142]. L’excès de chance, de dons devient pathogène et la compensation est jugée insuffisante par les dieux... Œdipe a reçu un double don, un double héritage : celui de son adoption et celui de la dynastie de Thèbes. Condamné à mort en tant qu’enfant difforme, il doit son nouveau destin, sa survie à la rencontre imprévue (mais voulue des dieux) avec un berger. Celui-ci le confie à Polybe, roi de Corynthe, qui le reçoit comme un don, étant privé d’enfant à ce jour. Souverain de Thèbes, il devait recevoir la couronne de Corynthe à la mort de son père adoptif : • Tirésias : « comme un double fouet, la malédiction d’un père et d’une mère, qui approche terrible, va te chasser d’ici ». • Jocaste : (à propos de la nouvelle de la mort de Polybe) « comment a-t-elle ce double pouvoir ? » (de ravir et d’affliger Œdipe, de faire le bien et le mal, comme le pharmakon !) • Le Coryphée : « nul assurément ne sera surpris qu’au milieu de telles épreuves tu aies double deuil, double douleur à porter ». Les deux destins se sont croisés, le double héritage a induit la double vue permettant de résoudre l’énigme de la Sphinx8 mais a infligé, par l’absence de contre don, un double deuil, un double malheur, une double douleur. En tant qu’orphanos, Oedipe a donc obtenu un double destin puisqu’il devait mourir en tant qu’enfant exposé. Il est, en fait, un survivant qui a obtenu un deuxième don de vie de la part des dieux ; lesquels ont orchestré sa rencontre avec le berger. Mais ayant trop reçu, il devait rendre au prix de la malédiction... Œdipe n’a su se souvenir de sa chance : « il refuse le secours du passé pour atténuer le présent » (Jocaste). Déjouer l’obligation de rendre (un don) transforme la fortune en infortune, le bonheur en malheur, le normal en pathologique... IV. L’ORPHANOS OU L’INCARNATION DU NORMAL ET DU PATHOLOGIQUE Le Corinthien : « Les gens du pays, disait-on là-bas, institueraient Œdipe roi de l’Isthme [Corynthe] ». L’adoption est une pratique courante dans les sociétés grecques et romaines et l’élu obtient les mêmes droits qu’un enfant naturel (voir Histoire de la famille, 1986). Nous percevons ainsi la faute majeure d’Œdipe : en acceptant la couronne de Thèbes, il devait nécessairement abandonner ses droits sur la royauté corynthienne. Tout est double chez Œdipe : Au delà d’Œdipe, nous allons maintenant montrer qu’une figure anthropologique incarne à la fois le bien et le mal, le normal et l’anormal, l’excès de mal et le défaut de bien. Si nous extrapolons l’image de la veuve et de l’orphelin, nous pouvons montrer que l’anormal guérit, qu’il est logique que le chaman soit malade avant de pouvoir guérir, que le psychanalyste soit psychanalysé avant de pouvoir traiter, que l’infirmière soit malheureuse avant de pouvoir soigner... • Il est un double orphanos (orphelin de Polybe et de Laïos). • Œdipe : « j’ai dépêché au devin deux messagers... Je m’approchais du croisement des deux chemins... Ô dieux ! n’entends-je pas ici mes deux filles qui pleurent ? ». Nous l’avons vu, le terme orphanos exprime aussi bien la notion d’orphelin que celle de veuve. Laquelle est omniprésente à la fois chez les sorcières, chez les infirmières et dans la tragédie oedipienne. Le double destin de l’orphanos offre peut-être un axe de recherche intéressant... Pourrait-il éclairer la figure symbolique du 8. Œdipe obtient la couronne de Thèbes en résolvant une énigme. 20 Recherche en soins infirmiers N° 69 - juin 2002 DE QUELQUES DÉTERMINANTS PARAMÉDICAUX À... L’ESQUISSE D’UNE FIGURE SOIGNANTE... soignant ? Rappelons le triple sens du latin « orbus » et appliquons le au roi de Thèbes, Oedipe : • « veuf » (Jocaste est morte). • « orphelin » (Polybe et Laïos sont décédés) • « privé de vue, frappé de cécité » (Œdipe se crève les deux yeux) Cette récurrence doit faire sens et les travaux d’E. Benvéniste [1969, tome I, p. 83] devraient nous éclairer. Ils établissent un lien entre la notion d’héritage et celle d’orphelin : « L’adjectif latin hered – « héritier » a un correspondant certain en grec dans le nom d’agent kherostes « héritier collatéral » et aussi dans l’adjectif khéros « privé d’un parent », féminin khéra « veuve » [tome I, p. 83 & 84]. » Il explique cette relation étymologique de la façon suivante : « en grec homérique, khérostes est celui qui, dans la famille, hérite à défaut d’enfants ; c’est un collatéral qui reçoit un bien devenu abandonné (khéros)... Tel est le rapport entre la notion de » orphelin, privé d’un parent » (fils ou père) et celle de “héritage” [p. 84]. Lorsqu’une lignée est interrompue par faute de descendance, l’ensemble des possessions est transmis à un collatéral, souvent le frère du défunt. La veuve fait souvent partie de l’héritage et épouse l’orphanos, celui qui a reçu la donation. Par le don de sa personne, elle peut générer un descendant le plus proche par le sang de son ex-mari et perpétuer ainsi la lignée. L’orphanos doit ensuite redonner l’héritage à ce nouveau fils qui incarne (ou plutôt réincarne) la figure du défunt. « les héritiers « necessari » sont également appelés « sui » ou « heredes domestici ». « Ils [les voluntarri] n’accédaient à la succession que [...] par un engagement à la recevoir [...] [ils] sont des heredes au sens strict du terme (heres correspond au grec kherostes, collatéral qui recueille un bien vacant ». [Y. Thomas, 1984, p. 85 et note 144 page 99] Pour ces collatéraux, « succéder est acquérir des biens auxquels ils n’étaient pas destinés » [idem]. La chaîne directe, transgénérationnelle, du nom et du sang est rompue et un collatéral hérite d’un don, d’un destin supplémentaires qui ne devaient pas être siens. Ce deuxième présent, cette double part constituent un excès imposant le contre don et générant le soignant, le « prenant soin de » : la veuve ou l’orphelin. Le double don, la double vue, la clairvoyance naîtraient de l’abandon, de la déshérence, d’un destin vacant. Mais ce double héritage suscite l’illégitimité qui exige, à son tour, la reconnaissance. Laquelle ne peut s’obtenir que par les dons, la vocation, le don de soi ? S’agitil de rendre le double ? Le don horizontal9 naît d’un arrêt de la transmission héréditaire, du don vertical et si la succession n’engendre pas l’obligation de rendre, le cadeau testamentaire la fonde. Insistons : le don horizontal avec sa triple obligation vient au secours du don générationnel. Comme le note J.T. Godbout, le « sui », l’héritier légitime n’est pas tenu à la réciprocité : il doit simplement transmettre afin de vaincre le temps et d’éviter la rupture généalogique... Si le soin moderne consiste à prolonger l’individu, le soin anthropologique tend à perpétuer la lignée. Au corps individuel correspond le corps familial ou lignager. Benveniste en renversant le sens étymologique de l’orphanos éclaire les déterminants infirmiers. L’orbus « privé de » devient l’héritier chargé d’une part de trop, d’un autre destin qu’il doit transmettre. Le défaut devient excès... Ayant trop reçu, l’orphanos prend le risque de devenir bouc émissaire, l’image du mal attirant le mal. A Rome, les héritiers « necessari » appartiennent au cercle familial et ont vécu sous la « pater potentia ». « Ils représentent la continuité morale et patrimoniale du lignage » [Y. Thomas, 1984, p. 85]. L’héritage produit autant de parts qu’il y a de fils ; lesquels ne peuvent refuser la succession. A ces légitimes, s’opposent les héritiers externes (les voluntarii) qui ont parfaitement le droit de refuser le don. Cette qualité extrafamiliale du don impose la triple obligation du donner, recevoir et rendre... Symbole de l’abandon en tant qu’enfant exposé, Œdipe a reçu un don qui ne lui était pas destiné et se retrouve écartelé entre deux rois « privés de descendance ». Comme le souligne Fustel de Coulanges [1864], l’appartenance à une famille implique obligatoirement le respect et l’adhésion au culte domestique dont le père est le « pater », le prêtre. Les liens religieux et familiaux se superposent, ne font qu’un. Or, l’adoption associe l’enfant à un deuxième culte et impose obligatoirement l’abandon du premier : « il était 9. Nous distinguons le don horizontal où nous donnons à des pairs en signe de reconnaissance au don vertical signifiant l’héritage, la donation, le don transgénérationnel 21 Recherche en soins infirmiers N° 69 - juin 2002 contraire à la religion qu’un même homme eût deux cultes domestiques, il ne pouvait pas non plus hériter de deux familles » [p. 86]. Le fils adoptif, héritant de la famille adoptive, ne pouvait donc prétendre à la succession de son père de sang. Fustel de Coulanges précise que le droit athénien est très ferme à ce sujet, le double don vertical est rigoureusement interdit. Hériter de l’un doit obligatoirement impliquer l’abandon de l’autre. L’ouvrage collectif sur la famille confirme ces propos : l’enfant adopté doit quitter sa famille de sang et renoncer à l’héritage de son père de semence. « Il devient le fils d’un autre » [p.227]. De surcroît, il ne pourra tester à son tour afin de ne pas multiplier les ruptures de sang. Le nom est maintenu, il convient de préserver (au mieux) le sang... Un fils adoptif ne doit pas adopter à son tour ; il doit s’enraciner, s’incorporer dans sa nouvelle lignée. Œdipe devait devenir roi de Corynthe et abandonner la couronne de Thèbes... l’assomoir est boiteuse. Voici la figure de la tare héréditaire, le mot « tare » signifiant d’abord écart à l’équilibre » [M. Serres, 1983, p. 27]. Seul un surplus permet de compenser un défaut et seule la viduité apaise l’excès. La maladie, comme la santé doivent être pensées comme « l’hybris », la folie des anciens grecs. Nous retrouvons la conceptualisation de G. Canguilhem sur le normal et le pathologique : 1. Nous pouvons concevoir la maladie comme un excès et un défaut (l’hyper et l’hypo) et la santé devient alors liée à une norme, une moyenne entre deux écarts : le pathologique peut se mesurer et offrir ainsi à la médecine une légitimité par le nombre. Elle prend ainsi l’habit d’une science exacte mais néanmoins productrice de normes : la santé devient mesure «idéale»... 2. La santé peut se concevoir comme un équilibre. Le phénomène pathologique bascule le corps dans une dysharmonie totale, sans nuance, non mesurable. L’essence de l’individu s’altère, le patient devient « un autre », l’être se transforme... Le normal et le pathologique relève de la loi du tout ou rien... De la démesure... De par son double don de vie, Œdipe atteint la démesure : il s’écarte de la norme, symbolise l’excès (de chance, de don) comme le défaut (Œdipe est boiteux). Le roi de Thèbes est un anormal au sens du hors norme. Il est différent de la moyenne et cette anormalité joue sur le destin des uns et des autres à l’instar du trèfle à quatre feuilles portant bonheur, dit-on, comme la bosse du bossu... Le trèfle à quatre feuilles est une exception... Et c’est cette exception, cette anormalité qui génère la fortune ou l’infortune (l’a-normalité au sens du hors norme, du hors mesure, de la démesure). Le thérapeute relève de la démesure, alternativement sujet à l’excès comme au défaut. Cela lui permet d’accepter un surplus comme de combler un vide. Œdipe est « boiteux », il possède un défaut, une tare. Et qui peut le bien peut le mal ; qui peut le défaut est susceptible d’excès : la tare révèle la démesure. Nous comprenons pourquoi les infirmier(ère)s sont choisis parmi « des jeunes filles sans famille, que l’inintelligence ou une tare congénitale (claudication, gibbosité, surdité) ont empêchées d’apprendre un métier » [G. Charles, 1979, p. 74 & 75]. Nous aurions tendance à réunir les deux modèles en un seul : l’environnement, social ou biologique, de l’être humain génère un excès ou un défaut susceptible de déséquilibrer l’ensemble de l’organisme... L’avoir, né de l’échange, bouscule notre entité, notre personne... L’ego est altéré par l’alter. L’équilibre devient la norme suprême de cette dimension sociale de la maladie, de cette pathologie de l’échange où patients et thérapeutes retrouvent la mesure en neutralisant leurs défauts et leurs excès de dons... Nous comprenons pourquoi notre société a longtemps envoyé les « orphanos » auprès des patients. La conception grecque de la maladie hantait nos représentations : « la médecine est addition et retranchement, retranchement de ce qui est par excès, addition de ce qui fait défaut, et celui qui pratique le mieux ces deux choses est le meilleur médecin » [Hippocrate]. Envoyons donc l’excès au chevet du défaut ou inversement : par rapport à la norme, tout est question de point de vue !!! Rendus singuliers, anormaux par des destins fatals et hors normes, soignants et patients retrouvent l’équilibre en réunissant leurs excès et leurs défauts... L’orphanos doit être compris dans l’ambivalence, le terme signifiant à la fois « privé de » et « ayant trop reçu ». L’orpheus est un aveugle qui a souvent, chez les grecs, le don de divination. Il est à la fois non voyant et clairvoyant. V. LE DOUBLE ET LA TOUTE PUISSANCE Mais Œdipe n’est pas le seul personnage témoignant par son pied enflé de son a-normalité. « La Gervaise de Du chapitre précédent, nous pouvons déduire cet étrange pouvoir du double et, si nous souhaitons 22 Recherche en soins infirmiers N° 69 - juin 2002 DE QUELQUES DÉTERMINANTS PARAMÉDICAUX À... L’ESQUISSE D’UNE FIGURE SOIGNANTE... approfondir notre questionnement, il paraît nécessaire d’explorer cette dualité aux capacités étonnantes. A l’instar du médecin pensé par les grecs, le méd-iateur, le méd-ium sont forcément des doubles qui regardent vers les deux parties en présence, qui prennent en compte les deux aspects de la question. Comme l’aigle à deux têtes qui regarde simultanément le royaume des dieux, le ciel, et celui des hommes, la terre. L’aigle est un messager qui rapproche puis unit les deux parties, le divin et l’humain, et ceci à l’instar des inspirés. Les inspirés : philosophes, devins, poètes et... médecins. Poursuivons l’analyse dans la même direction grâce aux travaux de louis Gernet [1982] qui tentent de définir la figure mythique du philosophe. Cet auteur nous révèle qu’Empédocle dresse une espèce de «catalogues d’élus [...] suivant une tradition dont on retrouverait la trace chez Pindare mais aussi bien chez Platon» [p. 254]. Les devins, les poètes, les médecins et les princes bénéficient de réincarnations privilégiées dans le sens où ces inter-méd-iaires entre l’humain et le divin conserveraient le souvenir de leurs destins antérieurs ; nous dirions, pour notre part, des dons verticaux successifs. Souvent, dans la société grecque, l’enfant est consulté comme oracle car son « âme, à peine incarnée, reste proche de ses origines extratemporelles... S’il meurt, son corps est utilisé pour consulter l’au-delà» [Histoire de la famille, p. 319]. Le souvenir permet la vision d’un autre monde; il porte le regard sur la continuité de la lignée. Rien ne doit se perdre dans la nuit des temps. Le souvenir suppose, dans la mystique grecque, une grâce divine. La mémoire des dons-destins offre l’illusion d’une immortalité, d’une nature quasi-divine mais cette grâce devenue démesure nécessite de redonner par la vocation, de ne pas céder à la toute puissance à l’image du tyran. Le pouvoir entraîne successivement l’excès de pouvoir puis la malédiction. Il convient de redonner. Aussi, le « vocator » est celui qui appelle, celui qui invite à un repas, un hôte... Mais le sens grec du terme renvoie également à la capacité de dominer sa vie, de surpasser son destin à l’image du héros : « parti pris, dessein prémédité, volonté, plan, intention, plan de vie, préférence, désir, envie... ». Par la connaissance du sens de la vie, le presque-dieu, le quasi-divin maîtrise son devenir : derrière les philosophes, les devins et les médecins apparaît l’image héroïque... Les inspirés semblent obtenir leur don à la suite d’un passage aux enfers. Pythagore révèle, selon L. Gernet [1982, p. 251] la succession de ses destins à la suite de son passage dans la géhenne. L’auteur ajoute que «l’existence infernale», stade obligatoire du fatum de l’âme, est un élément récurrent des mystiques grecques. Nous serions tenté d’établir un rapprochement entre cet élément du mythe et la succession des malheurs, la malédiction de l’infirmière... Le passage aux enfers symbolise la série d’épreuves vécue par ces protagonistes du soin et du mal. Pour Gernet, ce passage dans l’autre monde, l’audelà renvoie, suggère les péripéties du chaman confronté à la surnature. Mais surtout, cette remarque sur le passage aux enfers résonne comme une révélation car elle nous renvoie à Orphée et aux «orphanos» : les veuves et les orphelins à la source de la vocation infirmière. Si nous compulsons l’Encyclopédie Universalis et son thésaurus, nous trouvons la description d’Orphée, l’homme dont la voix est un charme profondément envoûtant. Poète mythique, il symbolise la magie du chant, du verbe, de la parole devenant agissante. Mais ce don est un excès : « c’est là sa démesure qui doit le perdre » [Encyclopédie Universalis, p. 1536]. Son épouse, Eurydice, poursuivie par un soupirant est piquée par un serpent d’eau. Orphée la suit jusqu’aux enfers où, par le pouvoir de son don, de son charme, il obtient l’autorisation de la ressusciter. La réanimation de sa compagne est liée à une prescription; nous employons à dessein ces termes relevant du domaine médical. Orphée ne doit ni regarder, ni parler à Eurydice lors de sa remontée des enfers. Mais il « est incapable de respecter le double interdit » [ibid.] et perd son épouse définitivement. Au double don correspond un double tabou mais Orphée ne sait se soumettre à la mesure : l’excès le con-damne... Il terminera sa vie écharpé par des femmes s’estimant méprisées et rejetées. Orphée possède le don et ce don lui permet de revenir des enfers. Renversons encore une fois le mythe : Orphée subit une série d’épreuves l’amenant à la porte de la mort et, par sa survie, obtient le don, le pouvoir de charmer, le don de divination... Orphée, devenu veuf, devenu orphanos obtient le don : Orphée a un double destin, un double héritage puisqu’il survit aux enfers. Orphée est un double à l’instar des jumeaux... Les jumeaux Otto Rank [1914] a étudié la symbolique du double, le culte des jumeaux dans les sociétés dites primitives et antiques. Il révèle que la gémellité a suscité une mystique présente pratiquement dans tous les groupes 23 Recherche en soins infirmiers N° 69 - juin 2002 humains et dont on retrouve les traces dans nos croyances actuelles. Il interprète cette récurrence comme une conséquence directe d’une âme double, l’une mortelle et l’autre immortelle. La naissance de jumeaux a toujours été envisagée comme un acte porteur de sens, un signe bénéfique ou maléfique selon les sociétés. Ils sont tour à tour vénérés ou sacrifiés, suscitant à l’image du sorcier, à la fois crainte et admiration. Parfois immolés avec leur mère ou exposés, ils représentent une puissance surnaturelle, l’immortalité de l’âme. La dualité renvoie au divin et la gémellité suscitant l’invincibilité fabrique des héros (Romulus et Rémus, par exemple). « Le jumeau paraît donc être l’homme qui, en venant au monde, a amené son double immortel, c’est à dire l’âme [...] C’est cela qui en fait le prototype du héros» [O. Rank, 1914, p. 102]. Ce double don de naissance (cette double paternité pour nombre de sociétés10) offre des pouvoirs particuliers pouvant être mis au service du bien ou du mal. «Le jumeau [comme le soignant] a le pouvoir sur la vie et la mort des autres» [p. 96]. Les peuplades de l’ouest africain (Libéria) leur attribue des dons divinatoires; ils sont susceptibles d’apprendre nombre de choses à l’occasion des rêves. Plus près de nous, dans les croyances populaires, nous retrouvons effectivement des traces de ce don-talent inhabituel : «en Grande Bretagne [...] une femme dont le nom de jeune fille et le nom d’épouse sont identiques est supposée avoir des dons de guérisseuse » [E. Mozzani, 1995]. Toutefois, le double, la toute puissance s’avèrent, comme nous l’avons déjà noté, dangereux. L’assassinat de l’un des jumeaux est souvent la condition de la survie de l’autre. Le devenir de l’un passe par le sacrifice de l’autre. Les jumeaux constituent l’ambivalence incarnée : « Pour l’ethnologue, l’enfant si impatient de naître qu’il défonce le corps de sa mère et fait périr celle-ci, c’est le mauvais dioscure à qui les mythes imputent les excès, le désordre parfois la mortalité humaine. Il équilibre ainsi le pouvoir de son jumeau, sage ordonnateur de l’univers et qui dispense à l’humanité ses bienfaits ». C. Lévi-Strauss, discours du 27 juin 1974 lors de son investiture à l’Académie française. % jumeaux Les indiens védiques imaginaient l’aurore comme le fruit de l’action de deux jumeaux chevauchant dans l’azur. Ces «doubles» étaient sensés ouvrir le passage à la Déesse et la mythologie les nomme Asvins, un mot sanscrit signifiant «cavalier». Parfois, ils prennent le nom de Nasatyas et on les compare souvent aux Dioscures grecs. E. Benvéniste [1969] en parle comme des dieux guérisseurs et savants, des médecins divins sans cesse sollicités pour aider et secourir les hommes. Quant à l’Encyclopédie universalis (thésaurus), elle les mentionne en ces termes : «On pense évidemment aux Dioscures grecs, mais il est étrange que les mythes védiques concernant les Ashvins soient orientés dans une autre direction : ils évoquent les jumeaux célestes en les présentant comme des thaumaturges habiles à soigner leurs fidèles et à les guérir de leurs maladies et infirmités. Ainsi plongent-ils un vieillard dans une fontaine de jouvence pour lui permettre de plaire à la jeune femme qu’un roi lui a donnée, rendent-ils à un prêtre la tête qu’on lui a coupée, fournissent-ils des herbes curatives à tel autre, etc...». Cette récurrence du double, des jumeaux détenant le don de guérison nous a poussé à explorer les générations actuelles de paramédicaux... Les doubles actuels Nous avions inclus, dans nos questionnaires, une question portant sur une éventuelle gémellité de l’étudiant(e) infirmier ou manipulateur en électroradiologie. Le tableau ci-dessous retranscrit l’ensemble des résultats comparés aux statistiques nationales où le taux de gémellité est d’environ 1,25 (Tableau 13). Tous projets professionnels confondus, le pourcentage de jumeaux est tout de même de 2,5 à 3 fois celui de la population française. Ils prédominent cependant chez les étudiantes désireuses de devenir puéricultrices et chez les futur(e)s manipulateur(rice)s en électroradiologie. Chez les premières, il s’agit d’étudier les nais- pop. Totale Infirmier (ère)s non désireux de se spécialiser anesthésistes puéricultrices manips 1,25 1,59 2,94 4,96 3,5 Tableau 13 10. « cette croyance à la double paternité quand il s’agit d’une naissance gémellaire n’est pas caractéristique de la superstition du Moyen Age, elle s’est seulement maintenue très longtemps dans la conscience populaire car elle se trouve autant chez les peuples primitifs que chez les peuples civilisés de l’antiquité » [O. Rank, p. 101] 24 Recherche en soins infirmiers N° 69 - juin 2002 DE QUELQUES DÉTERMINANTS PARAMÉDICAUX À... L’ESQUISSE D’UNE FIGURE SOIGNANTE... sances afin de les discerner. Doubles et semblables à la naissance, ces jumelles n’ont pu être reconnues, être discernées. Ayant souffert par leur jeune enfance, elles souhaitent s’occuper de celles des autres, obtenir la reconnaissance sociale par l’objet qui leur en a privé. Elles désirent obtenir un juste retour des choses en s’intéressant à l’objet (en l’offrant ?) qui les a rendu orphanos : « privé de ». Elles souhaitent émettre des diagnostics au sens grec du terme : diagnostikos signifiant « capable de discerner, de reconnaître ». Quant aux manipulateur(rice)s, en exposant le patient aux rayons X, on obtient une copie qui le prolonge, un double qui le perpétue comme un portrait ou une photographie. Le double pérennise et s’obtient par l’exposition (des enfants, des criminels : la sur-vie génère un double11). Les doubles (jumeaux) produisent des doubles (radiographies), le semblable agit sur le semblable comme le mal agit sur le mal. Ce processus passe par l’exposition à l’instar d’Œdipe : le roi de Thèbes a obtenu son double destin en tant qu’enfant exposé. En ce qui concerne les étudiantes intéressées par l’anesthésie, cette spécialité infirmière produit également des doubles (dons de vie) dans le sens où elle ré-anime, elle réveille, elle sort le sujet du sommeil, de la mort. Cette spécialité redonne une nouvelle fois la vie... ETUDIANT Frère ou sœeur Et l’autre jumeau ? Si nous étudions les métiers exercés par le frère ou la sœur des 18 jumeaux répertoriés, nous obtenons le tableau suivant : (Tableau 14) Notons l’importance de la famille (Conseillère économie sociale & familiale, employée familiale), de la transmission par l’éducation ou l’enseignement (Educateur de jeunes enfants, Maîtrise de psychologie enfant et adolescent, Professeur d’Histoire), du vital âge sexe profession Spécial. Désirée profession 21 F Infirmière Anesthésiste ou puer. 20 F Infirmière puéricultrice 35 F Infirmière 19 F Infirmière puéricultrice IUT Génie biologique 20 F Infirmière anesthésiste Comptable 20 F Infirmière puéricultrice Professeur d'Histoire 20 F Infirmière anesthésiste Sociologie / Educateur de jeunes enfants 19 F Infirmière puéricultrice Hôtesse de l'air F Infirmière puéricultrice BTS électronique 20 F Infirmière 20 F Infirmière 26 F Infirmière 24 F Manipulatrice Gestion 22 F Manipulatrice Génie mécanique (frère) F Manipulatrice Maîtrise de psychologie enfant et adolescent 18 F Manipulatrice 1ère année de médecine 21 F Manipulatrice Biologie 25 F Manipulatrice Ingénieur géologue Laborantin papetier CAP employée familiale / cosmétique Agriculture (frère) puéricultrice Infirmière Tableau 14 11. Dans la Grèce antique, les condamnés à mort ou les enfants abandonnés étaient exposés au public. 25 Recherche en soins infirmiers N° 69 - juin 2002 (IUT Génie biologique, lère année de médecine, Biologie, Infirmière) voire de l’hospitalité (Hôtesse de l’air)... Bien entendu, ces quelques cas n’ont pas de valeur statistique, ils peuvent simplement suggérer des pistes de recherche sur les déterminants symboliques des jumeaux... VII. EN GUISE DE CONCLUSION : LA FIGURE DU SUR-VIVANT : Si nous nous référons au sens premier du mot orphanos « privé de », nous éprouvons beaucoup de difficultés à comprendre le schème commun à ces différentes figures soignantes : l’orphelin, la veuve, le jumeau, le malade etc... Comment quelqu’un privé de santé pourrait en redonner aux autres ? Le malade est exposé au mal mais il survit. Il obtient ainsi un deuxième destin, une deuxième chance qui va dicter sa vocation. Il est en fait un sur-vivant capable de guérir, de transmettre le don de guérison, ce don de double vie. La maladie-rupture replace l’individu dans un nouveau cycle de don ; le vital s’impose à ses yeux et gomme l’importance du marchand, de l’intérêt matériel. Face à tout événement fatal, l’utilitaire devient secondaire. La vie est sauve, peu importe le reste. Seulement, ce double destin doit être transmis, redonné et l’accident fatal force la vocation : « Été 1985. De retour d’Italie, Lise Thouin est terrassée par un virus. Pour les médecins elle est perdue. Par un merveilleux prodige sa vie lui est « redonnée ». Ce qui aurait dû être mort se métamorphose en naissance. Revenue à la vie, plus rien n’est pareil. Son regard a changé. De tout son être, en tant que femme, épouse, mère, comédienne, elle s’engage dans cette vie nouvelle. Elle apprend à vivre et à traverser la douleur, et elle s’ouvre à celle des autres, des plus petits. Au contact des enfants de tous âges atteints par de graves maladies, elle découvre son rôle de « femmepasseur ». Elle les aide, dans un grand élan d’amour, à passer de l’autre côté des choses...» Cet extrait est en fait le résumé d’un livre, d’une biographie au titre étonnant : « De l’autre côté des choses. Le miracle de la vie [Editions Alain Noël]. Débarrassée du futile, de l’utilitaire, Lise Thoin voit apparaître l’autre côté de la chose (donnée ?), un autre monde, le monde de l’autre... à l’image de ces étudiant(e)s manipulateur(trice)s en électroradiologie où les deux côtés constituaient l’élément redondant du discours. « Mourir un peu » permet de redécouvrir le don, la part que nous avons donné, la part que nous avons reçu de l’autre, la part étrangère... La veuve est une survivante (survivante d’un couple, d’une alliance), l’orphelin également (survivant d’une lignée). Oedipe est un rescapé de l’abandon et de l’exposition... Le patient est un rescapé du destin comme la vieille femme de l’historique infirmier. Ainsi nous comprenons pourquoi le chaman et le psychanalyste doivent impérativement subir « l’épreuve » de leurs patients. Nous comprenons les destins tragiques de certaines infirmières voire de médecins ?... «Les médecins qu’on appelle chirurgiens, on les croit cruels : ils ne sont que malheureux...» [Saint Jérôme] Mais allons plus loin en étudiant les pathologies particulières des rescapés regroupées sous le terme générique de syndrome de Lazare ou syndrome du survivant. La première dénomination fait référence à Lazare ressuscité par Jésus, obtenant ainsi un deuxième don de vie. Cette appellation s’est imposée en observant le comportement des survivants de catastrophes naturelles ou des rescapés des camps d’extermination nazis. La question essentielle obsédant ces personnes est identique à l’interrogation de tout patient atteint d’une maladie grave ou d’un acte de sorcellerie : pourquoi moi ? Ces victimes ont le sentiment profond d’avoir usurpé la vie de quelqu’un : un autre aurait pu survivre à leur place ? Pourquoi ce choix du hasard ? Cette impression d’usurpation renvoie à un problème de légitimité extrêmement présent chez Oedipe et peut-être à la source de sa démesure. Est-ce le cas de nombreux tyrans ? L’excès de chance suscite-t-il cette interrogation ? Pourquoi moi ? Pourquoi ai-je été élu, touché par la grâce divine ? Cette grâce reçue qui m’invite à rendre ?.. Nous retrouvons le don – bénédiction, le don – grâce... La démesure constitue un symptôme de la pathologie du survivant : il est aisément excessif dans sa consommation d’alcool, son alimentation, pouvant devenir, selon les cas, anorexique ou boulimique (l’excès ou le défaut). La proximité de la mort peut le conduire à se « gorger de vital », à faire la fête, à s’amuser et à vivre au jour le jour, comme un être en sursis... L’excès et le défaut relèvent également d’un complexe de supériorité ou d’infériorité : l’individu peut se sentir fort d’avoir échappé à son destin ; il peut se croire détenteur d’un pouvoir agissant sur la vie ou la mort (le 26 Recherche en soins infirmiers N° 69 - juin 2002 DE QUELQUES DÉTERMINANTS PARAMÉDICAUX À... L’ESQUISSE D’UNE FIGURE SOIGNANTE... guérisseur) ayant vaincu le sort-destin... Ou bien, il peut se sentir diminué, ayant pu lui aussi être supprimé... Il devient un individu de circonstance ballotté par les aléas de la vie... Cet excès de chance provoque un sentiment profond de dette mais d’une dette vitale, non matérielle, une dette de vie... Les survivants éprouvent une forte detteculpabilité existentielle : l’impression d’une seconde vie imméritée poussant sans cesse l’individu à se justifier, à justifier son existence, à être utile... • Chez les malades greffés. La greffe représente la vie, un deuxième don de vie, une renaissance. « Le patient peut avoir le sentiment parfois de vivre à deux dans le même corps », « d’être possédé, habité par l’esprit du donneur »... Face à ce « cadeau précieux », le patient éprouve un fort mouvement de culpabilité12... • Chez des enfants qui n’auraient pas dû naître (les parents souhaitaient avorter mais n’ont pu le faire...) • Chez de enfants nés « par hasard » «J’ai choisi cette profession afin de me sentir plus utile ». 20 ans, F étudiante en IFSI. Mère : maladie grave sans avenir compromis. « J’ai choisi cette profession car je suis en contact avec les gens et je me sens utile quand je peux les aider ». F, 26 ans étudiante manipulatrice. Parents divorcés. Mère et sœur atteints d’une maladie grave au pronostic incertain. « Le métier d’infirmière est d’utilité publique, elles ont une bonne image sociale car elles sont utiles. Elles sont essentielles pour la vie du malade... Elles sont reconnues. » F, 18 ans candidate au concours d’entrée en IFSI. « Socialement, c’est utile... L’infirmière n’est pas mise à l’écart, elle a sa place. J’aime le contact avec les personnes, donner du courage, du moral... travailler en équipe. Pour être infirmière, il y a autant la technique que le relationnel ». F, 20 ans candidate au concours d’entrée en IFSI Cette grâce incomprise suscite de nombreuses interrogations sur le sens de la vie, sur le rôle existentiel que veut nous faire jouer le hasard, cette chance divine... Quel est mon nouveau sort ? Que dois-je faire ? L’enquête menée en 1992 [CEEIEC] sur les 1515 étudiants infirmier(e) s montre que 8 % d’entre eux estiment avoir choisi cette profession afin de se sentir utile. Il convient néanmoins de saisir cet adjectif comme une volonté d’être utile à l’autre, de promouvoir la solidarité. Le syndrome du survivant est particulièrement observé : • Chez les patients guéris d’une maladie grave comme le cancer. Nous comprenons ainsi l’importance du modèle « maladie » au sein de notre population d’étudiants (es) infirmiers (ères)... • Chez des enfants « remplaçants » d’un frère ou d’une sœur avortée ou décédée... et plus particulièrement chez un jumeau survivant... Nous retrouvons le sentiment de vivre à la place d’un autre, par dérogation... Ces enfants remplaçants nous évoquent le mythe oedipien où le protagoniste est confronté à un double destin. Ces substituts d’une vie inachevée sont chargés d’une double personnalité, d’un deuxième cadeau vital : le leur et celui du mort. Cet excès de vie leur permet de redonner du principe vital à ceux qui en font défaut. La vie se donne et se redonne comme l’exprime parfaitement ce vieillard esquimau cité par Lévy-Bruhl : « je suis devenu un vieillard. Mais tout ce qui a le pouvoir de devenir vieux est fort, et aujourd’hui je passe ma main sur ta poitrine pour te communiquer de la force, et te donner longue vie » [1927, p.86]. Notre modèle relève d’une certaine logique : le survivant a tendance à sur-protéger, à sur- « prendre soin » car la mort l’a approché de près et il perçoit la vie comme un fil ténu qu’il convient de préserver... Epilogue... A travers les figures de ces survivants, nous avons ainsi esquissé un modèle de soignant. Il n’est pas universel et n’explicite, peut-être, qu’un certain nombre de vocations. Le modèle anthropologique semble pertinent de par les multiples récurrences de l’orphanos. La question de sa valeur heuristique vis à vis des générations actuelles de soignants doit être débattue car l’enquête quantitative offre un impact limité faute de données comparatives. L’absence de groupe témoin fragilise 12. S.M Consoli, M. Baudin. Aspects psychologiques et psychiatriques après traitements par greffe ⇒ site internet. 27 Recherche en soins infirmiers N° 69 - juin 2002 l’argumentation. Néanmoins, nous continuons à penser que notre démarche s’avère intéressante et ce pour deux raisons : 1. Nous avons nourri nos apports théoriques d’une enquête qualitative réalisée à travers des entretiens avec des soignants. Nous avons étudié particulièrement les propos de candidats à l’entrée en IFSI et nous avons analysé des écrits infirmiers. Les données recueillies témoignent de cette pertinence du don comme vous avez pu l’apprécier, nous l’espérons, tout au long de ces lignes. 2. L’étude des jumeaux offre des données comparatives et révèle l’intérêt de poursuivre. Certes, il s’agit de phénomènes marginaux mais comme le notait LéviStrauss : « On peut retrouver dans une société quelconque tout ce qui existe dans d’autres, mais sous forme de projections, tantôt macroscopiques, tantôt microscopiques » [p. 280]. Le pourcentage des jumeaux nous offre peut être l’occasion de saisir l’impact du symbolique sur le choix de nos vocations. Par ailleurs, les jumeaux nous offrent le sens de la vocation. Indifférenciés par leur naissance, ils souhaitent se distinguer en donnant plus que les autres, en se donnant à l’autre. Le don serait en fait identitaire. Désirant offrir un cadeau à un être cher, nous choisissons un objet censé lui plaire, un objet « placebo » 13 quasi-médicamenteux. Ce cadeau va lui plaire car il lui ressemble, ce cadeau le révèle, lui indique qui il est : ce cadeau est identitaire. Les jumeaux à l’identité confuse, indéterminée donnent pour recevoir et en recevant, ils apprennent à se connaître. Notre survivant a côtoyé la mort, le « spéculum mortis » comme disait les anciens. La mort est un miroir ; en nous approchant d’elle, elle nous questionne, elle interroge notre être, elle susurre : qui sommes nous ? Nous sommes alors contraints de donner, de « prendre soin » afin de savoir, afin de nous connaître par la magie des contre dons, des dons en retour... Le sens du soin réside dans la reconnaissance du semblable. En acceptant l’autre, en acceptant son corps, sa fragilité nous le reconnaissons comme conforme. Le jumeau est un inconnu de naissance qui reconnaît les autres. Nous offrons ce qui nous manque afin de le recevoir, à l’instar de l’aveugle du mythe grec offrant de la clairvoyance. Le jumeau incarne ces rayons inconnus, ces rayons « X » qui déterminent la conformité ou la difformité de tel ou tel patient... Au delà du biologique, il y a de l’existentiel. Nous ne pouvons vivre sans savoir qui nous sommes, sans pouvoir nous reconnaître à travers les autres... Toutefois, la prise en compte de ces dimensions symboliques n’offre pas un portrait exclusif. Il ne faut pas négliger également les raisons économiques inhérentes au choix de nos professions. Le nombre de candidats au concours IFSI croît en temps de crise... Nous espérons simplement avoir pointé du doigt certaines dimensions à valeur heuristique et épistémologique pour nos professions. A propos, Esculape était orphelin de mère : elle mourut à sa naissance et son père confia son éducation a un tiers, il l’abandonna... D. BOURGEON VIII. BIBLIOGRAPHIE • A. Bengière, C. Klapisch-Zuber, M. Segalen, F. Zonabeud. Histoire de la famille. Tome I. Armand Colin. 1986. • E. Benveniste. Le vocabulaire des Institutions indoeuropéennes. Tomes I & II. Les Editions de Minuit. Paris, 1969. • A. Caillé. « Don et association » in Revue du Mauss no11, Paris, 1er semestre 1998. • G. Canguilhem. Le normal et le pathologique. Paris. PUF. 1966. • Enquête du CEEIEC. « Profils des promotions d’élèves infirmièr(e) s » in Revue Soins Formation – Pédagogie – Encadrement. No2. 2o trimestre 1992. G. Charles. L’infirmière en France d’hier à aujourd’hui. Le Centurion. 1979 • E. Desjardins, S. Giroux, E. C Flanagan. Histoire de la profession infirmière au Québec. 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Il existe de nombreux documents dont le contenu est fondé sur des habitudes de service, l’expérience professionnelle, mais au niveau de preuve insuffisant et qui s’avère parfois délétère pour le malade. La rédaction d’outils de bonnes pratiques est fondée, dans toute la mesure du possible, sur des connaissances issues de travaux, recherches et/ou après discussion, consensus, afin que les options prises soient réfléchies et les choix argumentés. Les outils présentés concernent la pratique des soins : recommandation, procédure, protocole et fiche technique. Mots clés : soins infirmiers, recommandation, procédure, protocole, fiche technique, outil Il est d’usage, depuis longtemps, de formaliser la pratique des soins au moyen d’outils. Dès la formation initiale les soins de base et les soins techniques sont déclinés sous forme de fiches. Par ailleurs, depuis de nombreuses années des services cliniques ont élaboré des protocoles, fiches et autres outils afin de disposer de documents de référence pour la réalisation des soins. Cette manière de procéder qui s’est imposée au fil du temps comme une nécessité, en dehors de toute obligation, devient indispensable dans le contexte de l’accréditation et de la sécurité sanitaire. L’exigence de qualité des prestations offertes au malade et la volonté d’un exercice professionnel en adéquation avec l’état des connaissances conduisent à se servir d’outils permettant de formaliser des pratiques fiables et sûres. Cependant, leurs modalités d’élaboration et de validation ne sont pas toujours clairement énoncées. De plus, nous observons une multiplication d’outils développés dans les services dont la fiabilité et la référence à des savoirs établis ne sont pas toujours évidentes. Ainsi, il existe de nombreux documents dont le contenu est fondé sur des habitudes de service, l’expérience professionnelle, mais au niveau de preuve insuffisant et qui s’avère parfois délétère pour le malade. En outre, la forme de présentation ne permet pas toujours d’identifier la provenance, les auteurs, la date d’élaboration et/ou de validation. * Infirmières Générales - CHU Henri Mondor Assistance Publique - Hôpitaux de Paris ** Cadre supérieur infirmier- CHU Henri Mondor Assistance Publique - Hôpitaux de Paris 30 Recherche en soins infirmiers N° 69 - juin 2002 M ÉTHODOLOGIE LES OUTILS DE BONNES PRATIQUES ET D’AIDE POUR L’ACTION DE SOINS Les outils sont au service de finalités clairement énoncées et ne constituent pas un but en soi. Chaque outil a une spécificité, des modalités d’élaboration, un champ d’application, des liens éventuels avec d’autres outils, des intérêts et des limites. De plus, le contenu des outils est fondé, dans toute la mesure du possible, sur des connaissances issues de travaux, recherches et/ou après discussion, consensus, afin que les options prises soient réfléchies et les choix argumentés. Si l’intérêt de disposer de documents de référence n’est plus à démontrer, ils ne sont pas destinés à garnir les rayonnages des salles de soins. Il convient de ne pas succomber à la frénésie ambiante de tout formaliser, écrire, mettre en fiche. La rédaction d’outils de bonnes pratiques doit répondre à un besoin, à la formalisation de soins mettant en œuvre un enchaînement d’actes faisant appel à différents savoirs (anatomie, physiologie, hygiène, asepsie...), présentant un certain niveau de complexité, et non à mettre en forme des gestes relatifs à la pratique courante et normalement acquis en formation de base (toilette, injection intra veineuse, pansement simple...). chronique dans le sens où il est possible d’élaborer les outils indépendamment les uns des autres. De plus, ils peuvent être incrémentés, par exemple un protocole peut contenir une fiche technique. Les conditions d’élaboration, les modalités et la portée des outils doivent être prises en considération pour leur efficacité et leur validité. Par exemple, les recommandations étant de portée relativement générale elles sont applicables de façon large alors que le protocole est contextuel. L’existence des outils de bonnes pratiques et d’aide pour l’action de soin est un moyen de mettre à disposition des utilisateurs des conduites à tenir de référence. Ils aident, éventuellement, à mémoriser des enchaînements complexes ou à réaliser des activités pratiquées de façon occasionnelle. Les groupes qui élaborent des outils doivent s’appuyer sur une méthodologie permettant de disposer de documents fiables et valides au regard de l’état des connaissances. De plus, disposer d’outils de bonnes pratiques ne signifie pas qu’il faut les consulter en permanence. Ils servent de référence à laquelle il est possible de se reporter lorsqu’on ne pratique pas le soin habituellement, afin de vérifier le bon déroulement, en situation d’apprentissage ou lorsque le professionnel est en stage d’intégration. La présentation des outils doit faciliter l’utilisation, la lecture et la gestion documentaire. Par exemple, la représentation synthétique sous forme de logigramme d’une fiche technique peut être un moyen de visualiser les différentes étapes. Par ailleurs, afin de faciliter le référencement et la gestion documentaire il convient d’adopter la présentation définie par l’hôpital. Parmi les outils les plus fréquemment utilisés citons : les recommandations, les procédures, les protocoles, les fiches techniques. L’approche présentée ici est relative aux pratiques de soins. Ainsi sont exclus de cet article les outils ayant d’autres visées, par exemple : thérapeutique (protocole de prise en charge de la douleur...), suivi des vigilances (procédures de déclaration des dysfonctionnements...) ... Les indications méthodologiques présentées concernent les recommandations, les procédures, les protocoles et les fiches techniques. Chaque outil est illustré par l’exemple du sondage urinaire1. 1. LES RECOMMANDATIONS DE BONNES PRATIQUES Tous ces outils ont des architectures méthodologiques voisines mais ils répondent à des objectifs et indications différentes. 1.1. Définition Les outils de bonnes pratiques sont complémentaires, interreliés, s’intègrent partiellement. Leur élaboration est à la fois chronologique et anachronique. Elle est chronologique dans la mesure où les recommandations fixent, pour une part, par les orientations qu’elles préconisent, le contenu des autres outils. Elle est ana- « Les recommandations médicales et professionnelles permettent d’établir l’état des connaissances à propos de situations cliniques, avec un objectif d’amélioration de la qualité des soins » (ANAES, 1999). 1. Le sondage urinaire est présenté à titre illustratif. Les éléments contenus dans les tableaux devront être vérifiés et complétés dans le cas d’une élaboration d’outils pour une utilisation dans la pratique clinique. 31 Recherche en soins infirmiers N° 69 - juin 2002 1.2. Modalités d’élaboration 1.6. Modalités d’évaluation Les recommandations2 sont le produit d’une démarche rigoureuse reposant sur : des résultats de recherches, une analyse et une synthèse objective de la littérature scientifique, les avis d’experts et de professionnels, des enquêtes de pratique. Évaluation de la forme : – présence des items proposés dans le contenu 1.3. Champ d’application Les recommandations peuvent recouvrir des champs divers : clinique, organisationnel, vigilances sanitaires... Évaluation sur le fond : – source des recommandations (conférence de consensus, société savante, industriel...) – niveau de scientificité du contenu (fondé sur des recherches ou des avis d’experts) – date de la dernière révision Évaluation concernant l’utilisation : – présence des références relatives aux recommandations dans les autres outils (procédures, protocoles...) 1.4. Lien avec d’autres outils 2. LA PROCÉDURE Les recommandations sont de portée générale en référence à l’objet sur lequel elles sont centrées ; pour être opérationnelles elles doivent être prises en compte dans les autres outils. Autrement dit, généralement elles ne sont pas directement utilisables mais servent, quand elles existent, de contenu de référence pour les autres outils. Les recommandations sont des supports pour l’élaboration de procédures, protocoles et fiches techniques, dans la mesure où elles définissent les orientations de bonnes pratiques. 2.1. Définition « Dans le cadre d’une démarche qualité, la procédure est la manière spécifiée d’accomplir une activité ». (Norme ISO 9000 ; 2000) 2.2. Modalités d’élaboration La procédure décrit la manière d’accomplir l’action. Elle comporte l’objet et le domaine d’application de l’activité, l’intervenant, la manière de faire, le matériel utilisé et la façon dont est maîtrisée et enregistrée l’action. 1.5. Intérêts et limites L’intérêt des recommandations est de faire la synthèse à un moment donné de l’état des connaissances sur un sujet précis. Les sources de l’état des connaissances pouvant être diverses en fonction des travaux réalisés et donc avoir des statuts divers : recherches, travaux exploratoires, avis d’experts... Les limites sont liées notamment au statut des connaissances sur lesquelles elles sont fondées. Elles doivent être revues régulièrement. 2.3. Champ d’application La procédure permet de maîtriser la qualité, c’est-à-dire l’ensemble des caractéristiques qui confèrent à une entité l’aptitude à satisfaire des besoins exprimés ou implicites. 2. Les termes habituellement utilisés dans le contexte clinique sont «Recommandations pour la Pratique Clinique» (RPC) 32 Recherche en soins infirmiers N° 69 - juin 2002 LES OUTILS DE BONNES PRATIQUES ET D’AIDE POUR L’ACTION DE SOINS Contenu des recommandations ITEM • Objet • Champ d’application • Personnel(s) de santé concerné(s) • Sources et niveau de fiabilité (Résultats de recherche, littérature, consensus d’experts) • Recommandations3 EXEMPLE • Sondage urinaire • Clinique • Infirmières-Médecins • RPC le sondage urinaire • Indications 1- La pose d’une sonde urinaire est un geste réalisé sur prescription médicale. • Mise en place d’une sonde urinaire 2- La première mesure commence par le lavage des mains avec un savon antiseptique. 3- Une toilette du méat urétral est réalisé avec un savon liquide non antiseptique. […] • Les soins quotidiens 17- Une toilette génito-urinaire quotidienne ou biquotidienne est indispensable. […] • L’éducation du patient 23- Une information est réalisée au malade sur la manipulation du collecteur, sa position toujours déclive et la vidange par le robinet. […] • Le retrait de la sonde 27- Le retrait de la sonde est effectuée sur prescription médicale. • Décret no 2002-194 du 11 février 2002 art. 6 et 9 • 1. ANDEM, 1995. Evaluation et état des connaissances concernant l’incontinence urinaire de l’adulte. Service des études, Paris, 139 – 149. • Références réglementaires • Références bibliographiques • Nom et fonction des auteurs • Nom et fonction des experts • Nom et fonction des membres de comités (lecture, scientifique…) • Institution, organisme… ayant contribué à l’élaboration • Date d’élaboration/date de diffusion/ date de révision • Plan de diffusion • CLIN 1997 • Hôpital X • Année 1994/Janvier 1996/2002 • Tous les services cliniques 3. L’exemple est issu des RPC, 1996 – Le sondage urinaire. Assistance Publique- Hôpitaux de Paris 33 Recherche en soins infirmiers N° 69 - juin 2002 2.4. Lien avec d’autres outils dans lequel elle doit être appliquée et les personnes impliquées. La procédure est ciblée sur un objet. Elle est d’un niveau de portée « moyen », ainsi elle concerne un domaine plus restreint que les recommandations, mais plus général que le protocole ou la fiche technique. Les limites sont atteintes quand l’objet de la procédure est influencé par un environnement spécifique qui peut interférer sur la mise en œuvre de cette procédure. La procédure s’appuie sur les recommandations et peut être utilisée pour l’élaboration de protocoles. 2.6. Modalités d’évaluation Évaluation de la forme : – présence des items proposés dans le contenu 2.5. Intérêts et limites L’intérêt de la procédure est de fournir des précisions concernant, outre l’activité à réaliser, l’environnement Évaluation sur le fond : – sources sur lesquelles est fondée la procédure (recommandations...) – applicabilité dans la pratique – date de la dernière révision Contenu de la procédure ITEM EXEMPLE • Objet • Pose de sonde urinaire à demeure • Domaine d’application de l’activité • Services cliniques, Blocs opératoires • Sources et niveau de fiabilité (Résultats de recherche, littérature, consensus d’experts, recommandations) • RPC le sondage urinaire • Recommandations du CLIN • Ce qui doit être fait • Informer le patient • Préparer le matériel • Vérifier la propreté du patient et du lit • Prévoir une aide • Installer le patient en décubitus dorsal • Effectuer un lavage antiseptique des mains • Placer sous son siège le champ de soin non stérile à usage unique • Effectuer la toilette aseptique • Poser la sonde lubrifiée • Fixer le collecteur au lit • Réinstaller le malade • Ranger le matériel et noter le soin. • Qui doit le faire • Infirmières – médecins • Quand doit-on le faire • Lors d’une prescription médicale • Où le faire • Dans la chambre du patient • Au bloc opératoire • Comment le faire • Le patient est informé sur le soin afin d’obtenir sa coopération • La propreté du patient et de son lit sont vérifiées en lui expliquant l’importance de l’hygiène • Le lavage antiseptique des mains est réalisé selon le protocole. • Sur le chariot est fixé un sac poubelle, une alèse est prévue et le calibre de la sonde en latex siliconée est choisi en fonction du patient. 34 Recherche en soins infirmiers N° 69 - juin 2002 LES OUTILS DE BONNES PRATIQUES ET D’AIDE POUR L’ACTION DE SOINS • Comment le faire (suite) • Le collecteur d’urines est choisi en fonction de la durée du sondage. • Le patient est installé en décubitus dorsal de façon à respecter sa pudeur • Mettre la première paire de gants stériles • La toilette aseptique est réalisée avec un savon doux suivie d’une antisepsie : chez la femme désinfecter de haut en bas le pubis, les plis de l’aine, les lèvres, le méat urétral et laisser une compresse sur le méat ; chez l’homme, nettoyer la verge, le prépuce, le gland et laisser une compresse sur le méat. • Jeter les gants, se désinfecter les mains avec le Stérillium® et remettre des gants stériles. • L’aide donne le champ, ouvre à l’infirmière le set, l’emballage de la sonde et le collecteur. • L’infirmière vérifie l’intégrité du ballonnet en insufflant 5cc d’air puis adapte le collecteur. • Pour poser la sonde : chez la femme les lèvres sont écartées, la sonde est introduite prudemment jusqu’à la venue d’urines Introduite jusqu’à la garde, le ballonnet est gonflé d’eau stérile suivant la quantité précisée sur la sonde. Celle ci est tirée doucement jusqu’au blocage. • Chez l’homme, tenir la verge à la verticale afin d’effacer la courbure de l’urètre, introduire la sonde et la faire glisser jusqu’à la deuxième courbure de l’urètre où il faut abaisser la verge à 120° et continuer à introduire la sonde jusqu’à la venue d’urines. Procéder ensuite comme précédemment. Recaloter le gland. • Le collecteur est fixé en déclive au lit. • Quels matériels, équipements utiliser • Chariot propre, sac poubelle, alaise, sonde en silicone pour un sondage de longue durée, Sonde en latex pour un sondage de courte durée • Collecteur d’urines stériles, deux paires de gants stériles, flacons de Bétadine® gynécologique et de Stérillium® • Set de sondage, un champ stérile et ruban adhésif. • Comment cela doit être maîtrisé et enregistré • Avant toute manipulation de la sonde se laver les mains • Sonde et collecteur sont assemblés avant la pose et retirés ensemble. • Vérifier régulièrement la perméabilité de la sonde et l’aspect des urines • Effectuer une toilette quotidienne rigoureuse • Éviter les tractions sur la sonde • Laisser le collecteur en position déclive par rapport à la vessie, le même collecteur doit être laissé en place toute la durée du sondage. • Le soin est noté au niveau du diagramme de soins et au niveau de la transmission ciblée s’il a répondu à un problème du patient. • Nom et fonction des auteurs • Juliette URIFLOC, Infirmière • Nom et fonction des experts (facultatif) • • Nom et fonction des membres de comités (lecture, scientifique…) • CLIN 1997 • Institution, organisme, service ayant contribué à l’élaboration • Hôpital X, Service Y • Date d’élaboration/date de diffusion/ date de révision • Année 1994/Janvier 1995/2002 • Plan de diffusion • Tous les services cliniques, le bloc opératoire, les secteurs de consultation 35 Recherche en soins infirmiers N° 69 - juin 2002 Évaluation concernant l’utilisation : – audit de pratiques, par exemple enquête « un jour donné » de l’utilisation de la procédure, de la conformité de la réalisation de l’activité par rapport à la description indiquée dans la procédure – enquête auprès des utilisateurs – relevé des incidents et/ou accidents dans le domaine décrit dans la procédure Enfin la rédaction, la validation et la diffusion du protocole seront les dernières étapes d’élaboration. 1.3. Champ d’application Il est défini par la cible sur laquelle il est centré. 3. LE PROTOCOLE 1.4. Lien avec d’autres outils 1.1. Définition(s) « Le protocole est un guide d’application des procédures, centré sur une cible (groupe, communauté, population), présenté sous forme synthétique, élaboré selon une méthodologie précise ». (Guide du service infirmier no 4) « Le protocole est un descriptif de techniques à appliquer et/ou de consignes à observer ». (ANAES) Le protocole est une aide à la décision à l’usage des acteurs concernés par son application. Il permet d’adapter les soins en fonction des besoins et de l’état de santé du malade. Le protocole est considéré comme un référentiel puisqu’il indique le standard de soins (ou norme optimale de qualité à atteindre). Le protocole est de portée relativement restreinte dans la mesure où il concerne un objet précis, est adapté au contexte dans lequel il est mis en œuvre et à la situation particulière du malade. 1.5. Intérêts et limites L’intérêt du protocole est de constituer une aide à la décision. Il laisse place à l’initiative de celui qui le met en application. En effet, il ne doit pas être appliqué nécessairement de façon exhaustive. Les limites sont atteintes si le protocole est appliqué de façon exhaustive, standardisé sans réajustement possible. 1.6. Modalités d’évaluation 1.2. Modalités d’élaboration La décision d’élaborer un protocole doit reposer sur l’intention effective d’améliorer un état de fait. Les techniques qui permettent d’analyser le problème considéré sont : le remue-méninges, le diagramme cause/effet, l’arbre des causes, la méthode FGP (fréquence, gravité, problème). Cette analyse est complétée par une étude bibliographique, l’avis d’experts et l’observation des pratiques. Puis les objectifs du protocole sont à poser, suivis de la définition de la population à qui s’adresse ce protocole, de l’étude des ressources et contraintes humaines, matérielles, financières et temporelles. Évaluation de la forme : – présence des items proposés dans le contenu Évaluation sur le fond : – sources sur lesquelles est fondé le protocole – applicabilité dans la pratique date de la dernière révision Évaluation concernant l’utilisation : – audit de pratiques, par exemple enquête « un jour donné » de l’utilisation du protocole – enquête auprès des utilisateurs – relevé des incidents et/ou accidents dans le domaine décrit par le protocole 36 Recherche en soins infirmiers N° 69 - juin 2002 LES OUTILS DE BONNES PRATIQUES ET D’AIDE POUR L’ACTION DE SOINS Contenu du protocole ITEM EXEMPLE • Objet • Pose de sonde urinaire à demeure • Définition • Cathétérisme de la vessie dans un but de vidange continue ou discontinue • Champ d’application • Soins techniques • Sources et niveau de fiabilité • RPC le sondage urinaire (Résultats de recherche, littérature, • Recommandations du CLIN consensus d’experts, recommandations) • Objectifs et résultats escomptés • Poser la sonde urinaire, sur prescription médicale, avec efficacité et en toute sécurité • Population cible • Patient en rétention urinaire aiguë, chronique • Patient en situation préopératoire • Descriptif du déroulement de l’action • Informer le patient du déroulement du soin • Préparer le matériel • Vérifier la propreté du patient et du lit • Prévoir une aide • Effectuer un lavage antiseptique des mains • Installer le patient en décubitus dorsal en respectant sa pudeur • Placer sous son siège le champ de soin non stérile à usage unique • Effectuer la toilette aseptique • Poser la sonde lubrifiée en système clos • Fixer le collecteur en déclive du lit • Réinstaller le malade • Ranger le matériel et noter le soin. • Surveillance • Surveillance médicale et paramédicale journalière et continue • Risques encourus • Transmission de germes pathogènes, infection urinaire • Geste traumatique pour le malade. • Prévention des risques • Prévention du risque infectieux et de la douleur • Références réglementaires • Décret no 2002 – 194 du 11 février 2002 art. 6 et 9 • Références bibliographiques • Nom et fonction des auteurs • Juliette URIFLOC, Infirmière • Nom et fonction des experts • Nom et fonction des membres de comités (lecture, scientifique…) • CLIN • Institution, organisme… ayant contribué à l’élaboration Hôpital X Date d’élaboration/date de diffusion/ date de révision • Année 1994/Janvier 1995/2002 • Plan de diffusion • Tous les services cliniques, le bloc opératoire, les secteurs de consultation 37 Recherche en soins infirmiers N° 69 - juin 2002 4. LA FICHE TECHNIQUE 4.6. Modalités d’évaluation 4.1. Définition Évaluation de la forme : – présence des items proposés dans le contenu « La fiche technique est la description méthodique et chronologique des opérations successives à effectuer pour la réalisation d’une tâche, d’un acte de soins. Elle doit être validée, remise à jour périodiquement et lors de chaque évolution technique, scientifique, législative ». (BO 92 – 13 bis, Ministère de la Santé) Évaluation sur le fond : – sources sur lesquelles est fondée la fiche technique – applicabilité dans la pratique – date de la dernière révision Évaluation concernant l’utilisation : – audit de pratiques, par exemple enquête « un jour donné » de l’utilisation du protocole – enquête auprès des utilisateurs – relevé des incidents et/ou accidents dans le domaine décrit dans la fiche technique 4.2. Modalités d’élaboration La fiche technique décrit dans le détail un soin. Elle est centrée sur la personne soignée. Elle comporte la définition du soin, les objectifs spécifiques incluant si possible des objectifs pédagogiques destinés au patient, la description du matériel requis, les précautions et la technique proprement dite du soin. 4.3. Champ d’application Le champ d’application est défini par l’objet de la fiche technique. 4.4. Lien avec d’autres outils La fiche technique est de portée restreinte dans la mesure où elle concerne un objet très restreint, éventuellement, centré sur une tâche. La fiche technique peut être un élément du protocole. 4.5. Intérêts et limites L’intérêt de la fiche technique est de servir de guide à la réalisation d’une tâche. Les limites sont atteintes quand la réalisation de la tâche devient impossible dans une situation imprévue. Outre le fond il convient de s’attacher à la forme, soit au modèle de présentation qui obéit à certaines normes. Il est souhaitable, afin de faciliter l’utilisation, d’élaborer une « cartouche » qui sera mise en-tête de chaque outil. Le modèle de présentation peut varier selon le graphisme adopté. Cependant, il doit contenir les informations suivantes : – l’identification : hôpital X, logo – le nom de l’émetteur (personne, service...) – la date d’émission – la date de mise en application – le(s) nom(s) de(s) personne(s) ayant validé le document – la date de validation – le nom de la personne ayant approuvé le document – la date d’approbation – la date de modification – la date d’approbation après modification – le nombre de pages – la version (éventuellement) Les outils de bonnes pratiques et d’aide pour l’action sont précieux pour l’activité clinique. La formalisation des soins dans ces outils peut paraître fastidieuse surtout lorsqu’il n’existe pas un fond documentaire. Cependant, leur élaboration ou leur actualisation présente de nombreux avantages en termes de participation des équipes, éventuellement pluriprofessionnelles, de mobilisation des connaissances, de questionnement sur les pratiques à l’aune de savoirs nouveaux, de mise à disposition de documents fiables permettant de réaliser des soins sûrs. L’ensemble de ces éléments contribue à une prise en charge de qualité des malades et participe à l’élaboration et à la formalisation de savoirs professionnels. 38 Recherche en soins infirmiers N° 69 - juin 2002 LES OUTILS DE BONNES PRATIQUES ET D’AIDE POUR L’ACTION DE SOINS Contenu de la fiche technique ITEM EXEMPLE • Objet • Pose de sonde urinaire à demeure • Définition • Cathétérisme de la vessie dans un but de vidange continue ou discontinue • Champ d’application • Soins techniques • Sources et niveau de fiabilité (Résul• RPC le sondage urinaire tats de recherche, littérature, consensus • Recommandations du CLIN d’experts, recommandations, protocole) • Protocole X • Buts recherchés • Poser la sonde urinaire avec efficacité et en toute sécurité pour le patient et le personnel. • Matériel nécessaire • Chariot propre, sac poubelle, alaise, sonde en silicone pour un sondage de longue durée […], lubrifiant, collecteur d’urines stériles • Deux paires de gants stériles, flacons de Bétadine® gynécologique et de Stérilium®, • Set de sondage et ruban adhésif. • Précautions • Respecter les règles d’asepsie, le système clos, la technique de pose, le choix de la sonde et la position en déclive du collecteur d’urines. • Surveiller quotidiennement la perméabilité de la sonde. • Vidanger la poche avant tout transport du patient. • Noter le soin dans le dossier de soins • Déroulement • Informer le patient du déroulement du soin • Préparer le matériel • Vérifier la propreté du patient et du lit • Prévoir une aide • Effectuer un lavage antiseptique des mains • Installer le patient en décubitus dorsal en respectant sa pudeur • Placer sous son siège le champ de soin non stérile à usage unique • Effectuer la toilette aseptique • Poser la sonde lubrifiée en système clos • Fixer le collecteur en déclive du lit • Réinstaller le malade • Ranger le matériel et noter le soin dans le dossier. • Références réglementaires • Décret no 2002 – 194 du 11 février 2002 art. 6 et 9 • Références bibliographiques • RPC Le sondage urinaire, 1996, AP/HP • Nom et fonction des auteurs • Juliette URIFLOC, Infirmière • Nom et fonction des experts • Nom et fonction des membres de comités (lecture, scientifique…) • Institution, organisme… ayant • Hôpital X contribué à l’élaboration • Date d’élaboration/date de révision • Année 1994/Janvier 2002 • Plan de diffusion • Tous les services cliniques, le bloc opératoire, les secteurs de consultation. 39 Recherche en soins infirmiers N° 69 - juin 2002 RÉFÉRENCES BIBLIOGRAPHIQUES TEXTES RÉGLEMENTAIRES ANAES, 1999. – L’audit clinique. Bases méthodologiques de l’évaluation des pratiques professionnelles. ANAES. Loi no 91-748 du 31 juillet 1991 portant réforme hospitalière. ANAES, 1999. – Les recommandations pour la pratique clinique. ANAES. BONNERY A. – M., GABA c., MACREZ A., MARANDE D., PAUCHET-TRAVERSAT A. – F., 1995. – Protocoles de soins. Méthodes et stratégies. Éditions Hospitalières. FORMARIER M., JOVIC L., 1993. – Approche scientifique des protocoles de soins infirmiers. Recherche en soins infirmiers, no 32, 75-83. MAGNON R., DECHANOZ G., 1995. – Dictionnaire des soins infirmiers. AMIEC. Ordonnance no 96-346 du 24 avril 1996 portant réforme de l’hospitalisation publique et privée Décret no 93-221 du 16 février 1993 relatif aux règles professionnelles des infirmiers et infirmières Décret no 2002-194 du 11 février 2002 relatif aux actes professionnels et à l’exercice de la profession d’infirmier Circulaire no du 11 février 1999 relative à la mise en place de protocoles de prise en charge de la douleur aiguë par les équipes pluridisciplinaires médicales et soignantes. Ministère de la santé et de l’action humanitaire, 1992. – Protocoles de soins infirmiers. Ministère de la santé et de l’action humanitaire, Guide du service infirmiers, no 4 série organisation et gestion du service infirmier. PAUCHET-TRAVERSAT A. F., BESNIER E., BONNERY A. – M., GABA-LEROY C., 1998. – Soins infirmiers : fiches techniques. Éditions Maloine. 40 Recherche en soins infirmiers N° 69 - juin 2002 MÉTHODOLOGIE COMPTE-RENDU DE LA CONFÉRENCE DE CONSENSUS PRÉVENTION ET TRAITEMENT DES ESCARRES DE L’ADULTE ET DU SUJET ÂGÉ* JEUDI 15 ET VENDREDI 16 NOVEMBRE 2001 Hôpital Européen Georges Pompidou – Paris Organisée par : Société Française francophone des plaies et cicatrisations Association PERSE (Prévention - Education - Recherche - Soins - Escarres) Assistance Publique - Hôpitaux de Paris Avec la participation de : L’A.N.A.E.S. (Agence Nationale d’Accréditation et d’Évaluation) * Le texte intégral est disponible sur demande écrite auprès de : Agence Nationale d’Accréditation et d’Évaluation en Santé Service communication et diffusion 159, rue Nationale – 75640 PARIS Cedex 13 Consultable sur le site ANAES : www.anaes.fr 41 Recherche en soins infirmiers N° 69 - juin 2002 M ÉTHODOLOGIE PRÉVENTION ET TRAITEMENT DES ESCARRES DE L’ADULTE ET DU SUJET ÂGÉ AVANT-PROPOS Cette conférence a été organisée et s’est déroulée conformément aux règles méthodologiques préconisées par l’Agence Nationale d’Accréditation et d’Évaluation en Santé (Anaes). Les conclusions et recommandations présentées dans ce document ont été rédigées par le jury de la conférence, en toute indépendance. Leur teneur n’engage en aucune manière la responsabilité de l’Anaes. AM. BOUBON-RIBES : infirmière libérale, BAGNOLSSUR-CÈZE C. BUSSY : cadre infirmier hygiéniste, VILLEJUIF Y. CLAUDEL : médecin généraliste, BORT-LES-ORGUES PE. LAURÈS : journaliste et usager, CAP-D’AGDE JJ. LE BRAS : cadre kinésithérapeute, NICE P. MACREZ : aide-soignant, PARIS M. RAINFRAY : gériatre, PESSAC D. STRUBEL : gériatre, NÎMES A. TANGUY : chirurgien orthopédique, CLERMONT-FERRAND F. TRUCHETET : dermatologue, THIONVILLE I. ULRICH : pharmacienne, CLAMART COMITÉ D’ORGANISATION EXPERTS F. FABRE, présidente : directrice du service de soins infirmiers, CRÉTEIL L. ANDOUCHE : méthodologie ANAES, PARIS F. CARPENTIER : méthodologie ANAES, PARIS D. COLIN : médecine physique et réadaptation, SAINT-SATURNIN P. DENORMANDIE : chirurgien orthopédique, GARCHES P. DOSQUET : méthodologie ANAES, PARIS C. GOURY : mission handicap de l’AP-HP, PARIS C. HAMONET : médecin de médecine physique et réadaptation, CRÉTEIL G. ISAMBART : infirmier général, CLERMONT S. KAROUMI : infirmière, VALENCIENNES S. MEAUME : dermatologue, gériatre, IVRY-SUR-SEINE R. MOULIAS : gériatre, IVRY-SUR-SEINE E. NIVEAU : infirmière libérale, MONTREUIL AF. PAUCHET-TRAVERSAT : méthodologie ANAES, PARIS C. RUMEAU-PICHON : méthodologie ANAES, PARIS L. TÉOT : chirurgie plastique et reconstructrice, MONTPELLIER MJ. VEGA : infirmière générale, PARIS JURY R. MOULIAS, président : gériatre, IVRY-SUR-SEINE S. AUGIER : directeur de centre hospitalier, SAINTJEAN-DE-MAURIENNE M. BITSCHENE : infirmière d’EMSP, COLOMBES M. ALIX : gériatre, CAEN B. BARROIS : médecine physique et réadaptation, GONESSE G. BERRUT : médecin interniste, ANGERS M. BONNEFOY : gériatre, PIERRE-BÉNITE D. BOULONGNE : médecine physique et réadaptation, COUBERT JC. CASTÈDE : chirurgie plastique et reconstructrice, BORDEAUX C. DEVAUX : kinésithérapeute, GARCHES M. DUMETZ : cadre infirmier, GRENOBLE P. FOUASSIER : gériatre, IVRY-SUR-SEINE M. GUYOT : cadre infirmier stomathérapeute, LYON F. HAMON-MEKKI : cadre infirmier, PLOEMEUR A. JACQUERYE : cadre infirmier, BRUXELLES JM. JACQUOT : gériatre, NÎMES O. JONQUET : infectiologue, MONTPELLIER C. KAUER : chirurgie plastique et reconstructrice, PARIS C. LEMARCHAND : infirmière stomathérapeute, LE MANS M. MARZAIS : cadre expert en soins infirmiers, IVRY-SUR-SEINE L. MERLIN : médecin généraliste, NICE F. OHANNA : médecin chef, MONTPELLIER S. PALMIER : infirmière, MONTPELLIER J. PÉREZ : gériatre, PARIS F. THORAL-JANOD : économiste, PARIS MF. VERMOT : infirmière, GARCHES J. VICTOIRE : infirmière, COLMAR V. VOINCHET : chirurgie plastique et reconstructrice, MARSEILLE 42 Recherche en soins infirmiers N° 69 - juin 2002 PRÉVENTION ET TRAITEMENT DES ESCARRES DE L’ADULTE ET DU SUJET ÂGÉ GROUPE BIBLIOGRAPHIQUE QUESTION VII Quelle éducation, formation et information du patient et de sa famille ? L. ALZIEU : pharmacienne, BOULOGNE O. DEREURE : dermatologue, MONTPELLIER B. GOBERT : kinésithérapeute, ROUBAIX C. JOCHUM : gériatre, REIMS JC. KÉRIHUEL : pédiatre, cardiologue, PARIS AF. PAUCHET-TRAVERSAT : cadre infirmier, COLOMBES C. REVAUX : cadre infirmier, CHÂTILLON L’organisation de cette conférence de consensus a été rendue possible grâce à l’aide apportée par : Convatec SA, Johnson & Johnson, Smith & Nephew SA, Coloplaste, P. Braun, Urgo, Mölnlycke Health Care, Asklé Santé, Brothier, Carpenter SAS, Chiesi SA, Diffusion Technique Française, Genevrier, Medimo Imagerie Médicale, Tempur. LES QUESTIONS POSÉES QUESTION I Comment décrire et évaluer l’escarre ? QUESTION II Quels sont les facteurs de risque et les échelles de risque ? QUESTION III Quelles sont les mesures générales de prévention ? QUESTION IV Quels sont les traitements de l’escarre ? INTRODUCTION L’escarre est une lésion cutanée d’origine ischémique liée à une compression des tissus mous entre un plan dur et les saillies osseuses. On peut décrire trois types d’escarres selon la situation : - l’escarre « accidentelle » liée à un trouble temporaire de la mobilité et/ou de la conscience ; - l’escarre « neurologique », conséquence d’une pathologie chronique motrice et/ou sensitive ; - l’escarre « plurifactorielle » du sujet polypathologique, confiné au lit et/ou au fauteuil. L’escarre entraîne principalement douleur et infection. Elle peut générer chez le patient un sentiment d’humiliation. Elle est responsable d’une consommation accrue de soins et de ressources. Sa fréquence est mal connue aujourd’hui et varie selon les contextes cliniques. Dix-sept à 50 % des patients entrant dans les services de soins prolongés présentent des escarres ; 5 à 7 % des patients adressés en court séjour en développent, 8 % des opérés lorsque l’intervention dure plus de 3 heures et 34 à 46 % des blessés médullaires dans les 2 ans à distance de l’accident. L’escarre peut être prévenue dans une grande majorité des cas. La diffusion large de ces recommandations de bonne pratique clinique fondées sur l’état actuel des connaissances et sur l’expérience professionnelle a pour but d’aider les acteurs de santé, mais aussi les patients eux-mêmes et les décideurs, à améliorer la prévention, le traitement et le pronostic des escarres de l’adulte et du sujet âgé. QUESTION V Quels sont les supports de prévention et de traitement des escarres ? QUESTION I. COMMENT DÉCRIRE ET ÉVALUER LES STADES DE L’ESCARRE ? QUESTION VI Quel est le retentissement psycho-social et sur la qualité de vie, et quelles sont les incidences économiques ? La description et l’évaluation de l’escarre sont indispensables dès le début de la prise en soins et au cours 1. Une recommandation de grade A est fondée sur une preuve scientifique établie par des études de fort niveau de preuve. Une recommandation de grade B est fondée sur une présomption scientifique fournie par des études de niveau de preuve intermédiaire. Une recommandation de grade C est fondée sur des études de faible niveau de preuve. En l’absence de précisions, les recommandations reposent sur un accord professionnel exprimé par le jury. 43 Recherche en soins infirmiers N° 69 - juin 2002 du suivi et doivent être réalisées conjointement par l’infirmier et le médecin, dans le cadre d’une prise en compte globale du patient (grade C 1). L’évaluation initiale de l’escarre et l’évaluation de suivi de la plaie sont complémentaires mais poursuivent des objectifs différents et utilisent des méthodes différentes. La fréquence de l’évaluation de l’escarre dépend de son stade, de ses complications et des pansements choisis. En cas de nécrose, l’évaluation doit être quotidienne. • La description et l’évaluation initiale sont essentielles au choix d’une stratégie de traitement et de soins. Elles constituent une référence pour les évaluations ultérieures. Elles précisent le nombre d’escarres et pour chacune d’elles la localisation, le stade, les mesures de la surface et de la profondeur de la plaie, l’aspect de la peau périlésionnelle, une évaluation de l’intensité de la douleur et de son caractère permanent ou lié aux soins. Les classifications anatomo-cliniques décrivant les stades de l’escarre ont été insuffisamment validées, néanmoins la classification du National Pressure Ulcer Advisory Panel (NPUAP) en 4 stades (tableau 1) est proposée (grade C), mais il conviendrait : - de l’enrichir d’un stade 0 (peau intacte mais risque d’escarre) ; - de préciser le type de nécrose, sèche ou humide, au stade III ; - d’y adjoindre les facteurs péjoratifs au stade IV (décollement, contact osseux, fistule et infection). Des travaux de recherche clinique doivent être menés pour valider cette classification. Stade I : érythème cutané sur une peau apparemment intacte ne disparaissant pas après la levée de la pression ; en cas de peau plus pigmentée : modification de couleur, oedème, induration. Stade II : perte de substance impliquant l’épiderme et en partie (mais pas sur toute son épaisseur) le derme, se présentant comme une phlyctène, une abrasion ou une ulcération superficielle. Stade III : perte de substance impliquant le tissu sous-cutané avec ou sans décollement périphérique. Stade IV : perte de substance atteignant et dépassant le fascia et pouvant impliquer os, articulations, muscles ou tendons. Tableau 1. Classification des stades de l’escarre du National Pressure Ulcer Advisory Panel (NPUAP, 1989). • L’évaluation de suivi est utile à la continuité des soins, à la cohérence et à la pertinence des décisions de traitement ainsi qu’à leur réajustement. Cette évaluation permet de suivre l’évolution de l’escarre. Les classifications anatomo-cliniques ne sont pas applicables aux stades de reconstruction des tissus. Il existe des classifications adaptées aux escarres en voie de guérison, mais leur sensibilité aux changements de statut des plaies est insuffisamment démontrée. En pratique, il est suggéré que le suivi comprenne : - une appréciation de la couleur de la plaie et du pourcentage respectif des tissus selon leur couleur, après nettoyage de la plaie, au moyen d’une échelle colorielle en 3 ou 5 couleurs ; - la mesure de la surface de la perte de substance avec une réglette millimétrée ou un calque ; - la mesure de la profondeur avec un stylet et une réglette millimétrée ; - la topographie de la plaie en utilisant un schéma. Les méthodes de moulage de la plaie, la photographie ou la stéréophotogrammétrie doivent être réservées à l’évaluation de l’efficacité des traitements dans un cadre de recherche clinique. Cette évaluation est complétée par la recherche de facteurs péjoratifs tels qu’infection, décollement périphérique, contact osseux, fistule, et une évaluation de l’intensité de la douleur et de son caractère permanent ou lié aux soins. L’infection d’escarre se caractérise comme suit : - deux des symptômes doivent être présents : rougeur, sensibilité ou gonflement des bords de la plaie ; - et l’une des observations suivantes : germe isolé de la culture du liquide obtenu par aspiration ou biopsie du bord de l’ulcère ; germe isolé par hémoculture. L’infection, suspectée sur les signes locaux, est affirmée au-delà de 10 5 germes/ml (ou gramme de tissu) sur les prélèvements (liquide de ponction, de biopsie) et/ou hémoculture. La fréquence de l’évaluation de suivi n’est pas clairement établie. Elle dépend de l’état d’évolution de l’escarre, de ses complications et des pansements choisis. Tant qu’existent des zones ou des débris nécrotiques ou fibrineux, des signes d’infection, l’évaluation doit être quotidienne. • Les caractéristiques du patient et de son environnement médico-social et familial sont nécessaires à l’évaluation de l’escarre, en particulier : les mécanismes de l’escarre et les facteurs de risque, la comorbidité, le degré de mobilité et les habitudes de vie, l’état psychologique et cognitif, notamment la capacité à se prendre en charge, la motivation pour la prise en charge de l’escarre, le projet de vie, l’âge, 44 Recherche en soins infirmiers N° 69 - juin 2002 PRÉVENTION ET TRAITEMENT DES ESCARRES DE L’ADULTE ET DU SUJET ÂGÉ le degré d’implication de la famille, l’organisation des soins. • Une transcription des éléments de description de l’escarre et d’évaluation de la plaie dans le dossier du patient est nécessaire à la continuité de la prise en charge du patient, en particulier lors de la sortie du patient à domicile ou en cas de transfert. • Il est souhaitable de proposer à l’OMS d’enrichir les codes de la CIM 10 par une description du stade de l’escarre selon la classification NPUAP en y ajoutant un code « malade à risque d’escarre » et les codes « escarre avec décollement », « escarre infectée » et « escarre avec contact osseux ». En attendant cet enrichissement de la codification CIM 10, il est proposé que l’escarre soit accompagnée en « diagnostics associés » des codes disponibles permettant de décrire ses complications (cf. Thésaurus de la Société Française de Gériatrie et Gérontologie). - en gériatrie, la fragilité particulière de la peau et du tissu sous-cutané et l’insuffisance d’apports protidocaloriques augmentent le risque d’escarre en cas de maladies cardio-vasculaires, d’hypotension artérielle ou d’hyperthermie ; - en soins intensifs, la fréquence des collapsus, la gravité de l’état initial, l’incontinence fécale, l’anémie et la longueur du séjour sont des facteurs prédictifs du risque d’escarre. L’utilisation d’échelles de risque reproductibles et validées associée à une évaluation clinique initiale permet de développer des stratégies de prévention adaptées au niveau de risque. Les échelles les plus utilisées sont celles de Norton, Waterloo et Braden. Leur valeur prédictive est très variable d’une population à une autre et l’échelle de Braden a été particulièrement bien validée (tableau 2). Les échelles francophones (Peupliers-Gonesse, Angers et Genève) sont utilisées par certaines équipes mais n’ont pas été validées. L’utilisation d’une échelle permet de former, sensibiliser et mobiliser l’équipe soignante autour d’un projet de soins. QUESTION II. QUELS SONT LES FACTEURS DE RISQUE ET LES ÉCHELLES DE RISQUE ? Les facteurs considérés aujourd’hui comme facteurs de risque sont issus de l’expérience clinique, leur pertinence et leur poids relatif ne sont pas définis et nécessiteraient des études. Les principaux facteurs de risque d’escarre sont explicatifs et peuvent être classés en facteurs extrinsèques ou mécaniques et facteurs intrinsèques ou cliniques : pression, friction, cisaillement, macération, immobilité, état nutritionnel, incontinence urinaire et fécale, état de la peau, baisse du débit circulatoire, neuropathie, état psychologique, âge, antécédent d’escarres, déshydratation, maladies aiguës, pathologies chroniques graves et leur phase terminale. Seules l’immobilisation et la dénutrition sont réellement des facteurs prédictifs du risque d’escarre. Dans quelques situations cliniques, certains facteurs sont plus spécifiques : - en neurologie, orthopédie et traumatologie, on peut retenir trois facteurs de risque fondamentaux : la pression, la perte de mobilité et le déficit neurologique auxquels s’ajoutent la spasticité, l’incontinence, le risque peropératoire et le manque de coopération du patient. En cas de chirurgie reconstructrice, l’âge, le tabagisme, la corticothérapie, le diabète, les troubles de la microcirculation et de la coagulation sont péjoratifs pour la cicatrisation ; Pour l’évaluation du risque d’escarre, il est recommandé d’utiliser, en association avec le jugement clinique, un outil commun d’évaluation du risque dès le contact initial avec le patient (grade C). L’utilisation de l’échelle de Braden (grade B) ainsi que des études de sa validité en France sont recommandées. Des travaux de recherche clinique doivent être menés en vue d’élaborer et de valider des échelles de risque en langue française spécifiques à certaines populations : blessés médullaires, de soins intensifs ou de gériatrie. Ces travaux seront au préalable précédés d’études épidémiologiques visant à déterminer la validité des facteurs de risque. QUESTION III. QUELLES SONT LES MESURES GÉNÉRALES DE PRÉVENTION ? La mise en place des mesures générales de prévention commence dès l’identification des facteurs de risque. Elle s’applique à tout patient dont l’état cutané est intact mais estimé à risque (stade 0 de l’escarre, classification de Garches) et vise à éviter la survenue de nouvelles escarres chez les patients déjà porteurs d’es- 45 Recherche en soins infirmiers N° 69 - juin 2002 46 Recherche en soins infirmiers N° 69 - juin 2002 Tableau 2. Instrument de mesure du risque d’escarre de Braden, adapté de Braden et Bergström PRÉVENTION ET TRAITEMENT DES ESCARRES DE L’ADULTE ET DU SUJET ÂGÉ et des actions éducatives ciblées en fonction du caractère temporaire ou permanent du risque d’escarre (autosurveillance, autosoulèvement). carre. Elle concerne l’ensemble des professionnels de santé en contact avec le patient. Les mesures de prévention sont les suivantes : - Identifier les facteurs de risque au moyen du jugement clinique (grade C) associé à l’utilisation d’une échelle validée d’identification des facteurs de risque (grade B). L’élaboration d’une stratégie de prévention adaptée à chaque patient découle de l’évaluation du risque, réalisée dès le premier contact avec le patient. La fréquence de réévaluation du risque n’est pas bien établie, il est néanmoins recommandé de procéder à une nouvelle évaluation à chaque changement d’état du patient (grade C). Les soignants doivent être entraînés à la reconnaissance des facteurs de risque et formés à l’utilisation d’une échelle d’identification du risque. - Diminuer la pression en évitant les appuis prolongés par la mobilisation, la mise au fauteuil, la verticalisation et la reprise de la marche précoces. Des changements de position doivent être planifiés toutes les 2 à 3 heures, voire à une fréquence plus élevée (grade B), et les phénomènes de cisaillement et de frottement doivent être évités par une installation et une manutention adéquate du patient. Le décubitus latéral oblique à 30° par rapport au plan du lit est à privilégier car il réduit le risque d’escarre trochantérienne (grade C). - Utiliser des supports (matelas, surmatelas, coussins de siège) adaptés au patient et à son environnement y compris sur les tables de blocs opératoires (grade B), les lits de salles de surveillance postinterventionnelle et en postopératoire. - Observer de manière régulière l’état cutané et les zones à risque (au moins quotidiennement, à chaque changement de position et lors des soins d’hygiène) afin de détecter précocement une altération cutanée (grade C). L’observation cutanée doit être associée à une palpation de la peau à la recherche d’une induration ou d’une chaleur, en particulier pour les peaux pigmentées. - Maintenir l’hygiène de la peau et éviter la macération par une toilette quotidienne et renouvelée si nécessaire. Le massage et la friction des zones à risque sont à proscrire (grade B) puisqu’ils diminuent le débit microcirculatoire moyen (grade C). Les massages, frictions, application de glaçons et d’air chaud sont interdits. - Assurer un équilibre nutritionnel en évaluant quantitativement les prises alimentaires (grade C). L’utilité d’une prise en charge nutritionnelle spécifique a été insuffisamment évaluée. - Favoriser la participation du patient et de son entourage à la prévention des escarres par une information Une transcription des facteurs de risque, des mesures de prévention mises en oeuvre et de l’observation de l’état cutané dans le dossier du patient est utile à la continuité des soins (grade C). Une démarche d’amélioration de la qualité est nécessaire à l’appropriation des mesures de prévention (grade C), quel que soit leur lieu de mise en oeuvre (établissements de santé, établissements d’hébergement pour personnes âgées dépendantes, domicile) : élaboration et utilisation d’un protocole de prévention et de traitement de l’escarre, évaluation des pratiques professionnelles. Une évaluation de l’impact des mesures de prévention d’une part et des démarches d’amélioration de la qualité d’autre part est recommandée. QUESTION IV. QUELS SONT LES TRAITEMENTS DE L’ESCARRE? Le traitement de l’escarre est à la fois local et général, prenant en compte la personne et la plaie. Le succès du traitement est conditionné par une prise en charge pluridisciplinaire, l’adhésion des soignants à un protocole de soins et la participation active du patient et de son entourage. Les modalités de traitement des plaies (nettoyage, détersion, choix du pansement) doivent être définies sous forme de protocoles de soins. La douleur, lors de la réalisation des soins, doit être prise en compte et soulagée. Les principes d’hygiène du pansement et de la prévention de la transmission croisée doivent être appliqués. • Le traitement de la rougeur : supprimer la pression en changeant de position toutes les 2 à 3 heures ; utiliser si besoin (urines, macération) un film semi-perméable ou un hydrocolloïde transparent. Les massages, frictions, application de glaçons et d’air chaud sont interdits. • Les principes de nettoyage de la plaie et de son pourtour : utiliser du sérum physiologique ; il n’y a pas d’indication à l’utilisation d’antiseptiques. La plaie ne doit pas être asséchée. 47 Recherche en soins infirmiers N° 69 - juin 2002 et doit être contrôlée par un nettoyage et une détersion soigneux des tissus nécrotiques. Les principes d’hygiène et de prévention de la transmission croisée des germes doivent être appliqués. • Le traitement de la phlyctène : évacuer le contenu et maintenir le toit de la phlyctène, recouvrir avec un pansement hydrocolloïde ou un pansement gras. • Le traitement de l’escarre constituée : - la détersion est nécessaire sur les plaies nécrotiques et/ou fibrineuses. Elle peut être mécanique (en évitant saignement et douleur) ou aidée par un pansement tel que alginates ou hydrogel (grade B) ; - le recouvrement de la plaie par un pansement permet de maintenir un milieu local favorisant le processus de cicatrisation spontanée. Aucun élément dérivé de l’étude de la littérature ne permet de préconiser un pansement plutôt qu’un autre. Le choix du pansement s’appuie en particulier sur l’aspect de la plaie (sèche, exsudative, hémorragique, malodorante), sa couleur (échelle colorielle) (tableau 3). ÉTAT DE LA PLAIE Plaie anfractueuse TYPE DE PANSEMENT Hydrocolloïde pâte ou poudre Alginate mèche/hydrofibre mèche Hydrocellulaire forme cavitaire Plaie exsudative Alginate/hydrocellulaire Hydrofibre Plaie hémorragique Plaie bourgeonnante Alginate Pansement gras Hydrocolloïde Hydrocellulaire Plaie avec bourgeonnement excessif Corticoïde local * Nitrate d’argent en bâtonnet Plaie en voie d’épidermisation Hydrocolloïde Film polyuréthane transparent Hydrocellulaire, pansement gras Plaie malodorante Pansement au charbon L’infection d’escarre se caractérise comme suit : - deux des symptômes doivent être présents : rougeur, sensibilité ou gonflement des bords de la plaie ; - et l’une des observations suivantes : germe isolé de la culture du liquide obtenu par aspiration ou biopsie du bord de l’ulcère ; germe isolé par hémoculture. L’infection, suspectée sur des signes locaux, est affirmée au-delà de 10 5 germes/ml (ou gramme de tissu) sur les prélèvements (liquide de ponction, de biopsie) et/ou hémoculture. L’intérêt des antibiotiques ou des antiseptiques locaux en l’absence de diagnostic d’infection d’escarre n’a pas été démontré. • Le traitement chirurgical : la chirurgie est nécessaire en cas de nécrose tissulaire importante, d’exposition des axes vasculo-nerveux, des tendons ou des capsules articulaires, d’exposition de l’os et d’infection. La chirurgie est contre-indiquée chez le sujet âgé porteur d’escarres plurifactorielles ainsi qu’en l’absence de mise en place ou d’efficacité des mesures de prévention des récidives. L’acte chirurgical doit être encadré d’une préparation médicale et de soins postopératoires particulièrement rigoureux. Ces soins portent sur la surveillance de l’état cutané local, l’aspect de la plaie et des sutures, une mise en décharge en utilisant un support, un équilibre nutritionnel et hydro-électrolytique. • Les mesures de prévention sont à intensifier au stade de l’escarre constituée afin de limiter la constitution de nouvelles escarres. La correction des déséquilibres métaboliques et hémodynamiques doit être entreprise de façon concomitante au traitement local. La transcription des informations relatives au suivi de l’évolution de la plaie et au choix du pansement est indispensable à la continuité des soins par les divers professionnels qui ont à prendre en charge le patient. Les soignants doivent être formés à la description et à l’évaluation des escarres, aux techniques de réalisation du pansement et au traitement de la douleur. * Il serait souhaitable de disposer de pansements corticoïdes sans antibiotique Tableau 3. Types de pansements disponibles en fonction de l’état de la plaie. • Le traitement de l’escarre infectée : l’infection est à distinguer de la colonisation bactérienne. La colonisation bactérienne est quasi constante dans les plaies chroniques. Elle est utile à la cicatrisation • Le traitement de la douleur de l’escarre La douleur de l’escarre peut être spontanée ou non, brutale et inattendue, limitée aux soins, aux changements de position ou aux mobilisations, ou présente en continu. La douleur n’est pas corrélée à la taille de l’escarre. 48 Recherche en soins infirmiers N° 69 - juin 2002 PRÉVENTION ET TRAITEMENT DES ESCARRES DE L’ADULTE ET DU SUJET ÂGÉ Il est recommandé d’évaluer régulièrement la douleur pour mieux orienter la prise en charge. L’analyse de la douleur comprend une évaluation : - de ses causes (soins de la plaie, mobilisations, changements de position) ; - de son intensité : par une auto-évaluation par le patient lui-même en utilisant une échelle validée (échelle visuelle analogique, échelle numérique, échelle verbale simple) complétée d’une observation clinique (posture, faciès, gémissements, attitude antalgique, limitation des mouvements). Chez le patient incapable de communiquer, l’observation clinique décrite ci-dessus ou l’utilisation d’une échelle telle que Doloplus ou ECPA est préconisée ; - de son retentissement sur le comportement quotidien et l’état psychologique du patient. Il est recommandé d’utiliser des antalgiques selon la stratégie en 3 paliers recommandée par l’OMS. Un changement de palier est nécessaire lorsque les médicaments du palier précédent, correctement prescrits, sont insuffisants. Cependant, des douleurs intenses lors des soins d’escarre peuvent justifier d’emblée l’utilisation d’un antalgique de palier 3 (opioïdes forts). Plusieurs objectifs sont poursuivis dans ce contexte où prime l’approche globale et individualisée du patient : - prévenir la survenue de nouvelles escarres ; - limiter au maximum l’extension de l’escarre et éviter les complications et les symptômes inconfortables ; - traiter localement l’escarre en étant attentif au confort du patient ainsi qu’au soulagement de la douleur ; - maintenir le patient propre et diminuer au maximum l’inconfort physique et psychique lié à l’escarre. L’utilisation de supports d’aide à la prévention et au traitement de l’escarre permet la diminution des phénomènes douloureux. Les décisions concernant le traitement de la maladie, la prise en charge des symptômes, la prévention et le traitement de l’escarre doivent être fondées sur l’analyse du rapport bénéfices-risques de chacune des options en termes de capacité à soulager la souffrance et à préserver au maximum la dignité et la qualité de vie de la personne, et sur les préférences du patient. La coordination des multiples intervenants auprès du patient et la continuité des soins sont essentielles. Dans tous les cas, il ne faut pas s’attarder plus de 24 à 48 heures sur un palier qui s’avère inefficace. Un traitement antalgique en continu peut être nécessaire. Une évaluation régulière des effets du traitement antalgique et des effets secondaires doit être effectuée jusqu’à obtention d’une antalgie efficace. L’utilisation de supports d’aide à la prévention et au traitement de l’escarre diminue le phénomène douloureux (grade C). D’autres mesures complémentaires telles que installation confortable, nettoyage de la plaie par lavage, choix de pansements permettant l’espacement des soins et choix des moments des soins avec le patient permettent de minimiser le phénomène douloureux. • Le traitement de l’escarre au stade de soins palliatifs La prise en charge des escarres en soins palliatifs nécessite une évaluation la plus objective possible du pronostic vital du patient et du pronostic de l’escarre fréquemment réévaluée en équipe. L’apparition d’escarres le plus souvent multiples traduit une dégradation de l’état général du patient. Le respect de la personne soignée doit guider les choix thérapeutiques aux différents stades d’évolution de la maladie causale et de l’état général du patient. QUESTION V. QUELS SONT LES SUPPORTS DE PRÉVENTION ET DE TRAITEMENT DES ESCARRES ? La mise en place d’un support adapté d’aide à la prévention et au traitement de l’escarre fait partie des actions prioritaires pour limiter la pression d’interface entre la peau et le support et favoriser la récupération de la mobilité. L’intérêt d’un support pour la diminution de la pression a été démontré en comparaison avec un matelas standard (grade A). Le support diminue le temps d’obtention de la guérison de l’escarre et diminue les phénomènes douloureux (grade C). Les études démontrant l’intérêt de tel support par rapport à tel autre sont peu nombreuses et peu convaincantes (grade C). De nombreux dispositifs de support existent : lits, matelas, surmatelas, coussins de siège et accessoires de positionnement. La classification en concepts permet de rassembler selon un même mode d’action tous les supports (mate- 49 Recherche en soins infirmiers N° 69 - juin 2002 las et surmatelas) ayant les mêmes objectifs et globalement les mêmes performances : - concept 1 : support statique en matériau qui se conforme au patient ; - concept 2 : support dynamique travaillant de façon discontinue ; - concept 3 : support dynamique travaillant de façon continue. Le choix d’un support relève de l’équipe soignante qui doit s’appuyer sur des critères de choix explicites. La stratégie de choix d’un support repose sur les facteurs de risque et les caractéristiques du patient, les ressources humaines et matérielles disponibles, les contraintes d’organisation. • Les critères de choix d’un matelas ou d’un surmatelas sont les suivants : niveau de risque, nombre d’heures passées au lit, degré de mobilité du patient, fréquence des changements de position, possibilité de les réaliser en particulier à domicile, transfert lit-fauteuil possible ou non (tableau 4). En cas d’utilisation d’un matériel dynamique, il est nécessaire de respecter les consignes d’utilisation (temps de gonflage du support, fonctionnement de l’alarme). • Les critères de choix d’un coussin de siège sont délicats, la pression d’interface est plus difficile à diminuer, le poids du corps étant réparti sur une surface restreinte. Les matériaux et principes de fonctionnement sont identiques à ceux des matelas. Les coussins en gel ne sont pas recommandés car leur enveloppe induit un SUPPORT PROPOSÉ effet hamac nocif. Les coussins à air sont difficiles à régler. Il faut tenir compte de leur épaisseur pour éviter l’écrasement du coussin. La hauteur du siège, le poids du patient, l’angle d’inclinaison du fauteuil doivent être pris en compte afin d’améliorer la position du patient au fauteuil et éviter un usage mal adapté des coussins de siège. Le choix s’effectue en fonction du type de fauteuil (roulant ou non), de la capacité et du degré de mobilité du patient, de la durée de la station assise. • Des critères complémentaires de sélection des supports peuvent être utilisés, en particulier chez les patients dont l’état requiert un usage prolongé ou permanent d’un support. Le coût d’achat, les possibilités de location, la durée de vie, l’entretien et la maintenance, la facilité d’utilisation, le poids du support, la stabilité que le support procure, le confort et le soulagement de la douleur, sont également des éléments qui permettent d’orienter le choix d’un support pour lequel le patient doit donner son avis avant l’acquisition. Ces critères fondés sur l’expérience professionnelle sont proposés à titre indicatif dans le tableau 5 et doivent être validés par des études. Il est souhaitable que tout établissement de soins élabore une stratégie d’équipement en supports visant à limiter la pression d’interface. Des études cliniques comparatives permettant de préciser les indications de l’utilisation de l’ensemble des supports proposés sont à envisager. CARACTÉRISTIQUES DU PATIENT Surmatelas statique Pas d’escarre et risque d’escarre peu élevé et patient pouvant se mouvoir dans le lit et passant moins de 12 heures par jour au lit. Matelas statique Pas d’escarre et risque d’escarre moyen et patient pouvant se mouvoir dans le lit et passant moins de 15 heures par jour au lit. Surmatelas dynamique (système alterné) Patient ayant eu des escarres ou ayant une escarre peu profonde (désépidermisation) ou risque d’escarre élevé et passant plus de 15 heures par jour au lit et incapable de bouger seul. Matelas dynamique de façon continue ou discontinue Patient ayant des escarres de stade élevé (> stade II) et ne pouvant bouger seul au lit et qui n’ayant pas changé de position quand il est au lit où il reste plus de 20 heures par jour, son état s’aggravant. Tableau 4. Critères de choix d’un support de lit. 50 Recherche en soins infirmiers N° 69 - juin 2002 PRÉVENTION ET TRAITEMENT DES ESCARRES DE L’ADULTE ET DU SUJET ÂGÉ Pathologie aiguë, chronique, ancienneté, gravité Degré de mobilité et de motricité Degré de sensibilité et de douleur Macération Température corporelle Morphologie du patient Facteurs de risque liés aux caractéristiques du patient Niveau de dépendance automobilisation autosoulèvement Présence d’une ou plusieurs escarres Description de l’escarre Localisation, traitement chirurgical éventuel État de conscience, état psychologique Hygiène de vie Niveau de connaissance Capacités financières Activité du patient Autres facteurs Niveau socioculturel Environnement humain Environnement architectural et particularités du lieu de vie Caractéristiques des soignants Tableau 5. Facteurs permettant l’établissement de critères pour guider le choix d’un support. QUESTION VI. QUEL EST LE RETENTISSEMENT PSYCHO-SOCIAL ET SUR LA QUALITÉ DE VIE, ET QUELLES SONT LES INCIDENCES ÉCONOMIQUES ? patient : sentiment de mort progressive chez le sujet âgé ou gêne douloureuse, morale ou physique, chez l’adulte. Le respect de l’image positive et le souci de la dignité du patient doivent toujours guider l’action du soignant. La prise en charge de l’escarre doit prévenir la survenue d’un syndrome dépressif ou éviter son accentuation. Les escarres entraînent une gêne douloureuse et une souffrance morale et physique, une limitation des capacités fonctionnelles (marche ou station assise impossible) avec comme conséquences une limitation de l’autonomie, des sorties et donc une diminution de la liberté. L’escarre a également pour conséquences une altération de l’image de soi et de la relation à autrui liée à la présence de la plaie, aux éventuels écoulements et odeurs de celle-ci. Même si la qualité de vie du patient souffrant d’escarres et les conséquences psycho-sociales de l’escarre sont mal connues aujourd’hui, l’escarre doit être considérée comme une maladie lourde et dévalorisante pour le Par ailleurs, la méconnaissance actuelle des incidences financières globales de l’escarre est un frein à l’élaboration d’une politique rationnelle de soins. Les escarres ont un coût non négligeable pour le système de santé même si les données chiffrées de la littérature n’ont qu’une valeur indicative. Les coûts tels que prestations hospitalières, soins ambulatoires, sont peu précis dans la littérature et les conséquences économiques en terme d’heures de travail perdues, de qualité de vie et de préjudice psychologique subi par le patient ne sont pas connues. La synthèse des résultats des études économiques confirme la nécessité de développer des programmes de prévention, sources de gains économiques, mais aussi d’amélioration de la qualité de vie et de moindre douleur. 51 Recherche en soins infirmiers N° 69 - juin 2002 Des études épidémiologiques évaluant la prévalence et l’incidence des escarres ainsi que des études économiques comparant les coûts et l’efficacité en matière de prévention, de traitement, de dispositifs (supports, pansements) existants doivent être menées pour aboutir à une meilleure connaissance des coûts liés à l’escarre. QUESTION VII. QUELLE ÉDUCATION, FORMATION ET INFORMATION DU PATIENT ET DE SA FAMILLE ? L’information et l’éducation du patient et de sa famille, donnée par l’équipe soignante, visent à favoriser leur participation à la prévention et au traitement de l’escarre, en particulier dans le cadre d’un retour à domicile. La stratégie d’information et d’éducation du patient et de sa famille doit être adaptée au caractère temporaire ou permanent du risque d’escarre et aux capacités individuelles de chaque patient. • L’information du patient et de sa famille concerne les patients à mobilité temporairement réduite et pour lesquels le risque d’escarre est limité dans le temps. Elle a pour objectif d’éclairer la personne sur son état de santé, de lui décrire la nature et le déroulement des soins et de lui fournir les éléments lui permettant de prendre des décisions en connaissance de cause. • L’éducation du patient et de sa famille est systématiquement envisagée pour tous les patients à mobilité réduite permanente, y compris les personnes âgées dépendantes, et pour lesquels le risque d’escarre est constant. La démarche éducative consiste à : - adapter l’éducation en fonction de la connaissance du patient et de l’identification de facteurs facilitant et limitant l’acquisition de compétences ; - se mettre d’accord avec le patient sur les compétences qui lui sont les plus utiles à acquérir en intégrant les éléments suivants chaque fois que nécessaire : les facteurs de risque d’escarre spécifiques au patient, l’autosurveillance cutanée aux points d’appui, la mobilisation et les changements de position, l’hydratation et l’alimentation, l’hygiène de la peau, l’élimination urinaire et/ou fécale, l’habillement, l’adaptation à l’environnement, la prise en charge de la douleur et la participation aux soins de plaies ; - proposer au patient et éventuellement à son entourage des applications pratiques concernant les mesures de prévention et le traitement de l’escarre ; - évaluer les réussites et les difficultés de mise en oeuvre au quotidien. • Le retour à domicile du patient porteur d’escarre non encore fermée doit être préparé par une éducation du patient et de sa famille, par une information précise du médecin traitant et des infirmières, par la préparation d’un document précis et la désignation d’un correspondant médecin ou infirmier pouvant servir de référent. Ce retour doit être préparé en concertation entre les acteurs de santé de l’hôpital et du domicile sur ce projet de soins. CONCLUSION Nous manquons d’informations d’un niveau de preuve suffisant dans l’évaluation, la prévention et le traitement des escarres. Il est recommandé de favoriser les études, la recherche sur ces thèmes à partir d’équipes pilotes. Il est nécessaire de favoriser l’information et la formation initiale et continue sur les escarres de l’ensemble des professionnels amenés à intervenir dans les populations à risque. 52 Recherche en soins infirmiers N° 69 - juin 2002 R ECHERCHE Hélène Lefebvre 1,2, Ph.D.; Diane Pelchat1,2, Ph.D., Michelle Proulx1, Ph.D. (cand.) PARTENARIAT ET RENOUVELLEMENT DU PARADIGME ÉDUCATIF EN SCIENCES INFIRMIÈRES* RÉSUMÉ SUMMARY The Program of Interdisciplinary Family Surgical Procedures (PIFSP), is oriented towards the development of partnerships between families and nurses in order to respond to the specific needs of families with children suffering from health problems. It was implemented by the accumulation of information and exdpertise respective of the other and in regards to their relevance. A retrospective qualitative study on apprenticeships conducted with parents and nurses during a proposal by PIFSP shows at what point parents’and nurses’educational conduits are linked to faith, thought patterns, perception and behaviour, which corresponds to a specific conception of educational medical procedures in nursing science. This is part of the paradigm structure in educational and nursing science. Un Programme d’Intervention Familiale interdisciplinaire, le PRIFAM, orienté vers le développement d’un partenariat familles/infirmières, permet de répondre aux besoins particuliers des familles ayant un enfant avec une déficience. Il mise sur l’appropriation des savoirs et des compétences respectives de chacune dans le respect de leur réalité. Une étude qualitative rétrospective des apprentissages réalisée auprès de parents et d’infirmières lors de l’application du PRIFAM montre à quel point les conduites éducatives des parents et des infirmières sont liées à des croyances, des façons de penser, de percevoir et de faire, lesquelles correspondent à une conception spécifique de l’intervention éducative en sciences infirmières. Celles-ci s’inscrivent dans des structures paradigmatiques en sciences de l’éducation et en sciences infirmières. Mots clés : intervention soins famille, savoirs d’expérience, paradigme éducatif, paradigme infirmier, éducation pour la santé Key words : Family medical care, familiarity with work experience, educational paradigm, nursing paradigm, health education * Cette étude a été subventionnée par le Conseil de recherche en sciences humaines du Canada (CRSHC 1996-1999) 1.Équipe de Recherche Interdisciplinaire sur la Famille (ÉRIFAM) 2.Centre de Recherche Interdisciplinaire en Réadaptation du Montréal Métropolitain (CRIR) 53 Recherche en soins infirmiers N° 69 - juin 2002 PROBLÉMATIQUE La naissance d’un enfant ayant une déficience place les familles et les professionnels de la santé dans une situation nouvelle pour laquelle ils sont peu préparés. Les familles sont alors projetées dans une phase de transition au cours de laquelle elles ont peu à peu à reconquérir leur équilibre. Cette expérience éprouvante a des implications importantes pour l’avenir de l’enfant et celui de la famille entière (Bouchard, 1987 ; Kazak & Marvin, 1984 ; Pelchat & Bouchard, 1998 ; Pelchat, 1989 ; Pelchat, Lefebvre, & Bouchard (2001a). Les professionnels de la santé doivent apprendre à composer avec cette expérience bien souvent douloureuse et à ajuster leurs interventions de façon à répondre aux besoins de chacun de ses membres (Pelchat & Lefebvre, nov., déc. 2001b). Or, de façon générale, les expériences cliniques montrent que ceuxci éprouvent des malaises face aux souffrances de ces familles et ont tendance à adopter un comportement de retrait plutôt que de répondre à leurs besoins (Bouchard, 1987 ; Bouchard, Pelchat, Boudreault, & Lalonde-Gratton, 1994 ; Boucher, Medan & Torossian, 1991 ; Pelchat et al. 2001a). Les infirmières, en particulier, rencontrent des difficultés à les aider à gérer la transition situationnelle que provoque la naissance d’un enfant avec une déficience, et ce, bien qu’elles soient appelées à jouer un rôle-clé d’assistance auprès des familles (Pelchat, 1989 ; Pelchat & Berthiaume, 1996). Pour répondre aux malaises formulés par des parents et des infirmières-cliniciennes de milieux hospitaliers, Pelchat a développé, en partenariat avec des familles d’enfant ayant une déficience, un Programme d’Intervention Familiale interdisciplinaire, le PRIFAM (Pelchat, 1989). Ce programme, orienté vers le développement d’un partenariat infirmières/familles, vise à répondre aux besoins de chacun des membres de la famille dont l’enfant est atteint d’une déficience et mise sur les compétences de chacun (Pelchat, Michaud, Bouchard, & Berthiaume, 1997 ; Pelchat & Lefebvre, 2001b). Il a été démontré que le PRIFAM favorise l’adaptation des familles d’enfants ayant une trisomie 21 et une fissure labiale et/ou palatine (Pelchat, 1989 ; Pelchat, Bisson, Ricard, Perreault, & Bouchard, 1999). La participation des familles et des infirmières au PRIFAM s’avère un contexte propice à l’acquisition de nouvelles compétences de part et d’autres. Devant ces constats, une étude rétrospective de type qualitatif fut conduite au cours des années 1996-1999, s’intéressant aux apprentissages réalisés par les parents dont l’enfant a une trisomie 21 ayant reçu le PRIFAM et leurs infirmières-intervenantes. Cette étude a montré à quel point les conduites éducatives des parents et des infirmières sont liées à des croyances, des façons de penser, de percevoir et de faire respectives, lesquelles correspondent à un mode socioculturel précis et par conséquent, à une conception spécifique de l’éducation et de la relation entre parents et infirmières. De plus, les valeurs et les croyances véhiculées lors de la formation et l’application du PRIFAM situent les savoirs dans des paradigmes précis dans lesquels chacun des partenaires évolue. Les structures paradigmatiques éducatives (paradigme rationnel, humaniste et symbiosynergique) développées par Bertrand & Valois (1982) permettent d’inscrire les conduites des parents et des infirmières dans des cadres de référence. Ces structures paradigmatiques correspondent aux paradigmes infirmiers (catégorisation, humaniste, transformation) tels que définis par Kérouac, Pépin, Ducharme, Duquette, & Major (1994). À partir des données produites par l’étude rétrospective des apprentissages, les paradigmes éducatifs privilégiés par les parents et les infirmières et les conditions d’interaction qui leur sont associées montrent l’évolution des familles et des infirmières durant l’application du PRIFAM. Le présent article a pour but de dresser un portrait des paradigmes éducatifs et infirmiers des parents et des infirmières, tout en cernant les conditions d’interaction correspondantes. DESCRIPTION DU PROGRAMME D’INTERVENTION FAMILIALE SYSTÉMIQUE, PRIFAM Les fondements du PRIFAM préconisent une relation familles/infirmières axée sur la collaboration dans le partenariat, qui conduit à l’acquisition de savoirs résultant du partage des connaissances et des expériences de chacun et de la réflexion sur celles-ci (Pelchat & Lefebvre, 2001b ; Michaud, 2000). Le contexte de partenariat familles/infirmières est défini par Dunst & Paget (1991) comme une association de personnes dans la poursuite d’un but ou d’un intérêt commun. La notion de partenariat fait appel à la réciprocité, à l’interdépendance entre les partenaires, au 54 Recherche en soins infirmiers N° 69 - juin 2002 PARTENARIAT ET RENOUVELLEMENT DU PARADIGME ÉDUCATIF EN SCIENCES INFIRMIÈRES partage des connaissances et des savoir-faire, à l’appropriation des compétences et des habiletés par chacun, à la valorisation des différences, à l’aide mutuelle ainsi qu’à l’apprentissage par les pairs (Bouchard & Archambault, 1991 ; Bouchard, 1999). La collaboration qui s’instaure entre les familles et les infirmières donne lieu à des apprentissages basés sur la reconnaissance de l’expérience de chacun, permettant aux familles de s’adapter à leur nouvelle réalité et aux infirmières d’ajuster leurs interventions afin de soutenir les parents dans le processus d’adaptation. questions systémiques (Tomm, 1985 ; Loos & Bell, 1990), font partie de la formation théorique. Le PRIFAM s’inspire de la théorie psychodynamique de la crise (Caplan, 1964), de la théorie du stress et de l’adaptation de Lazarus & Folkman (1984), du modèle de gestion du stress familial de Boss (1988 ; 1999), de l’approche familiale dont les principes relèvent de la théorie des systèmes (Bertalanffy, 1968), de la cybernétique (Weiner, 1948) et de la communication (Bateson, 1979). La formation dans le cadre du PRIFAM comprend un volet théorique portant sur les théories à la La philosophie et les principes à la base du PRIFAM influencent aussi l’approche éducative utilisée tant auprès des infirmières que des familles. Les valeurs sont le partenariat, l’appropriation des compétences, l’autonomie et l’autodétermination. Chacune est concrétisée par un certain nombre de croyances (Tableau 1) qui guident les attitudes et les comportements des familles et des infirmières (Pelchat & Lefebvre, 2001b). Paradigmes Rationnel Caractéristiques • Transmission de connaissances, de normes et de valeurs Le volet pratique assure un suivi des infirmières par des rencontres collectives ou individuelles, hebdomadaires puis mensuelles pendant toute la durée de l’application du programme. Elles sont un lieu privilégié pour réfléchir sur leur pratique, valeurs, attitudes, croyances et préjugés face à la famille et à la déficience de l’enfant. Il s’agit d’un apprentissage dans la réciprocité (Bouchard, 1999). Valeurs • Obéissance • Rationnel • Guidance dans le respect des potentialités de l’individu • Reconnaissance de ses compétences dans la gestion des situations • Professionnel transmet l’information, dirige la famille, considérée comme étant passive • Professionnel contrôle la situation et prend les décisions • Importance attribuée au contenu à la compliance Humaniste Style de relation • Autonomie • créativité • respect de l’autre • liberté de choix • Professionnel transmet l’information en tenant compte des besoins et du contexte des familles • Professionnel reconnaît les compétences des familles et les guide à travers la transition • Famille prend les décisions suite à des propositions du professionnel TABLEAU 1. Opérationnalisation des paradigmes éducatifs de Bertrand & Valois ( 1982) base du programme et sur les grands principes de l’intervention familiale systémique auprès des familles vivant avec une situation de stress important (Pelchat, 1989, 1993, 1995). Les principes de l’autodétermination (Dunst & Trivette, 1987 ; Dunst & Paget, 1991), de l’appropriation (Dunst, Trivette, & Deal, 1988) des compétences parentales par la famille de même que les grands principes d’intervention de l’équipe de Milan (neutralité-circularité-hypothèse) (SelviniPalazzoli, Boscolo, Cecchin, & Prata, 1980) et les DESCRIPTION DE L’ÉTUDE RÉTROSPECTIVE DES APPRENTISSAGES Cette étude qualitative amène les infirmières et les parents d’enfants ayant une trisomie 21 à s’exprimer en rétrospective à propos des apprentissages qu’ils ont réalisés lors de l’application du PRIFAM, soit deux à trois années après l’intervention. Des entrevues semi- 55 Recherche en soins infirmiers N° 69 - juin 2002 structurées enregistrées sur bandes audio et transcrites ont été effectuées auprès de dix-huit (18) parents qui ont donné naissance à un enfant ayant une trisomie 21 et bénéficié de l’intervention et de quatre (4) infirmières formées au PRIFAM. L’intérêt pour la notion d’apprentissage découle de la prise de conscience par les chercheurs que le contexte d’appropriation et de partenariat du PRIFAM engendre de nombreux apprentissages à la fois pour les parents et les infirmières (Pelchat & Berthiaume, 1996 ; Pelchat, Lefebvre, Proulx, & Bouchard, 2001c). Cette étude vise à cerner les processus d’apprentissage qui favorisent l’appropriation et l’autodétermination des familles dans leur recherche d’autonomie. Des travaux récents s’orientent vers l’étude des modèles socio-culturels des familles et de la dynamique régularisant la variation entre les comportements parentaux et les situations (Bouchard & Archambault, 1991 ; Pelchat et al. 2001c). Ces travaux reconnaissent les compétences et l’expertise des familles et des intervenants. Chaque partenaire (personne, famille, intervenant et chercheur) situé dans un processus d’interdépendance et de réciprocité, devient partie prenante dans la prise de décision impliquant le partage des rôles et des responsabilités. La collaboration se construit par une réflexion sur et dans l’action à l’intérieur d’une relation où le pouvoir et le savoir sont partagés (St-Arnaud, 1999 ; Tessier, 1996). Ce processus circulaire, implique la rétroaction et intègre bien les principes de l’appropriation et de l’intervention éducative. Ce contexte privilégié favorise la co-construction de savoirs par chacun des partenaires (Pelchat & Berthiaume, 1996 ; Bouchard, 1999 ; Pelchat et al., 2001c). Des résultats de l’étude rétrospective sur les apprentissages se dégagent les moyens et les conditions favorables à l’échange d’informations, ainsi qu’au développement du potentiel, tant chez les familles que chez les infirmières grâce à une meilleure connaissance de la relation éducative en situation de stress. De cette étude, émerge une conception de la relation éducative des professionnels de la santé, fondée sur la collaboration avec les familles ayant un enfant avec une déficience et qui vise à établir une relation de confiance dans le contexte d’une transition développementale. SAVOIRS Une typologie des savoirs acquis par les parents et les infirmières s’inspire des travaux d’Artaud (1989). Celuici identifie des savoirs distincts, soit les savoirs médiateurs, incarnés, théoriques, construits et reconstruits (Pelchat et al., 2001c). Inspirées de cette typologie, trois catégories de savoirs se sont dégagées des résultats de l’étude : les savoirs théoriques, dans l’expérience, et de transformation. L’analyse a en effet montré que le PRIFAM offrait aux familles et à l’infirmière l’occasion de faire des acquisitions cognitives nouvelles, désignées savoirs théoriques. Par exemple, les familles et les infirmières acquièrent des connaissances théoriques dans le cadre du programme au sujet de la déficience de l’enfant (pathophysiologie, évolution, pronostic). L’analyse a aussi indiqué que le PRIFAM permet d’éprouver les capacités réflexives des familles sur l’expérience de vie au quotidien avec l’enfant ayant une déficience, et aux infirmières, l’opportunité de réfléchir sur leur pratique professionnelle. Ces savoirs sont des savoirs d’expérience. Il s’agit de savoirs acquis dans l’action, issus de l’interaction entre toutes les personnes impliquées dans la vie de l’enfant. Par exemple, des parents ont acquis des connaissances dans l’expérience sur la façon de stimuler leur enfant. Enfin, l’analyse a montré que le PRIFAM conduit à un changement chez les participants, se situant au plan des valeurs, des croyances et des connaissances. De ce changement, résultent des savoirs qui sont transposés dans d’autres situations de la vie par les parents et les infirmières. Ces savoirs furent désignés savoirs de transformation. Il ressortait en effet que tous les parents avaient transformé leurs nouvelles connaissances : les parents dans d’autres situations de vie (avec leurs enfants, modification des croyances) et les infirmières, dans leur vie personnelle (modification des valeurs, changements de façon d’interagir avec les membres de leur famille et avec les autres professionnels de la santé). Certaines valeurs, croyances, et façons de faire se sont transformées générant de nouveaux savoirs. En effet, les parents puisent à travers la situation difficile, leurs expériences personnelles et les contacts avec les professionnels, les ressources nécessaires pour les aider à composer avec la situation, ce qui les conduit à faire des apprentissages. PARADIGMES ÉDUCATIFS ET INFIRMIERS À partir de l’identification des savoirs acquis dans la relation de partenariat, les conduites éducatives des parents et des infirmières, ont été cernées, et situées dans des paradigmes éducatifs et infirmiers précis. Dans leur étude théorique des caractéristiques socioculturelles et éducatives du réseau scolaire québécois, Bertrand & Valois (1982) montrent qu’il existe une correspondance entre les paradigmes socio-culturels et l’éducation. Ceux-ci s’apparentent à ceux identifiés en sciences infirmières (Kérouac et al., 1994). (Tableau 2). 56 Recherche en soins infirmiers N° 69 - juin 2002 PARTENARIAT ET RENOUVELLEMENT DU PARADIGME ÉDUCATIF EN SCIENCES INFIRMIÈRES Paradigmes en sciences de l’éducation Paradigmes en sciences infirmières Rationnel Catégorisation Humaniste Intégration Symbiosynergie Transformation l’interdépendance synchrone dans leur développement, la réciprocité et le pouvoir partagé. En sciences infirmières, la personne/famille devient l’agent de sa propre santé et un partenaire au même titre que les professionnels de la santé. L’être entier (physique, intellectuel et spirituel) et unique est indissociable de son univers. Les valeurs culturelles, les croyances et les convictions de la personne sont reconnues et prises en compte dans l’intervention. L’infirmière, l’individu et la famille sont des partenaires à part égale qui mettent ensemble leurs ressources et leur potentiel. Tableau 2 Correspondance des paradigmes en sciences de l’éducation et en sciences infirmières Kuhn (1972) définit un paradigme comme une conception dominante, une façon de voir les phénomènes. Les paradigmes furent développés en philosophie puis en psychologie et utilisés dans d’autres disciplines comme les sciences de la santé et de l’éducation (Mariné & Escribé, 1998 ; Riopelle, Grondin, & Phaneuf, 1988). Les paradigmes éducatifs et infirmiers ont évolué dans le temps à travers les croyances, les valeurs et les perceptions de la société, marquant leurs changements et produisant des connaissances différentes. L’association des paradigmes éducatifs développés par Bertrand & Valois (1982) et des paradigmes infirmiers définis par Kérouac et al., 1994), permet de classer les savoirs acquis dans la relation de partenariat lors de l’application du PRIFAM dans trois grandes structures paradigmatiques : le paradigme rationnel/catégorisation, humaniste/intégration et symbiosynergique/transformation. PARADIGME RATIONNEL/CATÉGORISATION Dans ce paradigme, le projet central est de transmettre un savoir prédéterminé. Ce paradigme valorise l’objectivité de la personne et confine la pensée dans l’ordre établi. Dans ce paradigme, les phénomènes sont divisibles en catégories et les éléments isolables. Le corps humain est divisé en parties et les soins en tâches. PARADIGME HUMANISTE/INTÉGRATION Ce paradigme se caractérise par une centration sur la personne. Il s’inscrit dans le courant humaniste et existentiel de la société dans laquelle l’éducation est centrée sur des valeurs de communication et d’ouverture. Le soin est orienté vers la personne et tient compte des perceptions et de toutes ses dimensions (émotions, attitudes, perspective psychosomatique). Les parents qui auraient pu adhérer au modèle rationnel d’enseignement dans le cadre duquel l’infirmière joue essentiellement un rôle d’expert, préfèreraient se plier aux directives reçues. Ceux qui auraient tendance à valoriser leurs ressources personnelles et celles de leurs enfants privilégient une relation avec l’infirmière qui est centrée sur leurs besoins. Sur cette base, des paradigmes éducatifs et des conditions d’interaction correspondantes entre les parents et les infirmières ont été identifiés. CONSTATS Les paradigmes éducatifs des infirmières et des parents s’appuient sur des croyances et des valeurs spécifiques et sont associés à des conditions d’interaction. L’évolution paradigmatique des infirmières et des parents sera traitée séparément pour le paradigme humaniste et conjointement pour le paradigme symbiosynergique/transformation. ÉVOLUTION PARADIGMATIQUE Les infirmières ne se situent à aucun moment strictement dans le paradigme rationnel même en début de la formation alors qu’elles éprouvent le besoin d’acquérir des informations, particulièrement sur la trisomie 21 et sur les composantes de l’approche qu’elles auront à appliquer auprès des familles. C’est l’approche enseignée, préconisant la validation des connaissances antérieures dans le respect du mode d’apprentissage de chacune, qui les amène d’emblée dans le paradigme humaniste/intégration. PARADIGME SYMBIOSYNERGIQUE/TRANSFORMATION PARADIGME HUMANISTE/INTÉGRATION DES INFIRMIÈRES Il présente des caractéristiques similaires au paradigme humaniste mais les réinterprète dans une vision holiste et systémique dans laquelle les personnes privilégient Les infirmières se situent d’emblée dans le paradigme humaniste/intégration. Avant la formation, elles possè- 57 Recherche en soins infirmiers N° 69 - juin 2002 dent peu ou pas d’information sur l’approche d’intervention proposée et sur la trisomie 21. Pendant la formation, elles acquièrent en majorité des savoirs théoriques se transposant en savoirs d’expérience et de transformation au cours des rencontres avec les familles lors de l’application du programme. Le programme PRIFAM s’appuie dans ses fondements et ses stratégies d’enseignement sur l’établissement d’une relation partenariat reconnaissant les besoins et les expériences des infirmières et des familles. Les méthodes pédagogiques, centrées sur les étudiantes, utilisées lors de la formation au PRIFAM favorisent l’échange entre les formatrices et les étudiantes. mais plutôt d’écouter. La pratique de la neutralité et de l’écoute est valorisée de façon à ce que les personnes trouvent elles-mêmes leurs propres solutions. La neutralité implique que l’infirmière garde un certain recul en essayant de comprendre la situation, de prendre une distance pour être mieux en mesure de saisir la situation. Une infirmière tire une leçon d’humilité de cette expérience. « Dans mon cheminement comme infirmière, j’ai acquis des connaissances que je peux partager avec les familles pour les aider à répondre à leurs besoins, moi je vais juste les aider. Moi, je suis là pour répondre à certaines questions, mais c’est vous qui connaissez les réponses ». Avant de débuter la formation, certaines infirmières affirment qu’elles intervenaient sur la base de l’intuition plutôt que de la connaissance. Elles confirment qu’elles ont été amenées à se centrer sur les familles, à confirmer la justesse de leurs intuitions, à les concrétiser et à les formaliser. Elles s’expriment ainsi : « J’ai acquis une terminologie scientifique pour énoncer des observations issues de la pratique ». Par analogie, elles font des liens avec ce qu’elles considéraient de manière intuitive et les connaissances théoriques acquises et s’approprient la terminologie scientifique. Une infirmière précise « J’ai développé de nouvelles approches plus appropriées à l’intervention, soit la pratique de la neutralité, de la circularité de l’information. Je cherche plus qu’avant à explorer des avenues de solutions avec les familles ». Toutes les infirmières prennent conscience de l’importance de partager leur réflexion à propos de leur pratique. Le respect des différences est très souvent invoqué par les infirmières. Une infirmière se rend compte à quel point les familles ne vivent pas les choses de la même manière et que leur manière de vivre la situation est fonction de leurs croyances et de leur histoire de vie personnelle. « Chaque famille a un vécu différent et en ce sens, les recettes ne sont pas aidantes. » Elle tient maintenant compte des différences d’une famille à l’autre en fonction de leurs valeurs. Une autre ajoute « ne pas adopter les mêmes interventions avec tous les parents, même si elles peuvent être très bonnes ». Les infirmières se situent donc clairement dans le paradigme humaniste/intégration. La mise en valeur de l’importance d’aller rejoindre les gens là où ils sont, la guidance et l’accompagnement des familles et la transmission de l’information en tenant compte de leurs besoins sont les conditions qui inscrivent l’intervention infirmière dans ce paradigme. VALEURS D’AUTONOMIE, DE RESPECT ET DE LIBERTÉ DE CHOIX DES FAMILLES Une infirmière croit qu’il est nécessaire de respecter les limites de ses interventions auprès des familles, en acceptant le fait que l’intervention ne réponde pas aux besoins de toutes les familles. C’est par l’écoute de l’autre que le respect prend son sens pour elle. Une autre infirmière considère « l’importance d’accepter que l’autre soit différent de soi, d’être capable d’écouter l’autre et d’accepter le fait qu’il ait des valeurs qui ne sont pas du tout les siennes ». L’écoute de l’autre implique de ne pas poser de jugements, de ne pas essayer d’argumenter sur ce que l’autre vient de dire IMPORTANCE D’ALLER REJOINDRE LES GENS LÀ OÙ ILS SONT L’importance de se déplaçer dans le milieu de vie des familles, d’être proche de leur langage, de leur façon de vivre et d’être présente. « Il faut que tu ailles les chercher, que tu trouves le stimulus qui va faire que ces gens-là vont être motivés à reprendre goût à la vie parce qu’ils ne croient plus à rien, c’est comme le vide total ». GUIDE ET ACCOMPAGNEMENT DES FAMILLES Sur le plan de la relation infirmière/parents, la guidance des familles dans le respect de leur potentiel et la reconnaissance de leurs compétences dans la gestion de la situation, se situent au coeur de l’intervention des infirmières. L’une d’elles considère que son rôle est de donner des petits trucs aux familles mais en respectant ce qu’elles sont. Une autre se présente ainsi auprès des familles : « On va essayer de vous aider le mieux possible, on va faire un bout de chemin ensemble, je vais être disponible. Vous allez avoir mes coordonnées ». Cette infirmière considère qu’elle joue un rôle important de guide et d’accompagnement auprès des familles, et ce dès le moment de l’annonce du diagnostic. Elle témoigne du fait qu’elle est là pour leur donner de l’information, pour être témoin de leur 58 Recherche en soins infirmiers N° 69 - juin 2002 PARTENARIAT ET RENOUVELLEMENT DU PARADIGME ÉDUCATIF EN SCIENCES INFIRMIÈRES souffrance, pour leur permettre de voir qu’elles sont capables de s’en sortir. « Tu sais, souvent le médecin annonçait, puis là il sortait de la chambre...de rester là, d’être capable d’écouter leur histoire, de leur donner de l’information. Puis aussi d’être capable de leur donner de l’espoir, d’avoir une ouverture. Parce qu’ils voient tout en noir, il faut leur donner un peu d’espoir, sans minimiser la problématique ou minimiser leur peine, mais sentir que oui, c’est difficile, mais je vais être là ». Une autre poursuit : « Puis, c’est juste d’essayer qu’ils réussissent à trouver eux-mêmes les solutions, en leur posant des questions sur ce qu’ils sont en train de vivre. Des solutions toutes faites ça ne donne rien parce que chacun a des expériences différentes ». RECONNAISSANCE DES RESSOURCES PERSONNELLES DES FAMILLES Les infirmières reconnaissent les forces et le courage des familles pour surmonter les difficultés. « Ce que j’ai appris, c’est de voir que malgré les situations très difficiles, il y a beaucoup de gens qui ont les ressources qui leur permettent de résoudre leurs difficultés même s’ils ne le réalisent pas ». Le rôle de l’infirmière est de les aider à prendre conscience de leurs compétences et de faire confiance aux parents. « C’est d’apprendre avec eux comment s’en sortir. Eux pensent peut-être qu’on est là pour les sauver mais dans le fond, on est juste là pour être témoin de leur souffrance, de leur peine, pour leur permettre de voir qu’ils sont capables de s’en sortir, puis après ça on va travailler à bâtir avec eux. Je pense que notre rôle au départ c’est d’être capable de rester là, de les écouter raconter leur histoire ». Une infirmière confie qu’elle a travaillé au niveau du couple afin d’amener les conjoints à apprendre à s’écouter mutuellement, à voir que la situation de l’enfant a eu un impact sur leur couple. « Je ne savais pas que mon conjoint était si fort, qu’il était capable de changer d’avis sur un sujet aussi important ». TRANSMISSION DE L’INFORMATION EN TENANT COMPTE DES BESOINS Le rôle de l’infirmière est aussi de transmettre de l’information en tenant compte des besoins et du contexte de chaque famille. L’infirmière fournit de l’information adaptée à la situation familiale dans une optique de soutien et de prise en charge de la famille. Elle donne de l’information après avoir identifié les sentiments de la famille, et en respectant leur rythme. « Puis, ils me font des demandes, ils veulent savoir. Est-ce que c’est bon tel produit ? Faut que tu te donnes la peine de t’informer ». Une autre ajoute : « Mais une fois que tu les as rencontrés, que tu as expliqué ce que c’est un enfant avec une trisomie 21, ce que ça implique pour la vie, le stress est de beaucoup diminué parce qu’ils ont une idée de ce que ça représente pour eux ». Paradigme humaniste des parents Les parents se situent d’emblée dans le paradigme humaniste/intégration. Leurs témoignages montrent l’importance que l’infirmière se préoccupe d’eux, soit ouverte à leur expérience difficile, qu’elle normalise leurs émotions contradictoires et les amène à s’ouvrir à elle. PARADIGME HUMANISTE/INTÉGRATION Avant l’intervention, au moment de la naissance de l’enfant ayant une trisomie 21, les parents entrent dans une transition pour laquelle ils possèdent peu de connaissance. Ils désirent alors un expert pour leur fournir un maximum d’informations sur la pathologie dont l’enfant est atteint, sur ce qui va se passer et les traitements disponibles. Or, l’approche, centrée sur l’expérience des parents, utilisée par l’infirmière fait en sorte que la relation avec les parents ne se situe pas dans le paradigme rationnel/catégorisation mais plutôt dans le paradigme humaniste/intégration. En effet, dès les premiers instants, l’infirmière est centrée sur les besoins des parents et leur capacité à faire face à la situation. Elle leur transmet l’information désirée en tenant compte de leurs besoins dans le respect de leurs émotions. Les parents apprécient, à ce moment, le rôle de guide joué par l’infirmière afin de les aider à rechercher les ressources répondant à leurs besoins. Certaines conditions d’interaction sont associées à ce paradigme. Ce sont l’importance du soutien émotionnel reçu, la transmission de l’information sur un mode d’échange, l’observation et la rétroaction, la mise en valeur de l’harmonie, du respect et de la disponibilité de l’infirmière. SOUTIEN ÉMOTIONNEL Tous les parents valorisent le soutien émotionnel pour entrevoir les choses de façon plus positive et prennent conscience de l’évolution progressive de leurs besoins. Ils reconnaissent les qualités humaines de l’infirmière, sa disponibilité pour accueillir l’expression de leurs émotions. Le soutien offert par l’infirmière est essentiel au moment de l’annonce du diagnostic de l’enfant. 59 Recherche en soins infirmiers N° 69 - juin 2002 Un parent ajoute : « On a besoin de plus de soutien émotif au début et par la suite d’informations et de ressources pour répondre à nos besoins ». Les parents apprécient l’infirmière comme personne-ressource qui les soutient et les guide à travers leurs émotions. « L’infirmière m’a écouté, s’est préoccupée de ce que je vivais et m’a soutenu sans me juger et me faire sentir coupable de mes pensées ». MISE EN VALEUR DE L’HARMONIE ET DU RESPECT Les parents apprécient la présence continue de l’infirmière qui, par son savoir-faire, les aide à mieux comprendre ce que chaque conjoint peut vivre. « L’infirmière arrivait et nous demandait comment nous nous sentions. Je l’ai même appelé une fois parce que ça allait mal avec mon conjoint. Elle est venue me voir et nous avons parlé. Ça m’a fait du bien, et ça m’a permis de comprendre que je pouvais changer ma perception des événements. Elle s’adressait à moi comme à une mère puis à mon conjoint comme à un père. Elle prenait le temps de nous écouter ». Il importe de préciser que des couples éprouvent de la difficulté à se donner du temps lorsque l’infirmière le leur suggère. En effet, bien que l’enfant exige des soins particuliers, l’infirmière les amène à considérer qu’ils demeurent un couple. Certains parents disent cependant que cela ne répondait pas à leurs besoins du moment et que, bien que l’infirmière leur ait souvent dit de s’occuper d’eux comme couple, ils n’avaient pas le goût de le faire, n’étant pas rendus à cette étape. D’autres ajoutent que « ce n’est qu’après un certain temps qu’ils se sont sentis prêts à mettre en pratique les suggestions de l’infirmière concernant leur couple ». VISITE À DOMICILE DE L’INFIRMIÈRE Les parents apprécient que l’infirmière vienne les voir à domicile. En effet, sa présence à domicile, son implication, son rôle de liaison avec différentes ressources et les échanges, particulièrement face au pronostic de l’enfant et sa manière singulière de se comporter ou de réagir dans certaines situations, leur permettent de mieux comprendre la situation dans laquelle ils s’engagent. De plus, l’exploration des ressources disponibles quant à leurs préoccupations par rapport à l’intégration sociale de l’enfant prend une grande importance. TRANSMISSION DE L’INFORMATION PAR L’ÉCHANGE, L’OBSERVA- par l’entremise de l’infirmière, le document d’information fournit par le programme PRIFAM, lequel portait sur la stimulation tactile de l’enfant atteint d’une déficience. Ces parents pensent que l’infirmière voulait, par ce médium, les aider à développer leur sentiment d’attachement à l’enfant. Certains font référence au fait que l’infirmière leur a montré comment stimuler l’enfant (p. ex. en faisant du bruit, en lui faisant suivre des yeux des objets). Ils apprécient « recevoir des conseils d’une personne experte qui discute des observations qui sont faites par les parents ». Ils constatent en échangeant avec l’infirmière que l’enfant se développe plus vite au contact de la fratrie ; ajustent leur perception de la trisomie 21 en fonction des nouvelles informations reçues et qu’elle les aide à réfléchir sur ce qu’ils vivent ». Un autre parent affirme : « Mon infirmière se sentait concernée par l’évolution de la petite. Elle nous suggérait des façons de la stimuler et essayait avec nous de nouveaux jeux. J’aimais quand elle la prenait et nous disait qu’elle la trouvait belle ». Paradigme symbiosynergique/transformation Ce paradigme met en valeur la réciprocité de la relation entre l’infirmière et les parents dans l’expérience de chacun. Celle-ci sera traitée simultanément. PARTAGE MUTUEL D’ENSEIGNEMENT Les infirmières témoignent d’un partage mutuel de l’expérience entre les parents et les infirmières, celles-ci et d’autres professionnelles, les parents et leurs proches. Ce partage se situe au plan de l’histoire personnelle, des soins à donner à l’enfant et mène à des coapprentissages. « Parce que l’histoire des autres te permet de regarder ta propre histoire, puis l’histoire de ton voisin, de ta soeur, tu fais des liens avec tout ça. Je pense que tu ne peux pas départager ». Une infirmière affirme que des parents lui ont enseigné ce qu’est un enfant atteint d’une trisomie 21. Elle ajoute qu’elle a su « que c’est un bébé mou, la colonne, le dos, je ne savais pas moi. La mère m’a montré la capacité du bébé, comment elle faisait les exercices et comment cet enfant-là répondait bien ». Une autre poursuit : « Quand je dis que j’ai appris beaucoup avec les familles c’est un peu ça parce qu’ils sont différents de nous. Ils ont un bagage différent, ils t’apportent bien d’autres choses ». TION ET LA RÉTROACTION Les parents reconnaissent que l’infirmière a joué un rôle significatif pour ce qui a trait à la transmission d’informations. Un couple de parents dit avoir utilisé, La possibilité de pouvoir véritablement échanger lorsque les parents ont besoin d’avoir des éclaircissements sur des questions préoccupantes, situe la relation des parents avec l’infirmière dans le paradigme sym- 60 Recherche en soins infirmiers N° 69 - juin 2002 PARTENARIAT ET RENOUVELLEMENT DU PARADIGME ÉDUCATIF EN SCIENCES INFIRMIÈRES biosynergique/transformation compte tenu qu’il y a alors l’idée d’un partage de connaissances sur un mode de collaboration et de réciprocité. En symbiosynergie avec l’infirmière, certains parents mentionnent les gestes qui sont posés par elle, qui les ont marqués et qu’ils ont cherché à reproduire plus tard avec leur enfant. « L’infirmière m’a fait observer les progrès réalisés par mon enfant et j’ai constaté en discutant avec elle qu’il se développe plus rapidement que je ne le croyais ». L’infirmière et les parents apprennent ensemble le processus de développement de l’enfant atteint de trisomie 21. Ils apprennent à découvrir son potentiel physique et intellectuel et son rythme personnel. RECONNAISSANCE DE L’ÉVOLUTION DE CHAQUE PARTENAIRE Parents et infirmières ont évolué lors de l’application du PRIFAM. En effet, une infirmière se rend compte qu’elle ressort grandie de l’expérience, en ayant fait un cheminement personnel lequel modifie son approche d’intervention et l’amène à transformer sa vie personnelle. Du côté des parents, elle conçoit qu’ils avançent, s’expriment sur ce qu’ils vivent et que ça leur fait du bien. Ils comprennent mieux ce qui les préoccupe. Cette reconnaissance est mise à jour par la relation de collaboration qui s’établit entre l’infirmière et les parents : « Je pense qu’il faut le voir comme une collaboration, un partenariat ». Une infirmière reconnaît que les parents ont des connaissances. À leur contact, elle acquiert des connaissances et se rend compte qu’ils lui apprennent de quelle façon se sortir de situations difficiles. Elle peut transférer ces nouveaux savoirs dans sa vie personnelle. SENTIMENT D’UNICITÉ AVEC LES FAMILLES Au plan des valeurs, les parents disent se transformer. C’est par l’échange avec des infirmières et des professionnels qui sont ouverts au plan des idées et des émotions, de même que par le contact avec l’enfant, que ces passages s’effectuent. Il y a eu une véritable transformation des valeurs des infirmières par le contact avec ces familles. Une autre précise que ses propres valeurs se sont transformées au contact avec ces familles. « Je valorise maintenant une approche qui reconnaît chez les autres leurs valeurs profondes, que je considère comme une base de respect ». Sur le plan des valeurs, le sentiment d’unicité avec les familles est présent dans certains témoignages. Une infirmière s’exprime à ce sujet : « Je me sentais bien avec les familles. J’avais l’impression d’avancer, que ça leur rendait quelque chose, j’étais comme une autre personne. C’était comme pas moi, c’était comme une autre personne qui venait intervenir auprès de ces gens-là. Je me rendais compte que j’avais intégré des choses avec lesquelles je n’étais pas familière ». L’unicité s’exprime aussi dans des gestes concrets. Une infirmière dit avoir posé des gestes intentionnels destinés au père qui, de son côté, répondait aux gestes qu’elle posait (Exemple : prendre l’enfant devant le père pour l’inciter aussi à le prendre dans ses bras). À l’occasion, avec l’infirmière mais beaucoup avec leur enfant, ils vivent des moments privilégiés. Ils se situent alors dans le paradigme symbiosynergique/ transformation. Il ressort de l’analyse des résultats que les valeurs d’autonomie, de respect, d’harmonie et de liberté de choix véhiculées par le PRIFAM, transparaissent dans l’intervention infirmière et font évoluer les infirmières et les parents. L’intervention infirmière et la relation avec les familles dépendent de certaines conditions : informer les parents selon leurs besoins, rejoindre les parents dans leur milieu de vie, les accompagner, reconnaître leurs ressources personnelles, les soutenir au besoin au plan émotif, échanger avec eux et rétroagir dans la situation. De plus, le partage mutuel de l’expérience, la reconnaissance que chacun évolue dans la relation et le sentiment d’unicité propre à l’établissement de la relation de partenariat jouent un rôle de premier plan dans la satisfaction des parents et des infirmières de l’intervention PRIFAM. Relation de partenariat et PRIFAM Les théories à la base du PRIFAM se situent en porte à faux avec le paradigme rationnel/catégorisation généralement adopté par les infirmières, car les fondements du programme PRIFAM préconisent un type de relation familles/infirmière axé sur le partenariat, lequel conduit à l’acquisition de nouveaux savoirs basés sur le partage des expériences de vie de chacun. Les partenaires s’interinfluencent au jour le jour dans les activités de la vie quotidienne et de l’intervention, permettant aux familles de s’adapter à leur nouvelle réalité et aux intervenants, d’ajuster leurs interventions en fonction de celles-ci. Les infirmières arrivent dans la relation avec leur expertise disciplinaire et suppléent au manque de connaissances des parents sur les difficultés de l’enfant en mettant à leur disposition leur savoir. Elles interviennent selon les particularités de chaque situation en assistant les parents dans leur décision afin qu’ils puissent développer leurs propres ressources et instaurer 61 Recherche en soins infirmiers N° 69 - juin 2002 les changements nécessaires. Elles évaluent les besoins de concert avec les parents, les orientent, valident leurs perceptions et les habilitent à utiliser leur répertoire de compétences et leurs ressources afin de mettre en place les solutions qui leur paraissent les plus adéquates. Elles gèrent avec les parents la démarche qui leur permettra de produire les changements souhaités et de transformer leur expérience pour la rendre positive. Elles s’appliquent à faire circuler l’information entre les parents afin qu’ils puissent contribuer activement à la formulation et à l’atteinte de leurs objectifs. Elles activent les ressources des parents afin qu’ils puissent développer de nouveaux savoirs qui les aideront à résoudre les problèmes liés à la situation et à devenir autonome dans la gestion de la vie avec cet enfant. Sans le développement des habiletés de collaboration, cette démarche constructive est impossible. Il s’agit de l’écoute réelle de l’autre, de l’ouverture à l’autre, de l’engagement personnel dans la relation, du dévoilement des intentions de chacun, du respect mutuel des choix et des compétences de chacun permettant l’émergence de la créativité dans l’action. La relation familles/infirmières est basée sur la confiance et l’égalité et se vit dans la réciprocité. Il est clair que les paradigmes éducatifs et infirmiers auxquels se lient les conduites des infirmières laissent apparaître des modes précis d’interaction avec les familles. En accord avec St-Arnaud (1995) chaque personne qui évolue dans un contexte professionnel structure la relation qu’elle établit avec son interlocuteur. La structure de la relation est définie en fonction du degré de contrôle qui est exercé sur l’interlocuteur et du degré de compétence qui lui est reconnu. Plus la personne considère l’interlocuteur comme étant incompétent par rapport à l’objet de sa pratique, plus il tente de la contrôler et de contrôler la relation. Lorsque le contrôle exercé sur la relation est minimal, il s’agit alors d’un contrôle bilatéral. Dans le cadre de l’intervention PRIFAM, l’infirmière reconnaît la compétence des parents mais assume au début le contrôle du processus relationnel. Par la suite, au fur et à mesure que les parents s’approprient leur compétence, le contrôle de la relation devient bilatéral. L’un des objectifs de l’infirmière est l’autonomie de la personne et l’établissement d’une collaboration avec les familles. Le PRIFAM véhicule des valeurs et des croyances qui soutiennent l’intervention auprès des familles lors de leur adaptation à l’enfant ayant une déficience et fait évoluer les parents et les infirmières d’un paradigme à l’autre. CONCLUSION Le PRIFAM donne l’occasion aux infirmières et aux familles de développer leur capacité réflexive au sujet de la vie au quotidien avec l’enfant. Pour les infirmières, il offre l’opportunité de réfléchir sur leur pratique et de constater leur évolution professionnelle et personnelle. Dans le cadre de l’étude rétrospective des apprentissages, les infirmières évoluent rapidement vers une relation de collaboration. En effet, en donnant de plus en plus le contrôle de la situation aux parents qui sont perçus compétents, les infirmières leur donnent du pouvoir sur les solutions à adopter afin de favoriser leur appropriation des compétences nécessaires à leur autonomie et à l’adaptation à la situation avec leur enfant atteint de trisomie 21. Cela fait en sorte que la responsbilité de trouver les solutions aux problèmes est partagée entre l’infirmière et les parents. Les apprentissages réalisés par les infirmières et les parents sont directement tributaires de la philosophie et des principes à la base du PRIFAM et des conditions mises en place dans l’intervention PRIFAM. RÉFÉRENCES Artaud, G. (1989). L’intervention éducative. Ottawa : Les Presses de l’Université d’Ottawa. Bateson, G. (1979). Mind and nature. New York : E.P. Dutton. Bertalanffy, L.V. (1968). General system theory : foundations, development, applications. N.Y. : Braziller (Traduction : Théorie générale des systèmes. Paris : Dunod). 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Ce soutien les amène à reconnaître et exprimer leurs craintes et leurs émotions et celles de leur conjoint, à les rassurer face aux soins à donner à l’enfant et à mieux connaître les ressources disponibles. Les résultats de l’étude montrent qu’il y a des écarts significatifs selon le sexe du parent, le diagnostic de l’enfant et le niveau de revenus. Les mères d’enfant ayant une trisomie 21 sont plus satisfaites de l’intervention au plan émotionnel que les pères; les familles à faibles revenus sont plus satisfaites de l’intervention que les familles de revenus moyens et supérieurs en regard de tous les sous-systèmes familiaux et les parents d’enfants ayant une fissure labiale et/ou palatine sont plus satisfaits de l’intervention au plan parental que les parents dont l’enfant a une trisomie 21. Ces résultats soulèvent plusieurs questions qu’une réflexion plus approfondie sur l’adéquation des programmes d’intervention précoce auprès de parents d’enfant ayant une déficience ne saurait ignorer. Soulignons les qualités heuristiques de l’approche évaluative utilisée de même que la pertinence du questionnaire développé pour évaluer la satisfaction des familles. Ce questionnaire pourrait éventuellement être appliqué, après adaptation, à d’autres clientèles. The aim of this study is to estimate parents’ satisfaction following a surgical procedure on their child. This includes support as well as additional information and documentation for the individual parent (cognitive and emotional), conjugal, parental and other family members. The majority of parents are satisfied with the treatment program, realizing that the treatment enables them to adapt to their new situation, that is, as parents of a newborn child suffering from health problems. This support allows them to recognize and talk about their owns fears and emotions as well as those of their partner, to be reassured when facing their child’s treatment, and to better understand the available resources. The results of the study show that there are significant differences in regards to the sex of the parent, the diagnosis of the child and the level of income. Mothers of children inflicted with Down’s syndrome are more emotionally satisfied with the treatment than fathers, and lower income families are more satisfied with the treatment as well as with the sub-system of family health-care than middle and upper-income families. Parents of children with a labial and/or palatine cleft are more satisfied with the treatment in regards to the family plan than parents of children with Down’s syndrome. These results raise several questions that, with more profound deliberation on the adequacy of early medical procedures with regards to the parents of children with health problems, shall not be overlooked. Let us highlight the heuristic qualities of this evaluative approach which possess the same relevance as the questionnaires developed in order to assess the families’ satisfaction. After modifications, these questionnaires could eventually be used on different clientele as well. Mots-clés : questionnaire de satisfaction, programme d’intervention familiale, soins infirmiers, méthode quantitative. Key-words : Questionnaire of satisfaction, family surgical procedure agenda, nursing care, quantitative method. 1. Équipe Interdisciplinaire sur la Familiale (ERIFAM), Faculté des sciences infirmières, Université de Montréal 2. Centre de Recherche Interdisciplinaire du Montréal Métropolitain (CRIR) 3. Faculté des sciences infirmières, Université de Montréal 65 Recherche en soins infirmiers N° 69 - juin 2002 PROBLÉMATIQUE DESCRIPTION DU PROGRAMME D’INTERVENTION, PRIFAM Les perceptions des utilisateurs de services sont reconnues comme des données de première main en vue d’améliorer les soins de santé (Shaffer, Vaughn, Kenner, Donohue, & Longo, 2000). Peu d’études se sont intéressées à la satisfaction des familles d’enfant ayant une déficience à l’égard des services médicaux et de santé. Les quelques études recensées traitent de l’importance d’une approche centrée sur la famille, d’associer les parents dans les décisions concernant les soins à l’enfant ayant une déficience et de bien les informer à propos de la déficience de l’enfant et de son traitement (Jefferey & Boorman, 2001 ; Van Riper, 2001). Or, à notre connaissance, aucune étude n’a mesuré spécifiquement la satisfaction des familles d’enfant ayant une déficience à l’égard d’un type d’intervention comme celui proposé par le programme d’intervention familiale précoce, le PRIFAM. Dans un souci d’améliorer l’approche d’intervention, l’examen de la satisfaction de ces familles s’est imposé. Cette étude s’inscrit dans la volonté d’associer les familles à l’évaluation des services qui leur sont offerts, comme ceux proposés par le PRIFAM. Elle constitue un volet d’un projet de recherche portant sur l’évaluation des effets du programme d’intervention sur l’adaptation de familles d’enfant ayant une trisomie 21 et celles d’enfant ayant une fissure labiale et/ou palatine (Pelchat, Ricard & Lefebvre, 2001). Dans le cadre des activités évaluatives du projet, un questionnaire fut administré aux parents, à la fin de l’intervention, soit 6 mois après la naissance de l’enfant, afin de vérifier leur satisfaction vis-à-vis du programme d’intervention. Cet article présente l’appréciation générale des familles ayant reçu le programme PRIFAM, à propos de l’intervention au plan familial, individuel, conjugal, parental et extra-familial et à l’égard des documents leur ayant été remis. Il offre d’abord un profil descriptif des réponses des parents aux différents énoncés du questionnaire de satisfaction suivi de leurs commentaires. Ces derniers aideront à interpréter les résultats et à mettre en contexte leur expérience. Les résultats d’une série d’analyse sont en dernier lieu présentés, lesquels visent à déterminer l’effet du sexe du parent, du niveau de revenu familial et du diagnostic de l’enfant sur les différentes sous-échelles de satisfaction face à l’intervention. Le PRIFAM a été conçu, dans le cadre d’une recherche qualitative, avec la collaboration de cinq couples de parents d’un enfant ayant une déficience physique. Le PRIFAM s’écarte des modèles traditionnels biomédicaux fondés uniquement sur l’expertise de l’intervenant (Pelchat & Berthiaume, 1996). Son approche s’inscrit dans le courant de l’éducation pour la santé (SandrineBerthon, 2000 ; Bury, 1988). Ce courant reconnaît que l’efficacité de l’intervention professionnelle est étroitement liée au degré de collaboration qui s’établit entre les partenaires (Pourtois & Desmet, 1999 ; St-Arnaud, 2001). Dans l’établissement d’un partenariat infirmières-familles, le PRIFAM vise l’autonomie de la famille, la valorisation et l’actualisation de ses propres ressources et de celles de l’environnement, de même que l’appropriation de compétences utiles à son adaptation et à sa transformation dans la prise en charge de l’enfant (Pelchat, Lefebvre, 2001). Le programme s’inspire de diverses théories et approches, soit la théorie psychodynamique de la crise dans un contexte de deuil (Lindemann, 1944 ; Caplan, 1964), la théorie du stress et de l’adaptation (Lazarus, Averill, & Opton, 1974), la théorie du stress familial (Boss, 1988), l’approche systémique et les trois principes fondamentaux d’entrevue familiale : la formulation d’hypothèses, la neutralité et la circularité (SelviniPalazzoli, Boscolo, Cecchin, & Prata, 1980), l’interdisciplinarité (Rosenkoetter & Stayton, 1997) de même que le partenariat (Bouchard, 1999 ; St-Arnaud, 2001). L’originalité du PRIFAM tient à son application dès la naissance de l’enfant, à l’engagement des deux parents, au souci de répondre aux besoins de chaque membre de la famille, à l’importance accordée aux compétences de chacun dans une approche de partenariat familles-infirmières (Pelchat, 1989). Le programme favorise, dans la relation infirmière-parents, la transmission et la quête d’informations par les familles ellesmêmes et reconnaît le rôle essentiel de l’information au niveau de l’adaptation dans les transitions majeures (Hamburg & Adams, 1967). Il s’appuie sur des valeurs qui témoignent de l’influence réciproque des participants et favorise le partage de leurs connaissances, de leurs expériences et de leur être (Michaud, 2000). L’intervention, dans le cadre du PRIFAM, établit un dialogue (multilogue) intersubjectif entre l’infirmière et la famille dans le but d’aider la famille à s’adapter à la 66 Recherche en soins infirmiers N° 69 - juin 2002 SATISFACTION DE PARENTS À LA NAISSANCE D’UN ENFANT AYANT UNE DÉFICIENCE LORS D’UNE INTERVENTION FAMILIALE transition situationnelle. Les infirmières participantes au PRIFAM ont reçu une formation comportant un volet théorique et un volet pratique. Le volet théorique consiste en une formation intensive portant sur les théories du PRIFAM, les principes de l’interdisciplinarité et de l’intervention familiale systémique auprès des familles vivant une situation de stress ainsi que sur les principes d’autodétermination et d’appropriation par la famille de compétences dans la prise en charge d’un enfant ayant une déficience (Dunst, Trivette, & Deal, 1998). Le volet pratique comprend l’application du PRIFAM par les infirmières auprès des familles et leur suivi lors des rencontres de groupe rétroactives. Ces rencontres visent à susciter l’introspection des infirmières et la réflexion en groupe sur leur pratique, leurs valeurs et leurs attitudes, croyances et préjugés concernant la famille et la déficience de l’enfant. l’enfant. Le nombre de rencontres est déterminé en fonction des besoins des parents. Au cours de l’intervention, l’infirmière explore les facteurs influençant la perception de la situation par les parents. Elle renforce les croyances facilitant la vie avec l’enfant et questionne les croyances contraignantes. Elle encourage le parent à exprimer ses émotions et à interagir avec le nouveau-né. Pour y arriver, elle accorde son rythme à celui des parents et privilégie certaines interventions : normalisation de l’expérience des parents, valorisation de leurs habiletés adaptatives, appropriation de leurs propres sentiments de compétence, soutien mutuel des conjoints, recours au soutien de la famille élargie et utilisation des ressources alternatives. Les objectifs d’intervention du PRIFAM sont axés sur les quatre sous-systèmes de la famille : individuel, conjugal, parental et extrafamilial (tableau I). DESCRIPTION DE L’APPLICATION DU PRIFAM L’intervention consiste en une série de six à huit rencontres de l’infirmière avec la famille. Deux à trois de ces rencontres sont effectuées à l’hôpital, la première ayant lieu quelques heures après la naissance de l’enfant et les autres, selon les besoins des parents. L’infirmière accompagne le médecin au moment de l’annonce aux parents de la déficience de l’enfant ou rencontre les parents immédiatement après l’annonce. Par la suite, quatre à six rencontres ont lieu au domicile familial durant les six premiers mois de la vie de Sous-systèmes Individuel Au fil des rencontres et selon les besoins des parents, des documents écrits leur sont remis. Tous les parents reçoivent un document intitulé ¨Accueil de notre nouveau-né ayant un problème de santé¨. Ce document présente les différents systèmes d’adaptation familiale et vise à permettre aux parents de reconnaître leurs différentes émotions. Il a pour but de leur permettre de s’identifier à d’autres parents ayant vécu une situation difficile, de favoriser la ¨normalisation¨ de leurs réactions et de les aider à sortir de l’isolement. Un autre document intitulé ¨Stimulation et développement de l’enfant¨ vient outiller les parents en leur fournissant des méthodes de stimulation de l’enfant. D’autres documents sont remis exclusivement aux Objectifs spécifiques • Émotionnel : aider les parents à progresser dans le processus de deuil de l’enfant désiré « parfait ». • Cognitif : favoriser chez chacun des parents une compréhension réaliste de la situation par l’identification des perceptions et des croyances relatives à la situation : ébranler celles qui nuisent et renforcer celles qui favorisent l’adaptation. Conjugal • Aider les conjoints à mieux comprendre l’expérience de l’autre et à se soutenir mutuellement dans le processus de deuil de l’enfant désiré « parfait ». Parental • Favoriser une relation de confiance entre les parents et l’enfant et l’évolution positive du processus d’attachement. Extrafamilial • Aider les parents à conserver des relations significatives avec l’entourage et à utiliser le plus efficacement possible les ressources du milieu et l’aide des professionnels de la santé Tableau 1. Objectifs spécifiques du PRIFAM (Pelchat, 1989). 67 Recherche en soins infirmiers N° 69 - juin 2002 familles dont l’enfant a une fissure labiale et/ou palatine. L’un d’eux illustre, à l’aide d’une plaquette, les différents degrés de fissures avant et après l’opération. Un autre vise à favoriser une compréhension de la déficience de l’enfant et des soins à lui donner. Un document du même type est remis aux familles dont l’enfant a une trisomie 21. MÉTHODOLOGIE La recherche quasi-expérimentale dont est issue la présente étude avait pour but d’évaluer l’efficacité du PRIFAM à favoriser l’adaptation des familles d’enfant ayant une déficience. Il vise à évaluer les variations quant aux effets de l’intervention sur l’adaptation familiale selon le temps de mesure, le type de déficience de l’enfant et le sexe du parent. Deux groupes de parents ont participé à la recherche, soit un groupe expérimental formé de 47 couples de parents ayant bénéficié du programme d’intervention et un groupe de comparaison, formé de 53 couples de parents (Pelchat, Bisson, Ricard, Perreault, & Bouchard, 1999). Deux types de déficience sont retenus, la trisomie 21 et la fissure labiale et/ou palatine. Ces déficiences présentent des caractéristiques distinctes et risquent d’affecter différemment l’adaptation des familles. Au Québec, la fissure labiale palatine affecte un enfant par 1000 naissances et la trisomie 21, environ un enfant par 800 naissances (Laframboise, 1996 ; Rogers & Roizen, 1991). La fissure labiale et/palatine est une déficience physique, apparente à la naissance, qui se corrige par chirurgie, bien que des problèmes de langage, de dentition et d’audition puissent se manifester au cours du développement de l’enfant (Speltz, Greenberg, Endriga, & Glabreath, 1994). Ces enfants présentent à la naissance des problèmes d’alimentation d’importance variable selon le type de fissure. Une première chirurgie correctrice a lieu à trois mois de vie de l’enfant pour la fissure labiale et une seconde, à 12 mois pour la fissure palatine. Quant à la trisomie 21, elle implique une déficience motrice et intellectuelle dont le diagnostic est généralement établi à la naissance. Ces enfants présentent un tonus musculaire diminué qui interfère avec la capacité de succion, la motricité fine, globale et l’élocution. La prise de conscience par les parents des différences entre leur enfant et les enfants sans atteinte est de plus en plus prononcée à mesure que l’enfant avance en âge (Pelchat, et al., 1999). ECHANTILLON Le questionnaire de satisfaction fut remis à chacun des parents lors de la dernière rencontre du programme d’intervention, soit 6 mois après la naissance de l’enfant. Il fut recueilli la semaine suivante. Sur les 94 parents de l’étude longitudinale, 76 ont répondu au questionnaire pour un taux de réponse de 80 %. L’échantillon compte 36 familles biparentales (n = 72), 3 familles dont un des conjoints n’a pas répondu et 1 famille monoparentale. Les répondants sont répartis de façon équivalente selon le sexe du parent et le diagnostic de l’enfant. L’échantillon est composé de vingt (20) mères et dix-neuf (19) pères d’enfant ayant une trisomie 21 et dix neuf (19) mères et dix-huit (18) pères d’enfant ayant une fissure labiale ou palatine. Un peu moins de la moitié des parents, soit 45,7 %, sont âgés de 35 ans et plus. Un peu plus de la moitié, soit 53 %, détiennent onze années de scolarité ou moins et 47 % ont fréquenté le CEGEP, l’ont complété ou détiennent une formation de niveau universitaire. Le tiers des répondants (n = 23) disposent d’un revenu inférieur à $30,000. Les autres (n = 53) ont un revenu moyen à supérieur. DESCRIPTION DU QUESTIONNAIRE DE SATISFACTION Le questionnaire fut développé en s’appuyant sur les objectifs d’intervention proposés par le PRIFAM et comprend les sous-échelles suivantes : 1) individuelleémotionnelle (e.g. dans quelle mesure les rencontres ont-elles permis de mieux comprendre vos façons personnelles de réagir dans une situation difficile ?), 2) individuelle-cognitive (e.g. dans quelle mesure les rencontres vous ont aidés à mieux comprendre la situation difficile que vous avez vécue ?), 3) conjugale (e.g. dans quelle mesure les rencontres ont-elles favorisé le dialogue, l’expression de vos pensées, de vos émotions avec votre conjoint-e ?), 4) parentale (e.g. dans quelle mesure les rencontres vous ont aidé à reconnaître les capacités de votre bébé ?), et 5) extra-familiale (e.g. dans quelle mesure les rencontres vous ont permis d’exprimer vos craintes face aux réactions de l’entourage ?). A cela s’ajoute une sixième sous-échelle visant à mesurer la satisfaction à l’égard des documents écrits remis aux parents dans le cadre de l’intervention (e.g. dans quelle mesure le document ¨Accueil de votre nouveau-né¨ vous a permis de mettre en mots des émotions que vous viviez ?). Les parents sont également invités à formuler leurs commentaires à chacune des questions. Ceux-ci servent à justifier leurs réponses au questionnaire. 68 Recherche en soins infirmiers N° 69 - juin 2002 SATISFACTION DE PARENTS À LA NAISSANCE D’UN ENFANT AYANT UNE DÉFICIENCE LORS D’UNE INTERVENTION FAMILIALE Chacune des sous échelles comprend de 5 à 6 énoncés de type Likert, codés de 1 à 4 (« beaucoup », « passablement », « un peu », « pas du tout »). Au total, le questionnaire comporte 41 questions pour les parents d’un enfant ayant une trisomie 21 et 42, pour les parents d’un enfant ayant une fissure labiale et/ou palatine (*une question est ajoutée pour ces familles traitant de différents types de fissures). Le questionnaire fut développé et une validation de son contenu fut effectuée, après avoir discuté de sa formulation et de sa pertinence théorique, par deux infirmières-cliniciennes oeuvrant auprès de familles d’un enfant ayant une déficience et ayant une bonne connaissance du programme d’intervention. Le questionnaire fut modifié pour être ensuite soumis à 5 couples de parents en vue de vérifier leur compréhension. Il fut par la suite administré aux parents du projet de recherche. Les données sont saisies, puis analysées à l’aide du logiciel SPSS. À cette étape, une analyse de facteurs confirme globalement la structure attendue, celle où les énoncés se regroupent autour des cinq sous-échelles faisant appel aux sous-systèmes familiaux. Des analyses de consistance interne montrent la fiabilité de ces cinq sous-échelles. Tous les coefficients alpha de Cronbach sont au-dessus de 0.80, ce qui justifie l’utilisation de la moyenne des items comme score global pour chacun des plans familiaux. Une analyse de facteurs a été effectuée sur la sixième sous échelle mesurant la satisfaction des parents à l’égard des documents écrits. L’analyse confirme la validité de ce dernier construit. ANALYSE Des pourcentages et des scores ont été calculés pour chacune des sous-échelles afin d’estimer les taux de satisfaction des parents. Ces calculs sont effectués en utilisant la moyenne des réponses aux énoncés pour chacune d’elle. Des tests fondés sur l’approximation par la loi normale sont réalisés sur les pourcentages afin de vérifier l’hypothèse d’égalité des proportions entre les quatre options de réponses regroupées selon que les parents sont satisfaits (1 = beaucoup, 2 = passablement) ou insatisfaits (3 = un peu, 4 = pas du tout). Ce regroupement entre parents « satisfaits » et « insatisfaits » est retenu parce qu’il permet de mieux rendre compte des tendances chez les parents sur le plan de leur satisfaction au PRIFAM. Notons que les scores varient de 1 à 4 ou de 1 à 5 selon le nombre de questions par sous-échelles. Plus le score total est minimal et plus les parents sont satisfaits. Les taux de satisfaction obtenus sont examinés à la lumière des commen- taires ayant été formulés par les parents. Ceux-ci sont synthétisés puis ajoutés aux résultats descriptifs. Des moyennes et des écarts-type ont aussi été calculés et des analyses de variance, effectuées, afin de déterminer l’effet du sexe, du diagnostic de l’enfant et du revenu ainsi que de l’interaction possible entre ces trois facteurs sur les différentes sous-échelles de satisfaction. Il s’agit de facteurs d’intérêt pour les chercheurs compte tenu des expériences cliniques et de recherche de ceux-ci. Les écrits témoignent en effet d’une association entre la perception de la sévérité de la déficience de l’enfant par les parents et l’intensité des difficultés d’adaptation qu’ils vivent (Breslau, Staruch, & Mortimer, 1982 ; Bristol, Gallagher, & Schopler, 1988 ; Pelchat, et al., 1999). Ils confirment également l’existence d’importantes différences entre les pères et les mères en ce qui concerne l’adaptation à l’enfant (Beckman, 1991 ; Bristol et al., 1988, Kazak, 1987 ; Pelchat, et al., 1999) et font voir une association entre les ressources financières et matérielles dont disposent ces familles et des problèmes d’adaptation (Shonkoff, Hauser-Cram, Krauss, & Upshur, 1992 ; Sameroff, Seifer, Barocas, Zax, & Greenspan, 1987 ; Floyd & Saitzyk, 1992). Soulignons que les études qui se sont intéressées aux caractéristiques sociodémographiques (éducation, statut social et revenu), au sexe et à l’âge de l’individu, en lien avec la satisfaction à l’égard des services médicaux, montrent que le statut social et l’éducation sont généralement associés à la satisfaction. Le lien entre le sexe de l’individu et la satisfaction demeure cependant controversé (Hall & Dornan, 1990). RÉSULTATS Les taux de satisfaction des parents à l’égard des quatre sous-systèmes familiaux (individuel émotionnel et cognitif, conjugal, parental et extra-familial) et des documents qui leur ont été remis, sont présentés. Ces résultats sont accompagnés des commentaires formulés par les parents. L’effet du sexe du parent, du niveau de revenu familial et du diagnostic de l’enfant sur différentes sous-échelles de satisfaction face au PRIFAM, sont aussi décrits. 69 Recherche en soins infirmiers N° 69 - juin 2002 PLAN INDIVIDUEL : ÉMOTIONNEL ET COGNITIF Les parents perçoivent positivement les différents aspects du programme sur les quatre sous-systèmes familiaux. C’est au plan individuel-émotionnel (Tableau 2) qu’ils ont le plus bénéficié de l’intervention. Les taux de satisfaction varient entre 65 et 84 % et tous présentent une différence significative. Les parents sont particulièrement satisfaits d’avoir pu exprimer leurs craintes et leurs préoccupations, leurs émotions positives et négatives, d’avoir pu comprendre leur façon personnelle de réagir et de s’être sentis moins seuls. Des parents disent qu’à l’arrivée de l’enfant, ils étaient très inquiets. Ils admettent que l’intervention les a aidés à surmonter leurs craintes. Certains se sentaient incapables de passer au travers de cette situation difficile. D’autres craignaient la mort de leur bébé ou se préoccupaient de sa malformation. Des parents expriment à quel point ils apprécient d’avoir pu verbaliser leurs émotions avec l’infirmière. Ils notent qu’en discutant avec elle, ils ont été amenés à voir que leurs émotions sont normales et légitimes compte tenu de la situation. Ils ont pu en parler sans se culpabiliser et leurs émotions se sont peu à peu dissipées. « Cela m’a aidé à m’exprimer sans me culpabiliser ou toujours se faire dire que ce n’est pas si pire que ça ». Certains parents ressentaient de la culpabilité ou avaient tendance à dramatiser la situation et à se sentir peu en sécurité. Ils reconnaissent l’apport de l’intervention. « La première rencontre m’a permis de dédramatiser les torts que je m’attribuais alors que j’avais pris des médicaments durant ma grossesse ». Le fait de ne pas savoir où ils vont ou à quoi s’attendre dans une telle situation, a posé des difficultés pour d’autres. Certains ajoutent que par l’intervention, ils ont l’impression d’avoir été guidés dans cette situation difficile. « Dans toutes les situaPlan individuel-émotionnel tions difficiles, c’est de ne pas savoir où on s’en va qui fait peur. Mais avec les rencontres, nous avons été guidés. On nous a donné de bons outils et un bon soutien moral ». D’autres parents, moins nombreux, disent ne pas avoir eu besoin d’exprimer leurs émotions auprès de l’infirmière, car ils possédaient déjà les ressources nécessaires. Ceux-ci considèrent qu’elles sont du domaine privé et ne concernent pas l’infirmière. D’autres encore précisent qu’ils éprouvaient, au début, des difficultés à s’exprimer ou ne voulaient pas, à ce moment, parler avec l’infirmière de ce qu’ils ressentaient. « Mes émotions sont personnelles même pour en partager avec l’infirmière ». Les parents sont très satisfaits de l’intervention au plan individuel-cognitif (Tableau 3). Les taux de satisfaction varient entre 71 et 84 % et une différence significative est notée pour 4 de ces taux (1,2,3,6). L’intervention a surtout aidé les parents à mieux comprendre la situation difficile qu’ils vivent et à clarifier l’information reçue des autres. Elle les aide à mieux comprendre le problème de l’enfant et leurs besoins. L’intervention a par contre moins contribué à mieux comprendre la cause de la déficience de l’enfant (57 %) et à corriger des informations erronées reçues à ce sujet (58 %). Les taux de satisfaction sont relativement bas pour ces deux énoncés et ne montrent aucune différence significative. La formulation de ces 2 énoncés a pu prêter à confusion. Par exemple, des parents ont répondu à l’énoncé 4, que l’intervention n’a pas contribué à mieux comprendre la déficience de leur enfant, puisque, dans les faits, la science méconnaît les causes exactes de la déficience dont leur enfant est atteint. « On a beau fouiller dans toutes les informations, on ne sait toujours pas pourquoi notre enfant est comme ça ». D’autres parents témoignent, à l’énoncé 5, du fait que l’intervention n’a pas contribué à corriger des informations erronées parce qu’ils n’ont pas reçu de fausses informations. Moyenne Écart-type % favorable % défavorable P<* 1.Comprendre vos façons personnelles de réagir 1.79 1.04 76.3 23.7 .0001* 2.Exprimer vos préoccupations et craintes 1.47 .92 84.2 15.8 .0001* 3.Exprimer vos émotions négatives 2.00 1.17 64.5 35.5 .0115* 4.Exprimer vos émotions positives 1.78 1.03 77.6 22.4 .0001* 5.Vous sentir moins seul-e 1.76 1.06 75.0 25.0 .0001* Moyenne 1.76 1.04 75.52 24.48 .0100* *valeur-p inférieure ou égale à 0.05 est considérée significative Tableau 2. Satisfaction des parents au plan individuel-émotionnel, n=76 70 Recherche en soins infirmiers N° 69 - juin 2002 SATISFACTION DE PARENTS À LA NAISSANCE D’UN ENFANT AYANT UNE DÉFICIENCE LORS D’UNE INTERVENTION FAMILIALE Plan individuel-émotionnel Moyenne Écart-type % favorable % défavorable P<* 1. Mieux comprendre situation difficile vécue 1.58 .85 84.2 15.8 .0001* 2. Mieux comprendre le problème de l’enfant 1.72 .99 77.6 22.4 .0001* 3. Clarifier l’information reçue des autres 1.71 1.00 78.9 21.1 .0001* 4. Comprendre cause du problème de l’enfant 2.29 1.21 56.6 43.4 .2498 5. Corriger les fausses information sur la cause du problème 2.26 1.32 57.9 42.1 .1684 6. Comprendre ses besoins 1.79 1.06 71.1 28.9 .0002* Moyenne 1.89 1.07 71.05 28.95 .0002* *valeur-p inférieure ou égale à 0.05 est considérée significative Tableau 3. Satisfaction des parents sur le plan individuel-cognitif, n=76 Le besoin d’information est pourtant grand chez les parents comme l’indiquent plusieurs d’entre eux. Par des informations précises, certains sont amenés à démystifier le problème de l’enfant. L’information est déterminante pour comprendre le problème de l’enfant. Des informations claires et objectives, particulièrement durant les premiers mois après la naissance de l’enfant, des références à des ressources et une diversité de services, sont obtenues. « Plutôt au début, parce que l’intervenante est l’une des premières personnes rencontrées. Il est quand même toujours difficile de comprendre ». La plupart des parents accumulent une masse d’informations de sources diverses (e.g. médecin, infirmière en milieu hospitalier, travailleuse sociale). Il leur faut trier cette information et l’infirmière les guide dans ce tri. Elle aide des parents à aller plus en profondeur sur certaines questions qui les préoccupent. Plan parental PLAN CONJUGAL La contribution de l’intervention à l’adaptation au plan conjugal (Tableau 4) est positive pour 2 énoncés. Les taux de satisfaction varient entre 58% et 66% et une différence significative est notée pour 2 de ces taux, soit l’énoncé 1, la contribution de l’intervention à favoriser le dialogue entre conjoints (66%, p =.0059), et l’énoncé 3, la contribution de l’intervention à accepter les sentiments et les émotions du conjoint (65%, p =.0115). Plusieurs parents formulent des commentaires faisant écho à l’impact de l’intervention sur le plan du dialogue dans leur couple. Certains d’entre eux reconnaissent que la naissance d’un enfant ayant une déficience a un impact sur la vie de couple et sont satisfaits de l’intervention sur ce plan. «Dans cette nouvelle vie, on oublie beaucoup le couple. C’est une course perpétuelle, ce Moyenne Écart-type % favorable % défavorable P<* 1.Dialoguer avec conjoint-e 2.11 1.10 65.8 34.2 .0059* 2.Comprendre besoins du conjoint-e 2.20 2.12 57.9 42.1 .1684 3.Accepter sentiments et émotions du conjoint 2.04 1.08 64.5 35.5 .0115* 4.Exprimer vos besoins envers conjoint 2.17 1.18 57.9 42.1 .1184 5.Reconnaître vos forces, habiletés comme conjoint 2.20 1.10 60.5 39.5 .0671 Moyenne 2.14 1.12 61.32 38.68 0.070 *valeur-p inférieure ou égale à 0.05 est considérée significative Tableau 4. Satisfaction des parents sur le plan conjugal, n=76 71 Recherche en soins infirmiers N° 69 - juin 2002 qui fait que nous oublions de communiquer». D’autres affirment que la naissance d’un enfant ayant une déficience peut être source de quiproquos dans le couple ou peut avoir pour effet le repli sur soi. L’intervention permet en quelque sorte de reconnaître la nécessité de communiquer entre conjoints, de comprendre la situation ensemble, par le dialogue. «Il y a beaucoup de malentendus dans le couple et en parlant avec l’intervenante, je pouvais, par la suite, discuter plus ouvertement avec mon conjoint». Certains parents constatent à quel point l’intervention leur permet de parler de leur sentiment à leur conjoint sans que cela ne soit menaçant. Les parents expriment par contre des opinions partagées quant à la contribution de l’intervention pour comprendre les besoins de leur conjoint, leurs besoins mutuels et reconnaître leurs forces de même que leurs habiletés comme conjoints. Les taux de satisfaction varient entre 58 et 61% et ne montrent pas de différence significative sauf pour l’item 5, qui se situe au seuil de signification. Des parents moins satisfaits de l’intervention, disent qu’ils avaient déjà une excellente connaissance de leurs besoins mutuels et n’avaient pas besoin du soutien de l’infirmière sur ce plan. D’autres indiquent que, sans les rencontres avec l’infirmière, les choses se seraient probablement passées de la même manière sur le plan de l’expression de leurs besoins dans le couple. D’autres disent connaître, bien avant l’intervention, leurs forces et leurs habiletés comme conjoints. PLAN PARENTAL Au plan parental, l’intervention a particulièrement contribué à permettre (Tableau 5) l’expression des Plan parental parents de leurs craintes face aux soins à donner à l’enfant (70 %, p =.0006). Plusieurs d’entre eux reconnaissent qu’ils sont craintifs sur ce plan. Avec le recul, certains pensent qu’un parent d’enfant ayant une déficience a particulièrement besoin d’être rassuré, car il a toujours l’impression de ne pas en faire suffisamment. De nouveaux parents étaient craintifs au moment d’alimenter leur nouveau-né avec de la nourriture solide ou craignaient qu’il ne s’étouffe avec ses sécrétions. « Lorsqu’il s’étouffait avec ses sécrétions au début ». L’infirmière les sécurise. Certains pensent que ces craintes sont légitimes et sont exacerbées du fait de la déficience de l’enfant et qu’il s’agit du premier enfant. « Dès que c’est un premier enfant, on ne sait pas trop quoi faire, surtout avec un comme ça ». Des parents apprécient avoir pu exprimer leurs craintes, surtout lors des premières rencontres avec l’infirmière ou encore, au moment où des décisions importantes sont prises, comme lorsque l’enfant a dû subir une opération. Ils trouvent important d’être rassurés à propos de ce qu’ils font, d’être compris, encouragés et amenés à se faire confiance. Certains ajoutent qu’ils ont besoin de parler de ce qu’ils font avec l’enfant et de se faire dire que c’est bien. « J’ai été satisfait par l’intervention, par le réconfort que j’ai senti, en parlant de ce je faisais puis que je savais que c’était correct ». Les parents reconnaissent moins la contribution de l’intervention à connaître le tempérament de l’enfant (énoncé 2), à comprendre ses besoins (énoncé 3) et ses capacités (énoncé 1), à reconnaître l’importance de leur rôle comme parents (énoncé 5) de même que leurs forces et habiletés comme parents (énoncé 6). Les taux de satisfaction varient entre 40 à 60 % et ne présentent aucune différence significative. Certains parents reconnaissent les capacités de leur enfant grâce à l’éducatrice, l’ostéopathe, la physiothérapeute ou l’ergothéra- Moyenne Écart-type % favorable % défavorable P<* 1. Connaître les capacités du bébé 2.08 1.22 59.2 40.8 .1087 2. Connaître le tempérament du bébé 2.68 1.18 39.5 60.5 .0725 3. Connaître et comprendre les besoins de l’enfant 2.22 1.13 52.6 47.4 .6503 4. Exprimer vos craintes face aux soins à donner à l’enfant 1.99 1.13 69.7 30.3 .0006* 5. Connaître l’importance de votre rôle parental 2.33 1.25 56.6 43.4 .2490 6. Connaître vos forces et habiletés comme parent 2.25 1.11 57.9 42.1 .1684 1.17 55.92 44.08 .2400 Moyenne 2.26 *valeur-p inférieure ou égale à 0.05 est considérée significative Tableau 5. Satisfaction des parents au plan parental, n=76 72 Recherche en soins infirmiers N° 69 - juin 2002 SATISFACTION DE PARENTS À LA NAISSANCE D’UN ENFANT AYANT UNE DÉFICIENCE LORS D’UNE INTERVENTION FAMILIALE peute. D’autres précisent que c’est en vivant au quotidien avec l’enfant, qu’ils sont en mesure de reconnaître ses capacités et de comprendre ses besoins. « Les besoins de l’enfant, on les voit au jour le jour ». Certains parents étaient déjà sensibilisés à leur rôle de parents lors de la naissance de celui ayant une déficience. Un taux de satisfaction relativement bas est obtenu à l’énoncé 2, la contribution de l’intervention à connaître le tempérament de l’enfant (39.5 %, p =.0725). Cet énoncé n’était peut-être pas approprié compte-tenu de l’âge de l’enfant au moment de l’intervention. En effet, certains parents disent qu’au moment de l’entrevue, ils n’avaient pas encore découvert le tempérament de leur enfant étant donné son jeune âge. « Il est trop jeune, il agit comme un enfant normal ». Il apparaît que le temps a un rôle à jouer à cet égard. peute, orthophoniste, éducateur), établissements spécialisés (p. ex. La Maisonnée, Le Relais) et l’aide gouvernementale disponible (p. ex. Info-Santé, CLSC). Les opinions sont cependant partagées en regard des autres énoncés (énoncés 1,2,3,4). Il semble, en fait, que des parents n’avaient pas vraiment de craintes face aux réactions de l’entourage et se sentaient relativement à l’aise avec ces réactions, qu’ils n’ont pas de besoins d’aide et de soutien particulier face à l’entourage. Certains parents notent que, pour eux, la déficience de l’enfant ne représente pas une situation difficile. D’autres indiquent qu’ils ne se sentent pas mal à l’aise face à l’entourage et n’ont pas de difficultés à exprimer leurs besoins. « Lorsque j’ai eu besoin d’aide, j’en ai demandé, mais je ne crois pas que c’est l’intervention qui a fait que j’ai demandé de l’aide ». « Ce n’était pas une priorité, mais lorsqu’on rencontrait une difficulté, on pouvait demander ». D’autres encore précisent que, quelles que soient les circonstances, ils ont tendance à faire appel à leur entourage immédiat. PLAN EXTRA-FAMILIAL Les taux de satisfaction des parents au plan extra-familial sont variables (Tableau 6). Ils varient de 44 à 74 %. Une différence significative est notée pour 2 de ces taux. Les parents apprécient que l’intervention les ait amenés à évaluer l’utilité des ressources disponibles (74 %, p =.0001) et à connaître ces ressources (69 %, p =.0080). Certains disent qu’ils ont été amenés à côtoyer une diversité de ressources, à connaître diverses associations de parents d’enfant ayant une déficience, des cliniques des centres hospitaliers (p. ex. Clinique de l’Hôpital Ste-Justine, de l’Hôpital Montréal pour enfants), différents spécialistes (p. ex. physiothéraPlan extra-familial SATISFACTION À L’ÉGARD DES DOCUMENTS ÉCRITS Dans une forte proportion, les parents apprécient de recevoir une information écrite (Tableau 7). Les taux de satisfaction varient de 61 à 85% et une différence significative est notée pour 4 des 6 énoncés. Le nombre de répondants varie cependant d’un document à l’autre, passant de 36 à 67 répondants. Des parents n’ont pas répondu à certains énoncés, car ils n’avaient pas lu un ou plusieurs de ces documents ou ne les ont pas reçus. Moyenne Écart-type % favorable % défavorable P<* 1.Exprimer craintes vs réactions de l’entourage 2.32 1.21 52.0 48.0 .7290 2.Vous sentir à l’aise vs réaction de l’entourage 2.41 1.20 53.3 46.7 .5760 3.Identifier vos besoins de la part de l’entourage 2.65 1.20 44.0 56.0 .2987 4.Exprimer vos besoins d’aide et de soutien 2.67 1.09 44.0 56.0 .2987 5.Connaître les ressources d’aide 1.81 1.07 69.3 30.7 .0080* 6.Évaluation de l’utilité des ressources 1.91 1.05 73.3 26.7 .0001* Moyenne 2.30 1.14 55.98 44.0 .4000 *valeur-p inférieure ou égale à 0.05 est considérée significative Tableau 6. Satisfaction des parents au plan extra-familial, n=75 73 Recherche en soins infirmiers N° 69 - juin 2002 Documents n Moyenne Écart-type % favorable % défavorable P<* 1. Utilité de la plaquette sur types de fissure 33 1.15 .36 84.8 15.2 .0001* 2. Impact document sur conceptualisation des émotions 63 1.35 .48 65.1 34.9 .0165* 3. Impact document sur échanges conjugaux 59 1.39 .49 61.0 39.0 .0911 4. Impact document sur compréhension problème enfant 67 1.15 .36 85.1 14.9 .0001* 5. Impact document sur soins aux enfants 66 1.38 .49 62.1 37.9 .0492* 6. Utilité du document sur la stimulation et développement de l’enfant 57 142 .50 57.9 42.1 .2329 1.31 .45 69.3 30.6 . Moyenne 58 *valeur-p inférieure ou égale à 0.05 est considérée significative Tableau 7. Satisfaction des parents à l’égard des documents reçus. Les parents satisfaits du document portant sur la fissure labiale et/ou palatine, affirment que les informations sont claires et suffisantes. Certains se sont référés à ce document dès le retour de leur enfant à la maison pour savoir comment le faire boire. « Surtout la première nuit du retour à la maison, je m’y suis référé concernant le biberon ». Certains pensent que ce document devrait être disponible dans les hôpitaux. Des parents apprécient également le document portant sur l’accueil du nourrisson, lequel permet de confirmer ce qu’ils ressentent déjà. « Le rêve d’un bébé parfait éclaté… c’est ce que je ressentais ». D’autres sont satisfaits du document traitant de la stimulation et du développement de l’enfant. Celui-ci est utile pour connaître quelques trucs pratiques avant de rencontrer un spécialiste (e.g. éducatrice, pédiatre, physiothérapeute). Des parents insatisfaits indiquent qu’ils n’ont pas lu ce document, car ils n’en ressentaient pas le besoin. Certains parents indiquent qu’ils ont eu recours aux documents de façon progressive. « Sur le coup, au début, on les dévore sans comprendre, mais à mesure que le bébé grandit, on les relit et relit et on comprend mieux. On est dans le sujet. On vit la situation ». Concrètement, les documents aident à trouver des réponses aux questions qu’ils se posent graduellement. « À comprendre ce qui se passait autour de moi. La plupart des questions qu’on s’est posé, il y avait la réponse à l’intérieur et cela nous a aidés. Avoir les vraies informations concernant le problème de mon enfant, c’est très important ». Chez les parents qui ont peu recours aux documents, c’est plutôt l’infirmière qui a été utile pour obtenir de l’information. EFFET DU SEXE, DU REVENU ET DU DIAGNOSTIC SUR LES NIVEAUX DE SATISFACTION. La satisfaction des parents varie d’un plan à l’autre selon le diagnostic de l’enfant, le sexe du parent et le niveau de revenu. Les écarts les plus significatifs se situent au niveau des pères d’enfants ayant une trisomie 21. En effet, les mères d’enfant ayant une trisomie 21 (valeur-p = 0.0415) et les parents d’enfant ayant une fissure labiale et/ou palatine (moyenne = 1.5) sont davantage satisfaits de l’aide reçue au plan émotionnel (moyenne = 1.7) que les pères d’enfant ayant une trisomie 21 (moyenne = 2.4). Le revenu (moins de 30 000$ vs 30 000$ et plus) a un effet significatif sur la satisfaction au plan individuelcognitif (p = 0.0005), conjugal (p = 0.0082), parental (p = 0.0068) et extra-familial (p = 0.0008). Les parents ayant des revenus inférieurs sont significativement plus satisfaits de l’intervention que les parents qui ont des revenus moyens ou supérieurs, au plan individuel- 74 Recherche en soins infirmiers N° 69 - juin 2002 SATISFACTION DE PARENTS À LA NAISSANCE D’UN ENFANT AYANT UNE DÉFICIENCE LORS D’UNE INTERVENTION FAMILIALE cognitif et extra-familial. L’examen des scores moyens montre que les parents de faible revenu témoignent d’une très grande satisfaction sur ces plans, alors que les parents de revenu moyen ou supérieur ne démontrent pas une aussi grande satisfaction, bien que celleci demeure positive. Au plan conjugal, un écart significatif apparaît seulement entre les parents de faible revenu (moyenne = 3.3) et ceux de revenu supérieur (moyenne = 2.6). Les premiers ont bénéficié davantage de l’aide reçue sur ce plan, tandis que les seconds semblent avoir plus ou moins bénéficié de l’aide. Figure 1. Effet du sexe sur la satisfaction aux différents sous-systèmes familiaux 4 3.5 2 2.5 2 1.5 1 0.5 0 Pères Mères Trisomie Fissure DISCUSSION L’étude a montré une différence significative entre les moyennes des pourcentages (favorables et défavorables) pour les plans individuel-émotionnel et cognitif. Les parents ont été particulièrement satisfaits de l’intervention à ces plans. Quant aux autres plans de l’intervention, plus de la moitié des parents ont été satisfaits de l’intervention, malgré le fait que les différences ne soient pas significatives. Pour 3 énoncés du questionnaire cependant, les taux de satisfaction ont été relativement bas, en plus du fait de ne montrer aucune différence significative. Il semble que les libellés de ces énoncés (contribution de l’intervention à connaître la cause de la déficience, à corriger certaines informations erronées reçues des autres et à mieux comprendre le tempérament de l’enfant) n’étaient pas appropriés du point de vue des parents. Certains d’entre eux ont noté que la science méconnaît la cause de la déficience dont souffre leur enfant. D’autres précisent qu’ils n’ont pas reçu de fausses informations venant des autres et enfin, certains disent que leur enfant est trop jeune, au moment de l’intervention, pour être en mesure de cerner son tempérament. Il appert que les libellés de ces énoncés placent les parents dans l’impossibilité de répondre par l’affirmative. Notons que les taux de satisfaction moins élevés obtenus à certains autres énoncés peuvent être expliqués du fait que des parents n’avaient pas certains besoins auxquels l’intervention devait répondre (e.g. identifier ses besoins de la part de l’entourage). Or, le questionnaire était fondé sur une présomption, selon laquelle les parents avaient des besoins pour l’ensemble des sous-systèmes familiaux. Une version modifiée du questionnaire devrait vérifier d’abord si le besoin est présent chez les parents. Cela devrait permettre d’exclure les individus qui n’ont pas certains besoins, plutôt que de les considérer comme « insatisfaits ». Figure 2. Effet du revenu sur la satisfaction aux différents sous-systèmes familiaux 4.0 3.5 3.0 2.5 2.0 1.5 1.0 0.5 0.0 ind.-cognitif ind.emotionnel Rev. inférieur conjugal Rev. Moyen parental extra-familial Rev. Supérieur Une différence significative est aussi remarquée au plan parental (p = 0.0179) selon le diagnostic des parents. Les scores de satisfaction des parents d’enfant avec fissure labiale et/ou palatine sont moins élevés (moyenne = 2.1) que ceux des parents d’enfants ayant une trisomie 21 (moyenne = 2.4). Les premiers semblent avoir davantage bénéficié de l’aide que les seconds. L’étude montre, en définitive, que là où il y avait des besoins, les parents sont satisfaits. De façon précise, l’intervention a particulièrement contribué à mieux comprendre la situation difficile vécue par les parents de même que le problème de l’enfant et à clarifier l’information reçue des autres. Elle a aussi permis aux parents d’exprimer leurs préoccupations et leurs craintes, leurs sentiments positifs et négatifs. Les parents évoquent à répétition les inquiétudes qu’ils ont vécues au moment de la naissance de leur enfant, qu’il a été essentiel pour eux de pouvoir s’exprimer. Avec la naissance d’un enfant ayant une déficience, ceux-ci 75 Recherche en soins infirmiers N° 69 - juin 2002 sont à risque de vivre de la détresse émotionnelle, des états anxieux et dépressifs (Beckman, 1991 ; Bristol et al., 1988 ; Goldberg, Morris, Simmons, Fowler, & Levison, 1990 ; Kazak & Marvin, 1984 ; Miller, Gordon, Daniele, & Diller, 1992). Le choc, le déni, la rage, la peur et la culpabilité sont aux nombres des réactions connues chez ces parents (Drotar, Baskiewicz, Irvin, Kennell, & Klaus, 1975 ; Klaus & Kennell, 1976 ; Mercer, 1977 ; Pelchat-Borgeat, 1978). L’intervention de l’infirmière dans le cadre du PRIFAM prend tout son sens car elle offre aux parents un contexte pour s’exprimer. Les résultats de la recherche quasi-expérimentale ont d’ailleurs confirmé la contribution de l’intervention à réduire le stress émotionnel chez les parents et sa contribution à préserver leur sentiment de bienêtre (Pelchat et al., 1999). L’étude montre la contribution de l’intervention à faciliter l’expression des craintes des parents face aux soins à donner à l’enfant. Leurs inquiétudes paraissent tout à fait légitimes si l’on considère que l’enfant ayant une déficience nécessite des soins adaptés qui relèvent de problèmes de santé physiques, comportementaux (Pain, 1999) et que les signaux de l’enfant sont parfois difficiles à interpréter (Golberg, 1977). L’étude confirme ce que d’autres ont observé à savoir qu’une intervention précoce est indispensable pour aider les parents à s’adapter à leur nouvelle situation et se doter de moyens pour prendre soin de l’enfant (Pelchat, 1994 ; Bouchard & Pelchat, 1997). L’information démystifie le problème de l’enfant et sa déficience. Les écrits se sont abondamment intéressés à l’information prodiguée aux parents suite à la naissance d’un enfant ayant une déficience (Quine & Pahl, 1987). Il ressort que la manière dont cette information est remise aux parents, affecte la façon dont ceux-ci s’ajustent à la situation et aux premiers traitements de l’enfant (Brinkworth, 1975 ; Pugh & Russell, 1977 ; Svarstad & Lipton, 1977 ; Springer & Steele, 1980). Le besoin premier des parents d’un enfant ayant une déficience est de recevoir de l’information claire et un soutien dès la naissance de l’enfant. Or, il arrive fréquemment que la première information reçue ne soit pas comprise ou bien assimilée, d’où l’importance de répéter cette information (Quine & Pahl, 1987). Il semble que l’infirmière a su, dans le cadre du PRIFAM, répondre au besoin d’information des parents, par ses échanges et son soutien constant. Les taux de satisfaction des parents sont généralement élevés pour l’ensemble des documents reçus, particulièrement ceux traitant spécifiquement d’une déficience. Pelchat et al. (2000) considèrent que l’explication de la déficience contribue à favoriser une perception réaliste du problème de l’enfant. L’information écrite et la communication verbale permettent aux parents d’accroître leur sentiment de contrôle sur la situation et facilitent l’expérience d’adaptation de l’ensemble des membres de la famille. Les parents d’un enfant ayant une déficience ont besoin d’obtenir des informations à propos des services courants et futurs disponibles puisqu’ils auront, à court et à long terme, à interagir avec les dispensateurs de soins et de services (Bailey & Simeonsson, 1988). Soulignons que l’information donnée par l’infirmière a permis aux parents de connaître les ressources disponibles et d’évaluer leur utilité, ce qui a été satisfaisant pour les parents. L’intervention favorise enfin le dialogue entre conjoints et l’expression des sentiments et des émotions de chacun. Dans leur discours, les parents reconnaissent le rôle qu’y a tenu l’intervenante. Celle-ci est un catalyseur dans le couple, amenant chacun des conjoints à s’ouvrir mutuellement. Compte tenu du temps qu’elle passe avec les familles, l’infirmière est sans nul doute en bonne position pour faciliter la compréhension de l’expérience de l’autre, permettre le partage des préoccupations, faire circuler l’information dans le couple, une meilleure compréhension de l’intervention et un soutien mutuel. La situation devient alors une occasion d’enrichissement pour le couple (Faerstein, 1981 ; Lamarche, 1987). L’étude a mis en lumière l’effet du sexe, du diagnostic et du revenu sur la satisfaction des parents pour l’ensemble des plans familiaux. Elle indique que l’intervention satisfait davantage les mères d’enfant ayant une trisomie 21 au plan de l’expression des émotions que les pères. Or, il est connu que les pères d’enfant ayant une déficience éprouvent davantage de difficultés que les mères à ajuster leurs attentes vis-à-vis de l’enfant (Heaman, 1995 ; Hornby, 1995) et leurs préoccupations concernant son avenir (Hornby, 1995). Cette première observation offre une explication partielle des résultats obtenus. Pourquoi, en effet, les pères d’enfant ayant une fissure labiale et/ou palatine ont-ils, quant à eux, été satisfaits de l’intervention au plan émotionnel contrairement aux pères d’enfant ayant une trisomie 21 ? Les parents d’enfant ayant une fissure labiale et/ou palatine ou une trisomie 21 sont mis différemment à l’épreuve avec la naissance de l’enfant. Dans le cas de la fissure labiale et/ou palatine, les parents doivent prendre rapidement une série de décisions concernant les soins et les traitements de l’enfant, particulièrement sur le plan de l’alimentation et des chirurgies à subir. L’enfant retrouve généralement son apparence normale au bout de trois mois après avoir subi une chirurgie correctrice (Speltz et al., 1990 ; Pelchat, 1989). Quant à 76 Recherche en soins infirmiers N° 69 - juin 2002 SATISFACTION DE PARENTS À LA NAISSANCE D’UN ENFANT AYANT UNE DÉFICIENCE LORS D’UNE INTERVENTION FAMILIALE l’enfant ayant une trisomie 21, son développement est très semblable à celui d’un(e) enfant sans atteinte durant les premiers mois de vie. Ce n’est que progressivement que la différence apparaît. Ces parents ont besoin d’un suivi à plus long terme et la majorité d’entre eux ont de la difficulté à prendre congé de l’infirmière au terme de leur participation au PRIFAM (Pelchat et al., 1999). Serait-il juste d’affirmer que la trisomie 21 affecte davantage les parents au plan émotionnel à moyen terme que ceux dont l’enfant a une fissure labiale et/ou palatine ? Des études doivent être conduites pour approfondir les expériences différentielles chez les pères et les mères d’un enfant ayant une déficience, selon le type de déficience. L’étude indique que les parents à faible revenu sont plus satisfaits de l’intervention. De façon générale, les familles à faibles revenus ont plus de difficultés à obtenir des ressources et disposent de moins de ressources matérielles et financières (Shonkoff et al., 1992 ; Sameroff et al., 1987; Floy & Saitsyk, 1992) que celles ayant un revenu moyen et supérieur. Elles semblent avoir un plus grand besoin d’obtenir un soutien immédiat, à tous les plans, comme celui offert par le PRIFAM. Il faut souligner les qualités heuristiques de l’approche évaluative utilisée dans le cadre de cette étude de même que la pertinence du questionnaire développé pour évaluer la satisfaction des familles à ses différents sous-systèmes familiaux. Ce questionnaire pourrait éventuellement être appliqué, après adaptation, à d’autres clientèles. RÉFÉRENCES Bailey, D.B.Jr., Simeonsson, R.J. 1988. Home-Based early intervention. In S. L. Odom, M. B. Karnes (Ed). Early Intervention for Infants and Children with Handicaps : an empirical base. (pp. 199-213). Baltimore, Paul H. Brookes. Beckman, P.J. 1991. Comparison of mothers’and fathers’perceptions of the effect of young children with and without disabilities. American Journal on Mental Retardation, 95, No.5, 585-595. Boss, P. 1988. Family Stress Management. Newbury Park : Sage Publications. CONCLUSION Le PRIFAM est un exemple d’une intervention efficace permettant de soutenir les parents au niveau des quatre sous-systèmes familiaux. Certaines dimensions pour lesquelles les parents sont très satisfaits ont particulièrement mis en relief l’apport de l’intervention. Somme toute, le PRIFAM permet d’atténuer les craintes et les préoccupations des parents, notamment par rapport à l’enfant et à son devenir. L’intervention favorise la compréhension du problème de l’enfant et de la situation particulière dans laquelle les parents sont soudainement plongés. Elle leur donne des outils pour prendre en charge les soins requis par l’enfant. L’information aux parents tient un rôle de premier plan. Cette information, sous forme écrite ou verbale, est remise le plus rapidement possible, dans le cadre du PRIFAM, par une infirmière empathique avec laquelle les parents entretiennent des liens privilégiés et continus. Le PRIFAM offre un soutien indispensable pour aider le couple à cheminer dans cette situation transitoire de leur vie. L’accent est mis sur le dialogue entre conjoints. Il permet enfin de connaître rapidement les ressources disponibles et d’être guidés dans l’évaluation de ces ressources pour être en mesure de faire éventuellement des choix éclairés. 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Ensuite, la pertinence d’une approche centrée sur l’expérience du bénéficiaire et celle de l’infirmière qui l’a réconforté est argumentée. Les conséquences ontologiques et épistémologiques d’un tel choix sont expliquées. Le contexte postopératoire dans lequel s’est déroulé l’étude est décrit de manière globale. Le but de la recherche, la question de recherche et la pertinence théorique du phénomène pour les soins infirmiers clôturent cette première partie. La seconde partie de l’article est consacrée à une synthèse de l’analyse des écrits tant anglo-saxons que francophones. This first article of four starts by a description of the clinical observation which had urged on the study of the phenomenon of comfort. Then, the background of the research is specified as different French signification’s of the English word "comfort". In addition, the pertinence of an approach centred on the person experience and the one of the nurse who gave comfort to him / her are explained. The ontological and epistemological consequence of this choice is described in a large manner. Finally, the goal of the research, the research question and the theoretical pertinence of the phenomenon for nursing end this first part. The second part of this article present a synthesis of the analysis of English and French writings. Mots clés : phénoménologie herméneutique, soins infirmiers, dyade, réconfort, souffrance. Key words : hermeneutic Phenomenology, nursing care, dyad, comfort, suffering. 80 Recherche en soins infirmiers N° 69 - juin 2002 EXPÉRIENCES ET SIGNIFICATIONS DU RÉCONFORT POUR LA PERSONNE OPÉRÉE ET POUR L’INFIRMIÈRE QUI EN PREND SOIN INTRODUCTION Cet article est le premier d’une série consacrée à la diffusion des résultats d’une recherche sur le réconfort réalisée, en Suisse, en 1999. Ce travail de fin d’études s’inscrivait dans le programme de doctorat en soins infirmiers, organisé conjointement à l’Université de Montréal et à McGill University. L’objectif de cet article est de présenter la « problématique de recherche » en la considérant comme le pivot du protocole dont découle un ensemble de réflexions, hélicoïdales, qui vont guider la question de recherche et par la suite le choix de la méthode. La rédaction du protocole, faut-il le rappeler, est un des meilleurs alliés de la chercheuse, car il permet, à travers l’écriture et la ré-écriture, une clarification de la pensée, un suivi et une construction de celle-ci. De même, le temps consacré à une première revue de la littérature, réalisée à l’aide de banques de données comme Cinahl (2000) ou Medline1, permet de situer la problématique dans un contexte scientifique plus vaste et d’en cerner les aspects novateurs ou redondants. Une analyse systématique des recherches qui sous-tendent et contredisent nos positions est menée, à l’aide de grilles ad hoc, afin d’évaluer la qualité des résultats obtenus. De ce fait, la rédaction du chapitre «problématique» fait partie de l’élaboration du protocole qui s’étend sur plusieurs mois, pendant lesquels il est conseillé de soumettre nos écrits à des «experts», soit pour leur expérience de la méthode, soit en regard du phénomène à l’étude. Leurs commentaires facilitent souvent la soutenance du document final auprès du Comité d’approbation, auquel le projet de recherche doit impérativement être soumis, avant le début du recueil de données. tion infirmière de la douleur (Bécherraz, Dessaules, van Melle & Braissant, 1998). Cette enquête a été réalisée dans le Centre Hospitalier Universitaire de Suisse Romande2 où a eu lieu la présente étude. Les personnes hospitalisées en chirurgie rapportaient parfois, lors des entrevues, des douleurs sévères, alors même qu’elles étaient entourées d’une équipe de professionnels de la santé compétente, habilitée à prescrire des opiacés et à soulager la douleur postopératoire. De plus, l’origine de la douleur était concrétisée (plaies opératoires, drains, sondes naso-gastriques, sondes vésicales, cathéters, etc.). Simultanément et paradoxalement, nous recueillions des témoignages où la personne se disait soulagée, réconfortée et exprimait combien la « veilleuse » 3 avait été présente, attentive, attentionnée et efficace. Ces situations complexes nécessitaient plus que le simple soulagement d’un corps meurtri, mais un réconfort, destiné à la personne tout entière. Finalement, ces expériences holistiques ont été mises en évidence et analysées en vue d’en améliorer la compréhension. Ainsi, les expériences et les significations du réconfort constituent le phénomène d’intérêt de cette recherche. 1.2. Réconfort C’est à travers de récents écrits infirmiers, que nous aborderons l’évolution du phénomène de réconfort. Puis nous mettrons en évidence la complexité de l’approche de ce phénomène, dont l’expérience paraît difficile à transmettre en dehors d’un discours centré sur le corps. 1.1.Observation clinique Historiquement, un des buts prioritaires des soins infirmiers est de réconforter le malade (Nightingale, 1859/1969) ; puis le réconfort a été appréhendé comme un état de bien-être physique ou mental (Flaherty & Fitzpatrick, 1978) ou comme un degré sur le continuum allant de l’inconfort au confort (Paterson & Zderad, 1976). Il a également été relié aux différents besoins (Orlando, 1961 ; Roy & Roberts 1981) ou comme une variable en provenance de l’environnement du patient (Watson, 1979). Le phénomène d’intérêt est issu d’observations réalisées sur le terrain lors d’une recherche relative à la ges- Cependant, malgré les différents travaux de clarification conceptuelle réalisés par Kolcaba (Kolcaba, 1992, 1994 ; Kolcaba & Kolcaba, 1991), la méconnaissance 1. PROBLÉMATIQUE 1. Cette banque de données répertorie des milliers de périodiques dans différents domaines de la santé. 2. La Suisse Romande est la partie francophone du pays, qui comprend quatre régions linguistiques. 3. La « veilleuse » est l’infirmière qui travaille de nuit (le plus souvent de 22h00 à 07h15 ou de 19h00 à 07h15). 81 Recherche en soins infirmiers N° 69 - juin 2002 des pratiques de réconfort demeure importante. Une partie des stratégies de réconfort sont intuitives, invisibles, difficiles à décrire et à expliquer par celles qui les pratiquent. Par conséquent, il semble que les infirmières n’aient pas conscience de la valeur de leur travail (Morse, 1992). Cet aspect est important pour la discipline. Il est urgent que l’invisible soit mis à jour, décrit avec minutie et restitué aux infirmières en tant qu’expertise. Paradoxalement, en 1992, le réconfort est considéré comme un concept mesurable et opérationnalisable, aussi bien physiologiquement que psychologiquement. Par exemple, le « coping », la relaxation, l’adaptation, la guérison, la mortalité, la morbidité ou les coûts de la santé sont considérés comme des moyens de mesurer le réconfort (Morse, 1992). De plus, Morse définit le réconfort comme un état de « bien-être » qui peut intervenir à n’importe quel moment du continuum « maladie - santé ». Ainsi, deux états de réconfort sont identifiés : le premier temporel, comparé au soulagement momentané de la douleur et le second plus constant, tel que l’atteinte d’un état de santé optimal. Pour nous, le réconfort comporte une notion dynamique, interactive, intersubjective et éminemment relationnelle que nous n’avons pas trouvée dans la plupart des écrits consultés jusqu’en 1999. En 1994, aucune description adéquate du phénomène n’était réalisée, bien qu’il soit souvent conceptualisé comme une diminution mesurable de la douleur. Toutefois, en l’état actuel de nos connaissances, il n’est pas possible d’inférer que le soulagement de la douleur implique le réconfort. Il semble que le soulagement tel qu’il est mis en évidence à travers la recherche en soins infirmiers - comporte une orientation essentiellement corporelle, alors que le réconfort vise la personne dans sa globalité, c’est-à-dire un être « bio-psychosocial-spirituel ». En d’autres termes, l’absence de douleur n’implique pas de facto l’absence de souffrance. Et cette dernière demeure difficilement quantifiable. De plus, nous savons peu de choses sur la manière dont les personnes accèdent au réconfort et surtout comment elles se sentent, une fois réconfortées. Il semble que ce soit la nature « préréflexive » du phénomène qui rende sa description si difficile (Van Manen, 1990). Autrement dit, l’élaboration de l’expérience du réconfort n’est pas spontanée. Elle fait appel aux souvenirs, aux sensations, aux perceptions qui prennent sens à travers la narration de l’expérience unique d’une personne et le dialogue avec la chercheuse. Tout se passe comme si, lorsque la personne était réconfortée, nous étions face à une manière d’être qui va au-delà de la conscience physique ou mentale, une sorte d’état d’intégration (Morse, Bottorff & Hutchinson, 1994). Ainsi, l’être humain semble avoir plus de facilité à parler de sa douleur que du réconfort. Ces constatations expliqueraient pourquoi les patients, interrogés à propos du phénomène de réconfort, utilisent essentiellement le corps comme axe de leurs discours. Enfin, la notion de « réconfort total » mentionnée par Morse et al. (1994), laisse entendre que l’étude de ce phénomène permettrait d’éviter le dualisme cartésien pour approcher la personne dans son entièreté. En d’autres termes, mieux comprendre le phénomène de réconfort permettrait, non seulement de documenter les soins infirmiers mais également tout soin qui se réclame d’une vision holistique de l’être humain. Ce n’est qu’à travers les récents travaux de Benner, Hooper-Kyriakidis et Stannard (1999) que l’aspect holistique du réconfort a été mis en évidence. Ces recherches ont été réalisées auprès d’infirmières prenant soins de patients dont l’état de santé était critique. Elles démontrent le rôle central de la relation avec la personne malade dans l’acquisition et l’utilisation d’habiletés reliées à tout ce « savoir faire » (“know how”). Et plus particulièrement au savoir faire visant le réconfort. D’un point de vue étymologique, Morse, Bottorff et Hutchinson (1995) nous rappellent que le mot « patient » provient du latin « pati » qui signifie souffrir, par conséquent, il semble bien qu’il existe un lien entre le réconfort de celui qui souffre, la douleur et la souffrance. De plus, elles précisent que le terme « réconfort » est dérivé du latin « renforcer ». En français le terme anglais “comfort” se traduit par deux termes non équivalents, à savoir un nom masculin : le confort et un verbe transitif : réconforter. Or ces deux termes n’ont pas la même signification. Selon le Petit Robert (1979), le confort est défini comme tout ce qui contribue au bien-être, à la commodité de la vie matérielle (p. 364) et l’antonyme est l’inconfort. Alors que le verbe réconforter est un terme du XIIème siècle qui signifie : donner, redonner du courage, de la force d’âme et de l’énergie à quelqu’un, afin qu’il puisse supporter ou combattre l’adversité. Dans ce cas le synonyme est le verbe soutenir. Par ailleurs, et toujours en français, le verbe réconforter a une seconde signification qui est : redonner momentanément des forces physiques et de la vigueur à une personne affaiblie. Dans ce cas, les synonymes sont revigorer, stimuler et remonter alors que l’antonyme est 82 Recherche en soins infirmiers N° 69 - juin 2002 EXPÉRIENCES ET SIGNIFICATIONS DU RÉCONFORT POUR LA PERSONNE OPÉRÉE ET POUR L’INFIRMIÈRE QUI EN PREND SOIN abattre, accabler, décourager, déprimer et affaiblir (Petit Robert, 1979, p. 1627). que le réconfort n’est pas essentiellement physique à l’inverse de l’opérationnalisation choisie par le passé. Enfin, le terme « réconfort » est présenté ainsi : terme du XIIème siècle qui provient de « réconforter », ce qui redonne des forces morales, ce qui ranime le courage et l’espoir ; ce qui augmente la force et le courage. Les synonymes sont la consolation et le secours alors que l’antonyme est le découragement (Petit Robert, 1979, p. 1627). Benner, Hooper-Kyriakidis et Stannard (1999) ont analysé la signification du réconfort en termes de « soutenir, aider, encourager aussi bien qu’apaiser et consoler » (p. 244). En conséquence, notre étude s’intéresse au phénomène de réconfort dans ses significations les plus holistiques du terme anglais « comfort ». En 1999, une vingtaine d’infirmières et d’infirmiers européens francophones furent interrogés sur leurs représentations du « réconfort ». Leurs propos étaient cohérents avec la définition du XIIème siècle qui vient d’être présentée. Par contre, la notion de confort n’a pas été évoquée, suggérant une distinction entre les deux termes. À titre de comparaison, précisons qu’en anglais le terme « comfort » est également un nom et un verbe, mais qu’il peut être aussi bien utilisé dans le sens d’un confort physique ou d’un réconfort de nature plus affective (assistance, support, consolation ou encouragement, etc.). Certains dictionnaires présentent des significations proches du « réconfort ». Elles seront brièvement mentionnées : (a) une assistance, un support ou une consolation dans la peine ou le souci, (b) un état ou un sentiment de consolation, de soulagement ou d’encouragement. Mais aussi un état de bien-être, de contentement, (c) une satisfaction ou un plaisir et enfin (d) ce qui apporte ou procure du confort, (Webster’s Seventh New Collegiate Dictionary, 1963, p. 165) (traduction libre). Malgré cela, la plupart des études empiriques réalisées sur le « réconfort » sont publiées en anglais et se concentrent sur l’aspect physique de celui-ci. Initialement, le comportement de l’infirmière a été enregistré au moyen d’une vidéo (Morse, 1992 ;. Solberg & Morse, 1991), comme si les chercheuses se voulaient extérieures au champ d’investigation. Le point de vue du patient a été étudié, dans un second temps, à travers le récit de son expérience (Morse, Bottorff & Hutchinson, 1994 ; 1995). Il faut toutefois relever qu’à cette époque, la recherche infirmière sur le réconfort était essentiellement axée sur les aspects corporels. Une exception cependant, Benner et ses collaboratrices s’intéressent à la narration de l’expérience de l’infirmière (Benner, Hooper-Kyriakidis & Stannard, 1999) permettant ainsi des nuances que l’observation ne pouvait pas apporter. Les travaux réalisés par ces chercheuses et la définition qu’elles utilisent, suggèrent En outre, la double alternance des protagonistes (infirmière ou patient) et de la position des chercheurs (externe ou interne au champ) émergeant des écrits, suggère qu’il serait pertinent de décrire et de comprendre ce qui se passe à l’intérieur de la dyade « bénéficiaire - infirmière». Nous aborderons cet aspect, dans le cadre du réconfort en phase postopératoire. 1.3. Dyade À ce jour et à notre connaissance, aucune recherche qualitative en soins infirmiers ne s’est intéressée à la problématique telle que nous l’avons abordée. En effet, tenter de comprendre ce qui est vécu par les deux acteurs principaux lors de l’élaboration du réconfort nécessite d’entrer en relation avec les deux partenaires de la dyade. Cette approche centrée sur la dyade est issue de la vision heideggerienne, qui considère la personne comme un « être-dans-le-monde », c’est-à-dire un être qui fait forcément écho à autrui et à autre chose et réciproquement (Deschamps, 1995). Approcher et rencontrer cette dyade a permis d’accéder à l’expérience, à la signification et à l’essence du réconfort, ce soin vécu dans la proximité, voire dans l’intimité et dont l’expérience reste inexplorée dans le quotidien du monde hospitalier. D’autre part, nous avons observé que le concept de dyade semble absent dans les écrits. Ce constat est probablement lié à la faisabilité d’un tel choix. En effet, il s’agit de rencontrer le bénéficiaire et l’infirmière dans un temps restreint afin d’être certaine qu’ils parlent bien de la même situation. Par conséquent, ce choix exige un temps de présence important sur le terrain et une souplesse extrême dans l’organisation des activités de recherche, car les entrevues ne pouvaient avoir lieu que lorsque la sécurité des patients était assurée par une autre infirmière. Cependant, si nous considérons la notion d’espace transitionnel (Winnicott, 1970) ou d’intersubjectivité (Dahlberg, 1996), il nous paraît tout à fait légitime de nous intéresser à ce qui se passe, à ce qui se vit, dans cet espace symbolique et plus particulièrement 83 Recherche en soins infirmiers N° 69 - juin 2002 lorsqu’il s’agit de réconfort. La description de ce phénomène à partir de deux points de vue différents devrait enrichir celle-ci et permettre des interprétations novatrices. C’est pourquoi la compréhension de l’expérience vécue par chaque partenaire de la dyade bénéficiaire infirmière, de même que les diverses significations des expériences de réconfort, paraissent être une mise en perspective intéressante et novatrice pour plusieurs disciplines. En effet, décrire dans les détails les observations, le cheminement de la pensée, les émotions, les intuitions, le dialogue interne et les actions de l’infirmière qui a réconforté un patient, permettra de mettre en évidence toute une gamme de savoirs pratiques (“know how”). Ces savoirs pratiques combinés aux savoirs théoriques (“know that”) constituent l’expertise humaine en regard du phénomène (Benner HooperKyriakidis & Stannard, 1999). D’ailleurs, Benner (1995) affirme qu’il est possible de décrire les intentions, les attentes, les significations et les résultats qui caractérisent l’expertise de l’infirmière. En d’autres termes, nous verrons ultérieurement que s’intéresser au phénomène de réconfort et aux interventions qui réconfortent, c’est renoncer à une ontologie réaliste et à une épistémologie objectiviste qui consistent par exemple à mesurer la douleur et à la décontextualiser. À partir de ce renoncement, il est possible de s’orienter vers une ontologie qui accepte une co-construction de la réalité et une épistémologie subjectiviste qui s’intéresse à l’expérience vécue par les protagonistes (Guba, 1990; Guba & Lincoln, 1985; 1998). Nous aborderons maintenant les aspects contextuels. 1.4. Contexte postopératoire D’une part, le contexte postopératoire est caractérisé par des restrictions budgétaires drastiques qui impliquent simultanément une diminution des effectifs infirmiers et une durée d’hospitalisation minimale. Or les courbes démographiques suisses démontrent que la population des personnes âgées augmente et que leurs besoins en soins suivent une courbe ascendante. D’autre part, le développement de technologies opératoires de pointe permet des interventions chirurgicales chez des personnes dont l’état de santé est précaire et complexe. Pour le moment, nous retiendrons que c’est dans ce contexte hospitalier universitaire, empreint de contradictions et orienté vers la réparation du corps, que des êtres humains souffrent. C’est donc dans cet environnement de haute technicité que les soins infirmiers font la différence et que le réconfort peut prendre place. C’est dire l’importance de cet engagement humain, de cette attention à l’autre et du respect de sa vulnérabilité, alors même que l’univers médico-chirurgical semble parfois déshumanisé. En d’autres termes, le choix de la phase postopératoire est approprié en vue d’une étude sur le réconfort, car la menace à l’intégrité du Soi est présente, quelle que soit la pathologie qui motive l’intervention. La présence d’une souffrance potentielle ne nous semble pas être reliée à un diagnostic particulier, mais à notre humanité, qui elle, appelle un réconfort. Une précision cependant avant d’aborder le but et la question de recherche. Même si le réconfort implique souvent l’intervention d’une équipe transdisciplinaire (De Coninck, 1996), la présente étude s’est limitée essentiellement à l’investigation de l’aspect infirmier du réconfort, afin de contribuer au développement des connaissances et de la pratique de la discipline. 1.5. But de la recherche et question de recherche Le but de cette étude est de décrire les expériences de réconfort et leurs significations - à partir de deux perspectives - celle de la personne opérée et celle de l’infirmière praticienne qui en prend soin. La question qui découle naturellement de la problématique telle qu’elle a été définie précédemment, est la suivante : quelles sont les significations des expériences de réconfort de personnes en phase postopératoire et des infirmières praticiennes qui en prennent soin? 1.6. Pertinence théorique pour les soins infirmiers Au plan théorique, le phénomène d’intérêt est directement relié à la substance de la discipline. En effet, il touche le soin, la personne, la santé et l’environnement (Fawcett, 1993). Si nous nous référons à la notion de «centre» de la discipline (Newman, Sime & CorcoranPerry, 1991), il s’agit d’une situation de «prendre soin» lors d’une expérience humaine postopératoire. Ainsi, les deux principaux concepts en interrelations sont : le soin et la personne. Le soin est dispensé par une infirmière, il est élaboré à l’intérieur de la dyade infirmière-patient à 84 Recherche en soins infirmiers N° 69 - juin 2002 EXPÉRIENCES ET SIGNIFICATIONS DU RÉCONFORT POUR LA PERSONNE OPÉRÉE ET POUR L’INFIRMIÈRE QUI EN PREND SOIN partir de ce que communique le patient et il a pour objectif le réconfort de celui-ci. Le phénomène à l’étude présente donc une importance réelle pour la discipline, puisqu’il favorise une réflexion théorique qui permet d’approcher ce qu’est le phénomène de réconfort, en phase postopératoire. Dès lors, le phénomène est en lien - au plan théorique - avec la substance infirmière, et avec le «centre» de la discipline, dont le mandat social est de « prendre soin » (Newman & al., 1991) et de réconforter (Morse, 1992). À l’issue de cette problématique et avant de passer à une synthèse critique de l’analyse des écrits, retenons quelques éléments prédominants qui seront élaborés et justifiés dans un prochain article : les conséquences des savoirs infirmiers liés au réconfort peuvent être mises en lumière en phase postopératoire, puisque la problématique est issue d’entretiens réalisés avec des bénéficiaires. En outre, plusieurs écrits (McIlveen & Morse, 1995 ; Morse, 1992 ; Morse, Bottorff & Hutchinson, 1994 ; 1995) soutiennent que ce sont les aspects corporels qui émergent prioritairement des narrations. Il s’agit le plus souvent de propos d’infirmières et très rarement du discours des bénéficiaires. Toutefois, la mise en évidence du réconfort est rendue difficile par sa nature «préréflexive» (Van Manen, 1990). En effet, il semble que les personnes aient plus de facilité à partager leur expérience en termes de réconfort physique que de réconfort total (physique et émotionnel). Cette constatation peut être tout à la fois le reflet du dualisme cartésien encore très présent dans les soins et de la difficulté d’élaborer une réflexion qui intègre le corps et l’esprit. Autrement dit, tout se passe comme si la menace à l’intégrité du Soi qui amène à la souffrance, ne pouvait être verbalisée qu’au travers de la menace physique réelle, objectivée par l’acte opératoire. Le chapitre suivant est consacré à une synthèse critique des écrits sur le phénomène de réconfort. Il nous donnera l’opportunité de différencier la douleur de la souffrance et de préciser la rupture paradigmatique qui sous-tend le passage d’une recherche objectiviste et dualiste à une recherche subjectiviste et holistique. 2. SYNTHÈSE CRITIQUE DE L’ANALYSE DES ÉCRITS La douleur est un phénomène bien documenté et ceci plus particulièrement depuis 1965, date du développe- ment de la théorie du portillon (Melzack & Casey, 1968; Melzack & Wall, 1965). De plus, la douleur peut être considérée comme proche de la souffrance lorsqu’elle est appréhendée par l’infirmière et la chercheuse de manière multidimensionnelle. Cette intégration favorise le passage d’une pratique et d’une recherche unidimensionnelles centrées sur la douleur et le soulagement, à l’étude de phénomènes complexes et holistiques que sont la souffrance et le réconfort. L’analyse des écrits relatifs à la souffrance permet de mettre en évidence que celle-ci peut se définir comme un état de détresse qui est induit par la perception d’une menace à l’intégrité du Soi (Cassell, 1982, 1991, 1992). Par conséquent, toute intervention chirurgicale voire toute maladie peut induire cette perception. Par la suite, cette définition a été affinée par l’ajout de trois précisions que sont la présence d’une menace physique ou psychosociale, d’un sentiment négatif et d’une perception d’impuissance lorsque les ressources physiques, psychologiques, sociales et spirituelles de la personne sont épuisées (Chapman & Gavrin, 1993). Enfin, le réconfort est un phénomène mal connu et peu développé alors même qu’il est présenté comme le centre de la discipline infirmière (Newman, Sime & Corcoran-Perry, 1991). Il a été abordé essentiellement par le biais de concepts annexes comme le « coping », la relaxation, la douleur, les nausées, la fatigue (Funk, Tourquist, Champagne, Copp & Weise, 1989). Il a également été analysé à travers les écrits professionnels (Cowles & Rodgers, 1991 ; Rodgers, 1989 ; Rodgers & Knafl, 1993 ; Westra & Rodgers, 1993 ;) et a émergé de narrations infirmières (Benner, Hooper-Kyriakidis & Stannard, 1999). Toutefois, il est intéressant de souligner qu’à ce jour, le phénomène de réconfort - au sens d’un soutien holistique - n’a jamais été investigué simultanément du point de vue du patient et de celui de l’infirmière qui en prend soin. Comprendre l’expérience de la personne nécessite pour la chercheuse de s’intéresser à l’expérience subjective du malade et à la signification qu’il lui donne. Ce changement de point de vue représente une rupture paradigmatique qui a trois implications majeures. La première, ontologique, nous conduit à investiguer la pluralité de la réalité ; la seconde, épistémologique, permet de s’intéresser à la subjectivité et la troisième, méthodologique, permet d’introduire un dialogue entre les participants et la chercheuse (Guba, 1990 ; Guba & Lincoln, 1998 ; Kikuchi & Simmons, 1992). Ces implications méthodologiques nous ont amenées à choisir une approche phénoménologique et plus particulièrement celle de Benner (Benner, 1994 ; Benner, Tanner & Chesla, 1996 ; Benner, Hooper-Kyriakidis & Stannard, 85 Recherche en soins infirmiers N° 69 - juin 2002 1999) afin de mieux comprendre le phénomène de réconfort à partir de deux points de vue, celui du patient et celui de l’infirmière qui en prend soin. Enfin, nous pensons que pour réconforter, l’infirmière met en œuvre une pluralité de connaissances qui vont des savoirs empiriques aux connaissances personnelles, esthétiques, éthiques (Carper, 1978) et pratiques (Benner, 1994). *** Le présent article a permis de mettre en lumière le rôle central que détient le chapitre intitulé «problématique». C’est de lui que dépend le choix du devis de recherche, puisqu’il détermine le libellé de la question de recherche et par la suite le choix de l’approche méthodologique. Peut-être serait-il pertinent de re-considérer le temps que nécessite la rédaction de la « problématique » dans le calendrier de la recherche ? Le prochain article sera consacré aux aspects méthodologiques et plus particulièrement à la phénoménologie herméneutique et à son opérationnalisation. Carper, B.A. (1978). Fundamental patterns of knowing in nursing. Advances in Nursing Science, 1, 13-23. Cassell, E.J. (1982). The nature of suffering and the goals of medicine. The New England Journal of Medicine, 306, 639-645. Cassell, E.J. (1991). Recognizing suffering. Hastings Center Report, 24-31. Cassell, E.J. (1992). The nature of suffering : physical, psychological, social, and spiritual aspects. In P.L. Starck, & J.P. McGovern (Eds.), The hidden dimension of illness : human suffering (pp. 1-10). New York : National League for Nursing Press. Chapman, C.R., & Gavrin, J. (1993). Suffering and its relationship to pain. Journal of Palliative Care, 9, 5-13. CINAHL (1982 – 2000). 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Paris : Payot. 87 Recherche en soins infirmiers N° 69 - juin 2002 R ECHERCHE Maud Bécherraz, infirmière, Ph.D. en soins infirmiers correspondance : [email protected] 2e Partie DE L’INTÉRÊT DE LA PHÉNOMÉNOLOGIE POUR LA MISE EN ÉVIDENCE DE L’EXPERTISE INFIRMIÈRE ET LE DÉVELOPPEMENT DE CONNAISSANCES EN SOINS INFIRMIERS. RÉSUMÉ ABSTRACT Ce second article commence par une argumentation liée au choix de l’approche herméneutique en regard de phénomènes peu connus, comme celui du réconfort. Il continue par une synthèse de quelques éléments essentiels de la phénoménologie transcendantale et de la phénoménologie existentielle. Puis les principales caractéristiques de la phénoménologie interprétative contemporaine sont esquissées ainsi que l’approche phénoménologique de Benner. L’activité de mise entre parenthèses est présentée, de même que les critères d’inclusion et d’exclusion des participants, le contexte dans lequel s’est déroulée l’étude et la manière de vivre les entretiens. Par ailleurs, quelques données consignées dans le carnet de bord sont mises en perspective. La procédure de codage des données est décrite ainsi que les catégories thématiques qui en ont été extraites. Les observations directes sont abordées. Enfin, les critères de rigueur et les aspects éthiques de la recherche clôturent cet article. This second article starts by an argumentation linked to the choice of hermeneutic approach in regards to little know, as the one of comfort. It goes on by a synthesis of several essential elements of the transcendental and Existential Phenomenology. The principal characteristics of the contemporary and interpretative Phenomenology are outlined such as the phenomenological approach of Benner. The activity of putting in parenthesis (bracketing) is presented, as criteria of participant’s inclusion and exclusion, the context within the study was unfolded and the manner of lived interviews in other aspects, some kept data in the « carnet de bord » are put in perspective. The procedure of coding data is described as thematics categories which emerged from them direct observations are approached. Finally, criteria of rigour and ethical aspects of the research end this article. Mots clés : phénoménologie herméneutique, soins infirmiers, expertise, dyade, réconfort. Key words : Hermeneutic Phenomenology, nursing care, expertise, dyad, comfort. 88 Recherche en soins infirmiers N° 69 - juin 2002 DE L’INTÉRÊT DE LA PHÉNOMÉNOLOGIE POUR LA MISE EN ÉVIDENCE DE L’EXPERTISE INFIRMIÈRE ET LE DÉVELOPPEMENT DE CONNAISSANCES EN SOINS INFIRMIERS. INTRODUCTION Cet article fait suite à une réflexion menée pendant nos études doctorales à l’Université de Montréal entre 1997 et 2001 (Bécherraz, 2001), période durant laquelle nous avons eu le privilège de partager nos questionnements avec Franco Carnevale, infirmier, PhD, professeur adjoint à McGill University. Il a grandement facilité notre initiation à la phénoménologie herméneutique, essentiellement à travers sa propre expérience de celle-ci (Carnevale, 1991 ; 1997 ; 1999) et sa confiance inconditionnelle en l’être humain. Notre objectif prioritaire est de poursuivre la chaîne des apprentissages vicariants afin de répondre aux questions que se posent nos collègues suisses (cliniciens et enseignants), avec qui nous avons du plaisir à cheminer, lorsqu’ils sont confrontés à l’analyse des transcriptions d’entretiens. En effet, si la « cueillette » des données suscite en général beaucoup d’enthousiasme, c’est au début de l’analyse que le clinicien ou l’enseignant réalise, qu’il a opté (parfois à son insu) pour une méthode qui découle d’une vision qualitative du monde, qui va bien au-delà de la simple utilisation d’une technique de recherche. Cet article se présente comme un tout composé de quatre volets : le premier, théorique, consacré aux racines de l’approche phénoménologique ; le second, plus pragmatique, orienté vers l’opérationnalisation de la méthode ; le troisième, centré sur les critères de rigueur et le dernier, consacré à l’éthique. 1. PHÉNOMÉNOLOGIE 1.1. Argumentation Le choix de l’approche phénoménologique est issu de la problématique et de la nature de la question de recherche. En effet, s’intéresser au phénomène de réconfort dont nous ne savons en définitive que peu de choses, nous amène à choisir une approche descriptive - herméneutique qui permet et favorise l’émergence de la subjectivité des participants à travers leurs narrations. D’autre part, s’intéresser à la signification de l’expérience vécue par les acteurs de la dyade, conduit tout aussi directement à l’utilisation d’une approche phénoménologique - herméneutique. Les objectifs de cette dernière étant précisément de décrypter les structures qui gouvernent l’expérience vécue. De plus, le recueil des données se fait dans un contexte quotidien et naturel où le détenteur de la connaissance est bien le participant et non la chercheuse. Enfin, cette approche méthodologique découle d’une ontologie qui accepte une co-construction de la réalité et d’une épistémologie subjectiviste qui s’intéresse à l’expérience vécue par les protagonistes. Ce sont là les arguments essentiels qui nous ont amenées à choisir l’approche phénoménologique – herméneutique qui sera décrite dans un sous-chapitre à venir. Parmi les « méthodologistes » de référence, nous avons choisi l’approche de Benner (Benner, 1994 ; Benner, Tanner & Chesla, 1996) car l’auteure est infirmière et il nous paraît adéquat d’utiliser les travaux issus de la discipline. De plus, nous apprécions la philosophie de la recherche de l’auteure qui consiste à rendre visible l’invisible en demandant aux infirmières de décrire ce qu’elles font, parfois de manière intuitive. L’analyse de ces expériences individuelles permet de dégager, comme déjà mentionné, des structures qui gouvernent l’expérience vécue. Ces structures ont une importance majeure pour la visibilité et la spécificité de la pratique professionnelle. Les recherches de Benner et de ses collaborateurs mettent en lumière les savoirs pratiques développés sur le terrain par l’infirmière. Ces savoirs, une fois combinés aux savoirs théoriques, permettent d’accéder à l’expertise de l’infirmière. Cette centration sur la pratique et sur l’expertise potentielle qu’elle recèle, nous est apparue particulièrement appropriée pour investiguer le phénomène de réconfort. Le phénomène est individuel et complexe, par conséquent, il est fort probable qu’il fasse appel à des stratégies subtiles, peu visibles, dont l’accès n’est possible qu’à travers l’observation et l’analyse de la narration des patients et des infirmières. C’est pourquoi la méthodologie de Benner a été retenue et elle sera présentée de manière plus détaillée dans un prochain sous chapitre. Mais voyons d’abord brièvement les origines de la phénoménologie européenne afin d’en extraire quelques éléments qui ont influencé la méthode. 1.2. Phénoménologie transcendantale. Historiquement, le père de la phénoménologie est le philosophe allemand Husserl (1859-1938). L’œuvre de Husserl se répartit sur trois périodes caractérisées par des intérêts distincts : la première représente la naissance de la phénoménologie allemande (1891-1901) et se termine par la publication des « Recherches logiques » ; la seconde (1905-1929) débute avec l’éla- 89 Recherche en soins infirmiers N° 69 - juin 2002 boration de la réduction phénoménologique et se termine par les « Méditations cartésiennes » ; la troisième et dernière (1930-1938) a pour thème central la crise des sciences (Folscheid, 1993). Certains auteurs considèrent Husserl comme un platonicien dans les « Recherches logiques », alors qu’ils le voient cartésien dans « les Méditations cartésiennes » (Encyclopaedia Universalis, 1997). C’est dire la complexité de la pensée de ce philosophe dont nous ne reprendrons que quelques éléments susceptibles d’améliorer la compréhension des origines de la phénoménologie. Par ailleurs la pensée de Husserl est considérée par les exégètes comme arborescente et inachevée. D’ailleurs, une grande partie de ses écrits sont des publications posthumes. La troisième période de son œuvre sera délibérément laissée de côté car elle ne concerne pas notre propos. Heidegger (1889-1976) fut son étudiant, mais il s’est distancé de la pensée cartésienne qui caractérisait la seconde partie de l’œuvre de Husserl pour s’intéresser à une perspective plus existentielle. La philosophie herméneutique de Heidegger considère que la compréhension de la personne ne peut intervenir sans l’appréhension de son environnement (Dreyfus, 1987). Il s’intéresse à ce qu’il appelle « un être-dans-le-monde ». Nous aurons l’occasion de revenir sur cet aspect dans un prochain sous-chapitre. Précisons d’emblée que Husserl et Heidegger n’étaient pas des méthodologistes. Ce n’est que plus tard que des chercheurs en sciences humaines comme par exemple Giorgi en psychologie (1989, 1997), Van Manen en pédagogie (1990), Benner en soins infirmiers (1994) ont élaboré, utilisé et publié des méthodes phénoménologiques de recherche. La pensée de Husserl est d’abord une théorie de la connaissance. Sa première étude1 est une critique du psychologisme plus particulièrement lorsque celui-ci est vu comme le fondement de toute vérité. Il pense que lorsqu’on fonde la logique sur le fonctionnement psychique, il n’y a plus de science possible, il n’y a plus de connaissance objective puisqu’il n’y a plus de loi. Le psychologisme conduit à un relativisme qui est inacceptable pour Husserl. Ce dernier se lance alors dans un examen rigoureux des actes de la conscience, s’intéressant ainsi à un sujet explicitement cartésien et intellectuel (Huneman & Kulich, 1997). En 1901, Husserl définit la phénoménologie comme un « domaine de recherches neutres » ne relevant ni de la psychologie, ni de la logique (…) (Folscheid, 1993). Puis, toujours dans l’idée de se prémunir contre le psychologisme, Husserl développe le concept d’intentionnalité de la conscience. C’est-à-dire que la conscience est toujours la conscience de quelque chose ; elle n’est plus un ensemble de faits psychiques (impressions, sensations) elle a une visée, l’objet (Folscheid, 1993). Autrement dit, le regard de la conscience ne cesse pas d’être objectif pourvu qu’il se pose sur l’objet (Encyclopaedia Universalis, 1997). À la suite de cette critique du psychologisme, Husserl met en évidence que tout existant doit être caractérisé par un noyau de sens qui ne varie pas et qu’il nomme l’essence. Ainsi, la phénoménologie est une description des essences. Elle inventorie les structures qui régissent tel ou tel domaine de la réalité. La phénoménologie est donc un retour aux choses mêmes (Encyclopaedia Universalis, 1997). C’est autour de 1905 que Husserl parle de « mise entre parenthèses » du transcendant c’est-à-dire de l’objet réel qui appartient au monde extérieur, pour s’intéresser à l’immanent, soit à l’objet « mental » qui appartient à la conscience. Ici le principal souci de Husserl est d’éviter la confusion possible entre l’immanent et le transcendant par l’utilisation d’une procédure de « mise entre parenthèses ». Cette procédure limite la phénoménologie aux composantes réelles des vécus et en exclut le contenu intentionnel qui vise un objet. Or en 1907, Husserl élabore la « réduction phénoménologique ». Celle-ci va plus loin que l’absence de présuppositions, car elle change le statut de l’intentionnel. C’est-à-dire que le champ phénoménologique s’étend désormais au-delà du vécu pour y inclure les objets et leur « cogitatum » (Folscheid, 1993). En d’autres termes, la phénoménologie est dite transcendantale puisqu’elle traite de problèmes qui relèvent de ce qui est au-delà de la conscience. En effet, elle s’intéresse aux contenus réels, matériels et formels des vécus (contenus hylétiques et noétiques) mais également à des éléments qui donnent sens (contenu noématique) (Folscheid, 1993). La réduction phénoménologique est donc le passage d’une « attitude naturelle » qui croit à l’extériorité absolue des choses à une « attitude phénoménologique » à partir de laquelle la conscience se comprend ellemême comme constituant le sens des objets du monde. Autrement dit, la réduction phénoménologique met entre parenthèses notre compréhension ou plus exacte- 1. Husserl. E. (1900). Prolégomène à la logique pure. 90 Recherche en soins infirmiers N° 69 - juin 2002 DE L’INTÉRÊT DE LA PHÉNOMÉNOLOGIE POUR LA MISE EN ÉVIDENCE DE L’EXPERTISE INFIRMIÈRE ET LE DÉVELOPPEMENT DE CONNAISSANCES EN SOINS INFIRMIERS. ment notre préconception du monde. Cette opération n’est ni un déni du monde, ni une mise en doute de son existence, mais une décision de ne porter aucun jugement sur celui-ci, sur les choses et sur les faits (Encyclopaedia Universalis). Dans les « Méditations cartésiennes », Husserl découvre que la conscience transcendantale n’est pas anonyme, c’est-à-dire que tout vécu est celui d’un moi qui représente une forme de transcendance. Dire que le monde me transcende c’est reconnaître qu’il existe pour d’autres. Par conséquent, la porte s’ouvre sur une recherche sur l’intersubjectivité (Encyclopaedia Universalis, 1997). 1.3. Phénoménologie existentielle La philosophie de Heidegger inaugure une attitude différente de celle de son maître. C’est ainsi qu’une pensée rigoureuse de « l’être-au-monde» ne doit plus passer par la purification de la conscience transcendantale mais bien par son rejet. Le souci de Heidegger est ontologique en ce sens qu’il s’intéresse à « l’être» unique en tant que distinct des « étants » c’est-à-dire des choses. C’est dans « Etre et temps » (1927/1986) que le philosophe dégage les structures du « Dasein » 2 en tant « qu’être-au-monde » (Encyclopaedia Universalis, 1997). Il est ainsi possible de dire que pour Heidegger l’homme est pensé à travers sa manière d’exister alors que Husserl le considère comme une conscience. Nous ne reprendrons pas systématiquement les concepts reliés au « Dasein », cependant nous en mentionnerons quelques-uns qui influencent la méthode phénoménologique retenue. Par exemple la « quotidienneté » est ce dans quoi le « Dasein » est le plus souvent immergé. Dès lors pour Heidegger, le terme phénoménologie signifie « faire voir à partir de lui-même ce qui se montre tel qu’il se montre » (Huneman & Kulich, 1997 p. 47). Autrement dit, la phénoménologie permet de voir des phénomènes tels qu’ils se laissent voir dans leur quotidienneté, tels qu’ils se manifestent. Il est possible de dire qu’il s’agit là d’un retour aux choses elles-mêmes (Folscheid, 1993). ment. La théorie de l’intuition catégorielle vise à contrer la pensée de Kant qui différencie la pensée et l’intuition et qui affirme que les catégories sont dérivées des jugements. Puis Husserl voit la catégorie comme une donnée de l’expérience et non comme une simple structure de la pensée. Mais pour Heidegger, les catégories ne sont pas dérivées de jugements, elles sont des structures des phénomènes eux-mêmes (Folscheid, 1993). Nous verrons plus tard que cet aspect est capital dans le cadre d’une analyse phénoménologique. Autrement dit la conception heideggerienne du phénomène s’éloigne de la conscience qui le constitue selon la vision husserlienne ; pour voir en lui - dans le phénomène - une dimension des choses elles-mêmes. Toutefois les deux hommes se rejoignent dans l’idée que le « phénomène pur » ne peut apparaître, ne peut se montrer que par la pratique de la « réduction » c’està-dire la mise entre parenthèses que nous avons décrite précédemment (Folscheid, 1993). Par ailleurs, Heidegger qualifie sa phénoménologie d’herméneutique. En effet, s’il accorde à Husserl que la phénoménologie est par essence une description, Heidegger la considère plus comme une « interprétation ou une explicitation » que comme une réflexion sur les vécus. Nous aurons l’occasion de revenir sur cet aspect dans le cadre de l’approche de Benner (1994), car elle fait référence à Heidegger lorsqu’elle parle de phénoménologie interprétative. Il est ainsi possible de dire que dans le terme « phénoménologie » la partie « logos » signifie selon son étymologie grecque « apophansis » littéralement « monstration » c’est-à-dire qui se montre », qui est décrit, qui est explicité. Cet aspect est important dans le cadre de l’analyse des données, car il implique que la chercheuse n’occupe pas une place de spectateur impartial mais qu’elle fait corps avec le phénomène. Ainsi Heidegger ne comprend pas l’ontologie comme une approche qui procède par objectivation théorique, mais comme une approche très pratique qui n’est jamais détachée de sa racine existentielle concrète (Folscheid, 1993). 1.4. Processus herméneutique contemporain. Parmi les grandes créations de la phénoménologie heideggerienne, se trouve « l’intuition catégorielle». Il est intéressant de préciser que ce concept découle de celui de «l’intentionnalité» que nous avons décrit précédem- Voyons maintenant plus concrètement quel processus induit la phénoménologie herméneutique contempo- 2. « Dasein » signifie littéralement être-là, mais également existence 91 Recherche en soins infirmiers N° 69 - juin 2002 raine. Cette approche est centrée sur l’étude de l’expérience vécue, dans sa quotidienneté, dans son contexte naturel, sans effort de conceptualisation ou de réflexion particulière pour le participant. C’est la narration de sa propre histoire qui permet certaines prises de conscience pendant le témoignage. Un peu comme si la parole, le dialogue, le « logos » participait à un approfondissement de l’expérience vécue et à une meilleure compréhension de celle-ci. La philosophie herméneutique s’intéresse donc à tout ce qui a accédé à la conscience de la personne concernant un phénomène donné. Toutefois, ce n’est pas la conscience proprement dite qui est décrite, mais bien certains aspects de l’expérience vécue qui ont accédé à la conscience et auxquels la personne a donné un sens. Autrement dit, ce à quoi la chercheuse accède n’est pas l’expérience « réelle », mais ce qui a été cristallisé de celle-ci3. De ce fait, la réflexion phénoménologique est rétrospective et « introspective », elle a pour thème une expérience passée dont certains aspects ont été intégrés comme porteurs de sens, de significations. La recherche phénoménologique s’intéresse à la nature d’une expérience, à la description d’un phénomène de manière à en extraire des « thèmes récurrents » qui peuvent être décrits à travers l’analyse des structures qui « gouvernent » l’expérience vécue. En outre, la recherche phénoménologique tente de décrire, d’interpréter et de comprendre les significations de l’expérience d’un phénomène tel qu’il est vécu dans sa banalité et son unicité. Ce type de recherche est systématique, explicite, autocritique et intersubjectif. La phénoménologie fait partie des sciences humaines en ce sens qu’elle s’intéresse aux structures de la signification de l’expérience dans le « monde de l’humain » (“human world”). Cette approche est également une pratique attentive et prévenante qui prend soin, est soucieuse des merveilles de la vie (Van Manen, 1990). En d’autres termes, la recherche phénoménologique est centrée sur ce que signifie d’être humain. Enfin, pour certains auteurs, comme Van Manen (1990), la phénoménologie est une activité poétique, car elle voit le langage comme une incantation, une évocation parlée ou comme le dit Merleau-Ponty (1973) « un langage qui chante le monde ». Nous verrons maintenant que si la phénoménologie de Benner (1994) s’inspire de celle de Heidegger, elle va au-delà de la méthode pour mettre en évidence des pratiques de soins infirmiers intuitives, méconnues ; alors même qu’elles sont l’essence de la discipline. Mais arrêtons-nous d’abord quelques instants à l’aspect procédural. 1.5. Phénoménologie interprétative de Benner Pour Benner, Tanner et Chesla (1996) il s’agit, dans un premier temps, d’écrire nos préconceptions et nos postulats relatifs au phénomène, de manière à prendre conscience de ce qui nous habite et qui précède la recherche. Ensuite, il est conseillé de faire une description de la manière dont la recherche est menée et de comment les choix sont faits (par exemple : pourquoi certains thèmes récurrents sont rassemblés sous telle catégorie thématique plutôt que sous telle autre), ceci afin de maintenir : l’intégrité des données, l’ouverture intellectuelle lors de la collecte et de l’analyse de celles-ci, le dialogue entre nos préconceptions et les représentations issues des écrits ainsi que la rigueur des interprétations issues des verbatim. Dans le cadre du recueil de données, l’auteur est favorable à la triangulation des méthodes et préconise par conséquent l’utilisation d’observations directes. Le but poursuivi par cette triangulation vise à confronter les sources d’informations en vue d’en extraire ce qui est semblable et dissemblable. Cette pratique permet de mettre en évidence des comportements qui ne sont pas transmis verbalement par les infirmières, parce qu’elles n’y pensent pas sur le moment ou parce que ce comportement n’a pas d’importance à leurs yeux. Tout se passe comme si le contexte des soins était devenu pour ainsi dire invisible à l’infirmière en raison de sa familiarité avec le milieu, alors que ce dernier est surprenant pour l’observatrice extérieure. Chaque entretien est enregistré à l’aide d’un enregistreur vocal puis il est transcrit mot à mot. Ensuite chaque transcription est lue en parallèle à l’écoute de la bande afin de rechercher et de corriger les éventuelles erreurs. Il est usuel qu’une analyse préliminaire se fasse en parallèle au recueil des données afin d’identifier le moment où il y aura redondance des thèmes. Cela implique pour la chercheuse de maintenir cette ouverture intellectuelle indispensable afin de mettre entre parenthèses les entretiens antérieurs, tout en choisissant d’y avoir accès à certains moments précis, afin 3. Ce concept est issu des travaux de Carkhuff (1969). Il est relié à ce que la personne apprend, intègre, garde d’une expérience et qui peut être réutilisé dans le futur. 92 Recherche en soins infirmiers N° 69 - juin 2002 DE L’INTÉRÊT DE LA PHÉNOMÉNOLOGIE POUR LA MISE EN ÉVIDENCE DE L’EXPERTISE INFIRMIÈRE ET LE DÉVELOPPEMENT DE CONNAISSANCES EN SOINS INFIRMIERS. d’obtenir plus de détails par exemple. Il est usuel aussi de ne pas savoir combien de temps durera la phase de recueil de données, même si le plus souvent le nombre d’entrevues ne dépasse guère la quinzaine. L’interprétation se fait de manière consensuelle lorsqu’il y a plusieurs chercheurs et cela pour toutes les sources d’informations utilisées. L’unité de base de l’interprétation est l’histoire d’un patient, son contexte, ce qui précède et ce qui suit. Selon Benner (1994) la compréhension d’un phénomène surgit lorsque nous rencontrons un ou des exemple(s) particulièrement frappant(s) du phénomène étudié. Ces exemples sont appelés des cas paradigmatiques ou “paradigm cases”. Une partie de l’interprétation consiste à repérer comment et pourquoi ces exemples surgissent, attirent l’attention ou au contraire comment et pourquoi ils vont à l’encontre de ce qui était pris pour acquis. En d’autres termes, étudier un cas paradigmatique a pour but de comprendre la situation à partir de l’expérience du participant, avec ses contraintes et ses possibilités. Le but n’est pas d’identifier le « processus social de base » qui sous-tend l’action ni des structures abstraites, mais de faire un mouvement théorique d’éloignement de l’action décrite dans le verbatim pour commencer un dialogue avec ce dernier et le comprendre à travers le souci du narrateur et celui de l’interprète. Toutefois, il faut souligner que la rigueur du processus d’interprétation requiert que l’interprète ne s’intéresse pas qu’aux cas paradigmatiques, mais qu’elle écoute et donne sens également aux silences et aux histoires dont elle n’attendait pas la narration, qui ne ressemblent pas aux autres. Benner (1994) appelle ces histoires des exemplaires (« exemplars »). Il est possible de dire que l’analyse des exemplaires apporte les nuances qualitatives qui n’étaient pas disponibles dans les cas paradigmatiques. Le niveau d’interprétation suivant consiste à identifier des thèmes. Ce processus se fait à partir des mêmes textes dont sont issus les cas paradigmatiques et les exemplaires. Cette technique consiste à faire de multiples aller et retour entre le verbatim et les interprétations de manière à sélectionner les parties qui soutiennent ou au contraire réfutent ces interprétations. Cette technique peut faire penser à celle de la comparaison constante qui est utilisée en “grounded theory”. Benner (1994) précise qu’il est important de citer les cas paradigmatiques qui soutiennent le thème de même que les exemplaires qui présentent une variation de celui-ci. De cette manière, l’interprète assume qu’il existe des incohérences par le fait même qu’il les met à jour. Enfin, le processus interprétatif ne serait pas complet si les observations directes ne participaient pas à améliorer la compréhension du phénomène. Elles aident à appréhender le contexte de la pratique des soins, du recueil de données et de l’interprétation. En résumé, il est possible de dire que l’analyse des observations directes nuance ou renforce les interprétations des verbatim. Nous venons d’appréhender le paradigme de Benner (Benner, 1994 ; Benner, Tanner & Chesla, 1996) qui est la « méthodologiste » retenue pour la présente étude. De fait, nous avons abordé trois aspects essentiels de son approche, soit : le premier, épistémologique, qui considère la subjectivité de l’expérience vécue comme source essentielle de connaissances, le second, ontologique, qui s’intéresse à la singularité de chaque point de vue et le dernier, méthodologique, qui fait appel à l’interprétation. Nous avons également esquissé un des buts du travail de la chercheuse, c’est-à-dire l’extraction de cas paradigmatiques et d’exemplaires à travers l’analyse des structures qui sous-tendent l’expérience vécue. 2. OPÉRATIONNALISATION Voyons maintenant plus précisément les conséquences pratico-pratiques qui découlent naturellement de ce qui précède. Nous mentionnerons, à titre d’exemple, la question de recherche, puis nous présenterons brièvement l’étape de mise à plat des préconceptions en regard du phénomène à l’étude. Ensuite nous aborderons les participants, le contexte de l’étude, les entretiens et les critères de rigueur de la recherche phénoménologique.. 2.1. Question de recherche La plupart des écrits consacrés au réconfort auxquels nous avions eu accès jusqu’en 1999, semblaient ne s’intéresser qu’au corps, alors que nous voulions justement rejeter le dualisme cartésien qui sépare le corps de l’esprit et prendre en considération la personne dans son entièreté. Cette conception de l’être humain, appréhendé comme un être « bio-psycho-social-spirituel » nous a amené à libeller la question de recherche ainsi : 93 Recherche en soins infirmiers N° 69 - juin 2002 Quelles sont les significations des expériences de réconfort de personnes en phase postopératoire et des infirmières praticiennes qui en prennent soin ? 2.2. Mise entre parenthèses Husserl fut l’un des premiers à introduire la notion de « mise entre parenthèses » des savoirs, des croyances et des préconceptions du chercheur. Toutefois, l’objectif poursuivi initialement par cette procédure visait essentiellement à assurer l’objectivité de la description de l’observation. De nos jours, ce n’est pas tant l’objectivité qui importe, puisque l’herméneutique nous incite à reconnaître l’intérêt de l’intersubjectivité, que la mise à plat voire la prise de conscience des préconceptions de la chercheuse, de manière à être ouverte à l’expérience de l’autre. Autrement dit, il s’agit de mettre par écrit ce que nous savons, pensons, croyons et avons expérimenté à propos du phénomène, afin d’être consciente que ceci nous appartient et que n’allons pas le « lire » dans les propos de notre interlocuteur. Cet exercice se pratique avant chaque entrevue de manière à être tout à la fois « libre » des témoignages antérieurs et capable d’y accéder, à certains moments bien précis, pour faire avancer la compréhension du phénomène. Par exemple, à un moment donné, il ressortait de l’analyse préliminaire qu’aucun patient n’avait demandé à être réconforté, alors-même qu’ils avaient tous apprécié de l’être. Nous avons donc ajouté une question en lien avec cet aspect qui nous a permis de comprendre que le réconfort ne se demande pas verbalement. Quittons maintenant l’activité de « mise à plat » des préconceptions pour aborder ce qui est habituellement connu sous l’appellation « échantillon » et « recueil des données » et que nous intitulerons à dessein « participants » et « partages d’expériences vécues » telles qu’elles apparaissent à la conscience de la personne qui en fait la narration. 2.3. Participants Les participants à cette étude sont des adultes francophones, hospitalisés dans les deux services de chirurgie générale d’un Centre Universitaire de Suisse francophone. À partir de la suggestion des deux infirmières chefs de service, trois premiers critères de sélection ont été retenus, soit : avoir été opéré sous anesthésie générale, avoir fait un séjour aux soins continus4 et être audelà du quatrième jour postopératoire. Ce dernier critère découle de la pré-enquête qui a démontré que jusqu’au troisième jour postopératoire, les patients bénéficient souvent de l’administration continue de Morphine par pompe et qu’ils sont somnolents et parfois déconnectés du contexte. Nous avons donc préféré les laisser se reposer et bénéficier pleinement de leur antalgie. De plus, les troisième et quatrième jours postopératoires sont souvent pénibles en raison de la reprise du transit. Ces raisons nous ont fait choisir des patients qui étaient au-delà du quatrième jour postopératoire. Deux autres critères de sélection ont été prévus : parler couramment le français et posséder une capacité d’élaboration suffisante de son vécu pour faire des liens et donner du sens à son expérience. Ces critères ont pour objectif l’obtention d’un groupe de participants relativement homogène quant à son contexte postopératoire. En effet, choisir de ne pas s’intéresser à une pathologie particulière, nous a amenées à utiliser l’anesthésie générale et le passage aux soins continus comme critères permettant une certaine « homogénéité », bien que très relative, de l’expérience passée. Par ailleurs, les capacités d’expression orale et d’élaboration5 seront également prises en considération afin de favoriser l’occurrence de propos pertinents pour le projet. Cependant, nous avons veillé à ne pas pénaliser des personnes qui auraient des difficultés d’élocution (et non d’élaboration) et qui de ce fait apporteraient une expérience singulière, dans le sens où ces personnes ont besoin de plus de temps pour exprimer ce qu’elles ont à dire. L’exclusion de personnes présentant des difficultés d’élaboration fait prendre le risque de biaiser les résultats en ce sens que ces derniers ne refléteront pas l’expérience de ces personnes, alors même qu’elles néces- 4. Les unités de soins continus peuvent recevoir 6 patients dont l’état de santé nécessite une surveillance infirmière et médicale rapprochée. 5. Par capacité d’élaboration nous entendons la possibilité de donner une signification à l’expérience vécue, à partir de son histoire personnelle, de sa capacité de ressentir, de prendre conscience et de nommer ses sentiments et ses sensations de manière à pouvoir raconter cette expérience en lui donnant un sens et en l’intégrant. 94 Recherche en soins infirmiers N° 69 - juin 2002 DE L’INTÉRÊT DE LA PHÉNOMÉNOLOGIE POUR LA MISE EN ÉVIDENCE DE L’EXPERTISE INFIRMIÈRE ET LE DÉVELOPPEMENT DE CONNAISSANCES EN SOINS INFIRMIERS. sitent probablement encore plus d’attention de la part de l’infirmière. suivre les méandres de notre propre expérience en regard du processus induit. Concrètement, il s’agissait de réunir plusieurs dyades : c’est-à-dire qu’il a été demandé à l’infirmière chef d’unité de soins de choisir une personne répondant aux critères ci-dessus6 de manière à ce que cette personne nous « raconte une histoire vécue » qui s’est passée après l’opération et au cours de laquelle, elle a été réconfortée. Ensuite, il s’agissait d’accéder à l’infirmière qui avait apporté du réconfort et de lui demander de nous « raconter sa propre histoire vécue » lorsqu’elle a réconforté cette personne en particulier. L’entrevue avec le malade précédait toujours celle avec la soignante et chaque participant ne pouvait appartenir qu’à une seule et unique dyade, ceci afin de ne pas forcer la redondance des thèmes. Les équipes infirmières des deux Services de Chirurgie Générale dans lesquels a eu lieu le recueil de données étaient composées chacune de 40 personnes dont 37 infirmières et 3 infirmiers. Ils pouvaient accueillir 92 patients dont 12 nécessitant des soins continus. Quant à la détermination exacte du nombre de participants, elle s’est faite dès redondance des thèmes comme cela est préconisé par Benner (1994). Rappelons que la notion de dyade est particulièrement intéressante dans le cadre de cette étude, car le phénomène de réconfort est élaboré dans cet espace transitionnel (Winnicott, 1970), situé entre deux êtres humains qui peuvent être considérés comme un système à part entière où se « construit » le réconfort. Dès lors, il est important d’appréhender l’expérience des deux partenaires de cette dyade de manière à pouvoir décrire et mieux comprendre ce qui s’y passe. Les deux unités dites de « soins continus » recevaient des patients ayant une pancréatite aiguë, des varices œsophagiennes ou des polytraumatismes avec une suspicion d’hémorragie interne. Y étaient transférés aussi tous les patients en provenance des soins intensifs de chirurgie ainsi que les patients développant une embolie pulmonaire massive, des troubles du rythme cardiaque, un delirium tremens aigu. Les patients porteurs d’une trachéotomie récente ou d’un drain thoracique sont également transférés aux soins continus. Les personnes qui ont bénéficié d’une appendicectomie, d’une cure de hernie, d’une cholécystectomie, de l’ablation de varices aux membres inférieurs, d’une laparoscopie ou d’une thoracoscopie ne restent pas plus de quatre à cinq jours dans le Service et sont considérées comme vivant une situation « chirurgicalement simple », sauf en cas de complications de nature infectieuse. Précisons toutefois que les critères d’inclusion prédéterminés ne nous ont pas amenée à rencontrer de personnes ayant ce type de pathologie. 2.5. Carnet de bord 2.4. Contexte En recherche phénoménologique herméneutique, la pluralité des sources d’informations est non seulement reconnue mais elle est indispensable. Plusieurs auteurs soutiennent cette appréhension diversifiée du phénomène (Benner, 1994 ; Benner, Tanner & Chesla, 1996). C’est pourquoi, nous avons retenu dans le cadre de la présente étude, les options suivantes : dans un premier temps, nous avons rencontré des adultes en phase postopératoire et les soignants qui les avaient réconfortés ; puis dans un second temps nous avons effectué des observations directes de ces mêmes soignants ; enfin, les notes qui ont été régulièrement transcrites dans un « carnet de bord » devaient nous permettre de Les observations consignées dans le carnet de bord au fil des jours, permettent de retrouver des informations isolées et apparemment anodines qui, une fois mises en relation, permettent d’appréhender le contexte dans lequel le phénomène prend place. Par exemple, nous avons eu peu d’opportunité de croiser les chirurgiens, ces derniers étant le plus souvent en salle d’opération lors de notre présence dans les services. Par contre, nous avons eu l’occasion de rencontrer à plusieurs reprises un jeune médecin anesthésiste. Ce dernier venait très régulièrement au chevet des opérés sous PCA7 afin d’évaluer leur douleur. Il prenait le temps d’expliquer aux patients les grands principes 6. Cette procédure a été proposée par la Commission d’Ethique de la Recherche Clinique, en regard du fait que la chercheuse principale n’appartient pas au service de chirurgie et n’a par conséquent pas accès aux informations relatives aux patients qui y sont hospitalisés. 7. PCA : Patient Controlled Analgesia, c’est-à-dire que le patient contrôle lui-même son antalgie dans une fourchette autorisée par le médecin anesthésiste. 95 Recherche en soins infirmiers N° 69 - juin 2002 d’une antalgie efficace et ceci en des termes simples et compréhensibles pour un néophyte. De plus, il échangeait spontanément et régulièrement avec les infirmières du service à propos de l’évolution de la situation de tel ou tel patient qui présentait des douleurs persistantes. Il est possible de dire que ce médecin était un personnage-clé pour les patients qui souffraient de douleurs physiques et qu’il était de ce fait le meilleur allié des infirmières. Il est à relever que le carnet de bord révèle que certains aspects pénibles n’ont été mentionnés par les infirmières qu’en dehors des enregistrements, généralement à la fin de ceux-ci. Cet « appel à l’aide » traduit à nos yeux, la souffrance de l’infirmière qui ne peut plus « prendre soin » du patient comme elle sait le faire, de manière holistique et jusqu’à la fin de la vie. Ceci en raison du « turn over » des patients et de la surcharge de travail qu’il implique. possible de dire que la structure recherchée est une réduction, une concentration dont nous avons besoin pour donner sens, prendre conscience de notre interprétation des différents textes (verbatim, descriptions des observations). Rappelons que simultanément à cette phase de réflexion, commence celle de l’écriture phénoménologique herméneutique. Les onze entretiens avec les patients ont commencé par une information orale, la lecture et la signature de deux exemplaires de la formule de consentement écrite, exigée par la Commission d’Ethique. Une seule personne a refusé l’enregistrement de l’entretien et ne nous a pas autorisée à consulter son dossier infirmier. De plus, cette patiente ne se sentait pas bien, elle transpirait, nécessitait des soins, si bien que nous avons mis un terme à l’entretien, après cinq à dix minutes. Ces propos furent faciles à transcrire. Lors d’une autre rencontre, nous avons estimé que l’état de santé de la personne se péjorait et ne permettait pas de continuer l’entretien. Celui-ci a été clos après une vingtaine de minutes et il a été transcrit. 2.6. Entretiens L’entrevue avec les patients et les soignantes a été guidée essentiellement par deux jeux de grandes questions ouvertes qui dérivent de la méthode phénoménologique choisie et qui étaient soutenues par les résultats de la pré-enquête. La question centrale destinée au patient était libellée ainsi : racontez-moi une histoire vécue durant cette hospitalisation, qui concerne le réconfort que vous a apporté un infirmier ou une infirmière… Le propos de la réflexion phénoménologique est de saisir la signification essentielle d’un phénomène. Et ceci est tout à la fois simple et complexe, car la prise de conscience de l’essence d’un phénomène implique un processus de réflexion, de clarification et d’explicitation de la structure de la signification de l’expérience vécue. Ce processus est complexe, car il est multidimensionnel, il ne peut se résumer en une définition succincte. C’est pourquoi la narration est si importante, car elle émerge d’une activité réflexive favorisée par la durée de l’entrevue. Il en est de même ultérieurement pour la chercheuse qui, à son tour, aborde l’activité réflexive dans l’écriture et la ré-écriture. Toujours dans l’idée de saisir la structure de la signification du texte, il est aidant d’approcher ce dernier en termes d’unités de significations, de structures de significations ou par thèmes. C’est ainsi que la réflexion sur l’expérience vécue devient une analyse réflexive de la structure de cette expérience. En d’autres termes, il est À l’exception de ces deux situations, les entrevues avec les opérés se sont déroulées dans des conditions optimales, c’est-à-dire le plus souvent dans leur chambre, qui pouvait contenir un ou deux lits et dans laquelle nous étions seule avec notre interlocuteur. Un des entretiens, qui devait avoir lieu dans une chambre à cinq lits, a été conduit dans une petite salle attenante au service. Le patient qui ne nécessitait pas d’infrastructure particulière en a profité pour faire quelques pas dans le couloir. Les entretiens avec les opérés ont pu se réaliser dans une fourchette allant de dix minutes pour le plus court à deux heures pour le plus long. Précisons toutefois que la plupart des entrevues ont duré environ une heure. Quant aux rencontres qui ont eu lieu avec les infirmières, elles étaient presque toutes précédées d’une sorte d’avertissement de leur part qui annonçait, qu’en cas d’urgence, l’entretien serait brusquement interrompu. L’entrevue se déroulait donc dans le service et pendant les heures de travail de l’infirmière. Toutes les rencontres ont eu lieu dans des locaux où il était possible tout à la fois d’être tranquille et rapidement atteignable en cas de besoin. Dès la première question, les infirmières étaient focalisées sur leurs expériences en lien avec tel ou tel patient et très rapidement la tension liée au contexte de l’entretien passait au second plan. La quasi-totalité des entretiens ont duré au-delà d’une heure. 96 Recherche en soins infirmiers N° 69 - juin 2002 DE L’INTÉRÊT DE LA PHÉNOMÉNOLOGIE POUR LA MISE EN ÉVIDENCE DE L’EXPERTISE INFIRMIÈRE ET LE DÉVELOPPEMENT DE CONNAISSANCES EN SOINS INFIRMIERS. Avant de passer à l’autre partie du recueil de données, c’est-à-dire aux observations directes, il est intéressant de relever un élément quelque peu surprenant. En effet, lorsque nous prenions contact avec l’infirmière qui avait été identifiée - par le patient - comme lui ayant apporté du réconfort, huit soignantes sur onze ont été surprises de cela. Elles n’arrivaient pas à imaginer qu’elles avaient participé au réconfort de l’opéré qui nous amenait auprès d’elles. Ce phénomène nous a interrogées et nous a confortées dans l’idée de pratiquer la triangulation des méthodes de recueil des données et d’organiser des observations directes. 2.6.1. Codage des entretiens Chaque entretien a fait l’objet d’une première analyse individuelle et systématique, qui consistait à « coder » 8 toutes les phrases rattachées de près ou de loin au phénomène. Ces phrases ont été, ensuite, extraites du verbatim par une procédure de « copier - coller ». Seuls les propos totalement extérieurs au phénomène ont été écartés, comme l’arrivée d’un soignant dans la chambre, les interruptions pour boire ou reprendre son souffle. Concrètement, cette phase s’est terminée par la production de 22 documents dont la colonne de gauche contient des extraits de transcription d’entretien, alors que dans la seconde colonne se trouve un terme qui est une synthèse de la signification de l’extrait. La troisième colonne est destinée à recevoir ultérieurement de nouveaux « thèmes » qui émergeront lors de la prise en considération de toutes les analyses. La quatrième colonne attend des remarques diverses issues des multiples relectures des verbatim. Cette analyse préliminaire s’est faite parallèlement au recueil de données. Dans un second temps, tous les « thèmes » ont été copiés et collés sur deux tableaux synoptiques comprenant chacun 11 colonnes, chaque colonne faisant référence soit à un patient, soit à une infirmière. Simultanément, de nombreux aller et retour étaient faits avec les verbatim afin de vérifier si le « thème » gardait toujours la même signification ou s’il y avait des différences d’interprétations et lesquelles. Cette manière de faire est appelée en « grounded theory » la méthode de comparaison constante. 2.6.2. Catégories thématiques L’analyse des soixante et un « thèmes » récurrents, a permis d’extraire sept catégories thématiques relatives à l’expérience de réconfort des patients. Alors que l’analyse des soixante-dix thèmes, a permis d’identifier sept catégories thématiques pour les infirmières. Les différences et les similitudes concernant les catégories seront reprises systématiquement et approfondies dans un prochain article consacré aux résultats. Toutefois à titre d’exemple, nous mentionnons que les « thèmes récurrents » des patients : être touché par la compassion de l’infirmière, être ému par les paroles de l’infirmière et ressentir un souci de l’autre sincère, ont été classés dans la catégorie « être ému d’être reconnu comme un être humain qui souffre ». Parallèlement, nous avons décrypté parmi les « thèmes récurrents » des infirmières : être ouverte à la souffrance de l’autre, être touchée par les dires du patient et s’attacher rapidement au patient, comme appartenant à une catégorie intitulée « se sentir proche d’un être humain qui souffre ». 2.7. Observations Les observations directes ont eu lieu du 8 au 23 décembre 1999. Elles concernent neuf infirmières sur onze. C’est ainsi que nous obtenons un total de 41 séquences d’observation d’une dizaine de minutes, réalisées auprès de 20 patients qui se répartissent en 11 femmes et 10 hommes. Chaque séquence forme un tout cohérent, c’est-à-dire qu’il y a un début et une fin d’interactions sur un sujet donné. Le plus souvent la fin de l’interaction était provisoire. Parfois plusieurs séquences se succédaient de manière rapprochée lorsque le problème à résoudre nécessitait des allées et venues de la part de l’infirmière. Dans d’autres circonstances, comme la tournée de l’après-midi, l’échange avec certains patients n’a comporté qu’une séquence unique d’interactions. Ces observations ont été réalisées dans le contexte naturel des soins et selon l’horaire habituel des infirmières. Les observations ont eu lieu entre 13h30 et 24h00. 8. Le terme est entre guillemets car il ne s’agit pas d’une codification numérique usuelle. À ce propos, Benner et al.(1996) préfèrent le terme «nommer», c’est-à-dire donner un nom plutôt que le terme «coder». D’ailleurs le «codage» nous amène à identifier des «thèmes» et non des «codes». 97 Recherche en soins infirmiers N° 69 - juin 2002 L’unique critère retenu pour effectuer la transcription de l’observation était que celle-ci ait un lien avec le phénomène de réconfort. Toutes les transcriptions ont eu lieu dans les 12 heures qui suivaient l’observation sur le terrain. En définitive, très peu d’observations n’ont pas été dactylographiées. Les observations directes ont permis de confirmer que l’infirmière utilise beaucoup plus de stratégies de réconfort que celles dont elle parle. Par ailleurs, l’organisation des soins ressort comme un élément déterminant du contexte qui favorise ou limite les opportunités de réconfort. Enfin, la collaboration avec le médecin anesthésiste est un point majeur lors de la phase postopératoire précoce (retour de la salle d’opération). 3. CRITÈRES DE RIGUEUR En recherche qualitative, quatre critères de rigueur dominent les principaux écrits. Premièrement, la valeur vraie ou l’authenticité (Cara, 1999), assure que les résultats correspondent bien à l’expérience telle qu’elle a été vécue et transmise par les participants. Ce critère est atteint par le respect de la méthode et plus particulièrement par le processus de réduction phénoménologique et des multiples lectures des verbatim et de l’usage de l’intuition. La « justesse » (Sandelowski, 1986) implique que l’étude du phénomène se déroule dans son environnement naturel et avec un minimum de contrôle. C’est pourquoi l’échantillon est théorique et sa taille ne peut être prédéterminée puisqu’elle dépend de la redondance des thèmes (Benner, 1994). Une étude répond au critère de justesse lorsque ses résultats sont valables dans des contextes différents de celui où a eu lieu le recueil de données. La « réplicabilité » ou la vérification vise la solidité des résultats. Ce critère est réalisé lorsqu’un autre chercheur peut clairement suivre le processus de décision utilisé par l’investigateur principal et qu’il arrive ainsi à des perspectives comparables et non contradictoires. Et enfin, la « confirmabilité » ou la crédibilité (Cara, 1999) implique que les résultats décrivent réellement le phénomène à l’étude. Elle est effective lorsque les trois critères précédents, authenticité, justesse et réplicabilité sont établis. Ce critère est assuré par la diversité des participants, la poursuite des entrevues jusqu’à redondance des thèmes et par la pratique des variations libres par la chercheuse, de même que par la reconnaissance du phénomène par les participants ou des experts. À ce propos trois types de pratiques émergent des écrits : certains chercheurs font « valider » tout le processus d’analyse en retournant aux participants, ceuxci sont alors considérés comme des co-chercheurs (Cara, 1997 ; Colaizzi, 1978) ; d’autres consultent des experts de la méthode, dès les premiers regroupements d’unité de signification (VanKaam, 1966) ; alors que les troisièmes refusent que des néophytes aient accès à l’analyse disciplinaire ; mais ils consentent à ce que les participants puissent relire leur verbatim (Giorgi, 1997). Dans le cadre de cette étude, la seconde option a été privilégiée, car après un séjour aux soins continus, nous avons pensé qu’il n’était pas souhaitable d’imposer une seconde entrevue aux bénéficiaires de soins. De plus, les deux infirmières chefs de service nous avaient averties que les dotations seraient insuffisantes durant toute la période de recueil de données, c’est pourquoi nous avons délibérément opté pour une seule et unique entrevue avec les infirmières. 4. Ethique Le devis a été soumis et approuvé par la Commission Permanente d’Ethique de Recherche Clinique à laquelle nous devions nous référer (août 1999). Le consentement éclairé des participants a été obtenu à l’aide de deux formules répondant aux critères émis par la dite Commission, afin de respecter les us et coutumes du lieu, après que la personne eut reçu oralement et par écrit toutes les informations relatives aux buts de la recherche. Un délai de réflexion de quelques minutes à quelques jours était prévu entre l’information et la signature de la formule. Un exemplaire signé par les deux parties était remis au patient alors qu’un autre était consigné dans le dossier de la recherche. *** Les points forts de la phénoménologie herméneutique concernent prioritairement la mise en évidence de l’expertise des cliniciens et des cliniciennes par la mise en lumière d’habiletés invisibles pour l’œil du néophyte et souvent utilisées de manière intuitive par les professionnels. Toutefois cet éclairage ne prend sens que pour autant qu’il soit restitué en terme de savoirs – pratiques développés à travers l’intégration de savoirs théoriques « adaptés » à la situation que vit un « être-dans-le-monde ». 98 Recherche en soins infirmiers N° 69 - juin 2002 DE L’INTÉRÊT DE LA PHÉNOMÉNOLOGIE POUR LA MISE EN ÉVIDENCE DE L’EXPERTISE INFIRMIÈRE ET LE DÉVELOPPEMENT DE CONNAISSANCES EN SOINS INFIRMIERS. Le second point fort de la phénoménologie herméneutique concerne – à moyen terme – le versant théorique de la discipline, c’est-à-dire qu’elle favorise le développement de connaissances en soins infirmiers ou plus exactement la théorisation de celles-ci à partir de la pratique. Références Bécherraz, M. (2001). Une phenomenology du réconfort. Expériences et significations du réconfort pour la personne opérée et pour l’infirmière qui en prend soins. Genève : Phronesis-Edition. Benner, P. (1984). From novice to expert. Menlo Park : Addison-Wesley. Benner, P. (1994). Interpretive phenomenology. Thousand Oaks : Sage Publications. Benner, P. (1995). De novice à expert. Excellence en soins infirmiers. Paris : InterEditions. Benner, P. (1999). Claiming the wisdom & worth of clinical practice. Nursing and Health Care Perspectives, 20, 312-119. Benner, P. (2000a). Clinical wisdom. Conference at the Department of Nursing. February 11. Montreal : Jewish Montreal Hospital. Benner, P. (2000b). 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Paris : Payot. 99 Recherche en soins infirmiers N° 69 - juin 2002 R ECHERCHE Maud Bécherraz, infirmière, Ph.D. en soins infirmiers correspondance : [email protected] 3e Partie EXPÉRIENCES ET SIGNIFICATIONS DU RÉCONFORT POUR LA PERSONNE OPÉRÉE RÉSUMÉ ABSTRACT Ce troisième article est consacré à l’analyse des témoignages de onze patients ayant vécu une expérience de réconfort en phase postopératoire. Le processus herméneutique utilisé est celui proposé par Patricia Benner, toutefois un aspect novateur est présenté dans cette recherche. En effet, l’approche centrée sur la dyade « bénéficiaire – infirmière » permet trois types d’analyses successives et complémentaires : a) l’une dirigée sur les expériences des opérés, (b) l’autre axée sur le vécu des infirmières et (c) la dernière consacrée simultanément aux acteurs de chaque dyade. This third article is consecrated to the testimony’s analysis of eleven patients having lived an experience of comfort in post-operative phase. the hermeneutic process used is the one proposed by Patricia Benner. However, a innovating aspect is presented in this research. Indeed, the approach centred on the dyad “patient – nurse” allows three types of successive and complementary analyses : (a) the one is directed on experience of operated people, (b) the second is directed on the nurse’s living experience and (c) the last is consecrated simultaneously to actors of each dyad. Cette approche méthodologique est indéniablement le point fort développé par l’auteur, dans le cadre d’une recherche herméneutique, car elle permet une analyse qui va au-delà d’un discours infirmier dont le patient – celui qui souffre – est le plus souvent le sujet absent. Deux recommandations pour la clinique terminent l’article. In the frame of the hermeneutic research, this methodological approach is undeniably the strongest point developed by the author, because, it allows an analysis which goes beyond the nursing speech whom the patient “who suffers” is more often the missing subject. Two clinical recommendations end this article. Mots clés : dyade, herméneutique, émancipation, patient, réconfort, phase postopératoire. Key words : dyad, Hermeneutic Phenomenology, emancipation, patient, comfort, postoperative phase 100 Recherche en soins infirmiers N° 69 - juin 2002 EXPÉRIENCES ET SIGNIFICATIONS DU RÉCONFORT POUR LA PERSONNE OPÉRÉE INTRODUCTION d’analyse consacrée aux entretiens. L’analyse des observations directes a été réalisée selon le même processus et permet essentiellement d’affiner et de compléter les dires des infirmières (Bécherraz, 2000). Cet article est le troisième d’une série consacrée à la phénoménologie et à l’étude du phénomène de réconfort. Il fait suite aux deux premiers : l’un consacré à l’élaboration d’une problématique de recherche qualitative issue de la pratique (Bécherraz, soumis), l’autre axé sur l’intérêt de la phénoménologie herméneutique pour la mise en évidence de l’expertise infirmière et de connaissances en soins infirmiers (Bécherraz, soumis). Le présent article est centré sur l’analyse d’une partie des données, de manière à clarifier un des processus, visant l’extraction de catégories thématiques. Dans une démarche qualitative, il est important que le lecteur puisse suivre la pensée de la chercheuse afin de comprendre comment elle arrive aux interprétations qu’elle propose. Par conséquent, la présence d’extraits de témoignages – appelés verbatim – sert deux propos prioritaires et complémentaires : le premier vise à asseoir les catégories thématiques en identifiant l’origine de celles-ci. L’autre, permet de pimenter et d’agrémenter le texte par le discours coloré des acteurs qui vivent une expérience de réconfort, voire une absence de réconfort. Trois recommandations pour la pratique des soins infirmiers clôturent l’article et permettent de concrétiser une partie des résultats de la recherche. La circularité de l’information est ainsi assurée. 1. Processus d’analyse des données L’analyse des données a débuté par le regroupement des onze dyades selon leurs expériences du phénomène et leurs caractéristiques propres. Ensuite, une analyse approfondie de l’intégralité des entretiens des patients puis des infirmières a été réalisée à travers l’activité de « codage ». Quatorze catégories thématiques ont émergé du regroupement et de l’analyse des « codes » dont sept synthétisent l’expérience des patients et sept résument celles des infirmières. Par la suite, la rédaction de onze « histoires dyadiques » a permis d’identifier et de consolider la présence de cinq « cas paradigmatiques » et de trois « exemplaires ». La rédaction des cas a terminé cette première phase 1.1. Analyse des témoignages de onze personnes opérées Une seconde analyse des témoignages des patients s’est faite à l’aide de deux axes orthogonaux. L’axe horizontal tenait compte du fait (de gauche à droite) que le patient « ne se sent pas réconforté » ou à l’opposé « se sent réconforté » et l’axe vertical considérait (de haut en bas) que l’infirmière est perçue comme « offrant du réconfort » ou au contraire « n’offrant pas de réconfort ». Le même canevas a été utilisé pour l’analyse des témoignages des onze infirmières. Finalement, les propos d’un patient relatant son expérience de réconfort se trouvaient dans le même espace que celui où l’infirmière décrivait le réconfort qu’elle lui avait apporté. Il est donc possible de dire que deux sortes de sous-espaces géographiques se dessinaient, soit un sous-espace congruent, composé des cadrans1 « plus/plus » (+/+) et « moins/moins » (-/-) et un autre non congruent, composé des cadrants « moins/plus » (-/+) et « plus/moins » (+/-). L’analyse des verbatim disposés sur deux axes orthogonaux permet de visualiser que tous les patients, à l’exception d’un, ont parlé d’une expérience pendant laquelle ils ont été réconfortés. Cependant, ils se sont également exprimés sans aucune difficulté sur ce qu’est pour eux l’inverse du réconfort. Il est ainsi possible de dire qu’à l’occasion d’une hospitalisation, il est usuel d’expérimenter les deux versants opposés du même phénomène, soit être réconforté (plus exactement se sentir réconforté) et ne pas être réconforté (ne pas se sentir réconforté). Voyons maintenant les éléments constitutifs des quatre cadrans séparés, au centre, par les axes orthogonaux. Nous analyserons tout d’abord ce qui caractérise l’absence de réconfort car il est intéressant dans le cadre de l’étude d’un phénomène donné de s’attarder aussi à son contraire. Cette manière de faire permet de compléter et d’affiner l’image obtenue à partir de positions différentes. Puis nous aborderons les contenus des deux cadrans « non superposables » dans lesquels les 1. La dénomination des quatre espaces délimités par les deux axes orthogonaux se réfère à la terminologie utilisée en mathématiques. 101 Recherche en soins infirmiers N° 69 - juin 2002 protagonistes ne sont pas en phase l’un avec l’autre. Nous terminerons par les éléments du cadran dans lequel l’attente du patient et l’offre de l’infirmière coïncident et sont « superposables ». 1.1.1. Espace « moins – moins » Dans l’espace (-/-) 2, la personne « ne se sent pas réconfortée » et elle perçoit que l’infirmière « n’offre pas de réconfort ». Les opérés parlent en termes de douleurs physiques qui ne sont pas apaisées pour différentes raisons, de désespoir, d’absence de parole, de soins peu individualisés, de manque d’information, d’indifférence ou de manque d’intérêt de la part de l’infirmière, de ce fait, ils se sentent oubliés, voire abandonnés. Voici maintenant l’essentiel des propos recueillis en réponse à la question : quel serait pour vous l’inverse du réconfort ? » 3 Un homme de 51 ans se souvient de ses douleurs en phase postopératoire : « Oui, parce que c’est le truc que je trouve un peu embêtant. J’avais une épidurale, puis à 8h. du soir, j’avais mal dans le ventre, un jour ou deux jours après l’opération, je crois, puis j’ai appelé, je pouvais pas causer, je faisais des signes et puis les infirmières, bon elles continuent à boire leur café et de discuter, et puis elles sont venues une ou deux fois vers moi, puis il y a rien qui se passait, elles trouvaient rien. Et puis au bout de 3h. de souffrances, elle a fait venir un anesthésiste, et l’épidurale s’était cassée et puis j’ai revécu 3h. sans calmant, sans épidurale, sans rien. C’est ça. Et puis j’ai eu beau faire signe, elles continuaient de discuter de leurs problèmes et puis de boire leur café, vous savez, c’est long 3h. quand on n’a pas de calmant après l’opération ». Vous aviez mal. « Oh, affreux. Ça alors, ça m’a dérangé ça. C’est le seul truc que je trouve négatif. À la fin, ils ont quand même fait venir l’anesthésiste qui a trouvé l’histoire. Il m’a mis de l’éther et puis tout était froid, partout. Donc l’épidurale faisait plus d’effet, ni des calmants, plus rien. Oh, je voudrais jamais recommencer ça. Je ne dis pas que c’était pas de leur faute, parce que je pouvais pas savoir que c’était le truc qui était cassé. Ils auraient bien pu faire venir l’anesthésiste plus vite, je sais pas. Je peux pas dire ce qu’elles auraient dû faire, mais tout ce que je sais, c’est que c’est long trois heures quand on les appelle et que personne vient ». Un homme de 61 ans relève le manque d’information, l’indifférence et les oublis : « Je crois que le pire quand on est dépendant des autres, dans un hôpital c’est de ne pas être informé,... d’avoir des interventions dont on ne connaît ni la raison ni le pourquoi, ni la manière. Oh le contraire du réconfort, ce serait un peu l’indifférence. L’indifférence d’une infirmière qui fait son travail mais d’une manière raccourcie, sans intérêt pour le patient. Un travail un peu bâclé, des oublis. Si on (nous) oublie devant le lavabo et que la sonnette elle est là puis qu’on ne peut se lever. Mais quand on est dépendant des autres et qu’on nous oublie, c’est très dur. C’est exactement l’inverse de l’attention, du réconfort ». (Ce patient a fait un malaise devant le lavabo et il ne pouvait pas attraper la sonnette pour appeler l’infirmière) Un homme de 78 ans dénonce le manque d’anticipation des difficultés liées à une hémiparésie : «Par exemple des petits détails... la majorité viennent, elles savent que je ne peux pas bien manier cette main. Alors le soir «ah je vous coupe la viande, ce soir c’est pas nécessaire parce qu’il y a du poisson... mais il y en a d’autres paf! (elles posent le repas) et «au revoir...» elles s’en vont. Que c’est... comme ça du vite expédié...» Une femme de 78 ans parle d’un manque d’amour, d’un manque d’imagination, d’un manque de compréhension, d’un manque de délicatesse et d’une emprise : « Au fond un manque d’amour... de sentir qu’on pèse et puis qu’on est désagréable à l’autre... qu’on est un poids ou une expérience qui ne va pas... Quelque fois un manque même d’imagination de ce que l’autre ressent. Dans le fond c’est ne pas pouvoir se mettre à la place de l’autre. 2 Dans cet article, le premier signe se réfère toujours à la personne opérée. 3 Les phrases écrites en italique ont été prononcées par la chercheure lors des entrevues. 102 Recherche en soins infirmiers N° 69 - juin 2002 EXPÉRIENCES ET SIGNIFICATIONS DU RÉCONFORT POUR LA PERSONNE OPÉRÉE Mais ça serait surtout... une petite animosité. Ça serait très le contraire du réconfort. Ou la dureté qui serait plus que l’indifférence mais qui serait aussi plus rare ». La dureté dans quel sens ? « Un manque de cœur, un manque de compréhension... ... ... un manque de délicatesse. Parce qu’il y a des gens très bien intentionnés qui envahissent.... Et ça ce n’est pas un réconfort, c’est une prise de, un peu... une emprise, voilà, ça je n’aime pas du tout ». Les chirurgiens sont également cités comme sources de souffrances supplémentaires dans trois circonstances : premièrement dans la manière décontextualisée d’annoncer une intervention chirurgicale, comme si celleci était banale. D’ailleurs les mots utilisés sont désincarnés, l’opérateur fait référence à une technique opératoire connue, maîtrisée, dont les conséquences ne peuvent être que positives, puisqu’il s’agit d’ôter, de couper, d’extirper les conséquences de la maladie ou du vieillissement. Un homme de 78 ans pense qu’il est « foutu » après l’annonce de l’opération : « Tout d’un coup le docteur d’en bas dit non, vous restez ici. Il y aura des amputations de ceci, cela. Hou ! ça m’est tombé dessus. J’ai dit à ma femme, je suis foutu. J’avais l’envie de dire au docteur, au professeur, vous n’avez pas une pastille de... comment, cyanure,...que je dise au revoir. Alors que j’étais très actif. Alors, puis tout d’un coup se trouver là comme une loque, je ne pouvais pas l’avaler. Et puis ne pas voir le bout du tunnel, vous comprenez. Parce que le docteur me dit, on va déjà couper ça et puis si ça va, ça ira bien, autrement on coupera plus haut, plus haut. Ah, j’étais prêt à... je ne veux pas dire me suicider (à l’hôpital), mais.... » Deuxièmement, par la douleur physique infligée à l’occasion d’une réfection de pansement non programmée, pour laquelle l’antalgie n’a pu être adaptée, semble être minimisée par certains chirurgiens arrivant à l’improviste pour « faire un pansement » Une femme de 74 ans parle de la réfection de son pansement : « Ça faisait tellement mal, heureusement qu’il y avait la p’tite qui me tenait la main (l’étudiante). Enfin, certains patients observent le manque de disponibilité de certains médecins pressés, stressés et qui n’ont donc pas le temps de s’arrêter pour donner des informations adaptées à leurs savoirs naïfs ». Un homme de 41 ans a peur de faire perdre du temps aux soignants : « De demander aux gens,... aux infirmières, aux personnes, aux médecins hm... premièrement on n’ose pas. Deuxièmement on les sent quand même qui ont un travail à effectuer, donc automatiquement ben, ils ont pas toujours deux minutes... On a l’impression qu’ils sont assez stressés donc euh tout de suite on essaie de bâcher pour pas leur faire perdre du temps ». 1.1.2. Espace « moins – plus » Dans l’espace (-/+) la personne opérée « ne se sent pas réconfortée », alors qu’elle perçoit que l’infirmière « offre du réconfort ». C’est un patient qui n’accepte pas d’être réconforté par une autre personne que sa conjointe. Il s’agit là d’une situation unique qui a été analysée à titre d’exemplaire (Benner, 1994). Voici la réponse du patient à la question : avez-vous reçu du réconfort sans en demander, ici en chirurgie ? Un homme de 41 ans n’accepte pas de réconfort de la part des infirmières : « Oui, sans doute. Est-ce que j’accepte aussi... C’est le gros dilemme ? C’est que moi j’aime une personne et c’est tout pour elle donc. Donc c’est pour ça que les autres infirmières elles ne le montrent pas, mais je pense qu’elles souffrent quand même un peu de,...comment ça s’appelle...On sent trop qu’il n’y a que sa femme et lui, donc. L’infirmière elle est à côté... mais comment elle peut donner du réconfort à une personne qui pense psychiquement à sa femme ? » Une seconde difficulté émerge du discours de cet homme : la fierté qui empêche de demander du réconfort : « Mais la fierté d’une personne est tellement forte qu’ils ne vont pas demander de réconfort. Ben c’est un peu comme moi : j’ai une fierté aussi... Puisque je suis un homme. Mon père m’a dit que je suis un homme, donc un homme, un homme doit être fort, il ne doit pas avoir de faiblesses ». 103 Recherche en soins infirmiers N° 69 - juin 2002 Il est d’ailleurs soutenu dans cette vision par un homme de 61 ans : « Oui et puis en tant qu’homme, on ne pleure pas facilement, on se cacherait presque ». contre de deux êtres humains et de la compassion. En d’autres termes, il s’agit bien plus pour l’infirmière « d’être avec » que de faire. Ecoutons ce que disent les opérés concernant ce réconfort de base essentiellement lié à la présence de l’infirmière. Ils sont unanimes. Rappelons que pour alléger le texte nous avons choisi de ne présenter que quelques témoignages significatifs sur l’ensemble. 1.1.3. Espace « plus – moins » Une femme de 74 ans relève l’importance de la présence et du toucher : Pour parler de l’espace (+/-), il est nécessaire d’utiliser le conditionnel. En effet la personne « se sentirait réconfortée » alors même qu’elle percevrait l’infirmière comme « n’offrant pas de réconfort ». Cet espace n’est pas utilisé par les patients. Plusieurs interprétations peuvent être émises à partir de ce constat. La première envisage que les questions posées essentiellement centrées sur l’expérience de réconfort issue d’interventions infirmières, les patients n’ont pas évoqué de situations où ils pratiqueraient un auto-réconfort de nature cognitive par exemple. Leurs propos suggèrent une certaine « passivité », comme si dans un premier temps, ils n’étaient que le réceptacle du réconfort. Par contre, ils ont souvent abordé le réconfort spirituel ou celui apporté par leurs proches (conjoint, enfants, petitsenfants, collègues, voisinage) mais toujours dans la position de récipiendaire. Ce constat laisserait-il supposer que dans un premier temps le réconfort consiste à recevoir ? Car le silence de cet espace suggère que le réconfort n’est pas considéré par les opérés comme un auto-soin délibéré, conscient et volontaire. En d’autres termes, en phase postopératoire, l’origine du réconfort est extérieure à la personne. Et ce n’est que vers la fin de l’hospitalisation que nous observons la catégorie thématique « être à nouveau source de réconfort pour soi et autrui ». Qu’est-ce qui vous a le plus réconfortée ? « Sa présence, sa gentillesse, qu’elle me tienne la main... ne pas être seule ». Une femme de 32 ans apprécie la proximité de l’infirmière, de ne pas être seule et de recevoir un câlin : « Je vois que les gens prennent à cœur ce que j’ai... les infirmières y sont aussi impliquées comme moi dans ma maladie... Elle (l’infirmière) a dit, je vis autant que vous,... je me mets à votre place, c’est touchant à quelque part... Elle aime bien voir les gens... moi ça m’aide bien sûr... Je ne suis pas seule (...) Elles ont leur manière de me montrer qu’elles sont avec moi. Je voyais qu’elle s’intéressait beaucoup à ma maladie, qu’elle s’intéressait beaucoup à ma situation, j’sais pas, ça se sent. Mais il y a des gens qu’on sent plus que les autres. un p’tit câlin,... un petit mot quand on pleure... À quelque part on se sent utile, j’sais pas des fois, un petit mot, un petit geste, un petit quelque chose... mais ça fait du bien... » Un homme de 43 ans aime la présence de l’infirmière, son sourire et ses paroles encourageantes : 1.1.4. Espace « plus – plus » Enfin, l’espace (+/+) est de loin le plus riche compte tenu de l’objectif poursuivi, c’est-à-dire de mieux comprendre la signification de l’expérience de réconfort à travers le double regard de l’opéré et de l’infirmière qui en prend soin. Ainsi, dans cet espace la personne « se sent réconfortée » et elle perçoit que l’infirmière « offre du réconfort ». Il est possible d’extraire des éléments communs à dix patients : une présence bienveillante, une attention à l’autre, un souci de l’autre avec le plus souvent un regard, un sourire, un contact physique qui sont accompagnés de paroles d’encouragement. Il est possible de dire que là, le registre est celui de la ren- « Les infirmières sympathiques... (un) sourire,... elles sont là, ça c’est un réconfort... Une personne est venue me dire « quand vous partirez (de l’hôpital), venez nous dire « bonjour ». Ça m’a fait vachement plaisir... C’est qu’on ne me laisse pas tomber... qu’on s’occupe de nous... C’est court mais ça fait plaisir... Ouais, ça suffit pour être bien dans sa peau... Il faut de l’accompagnement, quoi, quand on a un truc comme ça... » Une femme de 78 ans aime être touchée et elle apprécie la compassion des infirmières, le souci authentique de l’autre et de ne pas être seule : 104 Recherche en soins infirmiers N° 69 - juin 2002 EXPÉRIENCES ET SIGNIFICATIONS DU RÉCONFORT POUR LA PERSONNE OPÉRÉE « J’ai trouvé déjà le fait d’en parler, d’accepter de s’arrêter pour parler avec l’autre comme on parlerait avec une amie..., j’ai trouvé ça très remarquable... Et un soir où j’ai eu une sorte d’hémorragie, où une petite artère a sauté... il y avait huit personnes autour de moi ; là il y avait une infirmière asiatique que je connais depuis le début de l’année, qui était là, qui me caressait la main. Et c’est vrai que c’était pas indispensable mais bienfaisant... » Qu’est-ce qui fait du bien ? « C’est la qualité des gens, cette qualité d’abord de vocation d’aider... Qualité de sensibilité, de tact de... on sent aussi de pensée, quelquefois et puis que ce soit sincère. Quand on peut être transparent et qu’on sente que c’est vrai. C’est une attention sincère... un souci de l’autre sincère... » Et la compassion de l’autre fait du bien ? « Ça fait du bien et je trouve que ça enrichit de voir toutes les différentes manières, manifestations de compassion. Il y a ceux chez qui on le voit tout de suite et puis il y en a d’autres chez qui, tout à coup, on le rencontre. (Je suis) toute émerveillée de cet, de ce fluide qui passe au point de vue humain... Oui, c’est que, à ce moment là on ne se sent pas seule à l’hôpital, on a l’impression qu’il y a, oui, qu’il y a vraiment quelque chose qui touche aussi l’autre. C’est la qualité de l’humain, au fond, qui fait le réconfort. » Les catégories thématiques identifiées dans les extraits qui viennent d’être présentés sont les suivantes : « être ému d’être reconnu comme un être humain qui souffre », « ne pas être seul » et « être touché physiquement ». Il est intéressant de souligner que dans cette première phase, toute personne attentive et attentionnée pourrait remplacer l’infirmière. Toutefois, cette chorégraphie « en miroir », ce rapprochement de deux êtres humains, joue un rôle primordial dans l’offre en soins que fera l’infirmière dans un second temps. Puis il semble qu’intervienne un registre plus professionnel qui comporte plusieurs subdivisions de complexité croissante et qui ne sont perçues que par quelques patients. La première est identifiée par certains patients en termes de « faire ce que je ne peux pas faire » et que le jargon professionnel nomme volontiers la suppléance dans les activités de la vie quotidienne (AVQ). Cette suppléance est primordiale pour l’opéré qui la considère comme une source importante de réconfort. Curieusement, l’infirmière a tendance à banaliser cet aspect des soins. Un homme de 43 ans apprécie la suppléance dans les activités de la vie quotidienne : « Physiquement quand on ne peut pas exécuter quelque chose soi-même . Pour un malade, la première fois ça fait bizarre. Je pense que les infirmières sont formées pour ça. Heureusement... Ça fait plaisir qu’on s’occupe de nous... » Un homme de 78 ans décrit comment il est encouragé et aidé à faire des choses qu’il n’imagine pas pouvoir faire : « Parlant de l’infirmière : « Ah ben, elle me secouait de temps en temps... il faut y aller, on va se mettre debout, je lui dis : mais je peux pas « je vous aide » Aller, comme aujourd’hui, « ah ! on a 1/4 d’heure, je vais vous laver les cheveux », oh ben c’est gentil ! mais je ne m’y attendais pas ». Une femme de 34 ans est émerveillée qu’on l’aide à se lever le premier jour postopératoire : « Le lendemain matin quand ils ont réussi à me lever au fauteuil, j’en revenais pas moi-même, parce que je m’imaginais en tout cas pas sortir d’une greffe et que le lendemain je serais assise dans un fauteuil. Mais ils savent tellement bien expliquer déjà la position qu’il faut prendre, aider pour pas qu’on se fasse mal et, qu’ils (...) mettent en confiance... » Une femme de 32 ans parle de suppléance émotionnelle : « Il y a quelqu’un qui fait quelque chose pour moi, que je ne suis pas capable de faire, mais je sens qu’elle m’aide de me mettre un peu en paix, ne pas avoir peur d’affronter, j’sais pas, l’avenir... » Ici la catégorie thématique centrale est « faire ce que je ne peux pas faire moi-même ». Toutefois il est déjà possible d’observer, à travers le dernier témoignage, qu’il ne s’agit pas uniquement d’une suppléance banale liée à « faire pour l’autre », mais bien d’un soutien, d’une suppléance émotionnelle momentanée. Cette catégorie souligne l’importance, pour l’infirmière, de considérer la signification que le patient donne aux soins. 105 Recherche en soins infirmiers N° 69 - juin 2002 Ensuite et toujours dans ce registre professionnel, mais beaucoup plus subtil et plus complexe à décrire par le néophyte, intervient ce que certains patients appellent « le professionnalisme » et qui consiste à être soutenu, à pouvoir s’appuyer et finalement à être capable (physiquement et émotionnellement) de traverser cette épreuve et cette rupture que représente toute opération qu’elle soit mineure ou majeure. C’est dans cette catégorie que prend place l’anticipation de la douleur ou le fait d’être à l’affût des prodromes d’une complication. Plusieurs patients ont décrit ce qu’ils avaient vécu avec telle ou telle infirmière lors d’une phase aiguë. Leurs propos illustrent bien les diverses facettes du phénomène de réconfort en phase postopératoire et l’importance de se décentrer du présent pour se connecter au futur. «Oui, et puis bon, elle m’a bien fait comprendre que tout s’était bien passé, que le rein s’était mis à fonctionner tout de suite, qu’on avait une bonne diurèse, plein de choses que je ne m’étais pas encore rendue compte vu l’état dans lequel je me trouvais mais c’est vraiment réconfortant, parce que là tout de suite, j’ai eu le sentiment que c’était bon, que ça avait marché et puis voilà». Une femme de 32 ans est consciente des difficultés liées au rejet d’une greffe, mais elle sait que le futur existe : C’est d’abord être attentif évidemment. Et puis, aussi, de... de chercher à répondre à une angoisse peut-être, ou à une question qui se pose. « (Savoir) que le futur existe, (...) qu’il peut être encore mieux qu’aujourd’hui, voilà... J’ai trouvé déjà le fait d’en parler, d’accepter de s’arrêter pour parler avec l’autre comme on parlerait avec une amie..., j’ai trouvé ça très remarquable. Je sais que je suis en train de passer un mauvais moment (...) et que je vais outrepasser tout ça, aller en avant (...) Savoir que la vie continue. (...). Que le futur existe... » Un homme de 78 ans raconte comment il a été encouragé, soutenu, projeté dans le futur et comment il réapprend à vivre : « Elles m’ont dit, mais vous pourrez prendre courage Monsieur E.... Alors elles m’ont réconforté. Elles m’ont dit, écoutez, il faut vous cramponner, vous verrez, ça ira mieux, et puis c’est ce que j’ai fait, et puis bon, je m’en trouve réconforté. Il y a eu de ces jeunes que je me serais jamais entendu dire, ben nom de bleu, elle va me remonter le moral cette infirmière, voyez. Elle me disait, « voyez ça s’est bien passé, donc vous allez sur le bon chemin ». Mais elle me dit, il y a encore de belles journées, il y a encore des beaux jours qui vont se lever. Alors elles ont eu des paroles qui étaient, qui m’ont touché. Gentiment je réapprends à vivre, si on veut bien dire, voyez ». Comment vous sentez-vous une fois que vous êtes réconforté ? « Oh ben ! on refait des projets... » Une femme de 34 ans souligne la signification existentielle que peut renfermer une information : Une femme de 78 ans observe l’extrême attention de l’infirmière, sa capacité à écouter son souci et à y répondre. Elle parle également du réconfort lié à l’assurance de savoir qu’elle recevra ce dont elle aura besoin : « Une infirmière qui, un jour justement où je me faisais du souci ; je me posais des questions, qui s’est arrêtée, qui m’a gardée un bon moment . Mais ça crée évidemment un lien. Cette infirmière qui maintenant ne s’arrête plus, eh bien je ne peux pas oublier qu’on a eu un entretien plus profond. Alors évidemment à ce point de vue là, il y a évidemment une proximité affective. Elle m’a aussi parlé de sa famille et...ça crée aussi un lien de savoir ce que le soignant fait ». Quel lien faites-vous entre le réconfort et la souffrance? « Je dirais un nœud, ce que le calmant est pour la douleur... Mais ça atténue la souffrance dans le sens qu’elle est partagée, portée, quelqu’un vous porte avec vous... Etre encouragée, être soutenue... Ce qui m’encourage au fond, c’est quelque chose de vrai... ... les gens, peut-être, ne se rendent pas comptent qu’ils donnent. On ne dit pas assez aux gens ce qu’ils donnent. Et je pense que le soignant, quand il sent qu’il donne, que c’est reçu, ça stimule... ... Seulement, il y a la générosité qui est toute prête là, et qui n’attend au fond que, que de sentir que la porte est ouverte pour recevoir. Et il y a des toutes petites choses qui sont du réconfort : comment on vous installe. Des choses toutes matérielles et qui sont une assurance pour le malade ». 106 Recherche en soins infirmiers N° 69 - juin 2002 EXPÉRIENCES ET SIGNIFICATIONS DU RÉCONFORT POUR LA PERSONNE OPÉRÉE Une assurance « De sentir que on aura ce dont on a besoin ; que les gens savent au fond ce dont on a besoin. Même si on ne le dit pas ». Les catégories thématiques identifiées dans ces témoignages sont : « être ému d’être reconnu comme un être qui souffre », « faire ce que je ne peux pas faire moimême » et « être projeté dans un futur meilleur ». Par ailleurs, en dehors de la dyade « bénéficiaire – infirmière » qui demeure le focus de cette étude, il est intéressant de souligner que tous les patients ont fait référence au réconfort apporté par leur famille, leurs amis, leurs collègues, voire les voisins de chambre, mais également par la spiritualité. C’est dire qu’en dehors du réconfort offert par l’infirmière, il existe un réconfort ancré dans la sphère privée et sociale de la personne. D’ailleurs, les infirmières qualifiées d’expertes englobent cette sphère familiale et sociale dans leurs interventions visant le réconfort de l’opéré. Mais pour l’instant, voici quelques expressions spontanées de patients à propos du rôle joué par leur entourage et la spiritualité. Une femme 32 ans parle de la force du lien avec ses enfants : « Mes enfants, ils sont là, ils sont tout pour moi... » Un homme 43 ans mentionne l’importance des liens avec l’extérieur de l’hôpital : Pas faire des choses grandissimes, vous voyez. Mais finir ma vie tranquillement et puis pas être trop à la charge de quelqu’un. « Mais bon, tout, par la grâce de Dieu, ça s’est... comment, mis ensemble pour me remettre un peu sur les rails ». Une femme 66 ans est réconfortée par les messages de ses amies et la visite de son médecin traitant : « J’ai reçu un téléphone de Paris, une carte des Seychelles... j’suis toute émotionnée, ça me fait plaisir qu’on pense à moi depuis, depuis là, oui (...) c’est une collègue, enfin une collègue qui travaille encore tandis que moi je suis à la retraite...» Une chose qui m’est arrivée mais qui me fait très très plaisir, ça concerne pas le CHU, mais ça concerne mon médecin de famille qui est venu me retrouver. Oh oui, puis je dormais quand il est arrivé. Il ne m’aurait pas réveillée,... mais j’ai senti sa présence et puis je me suis réveillée. Ça m’a fait du bien de le voir... Une femme de 71 ans raconte comment elle a protégé son conjoint pendant qu’elle était mal. Elle parle de l’importance des visites de ses ex-employées et de ses voisines. Elle mentionne le réconfort spirituel. « Même s’ils ne viennent pas, un téléphone, pi ils disent « bonjour » et puis c’est tout... Mais un aprèsmidi, une voisine est venue me trouver, c’est gentil... C’est même pas la famille... mais je trouve que c’est joli... je fais partie de la gym, elles ont presque toutes téléphoné... « Les téléphones, les visites... » Un homme 78 ans est conscient du réconfort qu’il a reçu de ses proches et des projets qu’ils ont faits ensemble. Il est reconnaissant envers Dieu : (Mon épouse disait) Oh, prends courage, ça va t’aider. Ma fille, mon fils disaient la même chose. Puis je voyais mes petits enfants qui venaient. Il te faut venir par ce que tu sais, l’année prochaine on va faire une croisière, y en a un qui me disait (petit fils). Mon mari est plus âgé, il a 79 ans, alors j’ai vu qu’il était tout malheureux, il est venu tous les jours et je lui disais que ça allait bien. C’est pas vrai ; j’ai menti tout le long. C’est pour eux que j’ai pas voulu... C’est, d’être entourée... quelqu’un qui vient leur dire « bonjour » Ces serveuses qui sont encore gentilles avec nous parce que moi j’étais gentille aussi Comme mon petit fils me disait « on va en croisière »... on voit la vie en avant, voyez, on se dit, ben bon je pourrais faire ci, je pourrais faire ça encore, voyez. Si nous-mêmes on donne quelque chose et qu’on reçoit, c’est un réconfort. Et puis, ma femme, mes enfants, mes petits enfants, ils ont encore besoin de moi. Ben je vais vous dire que moi... je ne pratique pas. Mais je prie quand même tous les soirs »... je crois 107 Recherche en soins infirmiers N° 69 - juin 2002 quand même en Dieu. Il y a le réconfort dans la croyance ». Les catégories thématiques identifiées sont « être entouré par ses proches, ses amis et ses collègues » et « être soutenu spirituellement ». Enfin, il semble bien que l’hospitalisation soit pour certains patients l’occasion d’une expérience existentielle intense qui les conduit à un bilan de vie qui bouleverse leurs croyances de base concernant la vie en général et la leur en particulier. Lorsqu’ils abordaient cette expérience, une forte émotion accompagnait leurs dires qui devenaient parfois un peu confus probablement de par la proximité et l’intensité de l’événement qu’ils avaient vécu. Toutes les personnes qui ont partagé ce genre d’expérience disent avoir frôlé la mort ou ont senti être perdues à un moment donné. Voici ce qu’elles disent : Un homme de 61 ans fait son bilan de vie suite à un accident : « (Emu) Je vous dis, je crois que je n’ai jamais pleuré, je crois que j’ai été trois semaines (...) aux soins intensifs, j’étais très mal en point (...). Je suis revenu par le petit trou. Ils m’ont sauvé. Ils ont fait un travail extraordinaire... J’étais vraiment mal en point. J’étais un légume, quoi. Il n’y a pas de séquelles. Et ça c’est un miracle aussi. (...) on a énormément travaillé. Puis on a fait son chemin. Mais ça a été dur. J’ai eu la chance d’avoir une bonne constitution, le réconfort c’est un peu la réussite de son entreprise. (...) On se contente finalement de peu. C’est un réconfort plus matériel qu’émotionnel ou intellectuel (...) c’est totalement différent (en dehors de l’hôpital). » Un homme de 78 ans fait son bilan de vie après avoir pensé qu’il était perdu : « (Emu) (...) mais pour être un patient lourd à la maison, je vais être d’aucune utilité, alors j’ai fait ma vie, (...). Elle est derrière moi, j’ai eu deux enfants, j’ai eu des petits-enfants, qu’est-ce que je fais encore là ? Voyez, j’ai été très actif dans ma vie et puis voilà. Je me dis, mais si l’opération ne va pas réussir, etc. Parce que le médecin me dit, on va déjà couper ça et puis si (...). Mais bon, tout, par la grâce de Dieu, ça s’est... comment, mis ensemble pour me remettre un peu sur les rails. C’est une drôle d’image que je vous donne là. Vous comprenez, je faisais mon bilan. » Une femme de 71 ans constate qu’elle a changé depuis qu’elle a frôlé la mort. Elle regarde autour d’elle et constate qu’elle s’en sort bien. Elle ressent de la gratitude. Elle retourne à la messe et elle est émue. « (dyspnéique et émue)... j’ai été bien soignée, continuellement pendant trois jours, et je crois que là, on m’a sauvée,... parce que je ne pouvais plus souffler... on m’a vraiment sauvée (A la messe)... mais on se touche la main, et puis... beaucoup de larmes parce que d’autres personnes sont venues, pour nous toucher la main. Oui, ça m’a fait pleurer. Il y a une dame qui s’est levée,... puis qui me dit «la paix»... Ben je vais vous dire que moi... je ne pratique pas. Mais je prie quand même tous les soirs. Et j’ai le temps maintenant. Dans mon lit de prier et de beaucoup réfléchir, et de penser à ma famille, à tout le monde. Et je dis, il y en a de plus malheureux que moi... Et je vous dirais que, d’avoir une opération comme ça, pour la vie, ça nous enrichit... Et bien j’ai compris,... j’ai mieux compati, beaucoup mieux compati quand quelqu’un... était pas bien... Après j’ai dit, ben, ça m’enrichit... de voir d’autres (souffrir) Et je me disais – toi t’es pas bien. Mais la personne à côté n’est pas plus bien, pas mieux que toi ». Il semble que la narration de cette expérience permet à la personne de reconstruire une nouvelle identité physique, émotionnelle, sociale et spirituelle. Tout semble se passer comme si cette narration permettait de relier le passé, le présent et d’envisager un futur. Un peu comme la restauration d’une continuité suite à cette rupture de trajectoire. 2. CATÉGORIES THÉMATIQUES L’analyse des soixante et un « thèmes » récurrents, issus de l’analyse des verbatim des patients, a permis d’extraire sept catégories thématiques qui sont soutenues par l’analyse présentée ci-dessus : 108 Recherche en soins infirmiers N° 69 - juin 2002 EXPÉRIENCES ET SIGNIFICATIONS DU RÉCONFORT POUR LA PERSONNE OPÉRÉE (a) Etre ému d’être reconnu comme un être humain qui souffre (b) Bénéficier d’une suppléance physique et émotionnelle (c) Ne pas être seul (d) Etre touché physiquement (e) Etre projeté dans un futur meilleur (être source de réconfort pour d’autres) (f) Etre entouré par ses proches, ses amis et ses collègues (g) Etre soutenu spirituellement Plusieurs patients ont relevé l’importance de cette rencontre d’être humain à être humain qui semble tout à la fois susciter de l’émotion et initier l’expérience de réconfort. Cette dernière implique de ne pas être seul lors de la perception d’une menace à l’intégrité du Soi, c’est-à-dire lorsque la personne vit une souffrance physique ou morale. L’expérience de réconfort fait également appel au toucher et à une proximité physique spontanée et par conséquent réciproque. Plusieurs témoignages ont laissé entendre que les soins physiques dispensés par l’infirmière sans autre forme d’intervention au niveau émotionnel, étaient une source de réconfort tout à fait suffisante et bénéfique pour eux. Rappelons que la capacité d’être réconforté, d’être consolé et apaisé est une capacité sociale qui se développe principalement dans l’enfance et qui varie d’un être humain à l’autre. Il est donc important d’être nuancée dans nos interprétations et au clair sur nos préconceptions. Il semble que pour certains hommes rencontrés, le soulagement de la douleur, les soins du corps, la suppléance dans les activités de la vie quotidienne et la gentillesse de l’infirmière – son sourire – représentent un réconfort qui se suffit à lui-même. Ces hommes ne semblent pas avoir besoin d’un réconfort d’ordre émotionnel. Les proches sont des acteurs importants dans cette « reconstruction biographique ». En effet, les personnes significatives sont tout à la fois les interprètes, les tampons, les aidants naturels et les « supporteurs » de la personne malade. Cependant, il est important de tenir compte du fardeau que ressent le malade lorsqu’il observe la fatigue physique et émotionnelle que vivent ses proches suite à sa maladie. Enfin, s’intéresser à la dimension spirituelle des soins ne signifie pas qu’il faille avoir les mêmes croyances que le patient. Il s’agit de reconnaître que ce qu’il croit est une part essentielle et unique de son expérience de vie et qu’il existe une interaction dynamique entre le corps et l’esprit. Dans cette acception, le terme « spiritualité » est relié à l’expérience de base d’une personne en relation avec sa vision du monde, à son système de valeurs et à son sens de l’ultime. Si la « religiosité » implique une relation au Divin, la spiritualité n’implique en soi aucune référence à Dieu. 3. RECOMMANDATIONS POUR LA CLINIQUE Les recommandations pour la pratique des soins infirmiers sont spécifiques et directement issues des résultats. Elles sont au nombre de trois. Les personnes qui ont parlé du professionnalisme de l’infirmière décrivaient en fait sa capacité d’anticiper leurs besoins ou leurs demandes, ou d’intervenir rapidement et efficacement lors d’une complication. Autrement dit, le patient est émerveillé lorsque l’infirmière a perçu son besoin prioritaire, qu’elle est capable d’imaginer ce qui le réconfortera, qu’elle intervient et qu’elle évalue l’efficacité de son intervention avec lui. Les patients ont exprimé combien la spiritualité est une source de réconfort pour eux et nous avons été surprises de constater que l’infirmière ne parle pas de cet aspect avec l’opéré ou plus exactement qu’elle ne mentionne pas la spiritualité comme faisant partie de ses préoccupations. Watson (1999) cependant, a très bien démontré qu’il n’y avait pas de « moment de relation transpersonnelle » sans référence à quelque chose qui va au-delà des deux personnes en présence, qui les transcende et les connecte à d’autres dimensions de l’esprit humain, dont la spiritualité peut être une expression. Dès lors, notre recommandation est formulée en des termes nuancés qui visent à vérifier que la spiritualité n’est pas le facteur oublié des soins de santé dont elle est une dimension majeure. Presque tous les patients ont affirmé qu’un élément majeur du réconfort était de pouvoir refaire des projets ou d’être capable d’envisager un futur meilleur. Dans ces deux situations, l’infirmière et l’entourage jouent un rôle important qui permet ainsi au patient de gérer la rupture biographique présente et d’amorcer un changement de trajectoire de vie. La seconde recommandation se rapporte aux personnes qui traversent une phase de déni ou de révolte et qui se sont auto-exclues de la présente recherche puisqu’elles n’avaient rien à dire sur le réconfort. Il paraît plus important que ces personnes voient, entendent et sachent que l’infirmière connaît ces phases de deuil liées aux ruptures et aux ajustements biogra- 109 Recherche en soins infirmiers N° 69 - juin 2002 phiques. Elle comprend, n’en fait pas une affaire personnelle et est habilitée à en parler lorsque la personne sera prête à le faire. La troisième recommandation concerne les hommes, qui n’ont pas l’habitude de parler de leurs sensations ou de leurs émotions et qui ont une relation au corps que nous pourrions qualifier de mécaniste. Il est possible de dire que ces personnes sont maladroites et gauches dans leurs manières d’exprimer leur mal-être. Souvent, ces personnes ne sont pas grandes consommatrices de soins de santé et elles ne connaissent pas le monde hospitalier. Par ailleurs, elles sont réconfortées par les soins usuels et ne font aucune demande de nature émotionnelle. Les investigations plus fines de l’infirmière identifiant un problème de santé sont souvent éconduites. De fait, il semble n’y avoir aucune porte d’entrée en vue d’un dialogue plus approfondi. Par ailleurs, la courte durée du séjour hospitalier et la charge de travail permettent à ces personnes de passer souvent inaperçues. Ici, la recommandation s’exprime en termes d’ouverture à l’autre, d’attention subtile et de disponibilité. Benner (2000a, b) proposent de discuter de choses et d’autres avec la personne, un peu comme si nous faisions connaissance de notre nouveau voisin, sans autre but que le plaisir d’échanger. Les auteurs affirment que cette conversation sociale ordinaire permet de diminuer les peurs du patient et de le connecter à un monde connu, pendant quelques minutes. Ces personnes peuvent, aussi, trouver du réconfort à travers des rituels familiers, comme la sieste, un téléphone à un membre de la famille ou la vision de leurs émissions de télévision préférées. Elles retrouvent ainsi les notions de prédictibilité, de cohérence, de continuité et de confort qu’elles ont perdues au moment de la rupture biographique. RÉFÉRENCES Bécherraz, M. (2001). Une phénoménologie du réconfort. Genève : Phronesis-Edition. Bécherraz, M. (soumis). Expériences et significations du réconfort pour la personne opérée et pour l’infirmière qui en prend soins. Bécherraz, M. (soumis). De l’intérêt de la phénoménologie pour la mise en évidence de l’expertise infirmière et le développement de connaissances en soins infirmiers. Benner, P. (1994). Interpretive phenomenology. Thousand Oaks : Sage Publications. Benner, P. (2000a). Clinical wisdom. Conference at the Department of Nursing. February 11. Montreal : Jewish Montreal Hospital. Benner, P. (2000b).. Seminar at the McGill School of Nursing. February 10. Montreal : McGill University. Watson, J. (1999). Postmodern nursing and beyond. San Francisco : Churchill Livingstone. 110 Recherche en soins infirmiers N° 69 - juin 2002 R ECHERCHE 4e Partie EXPÉRIENCES ET SIGNIFICATIONS DU RÉCONFORT POUR L’INFIRMIÈRE RÉSUMÉ ABSTRACT Ce quatrième et dernier article est consacré à l’analyse des témoignages de onze infirmières ayant vécu une expérience de réconfort avec une personne opérée. Il complète l’article précédent. Six tandems de catégories thématiques congruents et complémentaires émergent de l’analyse des données des patients et des infirmières, laissant entrevoir une adéquation entre l’attente et l’offre. Cependant deux catégories isolées apparaissent : pour le patient « être soutenu spirituellement » et pour l’infirmière « considérer le contexte socio-sanitaire. Cette dernière permet de mettre en lumière le rôle du contexte organisationnel sur les opportunités de réconfort. Les observations directes soutiennent fortement cette catégorie. Deux recommandations pour la gestion des soins terminent cette série de publications. This last article is consecrated to testimony’s analysis of the eleven nurses having living an experience of comfort with an operated person. It completes the previous article. Six tandems of congruent thematics and complementary categories emerge from the data analysis of patients and nurses, leaving to drop a hint of an adequacy between the expectation and the offer. Yet, two isolated categories appear : for the patient “to have a spiritual support” and for the nurse “to consider the socio-sanitary context”. The latter allows to enlighten the part of organisational context about opportunities of comfort. Two recommendations for the management of care end this series of publications. Mots clés : dyade, herméneutique, soins infirmiers autonomes, réconfort, contexte sociosanitaire Key words : dyad, Hermeneutic Phenomenology, autonomous nursing care, comfort, sociosanitary context. 111 Recherche en soins infirmiers N° 69 - juin 2002 INTRODUCTION Cet article est le dernier d’une série consacrée à la phénoménologie herméneutique et à l’étude du phénomène de réconfort. Le premier s’intéressait à l’élaboration d’une problématique de recherche qualitative qui émerge de la pratique des soins. Le second, plus méthodologique, présentait les avantages de l’herméneutique pour la mise en évidence de l’expertise infirmière et de connaissances en soins infirmiers. Le troisième retraçait l’analyse des témoignages des patients. Ce quatrième article complète le précédent, car il apporte un autre regard sur le phénomène, celui de l’infirmière. 1. Analyse des témoignages de onze infirmières Dans cet article consacré à l’analyse des propos des onze infirmières, le canevas de présentation sera le même que celui utilisé dans l’article précédent centré sur l’analyse des verbatim des onze opérés. Chaque fois que cela sera possible et que cela permettra de donner du sens à l’analyse, les propos de l’infirmière seront superposés à ceux du patient. Le lecteur devrait ainsi obtenir un double regard sur le phénomène de réconfort, à savoir le point de vue du patient qui décrit son expérience et le point de vue de l’infirmière qui en prend soin. 1.1. Espace « moins – moins » 1 Dans l’espace (-/-) l’infirmière imagine ou constate qu’elle « n’offre pas de réconfort » et elle perçoit que la personne « ne se sent pas réconfortée ». Ici la recherche de sens entre les propos de la personne opérée et ceux de l’infirmière est difficile puisque les deux partenaires de la dyade ne se réfèrent pas à la même situation. En effet, il est intéressant de relever que le patient fait le plus souvent référence à sa propre expérience, alors que l’infirmière parle plus volontiers d’une situation qu’elle imagine ou dont elle a été l’observatrice impuissante. Il est vrai que la question « quel serait pour vous l’inverse du réconfort ? » a déconcerté plus d’une infirmière qui était approchée en raison du réconfort qu’elle avait apporté à un patient. Néanmoins les infirmières relèvent également le manque de compassion de certains chirurgiens. Henriette2 ressent de la colère face au manque de transparence du chirurgien vis à vis du patient : « Ça me choque toujours un peu qu’il n’ait pas été mis au courant (par le médecin) de ce qui se passait dans son corps (infection). (...) j’ai ressenti un peu de colère (...) » Si l’infirmière reconnaît que parfois elle « n’offre pas de réconfort », ou plus exactement qu’elle est dans l’impossibilité d’offrir le réconfort qu’elle souhaiterait, elle constate que ce manque est lié essentiellement à trois composantes : la surcharge de travail, une difficulté liée au comportement du patient, comme l’arrogance ou le cheminement à travers deux phases du deuil clairement identifiées et enfin une difficulté dont l’origine se situe chez l’infirmière et qui le plus souvent est de nature « relationnelle » ou reliée à la peur de s’engager dans une relation qui finalement la fera souffrir. Même si la surcharge de travail fut mentionnée durant toute la période de recueil de données, en aucun cas cette surcharge n’est présentée comme un motif qui justifie l’absence de réconfort. Bien au contraire, la détérioration des conditions de travail est appréhendée par l’infirmière plus en termes de frustration et de négociation d’un délai « acceptable » pour le patient entre sa demande et l’offre en soins, qu’en termes d’alibi. Carla exprime sa frustration en regard de la charge de travail croissante : « Parce que pouvoir, des fois c’est vrai que c’est très frustrant parce que des fois on ne peut pas (s’arrêter auprès du patient) mais des fois on essaie de revenir. D’ailleurs, les fois où je n’ai pas le temps de parler,... de répondre tout de suite à quelque chose, c’est quelque chose... où je me dis, je n’ai pas bien fait mon travail. 1. Dans cet article, le premier signe se réfère toujours à l’infirmière. 2. Tous les prénoms sont fictifs 112 Recherche en soins infirmiers N° 69 - juin 2002 EXPÉRIENCES ET SIGNIFICATIONS DU RÉCONFORT POUR L’INFIRMIÈRE Mais le côté frustrant c’est la charge de travail qui devient de plus en plus (lourde), où des fois j’ai vraiment l’impression qu’on ne s’arrête pas assez sur les personnes ». Dominique observe qu’elle agit en contradiction avec ses valeurs : « Parfois, je suis en contradiction avec ce que j’aimerais et ce que je dois faire ». Une difficulté liée au comportement du patient. Par exemple, Carla exprime sa frustration et sa réaction en regard d’un homme qui continue à taire sa consommation d’alcool, alors même qu’il est actuellement traité pour cela et qu’elle lui tend des perches pour éviter une convalescence dans un milieu, qu’elle estime, peu propice à son mieux être ; Carla observe qu’il y a des préalables relationnels pour pouvoir réconforter une personne : « D’un autre côté je pense aussi qu’on ne peut pas... je n’ai pas la faculté d’entrer en réconfort avec tous les patients qui passent. Disons que je me rends compte que je fais le travail, les soins et puis que, après j’aurais peut-être tendance, ça c’est peut-être aussi le problème,... à ne pas aller plus loin. Je ne dis pas que les gens qui ne parlent pas dès le premier jour... je me ferme, mais bon après, (je me dis) il est comme ça, il a besoin de moi au niveau physique, mais il n’a pas besoin de moi pour le reste. Donc après je me dis c’est son choix ». Gilda raconte sa difficulté face aux personnes qui ont un comportement arrogant : « Non, je pense qu’il y a des gens qu’on arrive pas à réconforter, enfin que je ne pourrais pas arriver à réconforter. S’il y a vraiment aucun feeling de part et d’autre . Si j’arrive pas du tout à comprendre le comportement, qui sont trop exigeants (...) qui sont un peu méprisants (vis à vis des infirmières) ». Du côté du patient, le cheminement à travers certaines phases du deuil a également été observé comme influençant l’acceptation et par conséquent l’offre de réconfort. Katrin identifie deux phases du deuil qui sont incompatibles avec le réconfort : « Etre face à une personne fermée, non réceptive, qui est dans une phase de déni, ou de révolte... Lorsqu’il faut attendre parce que le patient n’est pas prêt à recevoir du réconfort » Il serait d’ailleurs possible d’appréhender le comportement du patient qui refuse de parler de son alcoolisme comme un comportement lié à une phase de déni, plutôt que de l’interpréter comme un rejet d’une infirmière en particulier. Il serait tout aussi possible – selon la situation – d’envisager que le patient arrogant est en pleine révolte. Dans ce sens, les observations consignées dans le carnet de bord confirment que les personnes en phase de révolte étaient dans l’impossibilité de parler d’une expérience de réconfort. Elles se sont en quelque sorte autoexclues du groupe des informants. Par ailleurs, on aurait pu s’attendre à ce que cet espace relatif à l’absence de réconfort concerne les mêmes thèmes que ceux décrits par les patients, à savoir la douleur physique, les soins peu individualisés, le manque d’information, l’indifférence ou le manque d’intérêt et le désespoir. Et bien, il est intéressant de constater que les propos des infirmières ne se réfèrent que très peu à l’aspect physique du réconfort (douleur, installation), par contre un très fort accent est mis sur l’aspect relationnel, comme si ce dernier dominait alors même qu’il s’agit d’un contexte postopératoire, par conséquent largement somatique. Elisabeth envisage l’inverse du réconfort comme une absence de plaisir à entrer en relation avec l’autre et comme de l’indifférence : « Considérer les patients comme des objets, en se disant « il faut que je fasse ça » ne pas prendre du plaisir à entrer en relation avec le patient, ne pas vouloir voir, ne pas vouloir savoir, ne pas vouloir s’investir, ne pas vouloir s’arrêter, (...) être indifférente, (c’est) du non-respect et de la non-écoute ». Henriette est sensible aux émotions de la personne et à l’indifférence face à ses besoins : « En soi l’absence de réconfort peut-être l’inverse du réconfort (...) si quelqu’un n’est pas écouté dans ses émotions. L’indifférence face aux besoins... Justement j’aurais pu le pousser (...) à boire sans lui expliquer trop pourquoi, sans écouter l’émotion qu’il y avait derrière. 113 Recherche en soins infirmiers N° 69 - juin 2002 Oui, froideur, indifférence, ça se rejoint tout finalement un peu. C’est un peu ignorer, c’est robotiser peut-être, déshumaniser... » Enfin, la peur de souffrir est mentionnée par l’infirmière de manière très pudique et souvent en termes de protection. Carla parle d’impossibilité momentanée de donner afin de se protéger : « L’indifférence ou peut-être l’impossibilité momentanée de ne pas pouvoir non plus donner ou ne pas pouvoir encadrer la personne pour différentes raisons (personnelles) ». Elisabeth attend de la réciprocité de la part du patient, sinon elle se protège pour ne pas souffrir : « C’est vrai que je me suis occupée (...) d’une dame, où j’ai essayé d’apporter tant que je pouvais, mais je sentais pas de réciprocité, et c’est vrai qu’après un moment, j’avais peur de m’essouffler . Ne pas vouloir souffrir (face à un être humain en situation de vulnérabilité) ». Elle avait des questions (...) les patients sentent que ça... ne va pas. Donc elle me posait tout un tas de questions, et je me disais, bon, j’essayais de répondre avec ce que j’avais sous la main. C’est des choses comme ça ; donc je répondais de façon même pas, ben, optimiste, mais de façon purement simplement, comment on dit, euh (factuelle). (...) Elle s’inquiétait parce que depuis son opération on n’avait jamais enlevé ces bouteilles (redons) et puis ça revenait toujours (ça coulait). Mais un vrai réconfort, je crois pas. On sentait quand même chez elle un terrain d’angoisse. Elle sentait qu’il y avait quelque chose qui n’allait pas, elle savait pas quoi, mais elle cherchait puis c’est vrai que, tout lui posait problème, tout l’angoissait. Parce que cette dame, je vous dis, elle a, je l’ai vu ben se dégrader. Physiquement, oui elle baissait, on savait qu’elle nous faisait quelque chose mais on ne savait pas quoi. Et ben, entre guillemets, j’ai pas pu « l’aider ». 1.2. Espace « moins – plus » Dans l’espace (-/+) l’infirmière « n’offre pas de réconfort » mais elle perçoit que la personne « se sent réconfortée ». La situation qui sera décrite maintenant est capitale pour la discipline. Elle met en évidence l’importance – pendant le développement de complications – d’un recueil de données aussi exhaustif que possible et d’un questionnement constant à leur égard qui permettent d’agir en conséquence et d’éviter le pire. France raconte ce qu’elle a vécu avec une patiente qui développait une complication à bas bruits : « Donc j’ai plutôt été le nouveau bourreau, donc, qui la stimulait (...) Mais on ne peut pas dire quand même que j’ai fait du grand réconfort, euh,... à mon sens. Et puis je voyais qu’elle avait mal... qu’elle se dégradait (...) peut-être qu’elle nous a, on aurait peut-être dû se rendre compte un peu plus tôt qu’elle allait moins bien. Alors sûrement que je, qu’on aurait pu lui apporter autre chose... mais. Je sais pas, bon, on était pas nombreux. Je crois que j’ai oublié de le faire (...) donc il y a eu des signes, mais qui sont restés sans réponse. Et puis, c’est vrai qu’on n’a jamais été (...) au-delà (des réponses aux questions factuelles de la patiente). Pour tout ce qui est geste technique (...) il y a peu de sentiments » 114 Recherche en soins infirmiers N° 69 - juin 2002 EXPÉRIENCES ET SIGNIFICATIONS DU RÉCONFORT POUR L’INFIRMIÈRE Quels sont les indicateurs qui vous ont permis de dire que cette femme aurait eu besoin de réconfort ? ment à l’indifférence. Mais écoutons ce que disent les infirmières à ce propos : Carla observe sa frustration face à un homme qui exprime peu son vécu et ses sensations : «... Disons que c’était, (...) elle posait... beaucoup de questions... (...) puis elle disait tout le temps « je suis fatiguée » et plus j’essayais de la stimuler pour se lever (...) elle disait « mais vous savez, je suis fatiguée »... Donc elle avait besoin qu’on s’occupe d’elle, elle avait besoin qu’on (...) qu’on soit là, qu’on la chérisse un petit peu, qu’on s’occupe d’elle (...) mais c’est vrai que souvent, si on l’avait laissée, elle serait restée au lit du matin au soir et du soir au matin sans bouger. Ah oui, j’ai eu peur (petit rire) très peur. Hm hm. Oui, je m’en suis occupée trois jours... et sur les trois jours... elle n’a pas été, une journée, elle a pas été bien ». L’examen des propos de France démontre que la patiente et l’infirmière n’étaient pas sur la même longueur d’onde. Toutefois la patiente nous a dit s’être sentie réconfortée moralement mais pas soulagée de ses douleurs. Il est donc fort probable qu’une fois de plus la présence de l’infirmière soit perçue comme réconfortante et favorise l’absence de réactions plus affirmées de la part de la personne. Cependant là aussi, il est possible de dire que le réconfort de France est en termes relationnels alors que cette femme souffre de douleurs physiques. Dans cette situation, ce décalage a des conséquences qui vont au-delà de la frustration des infirmières dont il est question maintenant. « Je serais peut-être restée plus longtemps s’il m’avait renvoyé un signal, mais par exemple quand on parlait de la douleur, il disait toujours « eh ben, c’est comme ça ». Il n’y a pas eu d’entrée en matière, comment il vivait ce qui s’était passé, etc. Alors peut-être que ce Monsieur n’avait pas besoin de se confier à moi, enfin... ou de se confier tout court (...) et puis je pense que les personnes aussi ont envie de parler plus avec telle ou telle (infirmière). Enfin, pour ce patient, c’est vrai que (...) moi je ne le trouvais (...) pas demandeur... Des fois (...) on n’est pas assez clair dans nos possibilités d’offres (de réconfort) ». Isabelle essaie encore et encore, alors que le patient ne veut rien : « J’ai essayé de lui expliquer que ce n’était peut-être pas définitif (la colostomie). Mais bon, j’avais l’impression d’après ce qu’il me disait qu’il n’était pas très convaincu, quoi, donc je suis un peu restée sur ma faim malgré mes explications, mais bon. Enfin je lui ai demandé des questions sur la douleur, enfin les questions habituelles qu’on pose, mais lui il m’a jamais dit « écoutez, ça va pas trop, qu’est-ce que je vais devenir ? » ou des choses comme ça quoi. 1.3. Espace « plus – moins » Dans l’espace (+/-) l’infirmière « offre du réconfort » alors qu’elle perçoit que la personne « ne se sent pas réconfortée ». Cette offre est pour ainsi dire sans effet et ceci pour diverses raisons liées, par exemple, au fait que l’opéré n’accepte du réconfort que de sa conjointe ou qu’il ne souhaite pas aborder tel ou tel problème de santé. Dans de telles situations, l’infirmière ressent de la frustration, voire du rejet de la part du patient. En fait, il est possible de dire que cet espace « offre du réconfort » et « ne veut pas être réconforté » précède parfois chronologiquement l’espace (-/-) qui a été décrit précédemment, à savoir « n’offre pas de réconfort et « ne se sent pas réconforté ». Tout semble se passer comme s’il y avait soudain un coup de théâtre qui potentiellement fait passer l’infirmière du rapproche- Puis, apparemment, il n’y a pas de douleur, ni rien. Je sais pas ». À ce stade de l’analyse des propos des infirmières, il ressort clairement que l’offre ne coïncide pas avec « l’attente » de réconfort qui, par ailleurs, dans le milieu des soins généraux, fait partie le plus souvent d’un contrat tacite qu’il serait bienvenu d’expliciter. Dès lors et dans ces conditions, il semble bien qu’apporter du réconfort devienne une tâche vouée à l’échec et source de frustration et ceci d’autant plus si le réconfort est considéré – a priori – comme essentiellement relationnel et que sa dimension physique est banalisée, voire dévalorisée (par l’infirmière). 115 Recherche en soins infirmiers N° 69 - juin 2002 Carla sous-estime la valeur des soins physiques qu’elle offre à cet homme : « C’est vrai que moi j’estime..., je l’ai soigné, j’ai fait pour qu’il soit confortable, mais c’est vrai que je n’ai pas eu l’impression de lui apporter quelque chose au niveau réconfort. opérés se contentent d’un « réconfort de base » qui est prioritairement physique et qui ne porte pas sur l’élaboration de leur ressenti face à leur hospitalisation ou de questions existentielles en regard de leur pathologie. Il est possible d’imaginer que leur vision de la maladie est volontiers mécaniste, à l’image de celle de la pensée dominante. Disons que je me rends compte que je fais le travail, les soins et puis que, après j’aurais peut-être tendance, ça c’est peut-être aussi le problème,... à ne pas aller plus loin 1.4. Espace « plus – plus » (... je ne dis pas que les gens qui ne parlent pas dès le premier jour... je me ferme, mais bon après, (je me dis) il est comme ça, il a besoin de moi au niveau physique, mais il n’a pas besoin de moi pour le reste. Donc après je me dis c’est son choix) 3 » Ce qui est intéressant c’est que le patient dont il est question ici, se sent lui tout à fait réconforté, un peu comme s’il était impensable que l’infirmière ne lui apporte pas de réconfort. Pour cet homme dans la quarantaine, la simple présence de l’infirmière, son savoir faire et son sourire sont réconfortants. De plus, la consommation d’alcool n’est apparemment pas perçue comme un problème dans sa sphère familiale et sociale, dès lors il ne semble pas comprendre pourquoi les soignants souhaitent qu’il aille en convalescence ailleurs que dans sa famille. Il est nécessaire de préciser que le canton de Vaud est une importante région viticole où la consommation de vin est le plus souvent encouragée. Par ailleurs, il est intéressant de relever que cet homme ne perçoit pas la frustration de Carla. L’espace (+/+) est, comme chez les patients, le plus riche des quatre. Ainsi, l’espace où l’infirmière « offre du réconfort » et où elle perçoit que le patient « se sent réconforté» permet de mettre en évidence les éléments communs à toutes les professionnelles rencontrées : tout semble commencer par un «feeling», par une sorte d’attraction réciproque entre l’infirmière et le patient. Plusieurs infirmières disent qu’elles se mettent à la place du patient ou que ce dernier leur rappelle tel ou tel membre de leur famille ou qu’elles apprécient simplement leur manière d’entrer en relation et de répondre. Anne se présente, précise son statut et s’intéresse à l’autre : « J’ai commencé (par) lui demander comment elle se sentait... je me suis... présentée en tant qu’élève infirmière, je lui ai aussi dit mon nom et... que j’allais m’occuper d’elle aujourd’hui. Isabelle quant à elle, constate que l’unique source de réconfort du patient est son épouse : De voir qu’on s’intéresse à la personne, ça fait du bien, donc ça fait partie du réconfort pour moi ». « « Ah eh bien ma femme est dans la maison » ça (...) le rassure beaucoup ». Béatrice se sent très proche de la patiente et elle le lui dit. Cependant elle estime que c’est une erreur : Cet homme également dans la quarantaine est très clair, il n’accepte du réconfort que de sa conjointe, car aucune infirmière ne pourrait le comprendre aussi bien que sa femme. Pour lui, le réconfort est une affaire privée (implicitement sexuelle). Par contre et à l’inverse du patient précédent, cet homme perçoit la frustration des infirmières et celle d’Isabelle en particulier face à cette sorte « d’imperméabilité » relationnelle vis à vis des femmes. « Et puis là, moi, comment dire... je savais l’âge de la patiente,..., elle a mon âge... j’ai fait quelque chose qu’on doit pas faire comme infirmière... ... je lui ai dit que j’avais le même âge qu’elle, que je comprenais ce qu’elle pouvait ressentir face à cet échec (rejet de greffe)... face à tout ce qu’elle allait devoir affronter dans les prochains mois... En reprenant les propos des patients dont il est fait mention ci-dessus, il est possible de dire que certains Je m’étais attachée à elle,... ... il y a des personnes qu’on soigne... ... mais on n’a pas un petit coup de cœur... cette patiente là, oui, j’avais un coup de cœur pour elle... c’est inexplicable. 3. Ce passage est entre parenthèses, car il a déjà été mentionné une fois. 116 Recherche en soins infirmiers N° 69 - juin 2002 EXPÉRIENCES ET SIGNIFICATIONS DU RÉCONFORT POUR L’INFIRMIÈRE J’ai vu dans ses yeux quelque chose qui m’appelait... il y a quelque chose là qui se préparait. J’ai vu qu’elle pleurait, je lui ai dit ça (âge), je lui ai touché, pris la main. Peut-être caressé l’épaule. Je me sentais impuissante parce que je n’avais aucun contrôle sur le déroulement (de sa maladie). J’essayais de ne pas avoir l’air paniqué face à cette situation. Je pense que je la trouve sympathique... » Elisabeth « retrouve » son grand-père à travers ce patient et elle ressent de la réciprocité : sommes dans le contexte d’une rencontre d’humain à humain. Puis intervient la compassion, l’envie d’aider, de soutenir, d’accompagner l’autre dans cette épreuve que représente l’hospitalisation et plus particulièrement l’opération et ses diverses significations individuelles et sociales. À ce stade, l’objectif sous-jacent est de se faire une représentation adéquate de la situation que vit le patient à travers une observation minutieuse de ses réactions. Henriette observe que son patient ne fait aucune demande alors elle anticipe et supplée aux manques : « Mais je crois qu’il y a aussi des affinités. Ça pourrait être mon grand-père, je ne sais pas, je me suis peut-être plus rapprochée de lui (...) il y a un feeling qui passe des fois. Lui, je sentais qu’il y avait de la réciprocité. Il y avait du répondant oui. Donc il me parlait un peu comme si j’étais sa petite fille. Je crois que j’ai été moi, c’est tout. J’ai été authentique. J’ai été un être humain sensible et ouvert à la souffrance d’une autre personne, au vécu d’une autre personne à ses sentiments. Je crois que c’est tout simplement ça. Oui, dans tout ce qu’il parlait, il était vraiment très touchant ; c’est peut-être ça aussi qui, qui invite l’autre à aller plus loin ». Jacqueline constate que lorsqu’il y a une affinité avec le patient, sa présence auprès de ce dernier est plus longue : « C’est pas quelqu’un qui demande (...) surtout du réconfort, peut-être pour l’aider pour des choses qui peuvent sembler « normales » (les AVQ). Mais bon, du réconfort, je pense que c’est parfois difficile à demander pour les gens. Et puis, (...) un peu plus (pour) les hommes en général (...). Pour demander, il faut d’abord identifier en soi qu’on est mal, qu’on est pas bien, qu’on est nerveux qu’on est anxieux. Alors si cette démarche là n’est pas faite, il n’y aura sûrement pas de demande. Alors c’est à nous justement, je pense, d’évaluer à ce moment là, de savoir identifier (...) Ben moi je pense qu’on est assez formée pour percevoir qu’il y a un inconfort chez le patient même si le patient n’est pas capable de faire sa demande luimême. Moi, ça m’est jamais arrivé (...) qu’un patient m’ait dit, donnez-moi votre main, j’en ai besoin, ça (ne) m’est jamais arrivé, je pense ». « On n’a parfois pas d’affinité avec les gens. Mais je pense que si on a une affinité avec quelqu’un, on est (...) prêt à faire plus (...) une présence qui est plus longue... » Katrin est émue face à l’humain, mais elle ne veut pas que le patient le sache : « C’est fou parce que des fois quand on est tellement émotionnée face à l’humain ben c’est les larmes qui arrivent et puis je me dis : là il faut pas que le patient (se rende compte) ». Les catégories thématiques identifiées dans ces extraits sont : « se sentir proche d’un être humain qui souffre », « être avec » et « toucher physiquement ». Nous Elisabeth s’intéresse au vécu quotidien du patient et à ses projets : « Ça m’est arrivé de lui tenir la main quand il n’allait pas bien, ça m’est arrivé d’essayer de reparler avec lui quand il avait eu des examens, comment il avait vécu ces examens, qu’est-ce qu’il pensait par la suite... Pas de dédramatiser, mais de relativiser les choses... j’ai essayé, par mes mots et peut-être par mes gestes, de toucher, de le réconforter. Pour moi, c’était naturel. Et là, j’étais contente de voir qu’en fait euh maintenant il allait beaucoup mieux et que maintenant il voyait d’autres horizons, il avait de l’espoir de pouvoir rentrer à domicile ». 117 Recherche en soins infirmiers N° 69 - juin 2002 Les catégories thématiques qui émergent de ces extraits de verbatim sont : « être avec », « toucher physiquement » et « projeter dans un futur meilleur et réaliste ». Le témoignage d’Henriette explicite tout le cheminement de pensée effectué pour décider qu’elle va dépasser l’absence de demande du patient et agir. Précisons par ailleurs, qu’il développe, lui aussi, une complication postopératoire. Plus spécifiquement, toutes les infirmières considèrent que « réconforter » comporte deux versants, l’un physique et l’autre moral. Cette représentation est cohérente avec la philosophie de la discipline qui voit l’être humain comme un « être bio-psycho-social-spirituel ». Paradoxalement le patient, lui, n’a pas forcément cette vision holistique des soins. Il vient se faire opérer, il a mal et, le plus souvent, il s’attend à des interventions réparatrices sur son corps, même s’il affirme volontiers que « le moral fait beaucoup ». De plus, les entretiens avec les patients permettent de constater que la plupart des attentes relatives au réconfort sont très simples. Pour mémoire, il s’agit d’une présence bienveillante, d’une attention à l’autre, d’un souci de l’autre avec le plus souvent un regard, un sourire, un contact physique qui sont accompagnés de paroles d’encouragement. Néanmoins quelques personnes ont relevé la nécessité que ces aspects « humains » soient accompagnés, voire précédés, de professionnalisme de la part de l’infirmière. Dominique soigne de manière holistique et sait qu’elle fait partie d’une équipe : « Enfin je l’ai aidé à verbaliser sa peur. Il a terriblement besoin d’être sécurisé (...) moi je le sens comme ça très attaché à moi parce que je le rassure, parce qu’il a l’impression que je vais savoir même si je ne sais pas (...) je dois être là pour... comment dire, pour qu’il puisse s’appuyer sur moi, (...) lui le vit comme un réconfort ça. J’essaie d’être très attentive, je dirais « techniquement » aux choses qui me semblent être importantes. Je suis très attentive à son évolution à ce qui ce passe comme signes extérieurs, je ne sais pas moi, à ce qui coule, à... sa température, à ce qu’il mange, enfin à toutes ces choses-là, à ses résultats de sang enfin à tout ce qui pourrait tout d’un coup me dire, ouf ! Fais attention. Alors je le dis plus loin (aux collègues) « faites attention »... C’est notre travail d’être attentif à ce qui se passe pour percevoir les signes de quelque chose qui n’irait pas... Je crois que c’est un partage parce que par moment c’est moi qui le porte, symboliquement (...) je dois le tirer... Si quelqu’un est là depuis très longtemps et que vous lui lavez les cheveux, après il dit, ah ! je me sens bien ! ils sont contents. Je crois que c’est quelque chose qui est source de réconfort, d’être attentif à ce corps qui est si abîmé, à ce moment là, et ma foi, c’est reprendre, pour moi, aller à la douche, c’est reprendre connaissance avec soi-même ». Henriette touche le patient, elle est attentive à tout ce qui le concerne et elle le soigne de manière holistique : « Je pense que c’est vraiment d’une manière très interactive que ça c’est passé... Il y a des moments où je lui ai serré la main, et puis moi je touche beaucoup, je suis comme ça, je mets la main sur l’épaule, c’est ma manière de faire, je fais ça beaucoup (...) » Comment vous êtes-vous rendue compte qu’il avait besoin de réconfort ? « Ce patient pour moi ça allait pas bien, c’est-à-dire qu’il était sub-fébrile, (...). Il y avait sa plaie de « laparo » qui s’était mise à couler tout doucement à s’ouvrir un peu dans le bas (...) à sentir mauvais. (...) Donc je pense qu’au départ il y avait tout ça, c’était l’ensemble de son état, et puis il y avait son faciès aussi qui exprimait (...) il avait vraiment le faciès triste. Puis peu d’énergie. Alors j’ai l’impression que ça circule... (corps et esprit) Oui... ... je me rappelle. C’est un patient, oui, qui semblait très anxieux (...) (...) bon puis j’ai aussi essayé de faire verbaliser, ça c’est un aspect qui m’a fait me rendre compte qu’il était – à fleur de peau – (...) c’est incroyable comme il devenait crispé (...) à ce moment là, je me rappelle, j’avais aussi donné un anxiolytique (...)» Katrin raconte comment elle adapte les doses de calmants afin que la patiente soit tout à la fois soulagée et consciente : « Et puis euh, bon ça c’est sûr que c’est avant, et puis... moi je pense que le réconfort ça comporte de (...) la 118 Recherche en soins infirmiers N° 69 - juin 2002 EXPÉRIENCES ET SIGNIFICATIONS DU RÉCONFORT POUR L’INFIRMIÈRE soulager parce que c’est sûr que ça fait pas, ça fait pas du bien, ça fait mal. Alors je lui donne un anti-douleur avant qui, ouais, est assez fort. Je lui donne une piqûre de morphine mais je diminue la dose pour pas quand même qu’elle soit vaseuse après. Oui, elle supporte mais il faut pas lui donner trop. Celle qui est prescrite, je sais, si je la lui donne, longtemps après elle reste un peu endormie. Il semble que le Panadol et le Ponstan, c’est pas assez, pas assez fort, tandis que la Morphine c’est trop fort, c’est pour ça que j’essaie de jouer un peu entre les deux mais (...) sa plaie, ça fait très mal (...). Moi je le vois le pansement, moi je trouve ça assez impressionnant et puis j’imagine la personne qui est à l’autre bout et puis que c’est sa jambe et puis euh, on voit agrafée et puis tout ça donc j’essaie de me tenir plus près de, de sa tête quoi : Je lui tiens la main, je lui caresse les cheveux euh, on se regarde on se fait des sourires. J’essaie de lui demander justement si ça va bien : « vous sentez quelque chose ? » : Ouais, et puis ça se peut aussi, moi même des fois je suis des fois tellement impressionnée que je suis fixée sur le pansement. Et je me dis : Bon Dieu, il faut que j’arrête parce que le silence total et puis, tu vois aussi la façon qu’elle grimace, elle fait des gestes euh au niveau du visage, avec ses mains. Ouais, je pense que c’est important de donner sa présence. C’est sûr que je parle du réconfort peut-être psychologique, mais je veux dire ça comprend aussi pour moi le réconfort et euh, aussi (...) physique. « Je crois que le réconfort passe aussi à travers ses proches. Je pense que c’est faire le travail de lien, comme ça de permettre à sa femme (de se reposer), lui, un moment, il était très découragé parce que sa femme n’allait pas très bien, pour moi c’est important de lui faire comprendre qu’il fallait qu’elle ait un moment où elle puisse un peu lâcher prise, parce qu’elle avait tenu, qu’elle habite loin, qu’elle fait les trajets tout le temps et puis tout ça, il le savait, (...) ... il savait, enfin il a pu verbaliser lui-même, et puis on avait convenu ensemble (que), de temps en temps, (il) dirait à sa femme de ne pas descendre, qu’elle puisse rester à la maison (...). Parce que une fois que les choses vont mieux après, nous on se retire, ce qui reste (c’) est leur vie ». Ici la catégorie thématique est clairement « maintenir les liens avec l’environnement familial et social ». En dehors de l’analyse des axes orthogonaux, plusieurs particularités émergent des verbatim reliées à ce qui pourrait être intitulé « la cible du réconfort ». En effet, si la cible proclamée de ce « souci de l’autre » est le patient, il n’est toutefois pas surprenant de découvrir une cible plus secrète et moins altruiste, qui procède du besoin de reconnaissance – du don que l’infirmière a effectué – par le patient et ses proches. Ce qui ne veut d’ailleurs pas dire que le patient est mal soigné, bien au contraire. Anne relève la circularité de donner et de recevoir : « Du moment que je peux faire du bien (...) ça me fait du bien aussi, quoi ». C’est autant psychologique que physique et puis ouais ça se voit visuellement autant que verbalement mais je trouve que je jette ce premier coup d’œil aussi comme ça on est capable de savoir si elle est bien ou moins bien. Et puis bon, là, après, on lui pose des questions spécifiques puis voilà ». Elisabeth attend un retour de la part du patient : Les catégories thématiques identifiées sont : « prendre soins de manière holistique », « être avec » et « toucher physiquement ». Isabelle constate la réciprocité du réconfort : La famille du patient est également citée comme source d’attention de la part de l’infirmière et ceci en particulier lors d’un long séjour. Dominique réalise des interventions auprès de l’entourage du patient de manière à ce qu’il reste relié à sa sphère sociale et familiale tout en épargnant le système : « Mais c’est vrai qu’avec certaines personnes, euh, moi j’ai (...) beaucoup donné, mais la personne elle m’a rien rendu et puis je me suis sentie frustrée ». « Ça nous remet un petit peu de vigueur, parce qu’on se dit « ah ben le patient il a confiance en moi ». C’est la façon dont les patients nous, ben nous réconfortent presque (rire). Je trouve que c’est par le retour (affectif) des patients qu’on se sent bien. 119 Recherche en soins infirmiers N° 69 - juin 2002 Ben c’est ce genre de chose (...) qui nous remontent, qui nous font du bien, quoi Ben c’est une réussite ! On ne tombe pas dans l’échec médical, ou des choses comme ça (...). Ça fait du bien oui, et ça donne de l’élan ». Jacqueline parle en termes d’échanges, donner et recevoir : « Ben du fait qu’il y avait un échange quelque part parce que malgré tout (...) on aime bien réconforter, on aime bien (...) donner, on aime bien recevoir aussi en échange. Sans vraiment recevoir mais de voir que ce qu’on donne (...) fait plaisir quoi, c’est bienvenu. Alors « le recevoir » c’est simplement, je sais pas, ça peut être un sourire (...) un remerciement. Ça c’est important, un remerciement. Le fait qu’on est aussi reconnu dans ce que l’on fait (...). Qui rend un retour. Chez qui on voit que ce qu’on fait a de l’importance ; qu’on a atteint notre but dans ce qu’on donne, quoi. Puis il y a (...) un respect, de l’estime aussi. Gilda apporte quelques éléments de réponse : «J’ai eu l’impression par rapport à cette personne précise que, en ayant une attitude chaleureuse et « familière » (...) que pour elle c’était quelque chose de très important. J’ai eu un sourire (...) puis le soir même j’avais un retour direct de sa part me disant : mais, ce que vous êtes gentille, et puis avec un grand sourire et j’avais vraiment l’impression que c’était quelque chose de très important pour elle cette espèce d’empathie générale. J’avais l’impression que je manifestais, par ma voix et par mon sourire, quelque chose d’affectueux et qu’elle était très sensible à ça. Il y a certaines personnes pour lesquelles parfois j’ai une affinité très forte ou bien tout à coup un « feeling » qui se passe où il y a vraiment une relation qui semble pouvoir être plus importante qu’une autre. C’est pas le cas pour elle, mais c’était quelqu’un de chaleureux, il y avait du répondant. Oui, j’ai essayé de créer une atmosphère où elle se sente à l’aise et puis qu’il soit propice au fait qu’elle puisse me demander certaines choses, me solliciter, me demander un service, ne pas être gênée, voilà, j’ai essayé de créer un climat comme ça ». Il me semble qu’avec cette dame, justement, ça c’est passé spontanément quoi. D’un moment à l’autre elle s’est ouverte et on a pu chacune être soi-même, je dirais... » 2. CATÉGORIES THÉMATIQUES Katrin raconte comment elle trouve auprès de la patiente ce qu’elle a manqué avec sa grand-mère : « C’est comme... bon, c’est peut-être quelque chose qui part de moi aussi, ça, mais euh, ça peut aller très loin (petit rire) si on se sent proche de quelqu’un particulièrement.... C’est, ouais, c’est peut-être qu’il y a quelque chose qui me fait penser à mes, ouais, à mon grandpère et ma grand-mère que j’ai perdus, puis que j’aurais voulu combler et puis que j’ai pas pu faire certaines choses puis que je me rattrape chez une personne parce que ça me fait penser un peu à eux ; soit je sais que c’est pas eux mais dans la personnalité, dans leurs gestes en général ; je retrouve quelque chose que j’avais chez les personnes que j’ai perdues ». Cependant la question qui émerge est de savoir ce qui se passerait pour un patient pour lequel l’infirmière n’a pas de « feeling » ou auquel elle ne peut s’identifier ou qui ne ressemble à aucun membre de sa famille. L’analyse des soixante-dix thèmes, a permis d’identifier sept catégories thématiques relatives à l’expérience de réconfort des infirmières : (a) Se sentir proche d’un être humain qui souffre (b) Prendre soins de manière holistique (c) Etre avec (d) Toucher physiquement, regarder (e) Projeter dans un futur meilleur et réaliste (f) Maintenir les liens avec l’environnement familial et social (g) Considérer les limitations liées au contexte sociosanitaire Si nous superposons les catégories thématiques des patients et celles des infirmières, deux éléments ressortent très clairement : premièrement les six premières 120 Recherche en soins infirmiers N° 69 - juin 2002 EXPÉRIENCES ET SIGNIFICATIONS DU RÉCONFORT POUR L’INFIRMIÈRE catégories appartiennent à des tandems complémentaires évoquant une adéquation entre l’attente du patient et la réponse de l’infirmière. Inversement, les catégories « g et g’» sont spécifiques à chaque sousensemble de participants et permettent d’accéder au contexte dans lequel le réconfort s’inscrit. Il est nécessaire de rappeler que se sont les observations directes qui ont permis la mise en lumière de l’influence du contexte sur le phénomène étudié. D’ailleurs, une des recommandations présentée maintenant est issue d’observations. en restant à un niveau superficiel avec les patients, et ce, suite à un accompagnement long, douloureux affectivement et réalisé sans soutien spécifique. En raison de la courte durée du séjour hospitalier, il est possible d’envisager que l’équipe infirmière vit, elle aussi, des ruptures successives et de plus en plus rapprochées. Par conséquent, elle a besoin d’un soutien intellectuel, émotionnel et social qui permette non seulement la narration et l’élaboration de son expérience en vue d’un mieux-être, mais aussi la construction de l’appartenance à un collectif de travail. Ce dernier devient rapidement source de reconnaissance, de solidarité et de collaboration (Carpentier-Roy, 1995a; 1995b). 3. RECOMMANDATION POUR LA GESTION RÉFÉRENCES Les recommandations pour la gestion sont au nombre de deux. La première concerne la répartition du travail par tâches qui amène à la taylorisation, au travail en miettes. Les conséquences majeures observées, dans cette étude, sont la diminution des opportunités de réconfort, voire l’impossibilité de réconforter, la perte du sens et l’insatisfaction du client et de l’infirmière. Le patient devient « l’informateur » qui transmet à l’infirmière ce qui a été fait par sa collègue quelques minutes auparavant, il est en quelque sorte le garant de la continuité des soins. Nous sommes loin d’une conception de soins qui octroie la responsabilité de l’entier de la situation du patient à une infirmière. Notre recommandation vise à éviter l’ajout de nouvelles ruptures liées à l’organisation du travail et à réintroduire du sens dans l’exécution de soins qui paraissent simples (mesure des pulsations, de la tension artérielle, de la température, etc.) mais qui deviennent des indicateurs performants, uniquement s’ils sont pris au même moment et associés à une observation rigoureuse de l’état général de la personne et de son histoire de santé. La seconde recommandation s’appuie sur le besoin et la demande des infirmières d’un espace et d’un «moment de relation transpersonnelle» qui leur soient offerts par l’institution. La plupart des praticiens qui utilisent leur personne comme « outil » thérapeutique (Peplau, 1952/1988) ou qui utilisent leurs connaissances personnelles (Carper, 1978; 1988), bénéficient de supervisions régulières avec des pairs. La présente étude a démontré les exigences liées à l’investissement de l’infirmière, en tant que personne, auprès de certains opérés qui sont prêts à se reconstruire. Cet investissement n’est pas sans limites, et certaines infirmières ont affirmé s’en protéger, Bécherraz, M. (2001). Une phénoménologie du réconfort. Genève : Phronesis-Edition. Bécherraz, M. (soumis). Expériences et significations du réconfort pour la personne opérée et pour l’infirmière qui en prend soins (première partie). Bécherraz, M. (soumis). De l’intérêt de la phénoménologie pour la mise en évidence de l’expertise infirmière et le développement de connaissances en soins infirmiers (deuxième partie). Bécherraz, M. (soumis). Expériences et significations du réconfort pour la personne opérée (troisième partie). Carpentier-Roy, M-C. (1995a). Anomie sociale et recrudescence des problèmes de santé mentale. Santé mentale au Québec, 20, 119 – 138. Carpentier-Roy, M-C. (1995b). Corps et âme. Psychopathologie du travail infirmier. Montréal : Liber. Carper, B.A. (1978). Fundamental patterns of knowing in nursing. Advances in Nursing Science, 1, 13 – 23. Carper, B.A. (1988). Response to « Perspectives on knowing : a model of nursing knowledge ». Scholarly Inquiry for Nursing Practice : an International Journal, 2, 141 – 144. Peplau, H.E. (1952/1988). Interpersonal relations in nursing : a conceptual frame of reference for psychodynamic nursing. London : Macmillan Education LTD. 121 Recherche en soins infirmiers N° 69 - juin 2002 V ARIATION Ronald Müller*, Anne-Claire Raë*, Vincent Dupont**, Sandra Merkli**, Ingrid Lang***. Hôpitaux Universitaires de Genève (HUG). LES NOTES INFIRMIÈRES : QUELLE CONTRIBUTION À LA QUALITÉ DU DOSSIER DE SOINS ? RÉSUMÉ SUMMARY Le dossier de soins est un outil privilégié dans la pratique des soins infirmiers. Suivant les lieux, il s’est développé de façon plus ou moins importante ces trente dernières années. Dans le cadre d’une institution préparant l’informatisation du dossier patient, une évaluation a été réalisée sur le contenu de l’anamnèse et des notes quotidiennes infirmières. Cette étude portant sur 110 dossiers de soins a mis en évidence différents aspects dans la manière de transcrire tant les données factuelles que les notes issues de l’observation, de l’action et de l’évaluation. D’une part, l’impact de la démarche se traduit par des propositions concrètes auprès des équipes de soins et d’autre part à travers une réflexion exploratoire sur la traçabilité concernant les dossiers de soins. Treatment records are preferential tools in nursing care. Depending on the setting, its development has gained greater importance during the last thirty years. In the environment of an organization in charge of the computerization of patient files, an evaluation was conducted on the contents of the anamneses and daily observations of nurses. This study, concerning 110 medical records demonstrated the different facets in the methods of transcribing data from notes ensuing from observations, action, and evaluation. Alternatively, the impact of this procedure translates into concrete propositions by the medical teams, as well as exploring the benefits of charting the treatment records themselves. Mots-clefs : Dossier de soins infirmiers, notes quotidiennes, anamnèse, traçabilité, qualité des soins. Key words : Nurse’s treatment records or notes, Daily records or notes, Anamnesis/anamneses (plural), Indications, Health-care/treatment quality * infirmier(ère) chargé(e) de recherche et de qualité des soins, ** infirmier(ère) assistant(e) de l’infirmière coordinatrice, ***infirmière assistante de gestion 122 Recherche en soins infirmiers N° 69 - juin 2002 LES NOTES INFIRMIÈRES : QUELLE CONTRIBUTION À LA QUALITÉ DU DOSSIER DE SOINS ? 1. INTRODUCTION 2. CONTEXTE DE L’ÉVALUATION DU DOSSIER DE SOINS La pratique quotidienne du dossier de soins infirmiers regroupant d’une manière systématique des notes d’observation, des données chiffrées, des graphes, des transmissions écrites, contribue depuis une trentaine d’années à l’amélioration de la qualité des soins infirmiers. Ce dossier s’est développé comme un outil privilégié dans la pratique infirmière en répondant aux exigences professionnelles de plus en plus pointues. En passant par des étapes successives, ponctuées par l’introduction de nouvelles références conceptuelles comme le plan de soins, le « kardex », le processus de soins infirmiers, les transmissions ciblées, le dossier de soins a toujours rendu compte de l’état du patient et des actions entreprises par les soignants. Pour prendre en compte la complexité d’une prise en soins d’un patient, il nous faut considérer en même temps des données factuelles rapidement objectivables, des données normatives au niveau social et professionnel et des données subjectives soumises à interprétation. Avec l’arrivée des nouvelles technologies dans le secteur socio-sanitaire et plus particulièrement l’intégration de l’informatique dans les années 1990, la qualité de l’écriture manuscrite et de la transmission orale, pratiques fortement implantées dans le milieu des soins infirmiers, est à nouveau posée. Quelles compétences sont alors à mobiliser pour répondre favorablement à ce changement technologique qui implique aussi un changement de l’organisation du travail ? Nonobstant cette nouvelle culture de supports techniques performants, l’évaluation de la qualité des contenus dans les dossiers de soins reste d’actualité : rigueur de tous ceux qui y participent, pertinence des données, langage intelligible, inscription dans le temps et l’espace du processus de soins, etc.... Dans le développement ci-après, nous présenterons d’abord la démarche d’une évaluation de certains aspects du dossier de soins. Puis nous aborderons l’impact qu’ont suscité les résultats de cette démarche, d’une part sous forme de propositions d’améliorations aux équipes de soins et d’autre part par l’intermédiaire d’une réflexion exploratoire quant à la qualité des notes infirmières. Dans le cadre de trois départements médicaux des Hôpitaux Universitaires de Genève, une étude descriptive du contenu de certains documents du dossiers de soins a été menée en automne 2000. Il s’agit des départements de Médecine (unités de médecine interne), Chirurgie (unités de chirurgie, greffés, et orthopédie) et Neuclid (unités de neurologie, neurochirurgie, ophtalmologie, ORL, dermatologie et rééducation). Cette démarche initiée à la demande des infirmières coordinatrices de ces départements avait pour objectif d’établir une photographie de certains aspects de l’utilisation des dossiers de soins actuels, en vue de l’introduction prochaine du dossier de soins informatisé et de ses exigences. Il a été retenu comme champ d’investigation, les supports permettant de recueillir les éléments d’anamnèse du patient (recueil de données générales/Profil du patient/habitudes de vie) construit selon les 14 besoins de Virginia Henderson ainsi que le support relatant l’évolution au quotidien du patient, construit sous forme de trois colonnes (observation – actions – évaluation). 3. OBJECTIFS DE L’ÉVALUATION DU DOSSIER DE SOINS Les objectifs spécifiques de cette démarche étaient de : - Quantifier les données d’anamnèse présentes dans les dossiers de soins et en identifier la forme. - Dénombrer le type de notes quotidiennes inscrites en terme d’observations, actions et évaluations. - Repérer le contenu des notes infirmières concernant les domaines de la douleur, de l’état cutané et de l’orientation/désorientation. 4. MÉTHODE Cette revue de dossiers a été effectuée par deux infirmières spécialistes cliniques connaissant bien les 123 Recherche en soins infirmiers N° 69 - juin 2002 divers lieux de soins de l’institution de part leur expérience. Dans chaque unité, trois dossiers ont été étudiés sur les quatre premiers jours d’hospitalisation du patient. Les dossiers ont été choisis en fonction des critères définis par l’étude : patients entrés directement dans l’unité de soins, présents dans l’unité depuis plus de 72 heures, ayant une problématique relevée par les soignants en lien avec la douleur et/ou l’état cutané et/ou la désorientation. Le recueil de données s’est effectué au moyen d’une grille d’enquête sur les 4 premiers jours d’hospitalisation du patient dans l’unité. Les données ont été saisies sur le logiciel « Epi-info » pour les variables de l’anamnèse et les variables quantitatives, les notes concernant les thèmes de la douleur, de l’état cutané et de l’orientation ont été saisies in extenso sur « Excel ». Les résultats portent sur l’analyse de 110 dossiers répertoriés dans 37 unités de soins. Toutefois, pour l’analyse quantitative, nous avons tenu compte des notes infirmières à partir de 15H le premier jour jusqu’à 15H le quatrième jour, afin de retrouver le plus grand nombre de patients concernés. Notre analyse porte donc sur 72 heures, soit 3 horaires du matin (7H - 15H), trois horaires du soir (15H 23H) et trois horaires de nuit (23H - 7H). Nous avons retenu comme définition pour une note infirmière toute écriture liée à une date et à une heure. En préambule de la présentation des résultats ci-après, nous retiendrons que l’évaluation est un inventaire raisonné d’une pratique d’écriture à un moment donné. D’une part, les chiffres dévoilent le taux de présence des données, différencié selon les rubriques. D’autre part, le relevé du langage pratiqué dans les dossiers de soins permet davantage une approche qualitative ; il s’agit de faire des constats et des comparaisons mettant en évidence autant les points positifs que ceux à améliorer. Ce positionnement basé sur des données factuelles et sur un regard critique se veut prospectif, contribuant ainsi à l’amélioration de la qualité des contenus des dossiers de soins infirmiers. retrouvons essentiellement sur ce document des informations concernant le diagnostic, les motifs d’hospitalisation et les antécédents, ainsi que la situation familiale du patient et sa langue parlée. Par contre, la date et la signature de l’infirmière ayant complété cette feuille sont peu notées. A travers ces constats, se pose déjà la pertinence d’un questionnement de la traçabilité. Les motifs d’hospitalisation ont été relevés tels qu’ils étaient formulés. Ainsi, les énoncés contenus le plus souvent dans cette rubrique nous informent sur : le(s) diagnostic(s) dans 46 dossiers, les symptômes du patient dans 47 dossiers, l’intervention chirurgicale (passée ou à venir) ou médicale (ex : un examen invasif) dans 23 dossiers et l’événement (accident) impliquant l’hospitalisation dans 11 dossiers. Rubriques Présence d’informations (en %) Motifs d’hospitalisation 95 % Pathologies associées et antécédents 91 % Situation familiale 87 % Langues parlées 80 % Personnes à prévenir 70 % Profession 56 % Conditions d’habitat 53 % Encadrement social 46 % Signature/visa en bas de page 34 % Date en bas de page 29 % Ce que le patient sait de sa maladie 20 % Tableau 1 5.1. Eléments concernant le « Recueil de données générales » Par ailleurs, nous avons relevé une grande utilisation de sigles et d’abréviations divers. Ces abréviations sont soit des codes initiaux de diagnostic et/ou symptômes tels EF pour état fébril, DRS pour douleurs rétrosternales, PTH pour prothèse totale de hanche soit des raccourcis de mots tels abdo pour abdominal, trble pour trouble, indura pour induration. Sur le tableau 1, nous pouvons voir le pourcentage de dossiers pour lequel la rubrique est remplie. Nous A de très rares exceptions, ces abréviations représentent la particularité d’être en relation directe avec la spécialité étudiée et ainsi rendent, à notre avis, diffi- 5. RÉSULTATS 124 Recherche en soins infirmiers N° 69 - juin 2002 LES NOTES INFIRMIÈRES : QUELLE CONTRIBUTION À LA QUALITÉ DU DOSSIER DE SOINS ? ciles les tentatives d’interprétation des mots par des collaborateurs venant d’autres secteurs de soins. 5.2. Eléments concernant le « Profil du patient/ Habitudes de la vie » Le tableau 2 met en évidence par rubrique si cette dernière était remplie ou pas, et si oui, de quelle façon. Pour chaque besoin, il a été identifié si le libellé était composé d’un mot/phrase ou d’un sigle tel “√ ” , “ OK”, “R.A.S”, “/ ”, “ ∅ ”. 5.3. Eléments concernant les observations/ actions/évolutions Dans l’ensemble des dossiers, 3553 notes ont été repérées sur les 110 dossiers pour les 72 heures retenues pour l’analyse. En moyenne, on recense entre 3 et 4 notes par tranche horaire et par patient. On ne retrouve pas plus de notes le premier jour, ni pour un horaire particulier. Ceci est également constaté dans les différents départements. Un certain nombre de notes sont transcrites sans heure, soit le 13 %. Par ailleurs, le changement de la date journalière est souvent noté le matin avec l’arrivée de l’équipe du jour plutôt qu’à minuit. A première vue, les scores sont faibles car nous ne retrouvons une information dans les différentes rubriques qu’une fois sur deux pour les besoins physiques, seulement une fois sur trois pour le maintien de la température et éviter les dangers. Les besoins psychosociaux ne sont complétés que dans 40 % des dossiers pour la communication, 30 % pour agir selon ses croyances et se recréer et, enfin, le besoin d’apprendre n’est rempli qu’une fois sur cinq. De plus, pour les cinq dernières rubriques du tableau 2, l’utilisation des sigles est plus fréquente que celle d’un énoncé. Les enquêtrices ont relevé que cet énoncé est le plus souvent composé d’une phrase courte plutôt que d’un mot clef. La pratique du sigle reste problématique dans la mesure où elle n’est pas univoque dans l’institution, ni dans la plupart des secteurs de soins. Tab 3 : Répartition de l'ensemble des notes selon les étapes du processus n = 3353 notes 8% 6% 52% 34% Observations Actions Evaluations Autres Le type de notes transmises dans le dossier concerne pour plus de la moitié des observations, et des actions pour un tiers. Les évaluations apparaissent peu. Sous « Autres », on retrouve le plus souvent des informations concernant la visite médicale, des ordres médicaux, des consignes selon l’évolution du patient, des éléments liés à l’organisation, etc (Tableau 3). Tab 2 : Profil du patient / habitudes de la vie Boire et manger Respirer Eliminer Mobilité et posture Etre propre Dormir, se reposer 5.4. Eléments concernant les thèmes Douleur/ Etat cutané/Orientation Se (dé)vêtir Communiquer Eviter dangers Maintenir la To S'occuper Agir selon croyances Apprendre 0% 10% Non rempli 20% 30% Sigle «0 » 40% 50% 60% Sigle "OK" 70% 80% Sigle " / " 90% 100% mot/phrase Afin de pouvoir évaluer et illustrer également d’une manière qualitative les notes qui figurent dans les colonnes « observations », « actions » et « évaluations », trois thèmes ont été retenus : A. la douleur B. l’état cutané C. l’orientation. 125 Recherche en soins infirmiers N° 69 - juin 2002 La somme des notes infirmières concernant ces trois thèmes représentent près du 40 % de l’ensemble des notes. Les tableaux 4, 5 et 6 représentent la répartition des notes selon les étapes de la démarche de soins pour chacun de ces thèmes. Les notifications « évaluatives » répondent évidemment le plus souvent à l’action de dispensation de médicaments, soit en utilisant la mesure de la VAS/EVA soit en décrivant l’effet implicite du médicament : « s’est endormi », « se détend », « soulagé/calmé », « efficace », « patient satisfait de son antalgie ». B. L’ÉTAT CUTANÉ A. LA DOULEUR Pour ce thème, comme le montre le tableau 4, ce sont les observations qui sont les plus importantes. Elles font référence le plus souvent à la présence ou non de douleurs tels « a mal »/« n’a pas mal », « algique »/« non algique ». La douleur est notée par son absence dans 25 % des observations (pas de douleur, pas de plaintes, non algique). Les observations concernant l’état cutané font le plus souvent référence à une attitude de prévention des escarres. La trilogie «rouge - rougeur – OK» représente à elle seule plus du tiers des mots employés pour décrire l’état cutané. Nous relevons également des qualificatifs tels «fragile», «sèche», «marquée», «irritée»… etc. Tab 4 : Répartition selon les étapes du processus des notes concernant la douleur 6% 4% 56% 34% Observations Actions Evaluations La lecture du tableau 5 montre que le nombre d’actions retranscrites sur le dossier était plus important que le nombre d’observations. Surprenant au premier abord, ceci s’explique par le caractère systématique de certaines prises en charge que sont les actions de nursing. Cette constatation est encore renforcée par le fait que la rubrique observation contenait également des actions (une dizaine), seules ou associées à un élément d’observation. Le groupe de mots qui prédomine nettement sous la rubrique « actions » est le tandem « installé + endroit (droite, gauche...) »; apparaissent aussi « nursing fait » ou « effleurements ». Autres Dans la catégorie évaluation, les termes utilisés restent peu précis (« OK », « correct »...), probablement en raison de la non documentation du problème de soins. L’analyse des mots utilisés montre que le terme douleur est abrégé de 8 manières différentes : dleur, dleurs, dx, dlr, dlrs, dl, dls, doul. Le terme algique est utilisé dans le 28 % des observations. Par ailleurs, la douleur est caractérisée parfois par des adjectifs tels « violente », « intense », « importante », « supportable », ou en référence à l’échelle visuelle analogique (VAS/EVA). Le comportement du patient est de temps à autre décrit comme : « se plaint », « souffre », « dit avoir mal », « devient de plus en plus pâle »…etc. Dans la colonne « Actions », nous distinguons deux grands groupes de notes : ce qui a été donné, fait par l’infirmier/ère et ce qui a été reçu par le patient. 90 % des actions sont en lien avec le traitement médicamenteux (par exemple : « 5 mg Mo s/c » ou « Donné 2 cp Dafalgan »). Les quelques autres notes concernent l’installation du patient, comme par exemple « mis coussin sous les genoux » et une seule note relate une discussion avec le patient algique. Tab 5 : Répartition selon les étapes du processus des notes concernant l'état cutané n= 161 notes 2% 20% 33% 45% Observations Actions Evaluations Autres C. L’ORIENTATION Le tableau 6 met en évidence pour ce thème une grande majorité d’observations qui sont souvent engen- 126 Recherche en soins infirmiers N° 69 - juin 2002 LES NOTES INFIRMIÈRES : QUELLE CONTRIBUTION À LA QUALITÉ DU DOSSIER DE SOINS ? drées par un incident provoqué par un état confusionnel chez le patient. 5.5. Les liens du processus Nous constatons dans la notification, en comparaison avec les deux autres thèmes, une difficulté d’attribuer l’acte dans la bonne colonne. Aussi, en comparant le langage utilisé dans le domaine de l’orientation - désorientation, il s’avère relever plus du sens commun, donc, plus proche du vécu du professionnel. L’orientation est soit décrite de façon minimale (« patiente orientée »), soit avec un qualificatif impliquant les notions de temps et d’espace (« Le patient est toujours désorienté dans le temps et l’espace. Il sort souvent de la chambre et se retrouve ailleurs »). Parmi les trois thèmes pré-cités, nous avons recherché les mises en liens éventuels entre les notes d’observation et celles d’action et entre les notes d’action et celles d’évaluation. Les enquêtrices ont évalué ces mises en lien à partir de leurs connaissances et de leur expérience de pratique professionnelle. Notamment, elles ont relevé ce qui est facilitant dans ce type de recueil de données : l’identification graphologique, l’indication de l’heure avant chaque écriture, l’utilisation des flèches reliant une colonne à l’autre, l’écriture à la même hauteur des trois colonnes. La plupart des notes peuvent permettre des mises en lien entre les étapes. Toutefois, certaines notes dans la colonne « évaluations » pourraient aussi figurer dans la colonne « observations » ; c’est la présence d’un énoncé « objectif de soins » qui permettrait une meilleure discrimination entre les différentes étapes du processus de soins. Nous constatons néanmoins un nombre peu élevé d’évaluations documentées. Tout ceci donne parfois aux transmissions un caractère décousu qui ne permet pas, à la simple lecture des notes, de se faire une idée précise du processus de soins mis en place. Tab 6 : Répartition selon les étapes du processus des notes concernant l'orientation 5% 3% 24% 68% Observations Actions Evaluations Autres Le recueil de données dans plusieurs dossiers laisse apparaître des situations de patients présentant une altération certaine de l’orientation. Dans ces situations, les nombreux incidents provoqués par le patient poussent, probablement, l’infirmier/ère à notifier davantage d’informations dans le dossier. En même temps son langage est plus direct et parfois exacerbé, ou même approchant les limites du jugement de valeur, comme par exemple : « Patient non compliant » ou « Difficultés de compréhension, n’intègre pas ce qu’on lui dit, a peur malgré les explications et devient agressif et très violent, 3 personnes pour le faire passer du lit au fauteuil ». Dans la colonne « actions », nous relevons d’une part plus particulièrement des actes de prévention (exemple : « mis bracelet nominatif ») et d’autre part des actes de contention, un des problèmes sensibles dans le domaine des soins. Parfois les deux vont ensemble (exemple : « Installée dans la salle de bain, barrières » ou « Installé au fauteuil et attaché »). 6. L’IMPACT D’UNE ÉVALUATION Nous avons choisi de nous attarder plus particulièrement sur l’impact des résultats de cette évaluation, à travers leur valorisation pour l’action et leur mise en question relative à la qualité des traces. 6.1. Des suites données aux propositions Le projet d’évaluation du dossier de soins s’est inscrit dans un processus de changement en lien avec l’introduction du dossier informatisé. Suite aux résultats de l’évaluation, l’équipe du projet d’évaluation a formulé quatre grandes recommandations : Les évaluations concernant l’orientation comme pour les autres thèmes sont peu fréquentes. • Amélioration du taux de présence d’informations dans les rubriques de l’anamnèse en spécifiant pour chaque département les rubriques prioritaires pour lesquelles la présence de données est impérative 127 Recherche en soins infirmiers N° 69 - juin 2002 • Coordination et clarification des abréviations de sorte que celles formalisées au niveau du département soient compatibles avec celles de l’institution • Utilisation du langage venant de référentiels accessibles et validés, comme par exemple les consignes concernant la prévention des escarres, afin de pouvoir mieux qualifier les observations • Introduction d’une manière plus explicite des objectifs de soins (diagnostics infirmiers ou mots ciblés) donnant au processus de soins et notamment à l’étape de l’évaluation des soins une plus grande importance. Ces propositions suggèrent que la pratique du dossier de soins actuel doit être améliorée en amont de l’introduction de logiciels informatiques. Ces derniers facilitent certes la tenu d’un dossier, la structuration des données, mais ne garantissent aucunement une meilleure qualité des notes. Comme le relève I. Fristalon (2000, p. 85) : « L’introduction de cette nouvelle technologie de l’information ne vient pas se faire sans quelques bouleversements dans l’organisation de l’activité, sans une remise en question des contenus de la démarche et sans imposer l’exigence de s’approprier des compétences probablement autres que celles habituellement convoquées dans l’exercice du métier ». Chaque proposition sous-tend donc des décisions à prendre et la mise en oeuvre de nouveaux moyens. Les premières actions qui vont dans ce sens sont la présentation des résultats au colloque des cadres infirmiers et aux équipes infirmières. Tenant compte des propositions de base, chaque département établit des objectifs propres à court terme, comme par exemple l’établissement d’un inventaire des abréviations utilisées dans les différentes unités de soins d’un département. Puis, des groupes de travail sont à prévoir, afin de clarifier les problématiques au niveau institutionnel, comme celles des abréviations ou celles de la référence au processus de soins infirmiers ou aux transmissions ciblées. La première étape de valorisation des résultats de l’évaluation du dossier de soins doit apporter une plus value directe aux équipes du terrain. Par une participation aux présentations des résultats, tous les acteurs sont à nouveau sensibilisés au dossier de soins. Néanmoins se pose aussi la question, en quoi cette démarche aura un effet sur la pratique d’écriture des infirmières ? Nous nous contenterons ci-après d’aborder cette thématique d’une manière prospective, en explorant pour l’instant les quelques articles publiés concernant la qualité des notes dans un dossier de soins. 6.2. L’amélioration des notes Comment améliorer la qualité des notes ? Les pistes exploratoires nous mènent à quelques rares recherches et à des manuels de soins récents, comme par exemple celui de F. Dancausse et E. Chaumat (2000) qui stipule que « Les transmissions ciblées sont une méthode-clé pour organiser la partie narrative du dossier de soins et aller dans le sens d’une meilleure qualité des soins, en structurant et simplifiant les transmissions ». Cette mise en valeur figure sur la couverture de cet excellent guide méthodologique, qui intègre tout un savoir accumulé depuis plus de trente ans de pratique infirmière. Face à cette référence pertinente et prescriptive, le chercheur critique se tourne en même temps vers la pratique réalisée sur le terrain. En effet, les résultats de cette évaluation quantitative et qualitative des notes dans les dossiers de soins révèlent notamment des écarts plus ou moins importants avec des taux de présence de données souhaités. Se pose alors la question : Comment trouver un consensus entre des références conceptuelles pertinentes et des pratiques inscrites dans le quotidien ? Concernant la qualité de l’écriture dans les dossiers de soins, l’analyse en 1988 de A. Courcoux-Riquelme met en évidence une forte conception des soins médicale ainsi que la difficulté de transcrire « le relationnel » avec le patient chez les soignants. Nos résultats nous permettent aussi de confirmer cette tendance. Aussi elle souligne les réticences des infirmières à s’impliquer davantage dans l’écrit qui tend vers la brièveté et vers un langage de style abrégé. De notre part, nous ajouterions à cette problématique, l’utilisation par les professionnels d’abréviations et de codes non validés par l’institution. Dans les soins infirmiers, l’écrit est évidemment concurrencé par l’oral, ou dit autrement et selon M. Grosjean et M. Lacoste (1998), l’oral représente un éclaircissement et une mise en contexte de l’écrit. Dans cette controverse « oral versus écrit » et dans une vision plus prospective, nous pouvons espérer une autre qualité de l’écrit générée par l’utilisation du dossier informatisé à travers les techniques interactives en temps réel et l’hypertexte (trace et mémoire collectives). Par ailleurs, l’amélioration des notes infirmières passe aussi par la critique et l’auto-évaluation de l’écrit, ainsi que par des formations sous forme d’ateliers d’écriture. Ces dispositions font par exemple l’objet d’un projet de recherche ANAES (Agence Nationale d’Accréditation 128 Recherche en soins infirmiers N° 69 - juin 2002 LES NOTES INFIRMIÈRES : QUELLE CONTRIBUTION À LA QUALITÉ DU DOSSIER DE SOINS ? et d’Evaluation en Santé) intitulé « Ecriture infirmière et qualité des soins » présenté sur Internet1 en juin 2001. En conclusion, nous reprendrons la proposition de F. Acker (1997) : Pour les soins infirmiers, il s’agit de sortir de l’invisibilité. C’est un défi qui stipule de rendre l’invisible visible, et plus encore, de rendre les traces du travail infirmier davantage opérationnelles, compréhensibles et transparentes. Ceci demande une responsabilisation accrue des acteurs, une développement de leurs compétences professionnelles, en particulier communicatives et un soutien venant d’une part des cadres de proximité et d’autre part des apports de la recherche et plus particulièrement de la thématique de la traçabilité. DANCAUSSE F., CHAUMAT E., 2000 : Les transmissions ciblées au service de la qualité des soins, Paris, Masson. FRAENKEL B., 1994 : Le style abrégé des écrits de travail, Cahiers du français contemporain, décembre 94, p. 177 - 194. FRISTALON I., 2000 : Changement technologique et organisation du travail : un usage producteur de compétences, Recherche en soins infirmiers, No 62, p. 79 117. GROSJEAN M., LACOSTE M., 1998 : L’oral et l’écrit dans les communications de travail ou les illusions du « tout écrit », Sociologie du travail, No 4, p. 439 - 461. LEVY P., 1990 : Les technologies de l’intelligence, Paris, La Découverte. BIBLIOGRAPHIE ACKER F., 1997 : Sortir de l’invisibilité - Le cas du travail infirmier, Raisons pratiques, No 8, p.65 - 93. COURCOUX-RIQUELME A., 1988 : Les dessous du dossier de soins, Recherche en soins infirmiers, No 13, p. 54 - 63. 1 http://www.serpsy.org/piste_recherche/ecrit_inf/Ecriture_anaes.html 129 Recherche en soins infirmiers N° 69 - juin 2002 V ARIATION Eliane Perrin, Dr en sociologie Vanessa Vaucher, infirmière LE VACCIN CONTRE LA GRIPPE ET LES PERSONNES ÂGÉES Étude sur les représentations menée auprès de cinq focus groups à Genève RAPPEL DU MANDAT En décembre 1997, le mandat a été défini d’un commun accord de la manière suivante : Objectifs : • Évaluer les messages contenus dans le matériel d’information de la campagne grippe (contenu et forme) par rapport au groupe cible. • Approfondir la perception autour de la grippe. Méthode : Le mandataire a comme tâches, en collaboration avec le groupe de travail : • de rédiger le guide de discussion de 5 focus groups ; • de définir les critères pour la composition des groupes ; • d’animer les groupes ; • d’analyser et synthétiser les résultats des discussions dans un bref rapport. Durée du mandat : fin juin 1998 1. DÉROULEMENT ET RÉALISATION Un guide de discussion a été élaboré. La discussion était conçue en deux temps. Dans un premier temps, il s’agissait de laisser libre cours aux représentations que les participants avaient des vaccins en général, de la grippe comme maladie, du vaccin contre la grippe en particulier. Dans un deuxième temps, le dépliant diffusé par le Groupe genevois de vaccination contre la grippe était distribué aux participants, qui le lisaient chacun pour soi. Puis il était repris page par page et commenté par les participants (Cf. guide de discussion, annexe 0). Enfin, un bon d’achat était remis aux participants en guise de remerciements. Parallèlement, Madame V. Vaucher était chargée de trouver des groupes de participants à cette recherche dans un délai de trois mois. Elle a pris contact avec la Fédération des Clubs d’Aînés (CAD) du Canton de Genève, par l’intermédiaire de Monsieur Jacky Reynier, responsable. Grâce à sa collaboration, elle a pu présenter brièvement ce projet dans une assemblée générales des 36 Clubs d’Aînés fédérés dans le canton. Deux lettres ont été envoyées par le même courrier, adressées aux Présidents ou responsables de ces Clubs, l’une de la part du Service du Médecin cantonal, l’autre de la part des chargées de cette étude. Puis nous avons pris contact par téléphone ou avons été contactées par des Présidents et des responsables afin de fixer un rendez-vous. Nous leur avons expliqué ce que nous désirions, à savoir des groupes de 6 à 10 personnes si possible homogènes (âge, sexe, catégories socioprofessionnelles)1. Nous avons rencontré quelques difficultés à faire respecter ces conditions pour plusieurs raisons : la première tient au fait que ces Clubs sont fondés sur une base géographique, c’est-à-dire non homogène (les deux sexes, tous les âges et toutes les catégories socioprofessionnelles) ; la deuxième est que la présence à une activité, quelle qu’elle soit, est imprévisible parce que libre (elle dépend du temps, de l’humeur des membres, etc.) ; la troisième tient sans doute au fait que 1. (The Focus Goup Kit, tome 2, p 71). 130 Recherche en soins infirmiers N° 69 - juin 2002 V ARIATION LE VACCIN CONTRE LA GRIPPE ET LES PERSONNES ÂGÉES représentées sont majoritairement celles des employés (36%) et des ouvriers (28%), suivies par celles des petits indépendants (11%) et des ménagères (11%). Les cadres sont rares (4%) et les professions libérales absentes. Ce qui frappe dans la composition de ces groupes (et qui n’est sans doute pas représentatif de ces générations), c’est le fort pourcentage de femmes (41 sur 47 soit 87%) ayant exercé une activité professionnelle. C’est probablement une des caractéristiques des femmes participants aux clubs d’aînés après la retraite (Cf. Tableau 2). les Présidents ou responsables, ne pouvaient pas, pour nous, changer leur mode de faire habituel. Tous les responsables ont eu peur qu’il n’y ait pas assez de participants. Trois des groupes ont eu lieu après un repas, les responsables étant certains de réunir un bon nombre de membres, dont une partie resterait. C’est pourquoi le nombre de participants a varié de 4 à 22 et les groupes n’ont jamais été homogènes. Les 5 focus groups, nombre suffisant pour tirer des conclusions2, ont été menés par E. Perrin, sociologue, assistée par V. Vaucher, infirmière, qui prenait des notes. Les discussions ont été enregistrées. Sur la base des notes et des enregistrements, un résumé thématique de chaque discussion de groupe a été rédigé. Les groupes ont duré entre une et deux heures selon le nombre de participants. 3. ANALYSE ET RÉSULTATS Nous avons opté pour une analyse thématique visant à mettre en évidence les noyaux autour desquels se structurent les réflexions et les discussions, donc les représentations et les attitudes des personnes de plus de 60 ans. Nous reprenons l’ordre thématique du guide de discussion même si, dans le déroulement des focus groups, les thèmes sont apparus de manières beaucoup plus enchevêtrés. 2. DESCRIPTION DE LA POPULATION Les 5 focus groups ont permis à 53 personnes de s’exprimer. Les femmes sont très majoritaires (89% de femmes, 11% d’hommes) et ce dans tous les groupes. Du point de vue des âges des participants, ces groupes sont un peu plus contrastés : le groupe 1, rassemblé autour de la danse folklorique, est le plus jeune (entre 60 et 75 ans), les groupes 4 (entre 71 et 85 ans) et 5 (73 et 80 ans) sont plus âgés, et les groupes 2 (entre 73 et 94 ans) et 3 (entre 75 et 88 ans) comprennent de grands vieillards (Cf. Tableau 1). 3.1. Qu’est-ce qu’un vaccin ? L’objectif consistait à repérer les représentations des vaccins considérés comme efficaces, les attitudes face aux vaccinations en général. Les catégories socioprofessionnelles d’origine (activités professionnelles exercées avant la retraite) Focus groups/ sexes/âge moyen Hommes Femmes Total Âge moyen 1 2 6 8 68 2 1 21 22 82 3 1 11 12 81 4 2 5 7 77 5 _ 4 4 76 Total 6 47 53 Tableau 1 Description des 5 focus groups selon le sexe et l’âge moyen 2. Le nombre idéal est situé entre 3 et 5 avant saturation (The Focus Group Kit, tome 2, p.77). 131 Recherche en soins infirmiers N° 69 - juin 2002 CSP/focus groups 1 2 3 4 5 Total Ouvriers 3 5 5 1 1 15 Employés 3 9 5 2 _ 19 Petits indép. 1 1 1 2 1 6 Cadres 1 1 _ _ _ 2 Prof. libérales _ _ _ _ _ _ Ménagères _ 1 1 2 2 6 NRP _ 5 _ _ _ 5 Total 8 22 12 7 4 53 Tableau 2 Description des 5 focus groups selon les catégories socioprofessionnelles (CSP) Le noyau thématique central de la discussion autour des vaccins s’énonce de la manière suivante : le vaccin est la maladie. Lorsqu’on se fait vacciner, on nous inocule la maladie, le poison, le danger. Dans ce sens, un vaccin est d’abord dangereux. On oblige le corps à se défendre, à fabriquer des anticorps. Si le corps y parvient, résiste à la maladie, alors on est protégé et on ne l’attrapera pas (Cf. Annexe 1). souligné, leur efficacité n’est pas remise en question lorsqu’il s’agit des vaccins classiques (tuberculose, polio, tétanos), ce qui n’est pas le cas du vaccin contre la grippe comme on va le constater plus loin. 3.2. Qu’est-ce que la grippe ? Si le vaccin est la maladie, donc dangereux, faut-il vacciner tout le monde ou seulement certaines catégories de la population? Faut-il ne vacciner que les individus forts, en bonne santé, en pleine forme ou les faibles, enfants, personnes âgées, malades, qui sont les plus en danger mais qui risquent de ne pas supporter le vaccin ? Si l’on opte pour la première solution, vacciner tout le monde, alors on vaccine à la chaîne (à l’école, à l’armée, dans l’entreprise, etc.). Si au contraire on pense que c’est dangereux, le vaccin doit être prescrit individuellement en fonction de l’état de santé de chaque individu par un médecin qui contrôle le danger. Les partisans des vaccins homéopathiques se situent dans la même logique : ils soulignent que ces vaccins sont moins dangereux parce que moins forts, en doses plus faibles prises en plusieurs fois. Les représentations convergent autour du vaccin comme étant l’inoculation de la maladie, donc dangereux. Et les attitudes divergent selon l’évaluation du danger et des risques qu’il représente : faut-il prendre ce risque alors qu’on est en bonne santé (risque de rompre l’équilibre) ou affaibli (risque de l’être encore plus) ? On risque parfois d’en mourir. Si le danger des vaccins est fortement Les objectifs étaient de repérer les représentations de la grippe (prévention, transmission, symptômes, gravité, complications, traitements). Le noyau thématique central de la discussion tourne autour de deux éléments : la difficulté à définir ce qu’est la grippe et le fait que les virus changent chaque année (Cf. Annexe 2). La tentative de définir la grippe comme un état aboutit à l’énoncé d’une somme de symptômes qui, pris un à un ne sont pas la grippe (toux, rhume, bronches prises, courbatures, maux de tête, etc.). Le plus discuté, parce qu’il semble faire la différence entre refroidissement et grippe est la fièvre. Mais il est systématiquement balayé par deux arguments : le premier vient de personnes âgées qui affirment avoir eu la grippe sans avoir eu de fièvre et qui ajoutent parfois n’avoir jamais eu de fièvre accompagnant d’autres affections; le deuxième émane de personnes rappelant que la fièvre n’est pas une maladie mais un symptôme, un signal, une défense de l’organisme. La tentative de définir la grippe par son agent s’avère tout aussi difficile. Si la majorité des participants l’ap- 132 Recherche en soins infirmiers N° 69 - juin 2002 LE VACCIN CONTRE LA GRIPPE ET LES PERSONNES ÂGÉES pelle virus, il en est pour soutenir que c’est une bactérie ou un microbe. La discussion qui vise à savoir si les virus sont des microbes, les microbes des bactéries et les bactéries des virus est inextricable : rien n’est clair. envisagées sont diverses (mouchoirs sur la bouche, suçer des pastilles désinfectantes, se laver les mains, etc.). Mais l’idéal serait d’éviter tout contact avec les autres. Si on se met d’accord pour l’appeler « virus », alors il y en a plusieurs. Ou un seul qui change chaque année. Ou plusieurs en même temps, dont certains sont connus, d’autres inconnus. Le seul point d’accord est qu’ils viennent de l’étranger. La grippe est espagnole, asiatique, de Pékin, de Sydney. Les responsables de l’épidémie sont les voyageurs. Les discussions ont pris souvent un tour clairement raciste, pour la fermeture sur soi, contre l’étranger d’où qu’il vienne, et ce d’autant plus qu’il ne viendrait à l’esprit de personne de prendre la défense d’un virus (qui est par définition « méchant », un « ennemi mortel ») contrairement aux autres êtres humains de la planète... On peut d’ailleurs s’interroger sur cette habitude médicale consistant à nommer des virus par leur origine géographique lorsqu’il s’agit de la grippe. Ces représentations aboutissent toutes à la même conclusion dramatique : il ne faudrait plus sortir de chez soi, ne plus voir personne pendant la saison froide. Conclusion dramatique parce que renforçant l’isolement de personnes âgées vivant souvent déjà très seules et contribuant à les désocialiser encore davantage. Les questions liées à la transmission de la grippe, à son évitement et à la lutte contre la grippe font apparaître trois thèmes centraux : le chaud contre le froid; le danger des lieux publics et des contacts avec les autres; l’alimentation et les remèdes de grands-mères comme alternative au vaccin (cf. Annexe 3). Les représentations de la grippe sont inextricablement liées à l’opposition chaud-froid. Elle s’attrape quand il fait froid ou quand on a froid. Il faut donc éviter d’avoir froid, rester au chaud (ne pas sortir), la soigner par le chaud (transpirer, bains chauds, grogs, etc.). En hiver, le chaud et le froid se superposent aux catégories dedans-dehors : il ne faudrait plus sortir, rester dedans. Mais il ne suffit pas de rester dedans, au chaud pour ne pas attraper la grippe : il y a des « dedans » où l’on est en sécurité, chez soi, et des « dedans » extrêmement dangereux, tous les lieux publics, surtout si ils sont « fermés », que l’air y circule en circuit fermé (les transports en commun, les bureaux à air conditionné, les ascenseurs « qui sont des cages à virus »). Il faut donc les éviter à tout prix. Si les lieux publics sont dangereux parce que l’air y est saturé de virus, c’est aussi parce qu’ils sont fréquentés par de nombreux autres humains et que la grippe se transmet par le contact avec les autres quelle que soit la distance que l’on entretienne avec eux : par l’air à distance en parlant (les postillons), par les mains lorsqu’on se salue ainsi que par tous les contacts physiques plus proches (embrassades, etc.). Les parades Le dernier thème est celui qui oppose les solutions médicales à celles de nos grands-mères, l’alimentation. On attrape la grippe parce que l’on a des carences alimentaires; on y résiste en ayant une nourriture équilibrée et on se soigne soit par la diète soit par un régime alimentaire approprié. Cette opposition est révélatrice de la manière dont les discours médicaux concernant le vaccin contre la grippe sont perçus : comme une alternative et surtout comme une disqualification du savoir profane, de la sagesse populaire. Dans cette perspective, les solutions médicales ne sont retenues que pour les faibles, ceux qui sont déjà malades _ le vaccin comme prévention secondaire _ ou comme un ultime recours, lorsqu’on a la maladie et qu’on arrive pas à s’en sortir tout seul, c’est-à-dire avec les recettes de nos grands-mères. 3.3. Que savez-vous, que pensez-vous du vaccin contre la grippe ? Quelles raisons y-a-t-il de se faire ou non vacciner contre la grippe ? Les objectifs étaient de repérer les représentations du vaccin contre la grippe, l’expérience et le bilan qu’en tirent ceux qui ont déjà été vaccinés, les questions que se posent les participants à son sujet. Trois thèmes centraux ressortent des discussions : le vaccin contre la grippe est un projet impossible à réaliser puisque le ou les virus changent chaque année; il ne peut tout au plus avoir qu’une efficacité partielle mais ne peut empêcher d’attraper la maladie; et il s’adresse à ceux qui sont déjà faibles, malades qui doivent absolument le faire sous la responsabilité de leur médecin puisqu’ils sont déjà malades, que c’est dangereux et que lui seul les connaît bien (Cf. Annexe 4). Les discussions se sont à chaque fois déroulées dans une atmosphère extrêmement nuancées, marquées par 133 Recherche en soins infirmiers N° 69 - juin 2002 l’incertitude et l’absence de positions tranchées. Jamais elles n’ont opposé des partisans convaincus des bienfaits de vaccin à des adversaires farouches. Ceci tient au fait que la grande majorité des personnes vaccinées l’ont été sur prescription de leur médecin (qui ne leur a pas laissé le choix) ou sur décision de leur entreprise qui a imposé une vaccination annuelle à tous les salariés; que certains d’entre eux affirment avoir quand même eu la grippe; que d’autres disent ne pas l’avoir contractées mais connaître des personnes non vaccinées qui ne l’ont pas eue non plus... Nous n’y reviendrons pas ici. Deux thèmes nouveaux apparaissent toutefois à sa lecture : les aides à domicile et les infirmières peuvent passer la grippe aux personnes âgées (irruption de l’extérieur dangereux dans l’intérieur protecteur du domicile, de l’E.M.S. ou de l’hôpital) et devraient être vaccinées obligatoirement. Et le soupçon d’être victime d’une opération de promotion des intérêts économiques des médecins et des industries pharmaceutiques (c’est du petit commerce, une combine pour vendre des vaccins, pour donner du travail aux docteurs). Cette incertitude, liée à l’absence de décision personnelle concernant sa propre vaccination, est encore renforcée par l’efficacité relative du vaccin. Ses défenseurs ont tout au plus avancé qu’il protège contre les « mauvaises » grippes, les « trop grosses » bronchites ou les « gros » refroidissements. Et il s’est toujours trouvé des personnes pour rappeler le nombre de morts, tous vaccinés contre la grippe, l’hiver dernier à l’E.M.S. de Winterthur. Dans l’ensemble, le dépliant est considéré comme juste et honnête, agréablement présenté mais peu convainquant parce que ne répondant pas aux questions que se posent les personnes âgées. D’autres thèmes apparaissent ou réapparaissent dans les représentations du vaccin contre la grippe. Faut-il vacciner toute la population ou les personnes faibles uniquement (les enfants et les personnes âgées). Le coût du vaccin est jugé peu élevé par certains, trop élevé par d’autres (il devrait être obligatoire et gratuit comme dans les entreprises). La nécessité de le répéter chaque année (et non valable une fois pour toute), que son effet ne soit pas immédiat (4 semaines avant d’être efficace) et qu’il se fasse par injection est un problème pour certains. La piqûre est un obstacle pour une minorité de personnes âgées, jugé plus important lorsqu’il s’agit d’enfants. La piqûre, dans les représentations des personnes âgées, est considérée comme un moyen plus rapide, plus direct que tous les autres modes d’administration de médicaments. 3.4. Que pensez-vous du dépliant diffusé par le Groupe genevois de vaccination contre la grippe (1996)? L’objectif est de voir quelles modifications pourraient être apportées au dépliant à l’avenir. La plupart des remarques des participants concernant le dépliant diffusé par le Groupe genevois de vaccination contre la grippe, relevées page par page (cf. Annexe 5), reprennent les thèmes structurant les représentations résumés dans les paragraphes précédents. 4. CONCLUSIONS Nos conclusions sont centrées sur l’objectif principal de cette étude, à savoir évaluer les messages contenus dans le matériel d’information de la campagne grippe (contenu et forme) par rapport au groupe cible. Elles se fondent sur l’analyse des représentations de la grippe décrites ci-dessus. Les messages contenus dans le matériel d’information de la campagne grippe (dépliant diffusé par le Groupe genevois de vaccination contre la grippe, 1996) sont considérés comme justes et honnêtes. Mais ils semblent désormais insuffisants. Depuis les deux études réalisées en 1996 (Debenay et al.; Butikofer), de nombreuses personnes, dont des personnes âgées, ont expérimenté le vaccin contre la grippe. Sa réputation ne semble pas pour autant s’être améliorée, non seulement parce que certaines personnes ont fait de fortes réaction à la vaccination ou estiment avoir eu la grippe en étant vaccinées, mais aussi parce que des personnes âgées vaccinées sont mortes de la grippe (EMS de Winterthur). Ce bilan négatif, effectué par des personnes ayant été vaccinées s’ajoutant aux doutes des hésitants et aux arguments des réfractaires, nécessite des réponses nouvelles. Faire comme si de rien n’était donnerait raison à ceux qui pensent que cet acharnement à vouloir que toutes les personnes âgées se fassent vacciner ne poursuit que des fins économiques (augmenter le nombre de consultations médicales et faire marcher l’industrie 134 Recherche en soins infirmiers N° 69 - juin 2002 LE VACCIN CONTRE LA GRIPPE ET LES PERSONNES ÂGÉES pharmaceutique). Et ce d’autant plus que la conjoncture est à la maîtrise de la hausse des coûts de la santé. RÉFÉRENCES BIBLIOGRAPHIQUES Il faudrait donc aller au-delà des messages actuels, répondre aux questions concernant les dangers de la vaccination (quelles contre-indications, quels effets secondaires, quelles allergies, etc.), l’efficacité du vaccin (même si tous les virus ne sont pas prévisibles). (1) Ammon Catherine : La vaccination anti-grippale des personnes âgées (vivant à domicile) à Genève. Mémoire pour le certificat de Santé Communautaire, Centre Médical Universitaire, Genève, 1996. Il faudrait souligner des avantages à se faire vacciner situés hors d’une problématique purement médicale, comme le fait de pouvoir continuer à sortir de chez soi, rencontrer d’autres gens, aller dans des lieux publics, utiliser les transports en commun, voir ceux qu’on aime et pouvoir les embrasser. Enfin il faudrait valoriser leurs représentations concernant ce qu’ils peuvent faire eux-mêmes pour être en bonne santé, comme l’importance de bien se nourrir. Il faudrait présenter les recettes de grands-mères comme étant bonnes pour la santé, complémentaires à la vaccination, et non les opposer ou les disqualifier. En un mot, développer une stratégie de coopération entre savoir profane et savoir scientifique plutôt qu’une stratégie de compétition et de domination. (2) Morgan David L., Krueger Richard A. : The Focus Group Kit. Tome 1 à 6. Sage Publications, Thousand Oaks, London, New Delhi, 1998. (3) Debenay Élisabeth, Barciela Ana, Bovay Simone, Ischi Sylvie, Polastri Florence, Romain Marie-Simone : Évaluation des représentations de la grippe et des résistances à la vaccination auprès de deux groupes de personnes âgées, d’après la méthode des focus-group. École de Soins Infirmiers et de Sages-Femmes Le Bon Secours, Genève, 1996. (4) Butikofer Dominique : Identification des croyances et des représentations de la grippe et de sa vaccination. Institut de Médecine Sociale et préventive, Faculté de Médecine, Université de Genève, Genève, 1996. (5) Simon Jean-Jacques, Gaberel Pascal-Eric, Schira Jean-Claude, Wunderli Werner, Debennay Elisabeth : Rapport de la campagne « Unis pour la vaccination contre la grippe 96_97 ». Rapport pout le Département de l’Action Sociale et de la Santé, Genève, 1997. Annexe 0 GUIDE DE DISCUSSION 0. Tour de table visant à recueillir quelques informations sur les participants : dernière profession exercée avant la retraite (CSP), âge, principaux intérêts actuels. Noter la répartition par sexe. 1. Qu’est-ce qu’un vaccin ? Objectif : repérer les représentations des vaccins considérés comme efficaces, les attitudes face aux vaccinations en général. 2. Qu’est-ce que la grippe ? Objectif: repérer les représentations de la grippe (prévention, transmission, symptômes, gravité, complications, traitements). 3. Que savez-vous, que pensez-vous du vaccin contre la grippe ? Quelles raisons y-a-t-il de se faire ou non vacciner contre la grippe ? Objectif: repérer les représentations du vaccin contre la grippe, l’expérience et le bilan qu’en tirent ceux qui ont déjà été vaccinés, les questions que se posent les participants à son sujet. 4. Distribution du dépliant diffusé par le Groupe genevois de vaccination contre la grippe (1996). Temps de lecture chacun pour soi. Premières réactions. Reprise page par page (lecture à haute voix par l’animateur) et commentaires page par page sur le contenu. Discussion sur la forme (la présentation, l’écureuil, etc.). 5. Autres commentaires autour de l’ensemble des questions soulevées par le groupe ? 6. Remerciements et distribution d’un bon d’achat de 30 fr. à l’ensemble des participants. 135 Recherche en soins infirmiers N° 69 - juin 2002 Annexe 1 Qu’est-ce qu’un vaccin ? Énoncés favorables Énoncés défavorables Nuances protège contre une maladie casse l’équilibre dangereux: risque de mort (tuberculose, polio, coqueluche...) vaccin homéopathique: moins dangereux empêche d’avoir une maladie donne la maladie, met le poison à l’intérieur du corps un vaccin est moins fort que la maladie renforce fabrique des anticorps oblige le corps à réagir affaiblit chaque vaccin atteint une autre partie du corps: différences le vaccin contre la grippe est comme tous les autres vaccins le vaccin contre la grippe n’est pas comme tous les autres vaccins: les virus changent chaque année maladie connue, identifiée, prévisible maladie imprévisible pour tout le monde (école, armée, entreprises) pour les forts: nécessaire d’être en bonne santé pour le faire les réactions, les effets varient d’un individu à l’autre c’est psychologique les forts réagissent plus fort, sont plus en danger (la grippe espagnole a emporté les hommes forts en premier) pour les faibles: les enfants nécessaire de prendre des précautions Annexe 2 Qu’est-ce que la grippe ? Définitions de la grippe affaiblissement refroidissement rhume toux fatigue on ne peut plus souffler attaque les poumons broncho-pneumonie courbatures, mal aux articulations mal partout mal aux jambes maux de tête fièvre appellation trop globale: il a en a plusieurs (comme le cancer) bactéries microbes la grippe est un virus toujours différent Objections pas la grippe pas la grippe pas la grippe pas la grippe pas la grippe Nuances on ne sait pas ce que c’est la grippe n’est pas une maladie définie seul le médecin peut le savoir: il faut faire une prise de sang pas la grippe pas la grippe pas la grippe pas la grippe n’a jamais de fièvre, même quand a la grippe la fièvre n’est pas une maladie, c’est le gendarme du corps c’est une défense le rhume est aussi un virus 136 Recherche en soins infirmiers N° 69 - juin 2002 certaines personnes ont de la fièvre, d’autres pas, c’est individuel ça dépend des tempéraments tous les virus ne sont pas la grippe LE VACCIN CONTRE LA GRIPPE ET LES PERSONNES ÂGÉES Annexe 2 (suite) Définitions de la grippe Objections Nuances vient de l’étranger (Espagne, Asie, Sydney) c’est pour ça que nous sommes fragiles les responsables sont les voyageurs maladie grave si fièvre on peut l’attraper ou pas : impossible de savoir tantôt bénin, tantôt pas maladie grave pour les personnes affaiblies ne pas la négliger maladie mortelle (grippe de 1918) grave pour les enfants et les personnes âgées pour les personnes très âgées seulement Annexe 3 Comment éviter la grippe ? Comment se transmet-elle ? Comment lutter contre la grippe ? Éviter la grippe ne pas avoir froid ne pas être faible Transmission en hiver aussi en dehors de l’hiver au printemps on peut aussi attraper la grippe quand on est faible rester chez soi, ne pas sortir dans les lieux publics l’air conditionné dans les bureaux: ça passe d’une pièce à l’autre l’air conditionné est trop pur: les virus prolifèrent la pollution tue les virus, nous on résiste à cause de la pollution les ascenseurs sont des cages à virus dans les bus éviter de sortir par l’air éviter les gens par les autres éviter le contact par les contacts physiques se mettre un mouchoir sur la bouche par la bouche quand elle sort prendre une pastille pour la gorge pour se protéger ne pas embrasser les autres se laver les mains par les mains ne pas parler en parlant avoir de l’hygiène augmenter ses résistances bien se nourrir carences alimentaires alimentation variée: protège comme un vaccin 137 Recherche en soins infirmiers N° 69 - juin 2002 Lutter contre rester au chaud bains chauds rester couché bien dormir transpirer faire du sport ne pas sortir faire la diète bien manger manger des agrumes manger des légumes Annexe 3 (suite) Éviter la grippe huile de foie de morue grogs préventifs Transmission Lutter contre tisanes de grands-mères boire beaucoup boire du chaud Comment éviter la grippe ? Comment se transmet-elle ? Comment lutter contre la grippe ? le vaccin se répartit dans tout grands-mères aussi vaccin contre la grippe vin rouge avec un grain de sucre boire des grogs les sangsues prendre des vitamines vitamines C en grande quantité contagion épidémie vaccin homéopathique paracétamol aspirine prendre du Pulmex après 3 jours, aller chez le médecin antibiotiques Annexe 4 Que savez-vous, que pensez-vous du vaccin contre la grippe ? Quelles raisons y-a-t-il de se faire ou non vacciner contre la grippe ? Énoncés favorables le vaccin est contre les virus qui viennent de l’étranger vaccin élaboré après la grande grippe de 1956 à Genève, Paris et aux USA a été vacciné et n’a jamais eu la grippe Énoncés défavorables le virus est nouveau chaque année, donc le vaccin n’est pas efficace il a toujours un train de retard impossible de prévoir ce qui va arriver la grippe, on ne sait pas ce que c’est la grippe n’existe pas: invention pour e pas aller au travail ou à l’armée a été vacciné et a eu la grippe a fait vacciner tous ses enfants n’a jamais eu la grippe: ne se fera pas vacciner 138 Recherche en soins infirmiers N° 69 - juin 2002 Nuances le vaccin est parfois efficace, parfois non le vaccin est pour éviter que les gens aient ça si fort le vaccin évite d’avoir une « mauvaise » grippe ridicule de se faire vacciner contre une éventualité évite d’avoir de « trop grosses » bronchites, de « gros » rhumes, de «gros» refroidissements le vaccin homéopathique est mieux Oscilococcinum a été vacciné deux ans avant sa retraite et depuis n’a jamais eu la grippe, mais connaît des gens pas vaccinés qui ne l’ont pas eue non plus LE VACCIN CONTRE LA GRIPPE ET LES PERSONNES ÂGÉES Annexe 4 (suite) Énoncés favorables il faut le faire toujours à la même date vacciner toute la population c’est pas cher la piqûre ne fait pas peur la piqûre véhicule plus vite, est plus rapide, plus directe Énoncés défavorables n’est pas malade, n’a pas besoin de vaccins il faut craindre l’épidémie pour se faire vacciner pour les individus délicats, toujours malades ceux qui se font vacciner contaminent les autres une visite à 70 fr. c’est cher Nuances après une bronchite, il faut le faire a eu la toux et l’a fait quand on a un gros rhume, il faut se faire vacciner ça ne convient pas à tout le monde des gens ont fait une trop grosse allergie c’est au médecin de conseiller, de décider c’est le médecin qui me l’a demandé vaccin offert par l’entreprise chaque année on devrait pouvoir le faire à la pharmacie (comme pour la tension) opposé aux vaccinations chez le pharmacien ou à la chaîne a peur des piqûres, ne le fera jamais embêtant pour les enfants avant le vaccin était en pastilles istribuées dans les entreprises Annexe 5 Que pensez-vous du dépliant diffusé par le Groupe genevois de vaccination contre la grippe (1996)? Énoncés favorables Énoncés défavorables Page 1 et 6 : médecins et pharmaciens des médecins disent de ne pas se ne demanderait pas au pharmacien vacciner quand on est pas bien: c’est pas normal si après on a la grippe p. 2 : dès octobre, chaque automne pas de grippe en été ils disent que la grippe arrive en hiver, alors les angines, bronchites et grippes qu’on attrape en été ne sont pas la grippe... 139 Recherche en soins infirmiers N° 69 - juin 2002 Nuances faire confiance à son médecin: certains diront « c’est pas nécessaire », d’autres « c’est bon » ou « c’est pas bon »... pas le faire quand on prend des médicaments ne le faire que si on est en forme Annexe 5 (suite) Énoncés favorables le délai de vaccination est relatif Énoncés défavorables 4 semaines avant d’être efficace, c’est long en octobre... mais si la grippe prend le TGV au lieu de l’omnibus, c’est déjà trop tard en octobre c’est trop tard, le faire en septembre ils disent que le vaccin est adapté chaque année, mais ils ne savent pas quel virus ce sera et quand il arrivera... pour quelle grippe on est vacciné ? cette année, deux virus imprévus... le virus est adapté, le vaccin non p. 3 : éviter les complications, éviter la transmission la grippe est mortelle quel est le pourcentage des gens évite les complications, pas la grippe vaccinés qui l’ont quand même on l’a moins fort attrapée ? si la personne est vaccinée, elle ne l’attrape pas et ne la passe pas non plus, c’est logique c’est vrai que ça se transmet avant les premiers symptômes p. 4 : qui ? d’accord pour 65 ans il faudrait vacciner tout le monde, ça devrait être obligatoire les soignants à domicile, le personnel de l’hôpital doivent se faire vacciner les personnes qui travaillent dans l’alimentation aussi p. 5: comment ? le vaccin éviterait la transmission: c’est difficile à prouver... 65 ans: pourquoi cette limite ? Les jeunes ne résistent pas non plus... les enfants, les jeunes sont délicats les aides à domiciles nous passent la grippe on se lasse du vaccin car il est annuel pas valable contre les autres virus circulant en hiver Autres commentaires: le dépliant est juste, honnête Nuances c’est du petit commerce, une combine pour vendre... ça sert à donner du travail aux docteurs il ne répond pas à nos questions pas convainquant le prospectus est bien l’écureuil est joli l’animal est ravissant il n’y a aucun conseil alimentaires, c’est pour les gens qui ont la flemme de faire la cuisine 140 Recherche en soins infirmiers N° 69 - juin 2002 pour le savoir, il faudrait ne vacciner personne pendant 3 ans et compter les morts, puis tout le monde pendant 3 ans et compter les morts à l’EMS de Zürich, ils étaient vaccinés, ils sont morts, mais ils étaient tous âgés et malades... COMPLÉTEZ VOS COLLECTIONS RSI – TARIF AU 01/01/2002 – PORT COMPRIS Collection 87 23 € Collection 88 23 € Collection 89 23 € Collection 90 31 € N° 29 Juin 92 Éditorial M. FORMARIER Rencontre avec… J.-P. HUBER La psychiatrie hier, aujourd’hui Recherche Y. SOMMIER La chambre à cathéter implantable. Soins infirmiers et utilisation d’une nouvelle technique d’abord veineux au long cours chez l’adulte. Méthodologie S. JUAN Identités professionnelles et rapport à la recherche. Variations J. LECACHEUR Mission pour un cœur tout neuf ou essai d’une programmation de santé pour transplantés cardiaques. Informations Journées d’études ARSI janvier 1993 Pré-programme N° 34 Septembre 93 Éditorial Ouverure des journées d’études T. PSIUK : Conférences L. MILLET : La clinique, histoire, théorie, pratique (« la science infirmière »). L. JOVIC Différenciation entre : praticien, spécialiste, expert, clinicien en soins infirmiers. Table ronde E. DUSEHU, C. HELOUIN, L. LAMONTAGNE, N. ZLATIEV Clinique et cliniciens : des concepts aux pratiques. Recherches M. HUBINON Élaboration de normes de qualité d’organisation des unités de soins (Abstract). A.N.C.I.M. Recherche sur la capacité de la personne soignée à participer au recueil des données. A. BUSTILLO, A. JACQUERYE Évaluation de la qualité des soins dans la prise en charge des patients à risque ou atteints d’escarres (Résumé) P. FAVEZ, S. CARBONELL Valorisation de la profession infirmière et satisfaction du patient : application d’une philisophie de soins. N° 39 Décembre 94 Éditorial Rencontre avec… C. RENAUD L’acte euthanasique est-il éthique ? Le cas du M.I. Recherche M. BRACKEVELDT Recherche d’opmitisation de la qualité de distribution des médicaments. Méthodologie F. FORTIN Propriété métrologique des instrument de mesure (fidélité – validité) L. TENN Développement d’un instrument de mesure d’intégration des soins de santé primaires dans les programmes universitaires de sciences infirmières au Canada Variations C. RIVALETTO La chute des patients dans un service de chirurgie digestive. Informations Journées d’études à ARSI. Formation continue – programme 1995 Colloque INSERM : La recherche infimière en France. Collection 91 31 € Collection 93 31 € Collection 94 39 € Collection 95 39 € Prix unitaire TTC 15 € (port compris) Collection 96 39 € Collection 2000 49 € Collection 97 39 € Collection 2001 54 € Collection 98 39 € Spécial Méthodologie 1997 (n° 2) 22 € (port compris) Collection 99 46 € N° 30 Septembre 92 Éditorial Comité de rédaction Journées d’études B. D’ESPAGNAT Comment se construit une science : approche épistémologique. J.-P. ASTOLFI La génèse de la science ; ses différents courants. P. CARO La vulgarisation des sciences. B. GUY Intérêts de la surveillance des voies d’abord par monitorage des pressions de perfusion en néonatologie. M. NADOT Une « médiologie » de la santé comme science. M. RATTIER, E. CHANADEAU et l’équipe soignante de Médecine Interne B CHRU Limoges. La visite-infirmière : rechercheaction. M. FERRAT, M. L. ESPEL, M. H. COUTUMIER, M. PEGON et les puéricultices Pédiatrie 2 Secteur Néo-Natalogie Montpellier. Le comportement postural du nouveau-né prématuré en incubateur S. ANDRAL Autonomie et/ou Autonomie : de quelle autonomie parle-t-on ? Informations N° 35 Décembre 93 Éditorial M. FORMARIER Rencontre avec… D. MONGUILLON Identité Sociale et Ethos Infirmier Recherche M. NOLIN Procédures et processus dans le soins infirmiers Méthodologie R. FLANDRE La grille de compétences infirmières Variation Pascale FLEURIOT Essais thérapeutiques et infirmières Informations Programme de formation continue 94 Journées d’études 94 N° 40 Mars 95 Éditorial Rencontre avec… A. GÉRARD Diagnostic communautaire du lycée A. Mézières de Longwy dans le cadre d’une action de prévention concernant le SIDA et le MSI. Recherche A. MEUNIER Et si nous parlions des familles ? L’infirmière face aux besoins de familles de personnes en fin de vie. Méthodologie G. ISAMBART Les outils de communications dans les présentation de recherche. Variations M. DEVILLERS, C. GROULEZ Hygiène, gestion, motivation : bouquet harmonieux au service de la qualité G. SOUCHON Conception du rôle éducatif de l’infirmière et sa mise en œuvre en milieu hospitalier (analyse du contenu de la presse professionnelle) Informations Appel à recherche N° 31 Décembre 92 Éditorial M.-C. SOULAGNET-BASCOU Rencontrer du groupe Européen des infirmières chercheurs. Table ronde N. ZLATIEV Les soins relatifs à la rencontre du 2e type. Recherche C. FOUILLAT Étude comparative de la motivation et de l’implication dans le travail des infirmières des unités de remplacement et des infirmières des unités de soins à l’hôpital. Méthodologie M. FORMARIER Les échantillonnages : Petites révisions. Variation C. HABIB, S. KARAM, H. KHALED, R. RUSTOM Manipulation des produits anticancéreux et information des infirmières. Informations ISÉ U P É N° 36 Mars 94 Éditorial M. FORMARIER Rencontre avec… M. BILLIER-RECKEL, C. DUMONT, O. FIMA Diagnostic, infirmier, où en sommes-nous? Méthodologie B. KITOUS Dé-construire et re-composer : Itinéraires pour des professionnels en question Méthodologie D. LANZA, L. SÉCHAUD, V. JEUNE, F. PINAULT Les hospitalisations multiples du patient âgé ne sont plus une fatalité Variations J. TOURIGNY, L. CHARTIER Validation préliminaire d’un instrument d’évaluation du comportement de l’enfant en pé- et post-opératoire Informations N° 33 Juin 93 N° 32 Mars 93 Éditorial Éditorial COMITÉ DE RÉDACTION Rencontre avec… C. FRANCESCHI-CHAIX Le syndrome de burn out : étude clinique et implications en psychopathologie du travail Recherche M.-P. BIZET Vous avez dit : Protocoles ? Les protocoles dans la pratique infirmière Méthodologie M. FORMARIER Approche scientifique des protocoles de soins infirmiers Variations D. KOWOLIK, F. LEBOURG, B. SCHERER, C. HORBER Utilisation de la musicothérapie chez un patient parkinsonnien Informations Programme de formation continue 1993 Congrès divers N° 37 Juin 94 Éditorial Rencontre avec… V. GOUTTARD-DOJAT Variations et articulations de la technique et de l’aide au patient dans le travail infirmier Recherche C. DESNOUVEAUX Les surveillantes, acteur dans les établissements de santé : entre l’engagement et la défaitisme Méthodologie G. ISAMBARD Banque des données et soins infirmiers Méthodologie J.-Ph. ACCART Une étape importante du travail de recherche : la bibliographie Variations P. BIROT, M. HERTIER, F. ROCHE Décontamination en endoscopie Informations Pré-programme journées d’études 1995. ARSI : changement d’adresse du siège social. Ph. ROMBAUT Rencontre avec… F. MARTEL La Recherche en Soins Infirmiers, stratégie scientifique et politique de l’Infirmière Générale Recherche M.-P. GARAND Revenir à la maison après l’accouchement Méthodologie M.C. SOULAGNET-BASCOU Approche méthodologique de la lecture rapide Variations A. BAGILET Perte de mémoire de la sénescence dans un groupe de retraités d’une commune rurale Informations N° 38 Septembre 94 Éditorial 3 journées passionnantes Conférences La pédagogie du projet G. AVANZINI Former, éduquer, enseigner dans les instituts de formation en S.I. G. HOUSSAYE Table ronde : Cohérence d’une politique de soins depuis l’élaboration du projet infirmier jusqu’à sa mise en œuvre et son évaluation. L’équipe de l’hôpital Antoine BECLERE Recherche : Étude de la charge de travail de l’infirmière chef (terme belge signifiant surveillante) Association catholique de Nursing (Belgique) Fédération neutre des infirmières de Belgique Association des directions de département infirmiers de 31 établissements. Comment intégrer une formation sur l’incontinence dans une unité de long séjour. A. DARDILHAC, F. DELOMENIE Évaluation par les patients de l’analgésie auto-contrôlée dans un secteur d’oncologie chirurgicale D. COGNIS, C. FERNANDEZ, N. MOTTEAU, M. PRADIER, D. FRANCON, C.C. BONNET Emergence du discours parent enfant. Productions vocales des bébés prématurés. M. PEGON : Le savoir infirmier concernant la plaque COMFEEL dans le traitement de l’escarre constituée. N. BOUCHARD, C. SEGOURA Coupon à renvoyer accompagné de votre chèque à : Daniel MALLET, 2, place Antonin Jutard, 69003 Lyon Nom Profession Adresse Souhaite recevoir les nos ❐ 29 ❐ 41 ❐ 53 ❐ 65 ❐ 30 ❐ 42 ❐ 54 ❐ 66 ❐ 31 ❐ 32 ❐ 43 ❐ 44 ❐ 55 ❐ 56 ❐ 67 Prénom ❐ 33 ❐ 34 ❐ 45 ❐ 46 ❐ 57 ❐ 58 ❐ 35 ❐ 36 ❐ 47 ❐ 48 ❐ 59 ❐ 60 ❐ 37 ❐ 38 ❐ 49 ❐ 50 ❐ 61 ❐ 62 ❐ 39 ❐ 40 ❐ 51 ❐ 52 ❐ 63 ❐ 64 Au prix unitaire FRANCO TTC de 15 € Souhaite recevoir les collections : 87 88 89 90 : : : : 23 23 23 31 € € € € 91 (3 nos) : 31 € 93 : 31 € 94 : 39 € 95 : 39 € 96 97 98 99 : : : : Ci-joint chèque de : 141 Recherche en soins infirmiers N° 69 - juin 2002 39 39 39 46 € € € € 2000 : 49 € 2001 : 54 € Spécial méthodologie 1997 n° 2 : 22 € (prix franco TTC) COMPLÉTEZ VOS COLLECTIONS AU N° OU PAR ANNÉE N° 41 Juin 95 Éditorial Rencontre avec… J. MACH et A.-CI. RAE Étude sur les conditions de travail du personnel soignant Méthodologie T. PSIUK Le raisonnement diagnostic dans l’activité de l’infirmière Recherche J. CLOUTIER Réponses psychosociales d’adaptation à l’interruption volontaire des grosses d’un groupe d’adolescentes Mémoire présentée à la Faculté des études supérieures en vue de l’obtention du garde de Maître èssciences (M. Sc.) en sciences infirmières (Université de Montréal) Variations G. DALSTEIN L’expérience du bloc-opératoire –Vécu du patient Informations Programme de formation continue ARSI 1996 N° 42 Septembre 95 N° 43 Décembre 95 Éditorial : Marie-Claude LEFORT Conférences D. TONNEAU – Coût, efficience, efficacité, clarification des concepts J. CLÉMENT – Coût, efficacité dans l’organisation des soins infirmiers A. BRANDON – Gestion des services de soins informiers G. COUTURIER – Introduction des notions d’économie dans la fonction infirmière H. SAVALL – Contribution du management socioéconomique dans la réorganisation des services hospitaliers C. THOUVEREZ – Contribution du management du socioéconomique dans un projet de performance au Bloc Opératoire Recherche M.-F. COMBAZ – La qualité à l’hôpital M. LEMÉNAGER – Le casque refrigérant vers une recherche d’efficacité maximale C. WAYMEL, S. ROUSSEAU Articuler la formation infirmière au projet professionnel de l’étudiant. C. LECKIE, M. PFISTER – Situation d’urgence médicaux chirurgicales. D. FRIARD, A. M. LYRELOUP, J. LOUESDON, M. RAJABLAT, G. STOLZ, M. WINDISCH Manque de connaissance associée à la médication M. ROTHAN-TONDEUR, E. LANCIER Évaluation du risque infectieux urinaire Informations Éditorial Rencontre avec… Philippe LECORPS De la propagande normative à l’accompagnement de l’homme en souffrance Moment de formation d’une équipe de soignants en service de Cardiologie (Antoine Béclère-Clamart) Recherche Claire JOURNIAC Infirmière anesthésiste et sa représenta-tion : 2 modèles de référence ? Une étude de représentations sociales Recherche Sylvie LE MAY, André DUQUETTE Prédicteur de la collaboration infirmière – médecin Perceptions d’infirmières en soins intensifs Méthodologie Monique FORMARIER, Geneviève POIRIER-COUTANSAIS, Thérèse PSIUK Les concepts organisateurs de la science Leur application de les soins infirmiers Variation Sidonie LAURENT, William D’HOORE L’échelle de Norton est-elle un prédicteur sensible et spécifique des escarres décubitus en hospitalisation de court séjour ? Informations Journées d’études 1996 Programme de formation continue ARSI 1996 N° 46 Septembre 96 Éditorial Le métaparadigme infirmier Méthodologie Linda BELL, Céline GOULET, Denise PAUL, Viola POLOMÉNO Une analyse du concept d’attachement parent-enfant Recherche Christine GIRAULT-MICHEAU Représentation infirmière de la fonction d’encadrement, quelle engagement professionnelle infirmier? Geneviève ROBERTON Le suivi pédagogique : une autre conception de la relation étudiants/formateurs en IFSI Variation Patrick VERRECKE Attitude apriorique du personnel infirmier face à l’introduction de l’outil informatique et vision contemporaine du système d’information hospitalier Informations Journées de formation ARSI 23/24 janvier 1997 Programme de formation continue 1997 Appel à recherche N° 47 Décembre 96 N° 48 Mars 97 Éditorial M. FORMARIER Introduction M.C. LEFORT Conférences André GIORDAN Vers un champ de concept infiermier : méthode d’approche et premiers éléments Fabienne FORTIN Sciences infirmières et recherche Dominique PROUST Pour gérer la rupture entre le sens commun et le savoir savant Ljiliana JOVIC, Catherine DUBOIYS-FRESNAY, Martin PEGNON, Jocelyne HOUÉE, Fabienne FORTIN Table ronde : La recherche infirmière : ou en sommes-nous? Recherche Louise GAGNON Analyse relative à la qualité de vie de traumatisés de la moëlle épinière : variable de l’environnement – variable de l’estime de soi M.F. ERAMA, S. LEGRAND, M. PEGON Mise en images de recherche en néonatalogie Information Journées de formation ARSI 23/24 Janvier 1997 Directives déontologiques applicables à la recherche en soins infirmiers ICN Réné MAGNON Une recommendation du conseil de l’Europe pour développer et promouvoir la recherche infirmière Éditorial M. FORMARIER Rencontre avec… Jocelyne HOUÉE La recherche clinique en soins infirmiers à l’assistance – Hôpitaux de Paris C. VINOT – Implants phonatoires après la laryngectomie totale et soins infirmiers G. BENHAMOU-JANTELET – Accueil du patient drépanocytaire en crise algique C. BOSSU – Surveillance de fin de grossesse D. BENHAMOU, M. COUAILLET, E JÉGOU, F. LEGENDRE – Évaluation de la douleur et prise en charge thérapeutique en salle de réveil Méthodologie L. JOVIC La recherche clinique : définitions et principes Recherche J.-M. GASPOZ, C. HELIOT-MAILLOT, D. LANZA, C. LOUIS, G. PASCHE, S. SECHAUD Expérience de l’infarctus, quels changements ? I. WERQUIN, D. MONFROY Variation I. FLOCH, J.L. HUET Craintes et contraintes chez les diabétiques J. TAELS, M. VANSCHOR Introduction du diagnostic infirmier de la douleur, une aventure d’équipe Informations N° 51 Décembre 97 Éditorial Marie-Claude LEFORT 6000 infirmières à Vancouver au 21e Congrès du conseil infirmier international Conférences Marie-Claude LEFORT Allocution d’ouverture des journées de formation ARSI 1997 « Des soins infirmiers aux concepts » Thérèse PSIUK Le raisonnement clinique de l’infirmière dans son activité quotidienne Jean-Louis LEMOIGNE Concevoir, dans et par l’organisation, l’action assumée dans sa complexité Michel DEVELAY La pédagogie a du sens G. POIRIER-COUTANSAIS Compréhension des logiques de soins infirmiers : analyse et problématique Recherche Nicole PARENT Intervention de soutien par des anciens patients modèles auprès de personnes devant subir une chirurgie cardiaque N° 52 Mars 98 Éditorial Rencontre avec… Jacques DESAUTELS Une éducation au science pour action Recherche Michel FOURNET, Véronique BEDIN, Paule SANCHOU La création d’un observatoire local des mémoires professionnelles : un enjeu pour l’ingénierie de formation diplômante et la recherche en formation continue Monique FORMARIER, Paulin TCHASSOU Étude portant sur les travaux de fin d’études réalisés dans les instituts de formation en soins infirmiers : réfleions pédagogique et méthodologique Méthodologie Marie LAROCHELLE La tentation de la classification ou comment un apprentissage nonréflexif des savoirs scientifiques peut donner lieu à un problème épistémologique Variation Fabienne GICQUIAUD, Adeline HAUVETTE, Alice LAVOGEZ Vers des accidents d’exposition au sang (AES) en baisse : utopie ou réalité ? N° 53 Juin 98 Éditorial René MAGNON De l’utilité du dictionnaire des soins infirmiers Rencontre avec… Daniel JACOBI Expliquer et faire comprendre la douleur : formes et ressources des discours explicatifs David LE BRETON Douleur et soins infirmiers Méthodologie Ginette LAZURE L’incertitude… l’influence de l’évolution d’un concept sur le développement de la connaissance infirmière Recherche Nicole ROYER-COHEN Les « sans-domicile fixe » aux urgences : leur rencontre avec les infirmières Variation Jean François GOUYOU, Claude VIDAL La douleur post-opératoire aiguë de l’adulte : influence de la conception sur la prise en charge A. AVCI, M. DORLA, M. KRAUZE Prévenir la douleur et l’inconfort des nouveaux-nés prématurés : une nouvelle méthode d’enregistrement du signal EEG. N° 44 Mars 96 Éditorial Rencontre avec… Sabine HANS Le diagnostic infirmier, un espoir pour la profession Méthodologie Guy ISAMBART Internet et soins infirmiers Recherche Murielle GUILLOT Soignants et bénévoles en institution gériatrique : quelle collaboration ? Variations André DUQUETTE, Francine DUCHARME, Nicole RICARD, Louise LEVESQUE, Jean Pierre BONIN Élaboration d’un modèle théorique de déterminant de l’adaptation dérivée du modèle de Calista ROY Informations Journées internationales des infirmières : « Améliorer la santé par la recherche en soins infirmiers » Appel à la recherche Formation continue ARSI Programme 1996 N° 49 Juin 97 Éditorial Rencontre avec… Pierrette DROUARD Un outil au service des soignants : la créativité Recherche Evelyne MALAQUIN-PAVAN Bénéfice thérapeutique du toucher massage dans la prise en charge gloable de la personne âgées démente Méthodologie Diane MORIN Générique ou spécifique : réflexion critique sur les indicateurs de résultat en soin infirmier Variations Vincent MESLIER Un sens de perdu, quatre de retrouvés : la prise en charge d’un non-voyant dans un service hospitalier Philippe DELMAS, Chantal ARNOL, Lyne CLOUTIER L’influence d’un enseignement pré-opératoire sur l’anxiété du patient adulte opéré Informations Formation continue 1998. N° 54 Septembre 98 Éditorial Marie Claude LEFORT. Rencontre avec… Pierre PEYRE Un nouveau regard sur la méthodologie du projet professionnel : la modélisation de l’objet complexe et paradoxal Recherche Annie GOUDEAUX A propos de la formation initiale et continue des personnels soignants hospitaliers : travail réel et formation en alternance Méthodologie Jean COTTRAUX Intérêts, indications et limites de l’utilisation des échelles comportementales et cognitives Sylvie ROBICHAUD-EKSTRAND, Carmen G. LOISELLE Validation française de l’échelle du « Exercise of self care agency » auprès de patients cardiaques Variation Geneviève ROBERTSON Du concept à la pratique... Approche didactique de la formation en Institut de Formation en Soins Infirmiers : vers une formation de l’esprit 142 Recherche en soins infirmiers N° 69 - juin 2002 N° 45 Juin 96 Éditorial Thérèse PSIUK La recherche de sens d’une pédagogie active Rencontre avec… Nicole MAIRESSE Réflexion sur une nouvelle approche de la compétence (droit de réponse à l’éditorial de la revue n° 43) Recherche Bernard GUETH, Bernard SIRY, Joël TROUCHE Les activités psycho-sociothérapeutiques en psychaitrie Claude MAISONNEUVE Analyse des applications sur le terrain professionnel de l’enseignement dispensé des infirmières en soins généraux dans le cadre de la formation continue Méthodologie Nicole ROUSSEAU, Francine SAILLANT Chercheur avec, plutôt que chercher pour… Une introduction au méthode qualitative de recherche en soins infirmiers Variations Olivier BEAUCOUZÉ, Claire CHAUCHON, Nicole SALOMON Des représentations du métier à la construction de l’identité Informations Études nationale sur la validation du contenu des diagnostics infirmiers (Direction des hôpitaux Paris) Programme des formations continue 1997 N° 50 Septembre 97 SPÉCIAL MÉTHODOLOGIE Édiorial Introduction Monique FORMARIER Méthodologie Emmanuelle PICAVET : Qu’est-ce que l’épistémologie ? Le rapport entre épistomologie et science. Gérard de VECCHI : Une représentation de la science… qui empêche de faire des sciences Claude MOUCHOT : Scientificité et sciences sociales Raymond QUIVY : La construction de l’objet de recherche dans la démarche scientifique Luc VAN CAMPENHOUDT : La question de recherche Jean-François RICARD : La résolution de problèmes Michel-Louis ROUQUETTE : La notion de variable dans le cadre expérimental Pierre PAILLÉ : La recherche qualitative… sans gêne et sans regret Alex MOUCCHIELLI : Méthodologie d’une recherche qualitative en soins infirmiers J.-P. POURTOIS, H. DESMET, W. LAHAYE : Élaboration des données qulitative en service humaine Pierre COLLERETTE : L’étude de cas au service de la recherche Pierre NEGRE : De l’observation scientique à la scientificité de l’observation Jacques CHAUMIER : L’analyse documentaire ou la valorisation des documents Rodolphe GHIGLIONE : A propos d’analyse de contenus Isabelle ORGOGOZO : Qualité dans les soins infirmiers : les préalables aux méthodes Alice DAZORD : Évaluation des soins : prise en compte de la qualité de vie des patients et d’éléments rationnels Gérard FOUREZ : Ilots de rationalité interdisciplinaire N° 55 Décembre 98 Éditorial Rencontre avec… Jean Marie CLEMENT Les droits du patient. Recherche Maud BECHERRAZ, Claudine BRAISSANT, Cécile DESAULLES, Docteur Guy VAN MELLE Gestion de la douleur par les équipes infirmières : recherche exploratoire auprès de neuf services du Centre Hospitalier Universitaire Vaudois Olivier DUFOUR La recherche clinique en soins infirmiers : enseignement et pratique Chantal VILLEVIEILLE Analyse et vécu de l’enseignment de la formation d’infirmière specialiste clinique Hélène AUDEBERT, Chantal FISCHER, Florence SORDES L’information, une resource pour le futur allogreffé de moelle osseuse : M. BARATEAU, I. BOURDEL-MARCHASSON, A. COROMPT, J. SOULAN Étude multicentrique infirmière évaluent l’intérêt d’un soutien nutritionnel dans la prévention des escarres chez la personne âgée à risque. Maria Lucia ARANJO-SALADA Iranilde MESSIAS-MENDES Les patients atteints d’hypertension artérielle : approche de leur vécu Méthodologie Alex MUCCHIELLI Pour une pédagogie de recherche en soins infirmiers Variations Véronique BEZOMBES, Brigitte CROUZIL Étude du comportement des infirmière en matière de responsabilité : son influence sur l’exercise des soins infirmiers auprès du patient COMPLÉTEZ VOS COLLECTIONS AU N° OU PAR ANNÉE Éditorial N° 56 Mars 99 Éditorial N° 57 Juin 99 N° Special : La Notion De Concept Rencontre avec… Le concept de relation en psychologie sociale Gustave-Nicolas Fischer Rencontre avec… L’accueil : l’hospitalité à l’hôpitalconcept et évaluation Corinne Vandenbulcke Recherche Le diagnostic infirmier de «détresse spirituelle» Une réévaluation nécessaire Carole Kolher Méthodologie Perfectionnement du modèle de Stetler/Marram d’application des conclusions de recherche dans la pratique L. Cheryl-B Stetler-Traduction ARSI Utilisation de la recherche dans la pratique clinique. Programme de parrainage à l’intention de patients cardiaques Nicole Parent - Fabienne Fortin Méthodologie Concepts et méthodes en ethnologie Robert Cresswell Variation Soigner, c’est l’expérience de se comprendre soi-même par le détour de l’autre Cécilia Rohrbach Analyse Des bulletins de la «société amicale des surveillants et Surveillantes des hôpitaux de l’assistance publique» 1903-1913 Brigitte Hurel La revue rsi est répertoriée dans les banques de données: Pascal et Medidoc de l’inist B.D.S.P. (Banque de Données de Santé Publique) C.I.N.A.H.L. (Cummulative Index to Nursing and Allied Health Litterature) N° 61 Juin 2000 Éditorial Paul BIROT, Martine PEGON membres du Conseil d’Administration de L’ARSI Rencontre avec… L’entre deux psychiatrique: une expérience ethnologique E. LASSERRE – A. GUIOUX Méthodologie Pertinence de la recherche qualitative : approche comparative de la recherche qualitative et quantitative J. A. CORBALAN L’intérêt de la recherche qualitative dans les soins infirmiers M. FORMARIER Recherche L’étude de cas et / ou la construction de cas Étude clinique des dermatoses comme phénomènes psychosomatiques C. DOUCET L’oxygénotherapie de longue durée - impact sur la qualité de vie des personnes souffrant de broncho-pneumopathie chronique obstructive. P. KEMPF Variation Le vécu des patients et des familles face à une équipe interdisciplinaire en soins palliatifs S. BIVER N° 66 Septembre 2001 Éditorial Rencontre avec… De l’inconduite à la probité scientifique : un virage vers la prévention Hélène SYLVAIN Méthodologie Des représentations aux concepts interdisciplinaires et à l’interdisciplinarité Gérard FOUREZ Essai de modélisation du concept de satisfaction Chantal MORNET Recherche Cancers laryngés et pharyngo-laryngés : évaluation de la qualité de vie des laryngectomisés Evelyne RISPAL Variation De la relation de confiance à l’alliance thérapeutique : étude conceptuelle et son application dans les soins infirmiers Joëlle BASTIAN Jean Luc VALDEYRON Véronique VAQUIER N° 58 Septembre 1999 Recherche Approche de l’alternance en formation: étude comparée de la formation des enseignants à l’I.U.F.M. et de la formation des infirmiers Nicole Jeanguiot Variation Mesure des conduites parentales lors d’une chirurgie de l’enfant en court séjour Jocelyne Tourigny – Sylvie Larocque – Sophie Longpre – Noella Lahaie Comment faire une recherche bibliographique sur Internet Guy Isambart N° 62 Septembre 2000 Éditorial LA REVUE R.S.I. EN LIGNE SUR INTERNET Le comité de rédaction Rencontre avec… Des compétences à la compétence entre transmission et transfert : quels modèles ? Marie Odile CHOLLET-CHAPPARD Méthodologie Les échelles d’attitude Jean COTTRAUX Les méthodes qualitatives Josette HART Recherche Apprendre par l’erreur. Le statut de l’erreur dans le cadre de la formation initiale des infirmières Nicole PIERRE JEANGUIOT Changement technologique et organisation du travail : - un usage producteur de compétences. Étude de cas sur l’informatisation du dossier de soins infirmiers dans une unité de chirurgie cardiaque, Hôpital du Haut-Levêque BORDEAUX Isabelle FRISTALON Variation Table ronde : approche qualitative appliquée aux soins infirmiers : * introduction Thérèse PSIUK * de la théorie ancrée au plan de soins guide Mireille DESFONTAINES * les transmissions écrites ciblées infirmières – aidessoignantes : que peut nous apporter la gestion mentale ? Marie France MICHENAUD-DAVIAUD * développement de la recherche en soins infirmiers et stratégie institutionnelle Lysiane BECAM * la sécurité des soins infirmiers : constatations empiriques, stratégie de gestion du risque et limites Mireille DUCROS Éditorial Introduction à la lecture du numéro spécial : la notion de concept M. Formarier Les concepts organisateurs de la science, leur application aux soins infirmiers M. Formarier – G. Poirier-Coutansais – T. Psiuk Une analyse du concept d’attachement parentsenfant L. Bell – C. Goulet – D. ST-CYR Tribble – D. Paul – V. Polomeno Les concepts, l’analyse et le développement de la connaissance des soins infirmiers : Le cycle évolutionniste B.L. Rodgers Exploration de la base théorique des soins infirmiers à l’aide de techniques avancées d’analyse de concept J. Morse Analyse du concept d’empathie : illustration d’une approche G. L Forsyth Analyse de l’empathie : est-ce un concept adapté à la pratique des soins infirmiers J. Morse – G. Anderson – J. Bortorf – O. Yonge – B.O.’Brien – S. Solberg – K.H. MC Ilven La paradigme stress coping : une contribution complémentaire des sciences sociales et des sciences infirmières au développement des connaissances F. Ducharme Élaboration d’un modèle théorique de déterminants de l’adaptation dérivé du modèle de C. Roy A. Duquette – F. Ducharme – N. Ricard – L. Levesque – J. P. Bonin. Le modèle conceptuel de Mc Ewen en réadaptation cardiaque A. Desmarais – S. Robichaud Mesure de résultat en soins infirmiers : satisfaction des usagers D. Morin L’adoption et le maintien d’un comportement de santé : le défi de l’assiduité au traitement S. Vandal – R. Bradet – C. Viens – S. Robichaud Éléments de bibliographie sur les concepts • Erratum : Dans l’adresse e-mail de Corine Vandenbulcke, RSI nº 57 – Juin 1999 « L’Accueil : L’hospitalité à l’hôpital » p4, il fallait lire : Corinne. [email protected] N° 63 Decembre 2000 Éditorial Rencontre avec… La situation des infirmières américaines Daniel SIMONET Méthodologie L’appréhension de la substance infirmière par l’examen de concepts ayant fait l’objet d’analyse Sylvie LAUZON Jacinthe PEPIN La recherche… pour le développement des connaissances sur le soin Francine DUCHARME Recherche Étude comparative des besoins des patients transplantés ou en attente d’une transplantation d’organes et des représentations que se font les infirmières de ces besoins C. BAERT, N. COCULA, J. DELRAN, E. FAUBEL, C. FOUCAUD, V. MARTINS Le cadre face aux rites de passages des soignants Muriel FOULON Variation L’expertise institutionnelle : une ressource pour les soignants Hélène AUDEBERT N° 59 Décembre 99 N° 60 Mars 2000 Éditorial Éditorial Rencontre avec… Rencontre avec… Approche clinique en sciences sociales, psychologie sociale et sociologie clinique J. Barus – Michel Approche de la recherche clinique en psychologie J.-L Pedinielli La clinique dans les soins infirmiers L. Jovic Méthodologie Les méthodes de recherche clinique au service de la discipline infirmière Les applications pédagogiques d’internet G. Isambart – G. Roberton Internet et l’éducation, l’information des patients G. Isambart Recherche Essai randomisé de deux modes de prestation des soins lors de travail prématuré C. Goulet – H. Gevry – R. Gauthier – M. Maïta – L. Lepage – V. Polomeno Prédicteurs de l’épuisement professionnel des infirmières: Une étude dans un hôpital universitaire S. Stordeur – C. Vandenberghe W. D’hoore Variation De la réalisation du concept d’autonomie dans la formation des étudiants en soins infirmiers M. J. Renaut Informations N° 64 Mars 2001 Éditorial Rencontre avec… La créativité dans la réalité professionnelle… le désir de créer et le plaisir de faire. Elisabeth DEDIEU Méthodologie Le centre d’intérêt de la discipline infirmière : une clarification à l’aide des bases ontologiques. Francine MAJOR Recherche Hardiesse, stratégie de coping et qualité de vie au travail d’infirmières de Réanimation. Philippe DELMAS André DUQUETTE La perception de la douleur post-opératoire comme un stigmate par les opérés à une cholécystectomie et par les infirmières Pascale SAINTONGE Effets de la préparation sur l’anxiété avant la fibroscopie bronchique Simone DALBIES Simone DELON Martine FONTES-CARRERE Edgar GONCALVES DE CARVALHO Sylvie LEPAGE Variation La gestion des déchets d’autosoins : vers une éducation hospitalière ? Annick DELPECH Évaluation de la douleur chez l’enfant : prise en charge infirmière Isabelle DANGLETERRE Marianne DJAMBAY N° 65 Juin 2001 Éditorial Rencontre avec… Poids des problèmes pratiques, conceptuels et éthiques liés à l’alimentation à la cuiller des patients âgés en perte de capacités E. GEISSBÜHLER - F. GEISSBÜHLER C.H. RAPIN Les indicateurs de qualité au service d’une culture de l’amélioration continue des soins infirmiers Véronique DELETOILLE - Marie Claude LEFORT Méthodologie Éléments de méthodologie des interactions sociales Christine SORSANA Les points charnières de la recherche scientifique H. DESMET - W. LAHAYE - J.-P. POURTOIS Recherche L’intégration des nouvelles infirmières dans les unités de soins d’un hôpital universitaire Danièle LANZA - Geneviève PASCHE Laurence SECHAUD - Andrée BOSSON Jacqueline MACH - Ursula PACCAUD La recherche d’aide de femmes atteintes de migraine Patricia BOURGAULT - Francine GRATTON Variation Enseignement infirmier via Internet Guy ISAMBART La méthode des récits de vie. définition, propriétés, fonctions Daniel BERTAUX Les éléments d’un devis de recherche Jean-Pierre DESLAURIERS Recherche L’expérience d’autonomie de la personne âgée qui vit avec un membre de sa famille Francine MAJOR Étude de la qualité de vie de patients psychotiques chroniques fréquentant un hôpital de jour F. POLI - A. DAZORD - Dr F. GIRAUD Les modèles de comportements de santé Sylvie ROBICHAUD-EKSTRAND - Sylvie VANDAL - Chantal VIENS - Richard BRADET Variation Soins infirmiers aux personnes âgées : réactions à l’utilisation de la couverture de sécurité dans la prévention des chutes de lit Antoine Lutumba NTETU - Françoise COURVILLE - Maud-Christine CHOUINARD Hélène TREMBLAY N° 67 Decembre 2001 Éditorial Concepts, Stress, Coping Concepts et modèles en psychologie de la santé M. BRUCHON-SCHWEITZER La psychologie de la santé et l’éducation pour la santé : une rencontre possible J. BILLON – DESCARPENTRIES Le concept de stress et ses méthodes d’évaluation B. QUINTARD Le coping et les stratégies d’ajustement face au stress. M. BRUCHON-SCHWEITZER Le coping : une ressource à identifier dans les soins infirmiers L. PIQUEMAL-VIEU Stratégies de coping élaborées pour faire face à une maladie grave : l’exemple des cancers F. COUSSON-GELIE Processus de réaction aux stresseurs quotidiens lié à l’expérience de santé de femmes âgées vivant seules dans la communauté C. DALLAIRE La prévention du burn-out et ses incidences sur les stratégies de coping A.M. PRONOST Prise en charge, guérison et coping : vers un modèle intégré C. WEBB 143 Recherche en soins infirmiers N° 69 - juin 2002 Méthodologie ÉDITIONS MALLET CONSEIL, R.C. Lyon A 330 735 655 IMPRIMERIE CHIRAT 42540 SAINT-JUST-LA- PENDUE Dépôt légal n° 69 Juin 2002 – Commission paritaire n° 71 232 Printed in France