RSI-69 MEP - Banque de données en santé publique

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R ECHERCHE
SOINS INFIRMIERS
Revue Trimestrielle 4 numéros par an.
Directrice de la publication : Monique FORMARIER
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ISSN : 0297-2964
La revue « Recherche en Soins Infirmiers » (RSI) est répertoriée dans les banques de données :
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S
OMMAIRE
N° 69
JUIN 2002 RECHERCHE EN SOINS INFIRMIERS
ÉDITORIAL . ................................................................................................................................................
Monique FORMARIER
RENCONTRE
De quelques déterminants paramédicaux à l’esquisse d’une figure soignante...........................................
Dominique BOURGEON
MÉTHODOLOGIE
Les outils de bonnes pratiques et d’aide pour l’action de soins........................................................................
Ljiljana JOVIC
Annie COMPAGNON
Françoise FABRE
3
5
30
Conférence de consensus : prévention et traitement des escarres de l’adulte et du sujet âgé....................
41
RECHERCHE
Partenariat et renouvellement du paradigme éducatif en sciences infirmières...........................................
Hélène LEFEBVRE, Diane PELCHAT et Michelle PROULX
53
Satisfaction des parents à la naissance d’un enfant ayant une déficience
lors d’une intervention familiale ...............................................................................................................
Diane PELCHAT, Hélène LEFEBVRE,
Michelle PROULX et Mary REIDY
Recherche présentée en 4 parties :
• expériences et significations du réconfort pour la personne opérée
et pour l’infirmière qui en prend soin (1ère partie) ................................................................................
Maud BECHERRAZ
68
80
• de l’intérêt de la phénoménologie pour la mise en évidence de l’expertise infirmière
et le développement de connaissances en soins infirmiers (2ème partie) ...............................................
Maud BECHERRAZ
88
• expériences et significations du réconfort pour la personne opérée (3ème partie) ..................................
Maud BECHERRAZ
100
• expériences et significations du réconfort pour l’infirmière (4ème partie) ...............................................
Maud BECHERRAZ
111
VARIATION
Les notes infirmières : quelle contribution à la qualité du dossier de soins ? ............................................
Ronald MÜLLER, Anne Claire RAË, Vincent DUPONT,
Sandra MERKLI et Ingrid LANG
Le vaccin contre la grippe et les personnes âgées : étude sur les représentations
menées auprès de cinq focus qroups à GENÈVE.......................................................................................
Eliane PERRIN et Vanessa VAUCHER
2
Recherche en soins infirmiers N° 69 - juin 2002
122
130
E
DITORIAL
M. FORMARIER
Rédactrice R.S.I.
La revue R.S.I. pour la 1ère fois publie dans un de ses
numéros, les conclusions d’une conférence de consensus (1).
Ces méthodes permettent la construction de la science
d’aujourd’hui. La recherche est indispensable pour la
compréhension des phénomènes et la maîtrise de leur
utilisation car, si la technique est par nature faite d’une
accumulation de détails, elle ne peut progresser sans
en comprendre les lois.
Si ce type de travaux est largement diffusé dans la
presse scientifique médicale ou autre, il n’en est pas de
même dans la presse infirmière française.
Notre époque est caractérisée par un impératif : comprendre pour mieux agir.
Les conférences de consensus, les recommandations
pour la pratique clinique et toutes les méthodes qui
reposent sur des confrontations d’idées et de
recherches ont permis, au fil des siècles, de construire
des paradigmes scientifiques.
La critique des professionnels est essentielle car elle
repose sur un pragmatisme qui englobe la faisabilité et
l’application possible de nouvelles techniques, de nouveaux procédés aux situations concrètes.
Dans ses travaux, KUHN (1962) estime que la science
ne procède pas de manière cumulative mais constitue
un champ d’affrontement permanent de théories et de
paradigmes concurrents. La confrontation, entre pairs,
des travaux scientifiques, entraîne des prises de risque
que chaque chercheur, dans toutes les disciplines, doit
être prêt à assumer car il est indissolublement lié à tout
ce qu’il entreprend.
Les infirmières européennes pratiquent peu les
méthodes de confrontation scientifiques :
• frilosité intellectuelle ?
• manque d’assurance dans les recherches ?
• manque de structures adaptées ?
• esprit de chapelle ?
Au sein d’une communauté scientifique, le risque ne
peut plus être subi ou calculé mais pris après avoir été
évalué et modélisé car, comme dans beaucoup
d’autres domaines, il y a la nécessité de répondre à
une concurrence nationale et internationale souvent
féroce.
La vérité se trouve sûrement au carrefour de toutes ces
hypothèses.
Un grand nombre d’infirmières travaillent actuellement
de façon confidentielle sur des protocoles, des recommandations dans tous les domaines des soins : techniques, relationnels, éducatifs.
Cette pression permanente de prise de risque scientifique pousse les chercheurs à améliorer sans cesse
leurs travaux pour parfaire les résultats.
On ne peut que déplorer le manque d’échanges, de
confrontations, de publications des travaux réalisés.
L’inorganisation de notre profession n’encourage pas
ce type de rencontre scientifique.
La confrontation est au centre des conférences de
consensus :
• confrontation entre chercheurs venant de plusieurs
disciplines comme nous le montre la conférence de
consensus sur la prévention et le traitement des
escarres.
• Confrontation au cours d’un débat public avec des
professionnels.
Il est souhaitable, et nous nous efforçons d’œuvrer
dans ce sens, que les conférences de consensus soient
encouragées, soutenues, diffusées quand elles concernent le domaine des soins infirmiers.
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Recherche en soins infirmiers N° 69 - juin 2002
1 MÉTHODE «CONFÉRENCE DE CONSENSUS»
MÉTHODE «RECOMMANDATIONS POUR LA
PRATIQUE CLINIQUE» (OU «MÉTHODE RPC»)
Méthode standardisée d’élaboration de recommandations médicales et professionnelles.
Méthode standardisée d’élaboration de recommandations médicales et professionnelles.
Les recommandations sont élaborées par un jury multidisciplinaire et multiprofessionnel, au terme de la
présentation et de la discussion publiques de rapports
d’experts. La séance publique tient à la fois de la
conférence scientifique, du débat démocratique
durant lequel les experts et l’auditoire peuvent exprimer leurs points de vue et de la procédure judiciaire
au terme de laquelle un jury doit prendre position. La
rédaction des recommandations se fait à huis clos,
entre 24 et 48 heures, au terme du débat public.
Les recommandations sont élaborées par un groupe
de travail multidisciplinaire et multiprofessionnel au
terme : 1) d’une analyse et d’une synthèse des données scientifiques disponibles et 2) l’avis d’un groupe
de lecture extérieur, également multidisciplinaire et
multiprofessionnel, qui permettent de définir «l’état de
l’art» à un moment donné sur le thème des recommandations.
Idéalement, cette méthode trouve sa place lorsque le
thème des recommandations se décline en de nombreuses questions et sous-questions préétablies, auxquelles le groupe de travail répond en élaborant des
recommandations détaillées ;
Idéalement, cette méthode trouve sa place lorsque :
– le thème des recommandations peut se décliner en
quatre à six questions préétablies, auxquelles le jury
doit avoir matériellement le temps de répondre dans
le délai limité dont il dispose.
– le thème à traiter donne lieu à une controverse exigeant un débat public de la part des professionnels
et une prise de position claire à un moment donné,
définie par le jury.
– l’élaboration des recommandations consiste avant
tout à faire une synthèse de données multiples et
dispersées et non de résoudre une controverse exigeant un débat public de la part des professionnels.
Ces définitions sont empruntées à :
ANDEM. Glossaire des termes techniques couramment utilisés par l’ANDEM. Paris, ANDEM, mai 1997.
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Recherche en soins infirmiers N° 69 - juin 2002
R ENCONTRE
Dominique BOURGEON.
Manipulateur en électroradiologie,
Formateur.
DE QUELQUES DÉTERMINANTS PARAMÉDICAUX À...
L’ESQUISSE D’UNE FIGURE SOIGNANTE...
RÉSUMÉ
Cet article se propose d’étudier le sens de la vocation à l’aide d’un modèle théorique issu de l’anthropologie.
L’auteur postule que le don de guérir et le sens profond du désir de «prendre soin» prennent leur source dans les
biographies des soignants. La vocation répondrait en fait à un désir de donner, de donner à l’autre afin de recevoir
à notre tour. Ce geste compensatoire nous éclairerait sur notre propre personnalité malmenée par un destin «hors
normes». Né du malheur, le don de soi serait en fait un don d’échange et s’inscrirait dans cette réciprocité généralisée mise en exergue par Marcel Mauss au sein des sociétés traditionnelles. La réflexion porte sur les professions
paramédicales d’infirmier(ère) et de manipulateur(trice) en électroradiologie.
Mots clés : don maussien, don de soi, vocation, sacrifice, soin relationnel.
Formateur en Institut de Formation des Cadres de santé
et terminant une thèse de sociologie, je n’imaginais pas
que mes travaux de recherche allaient rejoindre mon
quotidien au détour d’une réflexion sur le projet professionnel. Depuis trois ans, je tentais de comprendre à la
fois le «don de guérison» des guérisseurs et «le prendre
soin » défendu par certains auteurs infirmiers.
J’établissais un rapprochement entre ces deux dimensions par le biais de la vocation. Ce terme est toujours
omniprésent dans le discours infirmier et apparaît parfois (j’insiste sur le parfois) sous le vocable du don de
soi. Le don du guérisseur est souvent hérité, transmis de
père en fils et le rapprochement avec les professions
paramédicales me faisait envisager la vocation comme
un don hérité, un héritage, une donation particulière.
Par ailleurs, devant animer un groupe de suivi pédagogique sur la base du projet professionnel de chaque étudiant(e), j’étais, je l’avoue, dans l’expectative. Cette
démarche me semblait artificielle dans le sens où il me
paraissait difficile de travailler sur un devenir sans avoir
réfléchi sur les choix professionnels antérieurs. Pourquoi
avons-nous choisi de devenir infirmier ou manipulateur
en électroradiologie? Pourquoi souhaitons nous devenir
Cadre de santé?. Les réponses à ces interrogations me
paraissent primordiales tant en terme d’identité professionnelle que du point de vue d’une posture épistémologique. Pourquoi ce dernier point ? Pourquoi cette exigence épistémologique? Parce que nous souhaitons par
ailleurs développer la recherche en soins et ce désir
exige, dans le même mouvement, de nous connaître.
L’identification de certains déterminants infirmiers offrirait une certaine valeur heuristique dans le sens où elle
permettrait d’éclairer la relation soignant-soigné ou, plus
particulièrement, la relation d’aide. Enfin, un futur Cadre
doit se libérer de problèmes identitaires car le management, la gestion des hommes isolent l’individu. Il n’y a
pas de rupture temporelle; le passé ou plutôt les choix
passés conditionnent l’avenir, déterminent notre futur
professionnel qui naît à la fois de notre volonté et des
opportunités du système. J’ai donc proposé au groupe
de suivi de profiter des stages en IFSI pour réaliser une
grande enquête auprès des étudiant(e)s infirmier(ère)s et
des futur(e)s manipulateur(trice)s. L’enquête idéale aurait
du reposer sur des histoires de vie car il paraît utopique
de résumer les choix d’une profession à partir d’un
nombre
restreint
de
critères
prédéfinis.
5
Recherche en soins infirmiers N° 69 - juin 2002
Nous allons donc tenter d’éclairer ces déterminants
paramédicaux à la lueur du don anthropologique et la
première démarche consistera à expliciter ce concept.
Nous plongerons ensuite dans l’historique de l’infirmière laïque où nous allons dégager une figure soignante ; celle de la veuve et de l’orphelin. A travers ce
symbole, nous tenterons de montrer que la vocation, le
désir de prendre soin naît d’une rupture ou d’une succession de ruptures biographiques, que le désir de
donner, de se donner naît du malheur. Les difficultés
de la vie semble relancer l’individu dans un nouveau
cycle vital où le matériel importe peu : donner la vie
devient l’essentiel...
Malheureusement, nous n’avions pas les moyens de nos
ambitions et nous avons privilégié le questionnaire uniquement par pragmatisme.
L’enquête a été réalisée sur six IFSI (dont quatre d’Ile
de France et deux de province) et quatre Institut de
Formation de Manipulateurs en Electroradiologie d’Ile
de France. Les critères choisis émanaient de mon travail théorique sur le don de guérison et le « prendre
soin ». Ils visent à étudier les ruptures biographiques,
les événements marquants où le destin bascule. Nos
interrogations portent bien entendu sur des événements
antérieurs à l’entrée en Institut. Nous avons réuni 434
questionnaires émanant des IFSI et 171 provenant des
IFMEM. L’étude des étudiant(e)s manipulateur(trices) a
le mérite d’élargir la réflexion et de tenter de mesurer
l’impact de la technologie. Nous souhaitions interroger
des étudiant(e)s car leurs représentations sont encore
essentiellement profanes, non ou peu imprégnées de
considérations d’ordre stratégique. Une question finale
les interrogeait sur leur projet professionnel. Bien
entendu celui-ci peut évoluer au fil du temps mais le
choix fondateur de l’entrée en école paramédicale
reste intéressant et certainement porteur de sens. Enfin,
nous aurions pu « cibler » les premières années. Nous
avons privilégié le nombre d’autant qu’une enquête de
1992 ne montrait pas d’évolution notable des motivations professionnelles au cours des trois années
d’étude.
Nous montrerons ensuite, à travers la figure oedipienne
qu’un destin hors-norme, a-normal, peut revêtir les
traits de la malédiction et que le soignant, devenu symbole du mal à travers son parcours de malheurs, peut
devenir sorcier ou plutôt être pensé comme sorcier et
devenir bouc émissaire. Au delà de l’histoire oedipienne, nous exhumerons une figure soignante
oubliée, une figure anthropologique qui semble réunir,
à elle seule, l’ambivalence de ce don issu du malheur.
Ne plus accepter son destin (et ses aléas) semble pousser le soignant à devenir maître de sa destinée ou, du
moins, maître du destin des autres. Il détient alors un
pouvoir de vie et de mort et ce pouvoir le rend suspect
aux yeux de l’autre : qui peut le bien peut le mal...
Autrement dit, ce pouvoir fatal contient en son sein son
propre excès et ses propres défauts. La démesure peut
s’avérer thérapeutique et pathogène à la fois et cette
ambivalence semble s’incarner, nous le montrerons,
dans ce que les grecs appelaient « le pouvoir du
double ». Nous conclurons autour d’une image-synthèse, celle du survivant, celle de ce soignant qui
donne pour se connaître, qui donne pour se révéler,
qui donne pour se survivre...
Toutefois, compte tenu de ce choix, cet article a uniquement valeur de réflexion. Il ne suggère aucune
véracité mais fournit ou semble fournir des pistes de
recherche, des perspectives de questionnement. Il tente
d’identifier quelques déterminants dictant le choix de
nos professions et d’isoler un modèle particulier, une
figure de soignant singulière. Nous vous le livrons à
l’état brut. Sa réalisation n’a été possible que par la
volonté des étudiant(e) s (IFSI & IFCS)) et de nos collègues des IFSI et des IFMEM que nous tenons à remercier. Nous souhaitons leur dédier ces quelques pages
car il n’est jamais facile de s’interroger sur soi-même.
Autoriser une telle enquête au sein de son établissement témoigne d’un intérêt réel pour la profession.
Enfin, si l’apport théorique relève de mes travaux de
recherche, cet article est le fruit de l’ensemble du
groupe de travail, à savoir :
I. LE SENS DU DON
Marcel Mauss a mis le don en exergue en étudiant
diverses sociétés primitives où les échanges sont organisés autour de la triple obligation de donner, recevoir
et rendre. Recevant un cadeau, nous nous sentons
obligé de l’accepter et de le rendre, voire sous une
autre forme, au donateur. Le « sous autre forme » est
important car cela permet de distinguer le don d’un
esprit comptable, purement mercantile du « donnantdonnant ». En s’acquittant d’une dette immédiatement,
nous nous dégageons de tout lien avec l’autre et cela
C. ARNAUD, C. BRAAS, D. CELESTE, B. CORDIER, J.
DELPORT, V. DURAND, T. GRANGE, A. JABIOL, I.
MABIT, C. MARCOUX, P. PINELLI & MP. SPENGLER.
Et plus particulièrement de Catherine MARCOUX et de
Corinne ARNAUD qui ont esquissé quelques portraits
de soignants.
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Recherche en soins infirmiers N° 69 - juin 2002
DE QUELQUES DÉTERMINANTS PARAMÉDICAUX
À... L’ESQUISSE D’UNE FIGURE SOIGNANTE...
ciplinarité s’impose. Il en est ainsi de la douleur, de
l’approche de la mort, du don d’organe... C’est l’ensemble de l’individu qui meurt avec son histoire, ses
croyances... La mort ne se contente pas d’un organe.
Cette confrontation de l’être partiel et de l’homme total
constitue bien le point d’achoppement de la médecine
actuelle et le don anthropologique semble nous offrir
une perspective intéressante, un champ d’étude efficace sur les « noman’s land » de la pensée médicale...
Pourquoi ? Parce qu’il restaure l’individu dans sa totalité et qu’il doit sans doute permettre de mettre en
relief le rôle charnière du paramédical...
relève plus du système marchand que du don. Dans ce
dernier, le contre don n’a pas forcément la même
valeur que l’objet ou le service reçu. Le don n’est pas
égalitaire dans son esprit et n’engage pas forcément un
retour immédiat. Prenons l’exemple classique pour
concrétiser ces propos, un exemple que nous connaissons tous dans nos sociétés modernes : invités à dîner
par des amis, nous apportons en retour, des fleurs, un
dessert ou du vin. Notre contre don n’est en aucun cas
l’équivalent de l’invitation mais il noue le lien social
car nous pourrons rendre à notre tour l’invitation, rentrant ainsi dans une spirale du don, du donner, recevoir et rendre... Par ces obligations successives, le don
constitue le lien social et construit chaque individu
dans le collectif : il est en fait identitaire. En donnant
quelque chose à quelqu’un, nous donnons une part de
nous même car nous nous sommes reconnus dans ce
quelqu’un. L’objet donné porte le don de soi, un don
de soi mutuel et l’échange devient alors un phénomène de double reconnaissance.
De la justification conceptuelle...
Le paramédical se situe exactement à la charnière de
l’acte technique et du « prendre soin relationnel ».
Manipulateur en électroradiologie de par ma formation, mon esprit revient à ces nombreuses journées où
je devais réaliser, les unes après les autres, ces images
radiologiques qui portaient en elles le destin du
patient. Imaginez vous au seuil du poste de radiologie... Vous regardez vers le négatoscope et vous voyez
un cliché, un résumé objectivé mais partiel du patient.
Retournez vous pour apercevoir l’intérieur de la salle
d’examen : au delà de la technologie, vous recevez
l’image d’un être humain, singulier par sa biologie et
son histoire. Vous le percevez le plus souvent fragile,
dénudé, portant toutes ses angoisses, toutes les peurs
liées à son avenir. Voilà la singularité du paramédical :
ce double regard qui doit être à la fois profane et professionnel :
• Profane car le contact humain exige une relation de
personne à personne. Pour réaliser l’acte technique,
nous avons besoin de la confiance du patient. Seule
sa collaboration, le don momentané de sa personne
permet l’obtention de l’image. L’acte relationnel
fonde l’acte technique. Nous devons susciter le
don...
• Regard professionnel car nos actes deviennent des
procédures, des gestes techniques purement dégagés
de la gangue « humaine ». Le cliché radiologique
comme l’acte technique infirmier sont abstraits du
contexte et deviennent objet d’étude.
Le don domine, dans nos sociétés modernes, au sein
de la famille, du tissu associatif, des communautés restreintes voire dans nombre de situations dès lors que
nous nous reconnaissons chez l’autre et que nous
sommes reconnus par l’autre... Le don personnalise
l’échange et construit le lien social. Etrange
dimension : il reconnaît l’un (l’individu) dans l’interaction et constitue le tout, le collectif... Le don met l’accent sur la personne et non sur l’objet d’échange, il
établit une relation interpersonnelle, où les qualités des
individus priment. Le don personnalise et individualise. A. Caillé qualifie le don de socialité primaire où
« la personnalité des personnes importe plus que les
fonctions qu’elles accomplissent (ce qui n’empêche
pas ces fonctions d’exister et d’importer) et le distingue
de la socialité secondaire » soumise à la loi de l’impersonnalité (comme sur le marché, dans le droit ou dans
la science)... » [1er semestre 1998, p.78]. Nous donnons parce que l’autre nous intéresse ; nous achetons
et nous vendons lorsque notre rapport à l’objet fluctue.
Nous pouvons ainsi distinguer deux types d’échanges
au sein de notre société : l’un relevant du don et renvoyant à la globalité de la personne, l’autre s’intéressant à l’objet échangé et non à la qualité des individus.
Bien entendu, il s’agit d’esquisser un idéal-type afin de
bien cerner les dimensions du don. La réalité est plus
nuancée. Le meilleur vendeur est peut-être celui qui
relie l’objet de l’échange à la personnalité de l’individu... Quant à la science, elle se fonde sur un objet
d’étude : la médecine a choisi la maladie et non le
patient. Ce postulat a généré cet essor impressionnant
de la connaissance médicale depuis le XIXo Siècle.
Toutefois, dès que la globalité de la personne est en
cause, le paradigme médical s’essouffle et une pluridis-
Le paramédical est un trait d’union, un médiateur entre
l’homme partiel, objet de la science, et l’homme total,
sujet de sa maladie et de ses souffrances. Nous pouvons l’assimiler à un entre deux, un pont réunissant
l’objet et le sujet. Plus l’aspect technique de la profession est prononcé, plus le professionnel insiste sur l’im-
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Recherche en soins infirmiers N° 69 - juin 2002
maison familiale. C’est pourquoi, elle vécut très difficilement son séjour à l’hôpital. Cette femme était perdue,
déboussolée dans ce milieu inconnu, et froid. Le personnel soignant tentait de lui expliquer la nécessité de
cette étape dans ce lieu, mais elle leur rétorquait que
depuis toujours elle s’était soignée seule. Elle ne comprenait pas les contraintes liées à son hospitalisation, et
ne désirait qu’une seule chose : retrouver sa maison.
portance des deux rives du fleuve-frontière, plus il
marque son intérêt aux « deux côtés » :
• « Il fallait un côté technique mais aussi un bon côté
relation humaine». F, 21 ans étudiante manipulatrice.
Parents étrangers. Grands-parents maternels divorcés.
• « J’ai choisi ce métier pour le côté soignant, être
proche des gens et l’aspect technique de la profession ». F, 23 ans étudiante manipulatrice. Grand-mère
paternelle étrangère. Parents de culte différent.
Comme chaque fin d’après midi, je frappais à la porte
de sa chambre, mais ce jour là était différent. Elle était
allongée, les poignets maintenus aux barreaux de son
lit. Elle pleurait, personne ici dans cet hôpital ne voulait l’entendre et ne comprenait ces propos. Elle désirait
seulement une chose : retrouver sa maison, son jardin,
ses lapins... Je me sentais impuissante entre les dires de
ma grand mère qui me touchaient profondément et les
mesures prises par le personnel soignant. Celui-ci
n’avait peut-être pas pris ou pas pu prendre le temps
de l’écouter ; et par solution de facilité avait choisi les
grands moyens. J’étais révoltée, réellement en colère
par cette pratique, une autre solution me semblait
pourtant envisageable. Pour moi, avec seulement un
peu de temps, une envie réelle de rentrer en contact
avec cette femme et d’écouter ses dires, aurait certainement solutionner son envie de fuir. C’est le sujet ici qui
devait être pris en considération.
Les notions d’aide et de reconnaissance sont toujours
présentes et associées aux « deux côtés » :
• « J’aime le côté technique et le côté soignant, c’est
pour cela que j’ai choisi cette voie. J’aime le milieu
hospitalier... la valorisation de soi-même en aidant
les autres ». M, 21 ans étudiant manipulateur. Parents
divorcés. Mère atteinte d’une maladie grave compromettant son avenir. Grand-père paternel étranger, né
dans une ancienne colonie française.
• « J’aime le côté soignant de ma future profession ». F,
26 ans étudiante manipulatrice. Parents de culte différent nés dans une ancienne colonie française.
Le mot « lien » revient de façon récurrente comme en
témoignent les exemples suivants :
Ma grand mère était restée deux semaines à l’hôpital.
Cette aventure a marqué un repère dans mon chemin
de vie et m’a probablement orienté dans le choix de
mon métier paramédical, où je tente jour après jour,
d’écouter ce que les gens ont à dire.»
• « Lien avec les gens, beaucoup de côté humain dans
le métier : aide avec les autres ». F, 22 ans étudiante
manipulatrice.
• « Le côté relationnel m’a intéressé, de plus il est lié
au soulagement de la maladie que ce soit par la
parole ou par des actes. Enfin, il s’agit d’un travail
d’équipe ». F, 21 ans étudiante manipulatrice.
C.M.
Notons l’importance du souvenir, de l’écoute, de la
parole entre les générations...
Le milieu hospitalier est parfois évoqué comme un
monde froid, inhumain où transpire le patient objet et
la nécessité de le réhabiliter en tant que sujet comme
l’exprime cet élément de biographie :
Face au médecin, le patient se présente et se pense
dans sa totalité. Statistiquement parlant, il n’intègre pas
la rupture entre le corps et l’esprit, entre le matériel et
l’immatériel, entre l’organique et le spirituel. La maladie peut alors être interprétée comme une faute, un
écart à la norme qui nécessite le jugement d’un soignant. Voyant son destin basculer, le malade cherche la
fortune auprès du médical et souffre parfois de voir son
corps morcelé par la démarche du praticien. Précisons
toutefois que nous ne faisons pas le procès de la médecine actuelle, elle génère des « miracles », suscite des
prodiges. Victime d’un accident de la circulation, nous
préférons être secourus par le SAMU et non par un guérisseur. Simplement, la médecine ne peut occuper seule
l’ensemble du champ thérapeutique et il devra toujours
exister des soignants susceptibles de répondre aux deux
«Tout à certainement débuté, cet après midi là où j’ai
rendu visite à ma grand mère hospitalisée pour un problème de calcul rénaux. J’étais lycéenne, interne en
terminale scientifique dans la ville où se trouvait le seul
centre hospitalier de la région. Toute ma famille proche
résidait à plusieurs kilomètres de cet établissement.
J’avais alors le privilège de rencontrer ma grand mère
journellement et de transmettre « les dernières nouvelles » à ses enfants. Pour ma grand mère, c’était une
première, jamais de toute sa vie de femme, elle n’avait
été hospitalisée. Ces huit enfants étaient nés dans la
8
Recherche en soins infirmiers N° 69 - juin 2002
DE QUELQUES DÉTERMINANTS PARAMÉDICAUX
À... L’ESQUISSE D’UNE FIGURE SOIGNANTE...
toujours sa vocation de sa misère, de son ignorance ou
de sa gourmandise ». Pour soigner, il faut, selon cet
auteur, avoir souffert ou être particulièrement cupide.
dimensions traditionnelles du soin : « prendre soin de»
et soigner, «to care et to cure»...
Ayant éprouvé le caractère opératoire du don dans
cette spécificité qu’est la relation soignante, plongeons
successivement dans l’historique infirmier et dans la
biographie des soignants actuels afin d’isoler un trait
marquant, un ensemble de déterminants signifiants.
Cette étude, dans sa dimension diachronique, se cantonnera au domaine laïque car nous ne désirons pas
nous perdre dans l’immensité du fait religieux. Notre
intérêt concerne strictement la « figure infirmière » et il
paraît judicieux de l’isoler de la sphère religieuse
même si l’histoire et la notion de vocation les réunissent souvent. Enfin, le don maussien nous servira de
guide, de « boîte à outils » conceptuelle et notre
démarche s’appuiera volontiers sur des modèles
anthropologiques. Pourquoi ? Simplement parce que le
don imprègne les sociétés traditionnelles alors qu’il est
masqué, au sein de notre modernité, par les dimensions marchande et utilitariste. Il convient de traquer le
« signifiant » au cœur de la socialité primaire mais nos
figures anthropologiques ne doivent pas altérer la réalité actuelle ; elles doivent la prolonger, l’éclairer...
Parfois, l’infirmier est choisi parmi les patients et ce fait
renforce le modèle émergeant : le mal soigne le mal et
malades et soignants partagent le même destin. Dans le
règlement pour le service intérieur de l’Hospice général
de Tours [1854], nous trouvons cette phrase explicite :
«les infirmiers et infirmières sont choisis par le directeur
et pris, autant que possible, parmi les individus valides et
capables de l’Hospice» [p. 93]. Il semblerait qu’un destin
difficile permettrait d’agir sur le destin des autres...
Toutefois, de cette excursion historique, deux figures
majeures semblent apparaître parmi ces déshérités : la
vieille femme et l’orphelin. La première apparaît déjà
dans les écrits de Saint Jérôme datant du IVo siècle.
Rome, déjà, possède ses soignantes dissociées des
médecins ou mages de toutes sortes : « Es-tu malade ?...
Si tu n’as pas à ta portée des personnes de parenté
aussi proche et d’une telle chasteté [que ta mère, ta
sœur ou ta femme], l’Eglise nourrit beaucoup de
vieilles femmes qui pourraient rendre ces bons offices
et recevoir un salaire pour le service rendu ; ainsi
même ta maladie aurait pour résultat une aumône ».
Mais, en réalité, l’image de la vieille femme en masque
une autre beaucoup plus précise ; celle de la veuve :
II. DE L’INFIRMIER(ÈRE)...OU LE MALHEUR
COMME SOURCE DU DON
• « Dans les premiers temps de l’Eglise, des femmes
veuves ou célibataires appelées Diaconesses, nom
tiré du grec signifiant : procurer ou servir, avaient
pour fonction d’apporter leur aide. » [E. Desjardins,
S. Giroux, E. C Flanagan, 1970, p. 18]
• « Paula [patricienne romaine], demeurée veuve à 33
ans et nantie d’une grande fortune, fonda le premier
hôpital chrétien de Jérusalem » [p. 19].
• « Vincent de Paul confia à Louise Legras, une veuve,
mieux connue sous le nom de Louise de Marillac, la
tâche de former les filles de la Charité à leur rôle
d’infirmières » [p. 23]
La « bonne fée » au destin difficile
La laïcisation des hôpitaux de Paris en 1877 provoqua
un manque crucial de personnel et le recrutement se
fit parmi des « filles de la campagne, des enfants assistés, de vieilles femmes non rétribuées venant là en
attendant leur entrée à l’hospice... Les hôpitaux
embauchent » des jeunes filles sans famille, que l’inintelligence ou une tare congénitale (claudication, gibbosité, surdité) ont empêchées d’apprendre un métier
« [G. Charles, 1979, p. 74 & 75]. De ces citations, nous
pouvons retenir, a priori, que le mal appelle le mal. La
tare, l’empreinte ou la marque du mal portent les pas
de ces indigentes auprès du lit des patients : l’infirmier
naît infirme, infirme physique et/ou social. La solitude
voire l’abandon semblent être le trait commun de ces
soignants : enfants assistés, filles sans familles, vieilles
femmes vouées à l’hospice... Ces particularités font
dire à Curmer1 [1841] que le personnel infirmier « tient
Au XVIo siècle, l’Ordre des hospitalières de Lyon recrute
parmi des filles repenties, des orphelines et des veuves.
Au XVIIo siècle, la duchesse d’Aiguillon, veuve à 22 ans,
fonde l’Hôtel-Dieu de Québec et Jeanne Mance (née en
1606), première infirmière laïque de cette province française d’outre-atlantique fonde sa vocation sur un destin
dramatique : «à l’âge de quinze ans, la mort de sa mère
l’obligea à prendre charge de la maison familiale. Huit
ans plus tard, elle perdit son père...» [p. 34]. Quant à
l’hôpital de Montréal, il fut pris en charge, en 1747, par
1. « les Français peints par eux mêmes » cité par G. Charles.
9
Recherche en soins infirmiers N° 69 - juin 2002
Madame d’Youville après une vie ponctuée de malheurs. A 21 ans, elle épouse un homme qui dilapidera
sa fortune et l’obligera à vivre avec une belle-mère
insupportable. Veuve à 31 ans et couverte de dettes, elle
se consacre aux malades et aux indigents.
Ces quelques exemples renforcent notre modèle émergeant en révélant ces destins tragiques. Toutefois, masquée par l’image de la vieille femme, nous n’avions pas
spontanément noté la récurrence de la veuve et de l’orphelin; deux réalités témoignant, il est vrai, d’une certaine infortune. L’image de la vieille femme masque le
veuvage pour la simple raison que, tout au long des
siècles, la femme meurt soit très jeune, soit à un âge
supérieur à son mari. La mortalité précoce est liée aux
accidents survenant lors des grossesses et accouchements. Cette surmortalité rend le pourcentage de jeunes
veuves extrêmement faible et, de surcroît, toute veuve
encore en âge de procréer est vite remariée car un
homme seul ne peut subvenir aux besoins de la famille.
Le veuvage, source de vocation, concerne donc, d’une
façon générale, des femmes relativement âgées, compte
tenu de la durée moyenne de vie de l’époque. De ces
dernières lignes, nous pouvons donc noter deux figures
récurrentes, celles de la veuve et de l’orphelin, marquées par un destin difficile voire tragique.
Vers une figure ambivalente...
Nous avons pu, toutefois, noter des remarques très dures
concernant ces premières infirmières laïques. Elles sont
suspectées de cupidité, nous l’avons vu, par un auteur du
XIXo Siècle. A Montréal, la fondatrice de l’hôpital et ses
compagnes deviennent, pour certains, faiseuses de
maux : «on répandit dans le public les calomnies les plus
injurieuses jusqu’à assurer qu’au mépris des lois ecclésiastiques et des ordonnances du roi, elles vendaient des
liqueurs fortes aux sauvages et leur fournissaient ainsi le
moyen de s’enivrer et même ce qui était le comble de la
plus grotesque extravagance, qu’elles usaient de ces
sortes de liqueurs pour s’enivrer elles-mêmes... » [A.
Ferland-Angers2, 1945]. Comme si le pouvoir de guérison permettait également d’offrir la mort : «l’art de tuer et
l’art de guérir sont toujours dans la même main »
[Malinowski, 1922, p. 132]. Le modèle historique de l’infirmière ou, plus largement, de la femme soignante nous
renvoie une figure essentiellement ambivalente, oscillant
entre les portraits de la bonne fée et de la sorcière.
La prédominance des veuves chez les thérapeutes se
retrouvent chez les sorcières comme le note J. Pitt-Rivers
[1977, p. 134] : «si les veuves étaient si souvent accusées
de sorcellerie, c’est que l’on substituait une logique en
quelque sorte mécanique (sorcières parce que veuves) à
une logique statistique fondée sur un fait d’observation, à
savoir que les femmes qui n’avaient plus d’homme pour
les assister tendaient à tomber dans l’indigence». Au
risque d’une comparaison risquée, il est intéressant, à cet
endroit, de citer B. Malinowski [1922, p. 131]. Cet ethnologue, lors de la première moitié du XXo Siècle, a longuement étudié une société traditionnelle vivant dans le pacifique occidental. A propos du sorcier, il nous livre
l’information suivante : «lorsqu’un homme acquiert la
magie noire, il l’applique à une première victime qui, toujours, doit être quelqu’un de sa propre famille... Elle doit
d’abord s’exercer sur sa mère ou sa sœur, ou sur tout
parent maternel. Pareil matricide fait de lui un authentique
bwaga’u» [sorcier]. Tout dépend du point de vue choisi
pour l’analyse. Renversons la cause et la conséquence : le
pouvoir magique naît-il du matricide ou est-ce la perte des
proches qui offre le don? Dans la première interprétation,
le sorcier est maître de son destin, dans la seconde, il en
est la victime. Dans le premier cas, il détient un pouvoir,
une puissance et nous comprenons l’intérêt d’inverser
l’analyse. La veuve et l’orphelin peuvent donc être considérés comme des faibles ou, consciemment ou non
consciemment, comme des puissants, assassins de leurs
proches et porteurs de mal. Que dire d’une jeune veuve?
La belle femme, la «bella dona», la belladone n’est-elle
pas un poison en substance? ne symbolise-t-elle pas le
charme destructeur et maléfique? Toute chose signifie à la
fois «tout et son contraire», seul le point de vue et/ou le
contexte déterminent le véritable sens.
Cette ambivalence est également perceptible dans le
double sens du mot remède car le remède est à la fois
un poison et le poison, un remède :
• « poison » se disait en ancien français à la fois d’un
remède, d’une boisson salutaire (vers 1165), (sens
repris par son doublet savant « potion ») et d’un
philtre d’amour (avant 1560). La disparition de ce
sens s’explique par la gêne qu’occasionnait la
coexistence de valeurs aussi antithétiques ».
• « potion du latin potio-nem, accusatif de potio, -nis
« action de boire » d’où par métonymie « breuvage,
boisson ». Par spécialisation, le mot a désigné un
breuvage médicinal et un breuvage empoisonné, un
philtre magique ».
• «Pharmacie» du grec pharmakeia : «emploi de médicaments ou de poisons». Le mot vient lui même de phar-
2. Cité par E. Desjardins, S. Giroux, E.C Flanagan. Histoire de la profession infirmière au Québec. Association des infirmières et infirmiers de la
Province de Québec. Montréal.
10
Recherche en soins infirmiers N° 69 - juin 2002
DE QUELQUES DÉTERMINANTS PARAMÉDICAUX
À... L’ESQUISSE D’UNE FIGURE SOIGNANTE...
makeuein («donner ou préparer un remède, administrer
un poison») dérivé de pharmakon «plante médicinale».
Le mot signifie aussi «drogue» (remède ou poison),
«breuvage magique» et plus généralement «sortilège».
Qui est capable du bien peut engendrer le mal ou,
autrement dit, tout pouvoir a ses excès et la capacité de
guérir n’échappe pas à la règle. Selon Mauss [1947], la
veuve se voit souvent accusée du meurtre de son époux;
elle est parfois sacrifiée ou elle se suicide face à la pression sociale (voir p. 175). Pour l’auteur, la femme est le
sujet et non l’objet du deuil. Dans les sociétés dites primitives, toujours selon l’auteur, la mort naturelle n’existe
pas (p. 191) et cette croyance implique, obligatoirement
la recherche d’un coupable. Lequel peut être envisagé,
selon le contexte, hors du clan ou parmi les proches du
défunt. Du don de soi, nous pouvons glisser au sacrifice... La femme soignante peut devenir bouc émissaire
et « se charger » du mal de la société. Car nous avons
affaire à un étrange paradoxe : la société a toujours émis
le vœu de protéger la veuve et l’orphelin et, dans un
même élan, elle les envoie affronter le mal....
Ces remarques établies, quittons le passé et confrontonsle aux biographies actuelles. A t-il une pertinence de nos
jours ou est-ce l’empreinte d’un symbolisme oublié?
De l’infirmière actuelle...
L’ouvrage de M. Wenner [1988] portant sur les générations actuelles de soignantes nous offre le même
registre et confirme notre modèle sur deux points :
1. L’auteur remarque que la profession a historiquement attirée un nombre certain de veuves, de divorcées ou d’orphelines.
2. L’auteur nous offre un récapitulatif de quatre cas
représentatifs d’une trajectoire douloureuse, d’une
succession de malheurs et d’infortunes. La vocation
de guérir semble effectivement émerger d’un destin
difficile, d’une connaissance du mal. Le tableau 1
reprend les données de l’auteur [p. 110 & 111] ; les
événements relatés sont antérieurs au choix professionnel.
Nous ne pouvons que constater le nombre important
de décès et d’événements brutaux. Morts brutales,
divorces, maladies, émigration, morcellent et altèrent
le corps familial et nous offrent un tableau parfaitement
condensé dans ce portrait d’infirmière :
« En tant qu’infirmière en formation cadre de santé, j’ai
eu l’occasion de m’interroger sur mon parcours professionnel et les raisons qui avaient pu me pousser à
m’engager dans la filière soignante. Ayant eu connaissances des concepts soulignant les notions de ruptures
dans son histoire familiale ou de besoins de réparation,
j’ai été frappée par l’accumulation de ses situations
dans mon histoire de vie.
Mon père est né hors mariage dans un milieu rural,
ma grand-mère maternelle était montrée du doigt
comme fille-mère. Il n’a pas connu son père qui est
mort alors qu’il n’avait que quelques semaines (tuberculose). Cette grand-mère qui s’était mariée quelques
années plus tard a ensuite divorcé dans les années
cinquante.
Alex
• immigration des grands-parents.
• mariage « hors norme » entre un père, prisonnier de guerre français, et une mère allemande.
• maladie grave de la mère : paralysée à 30 ans. Alex est quasi-orphelin de mère.
Betty
•
•
•
•
mort accidentelle des grands parents des deux lignées.
Père et mère orphelins.
Mère muette.
Divorce et tentative de suicide
Katy
•
•
•
•
•
Divorce des parents.
Maladie grave de la mère.
Faillite du magasin maternel.
Décès du frère par accident de moto
Décès de la mère
Josée
• Grands-parents : lignée maternelle allemande, agnats français.
• Parents : mariage religieux mixte.
• Divorce de Josée et tentative de suicide.
Tableau 1
11
Recherche en soins infirmiers N° 69 - juin 2002
Ma mère est issue d’une famille nombreuse
(7 enfants) au sein de laquelle, je ne sais pour quelles
raisons des discordes et des jalousies ont été très
fortes.
Notre enquête portant sur 434 questionnaires remplis
par des étudiants infirmiers de première, deuxième et
troisième année confirme la prévalence de la maladie
grave et des destins dramatiques. Nous reproduisons
les résultats concernant la maladie dans le tableau 2.
Mes parents ont divorcé alors que j’avais 10 ans. Cette
séparation a été très conflictuelle. Ma mère était partie
avec un autre homme, certains de mes oncles et tantes
maternelles ont témoigné contre ma mère. C’est mon
père qui a d’abord eu notre garde jusqu’à ce que nous,
les enfants, fuguions plusieurs fois (nous avons eu à
« choisir » entre l’un et l’autre de nos parents).
Trois modèles semblent apparaître au sein des futurs
soignants confrontés à la maladie :
1. Un groupe «Infirmier(ère)s/puéricultrices/étudiant(e)s
généralistes» où la maladie affecte la famille restreinte
selon le schéma suivant :
Mon grand-père maternel est mort d’un cancer alors
que j’avais quatorze ans, ma grand mère paternelle est
aussi morte d’un cancer généralisé quelques années
après ».
• Elle atteint en premier lieu le père : de 18,43 % à
19,14 %...
• Puis la mère : de 14,05 % à 17,02 % (étudiantes infirmières, généralistes)...
• L’étudiante elle-même : 10,51 % à 10,82 %...
• Et enfin, la fratrie.
Portrait réalisé par C. A
La maladie du corps familial
total IDE
total IDE %
Total Hommes IDE
Hommes IDE %
Total Femmes IDE
Femmes IDE %
Etudiant(e)s généralistes
Etudiant(e)s généralistes %
Puéricultrices
Puéricultrices %
Inf. de bloc opé.
maladie étudiant
maladie du père
maladie de la mère
maladie de la fratrie
47
80
61
36
10,82%
18,43%
14,05%
8,29%
6
7
3
2
13,63%
15,90%
6,81%
4,54%
41
73
58
34
10,51%
18,71%
14,87%
8,71%
20
35
32
14
10,63%
18,61%
17,02%
7,44%
15
27
20
11
10,63%
19,14%
14,18%
7,80%
9
9
6
4
17,30%
17,30%
11,53%
7,69%
11,00
16,00
10,00
9,00
10,78%
15,68%
9,80%
8,82%
Manipulateur(trice)s
10
22
22
9
Manipulateur(trice)s
5,85%
12,86%
12,86%
5,26%
Inf. de bloc opé. %
anesthésistes
Anesthésistes %
Par étudiant(e) généraliste, nous entendons l'ensemble des étudiant(e)s n'ayant pas manifesté le désir de se spécialiser. Rappelons que les
vocables «puéricultrices, infirmières de bloc opératoire, anesthésistes» ne mentionnent pas une spécialisation actuelle des étudiants. Ils traduisent un souhait, un vœu, un éventuel projet professionnel. Ces sous-groupes sont significatifs et renvoient à des modèles différentiés. Faute de
données comparatives avec un échantillon «non soignant» cette étude n'a de valeur que dans la comparaison des sous-groupes.
Tableau 2
12
Recherche en soins infirmiers N° 69 - juin 2002
DE QUELQUES DÉTERMINANTS PARAMÉDICAUX
À... L’ESQUISSE D’UNE FIGURE SOIGNANTE...
En termes d’écarts, le père et la mère se distinguent nettement sauf chez les étudiant(e)s à vocation généraliste où
les deux figures parentales tendent à se rejoindre. Les
manipulateur(trice)s ne diffèrent pas des étudiant(e)s infirmier(ère)s généralistes dans la répartition de la maladie au
sein de la famille restreinte. Par contre, l’impact de la
pathologie est moindre au sein de cette population.
La vocation soignante chez la femme infirmière concernerait, en premier chef, les ascendants et notamment
l’image, la figure du père. Nous pourrions, avec néanmoins un certain risque théorique, émettre l’hypothèse
suivante : le don de femme permettrait, à travers les
« choix de vie, choix d’une « corporation ». 30 ans, F.
Père décédé à la suite d’une maladie, parents ayant
vécu aux colonies.
2. Un groupe constitué d’étudiants infirmiers masculins
et d’étudiants(e) à « vocation anesthésiste » où l’altération de la santé paternelle reste prédominante
mais est directement suivie de pathologies concernant l’étudiant lui même... (Tableau 3)
« De multiples hospitalisations pendant mon enfance
ont motivé mon choix de carrière ». 22 ans, F.
maladie étudiant
maladie du père
maladie de la mère
maladie de la fratrie
Hommes IDE %
13,63%
15,90%
6,81%
4,54%
Anesthésistes %
10,78%
15,68%
9,80%
8,82%
Tableau 3
autres, de restaurer l’image de l’ascendant, de perpétuer
le souvenir, de prolonger le corps familial. On donne à
d’autres ce que l’on n’a pu offrir à notre ascendant...
«C’est en connaissant le milieu hospitalier durant mon
enfance que la vocation n’est venue, je pense avoir été
marquée». 23 ans, F. maladie grave à l’avenir incertain.
[Ce métier doit]] «Me permettre de donner aux autres ce
que je n’ai pu faire et donner à mes grands-parents». 22
ans, F. Branche agnatique étrangère. Grands-parents paternels et maternels décédés brutalement et prématurément.
« Ma maladie a beaucoup influencé le choix de ma
profession ». 22 ans, F. Etudiant maladie grave à l’avenir incertain.
Un événement particulier a-t-il motivé votre choix de
carrière ? « oui, la mort de mon père [d’une maladie
grave] »... 34 ans, F. 2 frères (ou sœurs) décédés.
« Les décès et accidents survenus dans la famille ont en
partie motivé mon choix ». 23 ans. F. Mère maladie
grave à avenir incertain. Grands parents maternels
décédés brutalement et prématurément.
Anesthésistes H %
« Je pense, qu’inconsciemment, avoir côtoyé le monde
hospitalier à plusieurs reprises en tant que patient a
influencé le choix de ma carrière ». 25 ans, M.
Si nous étudions les étudiants de sexe masculin à vocation anesthésiste, nous nous apercevons qu’ils souhaitent, en premier lieu, se réanimer (ou s’anesthésier) eux
mêmes... (Tableau 4)
maladie étudiant
maladie du père
maladie de la mère
maladie de la fratrie
8,33%
4.16%
4,16%
0,00%
Tableau 4
Une phrase d’une étudiante, à propos de sa vocation,
est étonnante : elle souhaite rejoindre un corps, s’incorporer ou incorporer ? :
Ils renforcent la tendance «masculine» esquissée par les
étudiants masculins tous projets confondus. En effet,
ceux-ci, à l’inverse de la femme soignante, semblent
moins concernés par la maladie familiale : (Tableau 5)
maladie étudiant
maladie du père
maladie de la mère
maladie de la fratrie
Etudiantes*
10,51%
18,71%
14,87%
8,71%
Etudiants*
13,63%
15,90%
6,81%
4,54%
* Tous projets confondus
Tableau 5
13
Recherche en soins infirmiers N° 69 - juin 2002
3. Enfin, les étudiants(es) à vocation « bloc opératoire »
constituent une troisième catégorie où la maladie
concerne, à proportions identiques, le père et l’étudiant lui même. Différence notoire étayant notre distinguo, le caractère de gravité de la maladie est
beaucoup plus important dans ce dernier groupe. Ce
taux est calculé par le rapport maladie grave avec
avenir compromis/maladie grave sans avenir compromis. Nous intéressant à des étudiants parfois de
première année, nous avons volontairement adopté
un discours « profane » et évité des termes plus professionnels comme, par exemple, le pronostic... Nos
questions distinguaient donc deux éventualités :
l’une ou la maladie grave ne mettait pas en péril
l’avenir du sujet concerné, l’autre évoquant un destin compromis (Tableau 6).
% population
totale3
moyenne
d'âge
sans désir de spécialité
43,31%
30,6
bloc opératoire
11,98%
22,87
Anesthésie
23,5%
22,31
Puériculture
32,48%
21,89
Tableau 7
La souffrance :
Le petit nombre d’étudiants de sexe masculin de cette
catégorie ne peut permettre une analyse de l’impact de
la maladie selon le discriminant « sexe ».
Nous avions noté, lors de nos réflexions sur les guérisseurs, cette notion de souffrance souvent associée à la
révélation ou à l’exercice du don. Lors de notre
enquête auprès des 434 étudiant(e)s infirmier(ère)s,
nous avions posé comme question finale : « avant votre
entrée en IFSI, avez-vous connu une période de grande
souffrance ? ». L’interrogation, par elle même, offre peu
de sens et suscite des réponses éminemment subjectives. D’autre part, nombre d’étudiant(e)s sortent de
l’adolescence, période synonyme, parfois, de remises
en question, de doutes, de conflits. Tout échantillon de
la même classe d’âge engendrerait peut-être les mêmes
réponses. Néanmoins, notre question peut devenir pertinente si les résultats varient de façon significative en
fonction de données objectives ou du désir professionnel de l’étudiant : elle ne prend sens que dans la comparaison. Enfin, la subjectivité nous intéresse : si l’étudiant(e) estime avoir connu une grande souffrance,
nous le prenons comme un fait...
La fratrie semble susciter la vocation si le rapport de
gravité est élevé : 5,8 pour toutes les étudiantes, tous
projets confondus.
La population « souffrance » se caractérise par un taux
supérieur de décès au sein de la famille restreinte
(Tableau 8) :
Etudiants(es) à
vocation bloc
opératoire
étudiants(es) tous
projets confondus
rapport de gravité
rapport de gravité
étudiant
7
1,52
père
8
3,7
mère
5
2,81
fratrie
4
5,8
Tableau 6
L’étude de la moyenne d’âge des étudiant(e)s en fonction du projet professionnel témoigne d’un phénomène
que nous n’avions pas appréhendé spontanément : les
plus jeunes semblent attirés par la spécialisation. Est-ce
l’attrait de la technicité ou de l’enfance pour les étudiant(e)s désireux(ses) de devenir puéricultrices ? Est-ce
lié à une représentation dominante de la maladie ? Les
plus jeunes perçoivent-ils les pathologies comme un
processus brutal, un accident nécessitant réanimation
et intervention chirurgicale ?
Chez les plus âgées, un processus plus lent de l’ordre
de la maladie chronique évoquerait-il un recours à la
médecine ? L’écart important concernant la moyenne
d’âge est certainement porteur de sens (Tableau 7) :
population
générale (434)
population
«souffrance»
(186)
décès du père
8,52%
15,05%
décès de la mère
1,84%
3,22%
décès d'un membre
de la fratrie
2,76%
5,91%
Total
13,13%
24,73%
Tableau 8
Grosso modo, l’impact des décès est double chez les
étudiant(e)s ayant éprouvé une grande souffrance et
l’image du père reste centrale. Nous retrouvons égale-
3. Le total dépasse les 100% car environ 11% des étudiants hésitent entre deux projets professionnels.
14
Recherche en soins infirmiers N° 69 - juin 2002
DE QUELQUES DÉTERMINANTS PARAMÉDICAUX
À... L’ESQUISSE D’UNE FIGURE SOIGNANTE...
ment l’importance de la maladie ; par rapport à la
population générale, les pathologies augmentent d’environ 5 % sur l’ensemble des membres de la famille
restreinte. Aucune autre variation significative n’est à
signaler concernant ce critère.
Conformément à la tendance esquissée par la maladie,
les manipulateur(trice)s ne sont que 27,48 % a mentionner une grande souffrance. En fait, cette population
se démarque du modèle infirmier tout en révélant des
points communs : elle est à la fois différente et semblable. Nous soulignerons l’une de ses particularités
lors d’un chapitre ultérieur...
Les décès
49 étudiant(e)s sont concerné(e)s par un décès au sein
de la famille restreinte soit 11,29 % de la population
totale : plus d’un(e) étudiant(e) sur dix a été directement confronté(e) à la mort... Le sexe ne semble pas
être une variable déterminante en ce qui concerne les
décès. Nous notons simplement une légère hausse de
la population féminine (Tableau 9) :
% population totale
% étudiant(e)s
concerné(e)s
par les décès
Femmes
89,86%
91,8%
Hommes
10,14%
8,2%
décès
nombre
pourcentage
père
37
8,52%
mère
8
1,84%
fratrie
12
2,76%
Tableau 10
La répartition des étudiant(e)s en fonction de leur projet professionnel témoigne d’une légère baisse des spécialités au profit des généralistes et la variation de la
moyenne d’âge des étudiant(e)s concerné(e)s par un
décès nous suggère quelques réflexions (Tableau 11) :
Ces calculs ont été effectués à partir des décès paternels
car ils représentent le plus grand nombre et la figure du
«chef de famille» nous intéresse particulièrement. Près
d’un décès sur deux concerne des étudiant(e)s à vocation généraliste. Le père serait-il décédé d’une maladie
chronique orientant ainsi la vocation vers la médecine?
Notons, par ailleurs, que les décès n’augmentent pas la
moyenne d’âge chez les futur(e)s anesthésistes et infirmier(ère)s de bloc opératoire. Les «orphelins» sont sensiblement plus jeunes : le père aurait-il connu une fin
accidentelle ? Brutale ? Ces données ne peuvent que
favoriser le questionnement et offrir des perspectives de
recherche ultérieures...
Le don comme vocation :
Tableau 9
Si l’on étudie plus particulièrement les décès au sein
de la famille restreinte, la figure du père reste centrale
(Tableau 10) :
Presque un décès sur dix concerne le père et ces 37 personnes ont une moyenne d’âge de 27, 25 ans (au lieu
d’environ 23 ans pour l’ensemble de la population).
Ces évènements antérieurs au choix professionnels, et
notamment des destins particulièrement dramatiques
semblent inciter l’étudiant(e) à choisir le métier d’infirmier(ère) afin de restaurer le corps familial ou de se
survivre. Le malheur accorde le don de guérison ou,
plus précisément, la volonté de « prendre soin ». Cette
réflexion nous conduit directement à la définition de la
vocation suggérée par des auteurs ayant étudié ce personnel paramédical : « Qu’est-ce qu’une vocation ?
% population
totale4
moyenne d'âge
% étudiant(e)s
concerné(e)s par
par les décès
moyenne d'âge étudiant(e)s
concerné(e)s par es décès
sans désir de spécialité
43,31%
30,6
50%
29,57
bloc opératoire
11,98%
22,87
11,53%
22,8
Anesthésie
23,5%
22,31
17,30%
21,66
Puériculture
32,48%
21,89
28,84%
26,89
Tableau 11
4. Le total dépasse les 100% car environ 11% des étudiants hésitent entre deux projets professionnels.
15
Recherche en soins infirmiers N° 69 - juin 2002
Une incitation intérieure à engager notre vie dans une
voie qui semble répondre à nos aspirations profondes
et à nos capacités. Elle marque pour chacun d’entre
nous, la singularité de notre destinée » [J. Saliba, B.
Bon-Saliba, B. Ouvry-Vial, 1993, p. 167]. Nous
sommes prédestinés par la vocation qui nous apparaît
comme un héritage d’événements tragiques, un don
douloureux hérité d’hier et conditionnant notre présent, notre devenir. En témoigne notre propre enquête
agrémentée de propos recueillis lors du concours d’entrée en Institut de formation en soins infirmiers :
« C’est un choix mûrement réfléchi car, dans mon cas,
il s’agit d’une vocation ». 26 ans, F étudiante en IFSI.
Sœur jumelle infirmière. Père accidenté de la route,
avenir compromis, sœur idem.
« En ce qui me concerne, je pense que c’est une vocation. Mes premières études m’ont été imposées (médecine) et je ne regrette pas d’avoir imposé mon choix
finalement malgré une rupture brutale». 22 ans, F étudiante en IFSI, maladie grave à avenir incertain. Mère
étrangère avec maladie grave à avenir incertain. Grandmère maternelle et grand-père paternel étrangers.
« Le métier d’infirmière est une vocation ». 21 ans,
F étudiante en IFSI. grand-parents maternels étrangers.
« Je pense que c’est un métier qui nécessite une certaine vocation ». F, 22 ans étudiante manipulatrice.
Accident grave pour l’ensemble de la famille restreinte.
Seul l’avenir de l’étudiante semble compromis...
« Comme tous les professionnels de santé, on choisit
cette profession par vocation». F, 20 ans étudiante manipulatrice. Agnats français nés dans une ancienne colonie.
Il s’agit d’un choix qui s’impose à l’étudiant(e) et semblant relever d’une marque :
« C’est en connaissant le milieu hospitalier durant mon
enfance que la vocation n’est venue, je pense avoir été
marquée ». 23 ans, F étudiante en IFSI. Maladie grave à
l’avenir incertain.
« Ce n’est pas un choix, c’est un métier qui s’est imposé
à moi dès le collège ». 20 ans, F étudiante en IFSI. A
connu une grande souffrance. Parents et cognats de
culte différent.
Il semble accompagner l’étudiant depuis de nombreuses années :
« J’ai toujours aimé soigner, aller vers les autres ». F,
18 ans, candidate au concours d’entrée en IFSI.
Et être inhérent au don de soi :
« Etre infirmière, les gens apprécient, reconnaissent...
Les infirmières se donnent beaucoup à eux, elles sont
reconnues pour ce qu’elles font. A l’époque, c’était la
religieuse, c’était la vocation. L’infirmière se donne
vraiment aux autres ». F, 20 ans, candidate au concours
d’entrée en IFSI.
Une autre enquête [CEEIEC, 1992] réalisée en 1992
auprès de 1515 étudiants confirme nos propos. Une
question demandait aux étudiants (es) de citer trois personnalités qu’ils (elles) auraient aimé rencontrer ainsi
que trois adjectifs caractérisant le personnage de leur
choix. La célébrité la plus citée est Mère Térésa suivie
par L. Schwarzenberg, Coluche, P. Cabrol et Cousteau.
Les qualités humaines caractérisées par les adjectifs
« dévoué, charitable, bon, généreux, humain, humaniste » sont louées prioritairement : 24,6 % des
réponses. Coluche est-il cité pour ses qualités d’humoriste ou pour son action sociale des « restaus du
cœur » ?
Ce groupe de qualificatifs est suivi de près par un
ensemble d’adjectifs évoquant le génial, l’étonnant, le
merveilleux, l’exceptionnel (23,8 %). Le tableau 12
emprunté à cet enquête, regroupe les raisons essentielles, selon les étudiants (es), du choix de la profession d’infirmière (Tableau 12) :
Le point 7 semble contredire radicalement les résultats
de notre enquête et les travaux de M. Wenner.
L’explication réside peut-être dans la formulation de la
question. Cette enquête la posait ainsi : « quelles sont
les raisons essentielles du choix de la profession infirmière ». Pour notre part, nous n’avons pas lié directement les pathologies familiales et le choix professionnel. Les questions sur la maladie étaient fermées,
passaient en revue l’ensemble de la famille restreinte et
visaient plus à établir une cartographie familiale
qu’une détermination du choix professionnel. Elles
appelaient une réponse témoignant d’un fait objectif et
n’exigeaient pas d’interprétation. Ce n’est qu’à la lueur
de nos remarques précédentes que nous établissons un
lien entre le pourcentage non négligeable de maladies
graves et le choix professionnel. Certes, l’ensemble des
questions suggéraient fortement une recherche de
déterminants mais le caractère « signalétique », multiforme des questions tend à isoler le sens de chaque
interrogation de la totalité, du but recherché. Sans que
pour autant les étudiants (es) soient dupes de cette
quête. Certains d’entre eux nous signifient, d’ailleurs,
leur dénie d’un quelconque déterminant en fin de
questionnaire, lors d’un espace alloué à leurs
remarques :
16
Recherche en soins infirmiers N° 69 - juin 2002
DE QUELQUES DÉTERMINANTS PARAMÉDICAUX
À... L’ESQUISSE D’UNE FIGURE SOIGNANTE...
1ère année
2° année
3° année
total
17
16,8
17,9
17,2
2. Aide/relation
39,6
35,9
31,1
36,1
3. Attrait pour le milieu médical ; curiosité scientifique ;
connaissance du corps
8,1
9,5
14,1
10,2
4. Raisons économiques ; filière courte ; existence de débouchés ;
recherche d'une formation professionnelle
8,5
10,5
11
9,8
5. Choix d'une spécialisation (puéricultrice...)
7,9
6
7,6
7,2
6. Besoin de se sentir utile
10,3
8,6
4
8
1
3,1
1,6
1,9
8. Besoin de combattre ses propres peurs de la maladie, de la
douleur, de la mort
1,1
0,9
0,2
0,7
9. Accès à la formation à la suite d'échec, pour n'avoir pas réussi
dans d'autres branches, pour n'avoir pu faire que ce métier
2,6
3,6
6,8
4,1
10. Absence de réponse
3,9
5,1
5,7
4,8
Total
100
100
100
100
Mots clés ou thème dominant
1. Désir de soigner ; motivation ; vocation «a toujours voulu faire
ce métier»
7. Influence de la famille ; présence de malades parmi les proches
Tableau 12
« [choix] non motivé par un décès : grand-mère
maternelle décédée avant ma naissance ». 23 ans, F.
« Je ne pense pas que mon envie de devenir infirmière
soit liée à des événements tels que accident ou maladie des proches car ces événements se sont produits
avant ma naissance ». 21 ans, F. Mère avec maladie
grave à avenir incertain. Grand-mère maternelle étrangère.
« Je ne pense pas avoir été motivée par l’histoire de ma
famille pour choisir ma profession car je ne vis pas
avec mon père et mon grand-père [paternel] est
décédé 30 ans avant ma naissance ». 21 ans, F. Père
accidenté de la route, avenir compromis.
ainsi près de 60 % des réponses. Nous sommes ainsi
les produits d’une histoire antérieure et si nous détenons une liberté d’agir, tout individu est indubitablement conditionné par son origine sociale et culturelle.
Ces précisions apportées, deux pistes de recherche
s’offrent à nous :
• Explorer les figures de la veuve et de l’orphelin car, à
l’ambivalence de la figure infirmière semble correspondre un étrange double sens étymologique
puisque le latin « orbus » signifie tour à tour :
1. « veuf »
2. « orphelin »
3. « privé de vue, frappé de cécité »
Ces remarques semblent contrarier à priori notre thèse
mais l’argument évoqué se retourne en notre faveur :
les évènements survenus avant la naissance sont de
remarquables déterminants révélant les âmes perdues
de la famille, les dons de mémoire, de vie, de paroles
non transmis... Enfin, pour résumer notre pensée, sur
les 1515 étudiants (es) interrogés (es) en 1992, nombre
d’entre eux avaient peut-être un membre de la famille
malade. Mais le lien entre cette réalité et leur choix
professionnel n’était peut être pas conscient...
Ce vocable a son correspondant grec dans le mot
« orphanos » désignant la personne privée d’un parent
et plus précisément d’un père ou d’une mère. Les deux
termes « veuve et orphelin », renvoyant à un unique
vocable latin ou grec, dissimuleraient-ils une notion
unique et porteuse de sens ?
Ces remarques établies, plusieurs rubriques du tableau
nous intéressent directement : la vocation, la relation,
l’aide, le besoin de se sentir utile... Nous interrogeons
Le mythe oedipien semble parfaitement illustrer le
deuxième point et il a le mérite d’évoquer un processus pathogène. (Edipe ne peut échapper à son sort.
• analyser la notion de destin en pointant particulièrement sa dimension d’irrévocabilité. La vocation naîtrait du destin et il serait difficile d’y échapper.
17
Recherche en soins infirmiers N° 69 - juin 2002
Son histoire nous permettrait-elle d’éclairer cette
vocation du prendre soin ? La tragédie produit, par
ailleurs, un effet de catharsis sur les spectateurs et
cela suscite l’attention en tant que phénomène thérapeutique. Nous commencerons donc par étudier
cette première dimension avant de nous pencher plus
particulièrement sur cette notion d’orphanos regroupant les figures de la veuve et de l’orphelin. Par
contre, nous allons relire l’histoire d’Œdipe sans tenir
compte de l’interprétation freudienne. Nous ne
sommes pas confrontés à des mathématiques, le
mythe offre une pluralité de sens. Tentons de voir, à
travers Œdipe, que le « prendre soin » peut conduire
au sacrifice, que la société peut considérer le soignant, la veuve et l’orphelin comme symboles du
mal et traiter le mal par le mal en les envoyant au
chevet du malade... Tentons de montrer que le soignant issu du malheur n’a véritablement, dans le
mythe, que deux choix : maîtriser son destin ou sombrer dans le malheur, guérir ou se sacrifier... Œdipe
devait sauver Thèbes ou mourir...en se chargeant du
mal de la cité.
III. ŒDIPE OU LE DESTIN MAUDIT
Laïos, roi de Thèbes, a un fils nommé Œdipe, un nom
signifiant « pieds enflés ». Consultant un oracle, le
monarque thébain apprend que son rejeton, à l’âge
adulte, le tuera et épousera sa mère devenant ainsi
parricide et incestueux. Face à cette révélation, Laïos
décide de tuer son fils et charge un berger de l’abandonner en rase campagne où il deviendra la proie des
animaux sauvages. Mais l’homme ne peut assumer
cette mission et confie l’enfant à l’un de ses pairs,
sujet du roi de Corynthe. Lequel se voit privé à ce
jour de descendance. Œdipe est donc adopté par ce
nouveau monarque et connaît une enfance heureuse
auprès de ce père adoptif. Jusqu’au jour où, consultant à son tour l’oracle, il apprend la terrible malédiction. Se croyant contraint par le destin d’assassiner
son père adoptif (il ignore sa véritable origine), Œdipe
part pour le royaume de Thèbes et croise en chemin
son père biologique. Cette rencontre provoque une
dispute : le chemin est étroit et nul ne veut céder le
passage. Œdipe tue Laïos et, arrivant à Thèbes,
obtient la couronne laissée vacante par le crime en
résolvant une énigme posée par la Sphinx. Il épouse
ainsi sa mère biologique et règne sur le royaume de
Thèbes. Peu après, une malédiction s’abat sur la ville
et Œdipe interprète ces malheurs comme la conséquence du meurtre impuni de Laïos. Il convient d’arrêter le coupable afin de palier à la colère des dieux.
Œdipe ne connaît pas l’identité de l’homme qu’il a
assassiné et il va lancer une enquête qui va le révéler
comme patient ne faisant qu’un à travers un destin
commun. « Au terme de l’enquête, le justicier se
découvre identique à l’assassin » [J. P Vernant &
P. Vidal-Jacquet, 1988, p. 29].
Comme le notent ces auteurs pré-cités, l’une des deux
composantes essentielles de la tragédie est la péripétie5, « c’est à dire le renversement de l’action en son
contraire » [p. 28]. Marionnette du destin ou abominable criminel, le jugement envers Œdipe s’inverse
selon le sens du temps. Cette remarque nous renvoie
à Malinowski et à l’exemple du sorcier : le changement de point de vue représente, consciemment ou
non, une pensée circulaire : la perte d’un proche
génère le sorcier et le sorcier suscite la mort de l’un
de ses parents. Sa puissance est à la fois son héritage
et le résultat de ses actes ; la cause devient conséquence et inversement. Le cercle est bouclé, les rôles
tournent comme le montre l’étymologie du mot : de
réa signifiant roue...
Oedipe est-il réellement un parricide, un incestueux ou
bien le devient-il en tant que symbole après avoir commis une faute ou une succession de fautes ? Il est vrai
que l’image est forte : enfant exposé et monstrueux (les
pieds enflés), assassin de son père et amant de sa
mère... Ne servirait-elle une autre démonstration ? La
tragédie mobiliserait-elle une morale sociale ?
Donnerait-elle sens à la pratique antique du bouc
émissaire ? La dimension symbolique est probante ; tout
est métaphore dans cette tragédie : Oedipe se crèvera
les yeux lorsque sa faute sera démontrée ; il s’aveuglera
lorsque (nous n’osons le dire) son aveuglement lui sautera aux yeux...
De sauveur de Thèbes, Œdipe devient l’homme de
tous les maux. La tragédie commence dans un contexte
d’épidémie, de stérilité et de famine. Il faut trouver un
coupable pour laver la souillure de la cité. Mais pourquoi Sophocle nous propose-t-il le roi de Thèbes ?
Quels sont les critères décisifs du choix de ce bouc
émissaire ? Quelle serait la faute commise si l’on admet
que l’inceste et le parricide ne relèvent que de la métaphore ?
5. La seconde est la reconnaissance...
18
Recherche en soins infirmiers N° 69 - juin 2002
DE QUELQUES DÉTERMINANTS PARAMÉDICAUX
À... L’ESQUISSE D’UNE FIGURE SOIGNANTE...
Nous pouvons en suggérer plusieurs :
• La trahison de son amitié avec Créon, son beau-frère
et oncle. Dans sa recherche de l’assassin de Laïos,
Œdipe consulte un vieillard aveugle doué paradoxalement d’un pouvoir de clairvoyance. Or celui-ci
désigne Œdipe lui-même comme le criminel de son
père. Devant l’accusation, Œdipe imagine un complot entre ce vieillard et Créon, son beau-frère. Cette
cabale serait destinée à le compromettre puis à le
destituer :
Œdipe : « Créon, le loyal Créon, l’ami de toujours,
cherche aujourd’hui sournoisement à me jouer, à me
chasser d’ici »...
Créon : « Rejeter un ami loyal, c’est en fait se priver
d’une part de sa propre vie »
• L’accusation portée sur un innocent : Créon...
« il n’est pas équitable de prendre à la légère les
méchants pour les bons, les bons pour les méchants ».
• La non prise en compte du serment de Créon dont
les dieux sont témoins.
Jocaste : « au nom des dieux, Œdipe... respecte sa
parole – les dieux en sont garants – respecte moi aussi
et tous ceux qui sont là ».
Le chœur : « c’est ton parent ; un serment le protège :
ne lui fais pas l’affront de l’accuser sur un simple soupçon » [...] « respecte ici un homme qui jamais ne fut
fou, et qu’aujourd’hui son serment rend sacré »
Œdipe souhaite la mort d’un innocent et Sophocle
nous offre, par le biais du chœur, cette réflexion : « la
démesure enfante le tyran. Lorsque la démesure s’est
gavée follement... et lorsqu’elle est montée au plus
haut sur le faîte, la voilà soudain qui s’abîme dans un
précipice fatal ». La démesure va provoquer la chute du
roi de Thèbes assimilé à un tyran et à un ingrat :
Jocaste, « Œdipe laisse ses chagrins ébranler un peu
trop son cœur. Il ne sait pas juger avec sang-froid du
présent par le passé ».
Oedipe oublie l’amitié d’hier, les dons anciens et le
passé va le rattraper à l’image de cette malédiction lancée sur l’assassin de Laïos : Œdipe, « je crains bien
d’avoir, sans m’en douter, lancé contre moi-même tout
à l’heure d’étranges malédictions ». Le temps et le sort
dessinent une étrange boucle. Les mots dits retournent
à leur propriétaire, deviennent « maux dits » : le mal
appelle le mal.
Mais au fond, toutes ces erreurs successives s’expliquent par l’illégitimité de son pouvoir engendrant la
crainte de la trahison et de la destitution. Il a obtenu sa
couronne de par ses dons (du ciel ?) et non par sa naissance puisqu’il n’a pas connaissance de ses origines et
que nous postulons, de surcroît, que l’enfant exposé et
difforme est un élément constitutif du symbole du mal.
L’illégitimité le rend inquiet, suspicieux (nous pourrions dire aveugle ! comme Oedipe – orphanos6)
comme en témoignent ses propos lorsque Créon lui
rappelle ses droits à la couronne7.
• Créon : « Voyons : tu as bien épousé ma sœur ! Tu
règnes donc sur ce pays avec des droits égaux aux
siens ? Et n’ai-je pas, moi, part égale de votre pouvoir
à tous deux ? ».
• Œdipe : « Et c’est là justement que tu te révèles un
félon ».
• Créon : « Thèbes est à moi autant qu’à toi ».
• Œdipe : « pensais-tu que je ne saurais pas surprendre
ton complot en marche ?... toi qui, sans amis, pars à
la conquête d’un trône que l’on a jamais obtenu que
par le peuple et par l’argent. »
Œdipe ne détient pas son pouvoir de son nom mais
d’un don du peuple exigeant retour et justice :
• « j’ai reçu ce don que je n’aurais jamais dû recevoir
après lui avoir été si utile » [Œdipe à Colonne, 525 &
539 – 41]
En fait, l’ingratitude et l’injustice génèrent le destin du
roi de Thèbes. Il n’a su rendre ce qu’il a reçu. Il est le
fils de la Fortune et, selon la remarque de Malinowski,
l’excès de chance devient funeste suscitant envie,
jalousie, haine et sorcellerie.
• Le Coriphée : « Personne dans sa ville ne pouvait
contempler son destin sans envie ».
• Le Chœur : « Quel est donc l’homme qui obtint plus
de bonheur qu’il en faut pour paraître heureux ? »
• « Il avait visé au plus haut. Il s’était rendu maître
d’une fortune et d’un bonheur complet »
• « il avait lancé sa flèche plus loin qu’un autre ».
• Œdipe : « je me tiens, moi, pour fils de la fortune,
Fortune la généreuse et n’en éprouve point de honte.
6. orpheus, l’aveugle en grec, est un nom dérivé d’orphanos
7. Créon a abandonné sa légitimité, préférant la vie aisée aux difficultés du pouvoir.
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Recherche en soins infirmiers N° 69 - juin 2002
C’est Fortune qui fut ma mère, et les années qui ont
accompagné ma vie m’ont fait tour à tour petit et
grand ».
Ayant accumulé les présents du destin, Œdipe, devenu
roi et symbole de justice, devait éviter la démesure par
de nombreux contre dons. L’illégitimité doit se nourrir
de reconnaissance sinon elle prend l’aspect d’une puissance maléfique, le pouvoir n’étant pas lié au sang
ancestral. La tragédie de Sophocle est un plaidoyer
contre la tyrannie et elle revendique un juste partage.
L’histoire de Polycrate, tyran de la seconde moitié du
VIo Siècle est de la même teneur : son bonheur attise la
jalousie des dieux et, pour éviter la vengeance divine,
il doit se dépouiller de son objet le plus cher.
Malheureusement pour lui, l’offrande est rejetée et
Polycrate est condamné à expier « une prospérité trop
continue » [L. Gernet, 1968, p. 142]. L’excès de
chance, de dons devient pathogène et la compensation
est jugée insuffisante par les dieux...
Œdipe a reçu un double don, un double héritage :
celui de son adoption et celui de la dynastie de
Thèbes. Condamné à mort en tant qu’enfant difforme,
il doit son nouveau destin, sa survie à la rencontre
imprévue (mais voulue des dieux) avec un berger.
Celui-ci le confie à Polybe, roi de Corynthe, qui le
reçoit comme un don, étant privé d’enfant à ce jour.
Souverain de Thèbes, il devait recevoir la couronne de
Corynthe à la mort de son père adoptif :
• Tirésias : « comme un double fouet, la malédiction
d’un père et d’une mère, qui approche terrible, va te
chasser d’ici ».
• Jocaste : (à propos de la nouvelle de la mort de
Polybe) « comment a-t-elle ce double pouvoir ? » (de
ravir et d’affliger Œdipe, de faire le bien et le mal,
comme le pharmakon !)
• Le Coryphée : « nul assurément ne sera surpris qu’au
milieu de telles épreuves tu aies double deuil, double
douleur à porter ».
Les deux destins se sont croisés, le double héritage a
induit la double vue permettant de résoudre l’énigme
de la Sphinx8 mais a infligé, par l’absence de contre
don, un double deuil, un double malheur, une double
douleur. En tant qu’orphanos, Oedipe a donc obtenu
un double destin puisqu’il devait mourir en tant qu’enfant exposé. Il est, en fait, un survivant qui a obtenu un
deuxième don de vie de la part des dieux ; lesquels ont
orchestré sa rencontre avec le berger. Mais ayant trop
reçu, il devait rendre au prix de la malédiction...
Œdipe n’a su se souvenir de sa chance : « il refuse le
secours du passé pour atténuer le présent » (Jocaste).
Déjouer l’obligation de rendre (un don) transforme la
fortune en infortune, le bonheur en malheur, le normal
en pathologique...
IV. L’ORPHANOS OU L’INCARNATION
DU NORMAL ET DU PATHOLOGIQUE
Le Corinthien : « Les gens du pays, disait-on là-bas, institueraient Œdipe roi de l’Isthme [Corynthe] ».
L’adoption est une pratique courante dans les sociétés
grecques et romaines et l’élu obtient les mêmes droits
qu’un enfant naturel (voir Histoire de la famille, 1986).
Nous percevons ainsi la faute majeure d’Œdipe : en
acceptant la couronne de Thèbes, il devait nécessairement abandonner ses droits sur la royauté corynthienne.
Tout est double chez Œdipe :
Au delà d’Œdipe, nous allons maintenant montrer
qu’une figure anthropologique incarne à la fois le bien
et le mal, le normal et l’anormal, l’excès de mal et le
défaut de bien. Si nous extrapolons l’image de la
veuve et de l’orphelin, nous pouvons montrer que
l’anormal guérit, qu’il est logique que le chaman soit
malade avant de pouvoir guérir, que le psychanalyste
soit psychanalysé avant de pouvoir traiter, que l’infirmière soit malheureuse avant de pouvoir soigner...
• Il est un double orphanos (orphelin de Polybe et de
Laïos).
• Œdipe : « j’ai dépêché au devin deux messagers...
Je m’approchais du croisement des deux chemins...
Ô dieux ! n’entends-je pas ici mes deux filles qui
pleurent ? ».
Nous l’avons vu, le terme orphanos exprime aussi bien
la notion d’orphelin que celle de veuve. Laquelle est
omniprésente à la fois chez les sorcières, chez les infirmières et dans la tragédie oedipienne. Le double destin
de l’orphanos offre peut-être un axe de recherche intéressant... Pourrait-il éclairer la figure symbolique du
8. Œdipe obtient la couronne de Thèbes en résolvant une énigme.
20
Recherche en soins infirmiers N° 69 - juin 2002
DE QUELQUES DÉTERMINANTS PARAMÉDICAUX
À... L’ESQUISSE D’UNE FIGURE SOIGNANTE...
soignant ? Rappelons le triple sens du latin « orbus » et
appliquons le au roi de Thèbes, Oedipe :
• « veuf » (Jocaste est morte).
• « orphelin » (Polybe et Laïos sont décédés)
• « privé de vue, frappé de cécité » (Œdipe se crève les
deux yeux)
Cette récurrence doit faire sens et les travaux d’E.
Benvéniste [1969, tome I, p. 83] devraient nous éclairer. Ils établissent un lien entre la notion d’héritage et
celle d’orphelin : « L’adjectif latin hered – « héritier » a
un correspondant certain en grec dans le nom d’agent
kherostes « héritier collatéral » et aussi dans l’adjectif
khéros « privé d’un parent », féminin khéra « veuve »
[tome I, p. 83 & 84]. »
Il explique cette relation étymologique de la façon suivante : « en grec homérique, khérostes est celui qui,
dans la famille, hérite à défaut d’enfants ; c’est un collatéral qui reçoit un bien devenu abandonné (khéros)... Tel est le rapport entre la notion de » orphelin,
privé d’un parent » (fils ou père) et celle de “héritage”
[p. 84].
Lorsqu’une lignée est interrompue par faute de descendance, l’ensemble des possessions est transmis à un
collatéral, souvent le frère du défunt. La veuve fait souvent partie de l’héritage et épouse l’orphanos, celui qui
a reçu la donation. Par le don de sa personne, elle peut
générer un descendant le plus proche par le sang de
son ex-mari et perpétuer ainsi la lignée. L’orphanos
doit ensuite redonner l’héritage à ce nouveau fils qui
incarne (ou plutôt réincarne) la figure du défunt.
« les héritiers « necessari » sont également appelés
« sui » ou « heredes domestici ». « Ils [les voluntarri]
n’accédaient à la succession que [...] par un engagement à la recevoir [...] [ils] sont des heredes au sens
strict du terme (heres correspond au grec kherostes,
collatéral qui recueille un bien vacant ». [Y. Thomas,
1984, p. 85 et note 144 page 99]
Pour ces collatéraux, « succéder est acquérir des biens
auxquels ils n’étaient pas destinés » [idem]. La chaîne
directe, transgénérationnelle, du nom et du sang est
rompue et un collatéral hérite d’un don, d’un destin
supplémentaires qui ne devaient pas être siens. Ce
deuxième présent, cette double part constituent un
excès imposant le contre don et générant le soignant,
le « prenant soin de » : la veuve ou l’orphelin. Le
double don, la double vue, la clairvoyance naîtraient
de l’abandon, de la déshérence, d’un destin vacant.
Mais ce double héritage suscite l’illégitimité qui exige,
à son tour, la reconnaissance. Laquelle ne peut s’obtenir que par les dons, la vocation, le don de soi ? S’agitil de rendre le double ?
Le don horizontal9 naît d’un arrêt de la transmission
héréditaire, du don vertical et si la succession n’engendre pas l’obligation de rendre, le cadeau testamentaire la fonde. Insistons : le don horizontal avec sa
triple obligation vient au secours du don générationnel.
Comme le note J.T. Godbout, le « sui », l’héritier légitime n’est pas tenu à la réciprocité : il doit simplement
transmettre afin de vaincre le temps et d’éviter la rupture généalogique...
Si le soin moderne consiste à prolonger l’individu,
le soin anthropologique tend à perpétuer la lignée.
Au corps individuel correspond le corps familial ou
lignager.
Benveniste en renversant le sens étymologique de l’orphanos éclaire les déterminants infirmiers. L’orbus
« privé de » devient l’héritier chargé d’une part de trop,
d’un autre destin qu’il doit transmettre. Le défaut
devient excès... Ayant trop reçu, l’orphanos prend le
risque de devenir bouc émissaire, l’image du mal attirant le mal.
A Rome, les héritiers « necessari » appartiennent au
cercle familial et ont vécu sous la « pater potentia ».
« Ils représentent la continuité morale et patrimoniale
du lignage » [Y. Thomas, 1984, p. 85]. L’héritage produit autant de parts qu’il y a de fils ; lesquels ne peuvent refuser la succession. A ces légitimes, s’opposent
les héritiers externes (les voluntarii) qui ont parfaitement le droit de refuser le don. Cette qualité extrafamiliale du don impose la triple obligation du donner,
recevoir et rendre...
Symbole de l’abandon en tant qu’enfant exposé,
Œdipe a reçu un don qui ne lui était pas destiné et se
retrouve écartelé entre deux rois « privés de descendance ». Comme le souligne Fustel de Coulanges
[1864], l’appartenance à une famille implique obligatoirement le respect et l’adhésion au culte domestique
dont le père est le « pater », le prêtre. Les liens religieux
et familiaux se superposent, ne font qu’un. Or, l’adoption associe l’enfant à un deuxième culte et impose
obligatoirement l’abandon du premier : « il était
9. Nous distinguons le don horizontal où nous donnons à des pairs en signe de reconnaissance au don vertical signifiant l’héritage, la donation,
le don transgénérationnel
21
Recherche en soins infirmiers N° 69 - juin 2002
contraire à la religion qu’un même homme eût deux
cultes domestiques, il ne pouvait pas non plus hériter
de deux familles » [p. 86]. Le fils adoptif, héritant de la
famille adoptive, ne pouvait donc prétendre à la succession de son père de sang. Fustel de Coulanges précise que le droit athénien est très ferme à ce sujet, le
double don vertical est rigoureusement interdit. Hériter
de l’un doit obligatoirement impliquer l’abandon de
l’autre. L’ouvrage collectif sur la famille confirme ces
propos : l’enfant adopté doit quitter sa famille de sang
et renoncer à l’héritage de son père de semence. « Il
devient le fils d’un autre » [p.227]. De surcroît, il ne
pourra tester à son tour afin de ne pas multiplier les
ruptures de sang. Le nom est maintenu, il convient de
préserver (au mieux) le sang... Un fils adoptif ne doit
pas adopter à son tour ; il doit s’enraciner, s’incorporer
dans sa nouvelle lignée. Œdipe devait devenir roi de
Corynthe et abandonner la couronne de Thèbes...
l’assomoir est boiteuse. Voici la figure de la tare héréditaire, le mot « tare » signifiant d’abord écart à l’équilibre » [M. Serres, 1983, p. 27]. Seul un surplus permet
de compenser un défaut et seule la viduité apaise l’excès. La maladie, comme la santé doivent être pensées
comme « l’hybris », la folie des anciens grecs. Nous
retrouvons la conceptualisation de G. Canguilhem sur
le normal et le pathologique :
1. Nous pouvons concevoir la maladie comme un excès
et un défaut (l’hyper et l’hypo) et la santé devient alors
liée à une norme, une moyenne entre deux écarts : le
pathologique peut se mesurer et offrir ainsi à la médecine une légitimité par le nombre. Elle prend ainsi
l’habit d’une science exacte mais néanmoins productrice de normes : la santé devient mesure «idéale»...
2. La santé peut se concevoir comme un équilibre. Le
phénomène pathologique bascule le corps dans une
dysharmonie totale, sans nuance, non mesurable.
L’essence de l’individu s’altère, le patient devient
« un autre », l’être se transforme... Le normal et le
pathologique relève de la loi du tout ou rien...
De la démesure...
De par son double don de vie, Œdipe atteint la démesure : il s’écarte de la norme, symbolise l’excès (de
chance, de don) comme le défaut (Œdipe est boiteux).
Le roi de Thèbes est un anormal au sens du hors
norme. Il est différent de la moyenne et cette anormalité joue sur le destin des uns et des autres à l’instar du
trèfle à quatre feuilles portant bonheur, dit-on, comme
la bosse du bossu... Le trèfle à quatre feuilles est une
exception... Et c’est cette exception, cette anormalité
qui génère la fortune ou l’infortune (l’a-normalité au
sens du hors norme, du hors mesure, de la démesure).
Le thérapeute relève de la démesure, alternativement
sujet à l’excès comme au défaut. Cela lui permet d’accepter un surplus comme de combler un vide. Œdipe
est « boiteux », il possède un défaut, une tare. Et qui
peut le bien peut le mal ; qui peut le défaut est susceptible d’excès : la tare révèle la démesure. Nous comprenons pourquoi les infirmier(ère)s sont choisis parmi
« des jeunes filles sans famille, que l’inintelligence ou
une tare congénitale (claudication, gibbosité, surdité)
ont empêchées d’apprendre un métier » [G. Charles,
1979, p. 74 & 75].
Nous aurions tendance à réunir les deux modèles en
un seul : l’environnement, social ou biologique, de
l’être humain génère un excès ou un défaut susceptible
de déséquilibrer l’ensemble de l’organisme... L’avoir,
né de l’échange, bouscule notre entité, notre personne... L’ego est altéré par l’alter. L’équilibre devient
la norme suprême de cette dimension sociale de la
maladie, de cette pathologie de l’échange où patients
et thérapeutes retrouvent la mesure en neutralisant
leurs défauts et leurs excès de dons... Nous comprenons pourquoi notre société a longtemps envoyé les
« orphanos » auprès des patients. La conception
grecque de la maladie hantait nos représentations : « la
médecine est addition et retranchement, retranchement
de ce qui est par excès, addition de ce qui fait défaut,
et celui qui pratique le mieux ces deux choses est le
meilleur médecin » [Hippocrate]. Envoyons donc l’excès au chevet du défaut ou inversement : par rapport
à la norme, tout est question de point de vue !!!
Rendus singuliers, anormaux par des destins fatals et
hors normes, soignants et patients retrouvent l’équilibre en réunissant leurs excès et leurs défauts...
L’orphanos doit être compris dans l’ambivalence, le
terme signifiant à la fois « privé de » et « ayant trop
reçu ». L’orpheus est un aveugle qui a souvent, chez les
grecs, le don de divination. Il est à la fois non voyant et
clairvoyant.
V. LE DOUBLE ET LA TOUTE PUISSANCE
Mais Œdipe n’est pas le seul personnage témoignant
par son pied enflé de son a-normalité. « La Gervaise de
Du chapitre précédent, nous pouvons déduire cet
étrange pouvoir du double et, si nous souhaitons
22
Recherche en soins infirmiers N° 69 - juin 2002
DE QUELQUES DÉTERMINANTS PARAMÉDICAUX
À... L’ESQUISSE D’UNE FIGURE SOIGNANTE...
approfondir notre questionnement, il paraît nécessaire
d’explorer cette dualité aux capacités étonnantes. A
l’instar du médecin pensé par les grecs, le méd-iateur,
le méd-ium sont forcément des doubles qui regardent
vers les deux parties en présence, qui prennent en
compte les deux aspects de la question. Comme l’aigle
à deux têtes qui regarde simultanément le royaume des
dieux, le ciel, et celui des hommes, la terre. L’aigle est
un messager qui rapproche puis unit les deux parties,
le divin et l’humain, et ceci à l’instar des inspirés.
Les inspirés : philosophes, devins, poètes et...
médecins.
Poursuivons l’analyse dans la même direction grâce aux
travaux de louis Gernet [1982] qui tentent de définir la
figure mythique du philosophe. Cet auteur nous révèle
qu’Empédocle dresse une espèce de «catalogues d’élus
[...] suivant une tradition dont on retrouverait la trace
chez Pindare mais aussi bien chez Platon» [p. 254]. Les
devins, les poètes, les médecins et les princes bénéficient de réincarnations privilégiées dans le sens où ces
inter-méd-iaires entre l’humain et le divin conserveraient
le souvenir de leurs destins antérieurs ; nous dirions,
pour notre part, des dons verticaux successifs.
Souvent, dans la société grecque, l’enfant est consulté
comme oracle car son « âme, à peine incarnée, reste
proche de ses origines extratemporelles... S’il meurt, son
corps est utilisé pour consulter l’au-delà» [Histoire de la
famille, p. 319]. Le souvenir permet la vision d’un autre
monde; il porte le regard sur la continuité de la lignée.
Rien ne doit se perdre dans la nuit des temps.
Le souvenir suppose, dans la mystique grecque, une
grâce divine. La mémoire des dons-destins offre l’illusion d’une immortalité, d’une nature quasi-divine mais
cette grâce devenue démesure nécessite de redonner
par la vocation, de ne pas céder à la toute puissance à
l’image du tyran. Le pouvoir entraîne successivement
l’excès de pouvoir puis la malédiction. Il convient de
redonner. Aussi, le « vocator » est celui qui appelle,
celui qui invite à un repas, un hôte... Mais le sens grec
du terme renvoie également à la capacité de dominer
sa vie, de surpasser son destin à l’image du héros :
« parti pris, dessein prémédité, volonté, plan, intention,
plan de vie, préférence, désir, envie... ». Par la connaissance du sens de la vie, le presque-dieu, le quasi-divin
maîtrise son devenir : derrière les philosophes, les
devins et les médecins apparaît l’image héroïque...
Les inspirés semblent obtenir leur don à la suite d’un passage aux enfers. Pythagore révèle, selon L. Gernet [1982,
p. 251] la succession de ses destins à la suite de son passage dans la géhenne. L’auteur ajoute que «l’existence
infernale», stade obligatoire du fatum de l’âme, est un
élément récurrent des mystiques grecques. Nous serions
tenté d’établir un rapprochement entre cet élément du
mythe et la succession des malheurs, la malédiction de
l’infirmière... Le passage aux enfers symbolise la série
d’épreuves vécue par ces protagonistes du soin et du
mal. Pour Gernet, ce passage dans l’autre monde, l’audelà renvoie, suggère les péripéties du chaman confronté
à la surnature. Mais surtout, cette remarque sur le passage aux enfers résonne comme une révélation car elle
nous renvoie à Orphée et aux «orphanos» : les veuves et
les orphelins à la source de la vocation infirmière. Si
nous compulsons l’Encyclopédie Universalis et son thésaurus, nous trouvons la description d’Orphée, l’homme
dont la voix est un charme profondément envoûtant.
Poète mythique, il symbolise la magie du chant, du
verbe, de la parole devenant agissante. Mais ce don est
un excès : « c’est là sa démesure qui doit le perdre »
[Encyclopédie Universalis, p. 1536]. Son épouse,
Eurydice, poursuivie par un soupirant est piquée par un
serpent d’eau. Orphée la suit jusqu’aux enfers où, par le
pouvoir de son don, de son charme, il obtient l’autorisation de la ressusciter. La réanimation de sa compagne est
liée à une prescription; nous employons à dessein ces
termes relevant du domaine médical. Orphée ne doit ni
regarder, ni parler à Eurydice lors de sa remontée des
enfers. Mais il « est incapable de respecter le double
interdit » [ibid.] et perd son épouse définitivement. Au
double don correspond un double tabou mais Orphée
ne sait se soumettre à la mesure : l’excès le con-damne...
Il terminera sa vie écharpé par des femmes s’estimant
méprisées et rejetées.
Orphée possède le don et ce don lui permet de revenir
des enfers. Renversons encore une fois le mythe :
Orphée subit une série d’épreuves l’amenant à la porte
de la mort et, par sa survie, obtient le don, le pouvoir
de charmer, le don de divination... Orphée, devenu
veuf, devenu orphanos obtient le don : Orphée a un
double destin, un double héritage puisqu’il survit aux
enfers. Orphée est un double à l’instar des jumeaux...
Les jumeaux
Otto Rank [1914] a étudié la symbolique du double, le
culte des jumeaux dans les sociétés dites primitives et
antiques. Il révèle que la gémellité a suscité une mystique présente pratiquement dans tous les groupes
23
Recherche en soins infirmiers N° 69 - juin 2002
humains et dont on retrouve les traces dans nos
croyances actuelles. Il interprète cette récurrence
comme une conséquence directe d’une âme double,
l’une mortelle et l’autre immortelle. La naissance de
jumeaux a toujours été envisagée comme un acte porteur de sens, un signe bénéfique ou maléfique selon les
sociétés. Ils sont tour à tour vénérés ou sacrifiés, suscitant à l’image du sorcier, à la fois crainte et admiration.
Parfois immolés avec leur mère ou exposés, ils représentent une puissance surnaturelle, l’immortalité de
l’âme. La dualité renvoie au divin et la gémellité suscitant l’invincibilité fabrique des héros (Romulus et
Rémus, par exemple). « Le jumeau paraît donc être
l’homme qui, en venant au monde, a amené son
double immortel, c’est à dire l’âme [...] C’est cela qui
en fait le prototype du héros» [O. Rank, 1914, p. 102].
Ce double don de naissance (cette double paternité
pour nombre de sociétés10) offre des pouvoirs particuliers pouvant être mis au service du bien ou du mal. «Le
jumeau [comme le soignant] a le pouvoir sur la vie et la
mort des autres» [p. 96]. Les peuplades de l’ouest africain (Libéria) leur attribue des dons divinatoires; ils sont
susceptibles d’apprendre nombre de choses à l’occasion des rêves. Plus près de nous, dans les croyances
populaires, nous retrouvons effectivement des traces de
ce don-talent inhabituel : «en Grande Bretagne [...] une
femme dont le nom de jeune fille et le nom d’épouse
sont identiques est supposée avoir des dons de guérisseuse » [E. Mozzani, 1995]. Toutefois, le double, la
toute puissance s’avèrent, comme nous l’avons déjà
noté, dangereux. L’assassinat de l’un des jumeaux est
souvent la condition de la survie de l’autre. Le devenir
de l’un passe par le sacrifice de l’autre. Les jumeaux
constituent l’ambivalence incarnée :
« Pour l’ethnologue, l’enfant si impatient de naître qu’il
défonce le corps de sa mère et fait périr celle-ci, c’est
le mauvais dioscure à qui les mythes imputent les
excès, le désordre parfois la mortalité humaine. Il équilibre ainsi le pouvoir de son jumeau, sage ordonnateur
de l’univers et qui dispense à l’humanité ses bienfaits ».
C. Lévi-Strauss, discours du 27 juin 1974 lors de son
investiture à l’Académie française.
% jumeaux
Les indiens védiques imaginaient l’aurore comme le fruit
de l’action de deux jumeaux chevauchant dans l’azur.
Ces «doubles» étaient sensés ouvrir le passage à la
Déesse et la mythologie les nomme Asvins, un mot sanscrit signifiant «cavalier». Parfois, ils prennent le nom de
Nasatyas et on les compare souvent aux Dioscures grecs.
E. Benvéniste [1969] en parle comme des dieux guérisseurs et savants, des médecins divins sans cesse sollicités
pour aider et secourir les hommes. Quant à
l’Encyclopédie universalis (thésaurus), elle les mentionne
en ces termes : «On pense évidemment aux Dioscures
grecs, mais il est étrange que les mythes védiques concernant les Ashvins soient orientés dans une autre direction :
ils évoquent les jumeaux célestes en les présentant
comme des thaumaturges habiles à soigner leurs fidèles
et à les guérir de leurs maladies et infirmités. Ainsi plongent-ils un vieillard dans une fontaine de jouvence pour
lui permettre de plaire à la jeune femme qu’un roi lui a
donnée, rendent-ils à un prêtre la tête qu’on lui a coupée,
fournissent-ils des herbes curatives à tel autre, etc...».
Cette récurrence du double, des jumeaux détenant le
don de guérison nous a poussé à explorer les générations actuelles de paramédicaux...
Les doubles actuels
Nous avions inclus, dans nos questionnaires, une question portant sur une éventuelle gémellité de l’étudiant(e) infirmier ou manipulateur en électroradiologie.
Le tableau ci-dessous retranscrit l’ensemble des résultats comparés aux statistiques nationales où le taux de
gémellité est d’environ 1,25 (Tableau 13).
Tous projets professionnels confondus, le pourcentage
de jumeaux est tout de même de 2,5 à 3 fois celui de la
population française. Ils prédominent cependant chez
les étudiantes désireuses de devenir puéricultrices et
chez les futur(e)s manipulateur(rice)s en électroradiologie. Chez les premières, il s’agit d’étudier les nais-
pop. Totale
Infirmier (ère)s non désireux
de se spécialiser
anesthésistes
puéricultrices
manips
1,25
1,59
2,94
4,96
3,5
Tableau 13
10. « cette croyance à la double paternité quand il s’agit d’une naissance gémellaire n’est pas caractéristique de la superstition du Moyen Age,
elle s’est seulement maintenue très longtemps dans la conscience populaire car elle se trouve autant chez les peuples primitifs que chez les
peuples civilisés de l’antiquité » [O. Rank, p. 101]
24
Recherche en soins infirmiers N° 69 - juin 2002
DE QUELQUES DÉTERMINANTS PARAMÉDICAUX
À... L’ESQUISSE D’UNE FIGURE SOIGNANTE...
sances afin de les discerner. Doubles et semblables à
la naissance, ces jumelles n’ont pu être reconnues, être
discernées. Ayant souffert par leur jeune enfance, elles
souhaitent s’occuper de celles des autres, obtenir la
reconnaissance sociale par l’objet qui leur en a privé.
Elles désirent obtenir un juste retour des choses en s’intéressant à l’objet (en l’offrant ?) qui les a rendu orphanos : « privé de ». Elles souhaitent émettre des diagnostics au sens grec du terme : diagnostikos signifiant
« capable de discerner, de reconnaître ». Quant aux
manipulateur(rice)s, en exposant le patient aux rayons
X, on obtient une copie qui le prolonge, un double qui
le perpétue comme un portrait ou une photographie.
Le double pérennise et s’obtient par l’exposition (des
enfants, des criminels : la sur-vie génère un double11).
Les doubles (jumeaux) produisent des doubles (radiographies), le semblable agit sur le semblable comme le
mal agit sur le mal. Ce processus passe par l’exposition
à l’instar d’Œdipe : le roi de Thèbes a obtenu son
double destin en tant qu’enfant exposé.
En ce qui concerne les étudiantes intéressées par l’anesthésie, cette spécialité infirmière produit également des
doubles (dons de vie) dans le sens où elle ré-anime, elle
réveille, elle sort le sujet du sommeil, de la mort. Cette
spécialité redonne une nouvelle fois la vie...
ETUDIANT
Frère ou sœeur
Et l’autre jumeau ?
Si nous étudions les métiers exercés par le frère ou la
sœur des 18 jumeaux répertoriés, nous obtenons le
tableau suivant : (Tableau 14)
Notons l’importance de la famille (Conseillère économie sociale & familiale, employée familiale), de la
transmission par l’éducation ou l’enseignement
(Educateur de jeunes enfants, Maîtrise de psychologie
enfant et adolescent, Professeur d’Histoire), du vital
âge
sexe
profession
Spécial. Désirée
profession
21
F
Infirmière
Anesthésiste ou puer.
20
F
Infirmière
puéricultrice
35
F
Infirmière
19
F
Infirmière
puéricultrice
IUT Génie biologique
20
F
Infirmière
anesthésiste
Comptable
20
F
Infirmière
puéricultrice
Professeur d'Histoire
20
F
Infirmière
anesthésiste
Sociologie / Educateur de jeunes enfants
19
F
Infirmière
puéricultrice
Hôtesse de l'air
F
Infirmière
puéricultrice
BTS électronique
20
F
Infirmière
20
F
Infirmière
26
F
Infirmière
24
F
Manipulatrice
Gestion
22
F
Manipulatrice
Génie mécanique (frère)
F
Manipulatrice
Maîtrise de psychologie enfant et adolescent
18
F
Manipulatrice
1ère année de médecine
21
F
Manipulatrice
Biologie
25
F
Manipulatrice
Ingénieur géologue
Laborantin papetier
CAP employée familiale / cosmétique
Agriculture (frère)
puéricultrice
Infirmière
Tableau 14
11. Dans la Grèce antique, les condamnés à mort ou les enfants abandonnés étaient exposés au public.
25
Recherche en soins infirmiers N° 69 - juin 2002
(IUT Génie biologique, lère année de médecine,
Biologie, Infirmière) voire de l’hospitalité (Hôtesse de
l’air)... Bien entendu, ces quelques cas n’ont pas de
valeur statistique, ils peuvent simplement suggérer des
pistes de recherche sur les déterminants symboliques
des jumeaux...
VII. EN GUISE DE CONCLUSION :
LA FIGURE DU SUR-VIVANT :
Si nous nous référons au sens premier du mot orphanos « privé de », nous éprouvons beaucoup de difficultés à comprendre le schème commun à ces différentes
figures soignantes : l’orphelin, la veuve, le jumeau, le
malade etc... Comment quelqu’un privé de santé pourrait en redonner aux autres ?
Le malade est exposé au mal mais il survit. Il obtient
ainsi un deuxième destin, une deuxième chance qui
va dicter sa vocation. Il est en fait un sur-vivant
capable de guérir, de transmettre le don de guérison,
ce don de double vie. La maladie-rupture replace l’individu dans un nouveau cycle de don ; le vital s’impose à ses yeux et gomme l’importance du marchand,
de l’intérêt matériel. Face à tout événement fatal, l’utilitaire devient secondaire. La vie est sauve, peu
importe le reste. Seulement, ce double destin doit être
transmis, redonné et l’accident fatal force la
vocation :
« Été 1985. De retour d’Italie, Lise Thouin est terrassée
par un virus. Pour les médecins elle est perdue. Par un
merveilleux prodige sa vie lui est « redonnée ». Ce qui
aurait dû être mort se métamorphose en naissance.
Revenue à la vie, plus rien n’est pareil. Son regard a
changé. De tout son être, en tant que femme, épouse,
mère, comédienne, elle s’engage dans cette vie nouvelle. Elle apprend à vivre et à traverser la douleur, et
elle s’ouvre à celle des autres, des plus petits.
Au contact des enfants de tous âges atteints par de
graves maladies, elle découvre son rôle de « femmepasseur ». Elle les aide, dans un grand élan d’amour, à
passer de l’autre côté des choses...»
Cet extrait est en fait le résumé d’un livre, d’une biographie au titre étonnant : « De l’autre côté des choses.
Le miracle de la vie [Editions Alain Noël]. Débarrassée
du futile, de l’utilitaire, Lise Thoin voit apparaître
l’autre côté de la chose (donnée ?), un autre monde, le
monde de l’autre... à l’image de ces étudiant(e)s manipulateur(trice)s en électroradiologie où les deux côtés
constituaient l’élément redondant du discours. « Mourir
un peu » permet de redécouvrir le don, la part que
nous avons donné, la part que nous avons reçu de
l’autre, la part étrangère...
La veuve est une survivante (survivante d’un couple,
d’une alliance), l’orphelin également (survivant d’une
lignée). Oedipe est un rescapé de l’abandon et de l’exposition... Le patient est un rescapé du destin comme
la vieille femme de l’historique infirmier. Ainsi nous
comprenons pourquoi le chaman et le psychanalyste
doivent impérativement subir « l’épreuve » de leurs
patients. Nous comprenons les destins tragiques de certaines infirmières voire de médecins ?...
«Les médecins qu’on appelle chirurgiens, on les croit
cruels : ils ne sont que malheureux...» [Saint Jérôme]
Mais allons plus loin en étudiant les pathologies particulières des rescapés regroupées sous le terme générique de syndrome de Lazare ou syndrome du survivant. La première dénomination fait référence à Lazare
ressuscité par Jésus, obtenant ainsi un deuxième don
de vie. Cette appellation s’est imposée en observant le
comportement des survivants de catastrophes naturelles ou des rescapés des camps d’extermination
nazis. La question essentielle obsédant ces personnes
est identique à l’interrogation de tout patient atteint
d’une maladie grave ou d’un acte de sorcellerie : pourquoi moi ? Ces victimes ont le sentiment profond
d’avoir usurpé la vie de quelqu’un : un autre aurait pu
survivre à leur place ? Pourquoi ce choix du hasard ?
Cette impression d’usurpation renvoie à un problème
de légitimité extrêmement présent chez Oedipe et
peut-être à la source de sa démesure. Est-ce le cas de
nombreux tyrans ? L’excès de chance suscite-t-il cette
interrogation ? Pourquoi moi ? Pourquoi ai-je été élu,
touché par la grâce divine ? Cette grâce reçue qui m’invite à rendre ?.. Nous retrouvons le don – bénédiction,
le don – grâce...
La démesure constitue un symptôme de la pathologie
du survivant : il est aisément excessif dans sa consommation d’alcool, son alimentation, pouvant devenir,
selon les cas, anorexique ou boulimique (l’excès ou le
défaut). La proximité de la mort peut le conduire à se
« gorger de vital », à faire la fête, à s’amuser et à vivre
au jour le jour, comme un être en sursis...
L’excès et le défaut relèvent également d’un complexe
de supériorité ou d’infériorité : l’individu peut se sentir
fort d’avoir échappé à son destin ; il peut se croire
détenteur d’un pouvoir agissant sur la vie ou la mort (le
26
Recherche en soins infirmiers N° 69 - juin 2002
DE QUELQUES DÉTERMINANTS PARAMÉDICAUX
À... L’ESQUISSE D’UNE FIGURE SOIGNANTE...
guérisseur) ayant vaincu le sort-destin... Ou bien, il
peut se sentir diminué, ayant pu lui aussi être supprimé... Il devient un individu de circonstance ballotté
par les aléas de la vie...
Cet excès de chance provoque un sentiment profond
de dette mais d’une dette vitale, non matérielle, une
dette de vie... Les survivants éprouvent une forte detteculpabilité existentielle : l’impression d’une seconde
vie imméritée poussant sans cesse l’individu à se justifier, à justifier son existence, à être utile...
• Chez les malades greffés. La greffe représente la vie,
un deuxième don de vie, une renaissance. « Le
patient peut avoir le sentiment parfois de vivre à
deux dans le même corps », « d’être possédé, habité
par l’esprit du donneur »... Face à ce « cadeau précieux », le patient éprouve un fort mouvement de
culpabilité12...
• Chez des enfants qui n’auraient pas dû naître (les
parents souhaitaient avorter mais n’ont pu le faire...)
• Chez de enfants nés « par hasard »
«J’ai choisi cette profession afin de me sentir plus
utile ». 20 ans, F étudiante en IFSI. Mère : maladie
grave sans avenir compromis.
« J’ai choisi cette profession car je suis en contact avec
les gens et je me sens utile quand je peux les aider ». F,
26 ans étudiante manipulatrice. Parents divorcés. Mère
et sœur atteints d’une maladie grave au pronostic
incertain.
« Le métier d’infirmière est d’utilité publique, elles ont
une bonne image sociale car elles sont utiles. Elles sont
essentielles pour la vie du malade... Elles sont reconnues. » F, 18 ans candidate au concours d’entrée en
IFSI.
« Socialement, c’est utile... L’infirmière n’est pas mise à
l’écart, elle a sa place. J’aime le contact avec les personnes, donner du courage, du moral... travailler en
équipe. Pour être infirmière, il y a autant la technique
que le relationnel ». F, 20 ans candidate au concours
d’entrée en IFSI
Cette grâce incomprise suscite de nombreuses interrogations sur le sens de la vie, sur le rôle existentiel que
veut nous faire jouer le hasard, cette chance divine...
Quel est mon nouveau sort ? Que dois-je faire ?
L’enquête menée en 1992 [CEEIEC] sur les 1515 étudiants infirmier(e) s montre que 8 % d’entre eux estiment avoir choisi cette profession afin de se sentir
utile. Il convient néanmoins de saisir cet adjectif
comme une volonté d’être utile à l’autre, de promouvoir la solidarité.
Le syndrome du survivant est particulièrement observé :
• Chez les patients guéris d’une maladie grave comme
le cancer. Nous comprenons ainsi l’importance du
modèle « maladie » au sein de notre population
d’étudiants (es) infirmiers (ères)...
• Chez des enfants « remplaçants » d’un frère ou d’une
sœur avortée ou décédée... et plus particulièrement
chez un jumeau survivant... Nous retrouvons le sentiment de vivre à la place d’un autre, par dérogation...
Ces enfants remplaçants nous évoquent le mythe
oedipien où le protagoniste est confronté à un double
destin. Ces substituts d’une vie inachevée sont chargés d’une double personnalité, d’un deuxième
cadeau vital : le leur et celui du mort. Cet excès de
vie leur permet de redonner du principe vital à ceux
qui en font défaut. La vie se donne et se redonne
comme l’exprime parfaitement ce vieillard esquimau
cité par Lévy-Bruhl : « je suis devenu un vieillard.
Mais tout ce qui a le pouvoir de devenir vieux est fort,
et aujourd’hui je passe ma main sur ta poitrine pour
te communiquer de la force, et te donner longue vie »
[1927, p.86].
Notre modèle relève d’une certaine logique : le survivant a tendance à sur-protéger, à sur- « prendre soin »
car la mort l’a approché de près et il perçoit la vie
comme un fil ténu qu’il convient de préserver...
Epilogue...
A travers les figures de ces survivants, nous avons ainsi
esquissé un modèle de soignant. Il n’est pas universel
et n’explicite, peut-être, qu’un certain nombre de vocations. Le modèle anthropologique semble pertinent de
par les multiples récurrences de l’orphanos. La question de sa valeur heuristique vis à vis des générations
actuelles de soignants doit être débattue car l’enquête
quantitative offre un impact limité faute de données
comparatives. L’absence de groupe témoin fragilise
12. S.M Consoli, M. Baudin. Aspects psychologiques et psychiatriques après traitements par greffe ⇒ site internet.
27
Recherche en soins infirmiers N° 69 - juin 2002
l’argumentation. Néanmoins, nous continuons à penser que notre démarche s’avère intéressante et ce pour
deux raisons :
1. Nous avons nourri nos apports théoriques d’une
enquête qualitative réalisée à travers des entretiens
avec des soignants. Nous avons étudié particulièrement les propos de candidats à l’entrée en IFSI et
nous avons analysé des écrits infirmiers. Les données
recueillies témoignent de cette pertinence du don
comme vous avez pu l’apprécier, nous l’espérons,
tout au long de ces lignes.
2. L’étude des jumeaux offre des données comparatives
et révèle l’intérêt de poursuivre. Certes, il s’agit de
phénomènes marginaux mais comme le notait LéviStrauss : « On peut retrouver dans une société quelconque tout ce qui existe dans d’autres, mais sous
forme de projections, tantôt macroscopiques, tantôt
microscopiques » [p. 280]. Le pourcentage des
jumeaux nous offre peut être l’occasion de saisir
l’impact du symbolique sur le choix de nos vocations.
Par ailleurs, les jumeaux nous offrent le sens de la
vocation. Indifférenciés par leur naissance, ils souhaitent se distinguer en donnant plus que les autres, en
se donnant à l’autre. Le don serait en fait identitaire.
Désirant offrir un cadeau à un être cher, nous choisissons un objet censé lui plaire, un objet « placebo » 13
quasi-médicamenteux. Ce cadeau va lui plaire car il lui
ressemble, ce cadeau le révèle, lui indique qui il est :
ce cadeau est identitaire. Les jumeaux à l’identité
confuse, indéterminée donnent pour recevoir et en
recevant, ils apprennent à se connaître. Notre survivant a côtoyé la mort, le « spéculum mortis » comme
disait les anciens. La mort est un miroir ; en nous
approchant d’elle, elle nous questionne, elle interroge
notre être, elle susurre : qui sommes nous ? Nous
sommes alors contraints de donner, de « prendre soin »
afin de savoir, afin de nous connaître par la magie des
contre dons, des dons en retour... Le sens du soin
réside dans la reconnaissance du semblable. En acceptant l’autre, en acceptant son corps, sa fragilité nous le
reconnaissons comme conforme. Le jumeau est un
inconnu de naissance qui reconnaît les autres. Nous
offrons ce qui nous manque afin de le recevoir, à l’instar de l’aveugle du mythe grec offrant de la clairvoyance. Le jumeau incarne ces rayons inconnus, ces
rayons « X » qui déterminent la conformité ou la difformité de tel ou tel patient... Au delà du biologique, il
y a de l’existentiel. Nous ne pouvons vivre sans savoir
qui nous sommes, sans pouvoir nous reconnaître à travers les autres...
Toutefois, la prise en compte de ces dimensions symboliques n’offre pas un portrait exclusif. Il ne faut pas
négliger également les raisons économiques inhérentes
au choix de nos professions. Le nombre de candidats
au concours IFSI croît en temps de crise... Nous espérons simplement avoir pointé du doigt certaines dimensions à valeur heuristique et épistémologique pour nos
professions.
A propos, Esculape était orphelin de mère : elle mourut
à sa naissance et son père confia son éducation a un
tiers, il l’abandonna...
D. BOURGEON
VIII. BIBLIOGRAPHIE
• A. Bengière, C. Klapisch-Zuber, M. Segalen, F.
Zonabeud. Histoire de la famille. Tome I. Armand
Colin. 1986.
• E. Benveniste. Le vocabulaire des Institutions indoeuropéennes. Tomes I & II. Les Editions de Minuit.
Paris, 1969.
• A. Caillé. « Don et association » in Revue du Mauss
no11, Paris, 1er semestre 1998.
• G. Canguilhem. Le normal et le pathologique. Paris.
PUF. 1966.
• Enquête du CEEIEC. « Profils des promotions d’élèves
infirmièr(e) s » in Revue Soins Formation – Pédagogie
– Encadrement. No2. 2o trimestre 1992. G. Charles.
L’infirmière en France d’hier à aujourd’hui. Le
Centurion. 1979
• E. Desjardins, S. Giroux, E. C Flanagan. Histoire de la
profession infirmière au Québec. Association des
infirmières et infirmiers de la Province de Québec.
Montréal. 1970Saint Jérôme. Lettres. Tome II. XXIIILII traduit par Jérôme Labourt. Paris 1951.
• A. Ferland-Angers. Mère d’Youville, Beauchemin.
Montréal, 1945.
• Fustel de Coulanges. La cité antique. 1864. Edition
consultée : Flammarion, 1984.
• L. Gernet. Anthropologie de la Grèce antique.
Flammarion, 1982.
• L. Gernet. Droit et institutions en Grèce antique. F.
Maspero, 1968. (Champs Flammarion, 1982).
13. Le terme «placebo» est issu du latin «placeo» signifiant «plaire, être agréable à»...
28
Recherche en soins infirmiers N° 69 - juin 2002
DE QUELQUES DÉTERMINANTS PARAMÉDICAUX
À... L’ESQUISSE D’UNE FIGURE SOIGNANTE...
• J.T. Godbout et A. Caillé. L’esprit du don. La
Découverte, 1992.
• L. Lévy-Bruhl. L’âme primitive. 1927. Edition consultée : PUF Quadrige 1996.
• C. Lévi-Strauss. L’identité. PUF Quadridge. 1983
(séminaire de 1974-1975).
• B. Malinowski. Les argonautes du pacifique occidental. 1922. Edition consultée : Gallimard 1989.
• M. Mauss. Manuel d’ethnographie. 1947. (version
consultée : Payot, 1967).
• E. Mozzani. Le livre des superstitions. Editions Robert
Laffont. 1995.
• J. Pitt-Rivers. Anthropologie de l’honneur. Cambridge
University Press 1977. Version française : Editions Le
Sycomore 1983.
• O. Rank. Don Juan et le double. 1914. (Payot, 1973).
• Règlement pour le service intérieur de l’Hospice
général de Tours. Tours, 1854. Imprimerie de J.
Bouserez.
• Saint Jérôme. Lettres 2, XXIII-LII traduites par J.
Labourt. Paris, 1951.
• J. Saliba, B. Bon-Saliba, B. Ouvry-Vial. Les infirmières. Ni nonnes, ni bonnes. Editions Syros. Paris,
1993.
• M. Segalen. Sociologie de la famille. Armand Colin.
Deuxième édition. 1984.
• M. Serres. « Discours et parcours » in L’Identité. C.
Lévi-Strauss. Quadrige, PUF. 1983
• Sophocle. Œdipe roi. Traduction de A. Dain et P.
Mazon. Librio.
• Sophocle. Œdipe à Colone.
• Y. Thomas. « Se venger au forum » in La vengeance,
tome III. Editions Cujas, 1984.
• J. P Vernant & P. Vidal-Naquet. Œdipe et ses mythes,
Editions Complexe. 1988.
• M. Wenner. Comment et pourquoi devient-on infirmière ? 1988. Editions Lamarre. Edition consultée :
Seli Arslan. 1999.
29
Recherche en soins infirmiers N° 69 - juin 2002
MÉTHODOLOGIE
Ljiljana JOVIC*, Annie COMPAGNON**, Françoise FABRE*
LES OUTILS DE BONNES PRATIQUES ET D’AIDE POUR L’ACTION DE SOINS
RÉSUMÉ
Il est d’usage, depuis longtemps, de formaliser la pratique des soins au moyen d’outils tels que protocoles et fiches
techniques. Cette manière de procéder qui s’est imposée au fil du temps comme une nécessité, en dehors de toute
obligation, devient indispensable dans le contexte de l’accréditation et de la sécurité sanitaire.
L’exigence de qualité des prestations offertes au malade et la volonté d’un exercice professionnel en adéquation
avec l’état des connaissances conduisent à se servir d’outils permettant de formaliser des pratiques fiables et sûres.
Il existe de nombreux documents dont le contenu est fondé sur des habitudes de service, l’expérience professionnelle, mais au niveau de preuve insuffisant et qui s’avère parfois délétère pour le malade. La rédaction d’outils de
bonnes pratiques est fondée, dans toute la mesure du possible, sur des connaissances issues de travaux, recherches
et/ou après discussion, consensus, afin que les options prises soient réfléchies et les choix argumentés.
Les outils présentés concernent la pratique des soins : recommandation, procédure, protocole et fiche technique.
Mots clés : soins infirmiers, recommandation, procédure, protocole, fiche technique, outil
Il est d’usage, depuis longtemps, de formaliser la pratique des soins au moyen d’outils. Dès la formation initiale les soins de base et les soins techniques sont
déclinés sous forme de fiches. Par ailleurs, depuis de
nombreuses années des services cliniques ont élaboré
des protocoles, fiches et autres outils afin de disposer
de documents de référence pour la réalisation des
soins. Cette manière de procéder qui s’est imposée au
fil du temps comme une nécessité, en dehors de toute
obligation, devient indispensable dans le contexte de
l’accréditation et de la sécurité sanitaire.
L’exigence de qualité des prestations offertes au malade
et la volonté d’un exercice professionnel en adéquation
avec l’état des connaissances conduisent à se servir d’outils permettant de formaliser des pratiques fiables et sûres.
Cependant, leurs modalités d’élaboration et de validation ne sont pas toujours clairement énoncées. De plus,
nous observons une multiplication d’outils développés
dans les services dont la fiabilité et la référence à des
savoirs établis ne sont pas toujours évidentes. Ainsi, il
existe de nombreux documents dont le contenu est
fondé sur des habitudes de service, l’expérience professionnelle, mais au niveau de preuve insuffisant et qui
s’avère parfois délétère pour le malade. En outre, la
forme de présentation ne permet pas toujours d’identifier la provenance, les auteurs, la date d’élaboration
et/ou de validation.
* Infirmières Générales - CHU Henri Mondor Assistance Publique - Hôpitaux de Paris
** Cadre supérieur infirmier- CHU Henri Mondor Assistance Publique - Hôpitaux de Paris
30
Recherche en soins infirmiers N° 69 - juin 2002
M
ÉTHODOLOGIE
LES OUTILS DE BONNES PRATIQUES ET D’AIDE POUR L’ACTION DE SOINS
Les outils sont au service de finalités clairement énoncées et ne constituent pas un but en soi. Chaque outil a
une spécificité, des modalités d’élaboration, un champ
d’application, des liens éventuels avec d’autres outils,
des intérêts et des limites. De plus, le contenu des
outils est fondé, dans toute la mesure du possible, sur
des connaissances issues de travaux, recherches et/ou
après discussion, consensus, afin que les options prises
soient réfléchies et les choix argumentés.
Si l’intérêt de disposer de documents de référence n’est
plus à démontrer, ils ne sont pas destinés à garnir les
rayonnages des salles de soins. Il convient de ne pas
succomber à la frénésie ambiante de tout formaliser,
écrire, mettre en fiche. La rédaction d’outils de bonnes
pratiques doit répondre à un besoin, à la formalisation
de soins mettant en œuvre un enchaînement d’actes
faisant appel à différents savoirs (anatomie, physiologie, hygiène, asepsie...), présentant un certain niveau
de complexité, et non à mettre en forme des gestes
relatifs à la pratique courante et normalement acquis
en formation de base (toilette, injection intra veineuse,
pansement simple...).
chronique dans le sens où il est possible d’élaborer les
outils indépendamment les uns des autres. De plus, ils
peuvent être incrémentés, par exemple un protocole
peut contenir une fiche technique.
Les conditions d’élaboration, les modalités et la portée
des outils doivent être prises en considération pour leur
efficacité et leur validité. Par exemple, les recommandations étant de portée relativement générale elles sont
applicables de façon large alors que le protocole est
contextuel.
L’existence des outils de bonnes pratiques et d’aide
pour l’action de soin est un moyen de mettre à disposition des utilisateurs des conduites à tenir de référence.
Ils aident, éventuellement, à mémoriser des enchaînements complexes ou à réaliser des activités pratiquées
de façon occasionnelle.
Les groupes qui élaborent des outils doivent s’appuyer
sur une méthodologie permettant de disposer de documents fiables et valides au regard de l’état des connaissances.
De plus, disposer d’outils de bonnes pratiques ne signifie pas qu’il faut les consulter en permanence. Ils servent de référence à laquelle il est possible de se reporter lorsqu’on ne pratique pas le soin habituellement,
afin de vérifier le bon déroulement, en situation d’apprentissage ou lorsque le professionnel est en stage
d’intégration.
La présentation des outils doit faciliter l’utilisation, la
lecture et la gestion documentaire. Par exemple, la
représentation synthétique sous forme de logigramme
d’une fiche technique peut être un moyen de visualiser
les différentes étapes. Par ailleurs, afin de faciliter le
référencement et la gestion documentaire il convient
d’adopter la présentation définie par l’hôpital.
Parmi les outils les plus fréquemment utilisés citons :
les recommandations, les procédures, les protocoles,
les fiches techniques. L’approche présentée ici est relative aux pratiques de soins. Ainsi sont exclus de cet
article les outils ayant d’autres visées, par exemple :
thérapeutique (protocole de prise en charge de la douleur...), suivi des vigilances (procédures de déclaration
des dysfonctionnements...) ...
Les indications méthodologiques présentées concernent les recommandations, les procédures, les protocoles et les fiches techniques. Chaque outil est illustré
par l’exemple du sondage urinaire1.
1. LES RECOMMANDATIONS
DE BONNES PRATIQUES
Tous ces outils ont des architectures méthodologiques
voisines mais ils répondent à des objectifs et indications différentes.
1.1. Définition
Les outils de bonnes pratiques sont complémentaires,
interreliés, s’intègrent partiellement. Leur élaboration
est à la fois chronologique et anachronique. Elle est
chronologique dans la mesure où les recommandations fixent, pour une part, par les orientations qu’elles
préconisent, le contenu des autres outils. Elle est ana-
« Les recommandations médicales et professionnelles
permettent d’établir l’état des connaissances à propos
de situations cliniques, avec un objectif d’amélioration
de la qualité des soins » (ANAES, 1999).
1. Le sondage urinaire est présenté à titre illustratif. Les éléments contenus dans les tableaux devront être vérifiés et complétés dans le cas d’une
élaboration d’outils pour une utilisation dans la pratique clinique.
31
Recherche en soins infirmiers N° 69 - juin 2002
1.2. Modalités d’élaboration
1.6. Modalités d’évaluation
Les recommandations2 sont le produit d’une démarche
rigoureuse reposant sur : des résultats de recherches,
une analyse et une synthèse objective de la littérature
scientifique, les avis d’experts et de professionnels, des
enquêtes de pratique.
Évaluation de la forme :
– présence des items proposés dans le contenu
1.3. Champ d’application
Les recommandations peuvent recouvrir des champs
divers : clinique, organisationnel, vigilances sanitaires...
Évaluation sur le fond :
– source des recommandations (conférence de consensus, société savante, industriel...)
– niveau de scientificité du contenu (fondé sur des
recherches ou des avis d’experts)
– date de la dernière révision
Évaluation concernant l’utilisation :
– présence des références relatives aux recommandations dans les autres outils (procédures, protocoles...)
1.4. Lien avec d’autres outils
2. LA PROCÉDURE
Les recommandations sont de portée générale en référence à l’objet sur lequel elles sont centrées ; pour être
opérationnelles elles doivent être prises en compte
dans les autres outils. Autrement dit, généralement
elles ne sont pas directement utilisables mais servent,
quand elles existent, de contenu de référence pour les
autres outils.
Les recommandations sont des supports pour l’élaboration de procédures, protocoles et fiches techniques,
dans la mesure où elles définissent les orientations de
bonnes pratiques.
2.1. Définition
« Dans le cadre d’une démarche qualité, la procédure
est la manière spécifiée d’accomplir une activité ».
(Norme ISO 9000 ; 2000)
2.2. Modalités d’élaboration
La procédure décrit la manière d’accomplir l’action.
Elle comporte l’objet et le domaine d’application de
l’activité, l’intervenant, la manière de faire, le matériel
utilisé et la façon dont est maîtrisée et enregistrée l’action.
1.5. Intérêts et limites
L’intérêt des recommandations est de faire la synthèse à
un moment donné de l’état des connaissances sur un
sujet précis. Les sources de l’état des connaissances
pouvant être diverses en fonction des travaux réalisés
et donc avoir des statuts divers : recherches, travaux
exploratoires, avis d’experts...
Les limites sont liées notamment au statut des connaissances sur lesquelles elles sont fondées. Elles doivent
être revues régulièrement.
2.3. Champ d’application
La procédure permet de maîtriser la qualité, c’est-à-dire
l’ensemble des caractéristiques qui confèrent à une
entité l’aptitude à satisfaire des besoins exprimés ou
implicites.
2. Les termes habituellement utilisés dans le contexte clinique sont «Recommandations pour la Pratique Clinique» (RPC)
32
Recherche en soins infirmiers N° 69 - juin 2002
LES OUTILS DE BONNES PRATIQUES ET D’AIDE POUR L’ACTION DE SOINS
Contenu des recommandations
ITEM
• Objet
• Champ d’application
• Personnel(s) de santé concerné(s)
• Sources et niveau de fiabilité
(Résultats de recherche, littérature,
consensus d’experts)
• Recommandations3
EXEMPLE
• Sondage urinaire
• Clinique
• Infirmières-Médecins
• RPC le sondage urinaire
• Indications
1- La pose d’une sonde urinaire est un geste réalisé sur prescription
médicale.
• Mise en place d’une sonde urinaire
2- La première mesure commence par le lavage des mains avec un
savon antiseptique.
3- Une toilette du méat urétral est réalisé avec un savon liquide non
antiseptique.
[…]
• Les soins quotidiens
17- Une toilette génito-urinaire quotidienne ou biquotidienne est indispensable.
[…]
• L’éducation du patient
23- Une information est réalisée au malade sur la manipulation du collecteur, sa position toujours déclive et la vidange par le robinet.
[…]
• Le retrait de la sonde
27- Le retrait de la sonde est effectuée sur prescription médicale.
• Décret no 2002-194 du 11 février 2002 art. 6 et 9
• 1. ANDEM, 1995. Evaluation et état des connaissances concernant
l’incontinence urinaire de l’adulte. Service des études, Paris, 139 –
149.
• Références réglementaires
• Références bibliographiques
• Nom et fonction des auteurs
• Nom et fonction des experts
• Nom et fonction des membres de
comités (lecture, scientifique…)
• Institution, organisme… ayant
contribué à l’élaboration
• Date d’élaboration/date de diffusion/
date de révision
• Plan de diffusion
• CLIN 1997
• Hôpital X
• Année 1994/Janvier 1996/2002
• Tous les services cliniques
3. L’exemple est issu des RPC, 1996 – Le sondage urinaire. Assistance Publique- Hôpitaux de Paris
33
Recherche en soins infirmiers N° 69 - juin 2002
2.4. Lien avec d’autres outils
dans lequel elle doit être appliquée et les personnes
impliquées.
La procédure est ciblée sur un objet. Elle est d’un
niveau de portée « moyen », ainsi elle concerne un
domaine plus restreint que les recommandations, mais
plus général que le protocole ou la fiche technique.
Les limites sont atteintes quand l’objet de la procédure est influencé par un environnement spécifique
qui peut interférer sur la mise en œuvre de cette procédure.
La procédure s’appuie sur les recommandations et peut
être utilisée pour l’élaboration de protocoles.
2.6. Modalités d’évaluation
Évaluation de la forme :
– présence des items proposés dans le contenu
2.5. Intérêts et limites
L’intérêt de la procédure est de fournir des précisions
concernant, outre l’activité à réaliser, l’environnement
Évaluation sur le fond :
– sources sur lesquelles est fondée la procédure
(recommandations...)
– applicabilité dans la pratique
– date de la dernière révision
Contenu de la procédure
ITEM
EXEMPLE
• Objet
• Pose de sonde urinaire à demeure
• Domaine d’application de l’activité
• Services cliniques, Blocs opératoires
• Sources et niveau de fiabilité
(Résultats de recherche, littérature,
consensus d’experts, recommandations)
• RPC le sondage urinaire
• Recommandations du CLIN
• Ce qui doit être fait
• Informer le patient
• Préparer le matériel
• Vérifier la propreté du patient et du lit
• Prévoir une aide
• Installer le patient en décubitus dorsal
• Effectuer un lavage antiseptique des mains
• Placer sous son siège le champ de soin non stérile à usage unique
• Effectuer la toilette aseptique
• Poser la sonde lubrifiée
• Fixer le collecteur au lit
• Réinstaller le malade
• Ranger le matériel et noter le soin.
• Qui doit le faire
• Infirmières – médecins
• Quand doit-on le faire
• Lors d’une prescription médicale
• Où le faire
• Dans la chambre du patient
• Au bloc opératoire
• Comment le faire
• Le patient est informé sur le soin afin d’obtenir sa coopération
• La propreté du patient et de son lit sont vérifiées en lui expliquant l’importance de l’hygiène
• Le lavage antiseptique des mains est réalisé selon le protocole.
• Sur le chariot est fixé un sac poubelle, une alèse est prévue et le calibre de la
sonde en latex siliconée est choisi en fonction du patient.
34
Recherche en soins infirmiers N° 69 - juin 2002
LES OUTILS DE BONNES PRATIQUES ET D’AIDE POUR L’ACTION DE SOINS
• Comment le faire (suite)
• Le collecteur d’urines est choisi en fonction de la durée du sondage.
• Le patient est installé en décubitus dorsal de façon à respecter sa pudeur
• Mettre la première paire de gants stériles
• La toilette aseptique est réalisée avec un savon doux suivie d’une antisepsie :
chez la femme désinfecter de haut en bas le pubis, les plis de l’aine, les
lèvres, le méat urétral et laisser une compresse sur le méat ;
chez l’homme, nettoyer la verge, le prépuce, le gland et laisser une compresse sur le méat.
• Jeter les gants, se désinfecter les mains avec le Stérillium® et remettre des
gants stériles.
• L’aide donne le champ, ouvre à l’infirmière le set, l’emballage de la sonde et
le collecteur.
• L’infirmière vérifie l’intégrité du ballonnet en insufflant 5cc d’air puis adapte
le collecteur.
• Pour poser la sonde : chez la femme les lèvres sont écartées, la sonde est
introduite prudemment jusqu’à la venue d’urines
Introduite jusqu’à la garde, le ballonnet est gonflé d’eau stérile
suivant la quantité précisée sur la sonde. Celle ci est tirée doucement jusqu’au blocage.
• Chez l’homme, tenir la verge à la verticale afin d’effacer la courbure de
l’urètre, introduire la sonde et la faire glisser jusqu’à la deuxième courbure de
l’urètre où il faut abaisser la verge à 120° et continuer à introduire la sonde
jusqu’à la venue d’urines. Procéder ensuite comme précédemment.
Recaloter le gland.
• Le collecteur est fixé en déclive au lit.
• Quels matériels, équipements utiliser
• Chariot propre, sac poubelle, alaise, sonde en silicone pour un
sondage de longue durée, Sonde en latex pour un sondage de courte durée
• Collecteur d’urines stériles, deux paires de gants stériles, flacons de
Bétadine® gynécologique et de Stérillium®
• Set de sondage, un champ stérile et ruban adhésif.
• Comment cela doit être maîtrisé
et enregistré
• Avant toute manipulation de la sonde se laver les mains
• Sonde et collecteur sont assemblés avant la pose et retirés ensemble.
• Vérifier régulièrement la perméabilité de la sonde et l’aspect des urines
• Effectuer une toilette quotidienne rigoureuse
• Éviter les tractions sur la sonde
• Laisser le collecteur en position déclive par rapport à la vessie, le même collecteur doit être laissé en place toute la durée du sondage.
• Le soin est noté au niveau du diagramme de soins et au niveau de la transmission ciblée s’il a répondu à un problème du patient.
• Nom et fonction des auteurs
• Juliette URIFLOC, Infirmière
• Nom et fonction des experts (facultatif)
•
• Nom et fonction des membres de
comités (lecture, scientifique…)
• CLIN 1997
• Institution, organisme, service ayant
contribué à l’élaboration
• Hôpital X, Service Y
• Date d’élaboration/date de diffusion/
date de révision
• Année 1994/Janvier 1995/2002
• Plan de diffusion
• Tous les services cliniques, le bloc opératoire, les secteurs
de consultation
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Recherche en soins infirmiers N° 69 - juin 2002
Évaluation concernant l’utilisation :
– audit de pratiques, par exemple enquête « un jour
donné » de l’utilisation de la procédure, de la conformité de la réalisation de l’activité par rapport à la
description indiquée dans la procédure
– enquête auprès des utilisateurs
– relevé des incidents et/ou accidents dans le domaine
décrit dans la procédure
Enfin la rédaction, la validation et la diffusion du protocole seront les dernières étapes d’élaboration.
1.3. Champ d’application
Il est défini par la cible sur laquelle il est centré.
3. LE PROTOCOLE
1.4. Lien avec d’autres outils
1.1. Définition(s)
« Le protocole est un guide d’application des procédures, centré sur une cible (groupe, communauté,
population), présenté sous forme synthétique, élaboré
selon une méthodologie précise ». (Guide du service
infirmier no 4)
« Le protocole est un descriptif de techniques à appliquer et/ou de consignes à observer ». (ANAES)
Le protocole est une aide à la décision à l’usage des
acteurs concernés par son application. Il permet
d’adapter les soins en fonction des besoins et de l’état
de santé du malade.
Le protocole est considéré comme un référentiel puisqu’il indique le standard de soins (ou norme optimale
de qualité à atteindre).
Le protocole est de portée relativement restreinte dans
la mesure où il concerne un objet précis, est adapté au
contexte dans lequel il est mis en œuvre et à la situation particulière du malade.
1.5. Intérêts et limites
L’intérêt du protocole est de constituer une aide à la
décision. Il laisse place à l’initiative de celui qui le met
en application. En effet, il ne doit pas être appliqué
nécessairement de façon exhaustive.
Les limites sont atteintes si le protocole est appliqué de
façon exhaustive, standardisé sans réajustement possible.
1.6. Modalités d’évaluation
1.2. Modalités d’élaboration
La décision d’élaborer un protocole doit reposer sur l’intention effective d’améliorer un état de fait. Les techniques qui permettent d’analyser le problème considéré
sont : le remue-méninges, le diagramme cause/effet,
l’arbre des causes, la méthode FGP (fréquence, gravité,
problème). Cette analyse est complétée par une étude
bibliographique, l’avis d’experts et l’observation des pratiques.
Puis les objectifs du protocole sont à poser, suivis de la
définition de la population à qui s’adresse ce protocole, de l’étude des ressources et contraintes humaines,
matérielles, financières et temporelles.
Évaluation de la forme :
– présence des items proposés dans le contenu
Évaluation sur le fond :
– sources sur lesquelles est fondé le protocole
– applicabilité dans la pratique date de la dernière révision
Évaluation concernant l’utilisation :
– audit de pratiques, par exemple enquête « un jour
donné » de l’utilisation du protocole
– enquête auprès des utilisateurs
– relevé des incidents et/ou accidents dans le domaine
décrit par le protocole
36
Recherche en soins infirmiers N° 69 - juin 2002
LES OUTILS DE BONNES PRATIQUES ET D’AIDE POUR L’ACTION DE SOINS
Contenu du protocole
ITEM
EXEMPLE
• Objet
• Pose de sonde urinaire à demeure
• Définition
• Cathétérisme de la vessie dans un but de vidange continue ou discontinue
• Champ d’application
• Soins techniques
• Sources et niveau de fiabilité
• RPC le sondage urinaire
(Résultats de recherche, littérature,
• Recommandations du CLIN
consensus d’experts, recommandations)
• Objectifs et résultats escomptés
• Poser la sonde urinaire, sur prescription médicale, avec efficacité et
en toute sécurité
• Population cible
• Patient en rétention urinaire aiguë, chronique
• Patient en situation préopératoire
• Descriptif du déroulement de l’action
• Informer le patient du déroulement du soin
• Préparer le matériel
• Vérifier la propreté du patient et du lit
• Prévoir une aide
• Effectuer un lavage antiseptique des mains
• Installer le patient en décubitus dorsal en respectant sa pudeur
• Placer sous son siège le champ de soin non stérile à usage unique
• Effectuer la toilette aseptique
• Poser la sonde lubrifiée en système clos
• Fixer le collecteur en déclive du lit
• Réinstaller le malade
• Ranger le matériel et noter le soin.
• Surveillance
• Surveillance médicale et paramédicale journalière et continue
• Risques encourus
• Transmission de germes pathogènes, infection urinaire
• Geste traumatique pour le malade.
• Prévention des risques
• Prévention du risque infectieux et de la douleur
• Références réglementaires
• Décret no 2002 – 194 du 11 février 2002 art. 6 et 9
• Références bibliographiques
• Nom et fonction des auteurs
• Juliette URIFLOC, Infirmière
• Nom et fonction des experts
• Nom et fonction des membres de
comités (lecture, scientifique…)
• CLIN
• Institution, organisme… ayant
contribué à l’élaboration
Hôpital X
Date d’élaboration/date de diffusion/
date de révision
• Année 1994/Janvier 1995/2002
• Plan de diffusion
• Tous les services cliniques, le bloc opératoire, les secteurs de consultation
37
Recherche en soins infirmiers N° 69 - juin 2002
4. LA FICHE TECHNIQUE
4.6. Modalités d’évaluation
4.1. Définition
Évaluation de la forme :
– présence des items proposés dans le contenu
« La fiche technique est la description méthodique et
chronologique des opérations successives à effectuer
pour la réalisation d’une tâche, d’un acte de soins. Elle
doit être validée, remise à jour périodiquement et lors
de chaque évolution technique, scientifique, législative ». (BO 92 – 13 bis, Ministère de la Santé)
Évaluation sur le fond :
– sources sur lesquelles est fondée la fiche technique
– applicabilité dans la pratique
– date de la dernière révision
Évaluation concernant l’utilisation :
– audit de pratiques, par exemple enquête « un jour
donné » de l’utilisation du protocole
– enquête auprès des utilisateurs
– relevé des incidents et/ou accidents dans le domaine
décrit dans la fiche technique
4.2. Modalités d’élaboration
La fiche technique décrit dans le détail un soin. Elle est
centrée sur la personne soignée. Elle comporte la définition du soin, les objectifs spécifiques incluant si possible des objectifs pédagogiques destinés au patient, la
description du matériel requis, les précautions et la
technique proprement dite du soin.
4.3. Champ d’application
Le champ d’application est défini par l’objet de la fiche
technique.
4.4. Lien avec d’autres outils
La fiche technique est de portée restreinte dans la
mesure où elle concerne un objet très restreint, éventuellement, centré sur une tâche.
La fiche technique peut être un élément du protocole.
4.5. Intérêts et limites
L’intérêt de la fiche technique est de servir de guide à
la réalisation d’une tâche.
Les limites sont atteintes quand la réalisation de la
tâche devient impossible dans une situation imprévue.
Outre le fond il convient de s’attacher à la forme, soit
au modèle de présentation qui obéit à certaines
normes. Il est souhaitable, afin de faciliter l’utilisation,
d’élaborer une « cartouche » qui sera mise en-tête de
chaque outil. Le modèle de présentation peut varier
selon le graphisme adopté. Cependant, il doit contenir
les informations suivantes :
– l’identification : hôpital X, logo
– le nom de l’émetteur (personne, service...)
– la date d’émission
– la date de mise en application
– le(s) nom(s) de(s) personne(s) ayant validé le document
– la date de validation
– le nom de la personne ayant approuvé le document
– la date d’approbation
– la date de modification
– la date d’approbation après modification
– le nombre de pages
– la version (éventuellement)
Les outils de bonnes pratiques et d’aide pour l’action
sont précieux pour l’activité clinique. La formalisation
des soins dans ces outils peut paraître fastidieuse surtout lorsqu’il n’existe pas un fond documentaire.
Cependant, leur élaboration ou leur actualisation présente de nombreux avantages en termes de participation des équipes, éventuellement pluriprofessionnelles,
de mobilisation des connaissances, de questionnement
sur les pratiques à l’aune de savoirs nouveaux, de mise
à disposition de documents fiables permettant de réaliser des soins sûrs. L’ensemble de ces éléments contribue à une prise en charge de qualité des malades et
participe à l’élaboration et à la formalisation de savoirs
professionnels.
38
Recherche en soins infirmiers N° 69 - juin 2002
LES OUTILS DE BONNES PRATIQUES ET D’AIDE POUR L’ACTION DE SOINS
Contenu de la fiche technique
ITEM
EXEMPLE
• Objet
• Pose de sonde urinaire à demeure
• Définition
• Cathétérisme de la vessie dans un but de vidange continue
ou discontinue
• Champ d’application
• Soins techniques
• Sources et niveau de fiabilité (Résul• RPC le sondage urinaire
tats de recherche, littérature, consensus • Recommandations du CLIN
d’experts, recommandations, protocole) • Protocole X
• Buts recherchés
• Poser la sonde urinaire avec efficacité et en toute sécurité pour le
patient et le personnel.
• Matériel nécessaire
• Chariot propre, sac poubelle, alaise, sonde en silicone pour
un sondage de longue durée […], lubrifiant, collecteur d’urines stériles
• Deux paires de gants stériles, flacons de Bétadine® gynécologique et
de Stérilium®,
• Set de sondage et ruban adhésif.
• Précautions
• Respecter les règles d’asepsie, le système clos, la technique de pose,
le choix de la sonde et la position en déclive du collecteur d’urines.
• Surveiller quotidiennement la perméabilité de la sonde.
• Vidanger la poche avant tout transport du patient.
• Noter le soin dans le dossier de soins
• Déroulement
• Informer le patient du déroulement du soin
• Préparer le matériel
• Vérifier la propreté du patient et du lit
• Prévoir une aide
• Effectuer un lavage antiseptique des mains
• Installer le patient en décubitus dorsal en respectant sa pudeur
• Placer sous son siège le champ de soin non stérile à usage unique
• Effectuer la toilette aseptique
• Poser la sonde lubrifiée en système clos
• Fixer le collecteur en déclive du lit
• Réinstaller le malade
• Ranger le matériel et noter le soin dans le dossier.
• Références réglementaires
• Décret no 2002 – 194 du 11 février 2002 art. 6 et 9
• Références bibliographiques
• RPC Le sondage urinaire, 1996, AP/HP
• Nom et fonction des auteurs
• Juliette URIFLOC, Infirmière
• Nom et fonction des experts
• Nom et fonction des membres de
comités (lecture, scientifique…)
• Institution, organisme… ayant
• Hôpital X
contribué à l’élaboration
• Date d’élaboration/date de révision
• Année 1994/Janvier 2002
• Plan de diffusion
• Tous les services cliniques, le bloc opératoire, les secteurs de consultation.
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Recherche en soins infirmiers N° 69 - juin 2002
RÉFÉRENCES BIBLIOGRAPHIQUES
TEXTES RÉGLEMENTAIRES
ANAES, 1999. – L’audit clinique. Bases méthodologiques de l’évaluation des pratiques professionnelles.
ANAES.
Loi no 91-748 du 31 juillet 1991 portant réforme hospitalière.
ANAES, 1999. – Les recommandations pour la pratique
clinique. ANAES.
BONNERY A. – M., GABA c., MACREZ A., MARANDE
D., PAUCHET-TRAVERSAT A. – F., 1995. – Protocoles
de soins. Méthodes et stratégies. Éditions Hospitalières.
FORMARIER M., JOVIC L., 1993. – Approche scientifique des protocoles de soins infirmiers. Recherche en
soins infirmiers, no 32, 75-83.
MAGNON R., DECHANOZ G., 1995. – Dictionnaire
des soins infirmiers. AMIEC.
Ordonnance no 96-346 du 24 avril 1996 portant
réforme de l’hospitalisation publique et privée
Décret no 93-221 du 16 février 1993 relatif aux règles
professionnelles des infirmiers et infirmières
Décret no 2002-194 du 11 février 2002 relatif aux actes
professionnels et à l’exercice de la profession d’infirmier
Circulaire no du 11 février 1999 relative à la mise en
place de protocoles de prise en charge de la douleur
aiguë par les équipes pluridisciplinaires médicales et
soignantes.
Ministère de la santé et de l’action humanitaire, 1992.
– Protocoles de soins infirmiers. Ministère de la santé
et de l’action humanitaire, Guide du service infirmiers,
no 4 série organisation et gestion du service infirmier.
PAUCHET-TRAVERSAT A. F., BESNIER E., BONNERY
A. – M., GABA-LEROY C., 1998. – Soins infirmiers :
fiches techniques. Éditions Maloine.
40
Recherche en soins infirmiers N° 69 - juin 2002
MÉTHODOLOGIE
COMPTE-RENDU DE LA CONFÉRENCE DE CONSENSUS
PRÉVENTION ET TRAITEMENT DES ESCARRES DE L’ADULTE ET DU SUJET ÂGÉ*
JEUDI 15 ET VENDREDI 16 NOVEMBRE 2001
Hôpital Européen Georges Pompidou – Paris
Organisée par :
Société Française francophone des plaies et cicatrisations
Association PERSE (Prévention - Education - Recherche - Soins - Escarres)
Assistance Publique - Hôpitaux de Paris
Avec la participation de :
L’A.N.A.E.S. (Agence Nationale d’Accréditation et d’Évaluation)
* Le texte intégral est disponible sur demande écrite auprès de :
Agence Nationale d’Accréditation et d’Évaluation en Santé
Service communication et diffusion
159, rue Nationale – 75640 PARIS Cedex 13
Consultable sur le site ANAES : www.anaes.fr
41
Recherche en soins infirmiers N° 69 - juin 2002
M
ÉTHODOLOGIE
PRÉVENTION ET TRAITEMENT DES ESCARRES DE L’ADULTE ET
DU SUJET ÂGÉ
AVANT-PROPOS
Cette conférence a été organisée et s’est déroulée
conformément aux règles méthodologiques préconisées par l’Agence Nationale d’Accréditation et d’Évaluation en Santé (Anaes).
Les conclusions et recommandations présentées dans
ce document ont été rédigées par le jury de la conférence, en toute indépendance. Leur teneur n’engage en
aucune manière la responsabilité de l’Anaes.
AM. BOUBON-RIBES : infirmière libérale, BAGNOLSSUR-CÈZE
C. BUSSY : cadre infirmier hygiéniste, VILLEJUIF
Y. CLAUDEL : médecin généraliste, BORT-LES-ORGUES
PE. LAURÈS : journaliste et usager, CAP-D’AGDE
JJ. LE BRAS : cadre kinésithérapeute, NICE
P. MACREZ : aide-soignant, PARIS
M. RAINFRAY : gériatre, PESSAC
D. STRUBEL : gériatre, NÎMES
A. TANGUY : chirurgien orthopédique,
CLERMONT-FERRAND
F. TRUCHETET : dermatologue, THIONVILLE
I. ULRICH : pharmacienne, CLAMART
COMITÉ D’ORGANISATION
EXPERTS
F. FABRE, présidente : directrice du service de soins
infirmiers, CRÉTEIL
L. ANDOUCHE : méthodologie ANAES, PARIS
F. CARPENTIER : méthodologie ANAES, PARIS
D. COLIN : médecine physique et réadaptation,
SAINT-SATURNIN
P. DENORMANDIE : chirurgien orthopédique,
GARCHES
P. DOSQUET : méthodologie ANAES, PARIS
C. GOURY : mission handicap de l’AP-HP, PARIS
C. HAMONET : médecin de médecine physique et
réadaptation, CRÉTEIL
G. ISAMBART : infirmier général, CLERMONT
S. KAROUMI : infirmière, VALENCIENNES
S. MEAUME : dermatologue, gériatre, IVRY-SUR-SEINE
R. MOULIAS : gériatre, IVRY-SUR-SEINE
E. NIVEAU : infirmière libérale, MONTREUIL
AF. PAUCHET-TRAVERSAT : méthodologie ANAES,
PARIS
C. RUMEAU-PICHON : méthodologie ANAES, PARIS
L. TÉOT : chirurgie plastique et reconstructrice,
MONTPELLIER
MJ. VEGA : infirmière générale, PARIS
JURY
R. MOULIAS, président : gériatre, IVRY-SUR-SEINE
S. AUGIER : directeur de centre hospitalier, SAINTJEAN-DE-MAURIENNE
M. BITSCHENE : infirmière d’EMSP, COLOMBES
M. ALIX : gériatre, CAEN
B. BARROIS : médecine physique et réadaptation,
GONESSE
G. BERRUT : médecin interniste, ANGERS
M. BONNEFOY : gériatre, PIERRE-BÉNITE
D. BOULONGNE : médecine physique et réadaptation, COUBERT
JC. CASTÈDE : chirurgie plastique et reconstructrice,
BORDEAUX
C. DEVAUX : kinésithérapeute, GARCHES
M. DUMETZ : cadre infirmier, GRENOBLE
P. FOUASSIER : gériatre, IVRY-SUR-SEINE
M. GUYOT : cadre infirmier stomathérapeute, LYON
F. HAMON-MEKKI : cadre infirmier, PLOEMEUR
A. JACQUERYE : cadre infirmier, BRUXELLES
JM. JACQUOT : gériatre, NÎMES
O. JONQUET : infectiologue, MONTPELLIER
C. KAUER : chirurgie plastique et reconstructrice, PARIS
C. LEMARCHAND : infirmière stomathérapeute, LE
MANS
M. MARZAIS : cadre expert en soins infirmiers,
IVRY-SUR-SEINE
L. MERLIN : médecin généraliste, NICE
F. OHANNA : médecin chef, MONTPELLIER
S. PALMIER : infirmière, MONTPELLIER
J. PÉREZ : gériatre, PARIS
F. THORAL-JANOD : économiste, PARIS
MF. VERMOT : infirmière, GARCHES
J. VICTOIRE : infirmière, COLMAR
V. VOINCHET : chirurgie plastique et reconstructrice,
MARSEILLE
42
Recherche en soins infirmiers N° 69 - juin 2002
PRÉVENTION ET TRAITEMENT DES ESCARRES
DE L’ADULTE ET DU SUJET ÂGÉ
GROUPE BIBLIOGRAPHIQUE
QUESTION VII
Quelle éducation, formation et information du patient
et de sa famille ?
L. ALZIEU : pharmacienne, BOULOGNE
O. DEREURE : dermatologue, MONTPELLIER
B. GOBERT : kinésithérapeute, ROUBAIX
C. JOCHUM : gériatre, REIMS
JC. KÉRIHUEL : pédiatre, cardiologue, PARIS
AF. PAUCHET-TRAVERSAT : cadre infirmier, COLOMBES
C. REVAUX : cadre infirmier, CHÂTILLON
L’organisation de cette conférence de consensus a été
rendue possible grâce à l’aide apportée par : Convatec
SA, Johnson & Johnson, Smith & Nephew SA,
Coloplaste, P. Braun, Urgo, Mölnlycke Health Care,
Asklé Santé, Brothier, Carpenter SAS, Chiesi SA,
Diffusion Technique Française, Genevrier, Medimo
Imagerie Médicale, Tempur.
LES QUESTIONS POSÉES
QUESTION I
Comment décrire et évaluer l’escarre ?
QUESTION II
Quels sont les facteurs de risque et les échelles de
risque ?
QUESTION III
Quelles sont les mesures générales de prévention ?
QUESTION IV
Quels sont les traitements de l’escarre ?
INTRODUCTION
L’escarre est une lésion cutanée d’origine ischémique
liée à une compression des tissus mous entre un plan
dur et les saillies osseuses. On peut décrire trois types
d’escarres selon la situation :
- l’escarre « accidentelle » liée à un trouble temporaire
de la mobilité et/ou de la conscience ;
- l’escarre « neurologique », conséquence d’une pathologie chronique motrice et/ou sensitive ;
- l’escarre « plurifactorielle » du sujet polypathologique,
confiné au lit et/ou au fauteuil.
L’escarre entraîne principalement douleur et infection.
Elle peut générer chez le patient un sentiment d’humiliation. Elle est responsable d’une consommation
accrue de soins et de ressources. Sa fréquence est mal
connue aujourd’hui et varie selon les contextes cliniques. Dix-sept à 50 % des patients entrant dans les
services de soins prolongés présentent des escarres ; 5 à
7 % des patients adressés en court séjour en développent, 8 % des opérés lorsque l’intervention dure plus
de 3 heures et 34 à 46 % des blessés médullaires dans
les 2 ans à distance de l’accident. L’escarre peut être
prévenue dans une grande majorité des cas.
La diffusion large de ces recommandations de bonne pratique clinique fondées sur l’état actuel des connaissances
et sur l’expérience professionnelle a pour but d’aider les
acteurs de santé, mais aussi les patients eux-mêmes et les
décideurs, à améliorer la prévention, le traitement et le
pronostic des escarres de l’adulte et du sujet âgé.
QUESTION V
Quels sont les supports de prévention et de traitement
des escarres ?
QUESTION I. COMMENT DÉCRIRE
ET ÉVALUER LES STADES DE L’ESCARRE ?
QUESTION VI
Quel est le retentissement psycho-social et sur la
qualité de vie, et quelles sont les incidences économiques ?
La description et l’évaluation de l’escarre sont indispensables dès le début de la prise en soins et au cours
1. Une recommandation de grade A est fondée sur une preuve scientifique établie par des études de fort niveau de preuve. Une recommandation de grade B est fondée sur une présomption scientifique fournie par des études de niveau de preuve intermédiaire. Une recommandation
de grade C est fondée sur des études de faible niveau de preuve. En l’absence de précisions, les recommandations reposent sur un accord professionnel exprimé par le jury.
43
Recherche en soins infirmiers N° 69 - juin 2002
du suivi et doivent être réalisées conjointement par
l’infirmier et le médecin, dans le cadre d’une prise en
compte globale du patient (grade C 1).
L’évaluation initiale de l’escarre et l’évaluation de suivi
de la plaie sont complémentaires mais poursuivent des
objectifs différents et utilisent des méthodes différentes.
La fréquence de l’évaluation de l’escarre dépend de
son stade, de ses complications et des pansements
choisis. En cas de nécrose, l’évaluation doit être quotidienne.
• La description et l’évaluation initiale sont essentielles au choix d’une stratégie de traitement et de
soins. Elles constituent une référence pour les évaluations ultérieures. Elles précisent le nombre d’escarres
et pour chacune d’elles la localisation, le stade, les
mesures de la surface et de la profondeur de la plaie,
l’aspect de la peau périlésionnelle, une évaluation de
l’intensité de la douleur et de son caractère permanent ou lié aux soins.
Les classifications anatomo-cliniques décrivant les
stades de l’escarre ont été insuffisamment validées,
néanmoins la classification du National Pressure Ulcer
Advisory Panel (NPUAP) en 4 stades (tableau 1) est
proposée (grade C), mais il conviendrait :
- de l’enrichir d’un stade 0 (peau intacte mais risque
d’escarre) ;
- de préciser le type de nécrose, sèche ou humide, au
stade III ;
- d’y adjoindre les facteurs péjoratifs au stade IV
(décollement, contact osseux, fistule et infection).
Des travaux de recherche clinique doivent être menés
pour valider cette classification.
Stade I : érythème cutané sur une peau apparemment intacte ne disparaissant pas après la levée de la
pression ; en cas de peau plus pigmentée : modification de couleur, oedème, induration.
Stade II : perte de substance impliquant l’épiderme
et en partie (mais pas sur toute son épaisseur) le
derme, se présentant comme une phlyctène, une
abrasion ou une ulcération superficielle.
Stade III : perte de substance impliquant le tissu
sous-cutané avec ou sans décollement périphérique.
Stade IV : perte de substance atteignant et dépassant
le fascia et pouvant impliquer os, articulations,
muscles ou tendons.
Tableau 1. Classification des stades de l’escarre du
National Pressure Ulcer Advisory Panel (NPUAP, 1989).
• L’évaluation de suivi est utile à la continuité des
soins, à la cohérence et à la pertinence des décisions
de traitement ainsi qu’à leur réajustement. Cette évaluation permet de suivre l’évolution de l’escarre.
Les classifications anatomo-cliniques ne sont pas
applicables aux stades de reconstruction des tissus. Il
existe des classifications adaptées aux escarres en
voie de guérison, mais leur sensibilité aux changements de statut des plaies est insuffisamment démontrée. En pratique, il est suggéré que le suivi comprenne :
- une appréciation de la couleur de la plaie et du pourcentage respectif des tissus selon leur couleur, après
nettoyage de la plaie, au moyen d’une échelle colorielle en 3 ou 5 couleurs ;
- la mesure de la surface de la perte de substance avec
une réglette millimétrée ou un calque ;
- la mesure de la profondeur avec un stylet et une
réglette millimétrée ;
- la topographie de la plaie en utilisant un schéma.
Les méthodes de moulage de la plaie, la photographie ou la stéréophotogrammétrie doivent être réservées à l’évaluation de l’efficacité des traitements dans
un cadre de recherche clinique.
Cette évaluation est complétée par la recherche de
facteurs péjoratifs tels qu’infection, décollement périphérique, contact osseux, fistule, et une évaluation de
l’intensité de la douleur et de son caractère permanent ou lié aux soins.
L’infection d’escarre se caractérise comme suit :
- deux des symptômes doivent être présents : rougeur, sensibilité ou gonflement des bords de la
plaie ;
- et l’une des observations suivantes : germe isolé de
la culture du liquide obtenu par aspiration ou biopsie du bord de l’ulcère ; germe isolé par hémoculture. L’infection, suspectée sur les signes locaux, est
affirmée au-delà de 10 5 germes/ml (ou gramme de
tissu) sur les prélèvements (liquide de ponction, de
biopsie) et/ou hémoculture.
La fréquence de l’évaluation de suivi n’est pas clairement établie. Elle dépend de l’état d’évolution de
l’escarre, de ses complications et des pansements
choisis. Tant qu’existent des zones ou des débris
nécrotiques ou fibrineux, des signes d’infection,
l’évaluation doit être quotidienne.
• Les caractéristiques du patient et de son environnement médico-social et familial sont nécessaires à
l’évaluation de l’escarre, en particulier : les mécanismes de l’escarre et les facteurs de risque, la
comorbidité, le degré de mobilité et les habitudes de
vie, l’état psychologique et cognitif, notamment la
capacité à se prendre en charge, la motivation pour
la prise en charge de l’escarre, le projet de vie, l’âge,
44
Recherche en soins infirmiers N° 69 - juin 2002
PRÉVENTION ET TRAITEMENT DES ESCARRES
DE L’ADULTE ET DU SUJET ÂGÉ
le degré d’implication de la famille, l’organisation
des soins.
• Une transcription des éléments de description de
l’escarre et d’évaluation de la plaie dans le dossier
du patient est nécessaire à la continuité de la prise
en charge du patient, en particulier lors de la sortie
du patient à domicile ou en cas de transfert.
• Il est souhaitable de proposer à l’OMS d’enrichir les
codes de la CIM 10 par une description du stade de
l’escarre selon la classification NPUAP en y ajoutant
un code « malade à risque d’escarre » et les codes
« escarre avec décollement », « escarre infectée » et
« escarre avec contact osseux ». En attendant cet enrichissement de la codification CIM 10, il est proposé
que l’escarre soit accompagnée en « diagnostics
associés » des codes disponibles permettant de
décrire ses complications (cf. Thésaurus de la Société
Française de Gériatrie et Gérontologie).
- en gériatrie, la fragilité particulière de la peau et du
tissu sous-cutané et l’insuffisance d’apports protidocaloriques augmentent le risque d’escarre en cas de
maladies cardio-vasculaires, d’hypotension artérielle
ou d’hyperthermie ;
- en soins intensifs, la fréquence des collapsus, la gravité de l’état initial, l’incontinence fécale, l’anémie et
la longueur du séjour sont des facteurs prédictifs du
risque d’escarre.
L’utilisation d’échelles de risque reproductibles et validées associée à une évaluation clinique initiale permet
de développer des stratégies de prévention adaptées au
niveau de risque. Les échelles les plus utilisées sont
celles de Norton, Waterloo et Braden. Leur valeur prédictive est très variable d’une population à une autre et
l’échelle de Braden a été particulièrement bien validée
(tableau 2).
Les échelles francophones (Peupliers-Gonesse, Angers
et Genève) sont utilisées par certaines équipes mais
n’ont pas été validées. L’utilisation d’une échelle permet de former, sensibiliser et mobiliser l’équipe soignante autour d’un projet de soins.
QUESTION II. QUELS SONT LES FACTEURS DE
RISQUE ET LES ÉCHELLES DE RISQUE ?
Les facteurs considérés aujourd’hui comme facteurs de
risque sont issus de l’expérience clinique, leur pertinence et leur poids relatif ne sont pas définis et nécessiteraient des études.
Les principaux facteurs de risque d’escarre sont explicatifs et peuvent être classés en facteurs extrinsèques
ou mécaniques et facteurs intrinsèques ou cliniques :
pression, friction, cisaillement, macération, immobilité,
état nutritionnel, incontinence urinaire et fécale, état
de la peau, baisse du débit circulatoire, neuropathie,
état psychologique, âge, antécédent d’escarres, déshydratation, maladies aiguës, pathologies chroniques
graves et leur phase terminale. Seules l’immobilisation
et la dénutrition sont réellement des facteurs prédictifs
du risque d’escarre.
Dans quelques situations cliniques, certains facteurs
sont plus spécifiques :
- en neurologie, orthopédie et traumatologie, on peut
retenir trois facteurs de risque fondamentaux : la pression, la perte de mobilité et le déficit neurologique
auxquels s’ajoutent la spasticité, l’incontinence, le
risque peropératoire et le manque de coopération du
patient. En cas de chirurgie reconstructrice, l’âge, le
tabagisme, la corticothérapie, le diabète, les troubles
de la microcirculation et de la coagulation sont péjoratifs pour la cicatrisation ;
Pour l’évaluation du risque d’escarre, il est recommandé d’utiliser, en association avec le jugement clinique, un outil commun d’évaluation du risque dès le
contact initial avec le patient (grade C). L’utilisation de
l’échelle de Braden (grade B) ainsi que des études de
sa validité en France sont recommandées.
Des travaux de recherche clinique doivent être menés
en vue d’élaborer et de valider des échelles de risque en
langue française spécifiques à certaines populations :
blessés médullaires, de soins intensifs ou de gériatrie.
Ces travaux seront au préalable précédés d’études épidémiologiques visant à déterminer la validité des facteurs de risque.
QUESTION III. QUELLES SONT LES MESURES
GÉNÉRALES DE PRÉVENTION ?
La mise en place des mesures générales de prévention
commence dès l’identification des facteurs de risque.
Elle s’applique à tout patient dont l’état cutané est
intact mais estimé à risque (stade 0 de l’escarre, classification de Garches) et vise à éviter la survenue de
nouvelles escarres chez les patients déjà porteurs d’es-
45
Recherche en soins infirmiers N° 69 - juin 2002
46
Recherche en soins infirmiers N° 69 - juin 2002
Tableau 2. Instrument de mesure du risque d’escarre de Braden, adapté de Braden et Bergström
PRÉVENTION ET TRAITEMENT DES ESCARRES
DE L’ADULTE ET DU SUJET ÂGÉ
et des actions éducatives ciblées en fonction du
caractère temporaire ou permanent du risque d’escarre (autosurveillance, autosoulèvement).
carre. Elle concerne l’ensemble des professionnels de
santé en contact avec le patient.
Les mesures de prévention sont les suivantes :
- Identifier les facteurs de risque au moyen du jugement clinique (grade C) associé à l’utilisation d’une
échelle validée d’identification des facteurs de risque
(grade B).
L’élaboration d’une stratégie de prévention adaptée à
chaque patient découle de l’évaluation du risque,
réalisée dès le premier contact avec le patient. La fréquence de réévaluation du risque n’est pas bien établie, il est néanmoins recommandé de procéder à
une nouvelle évaluation à chaque changement d’état
du patient (grade C).
Les soignants doivent être entraînés à la reconnaissance des facteurs de risque et formés à l’utilisation
d’une échelle d’identification du risque.
- Diminuer la pression en évitant les appuis prolongés
par la mobilisation, la mise au fauteuil, la verticalisation et la reprise de la marche précoces. Des changements de position doivent être planifiés toutes les 2 à
3 heures, voire à une fréquence plus élevée (grade B),
et les phénomènes de cisaillement et de frottement
doivent être évités par une installation et une manutention adéquate du patient. Le décubitus latéral
oblique à 30° par rapport au plan du lit est à privilégier car il réduit le risque d’escarre trochantérienne
(grade C).
- Utiliser des supports (matelas, surmatelas, coussins
de siège) adaptés au patient et à son environnement y
compris sur les tables de blocs opératoires (grade B),
les lits de salles de surveillance postinterventionnelle
et en postopératoire.
- Observer de manière régulière l’état cutané et les
zones à risque (au moins quotidiennement, à chaque
changement de position et lors des soins d’hygiène)
afin de détecter précocement une altération cutanée
(grade C). L’observation cutanée doit être associée à
une palpation de la peau à la recherche d’une induration ou d’une chaleur, en particulier pour les peaux
pigmentées.
- Maintenir l’hygiène de la peau et éviter la macération par une toilette quotidienne et renouvelée si
nécessaire. Le massage et la friction des zones à
risque sont à proscrire (grade B) puisqu’ils diminuent
le débit microcirculatoire moyen (grade C).
Les massages, frictions, application de glaçons et
d’air chaud sont interdits.
- Assurer un équilibre nutritionnel en évaluant quantitativement les prises alimentaires (grade
C). L’utilité d’une prise en charge nutritionnelle spécifique a été insuffisamment évaluée.
- Favoriser la participation du patient et de son entourage à la prévention des escarres par une information
Une transcription des facteurs de risque, des mesures
de prévention mises en oeuvre et de l’observation de
l’état cutané dans le dossier du patient est utile à la
continuité des soins (grade C).
Une démarche d’amélioration de la qualité est nécessaire à l’appropriation des mesures de prévention
(grade C), quel que soit leur lieu de mise en oeuvre
(établissements de santé, établissements d’hébergement pour personnes âgées dépendantes, domicile) :
élaboration et utilisation d’un protocole de prévention
et de traitement de l’escarre, évaluation des pratiques
professionnelles. Une évaluation de l’impact des
mesures de prévention d’une part et des démarches
d’amélioration de la qualité d’autre part est recommandée.
QUESTION IV.
QUELS SONT LES TRAITEMENTS DE L’ESCARRE?
Le traitement de l’escarre est à la fois local et général,
prenant en compte la personne et la plaie. Le succès
du traitement est conditionné par une prise en charge
pluridisciplinaire, l’adhésion des soignants à un protocole de soins et la participation active du patient et de
son entourage.
Les modalités de traitement des plaies (nettoyage,
détersion, choix du pansement) doivent être définies
sous forme de protocoles de soins.
La douleur, lors de la réalisation des soins, doit être
prise en compte et soulagée.
Les principes d’hygiène du pansement et de la prévention de la transmission croisée doivent être appliqués.
• Le traitement de la rougeur : supprimer la pression
en changeant de position toutes les 2 à 3 heures ; utiliser si besoin (urines, macération) un film semi-perméable ou un hydrocolloïde transparent.
Les massages, frictions, application de glaçons et
d’air chaud sont interdits.
• Les principes de nettoyage de la plaie et de son
pourtour : utiliser du sérum physiologique ; il n’y a
pas d’indication à l’utilisation d’antiseptiques. La
plaie ne doit pas être asséchée.
47
Recherche en soins infirmiers N° 69 - juin 2002
et doit être contrôlée par un nettoyage et une détersion soigneux des tissus nécrotiques.
Les principes d’hygiène et de prévention de la transmission croisée des germes doivent être appliqués.
• Le traitement de la phlyctène : évacuer le contenu et
maintenir le toit de la phlyctène, recouvrir avec un
pansement hydrocolloïde ou un pansement gras.
• Le traitement de l’escarre constituée :
- la détersion est nécessaire sur les plaies nécrotiques
et/ou fibrineuses. Elle peut être mécanique (en évitant saignement et douleur) ou aidée par un pansement tel que alginates ou hydrogel (grade B) ;
- le recouvrement de la plaie par un pansement permet de maintenir un milieu local favorisant le processus de cicatrisation spontanée. Aucun élément
dérivé de l’étude de la littérature ne permet de préconiser un pansement plutôt qu’un autre. Le choix
du pansement s’appuie en particulier sur l’aspect
de la plaie (sèche, exsudative, hémorragique, malodorante), sa couleur (échelle colorielle) (tableau 3).
ÉTAT DE LA PLAIE
Plaie anfractueuse
TYPE DE PANSEMENT
Hydrocolloïde pâte ou
poudre
Alginate mèche/hydrofibre
mèche
Hydrocellulaire forme
cavitaire
Plaie exsudative
Alginate/hydrocellulaire
Hydrofibre
Plaie hémorragique
Plaie bourgeonnante
Alginate
Pansement gras
Hydrocolloïde
Hydrocellulaire
Plaie avec
bourgeonnement
excessif
Corticoïde local *
Nitrate d’argent en bâtonnet
Plaie en voie
d’épidermisation
Hydrocolloïde
Film polyuréthane
transparent
Hydrocellulaire,
pansement gras
Plaie malodorante
Pansement au charbon
L’infection d’escarre se caractérise comme suit :
- deux des symptômes doivent être présents : rougeur, sensibilité ou gonflement des bords de la
plaie ;
- et l’une des observations suivantes : germe isolé de
la culture du liquide obtenu par aspiration ou biopsie du bord de l’ulcère ; germe isolé par hémoculture. L’infection, suspectée sur des signes locaux,
est affirmée au-delà de 10 5 germes/ml (ou gramme
de tissu) sur les prélèvements (liquide de ponction,
de biopsie) et/ou hémoculture.
L’intérêt des antibiotiques ou des antiseptiques
locaux en l’absence de diagnostic d’infection d’escarre n’a pas été démontré.
• Le traitement chirurgical : la chirurgie est nécessaire
en cas de nécrose tissulaire importante, d’exposition
des axes vasculo-nerveux, des tendons ou des capsules articulaires, d’exposition de l’os et d’infection.
La chirurgie est contre-indiquée chez le sujet âgé
porteur d’escarres plurifactorielles ainsi qu’en l’absence de mise en place ou d’efficacité des mesures
de prévention des récidives. L’acte chirurgical doit
être encadré d’une préparation médicale et de soins
postopératoires particulièrement rigoureux. Ces soins
portent sur la surveillance de l’état cutané local, l’aspect de la plaie et des sutures, une mise en décharge
en utilisant un support, un équilibre nutritionnel et
hydro-électrolytique.
• Les mesures de prévention sont à intensifier au stade
de l’escarre constituée afin de limiter la constitution
de nouvelles escarres.
La correction des déséquilibres métaboliques et
hémodynamiques doit être entreprise de façon
concomitante au traitement local.
La transcription des informations relatives au suivi de
l’évolution de la plaie et au choix du pansement est
indispensable à la continuité des soins par les divers
professionnels qui ont à prendre en charge le patient.
Les soignants doivent être formés à la description et à
l’évaluation des escarres, aux techniques de réalisation du pansement et au traitement de la douleur.
* Il serait souhaitable de disposer de pansements corticoïdes sans
antibiotique
Tableau 3. Types de pansements disponibles
en fonction de l’état de la plaie.
• Le traitement de l’escarre infectée : l’infection est à
distinguer de la colonisation bactérienne.
La colonisation bactérienne est quasi constante dans
les plaies chroniques. Elle est utile à la cicatrisation
• Le traitement de la douleur de l’escarre
La douleur de l’escarre peut être spontanée ou non,
brutale et inattendue, limitée aux soins, aux changements de position ou aux mobilisations, ou présente
en continu. La douleur n’est pas corrélée à la taille
de l’escarre.
48
Recherche en soins infirmiers N° 69 - juin 2002
PRÉVENTION ET TRAITEMENT DES ESCARRES
DE L’ADULTE ET DU SUJET ÂGÉ
Il est recommandé d’évaluer régulièrement la douleur pour mieux orienter la prise en charge.
L’analyse de la douleur comprend une évaluation :
- de ses causes (soins de la plaie, mobilisations,
changements de position) ;
- de son intensité : par une auto-évaluation par le
patient lui-même en utilisant une échelle validée
(échelle visuelle analogique, échelle numérique,
échelle verbale simple) complétée d’une observation clinique (posture, faciès, gémissements, attitude antalgique, limitation des mouvements). Chez
le patient incapable de communiquer, l’observation
clinique décrite ci-dessus ou l’utilisation d’une
échelle telle que Doloplus ou ECPA est préconisée ;
- de son retentissement sur le comportement quotidien et l’état psychologique du patient.
Il est recommandé d’utiliser des antalgiques selon la
stratégie en 3 paliers recommandée par l’OMS. Un
changement de palier est nécessaire lorsque les médicaments du palier précédent, correctement prescrits,
sont insuffisants. Cependant, des douleurs intenses
lors des soins d’escarre peuvent justifier d’emblée
l’utilisation d’un antalgique de palier 3 (opioïdes
forts).
Plusieurs objectifs sont poursuivis dans ce contexte où
prime l’approche globale et individualisée du patient :
- prévenir la survenue de nouvelles escarres ;
- limiter au maximum l’extension de l’escarre et éviter
les complications et les symptômes inconfortables ;
- traiter localement l’escarre en étant attentif au confort
du patient ainsi qu’au soulagement de la douleur ;
- maintenir le patient propre et diminuer au maximum
l’inconfort physique et psychique lié à l’escarre.
L’utilisation de supports d’aide à la prévention et au
traitement de l’escarre permet la diminution des phénomènes douloureux.
Les décisions concernant le traitement de la maladie,
la prise en charge des symptômes, la prévention et le
traitement de l’escarre doivent être fondées sur l’analyse du rapport bénéfices-risques de chacune des
options en termes de capacité à soulager la souffrance et à préserver au maximum la dignité et la
qualité de vie de la personne, et sur les préférences
du patient. La coordination des multiples intervenants auprès du patient et la continuité des soins sont
essentielles.
Dans tous les cas, il ne faut pas s’attarder plus de 24 à
48 heures sur un palier qui s’avère inefficace. Un traitement antalgique en continu peut être nécessaire. Une
évaluation régulière des effets du traitement antalgique
et des effets secondaires doit être effectuée jusqu’à
obtention d’une antalgie efficace.
L’utilisation de supports d’aide à la prévention et au
traitement de l’escarre diminue le phénomène douloureux (grade C). D’autres mesures complémentaires
telles que installation confortable, nettoyage de la plaie
par lavage, choix de pansements permettant l’espacement des soins et choix des moments des soins avec le
patient permettent de minimiser le phénomène douloureux.
• Le traitement de l’escarre au stade de soins palliatifs
La prise en charge des escarres en soins palliatifs
nécessite une évaluation la plus objective possible du
pronostic vital du patient et du pronostic de l’escarre
fréquemment réévaluée en équipe. L’apparition d’escarres le plus souvent multiples traduit une dégradation
de l’état général du patient.
Le respect de la personne soignée doit guider les choix
thérapeutiques aux différents stades d’évolution de la
maladie causale et de l’état général du patient.
QUESTION V.
QUELS SONT LES SUPPORTS DE PRÉVENTION
ET DE TRAITEMENT DES ESCARRES ?
La mise en place d’un support adapté d’aide à la prévention et au traitement de l’escarre fait partie des
actions prioritaires pour limiter la pression d’interface
entre la peau et le support et favoriser la récupération
de la mobilité.
L’intérêt d’un support pour la diminution de la pression
a été démontré en comparaison avec un matelas standard (grade A). Le support diminue le temps d’obtention de la guérison de l’escarre et diminue les phénomènes douloureux (grade C). Les études démontrant
l’intérêt de tel support par rapport à tel autre sont peu
nombreuses et peu convaincantes (grade C).
De nombreux dispositifs de support existent : lits,
matelas, surmatelas, coussins de siège et accessoires de
positionnement.
La classification en concepts permet de rassembler
selon un même mode d’action tous les supports (mate-
49
Recherche en soins infirmiers N° 69 - juin 2002
las et surmatelas) ayant les mêmes objectifs et globalement les mêmes performances :
- concept 1 : support statique en matériau qui se
conforme au patient ;
- concept 2 : support dynamique travaillant de façon
discontinue ;
- concept 3 : support dynamique travaillant de façon
continue.
Le choix d’un support relève de l’équipe soignante qui
doit s’appuyer sur des critères de choix explicites. La
stratégie de choix d’un support repose sur les facteurs
de risque et les caractéristiques du patient, les ressources humaines et matérielles disponibles, les
contraintes d’organisation.
• Les critères de choix d’un matelas ou d’un surmatelas
sont les suivants : niveau de risque, nombre d’heures
passées au lit, degré de mobilité du patient, fréquence des changements de position, possibilité de
les réaliser en particulier à domicile, transfert lit-fauteuil possible ou non (tableau 4).
En cas d’utilisation d’un matériel dynamique, il est
nécessaire de respecter les consignes d’utilisation
(temps de gonflage du support, fonctionnement de
l’alarme).
• Les critères de choix d’un coussin de siège sont délicats, la pression d’interface est plus difficile à diminuer, le poids du corps étant réparti sur une surface
restreinte.
Les matériaux et principes de fonctionnement sont
identiques à ceux des matelas. Les coussins en gel ne
sont pas recommandés car leur enveloppe induit un
SUPPORT PROPOSÉ
effet hamac nocif. Les coussins à air sont difficiles à
régler. Il faut tenir compte de leur épaisseur pour éviter l’écrasement du coussin.
La hauteur du siège, le poids du patient, l’angle
d’inclinaison du fauteuil doivent être pris en
compte afin d’améliorer la position du patient au
fauteuil et éviter un usage mal adapté des coussins
de siège.
Le choix s’effectue en fonction du type de fauteuil
(roulant ou non), de la capacité et du degré de
mobilité du patient, de la durée de la station
assise.
• Des critères complémentaires de sélection des supports peuvent être utilisés, en particulier chez les
patients dont l’état requiert un usage prolongé ou
permanent d’un support. Le coût d’achat, les possibilités de location, la durée de vie, l’entretien et la
maintenance, la facilité d’utilisation, le poids du support, la stabilité que le support procure, le confort et
le soulagement de la douleur, sont également des
éléments qui permettent d’orienter le choix d’un support pour lequel le patient doit donner son avis avant
l’acquisition.
Ces critères fondés sur l’expérience professionnelle
sont proposés à titre indicatif dans le tableau 5 et
doivent être validés par des études.
Il est souhaitable que tout établissement de soins élabore une stratégie d’équipement en supports visant à
limiter la pression d’interface.
Des études cliniques comparatives permettant de préciser les indications de l’utilisation de l’ensemble des
supports proposés sont à envisager.
CARACTÉRISTIQUES DU PATIENT
Surmatelas statique
Pas d’escarre et risque d’escarre peu élevé et patient pouvant se mouvoir dans
le lit et passant moins de 12 heures par jour au lit.
Matelas statique
Pas d’escarre et risque d’escarre moyen et patient pouvant se mouvoir dans
le lit et passant moins de 15 heures par jour au lit.
Surmatelas dynamique
(système alterné)
Patient ayant eu des escarres ou ayant une escarre peu profonde
(désépidermisation) ou risque d’escarre élevé et passant plus de 15 heures
par jour au lit et incapable de bouger seul.
Matelas dynamique de façon
continue ou discontinue
Patient ayant des escarres de stade élevé (> stade II) et ne pouvant bouger seul
au lit et qui n’ayant pas changé de position quand il est au lit où il reste plus
de 20 heures par jour, son état s’aggravant.
Tableau 4. Critères de choix d’un support de lit.
50
Recherche en soins infirmiers N° 69 - juin 2002
PRÉVENTION ET TRAITEMENT DES ESCARRES
DE L’ADULTE ET DU SUJET ÂGÉ
Pathologie aiguë, chronique, ancienneté, gravité
Degré de mobilité et de motricité
Degré de sensibilité et de douleur
Macération
Température corporelle
Morphologie du patient
Facteurs de risque liés
aux caractéristiques du patient
Niveau de dépendance
automobilisation
autosoulèvement
Présence d’une ou plusieurs escarres
Description de l’escarre
Localisation, traitement chirurgical éventuel
État de conscience, état psychologique
Hygiène de vie
Niveau de connaissance
Capacités financières
Activité du patient
Autres facteurs
Niveau socioculturel
Environnement humain
Environnement architectural et particularités du lieu de vie
Caractéristiques des soignants
Tableau 5. Facteurs permettant l’établissement de critères pour guider le choix d’un support.
QUESTION VI.
QUEL EST LE RETENTISSEMENT
PSYCHO-SOCIAL ET SUR LA QUALITÉ DE VIE,
ET QUELLES SONT LES INCIDENCES
ÉCONOMIQUES ?
patient : sentiment de mort progressive chez le sujet âgé
ou gêne douloureuse, morale ou physique, chez l’adulte.
Le respect de l’image positive et le souci de la dignité du
patient doivent toujours guider l’action du soignant. La
prise en charge de l’escarre doit prévenir la survenue
d’un syndrome dépressif ou éviter son accentuation.
Les escarres entraînent une gêne douloureuse et une
souffrance morale et physique, une limitation des
capacités fonctionnelles (marche ou station assise
impossible) avec comme conséquences une limitation
de l’autonomie, des sorties et donc une diminution de
la liberté. L’escarre a également pour conséquences
une altération de l’image de soi et de la relation à
autrui liée à la présence de la plaie, aux éventuels
écoulements et odeurs de celle-ci.
Même si la qualité de vie du patient souffrant d’escarres
et les conséquences psycho-sociales de l’escarre sont
mal connues aujourd’hui, l’escarre doit être considérée
comme une maladie lourde et dévalorisante pour le
Par ailleurs, la méconnaissance actuelle des incidences
financières globales de l’escarre est un frein à l’élaboration d’une politique rationnelle de soins. Les escarres
ont un coût non négligeable pour le système de santé
même si les données chiffrées de la littérature n’ont
qu’une valeur indicative. Les coûts tels que prestations
hospitalières, soins ambulatoires, sont peu précis dans
la littérature et les conséquences économiques en
terme d’heures de travail perdues, de qualité de vie et
de préjudice psychologique subi par le patient ne sont
pas connues. La synthèse des résultats des études économiques confirme la nécessité de développer des programmes de prévention, sources de gains économiques, mais aussi d’amélioration de la qualité de vie
et de moindre douleur.
51
Recherche en soins infirmiers N° 69 - juin 2002
Des études épidémiologiques évaluant la prévalence
et l’incidence des escarres ainsi que des études économiques comparant les coûts et l’efficacité en
matière de prévention, de traitement, de dispositifs
(supports, pansements) existants doivent être menées
pour aboutir à une meilleure connaissance des coûts
liés à l’escarre.
QUESTION VII.
QUELLE ÉDUCATION, FORMATION ET INFORMATION DU PATIENT ET DE SA FAMILLE ?
L’information et l’éducation du patient et de sa famille,
donnée par l’équipe soignante, visent à favoriser leur
participation à la prévention et au traitement de l’escarre, en particulier dans le cadre d’un retour à domicile.
La stratégie d’information et d’éducation du patient et
de sa famille doit être adaptée au caractère temporaire
ou permanent du risque d’escarre et aux capacités individuelles de chaque patient.
• L’information du patient et de sa famille concerne
les patients à mobilité temporairement réduite et
pour lesquels le risque d’escarre est limité dans le
temps. Elle a pour objectif d’éclairer la personne sur
son état de santé, de lui décrire la nature et le déroulement des soins et de lui fournir les éléments lui permettant de prendre des décisions en connaissance de
cause.
• L’éducation du patient et de sa famille est systématiquement envisagée pour tous les patients à mobilité
réduite permanente, y compris les personnes âgées
dépendantes, et pour lesquels le risque d’escarre est
constant.
La démarche éducative consiste à :
- adapter l’éducation en fonction de la connaissance
du patient et de l’identification de facteurs facilitant
et limitant l’acquisition de compétences ;
- se mettre d’accord avec le patient sur les compétences qui lui sont les plus utiles à acquérir en intégrant les éléments suivants chaque fois que nécessaire : les facteurs de risque d’escarre spécifiques au
patient, l’autosurveillance cutanée aux points d’appui, la mobilisation et les changements de position,
l’hydratation et l’alimentation, l’hygiène de la peau,
l’élimination urinaire et/ou fécale, l’habillement,
l’adaptation à l’environnement, la prise en charge de
la douleur et la participation aux soins de plaies ;
- proposer au patient et éventuellement à son entourage des applications pratiques concernant les
mesures de prévention et le traitement de l’escarre ;
- évaluer les réussites et les difficultés de mise en
oeuvre au quotidien.
• Le retour à domicile du patient porteur d’escarre
non encore fermée doit être préparé par une éducation du patient et de sa famille, par une information
précise du médecin traitant et des infirmières, par la
préparation d’un document précis et la désignation
d’un correspondant médecin ou infirmier pouvant
servir de référent. Ce retour doit être préparé en
concertation entre les acteurs de santé de l’hôpital et
du domicile sur ce projet de soins.
CONCLUSION
Nous manquons d’informations d’un niveau de preuve
suffisant dans l’évaluation, la prévention et le traitement des escarres. Il est recommandé de favoriser les
études, la recherche sur ces thèmes à partir d’équipes
pilotes. Il est nécessaire de favoriser l’information et la
formation initiale et continue sur les escarres de l’ensemble des professionnels amenés à intervenir dans les
populations à risque.
52
Recherche en soins infirmiers N° 69 - juin 2002
R ECHERCHE
Hélène Lefebvre 1,2, Ph.D.; Diane Pelchat1,2, Ph.D., Michelle Proulx1, Ph.D. (cand.)
PARTENARIAT ET RENOUVELLEMENT
DU PARADIGME ÉDUCATIF
EN SCIENCES INFIRMIÈRES*
RÉSUMÉ
SUMMARY
The Program of Interdisciplinary Family Surgical
Procedures (PIFSP), is oriented towards the development of partnerships between families and nurses in
order to respond to the specific needs of families with
children suffering from health problems. It was implemented by the accumulation of information and exdpertise respective of the other and in regards to their
relevance. A retrospective qualitative study on
apprenticeships conducted with parents and nurses
during a proposal by PIFSP shows at what point
parents’and nurses’educational conduits are linked to
faith, thought patterns, perception and behaviour,
which corresponds to a specific conception of educational medical procedures in nursing science. This is
part of the paradigm structure in educational and nursing science.
Un Programme d’Intervention Familiale interdisciplinaire, le PRIFAM, orienté vers le développement d’un
partenariat familles/infirmières, permet de répondre
aux besoins particuliers des familles ayant un enfant
avec une déficience. Il mise sur l’appropriation des
savoirs et des compétences respectives de chacune
dans le respect de leur réalité. Une étude qualitative
rétrospective des apprentissages réalisée auprès de
parents et d’infirmières lors de l’application du PRIFAM montre à quel point les conduites éducatives des
parents et des infirmières sont liées à des croyances,
des façons de penser, de percevoir et de faire, lesquelles correspondent à une conception spécifique
de l’intervention éducative en sciences infirmières.
Celles-ci s’inscrivent dans des structures paradigmatiques en sciences de l’éducation et en sciences infirmières.
Mots clés : intervention soins famille, savoirs d’expérience, paradigme éducatif, paradigme
infirmier, éducation pour la santé
Key words : Family medical care, familiarity with
work experience, educational paradigm,
nursing paradigm, health education
* Cette étude a été subventionnée par le Conseil de recherche en sciences humaines du Canada (CRSHC 1996-1999)
1.Équipe de Recherche Interdisciplinaire sur la Famille (ÉRIFAM)
2.Centre de Recherche Interdisciplinaire en Réadaptation du Montréal Métropolitain (CRIR)
53
Recherche en soins infirmiers N° 69 - juin 2002
PROBLÉMATIQUE
La naissance d’un enfant ayant une déficience place les
familles et les professionnels de la santé dans une situation nouvelle pour laquelle ils sont peu préparés. Les
familles sont alors projetées dans une phase de transition au cours de laquelle elles ont peu à peu à reconquérir leur équilibre. Cette expérience éprouvante a
des implications importantes pour l’avenir de l’enfant
et celui de la famille entière (Bouchard, 1987 ; Kazak
& Marvin, 1984 ; Pelchat & Bouchard, 1998 ; Pelchat,
1989 ; Pelchat, Lefebvre, & Bouchard (2001a).
Les professionnels de la santé doivent apprendre à
composer avec cette expérience bien souvent douloureuse et à ajuster leurs interventions de façon à
répondre aux besoins de chacun de ses membres
(Pelchat & Lefebvre, nov., déc. 2001b). Or, de façon
générale, les expériences cliniques montrent que ceuxci éprouvent des malaises face aux souffrances de ces
familles et ont tendance à adopter un comportement de
retrait plutôt que de répondre à leurs besoins
(Bouchard, 1987 ; Bouchard, Pelchat, Boudreault, &
Lalonde-Gratton, 1994 ; Boucher, Medan & Torossian,
1991 ; Pelchat et al. 2001a). Les infirmières, en particulier, rencontrent des difficultés à les aider à gérer la
transition situationnelle que provoque la naissance
d’un enfant avec une déficience, et ce, bien qu’elles
soient appelées à jouer un rôle-clé d’assistance auprès
des familles (Pelchat, 1989 ; Pelchat & Berthiaume,
1996).
Pour répondre aux malaises formulés par des parents et
des infirmières-cliniciennes de milieux hospitaliers,
Pelchat a développé, en partenariat avec des familles
d’enfant ayant une déficience, un Programme
d’Intervention Familiale interdisciplinaire, le PRIFAM
(Pelchat, 1989). Ce programme, orienté vers le développement d’un partenariat infirmières/familles, vise à
répondre aux besoins de chacun des membres de la
famille dont l’enfant est atteint d’une déficience et mise
sur les compétences de chacun (Pelchat, Michaud,
Bouchard, & Berthiaume, 1997 ; Pelchat & Lefebvre,
2001b).
Il a été démontré que le PRIFAM favorise l’adaptation
des familles d’enfants ayant une trisomie 21 et une fissure labiale et/ou palatine (Pelchat, 1989 ; Pelchat,
Bisson, Ricard, Perreault, & Bouchard, 1999). La participation des familles et des infirmières au PRIFAM
s’avère un contexte propice à l’acquisition de nouvelles compétences de part et d’autres.
Devant ces constats, une étude rétrospective de type
qualitatif fut conduite au cours des années 1996-1999,
s’intéressant aux apprentissages réalisés par les parents
dont l’enfant a une trisomie 21 ayant reçu le PRIFAM et
leurs infirmières-intervenantes. Cette étude a montré à
quel point les conduites éducatives des parents et des
infirmières sont liées à des croyances, des façons de
penser, de percevoir et de faire respectives, lesquelles
correspondent à un mode socioculturel précis et par
conséquent, à une conception spécifique de l’éducation et de la relation entre parents et infirmières. De
plus, les valeurs et les croyances véhiculées lors de la
formation et l’application du PRIFAM situent les savoirs
dans des paradigmes précis dans lesquels chacun des
partenaires évolue. Les structures paradigmatiques éducatives (paradigme rationnel, humaniste et symbiosynergique) développées par Bertrand & Valois (1982)
permettent d’inscrire les conduites des parents et des
infirmières dans des cadres de référence. Ces structures
paradigmatiques correspondent aux paradigmes infirmiers (catégorisation, humaniste, transformation) tels
que définis par Kérouac, Pépin, Ducharme, Duquette,
& Major (1994).
À partir des données produites par l’étude rétrospective
des apprentissages, les paradigmes éducatifs privilégiés
par les parents et les infirmières et les conditions d’interaction qui leur sont associées montrent l’évolution
des familles et des infirmières durant l’application du
PRIFAM. Le présent article a pour but de dresser un
portrait des paradigmes éducatifs et infirmiers des
parents et des infirmières, tout en cernant les conditions d’interaction correspondantes.
DESCRIPTION DU PROGRAMME
D’INTERVENTION FAMILIALE
SYSTÉMIQUE, PRIFAM
Les fondements du PRIFAM préconisent une relation
familles/infirmières axée sur la collaboration dans le
partenariat, qui conduit à l’acquisition de savoirs résultant du partage des connaissances et des expériences
de chacun et de la réflexion sur celles-ci (Pelchat &
Lefebvre, 2001b ; Michaud, 2000).
Le contexte de partenariat familles/infirmières est défini
par Dunst & Paget (1991) comme une association de
personnes dans la poursuite d’un but ou d’un intérêt
commun. La notion de partenariat fait appel à la réciprocité, à l’interdépendance entre les partenaires, au
54
Recherche en soins infirmiers N° 69 - juin 2002
PARTENARIAT ET RENOUVELLEMENT
DU PARADIGME ÉDUCATIF EN SCIENCES INFIRMIÈRES
partage des connaissances et des savoir-faire, à l’appropriation des compétences et des habiletés par chacun,
à la valorisation des différences, à l’aide mutuelle ainsi
qu’à l’apprentissage par les pairs (Bouchard &
Archambault, 1991 ; Bouchard, 1999). La collaboration
qui s’instaure entre les familles et les infirmières donne
lieu à des apprentissages basés sur la reconnaissance
de l’expérience de chacun, permettant aux familles de
s’adapter à leur nouvelle réalité et aux infirmières
d’ajuster leurs interventions afin de soutenir les parents
dans le processus d’adaptation.
questions systémiques (Tomm, 1985 ; Loos & Bell,
1990), font partie de la formation théorique.
Le PRIFAM s’inspire de la théorie psychodynamique de
la crise (Caplan, 1964), de la théorie du stress et de
l’adaptation de Lazarus & Folkman (1984), du modèle
de gestion du stress familial de Boss (1988 ; 1999), de
l’approche familiale dont les principes relèvent de la
théorie des systèmes (Bertalanffy, 1968), de la cybernétique (Weiner, 1948) et de la communication (Bateson,
1979). La formation dans le cadre du PRIFAM comprend un volet théorique portant sur les théories à la
La philosophie et les principes à la base du PRIFAM
influencent aussi l’approche éducative utilisée tant
auprès des infirmières que des familles. Les valeurs
sont le partenariat, l’appropriation des compétences,
l’autonomie et l’autodétermination. Chacune est
concrétisée par un certain nombre de croyances
(Tableau 1) qui guident les attitudes et les comportements des familles et des infirmières (Pelchat &
Lefebvre, 2001b).
Paradigmes
Rationnel
Caractéristiques
• Transmission de connaissances, de normes
et de valeurs
Le volet pratique assure un suivi des infirmières par des
rencontres collectives ou individuelles, hebdomadaires
puis mensuelles pendant toute la durée de l’application du programme. Elles sont un lieu privilégié pour
réfléchir sur leur pratique, valeurs, attitudes, croyances
et préjugés face à la famille et à la déficience de l’enfant. Il s’agit d’un apprentissage dans la réciprocité
(Bouchard, 1999).
Valeurs
• Obéissance
• Rationnel
• Guidance dans le
respect des potentialités de
l’individu
• Reconnaissance de ses
compétences dans la gestion des situations
• Professionnel transmet l’information, dirige la famille, considérée
comme étant passive
• Professionnel contrôle la situation et
prend les décisions
• Importance attribuée au
contenu à la compliance
Humaniste
Style de relation
• Autonomie
• créativité
• respect de l’autre
• liberté de choix
• Professionnel transmet l’information
en tenant compte des besoins et du
contexte des familles
• Professionnel reconnaît les compétences des familles et les guide à
travers la transition
• Famille prend les décisions suite à
des propositions du professionnel
TABLEAU 1. Opérationnalisation des paradigmes éducatifs de Bertrand & Valois ( 1982)
base du programme et sur les grands principes de l’intervention familiale systémique auprès des familles
vivant avec une situation de stress important (Pelchat,
1989, 1993, 1995). Les principes de l’autodétermination (Dunst & Trivette, 1987 ; Dunst & Paget, 1991), de
l’appropriation (Dunst, Trivette, & Deal, 1988) des
compétences parentales par la famille de même que
les grands principes d’intervention de l’équipe de
Milan (neutralité-circularité-hypothèse) (SelviniPalazzoli, Boscolo, Cecchin, & Prata, 1980) et les
DESCRIPTION DE L’ÉTUDE RÉTROSPECTIVE
DES APPRENTISSAGES
Cette étude qualitative amène les infirmières et les
parents d’enfants ayant une trisomie 21 à s’exprimer en
rétrospective à propos des apprentissages qu’ils ont
réalisés lors de l’application du PRIFAM, soit deux à
trois années après l’intervention. Des entrevues semi-
55
Recherche en soins infirmiers N° 69 - juin 2002
structurées enregistrées sur bandes audio et transcrites
ont été effectuées auprès de dix-huit (18) parents qui
ont donné naissance à un enfant ayant une trisomie 21
et bénéficié de l’intervention et de quatre (4) infirmières formées au PRIFAM.
L’intérêt pour la notion d’apprentissage découle de la
prise de conscience par les chercheurs que le contexte
d’appropriation et de partenariat du PRIFAM engendre
de nombreux apprentissages à la fois pour les parents
et les infirmières (Pelchat & Berthiaume, 1996 ; Pelchat,
Lefebvre, Proulx, & Bouchard, 2001c). Cette étude vise
à cerner les processus d’apprentissage qui favorisent
l’appropriation et l’autodétermination des familles dans
leur recherche d’autonomie.
Des travaux récents s’orientent vers l’étude des
modèles socio-culturels des familles et de la dynamique régularisant la variation entre les comportements parentaux et les situations (Bouchard &
Archambault, 1991 ; Pelchat et al. 2001c). Ces travaux
reconnaissent les compétences et l’expertise des
familles et des intervenants. Chaque partenaire (personne, famille, intervenant et chercheur) situé dans un
processus d’interdépendance et de réciprocité, devient
partie prenante dans la prise de décision impliquant le
partage des rôles et des responsabilités. La collaboration se construit par une réflexion sur et dans l’action à
l’intérieur d’une relation où le pouvoir et le savoir sont
partagés (St-Arnaud, 1999 ; Tessier, 1996). Ce processus
circulaire, implique la rétroaction et intègre bien les
principes de l’appropriation et de l’intervention éducative. Ce contexte privilégié favorise la co-construction
de savoirs par chacun des partenaires (Pelchat &
Berthiaume, 1996 ; Bouchard, 1999 ; Pelchat et al.,
2001c).
Des résultats de l’étude rétrospective sur les apprentissages se dégagent les moyens et les conditions favorables à l’échange d’informations, ainsi qu’au développement du potentiel, tant chez les familles que chez les
infirmières grâce à une meilleure connaissance de la
relation éducative en situation de stress. De cette
étude, émerge une conception de la relation éducative
des professionnels de la santé, fondée sur la collaboration avec les familles ayant un enfant avec une déficience et qui vise à établir une relation de confiance
dans le contexte d’une transition développementale.
SAVOIRS
Une typologie des savoirs acquis par les parents et les
infirmières s’inspire des travaux d’Artaud (1989). Celuici identifie des savoirs distincts, soit les savoirs médiateurs, incarnés, théoriques, construits et reconstruits
(Pelchat et al., 2001c). Inspirées de cette typologie,
trois catégories de savoirs se sont dégagées des résultats de l’étude : les savoirs théoriques, dans l’expérience, et de transformation. L’analyse a en effet montré
que le PRIFAM offrait aux familles et à l’infirmière l’occasion de faire des acquisitions cognitives nouvelles,
désignées savoirs théoriques. Par exemple, les familles
et les infirmières acquièrent des connaissances théoriques dans le cadre du programme au sujet de la déficience de l’enfant (pathophysiologie, évolution, pronostic). L’analyse a aussi indiqué que le PRIFAM
permet d’éprouver les capacités réflexives des familles
sur l’expérience de vie au quotidien avec l’enfant ayant
une déficience, et aux infirmières, l’opportunité de
réfléchir sur leur pratique professionnelle. Ces savoirs
sont des savoirs d’expérience. Il s’agit de savoirs acquis
dans l’action, issus de l’interaction entre toutes les personnes impliquées dans la vie de l’enfant. Par exemple,
des parents ont acquis des connaissances dans l’expérience sur la façon de stimuler leur enfant. Enfin, l’analyse a montré que le PRIFAM conduit à un changement
chez les participants, se situant au plan des valeurs, des
croyances et des connaissances. De ce changement,
résultent des savoirs qui sont transposés dans d’autres
situations de la vie par les parents et les infirmières. Ces
savoirs furent désignés savoirs de transformation. Il ressortait en effet que tous les parents avaient transformé
leurs nouvelles connaissances : les parents dans
d’autres situations de vie (avec leurs enfants, modification des croyances) et les infirmières, dans leur vie personnelle (modification des valeurs, changements de
façon d’interagir avec les membres de leur famille et
avec les autres professionnels de la santé).
Certaines valeurs, croyances, et façons de faire se sont
transformées générant de nouveaux savoirs. En effet,
les parents puisent à travers la situation difficile, leurs
expériences personnelles et les contacts avec les professionnels, les ressources nécessaires pour les aider à
composer avec la situation, ce qui les conduit à faire
des apprentissages.
PARADIGMES ÉDUCATIFS ET INFIRMIERS
À partir de l’identification des savoirs acquis dans la
relation de partenariat, les conduites éducatives des
parents et des infirmières, ont été cernées, et situées
dans des paradigmes éducatifs et infirmiers précis.
Dans leur étude théorique des caractéristiques socioculturelles et éducatives du réseau scolaire québécois,
Bertrand & Valois (1982) montrent qu’il existe une correspondance entre les paradigmes socio-culturels et
l’éducation. Ceux-ci s’apparentent à ceux identifiés en
sciences infirmières (Kérouac et al., 1994). (Tableau 2).
56
Recherche en soins infirmiers N° 69 - juin 2002
PARTENARIAT ET RENOUVELLEMENT
DU PARADIGME ÉDUCATIF EN SCIENCES INFIRMIÈRES
Paradigmes en sciences
de l’éducation
Paradigmes en sciences
infirmières
Rationnel
Catégorisation
Humaniste
Intégration
Symbiosynergie
Transformation
l’interdépendance synchrone dans leur développement, la réciprocité et le pouvoir partagé. En sciences
infirmières, la personne/famille devient l’agent de sa
propre santé et un partenaire au même titre que les
professionnels de la santé. L’être entier (physique, intellectuel et spirituel) et unique est indissociable de son
univers. Les valeurs culturelles, les croyances et les
convictions de la personne sont reconnues et prises en
compte dans l’intervention. L’infirmière, l’individu et la
famille sont des partenaires à part égale qui mettent
ensemble leurs ressources et leur potentiel.
Tableau 2 Correspondance des paradigmes en
sciences de l’éducation et en sciences infirmières
Kuhn (1972) définit un paradigme comme une conception dominante, une façon de voir les phénomènes.
Les paradigmes furent développés en philosophie puis
en psychologie et utilisés dans d’autres disciplines
comme les sciences de la santé et de l’éducation
(Mariné & Escribé, 1998 ; Riopelle, Grondin, &
Phaneuf, 1988). Les paradigmes éducatifs et infirmiers
ont évolué dans le temps à travers les croyances, les
valeurs et les perceptions de la société, marquant leurs
changements et produisant des connaissances différentes. L’association des paradigmes éducatifs développés par Bertrand & Valois (1982) et des paradigmes
infirmiers définis par Kérouac et al., 1994), permet de
classer les savoirs acquis dans la relation de partenariat lors de l’application du PRIFAM dans trois grandes
structures
paradigmatiques
:
le
paradigme
rationnel/catégorisation, humaniste/intégration et symbiosynergique/transformation.
PARADIGME RATIONNEL/CATÉGORISATION
Dans ce paradigme, le projet central est de transmettre
un savoir prédéterminé. Ce paradigme valorise l’objectivité de la personne et confine la pensée dans l’ordre
établi. Dans ce paradigme, les phénomènes sont divisibles en catégories et les éléments isolables. Le corps
humain est divisé en parties et les soins en tâches.
PARADIGME HUMANISTE/INTÉGRATION
Ce paradigme se caractérise par une centration sur la
personne. Il s’inscrit dans le courant humaniste et existentiel de la société dans laquelle l’éducation est centrée sur des valeurs de communication et d’ouverture.
Le soin est orienté vers la personne et tient compte des
perceptions et de toutes ses dimensions (émotions, attitudes, perspective psychosomatique).
Les parents qui auraient pu adhérer au modèle rationnel d’enseignement dans le cadre duquel l’infirmière
joue essentiellement un rôle d’expert, préfèreraient se
plier aux directives reçues. Ceux qui auraient tendance
à valoriser leurs ressources personnelles et celles de
leurs enfants privilégient une relation avec l’infirmière
qui est centrée sur leurs besoins.
Sur cette base, des paradigmes éducatifs et des conditions d’interaction correspondantes entre les parents et
les infirmières ont été identifiés.
CONSTATS
Les paradigmes éducatifs des infirmières et des parents
s’appuient sur des croyances et des valeurs spécifiques
et sont associés à des conditions d’interaction.
L’évolution paradigmatique des infirmières et des
parents sera traitée séparément pour le paradigme
humaniste et conjointement pour le paradigme symbiosynergique/transformation.
ÉVOLUTION PARADIGMATIQUE
Les infirmières ne se situent à aucun moment strictement dans le paradigme rationnel même en début de la
formation alors qu’elles éprouvent le besoin d’acquérir
des informations, particulièrement sur la trisomie 21 et
sur les composantes de l’approche qu’elles auront à
appliquer auprès des familles. C’est l’approche enseignée, préconisant la validation des connaissances
antérieures dans le respect du mode d’apprentissage de
chacune, qui les amène d’emblée dans le paradigme
humaniste/intégration.
PARADIGME SYMBIOSYNERGIQUE/TRANSFORMATION
PARADIGME HUMANISTE/INTÉGRATION DES INFIRMIÈRES
Il présente des caractéristiques similaires au paradigme
humaniste mais les réinterprète dans une vision holiste
et systémique dans laquelle les personnes privilégient
Les infirmières se situent d’emblée dans le paradigme
humaniste/intégration. Avant la formation, elles possè-
57
Recherche en soins infirmiers N° 69 - juin 2002
dent peu ou pas d’information sur l’approche d’intervention proposée et sur la trisomie 21. Pendant la formation, elles acquièrent en majorité des savoirs théoriques se transposant en savoirs d’expérience et de
transformation au cours des rencontres avec les
familles lors de l’application du programme. Le programme PRIFAM s’appuie dans ses fondements et ses
stratégies d’enseignement sur l’établissement d’une
relation partenariat reconnaissant les besoins et les
expériences des infirmières et des familles. Les
méthodes pédagogiques, centrées sur les étudiantes,
utilisées lors de la formation au PRIFAM favorisent
l’échange entre les formatrices et les étudiantes.
mais plutôt d’écouter. La pratique de la neutralité et de
l’écoute est valorisée de façon à ce que les personnes
trouvent elles-mêmes leurs propres solutions. La neutralité implique que l’infirmière garde un certain recul
en essayant de comprendre la situation, de prendre une
distance pour être mieux en mesure de saisir la situation. Une infirmière tire une leçon d’humilité de cette
expérience. « Dans mon cheminement comme infirmière, j’ai acquis des connaissances que je peux partager avec les familles pour les aider à répondre à leurs
besoins, moi je vais juste les aider. Moi, je suis là pour
répondre à certaines questions, mais c’est vous qui
connaissez les réponses ».
Avant de débuter la formation, certaines infirmières
affirment qu’elles intervenaient sur la base de l’intuition plutôt que de la connaissance. Elles confirment
qu’elles ont été amenées à se centrer sur les familles, à
confirmer la justesse de leurs intuitions, à les concrétiser et à les formaliser. Elles s’expriment ainsi : « J’ai
acquis une terminologie scientifique pour énoncer des
observations issues de la pratique ». Par analogie, elles
font des liens avec ce qu’elles considéraient de
manière intuitive et les connaissances théoriques
acquises et s’approprient la terminologie scientifique.
Une infirmière précise « J’ai développé de nouvelles
approches plus appropriées à l’intervention, soit la pratique de la neutralité, de la circularité de l’information.
Je cherche plus qu’avant à explorer des avenues de
solutions avec les familles ». Toutes les infirmières prennent conscience de l’importance de partager leur
réflexion à propos de leur pratique.
Le respect des différences est très souvent invoqué par
les infirmières. Une infirmière se rend compte à quel
point les familles ne vivent pas les choses de la même
manière et que leur manière de vivre la situation est
fonction de leurs croyances et de leur histoire de vie
personnelle. « Chaque famille a un vécu différent et en
ce sens, les recettes ne sont pas aidantes. » Elle tient
maintenant compte des différences d’une famille à
l’autre en fonction de leurs valeurs. Une autre ajoute
« ne pas adopter les mêmes interventions avec tous les
parents, même si elles peuvent être très bonnes ».
Les infirmières se situent donc clairement dans le paradigme humaniste/intégration. La mise en valeur de
l’importance d’aller rejoindre les gens là où ils sont, la
guidance et l’accompagnement des familles et la transmission de l’information en tenant compte de leurs
besoins sont les conditions qui inscrivent l’intervention
infirmière dans ce paradigme.
VALEURS D’AUTONOMIE,
DE RESPECT ET DE LIBERTÉ DE CHOIX
DES FAMILLES
Une infirmière croit qu’il est nécessaire de respecter les
limites de ses interventions auprès des familles, en
acceptant le fait que l’intervention ne réponde pas aux
besoins de toutes les familles. C’est par l’écoute de
l’autre que le respect prend son sens pour elle. Une
autre infirmière considère « l’importance d’accepter
que l’autre soit différent de soi, d’être capable d’écouter l’autre et d’accepter le fait qu’il ait des valeurs qui
ne sont pas du tout les siennes ». L’écoute de l’autre
implique de ne pas poser de jugements, de ne pas
essayer d’argumenter sur ce que l’autre vient de dire
IMPORTANCE D’ALLER REJOINDRE LES GENS LÀ OÙ ILS SONT
L’importance de se déplaçer dans le milieu de vie des
familles, d’être proche de leur langage, de leur façon
de vivre et d’être présente. « Il faut que tu ailles les
chercher, que tu trouves le stimulus qui va faire que ces
gens-là vont être motivés à reprendre goût à la vie
parce qu’ils ne croient plus à rien, c’est comme le vide
total ».
GUIDE ET ACCOMPAGNEMENT DES FAMILLES
Sur le plan de la relation infirmière/parents, la guidance des familles dans le respect de leur potentiel et
la reconnaissance de leurs compétences dans la gestion de la situation, se situent au coeur de l’intervention des infirmières. L’une d’elles considère que son
rôle est de donner des petits trucs aux familles mais en
respectant ce qu’elles sont. Une autre se présente ainsi
auprès des familles : « On va essayer de vous aider le
mieux possible, on va faire un bout de chemin
ensemble, je vais être disponible. Vous allez avoir mes
coordonnées ». Cette infirmière considère qu’elle joue
un rôle important de guide et d’accompagnement
auprès des familles, et ce dès le moment de l’annonce
du diagnostic. Elle témoigne du fait qu’elle est là pour
leur donner de l’information, pour être témoin de leur
58
Recherche en soins infirmiers N° 69 - juin 2002
PARTENARIAT ET RENOUVELLEMENT
DU PARADIGME ÉDUCATIF EN SCIENCES INFIRMIÈRES
souffrance, pour leur permettre de voir qu’elles sont
capables de s’en sortir. « Tu sais, souvent le médecin
annonçait, puis là il sortait de la chambre...de rester là,
d’être capable d’écouter leur histoire, de leur donner
de l’information. Puis aussi d’être capable de leur donner de l’espoir, d’avoir une ouverture. Parce qu’ils
voient tout en noir, il faut leur donner un peu d’espoir,
sans minimiser la problématique ou minimiser leur
peine, mais sentir que oui, c’est difficile, mais je vais
être là ». Une autre poursuit : « Puis, c’est juste d’essayer qu’ils réussissent à trouver eux-mêmes les solutions, en leur posant des questions sur ce qu’ils sont en
train de vivre. Des solutions toutes faites ça ne donne
rien parce que chacun a des expériences différentes ».
RECONNAISSANCE DES RESSOURCES PERSONNELLES DES FAMILLES
Les infirmières reconnaissent les forces et le courage
des familles pour surmonter les difficultés. « Ce que j’ai
appris, c’est de voir que malgré les situations très difficiles, il y a beaucoup de gens qui ont les ressources qui
leur permettent de résoudre leurs difficultés même s’ils
ne le réalisent pas ». Le rôle de l’infirmière est de les
aider à prendre conscience de leurs compétences et de
faire confiance aux parents. « C’est d’apprendre avec
eux comment s’en sortir. Eux pensent peut-être qu’on
est là pour les sauver mais dans le fond, on est juste là
pour être témoin de leur souffrance, de leur peine,
pour leur permettre de voir qu’ils sont capables de s’en
sortir, puis après ça on va travailler à bâtir avec eux. Je
pense que notre rôle au départ c’est d’être capable de
rester là, de les écouter raconter leur histoire ».
Une infirmière confie qu’elle a travaillé au niveau du
couple afin d’amener les conjoints à apprendre à
s’écouter mutuellement, à voir que la situation de l’enfant a eu un impact sur leur couple. « Je ne savais pas
que mon conjoint était si fort, qu’il était capable de
changer d’avis sur un sujet aussi important ».
TRANSMISSION
DE L’INFORMATION EN TENANT COMPTE DES
BESOINS
Le rôle de l’infirmière est aussi de transmettre de l’information en tenant compte des besoins et du contexte
de chaque famille. L’infirmière fournit de l’information
adaptée à la situation familiale dans une optique de
soutien et de prise en charge de la famille. Elle donne
de l’information après avoir identifié les sentiments de
la famille, et en respectant leur rythme. « Puis, ils me
font des demandes, ils veulent savoir. Est-ce que c’est
bon tel produit ? Faut que tu te donnes la peine de t’informer ». Une autre ajoute : « Mais une fois que tu les
as rencontrés, que tu as expliqué ce que c’est un enfant
avec une trisomie 21, ce que ça implique pour la vie,
le stress est de beaucoup diminué parce qu’ils ont une
idée de ce que ça représente pour eux ».
Paradigme humaniste des parents
Les parents se situent d’emblée dans le paradigme
humaniste/intégration. Leurs témoignages montrent
l’importance que l’infirmière se préoccupe d’eux, soit
ouverte à leur expérience difficile, qu’elle normalise
leurs émotions contradictoires et les amène à s’ouvrir à
elle.
PARADIGME HUMANISTE/INTÉGRATION
Avant l’intervention, au moment de la naissance de
l’enfant ayant une trisomie 21, les parents entrent dans
une transition pour laquelle ils possèdent peu de
connaissance. Ils désirent alors un expert pour leur
fournir un maximum d’informations sur la pathologie
dont l’enfant est atteint, sur ce qui va se passer et les
traitements disponibles. Or, l’approche, centrée sur
l’expérience des parents, utilisée par l’infirmière fait en
sorte que la relation avec les parents ne se situe pas
dans le paradigme rationnel/catégorisation mais plutôt
dans le paradigme humaniste/intégration. En effet, dès
les premiers instants, l’infirmière est centrée sur les
besoins des parents et leur capacité à faire face à la
situation. Elle leur transmet l’information désirée en
tenant compte de leurs besoins dans le respect de leurs
émotions. Les parents apprécient, à ce moment, le rôle
de guide joué par l’infirmière afin de les aider à rechercher les ressources répondant à leurs besoins.
Certaines conditions d’interaction sont associées à ce
paradigme. Ce sont l’importance du soutien émotionnel reçu, la transmission de l’information sur un mode
d’échange, l’observation et la rétroaction, la mise en
valeur de l’harmonie, du respect et de la disponibilité
de l’infirmière.
SOUTIEN ÉMOTIONNEL
Tous les parents valorisent le soutien émotionnel pour
entrevoir les choses de façon plus positive et prennent
conscience de l’évolution progressive de leurs besoins.
Ils reconnaissent les qualités humaines de l’infirmière,
sa disponibilité pour accueillir l’expression de leurs
émotions. Le soutien offert par l’infirmière est essentiel
au moment de l’annonce du diagnostic de l’enfant.
59
Recherche en soins infirmiers N° 69 - juin 2002
Un parent ajoute : « On a besoin de plus de soutien
émotif au début et par la suite d’informations et de ressources pour répondre à nos besoins ». Les parents
apprécient l’infirmière comme personne-ressource qui
les soutient et les guide à travers leurs émotions.
« L’infirmière m’a écouté, s’est préoccupée de ce que
je vivais et m’a soutenu sans me juger et me faire sentir
coupable de mes pensées ».
MISE EN VALEUR DE L’HARMONIE ET DU RESPECT
Les parents apprécient la présence continue de l’infirmière qui, par son savoir-faire, les aide à mieux comprendre ce que chaque conjoint peut vivre.
« L’infirmière arrivait et nous demandait comment nous
nous sentions. Je l’ai même appelé une fois parce que
ça allait mal avec mon conjoint. Elle est venue me voir
et nous avons parlé. Ça m’a fait du bien, et ça m’a permis de comprendre que je pouvais changer ma perception des événements. Elle s’adressait à moi comme à
une mère puis à mon conjoint comme à un père. Elle
prenait le temps de nous écouter ».
Il importe de préciser que des couples éprouvent de la
difficulté à se donner du temps lorsque l’infirmière le
leur suggère. En effet, bien que l’enfant exige des soins
particuliers, l’infirmière les amène à considérer qu’ils
demeurent un couple. Certains parents disent cependant que cela ne répondait pas à leurs besoins du
moment et que, bien que l’infirmière leur ait souvent
dit de s’occuper d’eux comme couple, ils n’avaient pas
le goût de le faire, n’étant pas rendus à cette étape.
D’autres ajoutent que « ce n’est qu’après un certain
temps qu’ils se sont sentis prêts à mettre en pratique les
suggestions de l’infirmière concernant leur couple ».
VISITE À DOMICILE DE L’INFIRMIÈRE
Les parents apprécient que l’infirmière vienne les voir à
domicile. En effet, sa présence à domicile, son implication, son rôle de liaison avec différentes ressources
et les échanges, particulièrement face au pronostic de
l’enfant et sa manière singulière de se comporter ou de
réagir dans certaines situations, leur permettent de
mieux comprendre la situation dans laquelle ils s’engagent. De plus, l’exploration des ressources disponibles
quant à leurs préoccupations par rapport à l’intégration
sociale de l’enfant prend une grande importance.
TRANSMISSION DE L’INFORMATION PAR L’ÉCHANGE, L’OBSERVA-
par l’entremise de l’infirmière, le document d’information fournit par le programme PRIFAM, lequel portait
sur la stimulation tactile de l’enfant atteint d’une déficience. Ces parents pensent que l’infirmière voulait,
par ce médium, les aider à développer leur sentiment
d’attachement à l’enfant. Certains font référence au fait
que l’infirmière leur a montré comment stimuler l’enfant (p. ex. en faisant du bruit, en lui faisant suivre des
yeux des objets). Ils apprécient « recevoir des conseils
d’une personne experte qui discute des observations
qui sont faites par les parents ». Ils constatent en échangeant avec l’infirmière que l’enfant se développe plus
vite au contact de la fratrie ; ajustent leur perception de
la trisomie 21 en fonction des nouvelles informations
reçues et qu’elle les aide à réfléchir sur ce qu’ils
vivent ». Un autre parent affirme : « Mon infirmière se
sentait concernée par l’évolution de la petite. Elle nous
suggérait des façons de la stimuler et essayait avec
nous de nouveaux jeux. J’aimais quand elle la prenait
et nous disait qu’elle la trouvait belle ».
Paradigme symbiosynergique/transformation
Ce paradigme met en valeur la réciprocité de la relation entre l’infirmière et les parents dans l’expérience
de chacun. Celle-ci sera traitée simultanément.
PARTAGE MUTUEL D’ENSEIGNEMENT
Les infirmières témoignent d’un partage mutuel de l’expérience entre les parents et les infirmières, celles-ci et
d’autres professionnelles, les parents et leurs proches.
Ce partage se situe au plan de l’histoire personnelle,
des soins à donner à l’enfant et mène à des coapprentissages. « Parce que l’histoire des autres te permet de
regarder ta propre histoire, puis l’histoire de ton voisin,
de ta soeur, tu fais des liens avec tout ça. Je pense que
tu ne peux pas départager ». Une infirmière affirme que
des parents lui ont enseigné ce qu’est un enfant atteint
d’une trisomie 21. Elle ajoute qu’elle a su « que c’est
un bébé mou, la colonne, le dos, je ne savais pas moi.
La mère m’a montré la capacité du bébé, comment elle
faisait les exercices et comment cet enfant-là répondait
bien ». Une autre poursuit : « Quand je dis que j’ai
appris beaucoup avec les familles c’est un peu ça
parce qu’ils sont différents de nous. Ils ont un bagage
différent, ils t’apportent bien d’autres choses ».
TION ET LA RÉTROACTION
Les parents reconnaissent que l’infirmière a joué un
rôle significatif pour ce qui a trait à la transmission
d’informations. Un couple de parents dit avoir utilisé,
La possibilité de pouvoir véritablement échanger
lorsque les parents ont besoin d’avoir des éclaircissements sur des questions préoccupantes, situe la relation
des parents avec l’infirmière dans le paradigme sym-
60
Recherche en soins infirmiers N° 69 - juin 2002
PARTENARIAT ET RENOUVELLEMENT
DU PARADIGME ÉDUCATIF EN SCIENCES INFIRMIÈRES
biosynergique/transformation compte tenu qu’il y a
alors l’idée d’un partage de connaissances sur un mode
de collaboration et de réciprocité. En symbiosynergie
avec l’infirmière, certains parents mentionnent les
gestes qui sont posés par elle, qui les ont marqués et
qu’ils ont cherché à reproduire plus tard avec leur
enfant. « L’infirmière m’a fait observer les progrès réalisés par mon enfant et j’ai constaté en discutant avec
elle qu’il se développe plus rapidement que je ne le
croyais ». L’infirmière et les parents apprennent
ensemble le processus de développement de l’enfant
atteint de trisomie 21. Ils apprennent à découvrir son
potentiel physique et intellectuel et son rythme personnel.
RECONNAISSANCE DE L’ÉVOLUTION DE CHAQUE PARTENAIRE
Parents et infirmières ont évolué lors de l’application
du PRIFAM. En effet, une infirmière se rend compte
qu’elle ressort grandie de l’expérience, en ayant fait un
cheminement personnel lequel modifie son approche
d’intervention et l’amène à transformer sa vie personnelle. Du côté des parents, elle conçoit qu’ils avançent, s’expriment sur ce qu’ils vivent et que ça leur fait
du bien. Ils comprennent mieux ce qui les préoccupe.
Cette reconnaissance est mise à jour par la relation de
collaboration qui s’établit entre l’infirmière et les
parents : « Je pense qu’il faut le voir comme une collaboration, un partenariat ». Une infirmière reconnaît
que les parents ont des connaissances. À leur contact,
elle acquiert des connaissances et se rend compte
qu’ils lui apprennent de quelle façon se sortir de situations difficiles. Elle peut transférer ces nouveaux
savoirs dans sa vie personnelle.
SENTIMENT D’UNICITÉ AVEC LES FAMILLES
Au plan des valeurs, les parents disent se transformer.
C’est par l’échange avec des infirmières et des professionnels qui sont ouverts au plan des idées et des émotions, de même que par le contact avec l’enfant, que
ces passages s’effectuent. Il y a eu une véritable transformation des valeurs des infirmières par le contact
avec ces familles. Une autre précise que ses propres
valeurs se sont transformées au contact avec ces
familles. « Je valorise maintenant une approche qui
reconnaît chez les autres leurs valeurs profondes, que
je considère comme une base de respect ». Sur le plan
des valeurs, le sentiment d’unicité avec les familles est
présent dans certains témoignages. Une infirmière s’exprime à ce sujet : « Je me sentais bien avec les familles.
J’avais l’impression d’avancer, que ça leur rendait
quelque chose, j’étais comme une autre personne.
C’était comme pas moi, c’était comme une autre personne qui venait intervenir auprès de ces gens-là. Je
me rendais compte que j’avais intégré des choses avec
lesquelles je n’étais pas familière ». L’unicité s’exprime
aussi dans des gestes concrets. Une infirmière dit avoir
posé des gestes intentionnels destinés au père qui, de
son côté, répondait aux gestes qu’elle posait (Exemple :
prendre l’enfant devant le père pour l’inciter aussi à le
prendre dans ses bras).
À l’occasion, avec l’infirmière mais beaucoup avec
leur enfant, ils vivent des moments privilégiés. Ils se
situent alors dans le paradigme symbiosynergique/
transformation.
Il ressort de l’analyse des résultats que les valeurs d’autonomie, de respect, d’harmonie et de liberté de choix
véhiculées par le PRIFAM, transparaissent dans l’intervention infirmière et font évoluer les infirmières et les
parents. L’intervention infirmière et la relation avec les
familles dépendent de certaines conditions : informer
les parents selon leurs besoins, rejoindre les parents
dans leur milieu de vie, les accompagner, reconnaître
leurs ressources personnelles, les soutenir au besoin au
plan émotif, échanger avec eux et rétroagir dans la
situation. De plus, le partage mutuel de l’expérience,
la reconnaissance que chacun évolue dans la relation
et le sentiment d’unicité propre à l’établissement de la
relation de partenariat jouent un rôle de premier plan
dans la satisfaction des parents et des infirmières de
l’intervention PRIFAM.
Relation de partenariat et PRIFAM
Les théories à la base du PRIFAM se situent en porte à
faux avec le paradigme rationnel/catégorisation généralement adopté par les infirmières, car les fondements
du programme PRIFAM préconisent un type de relation
familles/infirmière axé sur le partenariat, lequel conduit
à l’acquisition de nouveaux savoirs basés sur le partage
des expériences de vie de chacun. Les partenaires s’interinfluencent au jour le jour dans les activités de la vie
quotidienne et de l’intervention, permettant aux
familles de s’adapter à leur nouvelle réalité et aux
intervenants, d’ajuster leurs interventions en fonction
de celles-ci.
Les infirmières arrivent dans la relation avec leur
expertise disciplinaire et suppléent au manque de
connaissances des parents sur les difficultés de l’enfant
en mettant à leur disposition leur savoir. Elles interviennent selon les particularités de chaque situation en
assistant les parents dans leur décision afin qu’ils puissent développer leurs propres ressources et instaurer
61
Recherche en soins infirmiers N° 69 - juin 2002
les changements nécessaires. Elles évaluent les besoins
de concert avec les parents, les orientent, valident leurs
perceptions et les habilitent à utiliser leur répertoire de
compétences et leurs ressources afin de mettre en
place les solutions qui leur paraissent les plus adéquates. Elles gèrent avec les parents la démarche qui
leur permettra de produire les changements souhaités
et de transformer leur expérience pour la rendre positive. Elles s’appliquent à faire circuler l’information
entre les parents afin qu’ils puissent contribuer activement à la formulation et à l’atteinte de leurs objectifs.
Elles activent les ressources des parents afin qu’ils puissent développer de nouveaux savoirs qui les aideront à
résoudre les problèmes liés à la situation et à devenir
autonome dans la gestion de la vie avec cet enfant.
Sans le développement des habiletés de collaboration,
cette démarche constructive est impossible. Il s’agit de
l’écoute réelle de l’autre, de l’ouverture à l’autre, de
l’engagement personnel dans la relation, du dévoilement des intentions de chacun, du respect mutuel des
choix et des compétences de chacun permettant
l’émergence de la créativité dans l’action. La relation
familles/infirmières est basée sur la confiance et l’égalité et se vit dans la réciprocité.
Il est clair que les paradigmes éducatifs et infirmiers
auxquels se lient les conduites des infirmières laissent
apparaître des modes précis d’interaction avec les
familles. En accord avec St-Arnaud (1995) chaque personne qui évolue dans un contexte professionnel structure la relation qu’elle établit avec son interlocuteur. La
structure de la relation est définie en fonction du degré
de contrôle qui est exercé sur l’interlocuteur et du
degré de compétence qui lui est reconnu. Plus la personne considère l’interlocuteur comme étant incompétent par rapport à l’objet de sa pratique, plus il tente de
la contrôler et de contrôler la relation. Lorsque le
contrôle exercé sur la relation est minimal, il s’agit
alors d’un contrôle bilatéral. Dans le cadre de l’intervention PRIFAM, l’infirmière reconnaît la compétence
des parents mais assume au début le contrôle du processus relationnel. Par la suite, au fur et à mesure que
les parents s’approprient leur compétence, le contrôle
de la relation devient bilatéral. L’un des objectifs de
l’infirmière est l’autonomie de la personne et l’établissement d’une collaboration avec les familles.
Le PRIFAM véhicule des valeurs et des croyances qui
soutiennent l’intervention auprès des familles lors de
leur adaptation à l’enfant ayant une déficience et fait
évoluer les parents et les infirmières d’un paradigme à
l’autre.
CONCLUSION
Le PRIFAM donne l’occasion aux infirmières et aux
familles de développer leur capacité réflexive au sujet
de la vie au quotidien avec l’enfant. Pour les infirmières, il offre l’opportunité de réfléchir sur leur pratique et de constater leur évolution professionnelle et
personnelle. Dans le cadre de l’étude rétrospective des
apprentissages, les infirmières évoluent rapidement
vers une relation de collaboration. En effet, en donnant
de plus en plus le contrôle de la situation aux parents
qui sont perçus compétents, les infirmières leur donnent du pouvoir sur les solutions à adopter afin de
favoriser leur appropriation des compétences nécessaires à leur autonomie et à l’adaptation à la situation
avec leur enfant atteint de trisomie 21. Cela fait en
sorte que la responsbilité de trouver les solutions aux
problèmes est partagée entre l’infirmière et les parents.
Les apprentissages réalisés par les infirmières et les
parents sont directement tributaires de la philosophie
et des principes à la base du PRIFAM et des conditions
mises en place dans l’intervention PRIFAM.
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64
Recherche en soins infirmiers N° 69 - juin 2002
R ECHERCHE
Diane Pelchat, Ph.D.1-2 ; Hélène Lefebvre, Ph.D.1-2 ; Michelle Proulx, Ph.D. (cand.) 1;
Mary Reidy, Ph.D.3
SATISFACTION DE PARENTS À LA NAISSANCE D’UN ENFANT
AYANT UNE DÉFICIENCE LORS D’UNE INTERVENTION FAMILIALE
RÉSUMÉ
SUMMARY
Le but de cette étude est d’estimer la satisfaction des
parents à l’égard d’un programme d’intervention
familiale aux plans individuel (cognitif et émotionnel),
conjugal, parental et extra-familial, de même que
l’utilité des documents leur ayant été fournis. La
majorité des parents sont satisfaits du programme
d’intervention. La plupart des parents perçoivent que
l’intervention leur permet de mieux s’adapter à leur
nouvelle situation de parents d’un enfant ayant une
déficience. Ce soutien les amène à reconnaître et
exprimer leurs craintes et leurs émotions et celles de
leur conjoint, à les rassurer face aux soins à donner à
l’enfant et à mieux connaître les ressources disponibles. Les résultats de l’étude montrent qu’il y a des
écarts significatifs selon le sexe du parent, le diagnostic de l’enfant et le niveau de revenus. Les mères
d’enfant ayant une trisomie 21 sont plus satisfaites de
l’intervention au plan émotionnel que les pères; les
familles à faibles revenus sont plus satisfaites de l’intervention que les familles de revenus moyens et
supérieurs en regard de tous les sous-systèmes familiaux et les parents d’enfants ayant une fissure labiale
et/ou palatine sont plus satisfaits de l’intervention au
plan parental que les parents dont l’enfant a une trisomie 21. Ces résultats soulèvent plusieurs questions
qu’une réflexion plus approfondie sur l’adéquation
des programmes d’intervention précoce auprès de
parents d’enfant ayant une déficience ne saurait ignorer. Soulignons les qualités heuristiques de l’approche
évaluative utilisée de même que la pertinence du
questionnaire développé pour évaluer la satisfaction
des familles. Ce questionnaire pourrait éventuellement être appliqué, après adaptation, à d’autres clientèles.
The aim of this study is to estimate parents’ satisfaction following a surgical procedure on their child.
This includes support as well as additional information and documentation for the individual parent
(cognitive and emotional), conjugal, parental and
other family members. The majority of parents are
satisfied with the treatment program, realizing that
the treatment enables them to adapt to their new
situation, that is, as parents of a newborn child suffering from health problems. This support allows them
to recognize and talk about their owns fears and
emotions as well as those of their partner, to be reassured when facing their child’s treatment, and to better understand the available resources. The results of
the study show that there are significant differences
in regards to the sex of the parent, the diagnosis of
the child and the level of income. Mothers of children inflicted with Down’s syndrome are more emotionally satisfied with the treatment than fathers, and
lower income families are more satisfied with the
treatment as well as with the sub-system of family
health-care than middle and upper-income families.
Parents of children with a labial and/or palatine cleft
are more satisfied with the treatment in regards to the
family plan than parents of children with Down’s
syndrome. These results raise several questions that,
with more profound deliberation on the adequacy of
early medical procedures with regards to the parents
of children with health problems, shall not be overlooked. Let us highlight the heuristic qualities of this
evaluative approach which possess the same relevance as the questionnaires developed in order to
assess the families’ satisfaction. After modifications,
these questionnaires could eventually be used on different clientele as well.
Mots-clés : questionnaire de satisfaction, programme
d’intervention familiale, soins infirmiers,
méthode quantitative.
Key-words : Questionnaire of satisfaction, family surgical procedure agenda, nursing care,
quantitative method.
1. Équipe Interdisciplinaire sur la Familiale (ERIFAM), Faculté des sciences infirmières, Université de Montréal
2. Centre de Recherche Interdisciplinaire du Montréal Métropolitain (CRIR)
3. Faculté des sciences infirmières, Université de Montréal
65
Recherche en soins infirmiers N° 69 - juin 2002
PROBLÉMATIQUE
DESCRIPTION DU PROGRAMME
D’INTERVENTION, PRIFAM
Les perceptions des utilisateurs de services sont reconnues comme des données de première main en vue
d’améliorer les soins de santé (Shaffer, Vaughn, Kenner,
Donohue, & Longo, 2000). Peu d’études se sont intéressées à la satisfaction des familles d’enfant ayant une
déficience à l’égard des services médicaux et de santé.
Les quelques études recensées traitent de l’importance
d’une approche centrée sur la famille, d’associer les
parents dans les décisions concernant les soins à l’enfant ayant une déficience et de bien les informer à propos de la déficience de l’enfant et de son traitement
(Jefferey & Boorman, 2001 ; Van Riper, 2001). Or, à
notre connaissance, aucune étude n’a mesuré spécifiquement la satisfaction des familles d’enfant ayant une
déficience à l’égard d’un type d’intervention comme
celui proposé par le programme d’intervention familiale précoce, le PRIFAM. Dans un souci d’améliorer
l’approche d’intervention, l’examen de la satisfaction
de ces familles s’est imposé.
Cette étude s’inscrit dans la volonté d’associer les
familles à l’évaluation des services qui leur sont offerts,
comme ceux proposés par le PRIFAM. Elle constitue un
volet d’un projet de recherche portant sur l’évaluation
des effets du programme d’intervention sur l’adaptation
de familles d’enfant ayant une trisomie 21 et celles
d’enfant ayant une fissure labiale et/ou palatine
(Pelchat, Ricard & Lefebvre, 2001). Dans le cadre des
activités évaluatives du projet, un questionnaire fut
administré aux parents, à la fin de l’intervention, soit 6
mois après la naissance de l’enfant, afin de vérifier leur
satisfaction vis-à-vis du programme d’intervention.
Cet article présente l’appréciation générale des familles
ayant reçu le programme PRIFAM, à propos de l’intervention au plan familial, individuel, conjugal, parental
et extra-familial et à l’égard des documents leur ayant
été remis. Il offre d’abord un profil descriptif des
réponses des parents aux différents énoncés du questionnaire de satisfaction suivi de leurs commentaires.
Ces derniers aideront à interpréter les résultats et à
mettre en contexte leur expérience. Les résultats d’une
série d’analyse sont en dernier lieu présentés, lesquels
visent à déterminer l’effet du sexe du parent, du niveau
de revenu familial et du diagnostic de l’enfant sur les
différentes sous-échelles de satisfaction face à l’intervention.
Le PRIFAM a été conçu, dans le cadre d’une recherche
qualitative, avec la collaboration de cinq couples de
parents d’un enfant ayant une déficience physique. Le
PRIFAM s’écarte des modèles traditionnels biomédicaux fondés uniquement sur l’expertise de l’intervenant
(Pelchat & Berthiaume, 1996). Son approche s’inscrit
dans le courant de l’éducation pour la santé (SandrineBerthon, 2000 ; Bury, 1988). Ce courant reconnaît que
l’efficacité de l’intervention professionnelle est étroitement liée au degré de collaboration qui s’établit entre
les partenaires (Pourtois & Desmet, 1999 ; St-Arnaud,
2001). Dans l’établissement d’un partenariat infirmières-familles, le PRIFAM vise l’autonomie de la
famille, la valorisation et l’actualisation de ses propres
ressources et de celles de l’environnement, de même
que l’appropriation de compétences utiles à son adaptation et à sa transformation dans la prise en charge de
l’enfant (Pelchat, Lefebvre, 2001).
Le programme s’inspire de diverses théories et
approches, soit la théorie psychodynamique de la crise
dans un contexte de deuil (Lindemann, 1944 ; Caplan,
1964), la théorie du stress et de l’adaptation (Lazarus,
Averill, & Opton, 1974), la théorie du stress familial
(Boss, 1988), l’approche systémique et les trois principes fondamentaux d’entrevue familiale : la formulation d’hypothèses, la neutralité et la circularité (SelviniPalazzoli, Boscolo, Cecchin, & Prata, 1980),
l’interdisciplinarité (Rosenkoetter & Stayton, 1997) de
même que le partenariat (Bouchard, 1999 ; St-Arnaud,
2001).
L’originalité du PRIFAM tient à son application dès la
naissance de l’enfant, à l’engagement des deux parents,
au souci de répondre aux besoins de chaque membre
de la famille, à l’importance accordée aux compétences de chacun dans une approche de partenariat
familles-infirmières (Pelchat, 1989). Le programme
favorise, dans la relation infirmière-parents, la transmission et la quête d’informations par les familles ellesmêmes et reconnaît le rôle essentiel de l’information au
niveau de l’adaptation dans les transitions majeures
(Hamburg & Adams, 1967). Il s’appuie sur des valeurs
qui témoignent de l’influence réciproque des participants et favorise le partage de leurs connaissances, de
leurs expériences et de leur être (Michaud, 2000).
L’intervention, dans le cadre du PRIFAM, établit un dialogue (multilogue) intersubjectif entre l’infirmière et la
famille dans le but d’aider la famille à s’adapter à la
66
Recherche en soins infirmiers N° 69 - juin 2002
SATISFACTION DE PARENTS À LA NAISSANCE D’UN ENFANT
AYANT UNE DÉFICIENCE LORS D’UNE INTERVENTION FAMILIALE
transition situationnelle. Les infirmières participantes
au PRIFAM ont reçu une formation comportant un
volet théorique et un volet pratique. Le volet théorique
consiste en une formation intensive portant sur les
théories du PRIFAM, les principes de l’interdisciplinarité et de l’intervention familiale systémique auprès des
familles vivant une situation de stress ainsi que sur les
principes d’autodétermination et d’appropriation par la
famille de compétences dans la prise en charge d’un
enfant ayant une déficience (Dunst, Trivette, & Deal,
1998). Le volet pratique comprend l’application du
PRIFAM par les infirmières auprès des familles et leur
suivi lors des rencontres de groupe rétroactives. Ces
rencontres visent à susciter l’introspection des infirmières et la réflexion en groupe sur leur pratique, leurs
valeurs et leurs attitudes, croyances et préjugés concernant la famille et la déficience de l’enfant.
l’enfant. Le nombre de rencontres est déterminé en
fonction des besoins des parents.
Au cours de l’intervention, l’infirmière explore les facteurs influençant la perception de la situation par les
parents. Elle renforce les croyances facilitant la vie
avec l’enfant et questionne les croyances contraignantes. Elle encourage le parent à exprimer ses émotions et à interagir avec le nouveau-né. Pour y arriver,
elle accorde son rythme à celui des parents et privilégie certaines interventions : normalisation de l’expérience des parents, valorisation de leurs habiletés adaptatives, appropriation de leurs propres sentiments de
compétence, soutien mutuel des conjoints, recours au
soutien de la famille élargie et utilisation des ressources
alternatives.
Les objectifs d’intervention du PRIFAM sont axés sur
les quatre sous-systèmes de la famille : individuel,
conjugal, parental et extrafamilial (tableau I).
DESCRIPTION DE L’APPLICATION DU PRIFAM
L’intervention consiste en une série de six à huit rencontres de l’infirmière avec la famille. Deux à trois de
ces rencontres sont effectuées à l’hôpital, la première
ayant lieu quelques heures après la naissance de l’enfant et les autres, selon les besoins des parents.
L’infirmière accompagne le médecin au moment de
l’annonce aux parents de la déficience de l’enfant ou
rencontre les parents immédiatement après l’annonce.
Par la suite, quatre à six rencontres ont lieu au domicile familial durant les six premiers mois de la vie de
Sous-systèmes
Individuel
Au fil des rencontres et selon les besoins des parents,
des documents écrits leur sont remis. Tous les parents
reçoivent un document intitulé ¨Accueil de notre nouveau-né ayant un problème de santé¨. Ce document
présente les différents systèmes d’adaptation familiale
et vise à permettre aux parents de reconnaître leurs
différentes émotions. Il a pour but de leur permettre
de s’identifier à d’autres parents ayant vécu une situation difficile, de favoriser la ¨normalisation¨ de leurs
réactions et de les aider à sortir de l’isolement. Un
autre document intitulé ¨Stimulation et développement de l’enfant¨ vient outiller les parents en leur
fournissant des méthodes de stimulation de l’enfant.
D’autres documents sont remis exclusivement aux
Objectifs spécifiques
• Émotionnel : aider les parents à progresser dans le processus de deuil de l’enfant désiré
« parfait ».
• Cognitif : favoriser chez chacun des parents une compréhension réaliste de la situation
par l’identification des perceptions et des croyances relatives à la situation : ébranler
celles qui nuisent et renforcer celles qui favorisent l’adaptation.
Conjugal
• Aider les conjoints à mieux comprendre l’expérience de l’autre et à se soutenir mutuellement
dans le processus de deuil de l’enfant désiré « parfait ».
Parental
• Favoriser une relation de confiance entre les parents et l’enfant et l’évolution positive
du processus d’attachement.
Extrafamilial
• Aider les parents à conserver des relations significatives avec l’entourage et à utiliser le plus
efficacement possible les ressources du milieu et l’aide des professionnels de la santé
Tableau 1. Objectifs spécifiques du PRIFAM (Pelchat, 1989).
67
Recherche en soins infirmiers N° 69 - juin 2002
familles dont l’enfant a une fissure labiale et/ou palatine. L’un d’eux illustre, à l’aide d’une plaquette, les
différents degrés de fissures avant et après l’opération.
Un autre vise à favoriser une compréhension de la
déficience de l’enfant et des soins à lui donner. Un
document du même type est remis aux familles dont
l’enfant a une trisomie 21.
MÉTHODOLOGIE
La recherche quasi-expérimentale dont est issue la présente étude avait pour but d’évaluer l’efficacité du PRIFAM à favoriser l’adaptation des familles d’enfant ayant
une déficience. Il vise à évaluer les variations quant
aux effets de l’intervention sur l’adaptation familiale
selon le temps de mesure, le type de déficience de
l’enfant et le sexe du parent. Deux groupes de parents
ont participé à la recherche, soit un groupe expérimental formé de 47 couples de parents ayant bénéficié du
programme d’intervention et un groupe de comparaison, formé de 53 couples de parents (Pelchat, Bisson,
Ricard, Perreault, & Bouchard, 1999). Deux types de
déficience sont retenus, la trisomie 21 et la fissure
labiale et/ou palatine. Ces déficiences présentent des
caractéristiques distinctes et risquent d’affecter différemment l’adaptation des familles. Au Québec, la fissure labiale palatine affecte un enfant par 1000 naissances et la trisomie 21, environ un enfant par 800
naissances (Laframboise, 1996 ; Rogers & Roizen,
1991). La fissure labiale et/palatine est une déficience
physique, apparente à la naissance, qui se corrige par
chirurgie, bien que des problèmes de langage, de dentition et d’audition puissent se manifester au cours du
développement de l’enfant (Speltz, Greenberg, Endriga,
& Glabreath, 1994). Ces enfants présentent à la naissance des problèmes d’alimentation d’importance
variable selon le type de fissure. Une première chirurgie correctrice a lieu à trois mois de vie de l’enfant
pour la fissure labiale et une seconde, à 12 mois pour
la fissure palatine. Quant à la trisomie 21, elle
implique une déficience motrice et intellectuelle dont
le diagnostic est généralement établi à la naissance.
Ces enfants présentent un tonus musculaire diminué
qui interfère avec la capacité de succion, la motricité
fine, globale et l’élocution. La prise de conscience par
les parents des différences entre leur enfant et les
enfants sans atteinte est de plus en plus prononcée à
mesure que l’enfant avance en âge (Pelchat, et al.,
1999).
ECHANTILLON
Le questionnaire de satisfaction fut remis à chacun des
parents lors de la dernière rencontre du programme
d’intervention, soit 6 mois après la naissance de l’enfant. Il fut recueilli la semaine suivante. Sur les 94
parents de l’étude longitudinale, 76 ont répondu au
questionnaire pour un taux de réponse de 80 %.
L’échantillon compte 36 familles biparentales (n = 72),
3 familles dont un des conjoints n’a pas répondu et 1
famille monoparentale. Les répondants sont répartis de
façon équivalente selon le sexe du parent et le diagnostic de l’enfant. L’échantillon est composé de vingt (20)
mères et dix-neuf (19) pères d’enfant ayant une trisomie 21 et dix neuf (19) mères et dix-huit (18) pères
d’enfant ayant une fissure labiale ou palatine.
Un peu moins de la moitié des parents, soit 45,7 %,
sont âgés de 35 ans et plus. Un peu plus de la moitié,
soit 53 %, détiennent onze années de scolarité ou
moins et 47 % ont fréquenté le CEGEP, l’ont complété
ou détiennent une formation de niveau universitaire. Le
tiers des répondants (n = 23) disposent d’un revenu
inférieur à $30,000. Les autres (n = 53) ont un revenu
moyen à supérieur.
DESCRIPTION DU QUESTIONNAIRE DE SATISFACTION
Le questionnaire fut développé en s’appuyant sur les
objectifs d’intervention proposés par le PRIFAM et
comprend les sous-échelles suivantes : 1) individuelleémotionnelle (e.g. dans quelle mesure les rencontres
ont-elles permis de mieux comprendre vos façons personnelles de réagir dans une situation difficile ?),
2) individuelle-cognitive (e.g. dans quelle mesure les
rencontres vous ont aidés à mieux comprendre la situation difficile que vous avez vécue ?), 3) conjugale (e.g.
dans quelle mesure les rencontres ont-elles favorisé le
dialogue, l’expression de vos pensées, de vos émotions
avec votre conjoint-e ?), 4) parentale (e.g. dans quelle
mesure les rencontres vous ont aidé à reconnaître les
capacités de votre bébé ?), et 5) extra-familiale (e.g.
dans quelle mesure les rencontres vous ont permis
d’exprimer vos craintes face aux réactions de l’entourage ?). A cela s’ajoute une sixième sous-échelle visant
à mesurer la satisfaction à l’égard des documents écrits
remis aux parents dans le cadre de l’intervention (e.g.
dans quelle mesure le document ¨Accueil de votre
nouveau-né¨ vous a permis de mettre en mots des émotions que vous viviez ?). Les parents sont également
invités à formuler leurs commentaires à chacune des
questions. Ceux-ci servent à justifier leurs réponses au
questionnaire.
68
Recherche en soins infirmiers N° 69 - juin 2002
SATISFACTION DE PARENTS À LA NAISSANCE D’UN ENFANT
AYANT UNE DÉFICIENCE LORS D’UNE INTERVENTION FAMILIALE
Chacune des sous échelles comprend de 5 à 6 énoncés
de type Likert, codés de 1 à 4 (« beaucoup », « passablement », « un peu », « pas du tout »). Au total, le questionnaire comporte 41 questions pour les parents d’un
enfant ayant une trisomie 21 et 42, pour les parents
d’un enfant ayant une fissure labiale et/ou palatine
(*une question est ajoutée pour ces familles traitant de
différents types de fissures).
Le questionnaire fut développé et une validation de
son contenu fut effectuée, après avoir discuté de sa formulation et de sa pertinence théorique, par deux infirmières-cliniciennes oeuvrant auprès de familles d’un
enfant ayant une déficience et ayant une bonne
connaissance du programme d’intervention. Le questionnaire fut modifié pour être ensuite soumis à 5
couples de parents en vue de vérifier leur compréhension. Il fut par la suite administré aux parents du projet
de recherche. Les données sont saisies, puis analysées
à l’aide du logiciel SPSS. À cette étape, une analyse de
facteurs confirme globalement la structure attendue,
celle où les énoncés se regroupent autour des cinq
sous-échelles faisant appel aux sous-systèmes familiaux. Des analyses de consistance interne montrent la
fiabilité de ces cinq sous-échelles. Tous les coefficients
alpha de Cronbach sont au-dessus de 0.80, ce qui justifie l’utilisation de la moyenne des items comme score
global pour chacun des plans familiaux. Une analyse
de facteurs a été effectuée sur la sixième sous échelle
mesurant la satisfaction des parents à l’égard des documents écrits. L’analyse confirme la validité de ce dernier construit.
ANALYSE
Des pourcentages et des scores ont été calculés pour
chacune des sous-échelles afin d’estimer les taux de
satisfaction des parents. Ces calculs sont effectués en
utilisant la moyenne des réponses aux énoncés pour
chacune d’elle. Des tests fondés sur l’approximation
par la loi normale sont réalisés sur les pourcentages
afin de vérifier l’hypothèse d’égalité des proportions
entre les quatre options de réponses regroupées selon
que les parents sont satisfaits (1 = beaucoup, 2 = passablement) ou insatisfaits (3 = un peu, 4 = pas du tout).
Ce regroupement entre parents « satisfaits » et « insatisfaits » est retenu parce qu’il permet de mieux rendre
compte des tendances chez les parents sur le plan de
leur satisfaction au PRIFAM. Notons que les scores
varient de 1 à 4 ou de 1 à 5 selon le nombre de questions par sous-échelles. Plus le score total est minimal
et plus les parents sont satisfaits. Les taux de satisfaction obtenus sont examinés à la lumière des commen-
taires ayant été formulés par les parents. Ceux-ci sont
synthétisés puis ajoutés aux résultats descriptifs.
Des moyennes et des écarts-type ont aussi été calculés
et des analyses de variance, effectuées, afin de déterminer l’effet du sexe, du diagnostic de l’enfant et du
revenu ainsi que de l’interaction possible entre ces
trois facteurs sur les différentes sous-échelles de satisfaction. Il s’agit de facteurs d’intérêt pour les chercheurs compte tenu des expériences cliniques et de
recherche de ceux-ci. Les écrits témoignent en effet
d’une association entre la perception de la sévérité de
la déficience de l’enfant par les parents et l’intensité
des difficultés d’adaptation qu’ils vivent (Breslau,
Staruch, & Mortimer, 1982 ; Bristol, Gallagher, &
Schopler, 1988 ; Pelchat, et al., 1999). Ils confirment
également l’existence d’importantes différences entre
les pères et les mères en ce qui concerne l’adaptation à
l’enfant (Beckman, 1991 ; Bristol et al., 1988, Kazak,
1987 ; Pelchat, et al., 1999) et font voir une association
entre les ressources financières et matérielles dont disposent ces familles et des problèmes d’adaptation
(Shonkoff, Hauser-Cram, Krauss, & Upshur, 1992 ;
Sameroff, Seifer, Barocas, Zax, & Greenspan, 1987 ;
Floyd & Saitzyk, 1992). Soulignons que les études qui
se sont intéressées aux caractéristiques sociodémographiques (éducation, statut social et revenu), au sexe et
à l’âge de l’individu, en lien avec la satisfaction à
l’égard des services médicaux, montrent que le statut
social et l’éducation sont généralement associés à la
satisfaction. Le lien entre le sexe de l’individu et la
satisfaction demeure cependant controversé (Hall &
Dornan, 1990).
RÉSULTATS
Les taux de satisfaction des parents à l’égard des quatre
sous-systèmes familiaux (individuel émotionnel et
cognitif, conjugal, parental et extra-familial) et des
documents qui leur ont été remis, sont présentés. Ces
résultats sont accompagnés des commentaires formulés par les parents. L’effet du sexe du parent, du niveau
de revenu familial et du diagnostic de l’enfant sur différentes sous-échelles de satisfaction face au PRIFAM,
sont aussi décrits.
69
Recherche en soins infirmiers N° 69 - juin 2002
PLAN INDIVIDUEL :
ÉMOTIONNEL ET COGNITIF
Les parents perçoivent positivement les différents
aspects du programme sur les quatre sous-systèmes
familiaux. C’est au plan individuel-émotionnel
(Tableau 2) qu’ils ont le plus bénéficié de l’intervention. Les taux de satisfaction varient entre 65 et 84 % et
tous présentent une différence significative. Les parents
sont particulièrement satisfaits d’avoir pu exprimer
leurs craintes et leurs préoccupations, leurs émotions
positives et négatives, d’avoir pu comprendre leur
façon personnelle de réagir et de s’être sentis moins
seuls.
Des parents disent qu’à l’arrivée de l’enfant, ils étaient
très inquiets. Ils admettent que l’intervention les a aidés
à surmonter leurs craintes. Certains se sentaient incapables de passer au travers de cette situation difficile.
D’autres craignaient la mort de leur bébé ou se préoccupaient de sa malformation. Des parents expriment à
quel point ils apprécient d’avoir pu verbaliser leurs
émotions avec l’infirmière. Ils notent qu’en discutant
avec elle, ils ont été amenés à voir que leurs émotions
sont normales et légitimes compte tenu de la situation.
Ils ont pu en parler sans se culpabiliser et leurs émotions se sont peu à peu dissipées. « Cela m’a aidé à
m’exprimer sans me culpabiliser ou toujours se faire
dire que ce n’est pas si pire que ça ». Certains parents
ressentaient de la culpabilité ou avaient tendance à
dramatiser la situation et à se sentir peu en sécurité. Ils
reconnaissent l’apport de l’intervention. « La première
rencontre m’a permis de dédramatiser les torts que je
m’attribuais alors que j’avais pris des médicaments
durant ma grossesse ». Le fait de ne pas savoir où ils
vont ou à quoi s’attendre dans une telle situation, a
posé des difficultés pour d’autres. Certains ajoutent que
par l’intervention, ils ont l’impression d’avoir été guidés dans cette situation difficile. « Dans toutes les situaPlan individuel-émotionnel
tions difficiles, c’est de ne pas savoir où on s’en va qui
fait peur. Mais avec les rencontres, nous avons été guidés. On nous a donné de bons outils et un bon soutien
moral ». D’autres parents, moins nombreux, disent ne
pas avoir eu besoin d’exprimer leurs émotions auprès
de l’infirmière, car ils possédaient déjà les ressources
nécessaires. Ceux-ci considèrent qu’elles sont du
domaine privé et ne concernent pas l’infirmière.
D’autres encore précisent qu’ils éprouvaient, au début,
des difficultés à s’exprimer ou ne voulaient pas, à ce
moment, parler avec l’infirmière de ce qu’ils ressentaient. « Mes émotions sont personnelles même pour en
partager avec l’infirmière ».
Les parents sont très satisfaits de l’intervention au plan
individuel-cognitif (Tableau 3). Les taux de satisfaction
varient entre 71 et 84 % et une différence significative
est notée pour 4 de ces taux (1,2,3,6). L’intervention a
surtout aidé les parents à mieux comprendre la situation difficile qu’ils vivent et à clarifier l’information
reçue des autres. Elle les aide à mieux comprendre le
problème de l’enfant et leurs besoins. L’intervention a
par contre moins contribué à mieux comprendre la
cause de la déficience de l’enfant (57 %) et à corriger
des informations erronées reçues à ce sujet (58 %). Les
taux de satisfaction sont relativement bas pour ces
deux énoncés et ne montrent aucune différence significative. La formulation de ces 2 énoncés a pu prêter à
confusion. Par exemple, des parents ont répondu à
l’énoncé 4, que l’intervention n’a pas contribué à
mieux comprendre la déficience de leur enfant,
puisque, dans les faits, la science méconnaît les causes
exactes de la déficience dont leur enfant est atteint.
« On a beau fouiller dans toutes les informations, on ne
sait toujours pas pourquoi notre enfant est comme ça ».
D’autres parents témoignent, à l’énoncé 5, du fait que
l’intervention n’a pas contribué à corriger des informations erronées parce qu’ils n’ont pas reçu de fausses
informations.
Moyenne
Écart-type
% favorable
% défavorable
P<*
1.Comprendre vos façons personnelles de réagir
1.79
1.04
76.3
23.7
.0001*
2.Exprimer vos préoccupations et craintes
1.47
.92
84.2
15.8
.0001*
3.Exprimer vos émotions négatives
2.00
1.17
64.5
35.5
.0115*
4.Exprimer vos émotions positives
1.78
1.03
77.6
22.4
.0001*
5.Vous sentir moins seul-e
1.76
1.06
75.0
25.0
.0001*
Moyenne
1.76
1.04
75.52
24.48
.0100*
*valeur-p inférieure ou égale à 0.05 est considérée significative
Tableau 2. Satisfaction des parents au plan individuel-émotionnel, n=76
70
Recherche en soins infirmiers N° 69 - juin 2002
SATISFACTION DE PARENTS À LA NAISSANCE D’UN ENFANT
AYANT UNE DÉFICIENCE LORS D’UNE INTERVENTION FAMILIALE
Plan individuel-émotionnel
Moyenne
Écart-type
% favorable
% défavorable
P<*
1. Mieux comprendre situation difficile vécue
1.58
.85
84.2
15.8
.0001*
2. Mieux comprendre le problème de l’enfant
1.72
.99
77.6
22.4
.0001*
3. Clarifier l’information reçue des autres
1.71
1.00
78.9
21.1
.0001*
4. Comprendre cause du problème de l’enfant
2.29
1.21
56.6
43.4
.2498
5. Corriger les fausses information sur la cause
du problème
2.26
1.32
57.9
42.1
.1684
6. Comprendre ses besoins
1.79
1.06
71.1
28.9
.0002*
Moyenne
1.89
1.07
71.05
28.95
.0002*
*valeur-p inférieure ou égale à 0.05 est considérée significative
Tableau 3. Satisfaction des parents sur le plan individuel-cognitif, n=76
Le besoin d’information est pourtant grand chez les
parents comme l’indiquent plusieurs d’entre eux. Par
des informations précises, certains sont amenés à
démystifier le problème de l’enfant. L’information est
déterminante pour comprendre le problème de l’enfant. Des informations claires et objectives, particulièrement durant les premiers mois après la naissance de
l’enfant, des références à des ressources et une diversité de services, sont obtenues. « Plutôt au début, parce
que l’intervenante est l’une des premières personnes
rencontrées. Il est quand même toujours difficile de
comprendre ». La plupart des parents accumulent une
masse d’informations de sources diverses (e.g. médecin, infirmière en milieu hospitalier, travailleuse
sociale). Il leur faut trier cette information et l’infirmière les guide dans ce tri. Elle aide des parents à aller
plus en profondeur sur certaines questions qui les préoccupent.
Plan parental
PLAN CONJUGAL
La contribution de l’intervention à l’adaptation au plan
conjugal (Tableau 4) est positive pour 2 énoncés. Les
taux de satisfaction varient entre 58% et 66% et une différence significative est notée pour 2 de ces taux, soit
l’énoncé 1, la contribution de l’intervention à favoriser
le dialogue entre conjoints (66%, p =.0059), et l’énoncé
3, la contribution de l’intervention à accepter les sentiments et les émotions du conjoint (65%, p =.0115).
Plusieurs parents formulent des commentaires faisant
écho à l’impact de l’intervention sur le plan du dialogue
dans leur couple. Certains d’entre eux reconnaissent
que la naissance d’un enfant ayant une déficience a un
impact sur la vie de couple et sont satisfaits de l’intervention sur ce plan. «Dans cette nouvelle vie, on oublie
beaucoup le couple. C’est une course perpétuelle, ce
Moyenne
Écart-type
% favorable
% défavorable
P<*
1.Dialoguer avec conjoint-e
2.11
1.10
65.8
34.2
.0059*
2.Comprendre besoins du conjoint-e
2.20
2.12
57.9
42.1
.1684
3.Accepter sentiments et émotions du conjoint
2.04
1.08
64.5
35.5
.0115*
4.Exprimer vos besoins envers conjoint
2.17
1.18
57.9
42.1
.1184
5.Reconnaître vos forces, habiletés comme conjoint
2.20
1.10
60.5
39.5
.0671
Moyenne
2.14
1.12
61.32
38.68
0.070
*valeur-p inférieure ou égale à 0.05 est considérée significative
Tableau 4. Satisfaction des parents sur le plan conjugal, n=76
71
Recherche en soins infirmiers N° 69 - juin 2002
qui fait que nous oublions de communiquer». D’autres
affirment que la naissance d’un enfant ayant une déficience peut être source de quiproquos dans le couple ou
peut avoir pour effet le repli sur soi. L’intervention permet en quelque sorte de reconnaître la nécessité de
communiquer entre conjoints, de comprendre la situation ensemble, par le dialogue. «Il y a beaucoup de malentendus dans le couple et en parlant avec l’intervenante, je pouvais, par la suite, discuter plus ouvertement
avec mon conjoint». Certains parents constatent à quel
point l’intervention leur permet de parler de leur sentiment à leur conjoint sans que cela ne soit menaçant.
Les parents expriment par contre des opinions partagées
quant à la contribution de l’intervention pour comprendre les besoins de leur conjoint, leurs besoins
mutuels et reconnaître leurs forces de même que leurs
habiletés comme conjoints. Les taux de satisfaction
varient entre 58 et 61% et ne montrent pas de différence
significative sauf pour l’item 5, qui se situe au seuil de
signification. Des parents moins satisfaits de l’intervention, disent qu’ils avaient déjà une excellente connaissance de leurs besoins mutuels et n’avaient pas besoin
du soutien de l’infirmière sur ce plan. D’autres indiquent
que, sans les rencontres avec l’infirmière, les choses se
seraient probablement passées de la même manière sur
le plan de l’expression de leurs besoins dans le couple.
D’autres disent connaître, bien avant l’intervention, leurs
forces et leurs habiletés comme conjoints.
PLAN PARENTAL
Au plan parental, l’intervention a particulièrement
contribué à permettre (Tableau 5) l’expression des
Plan parental
parents de leurs craintes face aux soins à donner à l’enfant (70 %, p =.0006). Plusieurs d’entre eux reconnaissent qu’ils sont craintifs sur ce plan. Avec le recul, certains pensent qu’un parent d’enfant ayant une
déficience a particulièrement besoin d’être rassuré, car
il a toujours l’impression de ne pas en faire suffisamment. De nouveaux parents étaient craintifs au
moment d’alimenter leur nouveau-né avec de la nourriture solide ou craignaient qu’il ne s’étouffe avec ses
sécrétions. « Lorsqu’il s’étouffait avec ses sécrétions au
début ». L’infirmière les sécurise. Certains pensent que
ces craintes sont légitimes et sont exacerbées du fait de
la déficience de l’enfant et qu’il s’agit du premier
enfant. « Dès que c’est un premier enfant, on ne sait
pas trop quoi faire, surtout avec un comme ça ». Des
parents apprécient avoir pu exprimer leurs craintes,
surtout lors des premières rencontres avec l’infirmière
ou encore, au moment où des décisions importantes
sont prises, comme lorsque l’enfant a dû subir une opération. Ils trouvent important d’être rassurés à propos
de ce qu’ils font, d’être compris, encouragés et amenés
à se faire confiance. Certains ajoutent qu’ils ont besoin
de parler de ce qu’ils font avec l’enfant et de se faire
dire que c’est bien. « J’ai été satisfait par l’intervention,
par le réconfort que j’ai senti, en parlant de ce je faisais
puis que je savais que c’était correct ».
Les parents reconnaissent moins la contribution de l’intervention à connaître le tempérament de l’enfant
(énoncé 2), à comprendre ses besoins (énoncé 3) et ses
capacités (énoncé 1), à reconnaître l’importance de
leur rôle comme parents (énoncé 5) de même que leurs
forces et habiletés comme parents (énoncé 6). Les taux
de satisfaction varient entre 40 à 60 % et ne présentent
aucune différence significative. Certains parents reconnaissent les capacités de leur enfant grâce à l’éducatrice, l’ostéopathe, la physiothérapeute ou l’ergothéra-
Moyenne
Écart-type
% favorable
% défavorable
P<*
1. Connaître les capacités du bébé
2.08
1.22
59.2
40.8
.1087
2. Connaître le tempérament du bébé
2.68
1.18
39.5
60.5
.0725
3. Connaître et comprendre les besoins de l’enfant 2.22
1.13
52.6
47.4
.6503
4. Exprimer vos craintes face aux soins à donner
à l’enfant
1.99
1.13
69.7
30.3
.0006*
5. Connaître l’importance de votre rôle parental
2.33
1.25
56.6
43.4
.2490
6. Connaître vos forces et habiletés comme parent 2.25
1.11
57.9
42.1
.1684
1.17
55.92
44.08
.2400
Moyenne
2.26
*valeur-p inférieure ou égale à 0.05 est considérée significative
Tableau 5. Satisfaction des parents au plan parental, n=76
72
Recherche en soins infirmiers N° 69 - juin 2002
SATISFACTION DE PARENTS À LA NAISSANCE D’UN ENFANT
AYANT UNE DÉFICIENCE LORS D’UNE INTERVENTION FAMILIALE
peute. D’autres précisent que c’est en vivant au quotidien avec l’enfant, qu’ils sont en mesure de reconnaître
ses capacités et de comprendre ses besoins. « Les
besoins de l’enfant, on les voit au jour le jour ».
Certains parents étaient déjà sensibilisés à leur rôle de
parents lors de la naissance de celui ayant une déficience.
Un taux de satisfaction relativement bas est obtenu à
l’énoncé 2, la contribution de l’intervention à
connaître le tempérament de l’enfant (39.5 %, p
=.0725). Cet énoncé n’était peut-être pas approprié
compte-tenu de l’âge de l’enfant au moment de l’intervention. En effet, certains parents disent qu’au moment
de l’entrevue, ils n’avaient pas encore découvert le
tempérament de leur enfant étant donné son jeune âge.
« Il est trop jeune, il agit comme un enfant normal ». Il
apparaît que le temps a un rôle à jouer à cet égard.
peute, orthophoniste, éducateur), établissements spécialisés (p. ex. La Maisonnée, Le Relais) et l’aide gouvernementale disponible (p. ex. Info-Santé, CLSC).
Les opinions sont cependant partagées en regard des
autres énoncés (énoncés 1,2,3,4). Il semble, en fait,
que des parents n’avaient pas vraiment de craintes face
aux réactions de l’entourage et se sentaient relativement à l’aise avec ces réactions, qu’ils n’ont pas de
besoins d’aide et de soutien particulier face à l’entourage. Certains parents notent que, pour eux, la déficience de l’enfant ne représente pas une situation difficile. D’autres indiquent qu’ils ne se sentent pas mal à
l’aise face à l’entourage et n’ont pas de difficultés à
exprimer leurs besoins. « Lorsque j’ai eu besoin d’aide,
j’en ai demandé, mais je ne crois pas que c’est l’intervention qui a fait que j’ai demandé de l’aide ». « Ce
n’était pas une priorité, mais lorsqu’on rencontrait une
difficulté, on pouvait demander ». D’autres encore précisent que, quelles que soient les circonstances, ils ont
tendance à faire appel à leur entourage immédiat.
PLAN EXTRA-FAMILIAL
Les taux de satisfaction des parents au plan extra-familial sont variables (Tableau 6). Ils varient de 44 à 74 %.
Une différence significative est notée pour 2 de ces
taux. Les parents apprécient que l’intervention les ait
amenés à évaluer l’utilité des ressources disponibles
(74 %, p =.0001) et à connaître ces ressources (69 %, p
=.0080). Certains disent qu’ils ont été amenés à
côtoyer une diversité de ressources, à connaître
diverses associations de parents d’enfant ayant une
déficience, des cliniques des centres hospitaliers (p. ex.
Clinique de l’Hôpital Ste-Justine, de l’Hôpital Montréal
pour enfants), différents spécialistes (p. ex. physiothéraPlan extra-familial
SATISFACTION À L’ÉGARD
DES DOCUMENTS ÉCRITS
Dans une forte proportion, les parents apprécient de
recevoir une information écrite (Tableau 7). Les taux de
satisfaction varient de 61 à 85% et une différence significative est notée pour 4 des 6 énoncés. Le nombre de
répondants varie cependant d’un document à l’autre,
passant de 36 à 67 répondants. Des parents n’ont pas
répondu à certains énoncés, car ils n’avaient pas lu un
ou plusieurs de ces documents ou ne les ont pas reçus.
Moyenne
Écart-type
% favorable
% défavorable
P<*
1.Exprimer craintes vs réactions de l’entourage
2.32
1.21
52.0
48.0
.7290
2.Vous sentir à l’aise vs réaction de l’entourage
2.41
1.20
53.3
46.7
.5760
3.Identifier vos besoins de la part de l’entourage
2.65
1.20
44.0
56.0
.2987
4.Exprimer vos besoins d’aide et de soutien
2.67
1.09
44.0
56.0
.2987
5.Connaître les ressources d’aide
1.81
1.07
69.3
30.7
.0080*
6.Évaluation de l’utilité des ressources
1.91
1.05
73.3
26.7
.0001*
Moyenne
2.30
1.14
55.98
44.0
.4000
*valeur-p inférieure ou égale à 0.05 est considérée significative
Tableau 6. Satisfaction des parents au plan extra-familial, n=75
73
Recherche en soins infirmiers N° 69 - juin 2002
Documents
n
Moyenne
Écart-type
% favorable
% défavorable
P<*
1. Utilité de la plaquette sur types
de fissure
33
1.15
.36
84.8
15.2
.0001*
2. Impact document sur conceptualisation
des émotions
63
1.35
.48
65.1
34.9
.0165*
3. Impact document sur échanges
conjugaux
59
1.39
.49
61.0
39.0
.0911
4. Impact document sur compréhension
problème enfant
67
1.15
.36
85.1
14.9
.0001*
5. Impact document sur soins aux enfants
66
1.38
.49
62.1
37.9
.0492*
6. Utilité du document sur la stimulation et
développement de l’enfant
57
142
.50
57.9
42.1
.2329
1.31
.45
69.3
30.6
.
Moyenne
58
*valeur-p inférieure ou égale à 0.05 est considérée significative
Tableau 7. Satisfaction des parents à l’égard des documents reçus.
Les parents satisfaits du document portant sur la fissure
labiale et/ou palatine, affirment que les informations
sont claires et suffisantes. Certains se sont référés à ce
document dès le retour de leur enfant à la maison pour
savoir comment le faire boire. « Surtout la première
nuit du retour à la maison, je m’y suis référé concernant le biberon ». Certains pensent que ce document
devrait être disponible dans les hôpitaux.
Des parents apprécient également le document portant
sur l’accueil du nourrisson, lequel permet de confirmer
ce qu’ils ressentent déjà. « Le rêve d’un bébé parfait
éclaté… c’est ce que je ressentais ». D’autres sont satisfaits du document traitant de la stimulation et du développement de l’enfant. Celui-ci est utile pour connaître
quelques trucs pratiques avant de rencontrer un spécialiste (e.g. éducatrice, pédiatre, physiothérapeute). Des
parents insatisfaits indiquent qu’ils n’ont pas lu ce
document, car ils n’en ressentaient pas le besoin.
Certains parents indiquent qu’ils ont eu recours aux
documents de façon progressive. « Sur le coup, au
début, on les dévore sans comprendre, mais à mesure
que le bébé grandit, on les relit et relit et on comprend
mieux. On est dans le sujet. On vit la situation ».
Concrètement, les documents aident à trouver des
réponses aux questions qu’ils se posent graduellement.
« À comprendre ce qui se passait autour de moi. La
plupart des questions qu’on s’est posé, il y avait la
réponse à l’intérieur et cela nous a aidés. Avoir les
vraies informations concernant le problème de mon
enfant, c’est très important ». Chez les parents qui ont
peu recours aux documents, c’est plutôt l’infirmière qui
a été utile pour obtenir de l’information.
EFFET DU SEXE, DU REVENU ET DU
DIAGNOSTIC SUR LES NIVEAUX
DE SATISFACTION.
La satisfaction des parents varie d’un plan à l’autre
selon le diagnostic de l’enfant, le sexe du parent et le
niveau de revenu. Les écarts les plus significatifs se
situent au niveau des pères d’enfants ayant une trisomie 21. En effet, les mères d’enfant ayant une trisomie
21 (valeur-p = 0.0415) et les parents d’enfant ayant une
fissure labiale et/ou palatine (moyenne = 1.5) sont
davantage satisfaits de l’aide reçue au plan émotionnel
(moyenne = 1.7) que les pères d’enfant ayant une trisomie 21 (moyenne = 2.4).
Le revenu (moins de 30 000$ vs 30 000$ et plus) a un
effet significatif sur la satisfaction au plan individuelcognitif (p = 0.0005), conjugal (p = 0.0082), parental
(p = 0.0068) et extra-familial (p = 0.0008). Les parents
ayant des revenus inférieurs sont significativement plus
satisfaits de l’intervention que les parents qui ont des
revenus moyens ou supérieurs, au plan individuel-
74
Recherche en soins infirmiers N° 69 - juin 2002
SATISFACTION DE PARENTS À LA NAISSANCE D’UN ENFANT
AYANT UNE DÉFICIENCE LORS D’UNE INTERVENTION FAMILIALE
cognitif et extra-familial. L’examen des scores moyens
montre que les parents de faible revenu témoignent
d’une très grande satisfaction sur ces plans, alors que
les parents de revenu moyen ou supérieur ne démontrent pas une aussi grande satisfaction, bien que celleci demeure positive. Au plan conjugal, un écart significatif apparaît seulement entre les parents de faible
revenu (moyenne = 3.3) et ceux de revenu supérieur
(moyenne = 2.6). Les premiers ont bénéficié davantage
de l’aide reçue sur ce plan, tandis que les seconds
semblent avoir plus ou moins bénéficié de l’aide.
Figure 1. Effet du sexe sur la satisfaction aux
différents sous-systèmes familiaux
4
3.5
2
2.5
2
1.5
1
0.5
0
Pères
Mères
Trisomie
Fissure
DISCUSSION
L’étude a montré une différence significative entre les
moyennes des pourcentages (favorables et défavorables) pour les plans individuel-émotionnel et cognitif.
Les parents ont été particulièrement satisfaits de l’intervention à ces plans. Quant aux autres plans de l’intervention, plus de la moitié des parents ont été satisfaits
de l’intervention, malgré le fait que les différences ne
soient pas significatives. Pour 3 énoncés du questionnaire cependant, les taux de satisfaction ont été relativement bas, en plus du fait de ne montrer aucune différence significative. Il semble que les libellés de ces
énoncés (contribution de l’intervention à connaître la
cause de la déficience, à corriger certaines informations erronées reçues des autres et à mieux comprendre le tempérament de l’enfant) n’étaient pas
appropriés du point de vue des parents. Certains
d’entre eux ont noté que la science méconnaît la cause
de la déficience dont souffre leur enfant. D’autres précisent qu’ils n’ont pas reçu de fausses informations
venant des autres et enfin, certains disent que leur
enfant est trop jeune, au moment de l’intervention, pour
être en mesure de cerner son tempérament. Il appert
que les libellés de ces énoncés placent les parents dans
l’impossibilité de répondre par l’affirmative.
Notons que les taux de satisfaction moins élevés obtenus à certains autres énoncés peuvent être expliqués
du fait que des parents n’avaient pas certains besoins
auxquels l’intervention devait répondre (e.g. identifier
ses besoins de la part de l’entourage). Or, le questionnaire était fondé sur une présomption, selon laquelle
les parents avaient des besoins pour l’ensemble des
sous-systèmes familiaux. Une version modifiée du
questionnaire devrait vérifier d’abord si le besoin est
présent chez les parents. Cela devrait permettre d’exclure les individus qui n’ont pas certains besoins, plutôt que de les considérer comme « insatisfaits ».
Figure 2. Effet du revenu sur la satisfaction aux
différents sous-systèmes familiaux
4.0
3.5
3.0
2.5
2.0
1.5
1.0
0.5
0.0
ind.-cognitif
ind.emotionnel
Rev. inférieur
conjugal
Rev. Moyen
parental
extra-familial
Rev. Supérieur
Une différence significative est aussi remarquée au
plan parental (p = 0.0179) selon le diagnostic des
parents. Les scores de satisfaction des parents d’enfant
avec fissure labiale et/ou palatine sont moins élevés
(moyenne = 2.1) que ceux des parents d’enfants ayant
une trisomie 21 (moyenne = 2.4). Les premiers semblent avoir davantage bénéficié de l’aide que les
seconds.
L’étude montre, en définitive, que là où il y avait des
besoins, les parents sont satisfaits. De façon précise,
l’intervention a particulièrement contribué à mieux
comprendre la situation difficile vécue par les parents
de même que le problème de l’enfant et à clarifier l’information reçue des autres. Elle a aussi permis aux
parents d’exprimer leurs préoccupations et leurs
craintes, leurs sentiments positifs et négatifs. Les
parents évoquent à répétition les inquiétudes qu’ils ont
vécues au moment de la naissance de leur enfant, qu’il
a été essentiel pour eux de pouvoir s’exprimer. Avec la
naissance d’un enfant ayant une déficience, ceux-ci
75
Recherche en soins infirmiers N° 69 - juin 2002
sont à risque de vivre de la détresse émotionnelle, des
états anxieux et dépressifs (Beckman, 1991 ; Bristol et
al., 1988 ; Goldberg, Morris, Simmons, Fowler, &
Levison, 1990 ; Kazak & Marvin, 1984 ; Miller, Gordon,
Daniele, & Diller, 1992). Le choc, le déni, la rage, la
peur et la culpabilité sont aux nombres des réactions
connues chez ces parents (Drotar, Baskiewicz, Irvin,
Kennell, & Klaus, 1975 ; Klaus & Kennell, 1976 ;
Mercer, 1977 ; Pelchat-Borgeat, 1978). L’intervention
de l’infirmière dans le cadre du PRIFAM prend tout son
sens car elle offre aux parents un contexte pour s’exprimer. Les résultats de la recherche quasi-expérimentale ont d’ailleurs confirmé la contribution de l’intervention à réduire le stress émotionnel chez les parents
et sa contribution à préserver leur sentiment de bienêtre (Pelchat et al., 1999).
L’étude montre la contribution de l’intervention à faciliter l’expression des craintes des parents face aux soins
à donner à l’enfant. Leurs inquiétudes paraissent tout à
fait légitimes si l’on considère que l’enfant ayant une
déficience nécessite des soins adaptés qui relèvent de
problèmes de santé physiques, comportementaux
(Pain, 1999) et que les signaux de l’enfant sont parfois
difficiles à interpréter (Golberg, 1977). L’étude
confirme ce que d’autres ont observé à savoir qu’une
intervention précoce est indispensable pour aider les
parents à s’adapter à leur nouvelle situation et se doter
de moyens pour prendre soin de l’enfant (Pelchat,
1994 ; Bouchard & Pelchat, 1997).
L’information démystifie le problème de l’enfant et sa
déficience. Les écrits se sont abondamment intéressés à
l’information prodiguée aux parents suite à la naissance d’un enfant ayant une déficience (Quine & Pahl,
1987). Il ressort que la manière dont cette information
est remise aux parents, affecte la façon dont ceux-ci
s’ajustent à la situation et aux premiers traitements de
l’enfant (Brinkworth, 1975 ; Pugh & Russell, 1977 ;
Svarstad & Lipton, 1977 ; Springer & Steele, 1980). Le
besoin premier des parents d’un enfant ayant une déficience est de recevoir de l’information claire et un soutien dès la naissance de l’enfant. Or, il arrive fréquemment que la première information reçue ne soit pas
comprise ou bien assimilée, d’où l’importance de répéter cette information (Quine & Pahl, 1987). Il semble
que l’infirmière a su, dans le cadre du PRIFAM,
répondre au besoin d’information des parents, par ses
échanges et son soutien constant.
Les taux de satisfaction des parents sont généralement
élevés pour l’ensemble des documents reçus, particulièrement ceux traitant spécifiquement d’une déficience. Pelchat et al. (2000) considèrent que l’explication de la déficience contribue à favoriser une
perception réaliste du problème de l’enfant.
L’information écrite et la communication verbale permettent aux parents d’accroître leur sentiment de
contrôle sur la situation et facilitent l’expérience
d’adaptation de l’ensemble des membres de la famille.
Les parents d’un enfant ayant une déficience ont
besoin d’obtenir des informations à propos des services
courants et futurs disponibles puisqu’ils auront, à court
et à long terme, à interagir avec les dispensateurs de
soins et de services (Bailey & Simeonsson, 1988).
Soulignons que l’information donnée par l’infirmière a
permis aux parents de connaître les ressources disponibles et d’évaluer leur utilité, ce qui a été satisfaisant
pour les parents.
L’intervention favorise enfin le dialogue entre conjoints
et l’expression des sentiments et des émotions de chacun. Dans leur discours, les parents reconnaissent le
rôle qu’y a tenu l’intervenante. Celle-ci est un catalyseur dans le couple, amenant chacun des conjoints à
s’ouvrir mutuellement. Compte tenu du temps qu’elle
passe avec les familles, l’infirmière est sans nul doute
en bonne position pour faciliter la compréhension de
l’expérience de l’autre, permettre le partage des préoccupations, faire circuler l’information dans le couple,
une meilleure compréhension de l’intervention et un
soutien mutuel. La situation devient alors une occasion
d’enrichissement pour le couple (Faerstein, 1981 ;
Lamarche, 1987).
L’étude a mis en lumière l’effet du sexe, du diagnostic
et du revenu sur la satisfaction des parents pour l’ensemble des plans familiaux. Elle indique que l’intervention satisfait davantage les mères d’enfant ayant une trisomie 21 au plan de l’expression des émotions que les
pères. Or, il est connu que les pères d’enfant ayant une
déficience éprouvent davantage de difficultés que les
mères à ajuster leurs attentes vis-à-vis de l’enfant
(Heaman, 1995 ; Hornby, 1995) et leurs préoccupations concernant son avenir (Hornby, 1995). Cette première observation offre une explication partielle des
résultats obtenus. Pourquoi, en effet, les pères d’enfant
ayant une fissure labiale et/ou palatine ont-ils, quant à
eux, été satisfaits de l’intervention au plan émotionnel
contrairement aux pères d’enfant ayant une trisomie
21 ? Les parents d’enfant ayant une fissure labiale et/ou
palatine ou une trisomie 21 sont mis différemment à
l’épreuve avec la naissance de l’enfant. Dans le cas de
la fissure labiale et/ou palatine, les parents doivent
prendre rapidement une série de décisions concernant
les soins et les traitements de l’enfant, particulièrement
sur le plan de l’alimentation et des chirurgies à subir.
L’enfant retrouve généralement son apparence normale
au bout de trois mois après avoir subi une chirurgie
correctrice (Speltz et al., 1990 ; Pelchat, 1989). Quant à
76
Recherche en soins infirmiers N° 69 - juin 2002
SATISFACTION DE PARENTS À LA NAISSANCE D’UN ENFANT
AYANT UNE DÉFICIENCE LORS D’UNE INTERVENTION FAMILIALE
l’enfant ayant une trisomie 21, son développement est
très semblable à celui d’un(e) enfant sans atteinte
durant les premiers mois de vie. Ce n’est que progressivement que la différence apparaît. Ces parents ont
besoin d’un suivi à plus long terme et la majorité
d’entre eux ont de la difficulté à prendre congé de l’infirmière au terme de leur participation au PRIFAM
(Pelchat et al., 1999). Serait-il juste d’affirmer que la
trisomie 21 affecte davantage les parents au plan émotionnel à moyen terme que ceux dont l’enfant a une
fissure labiale et/ou palatine ? Des études doivent être
conduites pour approfondir les expériences différentielles chez les pères et les mères d’un enfant ayant une
déficience, selon le type de déficience.
L’étude indique que les parents à faible revenu sont plus
satisfaits de l’intervention. De façon générale, les
familles à faibles revenus ont plus de difficultés à obtenir
des ressources et disposent de moins de ressources
matérielles et financières (Shonkoff et al., 1992 ;
Sameroff et al., 1987; Floy & Saitsyk, 1992) que celles
ayant un revenu moyen et supérieur. Elles semblent
avoir un plus grand besoin d’obtenir un soutien immédiat, à tous les plans, comme celui offert par le PRIFAM.
Il faut souligner les qualités heuristiques de l’approche
évaluative utilisée dans le cadre de cette étude de
même que la pertinence du questionnaire développé
pour évaluer la satisfaction des familles à ses différents
sous-systèmes familiaux. Ce questionnaire pourrait
éventuellement être appliqué, après adaptation, à
d’autres clientèles.
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CONCLUSION
Le PRIFAM est un exemple d’une intervention efficace
permettant de soutenir les parents au niveau des quatre
sous-systèmes familiaux. Certaines dimensions pour
lesquelles les parents sont très satisfaits ont particulièrement mis en relief l’apport de l’intervention. Somme
toute, le PRIFAM permet d’atténuer les craintes et les
préoccupations des parents, notamment par rapport à
l’enfant et à son devenir. L’intervention favorise la
compréhension du problème de l’enfant et de la situation particulière dans laquelle les parents sont soudainement plongés. Elle leur donne des outils pour
prendre en charge les soins requis par l’enfant.
L’information aux parents tient un rôle de premier plan.
Cette information, sous forme écrite ou verbale, est
remise le plus rapidement possible, dans le cadre du
PRIFAM, par une infirmière empathique avec laquelle
les parents entretiennent des liens privilégiés et continus. Le PRIFAM offre un soutien indispensable pour
aider le couple à cheminer dans cette situation transitoire de leur vie. L’accent est mis sur le dialogue entre
conjoints. Il permet enfin de connaître rapidement les
ressources disponibles et d’être guidés dans l’évaluation de ces ressources pour être en mesure de faire
éventuellement des choix éclairés.
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79
Recherche en soins infirmiers N° 69 - juin 2002
R ECHERCHE
Maud Bécherraz, infirmière, Ph.D. en soins infirmiers
correspondance : [email protected]
1ère Partie
EXPÉRIENCES ET SIGNIFICATIONS
DU RÉCONFORT POUR LA PERSONNE OPÉRÉE ET
POUR L’INFIRMIÈRE QUI EN PREND SOIN
RÉSUMÉ
ABSTRACT
Cet article, d’une série de quatre, débute par la description de l’observation clinique qui a suscité une
étude sur le réconfort. Puis la problématique de
recherche est précisée de même que les différentes
acceptions françaises du terme anglais « comfort ».
Ensuite, la pertinence d’une approche centrée sur
l’expérience du bénéficiaire et celle de l’infirmière
qui l’a réconforté est argumentée. Les conséquences
ontologiques et épistémologiques d’un tel choix sont
expliquées. Le contexte postopératoire dans lequel
s’est déroulé l’étude est décrit de manière globale. Le
but de la recherche, la question de recherche et la
pertinence théorique du phénomène pour les soins
infirmiers clôturent cette première partie.
La seconde partie de l’article est consacrée à une synthèse de l’analyse des écrits tant anglo-saxons que
francophones.
This first article of four starts by a description of the
clinical observation which had urged on the study of
the phenomenon of comfort. Then, the background of
the research is specified as different French signification’s of the English word "comfort". In addition, the
pertinence of an approach centred on the person
experience and the one of the nurse who gave comfort to him / her are explained. The ontological and
epistemological consequence of this choice is described in a large manner. Finally, the goal of the
research, the research question and the theoretical
pertinence of the phenomenon for nursing end this
first part.
The second part of this article present a synthesis of
the analysis of English and French writings.
Mots clés : phénoménologie herméneutique, soins
infirmiers, dyade, réconfort, souffrance.
Key words : hermeneutic Phenomenology, nursing
care, dyad, comfort, suffering.
80
Recherche en soins infirmiers N° 69 - juin 2002
EXPÉRIENCES ET SIGNIFICATIONS DU RÉCONFORT POUR
LA PERSONNE OPÉRÉE ET POUR L’INFIRMIÈRE QUI EN PREND SOIN
INTRODUCTION
Cet article est le premier d’une série consacrée à la diffusion des résultats d’une recherche sur le réconfort
réalisée, en Suisse, en 1999. Ce travail de fin d’études
s’inscrivait dans le programme de doctorat en soins
infirmiers, organisé conjointement à l’Université de
Montréal et à McGill University.
L’objectif de cet article est de présenter la « problématique de recherche » en la considérant comme le pivot
du protocole dont découle un ensemble de réflexions,
hélicoïdales, qui vont guider la question de recherche
et par la suite le choix de la méthode.
La rédaction du protocole, faut-il le rappeler, est un des
meilleurs alliés de la chercheuse, car il permet, à travers l’écriture et la ré-écriture, une clarification de la
pensée, un suivi et une construction de celle-ci.
De même, le temps consacré à une première revue de la
littérature, réalisée à l’aide de banques de données
comme Cinahl (2000) ou Medline1, permet de situer la
problématique dans un contexte scientifique plus vaste
et d’en cerner les aspects novateurs ou redondants. Une
analyse systématique des recherches qui sous-tendent et
contredisent nos positions est menée, à l’aide de grilles
ad hoc, afin d’évaluer la qualité des résultats obtenus.
De ce fait, la rédaction du chapitre «problématique» fait
partie de l’élaboration du protocole qui s’étend sur plusieurs mois, pendant lesquels il est conseillé de soumettre nos écrits à des «experts», soit pour leur expérience de la méthode, soit en regard du phénomène à
l’étude. Leurs commentaires facilitent souvent la soutenance du document final auprès du Comité d’approbation, auquel le projet de recherche doit impérativement
être soumis, avant le début du recueil de données.
tion infirmière de la douleur (Bécherraz, Dessaules,
van Melle & Braissant, 1998). Cette enquête a été réalisée dans le Centre Hospitalier Universitaire de Suisse
Romande2 où a eu lieu la présente étude.
Les personnes hospitalisées en chirurgie rapportaient
parfois, lors des entrevues, des douleurs sévères, alors
même qu’elles étaient entourées d’une équipe de professionnels de la santé compétente, habilitée à prescrire des opiacés et à soulager la douleur postopératoire. De plus, l’origine de la douleur était concrétisée
(plaies opératoires, drains, sondes naso-gastriques,
sondes vésicales, cathéters, etc.). Simultanément et
paradoxalement, nous recueillions des témoignages où
la personne se disait soulagée, réconfortée et exprimait
combien la « veilleuse » 3 avait été présente, attentive,
attentionnée et efficace. Ces situations complexes
nécessitaient plus que le simple soulagement d’un
corps meurtri, mais un réconfort, destiné à la personne
tout entière. Finalement, ces expériences holistiques
ont été mises en évidence et analysées en vue d’en
améliorer la compréhension. Ainsi, les expériences et
les significations du réconfort constituent le phénomène d’intérêt de cette recherche.
1.2. Réconfort
C’est à travers de récents écrits infirmiers, que nous
aborderons l’évolution du phénomène de réconfort.
Puis nous mettrons en évidence la complexité de l’approche de ce phénomène, dont l’expérience paraît difficile à transmettre en dehors d’un discours centré sur
le corps.
1.1.Observation clinique
Historiquement, un des buts prioritaires des soins infirmiers est de réconforter le malade (Nightingale,
1859/1969) ; puis le réconfort a été appréhendé
comme un état de bien-être physique ou mental
(Flaherty & Fitzpatrick, 1978) ou comme un degré sur
le continuum allant de l’inconfort au confort (Paterson
& Zderad, 1976). Il a également été relié aux différents
besoins (Orlando, 1961 ; Roy & Roberts 1981) ou
comme une variable en provenance de l’environnement du patient (Watson, 1979).
Le phénomène d’intérêt est issu d’observations réalisées sur le terrain lors d’une recherche relative à la ges-
Cependant, malgré les différents travaux de clarification conceptuelle réalisés par Kolcaba (Kolcaba, 1992,
1994 ; Kolcaba & Kolcaba, 1991), la méconnaissance
1. PROBLÉMATIQUE
1. Cette banque de données répertorie des milliers de périodiques dans différents domaines de la santé.
2. La Suisse Romande est la partie francophone du pays, qui comprend quatre régions linguistiques.
3. La « veilleuse » est l’infirmière qui travaille de nuit (le plus souvent de 22h00 à 07h15 ou de 19h00 à 07h15).
81
Recherche en soins infirmiers N° 69 - juin 2002
des pratiques de réconfort demeure importante. Une
partie des stratégies de réconfort sont intuitives, invisibles, difficiles à décrire et à expliquer par celles qui
les pratiquent. Par conséquent, il semble que les infirmières n’aient pas conscience de la valeur de leur travail (Morse, 1992). Cet aspect est important pour la discipline. Il est urgent que l’invisible soit mis à jour,
décrit avec minutie et restitué aux infirmières en tant
qu’expertise.
Paradoxalement, en 1992, le réconfort est considéré
comme un concept mesurable et opérationnalisable,
aussi bien physiologiquement que psychologiquement.
Par exemple, le « coping », la relaxation, l’adaptation,
la guérison, la mortalité, la morbidité ou les coûts de la
santé sont considérés comme des moyens de mesurer
le réconfort (Morse, 1992). De plus, Morse définit le
réconfort comme un état de « bien-être » qui peut intervenir à n’importe quel moment du continuum « maladie - santé ». Ainsi, deux états de réconfort sont identifiés : le premier temporel, comparé au soulagement
momentané de la douleur et le second plus constant,
tel que l’atteinte d’un état de santé optimal.
Pour nous, le réconfort comporte une notion dynamique, interactive, intersubjective et éminemment relationnelle que nous n’avons pas trouvée dans la plupart
des écrits consultés jusqu’en 1999.
En 1994, aucune description adéquate du phénomène
n’était réalisée, bien qu’il soit souvent conceptualisé
comme une diminution mesurable de la douleur.
Toutefois, en l’état actuel de nos connaissances, il n’est
pas possible d’inférer que le soulagement de la douleur
implique le réconfort. Il semble que le soulagement tel qu’il est mis en évidence à travers la recherche en
soins infirmiers - comporte une orientation essentiellement corporelle, alors que le réconfort vise la personne
dans sa globalité, c’est-à-dire un être « bio-psychosocial-spirituel ». En d’autres termes, l’absence de douleur n’implique pas de facto l’absence de souffrance. Et
cette dernière demeure difficilement quantifiable.
De plus, nous savons peu de choses sur la manière
dont les personnes accèdent au réconfort et surtout
comment elles se sentent, une fois réconfortées. Il
semble que ce soit la nature « préréflexive » du phénomène qui rende sa description si difficile (Van Manen,
1990). Autrement dit, l’élaboration de l’expérience du
réconfort n’est pas spontanée. Elle fait appel aux souvenirs, aux sensations, aux perceptions qui prennent sens
à travers la narration de l’expérience unique d’une personne et le dialogue avec la chercheuse.
Tout se passe comme si, lorsque la personne était
réconfortée, nous étions face à une manière d’être qui
va au-delà de la conscience physique ou mentale, une
sorte d’état d’intégration (Morse, Bottorff &
Hutchinson, 1994). Ainsi, l’être humain semble avoir
plus de facilité à parler de sa douleur que du réconfort.
Ces constatations expliqueraient pourquoi les patients,
interrogés à propos du phénomène de réconfort, utilisent essentiellement le corps comme axe de leurs discours. Enfin, la notion de « réconfort total » mentionnée
par Morse et al. (1994), laisse entendre que l’étude de
ce phénomène permettrait d’éviter le dualisme cartésien pour approcher la personne dans son entièreté. En
d’autres termes, mieux comprendre le phénomène de
réconfort permettrait, non seulement de documenter
les soins infirmiers mais également tout soin qui se
réclame d’une vision holistique de l’être humain.
Ce n’est qu’à travers les récents travaux de Benner,
Hooper-Kyriakidis et Stannard (1999) que l’aspect
holistique du réconfort a été mis en évidence. Ces
recherches ont été réalisées auprès d’infirmières prenant soins de patients dont l’état de santé était critique.
Elles démontrent le rôle central de la relation avec la
personne malade dans l’acquisition et l’utilisation d’habiletés reliées à tout ce « savoir faire » (“know how”). Et
plus particulièrement au savoir faire visant le réconfort.
D’un point de vue étymologique, Morse, Bottorff et
Hutchinson (1995) nous rappellent que le mot
« patient » provient du latin « pati » qui signifie souffrir,
par conséquent, il semble bien qu’il existe un lien entre
le réconfort de celui qui souffre, la douleur et la souffrance. De plus, elles précisent que le terme « réconfort » est dérivé du latin « renforcer ».
En français le terme anglais “comfort” se traduit par
deux termes non équivalents, à savoir un nom masculin : le confort et un verbe transitif : réconforter. Or ces
deux termes n’ont pas la même signification. Selon le
Petit Robert (1979), le confort est défini comme tout ce
qui contribue au bien-être, à la commodité de la vie
matérielle (p. 364) et l’antonyme est l’inconfort. Alors
que le verbe réconforter est un terme du XIIème siècle
qui signifie : donner, redonner du courage, de la force
d’âme et de l’énergie à quelqu’un, afin qu’il puisse
supporter ou combattre l’adversité. Dans ce cas le
synonyme est le verbe soutenir.
Par ailleurs, et toujours en français, le verbe réconforter
a une seconde signification qui est : redonner momentanément des forces physiques et de la vigueur à une
personne affaiblie. Dans ce cas, les synonymes sont
revigorer, stimuler et remonter alors que l’antonyme est
82
Recherche en soins infirmiers N° 69 - juin 2002
EXPÉRIENCES ET SIGNIFICATIONS DU RÉCONFORT POUR
LA PERSONNE OPÉRÉE ET POUR L’INFIRMIÈRE QUI EN PREND SOIN
abattre, accabler, décourager, déprimer et affaiblir
(Petit Robert, 1979, p. 1627).
que le réconfort n’est pas essentiellement physique à
l’inverse de l’opérationnalisation choisie par le passé.
Enfin, le terme « réconfort » est présenté ainsi : terme
du XIIème siècle qui provient de « réconforter », ce qui
redonne des forces morales, ce qui ranime le courage
et l’espoir ; ce qui augmente la force et le courage. Les
synonymes sont la consolation et le secours alors que
l’antonyme est le découragement (Petit Robert, 1979,
p. 1627).
Benner, Hooper-Kyriakidis et Stannard (1999) ont analysé la signification du réconfort en termes de « soutenir, aider, encourager aussi bien qu’apaiser et
consoler » (p. 244). En conséquence, notre étude s’intéresse au phénomène de réconfort dans ses significations les plus holistiques du terme anglais « comfort ».
En 1999, une vingtaine d’infirmières et d’infirmiers
européens francophones furent interrogés sur leurs
représentations du « réconfort ». Leurs propos étaient
cohérents avec la définition du XIIème siècle qui vient
d’être présentée. Par contre, la notion de confort n’a
pas été évoquée, suggérant une distinction entre les
deux termes.
À titre de comparaison, précisons qu’en anglais le
terme « comfort » est également un nom et un verbe,
mais qu’il peut être aussi bien utilisé dans le sens d’un
confort physique ou d’un réconfort de nature plus
affective (assistance, support, consolation ou encouragement, etc.). Certains dictionnaires présentent des
significations proches du « réconfort ». Elles seront brièvement mentionnées : (a) une assistance, un support ou
une consolation dans la peine ou le souci, (b) un état
ou un sentiment de consolation, de soulagement ou
d’encouragement. Mais aussi un état de bien-être, de
contentement, (c) une satisfaction ou un plaisir et enfin
(d) ce qui apporte ou procure du confort, (Webster’s
Seventh New Collegiate Dictionary, 1963, p. 165) (traduction libre).
Malgré cela, la plupart des études empiriques réalisées
sur le « réconfort » sont publiées en anglais et se
concentrent sur l’aspect physique de celui-ci.
Initialement, le comportement de l’infirmière a été
enregistré au moyen d’une vidéo (Morse, 1992 ;.
Solberg & Morse, 1991), comme si les chercheuses se
voulaient extérieures au champ d’investigation. Le
point de vue du patient a été étudié, dans un second
temps, à travers le récit de son expérience (Morse,
Bottorff & Hutchinson, 1994 ; 1995). Il faut toutefois
relever qu’à cette époque, la recherche infirmière sur
le réconfort était essentiellement axée sur les aspects
corporels.
Une exception cependant, Benner et ses collaboratrices s’intéressent à la narration de l’expérience de
l’infirmière (Benner, Hooper-Kyriakidis & Stannard,
1999) permettant ainsi des nuances que l’observation
ne pouvait pas apporter. Les travaux réalisés par ces
chercheuses et la définition qu’elles utilisent, suggèrent
En outre, la double alternance des protagonistes (infirmière ou patient) et de la position des chercheurs
(externe ou interne au champ) émergeant des écrits,
suggère qu’il serait pertinent de décrire et de comprendre ce qui se passe à l’intérieur de la dyade « bénéficiaire - infirmière». Nous aborderons cet aspect, dans
le cadre du réconfort en phase postopératoire.
1.3. Dyade
À ce jour et à notre connaissance, aucune recherche
qualitative en soins infirmiers ne s’est intéressée à la
problématique telle que nous l’avons abordée. En effet,
tenter de comprendre ce qui est vécu par les deux
acteurs principaux lors de l’élaboration du réconfort
nécessite d’entrer en relation avec les deux partenaires
de la dyade. Cette approche centrée sur la dyade est
issue de la vision heideggerienne, qui considère la personne comme un « être-dans-le-monde », c’est-à-dire
un être qui fait forcément écho à autrui et à autre chose
et réciproquement (Deschamps, 1995). Approcher et
rencontrer cette dyade a permis d’accéder à l’expérience, à la signification et à l’essence du réconfort, ce
soin vécu dans la proximité, voire dans l’intimité et
dont l’expérience reste inexplorée dans le quotidien du
monde hospitalier.
D’autre part, nous avons observé que le concept de
dyade semble absent dans les écrits. Ce constat est probablement lié à la faisabilité d’un tel choix. En effet, il
s’agit de rencontrer le bénéficiaire et l’infirmière dans un
temps restreint afin d’être certaine qu’ils parlent bien de
la même situation. Par conséquent, ce choix exige un
temps de présence important sur le terrain et une souplesse extrême dans l’organisation des activités de
recherche, car les entrevues ne pouvaient avoir lieu que
lorsque la sécurité des patients était assurée par une autre
infirmière. Cependant, si nous considérons la notion
d’espace transitionnel (Winnicott, 1970) ou d’intersubjectivité (Dahlberg, 1996), il nous paraît tout à fait
légitime de nous intéresser à ce qui se passe, à ce qui se
vit, dans cet espace symbolique et plus particulièrement
83
Recherche en soins infirmiers N° 69 - juin 2002
lorsqu’il s’agit de réconfort. La description de ce phénomène à partir de deux points de vue différents devrait
enrichir celle-ci et permettre des interprétations novatrices.
C’est pourquoi la compréhension de l’expérience
vécue par chaque partenaire de la dyade bénéficiaire infirmière, de même que les diverses significations des
expériences de réconfort, paraissent être une mise en
perspective intéressante et novatrice pour plusieurs disciplines. En effet, décrire dans les détails les observations, le cheminement de la pensée, les émotions, les
intuitions, le dialogue interne et les actions de l’infirmière qui a réconforté un patient, permettra de mettre
en évidence toute une gamme de savoirs pratiques
(“know how”). Ces savoirs pratiques combinés aux
savoirs théoriques (“know that”) constituent l’expertise
humaine en regard du phénomène (Benner HooperKyriakidis & Stannard, 1999). D’ailleurs, Benner (1995)
affirme qu’il est possible de décrire les intentions, les
attentes, les significations et les résultats qui caractérisent l’expertise de l’infirmière.
En d’autres termes, nous verrons ultérieurement que s’intéresser au phénomène de réconfort et aux interventions
qui réconfortent, c’est renoncer à une ontologie réaliste
et à une épistémologie objectiviste qui consistent par
exemple à mesurer la douleur et à la décontextualiser. À
partir de ce renoncement, il est possible de s’orienter
vers une ontologie qui accepte une co-construction de
la réalité et une épistémologie subjectiviste qui s’intéresse à l’expérience vécue par les protagonistes (Guba,
1990; Guba & Lincoln, 1985; 1998). Nous aborderons
maintenant les aspects contextuels.
1.4. Contexte postopératoire
D’une part, le contexte postopératoire est caractérisé
par des restrictions budgétaires drastiques qui impliquent simultanément une diminution des effectifs infirmiers et une durée d’hospitalisation minimale. Or les
courbes démographiques suisses démontrent que la
population des personnes âgées augmente et que leurs
besoins en soins suivent une courbe ascendante.
D’autre part, le développement de technologies opératoires de pointe permet des interventions chirurgicales
chez des personnes dont l’état de santé est précaire et
complexe.
Pour le moment, nous retiendrons que c’est dans ce
contexte hospitalier universitaire, empreint de contradictions et orienté vers la réparation du corps, que des
êtres humains souffrent. C’est donc dans cet environnement de haute technicité que les soins infirmiers font
la différence et que le réconfort peut prendre place.
C’est dire l’importance de cet engagement humain, de
cette attention à l’autre et du respect de sa vulnérabilité, alors même que l’univers médico-chirurgical
semble parfois déshumanisé. En d’autres termes, le
choix de la phase postopératoire est approprié en vue
d’une étude sur le réconfort, car la menace à l’intégrité
du Soi est présente, quelle que soit la pathologie qui
motive l’intervention. La présence d’une souffrance
potentielle ne nous semble pas être reliée à un diagnostic particulier, mais à notre humanité, qui elle,
appelle un réconfort.
Une précision cependant avant d’aborder le but et la
question de recherche. Même si le réconfort implique
souvent l’intervention d’une équipe transdisciplinaire
(De Coninck, 1996), la présente étude s’est limitée
essentiellement à l’investigation de l’aspect infirmier du
réconfort, afin de contribuer au développement des
connaissances et de la pratique de la discipline.
1.5. But de la recherche et question de recherche
Le but de cette étude est de décrire les expériences de
réconfort et leurs significations - à partir de deux perspectives - celle de la personne opérée et celle de l’infirmière praticienne qui en prend soin.
La question qui découle naturellement de la problématique telle qu’elle a été définie précédemment, est la suivante : quelles sont les significations des expériences de
réconfort de personnes en phase postopératoire et des
infirmières praticiennes qui en prennent soin?
1.6. Pertinence théorique pour les soins
infirmiers
Au plan théorique, le phénomène d’intérêt est directement relié à la substance de la discipline. En effet, il
touche le soin, la personne, la santé et l’environnement
(Fawcett, 1993). Si nous nous référons à la notion de
«centre» de la discipline (Newman, Sime & CorcoranPerry, 1991), il s’agit d’une situation de «prendre soin»
lors d’une expérience humaine postopératoire. Ainsi, les
deux principaux concepts en interrelations sont : le soin
et la personne. Le soin est dispensé par une infirmière, il
est élaboré à l’intérieur de la dyade infirmière-patient à
84
Recherche en soins infirmiers N° 69 - juin 2002
EXPÉRIENCES ET SIGNIFICATIONS DU RÉCONFORT POUR
LA PERSONNE OPÉRÉE ET POUR L’INFIRMIÈRE QUI EN PREND SOIN
partir de ce que communique le patient et il a pour
objectif le réconfort de celui-ci. Le phénomène à l’étude
présente donc une importance réelle pour la discipline,
puisqu’il favorise une réflexion théorique qui permet
d’approcher ce qu’est le phénomène de réconfort, en
phase postopératoire. Dès lors, le phénomène est en lien
- au plan théorique - avec la substance infirmière, et
avec le «centre» de la discipline, dont le mandat social
est de « prendre soin » (Newman & al., 1991) et de
réconforter (Morse, 1992).
À l’issue de cette problématique et avant de passer à
une synthèse critique de l’analyse des écrits, retenons
quelques éléments prédominants qui seront élaborés
et justifiés dans un prochain article : les conséquences des savoirs infirmiers liés au réconfort peuvent être mises en lumière en phase postopératoire,
puisque la problématique est issue d’entretiens réalisés avec des bénéficiaires. En outre, plusieurs écrits
(McIlveen & Morse, 1995 ; Morse, 1992 ; Morse,
Bottorff & Hutchinson, 1994 ; 1995) soutiennent que
ce sont les aspects corporels qui émergent prioritairement des narrations. Il s’agit le plus souvent de propos d’infirmières et très rarement du discours des
bénéficiaires.
Toutefois, la mise en évidence du réconfort est rendue
difficile par sa nature «préréflexive» (Van Manen, 1990).
En effet, il semble que les personnes aient plus de facilité à partager leur expérience en termes de réconfort
physique que de réconfort total (physique et émotionnel). Cette constatation peut être tout à la fois le reflet
du dualisme cartésien encore très présent dans les soins
et de la difficulté d’élaborer une réflexion qui intègre le
corps et l’esprit. Autrement dit, tout se passe comme si
la menace à l’intégrité du Soi qui amène à la souffrance,
ne pouvait être verbalisée qu’au travers de la menace
physique réelle, objectivée par l’acte opératoire.
Le chapitre suivant est consacré à une synthèse critique
des écrits sur le phénomène de réconfort. Il nous donnera l’opportunité de différencier la douleur de la souffrance et de préciser la rupture paradigmatique qui
sous-tend le passage d’une recherche objectiviste et
dualiste à une recherche subjectiviste et holistique.
2. SYNTHÈSE CRITIQUE
DE L’ANALYSE DES ÉCRITS
La douleur est un phénomène bien documenté et ceci
plus particulièrement depuis 1965, date du développe-
ment de la théorie du portillon (Melzack & Casey,
1968; Melzack & Wall, 1965). De plus, la douleur peut
être considérée comme proche de la souffrance lorsqu’elle est appréhendée par l’infirmière et la chercheuse de manière multidimensionnelle. Cette intégration favorise le passage d’une pratique et d’une
recherche unidimensionnelles centrées sur la douleur et
le soulagement, à l’étude de phénomènes complexes et
holistiques que sont la souffrance et le réconfort.
L’analyse des écrits relatifs à la souffrance permet de
mettre en évidence que celle-ci peut se définir comme
un état de détresse qui est induit par la perception
d’une menace à l’intégrité du Soi (Cassell, 1982, 1991,
1992). Par conséquent, toute intervention chirurgicale
voire toute maladie peut induire cette perception. Par
la suite, cette définition a été affinée par l’ajout de trois
précisions que sont la présence d’une menace physique ou psychosociale, d’un sentiment négatif et
d’une perception d’impuissance lorsque les ressources
physiques, psychologiques, sociales et spirituelles de la
personne sont épuisées (Chapman & Gavrin, 1993).
Enfin, le réconfort est un phénomène mal connu et peu
développé alors même qu’il est présenté comme le
centre de la discipline infirmière (Newman, Sime &
Corcoran-Perry, 1991). Il a été abordé essentiellement
par le biais de concepts annexes comme le « coping »,
la relaxation, la douleur, les nausées, la fatigue (Funk,
Tourquist, Champagne, Copp & Weise, 1989). Il a également été analysé à travers les écrits professionnels
(Cowles & Rodgers, 1991 ; Rodgers, 1989 ; Rodgers &
Knafl, 1993 ; Westra & Rodgers, 1993 ;) et a émergé de
narrations infirmières (Benner, Hooper-Kyriakidis &
Stannard, 1999). Toutefois, il est intéressant de souligner qu’à ce jour, le phénomène de réconfort - au sens
d’un soutien holistique - n’a jamais été investigué
simultanément du point de vue du patient et de celui
de l’infirmière qui en prend soin.
Comprendre l’expérience de la personne nécessite
pour la chercheuse de s’intéresser à l’expérience subjective du malade et à la signification qu’il lui donne.
Ce changement de point de vue représente une rupture
paradigmatique qui a trois implications majeures. La
première, ontologique, nous conduit à investiguer la
pluralité de la réalité ; la seconde, épistémologique,
permet de s’intéresser à la subjectivité et la troisième,
méthodologique, permet d’introduire un dialogue entre
les participants et la chercheuse (Guba, 1990 ; Guba &
Lincoln, 1998 ; Kikuchi & Simmons, 1992). Ces implications méthodologiques nous ont amenées à choisir
une approche phénoménologique et plus particulièrement celle de Benner (Benner, 1994 ; Benner, Tanner &
Chesla, 1996 ; Benner, Hooper-Kyriakidis & Stannard,
85
Recherche en soins infirmiers N° 69 - juin 2002
1999) afin de mieux comprendre le phénomène de
réconfort à partir de deux points de vue, celui du
patient et celui de l’infirmière qui en prend soin.
Enfin, nous pensons que pour réconforter, l’infirmière
met en œuvre une pluralité de connaissances qui vont
des savoirs empiriques aux connaissances personnelles, esthétiques, éthiques (Carper, 1978) et pratiques
(Benner, 1994).
***
Le présent article a permis de mettre en lumière le rôle
central que détient le chapitre intitulé «problématique».
C’est de lui que dépend le choix du devis de recherche,
puisqu’il détermine le libellé de la question de
recherche et par la suite le choix de l’approche méthodologique.
Peut-être serait-il pertinent de re-considérer le temps
que nécessite la rédaction de la « problématique » dans
le calendrier de la recherche ?
Le prochain article sera consacré aux aspects méthodologiques et plus particulièrement à la phénoménologie herméneutique et à son opérationnalisation.
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87
Recherche en soins infirmiers N° 69 - juin 2002
R ECHERCHE
Maud Bécherraz, infirmière, Ph.D. en soins infirmiers
correspondance : [email protected]
2e Partie
DE L’INTÉRÊT DE LA PHÉNOMÉNOLOGIE
POUR LA MISE EN ÉVIDENCE
DE L’EXPERTISE INFIRMIÈRE ET LE DÉVELOPPEMENT
DE CONNAISSANCES EN SOINS INFIRMIERS.
RÉSUMÉ
ABSTRACT
Ce second article commence par une argumentation
liée au choix de l’approche herméneutique en regard
de phénomènes peu connus, comme celui du réconfort. Il continue par une synthèse de quelques éléments essentiels de la phénoménologie transcendantale et de la phénoménologie existentielle. Puis les
principales caractéristiques de la phénoménologie
interprétative contemporaine sont esquissées ainsi
que l’approche phénoménologique de Benner.
L’activité de mise entre parenthèses est présentée, de
même que les critères d’inclusion et d’exclusion des
participants, le contexte dans lequel s’est déroulée
l’étude et la manière de vivre les entretiens. Par
ailleurs, quelques données consignées dans le carnet
de bord sont mises en perspective. La procédure de
codage des données est décrite ainsi que les catégories thématiques qui en ont été extraites. Les observations directes sont abordées. Enfin, les critères de
rigueur et les aspects éthiques de la recherche clôturent cet article.
This second article starts by an argumentation linked
to the choice of hermeneutic approach in regards to
little know, as the one of comfort. It goes on by a synthesis of several essential elements of the transcendental and Existential Phenomenology. The principal
characteristics of the contemporary and interpretative
Phenomenology are outlined such as the phenomenological approach of Benner.
The activity of putting in parenthesis (bracketing) is
presented, as criteria of participant’s inclusion and
exclusion, the context within the study was unfolded
and the manner of lived interviews in other aspects,
some kept data in the « carnet de bord » are put in
perspective. The procedure of coding data is described as thematics categories which emerged from
them direct observations are approached. Finally, criteria of rigour and ethical aspects of the research end
this article.
Mots clés : phénoménologie herméneutique, soins
infirmiers, expertise, dyade, réconfort.
Key words : Hermeneutic Phenomenology, nursing
care, expertise, dyad, comfort.
88
Recherche en soins infirmiers N° 69 - juin 2002
DE L’INTÉRÊT DE LA PHÉNOMÉNOLOGIE POUR LA MISE EN ÉVIDENCE
DE L’EXPERTISE INFIRMIÈRE ET LE DÉVELOPPEMENT DE CONNAISSANCES EN SOINS INFIRMIERS.
INTRODUCTION
Cet article fait suite à une réflexion menée pendant nos
études doctorales à l’Université de Montréal entre
1997 et 2001 (Bécherraz, 2001), période durant
laquelle nous avons eu le privilège de partager nos
questionnements avec Franco Carnevale, infirmier,
PhD, professeur adjoint à McGill University. Il a grandement facilité notre initiation à la phénoménologie
herméneutique, essentiellement à travers sa propre
expérience de celle-ci (Carnevale, 1991 ; 1997 ; 1999)
et sa confiance inconditionnelle en l’être humain.
Notre objectif prioritaire est de poursuivre la chaîne
des apprentissages vicariants afin de répondre aux
questions que se posent nos collègues suisses (cliniciens et enseignants), avec qui nous avons du plaisir à
cheminer, lorsqu’ils sont confrontés à l’analyse des
transcriptions d’entretiens. En effet, si la « cueillette »
des données suscite en général beaucoup d’enthousiasme, c’est au début de l’analyse que le clinicien ou
l’enseignant réalise, qu’il a opté (parfois à son insu)
pour une méthode qui découle d’une vision qualitative du monde, qui va bien au-delà de la simple utilisation d’une technique de recherche.
Cet article se présente comme un tout composé de
quatre volets : le premier, théorique, consacré aux
racines de l’approche phénoménologique ; le second,
plus pragmatique, orienté vers l’opérationnalisation de
la méthode ; le troisième, centré sur les critères de
rigueur et le dernier, consacré à l’éthique.
1. PHÉNOMÉNOLOGIE
1.1. Argumentation
Le choix de l’approche phénoménologique est issu de
la problématique et de la nature de la question de
recherche. En effet, s’intéresser au phénomène de
réconfort dont nous ne savons en définitive que peu de
choses, nous amène à choisir une approche descriptive
- herméneutique qui permet et favorise l’émergence de
la subjectivité des participants à travers leurs narrations. D’autre part, s’intéresser à la signification de
l’expérience vécue par les acteurs de la dyade, conduit
tout aussi directement à l’utilisation d’une approche
phénoménologique - herméneutique. Les objectifs de
cette dernière étant précisément de décrypter les structures qui gouvernent l’expérience vécue. De plus, le
recueil des données se fait dans un contexte quotidien
et naturel où le détenteur de la connaissance est bien
le participant et non la chercheuse. Enfin, cette
approche méthodologique découle d’une ontologie
qui accepte une co-construction de la réalité et d’une
épistémologie subjectiviste qui s’intéresse à l’expérience vécue par les protagonistes. Ce sont là les arguments essentiels qui nous ont amenées à choisir l’approche phénoménologique – herméneutique qui sera
décrite dans un sous-chapitre à venir.
Parmi les « méthodologistes » de référence, nous avons
choisi l’approche de Benner (Benner, 1994 ; Benner,
Tanner & Chesla, 1996) car l’auteure est infirmière et il
nous paraît adéquat d’utiliser les travaux issus de la
discipline. De plus, nous apprécions la philosophie de
la recherche de l’auteure qui consiste à rendre visible
l’invisible en demandant aux infirmières de décrire ce
qu’elles font, parfois de manière intuitive. L’analyse de
ces expériences individuelles permet de dégager,
comme déjà mentionné, des structures qui gouvernent
l’expérience vécue. Ces structures ont une importance
majeure pour la visibilité et la spécificité de la pratique
professionnelle.
Les recherches de Benner et de ses collaborateurs mettent en lumière les savoirs pratiques développés sur le
terrain par l’infirmière. Ces savoirs, une fois combinés
aux savoirs théoriques, permettent d’accéder à l’expertise de l’infirmière. Cette centration sur la pratique et
sur l’expertise potentielle qu’elle recèle, nous est apparue particulièrement appropriée pour investiguer le
phénomène de réconfort. Le phénomène est individuel
et complexe, par conséquent, il est fort probable qu’il
fasse appel à des stratégies subtiles, peu visibles, dont
l’accès n’est possible qu’à travers l’observation et
l’analyse de la narration des patients et des infirmières.
C’est pourquoi la méthodologie de Benner a été retenue et elle sera présentée de manière plus détaillée
dans un prochain sous chapitre. Mais voyons d’abord
brièvement les origines de la phénoménologie européenne afin d’en extraire quelques éléments qui ont
influencé la méthode.
1.2. Phénoménologie transcendantale.
Historiquement, le père de la phénoménologie est le
philosophe allemand Husserl (1859-1938). L’œuvre de
Husserl se répartit sur trois périodes caractérisées par
des intérêts distincts : la première représente la naissance de la phénoménologie allemande (1891-1901)
et se termine par la publication des « Recherches
logiques » ; la seconde (1905-1929) débute avec l’éla-
89
Recherche en soins infirmiers N° 69 - juin 2002
boration de la réduction phénoménologique et se termine par les « Méditations cartésiennes » ; la troisième
et dernière (1930-1938) a pour thème central la crise
des sciences (Folscheid, 1993). Certains auteurs considèrent Husserl comme un platonicien dans les
« Recherches logiques », alors qu’ils le voient cartésien
dans « les Méditations cartésiennes » (Encyclopaedia
Universalis, 1997). C’est dire la complexité de la pensée de ce philosophe dont nous ne reprendrons que
quelques éléments susceptibles d’améliorer la compréhension des origines de la phénoménologie. Par
ailleurs la pensée de Husserl est considérée par les exégètes comme arborescente et inachevée. D’ailleurs,
une grande partie de ses écrits sont des publications
posthumes. La troisième période de son œuvre sera
délibérément laissée de côté car elle ne concerne pas
notre propos.
Heidegger (1889-1976) fut son étudiant, mais il s’est
distancé de la pensée cartésienne qui caractérisait la
seconde partie de l’œuvre de Husserl pour s’intéresser
à une perspective plus existentielle. La philosophie herméneutique de Heidegger considère que la compréhension de la personne ne peut intervenir sans l’appréhension de son environnement (Dreyfus, 1987). Il
s’intéresse à ce qu’il appelle « un être-dans-le-monde ».
Nous aurons l’occasion de revenir sur cet aspect dans
un prochain sous-chapitre.
Précisons d’emblée que Husserl et Heidegger n’étaient
pas des méthodologistes. Ce n’est que plus tard que
des chercheurs en sciences humaines comme par
exemple Giorgi en psychologie (1989, 1997), Van
Manen en pédagogie (1990), Benner en soins infirmiers
(1994) ont élaboré, utilisé et publié des méthodes phénoménologiques de recherche.
La pensée de Husserl est d’abord une théorie de la
connaissance. Sa première étude1 est une critique du
psychologisme plus particulièrement lorsque celui-ci
est vu comme le fondement de toute vérité. Il pense
que lorsqu’on fonde la logique sur le fonctionnement
psychique, il n’y a plus de science possible, il n’y a
plus de connaissance objective puisqu’il n’y a plus de
loi. Le psychologisme conduit à un relativisme qui est
inacceptable pour Husserl. Ce dernier se lance alors
dans un examen rigoureux des actes de la conscience,
s’intéressant ainsi à un sujet explicitement cartésien et
intellectuel (Huneman & Kulich, 1997). En 1901,
Husserl définit la phénoménologie comme un
« domaine de recherches neutres » ne relevant ni de la
psychologie, ni de la logique (…) (Folscheid, 1993).
Puis, toujours dans l’idée de se prémunir contre le psychologisme, Husserl développe le concept d’intentionnalité de la conscience. C’est-à-dire que la conscience
est toujours la conscience de quelque chose ; elle n’est
plus un ensemble de faits psychiques (impressions, sensations) elle a une visée, l’objet (Folscheid, 1993).
Autrement dit, le regard de la conscience ne cesse pas
d’être objectif pourvu qu’il se pose sur l’objet
(Encyclopaedia Universalis, 1997).
À la suite de cette critique du psychologisme, Husserl
met en évidence que tout existant doit être caractérisé
par un noyau de sens qui ne varie pas et qu’il nomme
l’essence. Ainsi, la phénoménologie est une description des essences. Elle inventorie les structures qui
régissent tel ou tel domaine de la réalité. La phénoménologie est donc un retour aux choses mêmes
(Encyclopaedia Universalis, 1997).
C’est autour de 1905 que Husserl parle de « mise entre
parenthèses » du transcendant c’est-à-dire de l’objet
réel qui appartient au monde extérieur, pour s’intéresser à l’immanent, soit à l’objet « mental » qui appartient
à la conscience. Ici le principal souci de Husserl est
d’éviter la confusion possible entre l’immanent et le
transcendant par l’utilisation d’une procédure de « mise
entre parenthèses ». Cette procédure limite la phénoménologie aux composantes réelles des vécus et en
exclut le contenu intentionnel qui vise un objet.
Or en 1907, Husserl élabore la « réduction phénoménologique ». Celle-ci va plus loin que l’absence de présuppositions, car elle change le statut de l’intentionnel.
C’est-à-dire que le champ phénoménologique s’étend
désormais au-delà du vécu pour y inclure les objets et
leur « cogitatum » (Folscheid, 1993).
En d’autres termes, la phénoménologie est dite transcendantale puisqu’elle traite de problèmes qui relèvent
de ce qui est au-delà de la conscience. En effet, elle
s’intéresse aux contenus réels, matériels et formels des
vécus (contenus hylétiques et noétiques) mais également à des éléments qui donnent sens (contenu noématique) (Folscheid, 1993).
La réduction phénoménologique est donc le passage
d’une « attitude naturelle » qui croit à l’extériorité absolue des choses à une « attitude phénoménologique » à
partir de laquelle la conscience se comprend ellemême comme constituant le sens des objets du monde.
Autrement dit, la réduction phénoménologique met
entre parenthèses notre compréhension ou plus exacte-
1. Husserl. E. (1900). Prolégomène à la logique pure.
90
Recherche en soins infirmiers N° 69 - juin 2002
DE L’INTÉRÊT DE LA PHÉNOMÉNOLOGIE POUR LA MISE EN ÉVIDENCE
DE L’EXPERTISE INFIRMIÈRE ET LE DÉVELOPPEMENT DE CONNAISSANCES EN SOINS INFIRMIERS.
ment notre préconception du monde. Cette opération
n’est ni un déni du monde, ni une mise en doute de
son existence, mais une décision de ne porter aucun
jugement sur celui-ci, sur les choses et sur les faits
(Encyclopaedia Universalis).
Dans les « Méditations cartésiennes », Husserl
découvre que la conscience transcendantale n’est pas
anonyme, c’est-à-dire que tout vécu est celui d’un moi
qui représente une forme de transcendance. Dire que
le monde me transcende c’est reconnaître qu’il existe
pour d’autres. Par conséquent, la porte s’ouvre sur une
recherche sur l’intersubjectivité (Encyclopaedia
Universalis, 1997).
1.3. Phénoménologie existentielle
La philosophie de Heidegger inaugure une attitude différente de celle de son maître. C’est ainsi qu’une pensée rigoureuse de « l’être-au-monde» ne doit plus passer par la purification de la conscience transcendantale
mais bien par son rejet. Le souci de Heidegger est ontologique en ce sens qu’il s’intéresse à « l’être» unique en
tant que distinct des « étants » c’est-à-dire des choses.
C’est dans « Etre et temps » (1927/1986) que le philosophe dégage les structures du « Dasein » 2 en tant
« qu’être-au-monde » (Encyclopaedia Universalis,
1997). Il est ainsi possible de dire que pour Heidegger
l’homme est pensé à travers sa manière d’exister alors
que Husserl le considère comme une conscience.
Nous ne reprendrons pas systématiquement les
concepts reliés au « Dasein », cependant nous en mentionnerons quelques-uns qui influencent la méthode
phénoménologique retenue. Par exemple la « quotidienneté » est ce dans quoi le « Dasein » est le plus souvent immergé. Dès lors pour Heidegger, le terme phénoménologie signifie « faire voir à partir de lui-même
ce qui se montre tel qu’il se montre » (Huneman &
Kulich, 1997 p. 47). Autrement dit, la phénoménologie
permet de voir des phénomènes tels qu’ils se laissent
voir dans leur quotidienneté, tels qu’ils se manifestent.
Il est possible de dire qu’il s’agit là d’un retour aux
choses elles-mêmes (Folscheid, 1993).
ment. La théorie de l’intuition catégorielle vise à contrer
la pensée de Kant qui différencie la pensée et l’intuition
et qui affirme que les catégories sont dérivées des jugements. Puis Husserl voit la catégorie comme une donnée de l’expérience et non comme une simple structure
de la pensée. Mais pour Heidegger, les catégories ne
sont pas dérivées de jugements, elles sont des structures
des phénomènes eux-mêmes (Folscheid, 1993). Nous
verrons plus tard que cet aspect est capital dans le
cadre d’une analyse phénoménologique.
Autrement dit la conception heideggerienne du phénomène s’éloigne de la conscience qui le constitue selon
la vision husserlienne ; pour voir en lui - dans le phénomène - une dimension des choses elles-mêmes.
Toutefois les deux hommes se rejoignent dans l’idée
que le « phénomène pur » ne peut apparaître, ne peut
se montrer que par la pratique de la « réduction » c’està-dire la mise entre parenthèses que nous avons décrite
précédemment (Folscheid, 1993).
Par ailleurs, Heidegger qualifie sa phénoménologie
d’herméneutique. En effet, s’il accorde à Husserl que
la phénoménologie est par essence une description,
Heidegger la considère plus comme une « interprétation ou une explicitation » que comme une réflexion
sur les vécus. Nous aurons l’occasion de revenir sur cet
aspect dans le cadre de l’approche de Benner (1994),
car elle fait référence à Heidegger lorsqu’elle parle de
phénoménologie interprétative.
Il est ainsi possible de dire que dans le terme « phénoménologie » la partie « logos » signifie selon son étymologie grecque « apophansis » littéralement « monstration » c’est-à-dire qui se montre », qui est décrit, qui est
explicité. Cet aspect est important dans le cadre de
l’analyse des données, car il implique que la chercheuse n’occupe pas une place de spectateur impartial
mais qu’elle fait corps avec le phénomène. Ainsi
Heidegger ne comprend pas l’ontologie comme une
approche qui procède par objectivation théorique,
mais comme une approche très pratique qui n’est
jamais détachée de sa racine existentielle concrète
(Folscheid, 1993).
1.4. Processus herméneutique contemporain.
Parmi les grandes créations de la phénoménologie heideggerienne, se trouve « l’intuition catégorielle». Il est
intéressant de préciser que ce concept découle de celui
de «l’intentionnalité» que nous avons décrit précédem-
Voyons maintenant plus concrètement quel processus
induit la phénoménologie herméneutique contempo-
2. « Dasein » signifie littéralement être-là, mais également existence
91
Recherche en soins infirmiers N° 69 - juin 2002
raine. Cette approche est centrée sur l’étude de l’expérience vécue, dans sa quotidienneté, dans son contexte
naturel, sans effort de conceptualisation ou de réflexion
particulière pour le participant. C’est la narration de sa
propre histoire qui permet certaines prises de
conscience pendant le témoignage. Un peu comme si
la parole, le dialogue, le « logos » participait à un
approfondissement de l’expérience vécue et à une
meilleure compréhension de celle-ci.
La philosophie herméneutique s’intéresse donc à tout
ce qui a accédé à la conscience de la personne concernant un phénomène donné. Toutefois, ce n’est pas la
conscience proprement dite qui est décrite, mais bien
certains aspects de l’expérience vécue qui ont accédé à
la conscience et auxquels la personne a donné un sens.
Autrement dit, ce à quoi la chercheuse accède n’est
pas l’expérience « réelle », mais ce qui a été cristallisé
de celle-ci3. De ce fait, la réflexion phénoménologique
est rétrospective et « introspective », elle a pour thème
une expérience passée dont certains aspects ont été
intégrés comme porteurs de sens, de significations.
La recherche phénoménologique s’intéresse à la nature
d’une expérience, à la description d’un phénomène de
manière à en extraire des « thèmes récurrents » qui peuvent être décrits à travers l’analyse des structures qui
« gouvernent » l’expérience vécue. En outre, la
recherche phénoménologique tente de décrire, d’interpréter et de comprendre les significations de l’expérience d’un phénomène tel qu’il est vécu dans sa banalité et son unicité. Ce type de recherche est
systématique, explicite, autocritique et intersubjectif.
La phénoménologie fait partie des sciences humaines
en ce sens qu’elle s’intéresse aux structures de la signification de l’expérience dans le « monde de l’humain »
(“human world”). Cette approche est également une
pratique attentive et prévenante qui prend soin, est
soucieuse des merveilles de la vie (Van Manen, 1990).
En d’autres termes, la recherche phénoménologique est
centrée sur ce que signifie d’être humain. Enfin, pour
certains auteurs, comme Van Manen (1990), la phénoménologie est une activité poétique, car elle voit le
langage comme une incantation, une évocation parlée
ou comme le dit Merleau-Ponty (1973) « un langage
qui chante le monde ».
Nous verrons maintenant que si la phénoménologie de
Benner (1994) s’inspire de celle de Heidegger, elle va
au-delà de la méthode pour mettre en évidence des
pratiques de soins infirmiers intuitives, méconnues ;
alors même qu’elles sont l’essence de la discipline.
Mais arrêtons-nous d’abord quelques instants à l’aspect
procédural.
1.5. Phénoménologie interprétative de Benner
Pour Benner, Tanner et Chesla (1996) il s’agit, dans un
premier temps, d’écrire nos préconceptions et nos postulats relatifs au phénomène, de manière à prendre
conscience de ce qui nous habite et qui précède la
recherche. Ensuite, il est conseillé de faire une description de la manière dont la recherche est menée et de
comment les choix sont faits (par exemple : pourquoi
certains thèmes récurrents sont rassemblés sous telle
catégorie thématique plutôt que sous telle autre), ceci
afin de maintenir : l’intégrité des données, l’ouverture
intellectuelle lors de la collecte et de l’analyse de
celles-ci, le dialogue entre nos préconceptions et les
représentations issues des écrits ainsi que la rigueur des
interprétations issues des verbatim. Dans le cadre du
recueil de données, l’auteur est favorable à la triangulation des méthodes et préconise par conséquent l’utilisation d’observations directes. Le but poursuivi par
cette triangulation vise à confronter les sources d’informations en vue d’en extraire ce qui est semblable et
dissemblable. Cette pratique permet de mettre en évidence des comportements qui ne sont pas transmis verbalement par les infirmières, parce qu’elles n’y pensent
pas sur le moment ou parce que ce comportement n’a
pas d’importance à leurs yeux. Tout se passe comme si
le contexte des soins était devenu pour ainsi dire invisible à l’infirmière en raison de sa familiarité avec le
milieu, alors que ce dernier est surprenant pour l’observatrice extérieure.
Chaque entretien est enregistré à l’aide d’un enregistreur vocal puis il est transcrit mot à mot. Ensuite
chaque transcription est lue en parallèle à l’écoute de
la bande afin de rechercher et de corriger les éventuelles erreurs.
Il est usuel qu’une analyse préliminaire se fasse en
parallèle au recueil des données afin d’identifier le
moment où il y aura redondance des thèmes. Cela
implique pour la chercheuse de maintenir cette ouverture intellectuelle indispensable afin de mettre entre
parenthèses les entretiens antérieurs, tout en choisissant d’y avoir accès à certains moments précis, afin
3. Ce concept est issu des travaux de Carkhuff (1969). Il est relié à ce que la personne apprend, intègre, garde d’une expérience et qui peut être
réutilisé dans le futur.
92
Recherche en soins infirmiers N° 69 - juin 2002
DE L’INTÉRÊT DE LA PHÉNOMÉNOLOGIE POUR LA MISE EN ÉVIDENCE
DE L’EXPERTISE INFIRMIÈRE ET LE DÉVELOPPEMENT DE CONNAISSANCES EN SOINS INFIRMIERS.
d’obtenir plus de détails par exemple. Il est usuel aussi
de ne pas savoir combien de temps durera la phase de
recueil de données, même si le plus souvent le nombre
d’entrevues ne dépasse guère la quinzaine.
L’interprétation se fait de manière consensuelle lorsqu’il y a plusieurs chercheurs et cela pour toutes les
sources d’informations utilisées. L’unité de base de l’interprétation est l’histoire d’un patient, son contexte, ce
qui précède et ce qui suit.
Selon Benner (1994) la compréhension d’un phénomène surgit lorsque nous rencontrons un ou des
exemple(s) particulièrement frappant(s) du phénomène
étudié. Ces exemples sont appelés des cas paradigmatiques ou “paradigm cases”. Une partie de l’interprétation consiste à repérer comment et pourquoi ces
exemples surgissent, attirent l’attention ou au contraire
comment et pourquoi ils vont à l’encontre de ce qui
était pris pour acquis. En d’autres termes, étudier un
cas paradigmatique a pour but de comprendre la situation à partir de l’expérience du participant, avec ses
contraintes et ses possibilités. Le but n’est pas d’identifier le « processus social de base » qui sous-tend l’action ni des structures abstraites, mais de faire un mouvement théorique d’éloignement de l’action décrite
dans le verbatim pour commencer un dialogue avec ce
dernier et le comprendre à travers le souci du narrateur
et celui de l’interprète. Toutefois, il faut souligner que
la rigueur du processus d’interprétation requiert que
l’interprète ne s’intéresse pas qu’aux cas paradigmatiques, mais qu’elle écoute et donne sens également
aux silences et aux histoires dont elle n’attendait pas la
narration, qui ne ressemblent pas aux autres. Benner
(1994) appelle ces histoires des exemplaires (« exemplars »). Il est possible de dire que l’analyse des exemplaires apporte les nuances qualitatives qui n’étaient
pas disponibles dans les cas paradigmatiques.
Le niveau d’interprétation suivant consiste à identifier
des thèmes. Ce processus se fait à partir des mêmes
textes dont sont issus les cas paradigmatiques et les
exemplaires. Cette technique consiste à faire de multiples aller et retour entre le verbatim et les interprétations de manière à sélectionner les parties qui soutiennent ou au contraire réfutent ces interprétations. Cette
technique peut faire penser à celle de la comparaison
constante qui est utilisée en “grounded theory”. Benner
(1994) précise qu’il est important de citer les cas paradigmatiques qui soutiennent le thème de même que les
exemplaires qui présentent une variation de celui-ci.
De cette manière, l’interprète assume qu’il existe des
incohérences par le fait même qu’il les met à jour.
Enfin, le processus interprétatif ne serait pas complet si
les observations directes ne participaient pas à améliorer la compréhension du phénomène. Elles aident à
appréhender le contexte de la pratique des soins, du
recueil de données et de l’interprétation. En résumé, il
est possible de dire que l’analyse des observations
directes nuance ou renforce les interprétations des verbatim.
Nous venons d’appréhender le paradigme de Benner
(Benner, 1994 ; Benner, Tanner & Chesla, 1996) qui est
la « méthodologiste » retenue pour la présente étude.
De fait, nous avons abordé trois aspects essentiels de
son approche, soit : le premier, épistémologique, qui
considère la subjectivité de l’expérience vécue comme
source essentielle de connaissances, le second, ontologique, qui s’intéresse à la singularité de chaque point
de vue et le dernier, méthodologique, qui fait appel à
l’interprétation. Nous avons également esquissé un des
buts du travail de la chercheuse, c’est-à-dire l’extraction de cas paradigmatiques et d’exemplaires à travers
l’analyse des structures qui sous-tendent l’expérience
vécue.
2. OPÉRATIONNALISATION
Voyons maintenant plus précisément les conséquences
pratico-pratiques qui découlent naturellement de ce
qui précède. Nous mentionnerons, à titre d’exemple, la
question de recherche, puis nous présenterons brièvement l’étape de mise à plat des préconceptions en
regard du phénomène à l’étude. Ensuite nous aborderons les participants, le contexte de l’étude, les entretiens et les critères de rigueur de la recherche phénoménologique..
2.1. Question de recherche
La plupart des écrits consacrés au réconfort auxquels
nous avions eu accès jusqu’en 1999, semblaient ne
s’intéresser qu’au corps, alors que nous voulions justement rejeter le dualisme cartésien qui sépare le corps
de l’esprit et prendre en considération la personne dans
son entièreté. Cette conception de l’être humain, appréhendé comme un être « bio-psycho-social-spirituel »
nous a amené à libeller la question de recherche ainsi :
93
Recherche en soins infirmiers N° 69 - juin 2002
Quelles sont les significations des expériences de
réconfort de personnes en phase postopératoire et des
infirmières praticiennes qui en prennent soin ?
2.2. Mise entre parenthèses
Husserl fut l’un des premiers à introduire la notion de
« mise entre parenthèses » des savoirs, des croyances et
des préconceptions du chercheur. Toutefois, l’objectif
poursuivi initialement par cette procédure visait essentiellement à assurer l’objectivité de la description de
l’observation. De nos jours, ce n’est pas tant l’objectivité qui importe, puisque l’herméneutique nous incite à
reconnaître l’intérêt de l’intersubjectivité, que la mise
à plat voire la prise de conscience des préconceptions
de la chercheuse, de manière à être ouverte à l’expérience de l’autre.
Autrement dit, il s’agit de mettre par écrit ce que nous
savons, pensons, croyons et avons expérimenté à propos du phénomène, afin d’être consciente que ceci
nous appartient et que n’allons pas le « lire » dans les
propos de notre interlocuteur. Cet exercice se pratique
avant chaque entrevue de manière à être tout à la fois
« libre » des témoignages antérieurs et capable d’y
accéder, à certains moments bien précis, pour faire
avancer la compréhension du phénomène. Par
exemple, à un moment donné, il ressortait de l’analyse
préliminaire qu’aucun patient n’avait demandé à être
réconforté, alors-même qu’ils avaient tous apprécié de
l’être. Nous avons donc ajouté une question en lien
avec cet aspect qui nous a permis de comprendre que
le réconfort ne se demande pas verbalement.
Quittons maintenant l’activité de « mise à plat » des
préconceptions pour aborder ce qui est habituellement
connu sous l’appellation « échantillon » et « recueil des
données » et que nous intitulerons à dessein « participants » et « partages d’expériences vécues » telles
qu’elles apparaissent à la conscience de la personne
qui en fait la narration.
2.3. Participants
Les participants à cette étude sont des adultes francophones, hospitalisés dans les deux services de chirurgie
générale d’un Centre Universitaire de Suisse francophone. À partir de la suggestion des deux infirmières
chefs de service, trois premiers critères de sélection ont
été retenus, soit : avoir été opéré sous anesthésie générale, avoir fait un séjour aux soins continus4 et être audelà du quatrième jour postopératoire. Ce dernier critère découle de la pré-enquête qui a démontré que
jusqu’au troisième jour postopératoire, les patients
bénéficient souvent de l’administration continue de
Morphine par pompe et qu’ils sont somnolents et parfois déconnectés du contexte. Nous avons donc préféré
les laisser se reposer et bénéficier pleinement de leur
antalgie. De plus, les troisième et quatrième jours postopératoires sont souvent pénibles en raison de la
reprise du transit. Ces raisons nous ont fait choisir des
patients qui étaient au-delà du quatrième jour postopératoire.
Deux autres critères de sélection ont été prévus : parler
couramment le français et posséder une capacité d’élaboration suffisante de son vécu pour faire des liens et
donner du sens à son expérience.
Ces critères ont pour objectif l’obtention d’un groupe
de participants relativement homogène quant à son
contexte postopératoire. En effet, choisir de ne pas s’intéresser à une pathologie particulière, nous a amenées
à utiliser l’anesthésie générale et le passage aux soins
continus comme critères permettant une certaine
« homogénéité », bien que très relative, de l’expérience
passée. Par ailleurs, les capacités d’expression orale et
d’élaboration5 seront également prises en considération
afin de favoriser l’occurrence de propos pertinents pour
le projet. Cependant, nous avons veillé à ne pas pénaliser des personnes qui auraient des difficultés d’élocution (et non d’élaboration) et qui de ce fait apporteraient une expérience singulière, dans le sens où ces
personnes ont besoin de plus de temps pour exprimer
ce qu’elles ont à dire.
L’exclusion de personnes présentant des difficultés
d’élaboration fait prendre le risque de biaiser les résultats en ce sens que ces derniers ne refléteront pas l’expérience de ces personnes, alors même qu’elles néces-
4. Les unités de soins continus peuvent recevoir 6 patients dont l’état de santé nécessite une surveillance infirmière et médicale rapprochée.
5. Par capacité d’élaboration nous entendons la possibilité de donner une signification à l’expérience vécue, à partir de son histoire personnelle,
de sa capacité de ressentir, de prendre conscience et de nommer ses sentiments et ses sensations de manière à pouvoir raconter cette expérience en lui donnant un sens et en l’intégrant.
94
Recherche en soins infirmiers N° 69 - juin 2002
DE L’INTÉRÊT DE LA PHÉNOMÉNOLOGIE POUR LA MISE EN ÉVIDENCE
DE L’EXPERTISE INFIRMIÈRE ET LE DÉVELOPPEMENT DE CONNAISSANCES EN SOINS INFIRMIERS.
sitent probablement encore plus d’attention de la part
de l’infirmière.
suivre les méandres de notre propre expérience en
regard du processus induit.
Concrètement, il s’agissait de réunir plusieurs dyades :
c’est-à-dire qu’il a été demandé à l’infirmière chef
d’unité de soins de choisir une personne répondant
aux critères ci-dessus6 de manière à ce que cette personne nous « raconte une histoire vécue » qui s’est passée après l’opération et au cours de laquelle, elle a été
réconfortée. Ensuite, il s’agissait d’accéder à l’infirmière qui avait apporté du réconfort et de lui demander de nous « raconter sa propre histoire vécue » lorsqu’elle a réconforté cette personne en particulier.
L’entrevue avec le malade précédait toujours celle
avec la soignante et chaque participant ne pouvait
appartenir qu’à une seule et unique dyade, ceci afin de
ne pas forcer la redondance des thèmes.
Les équipes infirmières des deux Services de Chirurgie
Générale dans lesquels a eu lieu le recueil de données
étaient composées chacune de 40 personnes dont 37
infirmières et 3 infirmiers. Ils pouvaient accueillir 92
patients dont 12 nécessitant des soins continus.
Quant à la détermination exacte du nombre de participants, elle s’est faite dès redondance des thèmes
comme cela est préconisé par Benner (1994).
Rappelons que la notion de dyade est particulièrement
intéressante dans le cadre de cette étude, car le phénomène de réconfort est élaboré dans cet espace transitionnel (Winnicott, 1970), situé entre deux êtres
humains qui peuvent être considérés comme un système à part entière où se « construit » le réconfort. Dès
lors, il est important d’appréhender l’expérience des
deux partenaires de cette dyade de manière à pouvoir
décrire et mieux comprendre ce qui s’y passe.
Les deux unités dites de « soins continus » recevaient
des patients ayant une pancréatite aiguë, des varices
œsophagiennes ou des polytraumatismes avec une suspicion d’hémorragie interne. Y étaient transférés aussi
tous les patients en provenance des soins intensifs de
chirurgie ainsi que les patients développant une embolie pulmonaire massive, des troubles du rythme cardiaque, un delirium tremens aigu. Les patients porteurs
d’une trachéotomie récente ou d’un drain thoracique
sont également transférés aux soins continus.
Les personnes qui ont bénéficié d’une appendicectomie, d’une cure de hernie, d’une cholécystectomie, de
l’ablation de varices aux membres inférieurs, d’une
laparoscopie ou d’une thoracoscopie ne restent pas
plus de quatre à cinq jours dans le Service et sont
considérées comme vivant une situation « chirurgicalement simple », sauf en cas de complications de nature
infectieuse. Précisons toutefois que les critères d’inclusion prédéterminés ne nous ont pas amenée à rencontrer de personnes ayant ce type de pathologie.
2.5. Carnet de bord
2.4. Contexte
En recherche phénoménologique herméneutique, la
pluralité des sources d’informations est non seulement
reconnue mais elle est indispensable. Plusieurs auteurs
soutiennent cette appréhension diversifiée du phénomène (Benner, 1994 ; Benner, Tanner & Chesla, 1996).
C’est pourquoi, nous avons retenu dans le cadre de la
présente étude, les options suivantes : dans un premier
temps, nous avons rencontré des adultes en phase
postopératoire et les soignants qui les avaient réconfortés ; puis dans un second temps nous avons effectué
des observations directes de ces mêmes soignants ;
enfin, les notes qui ont été régulièrement transcrites
dans un « carnet de bord » devaient nous permettre de
Les observations consignées dans le carnet de bord au
fil des jours, permettent de retrouver des informations
isolées et apparemment anodines qui, une fois mises
en relation, permettent d’appréhender le contexte dans
lequel le phénomène prend place.
Par exemple, nous avons eu peu d’opportunité de croiser les chirurgiens, ces derniers étant le plus souvent en
salle d’opération lors de notre présence dans les services. Par contre, nous avons eu l’occasion de rencontrer à plusieurs reprises un jeune médecin anesthésiste.
Ce dernier venait très régulièrement au chevet des opérés sous PCA7 afin d’évaluer leur douleur. Il prenait le
temps d’expliquer aux patients les grands principes
6. Cette procédure a été proposée par la Commission d’Ethique de la Recherche Clinique, en regard du fait que la chercheuse principale n’appartient pas au service de chirurgie et n’a par conséquent pas accès aux informations relatives aux patients qui y sont hospitalisés.
7. PCA : Patient Controlled Analgesia, c’est-à-dire que le patient contrôle lui-même son antalgie dans une fourchette autorisée par le médecin
anesthésiste.
95
Recherche en soins infirmiers N° 69 - juin 2002
d’une antalgie efficace et ceci en des termes simples et
compréhensibles pour un néophyte. De plus, il échangeait spontanément et régulièrement avec les infirmières du service à propos de l’évolution de la situation de tel ou tel patient qui présentait des douleurs
persistantes. Il est possible de dire que ce médecin était
un personnage-clé pour les patients qui souffraient de
douleurs physiques et qu’il était de ce fait le meilleur
allié des infirmières.
Il est à relever que le carnet de bord révèle que certains
aspects pénibles n’ont été mentionnés par les infirmières qu’en dehors des enregistrements, généralement
à la fin de ceux-ci. Cet « appel à l’aide » traduit à nos
yeux, la souffrance de l’infirmière qui ne peut plus
« prendre soin » du patient comme elle sait le faire, de
manière holistique et jusqu’à la fin de la vie. Ceci en
raison du « turn over » des patients et de la surcharge
de travail qu’il implique.
possible de dire que la structure recherchée est une
réduction, une concentration dont nous avons besoin
pour donner sens, prendre conscience de notre interprétation des différents textes (verbatim, descriptions
des observations). Rappelons que simultanément à
cette phase de réflexion, commence celle de l’écriture
phénoménologique herméneutique.
Les onze entretiens avec les patients ont commencé
par une information orale, la lecture et la signature de
deux exemplaires de la formule de consentement
écrite, exigée par la Commission d’Ethique. Une seule
personne a refusé l’enregistrement de l’entretien et ne
nous a pas autorisée à consulter son dossier infirmier.
De plus, cette patiente ne se sentait pas bien, elle transpirait, nécessitait des soins, si bien que nous avons mis
un terme à l’entretien, après cinq à dix minutes. Ces
propos furent faciles à transcrire.
Lors d’une autre rencontre, nous avons estimé que
l’état de santé de la personne se péjorait et ne permettait pas de continuer l’entretien. Celui-ci a été clos
après une vingtaine de minutes et il a été transcrit.
2.6. Entretiens
L’entrevue avec les patients et les soignantes a été guidée essentiellement par deux jeux de grandes questions
ouvertes qui dérivent de la méthode phénoménologique choisie et qui étaient soutenues par les résultats
de la pré-enquête. La question centrale destinée au
patient était libellée ainsi : racontez-moi une histoire
vécue durant cette hospitalisation, qui concerne le
réconfort que vous a apporté un infirmier ou une infirmière…
Le propos de la réflexion phénoménologique est de saisir la signification essentielle d’un phénomène. Et ceci
est tout à la fois simple et complexe, car la prise de
conscience de l’essence d’un phénomène implique un
processus de réflexion, de clarification et d’explicitation de la structure de la signification de l’expérience
vécue. Ce processus est complexe, car il est multidimensionnel, il ne peut se résumer en une définition
succincte. C’est pourquoi la narration est si importante,
car elle émerge d’une activité réflexive favorisée par la
durée de l’entrevue. Il en est de même ultérieurement
pour la chercheuse qui, à son tour, aborde l’activité
réflexive dans l’écriture et la ré-écriture.
Toujours dans l’idée de saisir la structure de la signification du texte, il est aidant d’approcher ce dernier en
termes d’unités de significations, de structures de significations ou par thèmes. C’est ainsi que la réflexion sur
l’expérience vécue devient une analyse réflexive de la
structure de cette expérience. En d’autres termes, il est
À l’exception de ces deux situations, les entrevues avec
les opérés se sont déroulées dans des conditions optimales, c’est-à-dire le plus souvent dans leur chambre,
qui pouvait contenir un ou deux lits et dans laquelle
nous étions seule avec notre interlocuteur. Un des
entretiens, qui devait avoir lieu dans une chambre à
cinq lits, a été conduit dans une petite salle attenante
au service. Le patient qui ne nécessitait pas d’infrastructure particulière en a profité pour faire quelques
pas dans le couloir. Les entretiens avec les opérés ont
pu se réaliser dans une fourchette allant de dix minutes
pour le plus court à deux heures pour le plus long.
Précisons toutefois que la plupart des entrevues ont
duré environ une heure.
Quant aux rencontres qui ont eu lieu avec les infirmières, elles étaient presque toutes précédées d’une
sorte d’avertissement de leur part qui annonçait, qu’en
cas d’urgence, l’entretien serait brusquement interrompu. L’entrevue se déroulait donc dans le service et
pendant les heures de travail de l’infirmière. Toutes les
rencontres ont eu lieu dans des locaux où il était possible tout à la fois d’être tranquille et rapidement atteignable en cas de besoin. Dès la première question, les
infirmières étaient focalisées sur leurs expériences en
lien avec tel ou tel patient et très rapidement la tension
liée au contexte de l’entretien passait au second plan.
La quasi-totalité des entretiens ont duré au-delà d’une
heure.
96
Recherche en soins infirmiers N° 69 - juin 2002
DE L’INTÉRÊT DE LA PHÉNOMÉNOLOGIE POUR LA MISE EN ÉVIDENCE
DE L’EXPERTISE INFIRMIÈRE ET LE DÉVELOPPEMENT DE CONNAISSANCES EN SOINS INFIRMIERS.
Avant de passer à l’autre partie du recueil de données,
c’est-à-dire aux observations directes, il est intéressant
de relever un élément quelque peu surprenant. En
effet, lorsque nous prenions contact avec l’infirmière
qui avait été identifiée - par le patient - comme lui
ayant apporté du réconfort, huit soignantes sur onze
ont été surprises de cela. Elles n’arrivaient pas à imaginer qu’elles avaient participé au réconfort de l’opéré
qui nous amenait auprès d’elles. Ce phénomène nous
a interrogées et nous a confortées dans l’idée de pratiquer la triangulation des méthodes de recueil des données et d’organiser des observations directes.
2.6.1. Codage des entretiens
Chaque entretien a fait l’objet d’une première analyse
individuelle et systématique, qui consistait à « coder » 8
toutes les phrases rattachées de près ou de loin au phénomène. Ces phrases ont été, ensuite, extraites du verbatim par une procédure de « copier - coller ». Seuls les
propos totalement extérieurs au phénomène ont été
écartés, comme l’arrivée d’un soignant dans la
chambre, les interruptions pour boire ou reprendre son
souffle. Concrètement, cette phase s’est terminée par la
production de 22 documents dont la colonne de
gauche contient des extraits de transcription d’entretien, alors que dans la seconde colonne se trouve un
terme qui est une synthèse de la signification de l’extrait. La troisième colonne est destinée à recevoir ultérieurement de nouveaux « thèmes » qui émergeront lors
de la prise en considération de toutes les analyses. La
quatrième colonne attend des remarques diverses
issues des multiples relectures des verbatim. Cette analyse préliminaire s’est faite parallèlement au recueil de
données.
Dans un second temps, tous les « thèmes » ont été
copiés et collés sur deux tableaux synoptiques comprenant chacun 11 colonnes, chaque colonne faisant référence soit à un patient, soit à une infirmière.
Simultanément, de nombreux aller et retour étaient
faits avec les verbatim afin de vérifier si le « thème »
gardait toujours la même signification ou s’il y avait
des différences d’interprétations et lesquelles. Cette
manière de faire est appelée en « grounded theory » la
méthode de comparaison constante.
2.6.2. Catégories thématiques
L’analyse des soixante et un « thèmes » récurrents, a
permis d’extraire sept catégories thématiques relatives
à l’expérience de réconfort des patients. Alors que
l’analyse des soixante-dix thèmes, a permis d’identifier
sept catégories thématiques pour les infirmières.
Les différences et les similitudes concernant les catégories seront reprises systématiquement et approfondies
dans un prochain article consacré aux résultats.
Toutefois à titre d’exemple, nous mentionnons que les
« thèmes récurrents » des patients : être touché par la
compassion de l’infirmière, être ému par les paroles de
l’infirmière et ressentir un souci de l’autre sincère, ont
été classés dans la catégorie « être ému d’être reconnu
comme un être humain qui souffre ».
Parallèlement, nous avons décrypté parmi les « thèmes
récurrents » des infirmières : être ouverte à la souffrance de l’autre, être touchée par les dires du patient
et s’attacher rapidement au patient, comme appartenant à une catégorie intitulée « se sentir proche d’un
être humain qui souffre ».
2.7. Observations
Les observations directes ont eu lieu du 8 au 23 décembre
1999. Elles concernent neuf infirmières sur onze.
C’est ainsi que nous obtenons un total de 41 séquences
d’observation d’une dizaine de minutes, réalisées
auprès de 20 patients qui se répartissent en 11 femmes
et 10 hommes.
Chaque séquence forme un tout cohérent, c’est-à-dire
qu’il y a un début et une fin d’interactions sur un sujet
donné. Le plus souvent la fin de l’interaction était provisoire. Parfois plusieurs séquences se succédaient de
manière rapprochée lorsque le problème à résoudre
nécessitait des allées et venues de la part de l’infirmière. Dans d’autres circonstances, comme la tournée
de l’après-midi, l’échange avec certains patients n’a
comporté qu’une séquence unique d’interactions. Ces
observations ont été réalisées dans le contexte naturel
des soins et selon l’horaire habituel des infirmières. Les
observations ont eu lieu entre 13h30 et 24h00.
8. Le terme est entre guillemets car il ne s’agit pas d’une codification numérique usuelle. À ce propos, Benner et al.(1996) préfèrent le terme «nommer», c’est-à-dire donner un nom plutôt que le terme «coder». D’ailleurs le «codage» nous amène à identifier des «thèmes» et non des «codes».
97
Recherche en soins infirmiers N° 69 - juin 2002
L’unique critère retenu pour effectuer la transcription
de l’observation était que celle-ci ait un lien avec le
phénomène de réconfort. Toutes les transcriptions ont
eu lieu dans les 12 heures qui suivaient l’observation
sur le terrain. En définitive, très peu d’observations
n’ont pas été dactylographiées.
Les observations directes ont permis de confirmer que
l’infirmière utilise beaucoup plus de stratégies de
réconfort que celles dont elle parle. Par ailleurs, l’organisation des soins ressort comme un élément déterminant du contexte qui favorise ou limite les opportunités
de réconfort. Enfin, la collaboration avec le médecin
anesthésiste est un point majeur lors de la phase postopératoire précoce (retour de la salle d’opération).
3. CRITÈRES DE RIGUEUR
En recherche qualitative, quatre critères de rigueur
dominent les principaux écrits. Premièrement, la valeur
vraie ou l’authenticité (Cara, 1999), assure que les
résultats correspondent bien à l’expérience telle qu’elle
a été vécue et transmise par les participants. Ce critère
est atteint par le respect de la méthode et plus particulièrement par le processus de réduction phénoménologique et des multiples lectures des verbatim et de
l’usage de l’intuition.
La « justesse » (Sandelowski, 1986) implique que
l’étude du phénomène se déroule dans son environnement naturel et avec un minimum de contrôle. C’est
pourquoi l’échantillon est théorique et sa taille ne peut
être prédéterminée puisqu’elle dépend de la redondance des thèmes (Benner, 1994). Une étude répond
au critère de justesse lorsque ses résultats sont valables
dans des contextes différents de celui où a eu lieu le
recueil de données.
La « réplicabilité » ou la vérification vise la solidité des
résultats. Ce critère est réalisé lorsqu’un autre chercheur peut clairement suivre le processus de décision
utilisé par l’investigateur principal et qu’il arrive ainsi à
des perspectives comparables et non contradictoires.
Et enfin, la « confirmabilité » ou la crédibilité (Cara,
1999) implique que les résultats décrivent réellement le
phénomène à l’étude. Elle est effective lorsque les trois
critères précédents, authenticité, justesse et réplicabilité
sont établis. Ce critère est assuré par la diversité des participants, la poursuite des entrevues jusqu’à redondance
des thèmes et par la pratique des variations libres par la
chercheuse, de même que par la reconnaissance du
phénomène par les participants ou des experts.
À ce propos trois types de pratiques émergent des
écrits : certains chercheurs font « valider » tout le processus d’analyse en retournant aux participants, ceuxci sont alors considérés comme des co-chercheurs
(Cara, 1997 ; Colaizzi, 1978) ; d’autres consultent des
experts de la méthode, dès les premiers regroupements
d’unité de signification (VanKaam, 1966) ; alors que les
troisièmes refusent que des néophytes aient accès à
l’analyse disciplinaire ; mais ils consentent à ce que les
participants puissent relire leur verbatim (Giorgi, 1997).
Dans le cadre de cette étude, la seconde option a été
privilégiée, car après un séjour aux soins continus,
nous avons pensé qu’il n’était pas souhaitable d’imposer une seconde entrevue aux bénéficiaires de soins.
De plus, les deux infirmières chefs de service nous
avaient averties que les dotations seraient insuffisantes
durant toute la période de recueil de données, c’est
pourquoi nous avons délibérément opté pour une seule
et unique entrevue avec les infirmières.
4. Ethique
Le devis a été soumis et approuvé par la Commission
Permanente d’Ethique de Recherche Clinique à
laquelle nous devions nous référer (août 1999). Le
consentement éclairé des participants a été obtenu à
l’aide de deux formules répondant aux critères émis
par la dite Commission, afin de respecter les us et coutumes du lieu, après que la personne eut reçu oralement et par écrit toutes les informations relatives aux
buts de la recherche. Un délai de réflexion de quelques
minutes à quelques jours était prévu entre l’information
et la signature de la formule. Un exemplaire signé par
les deux parties était remis au patient alors qu’un autre
était consigné dans le dossier de la recherche.
***
Les points forts de la phénoménologie herméneutique
concernent prioritairement la mise en évidence de
l’expertise des cliniciens et des cliniciennes par la mise
en lumière d’habiletés invisibles pour l’œil du
néophyte et souvent utilisées de manière intuitive par
les professionnels. Toutefois cet éclairage ne prend sens
que pour autant qu’il soit restitué en terme de savoirs –
pratiques développés à travers l’intégration de savoirs
théoriques « adaptés » à la situation que vit un
« être-dans-le-monde ».
98
Recherche en soins infirmiers N° 69 - juin 2002
DE L’INTÉRÊT DE LA PHÉNOMÉNOLOGIE POUR LA MISE EN ÉVIDENCE
DE L’EXPERTISE INFIRMIÈRE ET LE DÉVELOPPEMENT DE CONNAISSANCES EN SOINS INFIRMIERS.
Le second point fort de la phénoménologie herméneutique concerne – à moyen terme – le versant théorique de
la discipline, c’est-à-dire qu’elle favorise le développement de connaissances en soins infirmiers ou plus exactement la théorisation de celles-ci à partir de la pratique.
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99
Recherche en soins infirmiers N° 69 - juin 2002
R ECHERCHE
Maud Bécherraz, infirmière, Ph.D. en soins infirmiers
correspondance : [email protected]
3e Partie
EXPÉRIENCES ET SIGNIFICATIONS DU RÉCONFORT
POUR LA PERSONNE OPÉRÉE
RÉSUMÉ
ABSTRACT
Ce troisième article est consacré à l’analyse des
témoignages de onze patients ayant vécu une expérience de réconfort en phase postopératoire. Le processus herméneutique utilisé est celui proposé par
Patricia Benner, toutefois un aspect novateur est présenté dans cette recherche. En effet, l’approche centrée sur la dyade « bénéficiaire – infirmière » permet
trois types d’analyses successives et complémentaires : a) l’une dirigée sur les expériences des opérés,
(b) l’autre axée sur le vécu des infirmières et (c) la dernière consacrée simultanément aux acteurs de
chaque dyade.
This third article is consecrated to the testimony’s
analysis of eleven patients having lived an experience of comfort in post-operative phase. the hermeneutic process used is the one proposed by Patricia
Benner. However, a innovating aspect is presented in
this research. Indeed, the approach centred on the
dyad “patient – nurse” allows three types of successive and complementary analyses : (a) the one is directed on experience of operated people, (b) the second
is directed on the nurse’s living experience and (c) the
last is consecrated simultaneously to actors of each
dyad.
Cette approche méthodologique est indéniablement
le point fort développé par l’auteur, dans le cadre
d’une recherche herméneutique, car elle permet une
analyse qui va au-delà d’un discours infirmier dont le
patient – celui qui souffre – est le plus souvent le sujet
absent. Deux recommandations pour la clinique terminent l’article.
In the frame of the hermeneutic research, this methodological approach is undeniably the strongest point
developed by the author, because, it allows an analysis which goes beyond the nursing speech whom the
patient “who suffers” is more often the missing subject.
Two clinical recommendations end this article.
Mots clés : dyade, herméneutique, émancipation,
patient, réconfort, phase postopératoire.
Key words : dyad, Hermeneutic Phenomenology,
emancipation, patient, comfort, postoperative phase
100
Recherche en soins infirmiers N° 69 - juin 2002
EXPÉRIENCES ET SIGNIFICATIONS DU RÉCONFORT
POUR LA PERSONNE OPÉRÉE
INTRODUCTION
d’analyse consacrée aux entretiens. L’analyse des
observations directes a été réalisée selon le même processus et permet essentiellement d’affiner et de compléter les dires des infirmières (Bécherraz, 2000).
Cet article est le troisième d’une série consacrée à la
phénoménologie et à l’étude du phénomène de réconfort. Il fait suite aux deux premiers : l’un consacré à
l’élaboration d’une problématique de recherche qualitative issue de la pratique (Bécherraz, soumis), l’autre
axé sur l’intérêt de la phénoménologie herméneutique
pour la mise en évidence de l’expertise infirmière et de
connaissances en soins infirmiers (Bécherraz, soumis).
Le présent article est centré sur l’analyse d’une partie
des données, de manière à clarifier un des processus,
visant l’extraction de catégories thématiques. Dans une
démarche qualitative, il est important que le lecteur
puisse suivre la pensée de la chercheuse afin de comprendre comment elle arrive aux interprétations qu’elle
propose. Par conséquent, la présence d’extraits de
témoignages – appelés verbatim – sert deux propos
prioritaires et complémentaires : le premier vise à
asseoir les catégories thématiques en identifiant l’origine de celles-ci. L’autre, permet de pimenter et d’agrémenter le texte par le discours coloré des acteurs qui
vivent une expérience de réconfort, voire une absence
de réconfort.
Trois recommandations pour la pratique des soins infirmiers clôturent l’article et permettent de concrétiser
une partie des résultats de la recherche. La circularité
de l’information est ainsi assurée.
1. Processus d’analyse des données
L’analyse des données a débuté par le regroupement
des onze dyades selon leurs expériences du phénomène et leurs caractéristiques propres. Ensuite, une
analyse approfondie de l’intégralité des entretiens des
patients puis des infirmières a été réalisée à travers
l’activité de « codage ». Quatorze catégories thématiques ont émergé du regroupement et de l’analyse des
« codes » dont sept synthétisent l’expérience des
patients et sept résument celles des infirmières.
Par la suite, la rédaction de onze « histoires dyadiques »
a permis d’identifier et de consolider la présence de
cinq « cas paradigmatiques » et de trois « exemplaires ».
La rédaction des cas a terminé cette première phase
1.1. Analyse des témoignages de onze personnes
opérées
Une seconde analyse des témoignages des patients
s’est faite à l’aide de deux axes orthogonaux. L’axe
horizontal tenait compte du fait (de gauche à droite)
que le patient « ne se sent pas réconforté » ou à l’opposé « se sent réconforté » et l’axe vertical considérait
(de haut en bas) que l’infirmière est perçue comme
« offrant du réconfort » ou au contraire « n’offrant pas
de réconfort ». Le même canevas a été utilisé pour
l’analyse des témoignages des onze infirmières.
Finalement, les propos d’un patient relatant son expérience de réconfort se trouvaient dans le même espace
que celui où l’infirmière décrivait le réconfort qu’elle
lui avait apporté. Il est donc possible de dire que deux
sortes de sous-espaces géographiques se dessinaient,
soit un sous-espace congruent, composé des cadrans1
« plus/plus » (+/+) et « moins/moins » (-/-) et un autre
non congruent, composé des cadrants « moins/plus »
(-/+) et « plus/moins » (+/-).
L’analyse des verbatim disposés sur deux axes orthogonaux permet de visualiser que tous les patients, à l’exception d’un, ont parlé d’une expérience pendant
laquelle ils ont été réconfortés. Cependant, ils se sont
également exprimés sans aucune difficulté sur ce
qu’est pour eux l’inverse du réconfort. Il est ainsi possible de dire qu’à l’occasion d’une hospitalisation, il
est usuel d’expérimenter les deux versants opposés du
même phénomène, soit être réconforté (plus exactement se sentir réconforté) et ne pas être réconforté (ne
pas se sentir réconforté).
Voyons maintenant les éléments constitutifs des quatre
cadrans séparés, au centre, par les axes orthogonaux.
Nous analyserons tout d’abord ce qui caractérise l’absence de réconfort car il est intéressant dans le cadre
de l’étude d’un phénomène donné de s’attarder aussi à
son contraire. Cette manière de faire permet de compléter et d’affiner l’image obtenue à partir de positions
différentes. Puis nous aborderons les contenus des
deux cadrans « non superposables » dans lesquels les
1. La dénomination des quatre espaces délimités par les deux axes orthogonaux se réfère à la terminologie utilisée en mathématiques.
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Recherche en soins infirmiers N° 69 - juin 2002
protagonistes ne sont pas en phase l’un avec l’autre.
Nous terminerons par les éléments du cadran dans
lequel l’attente du patient et l’offre de l’infirmière coïncident et sont « superposables ».
1.1.1. Espace « moins – moins »
Dans l’espace (-/-) 2, la personne « ne se sent pas réconfortée » et elle perçoit que l’infirmière « n’offre pas de
réconfort ». Les opérés parlent en termes de douleurs
physiques qui ne sont pas apaisées pour différentes raisons, de désespoir, d’absence de parole, de soins peu
individualisés, de manque d’information, d’indifférence ou de manque d’intérêt de la part de l’infirmière,
de ce fait, ils se sentent oubliés, voire abandonnés.
Voici maintenant l’essentiel des propos recueillis en
réponse à la question : quel serait pour vous l’inverse
du réconfort ? » 3
Un homme de 51 ans se souvient de ses douleurs en
phase postopératoire :
« Oui, parce que c’est le truc que je trouve un peu
embêtant. J’avais une épidurale, puis à 8h. du soir,
j’avais mal dans le ventre, un jour ou deux jours après
l’opération, je crois, puis j’ai appelé, je pouvais pas
causer, je faisais des signes et puis les infirmières, bon
elles continuent à boire leur café et de discuter, et puis
elles sont venues une ou deux fois vers moi, puis il y a
rien qui se passait, elles trouvaient rien. Et puis au bout
de 3h. de souffrances, elle a fait venir un anesthésiste,
et l’épidurale s’était cassée et puis j’ai revécu 3h. sans
calmant, sans épidurale, sans rien.
C’est ça.
Et puis j’ai eu beau faire signe, elles continuaient de
discuter de leurs problèmes et puis de boire leur café,
vous savez, c’est long 3h. quand on n’a pas de calmant
après l’opération ».
Vous aviez mal.
« Oh, affreux. Ça alors, ça m’a dérangé ça. C’est le seul
truc que je trouve négatif. À la fin, ils ont quand même
fait venir l’anesthésiste qui a trouvé l’histoire. Il m’a
mis de l’éther et puis tout était froid, partout. Donc
l’épidurale faisait plus d’effet, ni des calmants, plus
rien.
Oh, je voudrais jamais recommencer ça. Je ne dis pas
que c’était pas de leur faute, parce que je pouvais pas
savoir que c’était le truc qui était cassé. Ils auraient
bien pu faire venir l’anesthésiste plus vite, je sais pas. Je
peux pas dire ce qu’elles auraient dû faire, mais tout ce
que je sais, c’est que c’est long trois heures quand on
les appelle et que personne vient ».
Un homme de 61 ans relève le manque d’information,
l’indifférence et les oublis :
« Je crois que le pire quand on est dépendant des
autres, dans un hôpital c’est de ne pas être informé,...
d’avoir des interventions dont on ne connaît ni la raison ni le pourquoi, ni la manière.
Oh le contraire du réconfort, ce serait un peu l’indifférence. L’indifférence d’une infirmière qui fait son travail mais d’une manière raccourcie, sans intérêt pour
le patient.
Un travail un peu bâclé, des oublis. Si on (nous) oublie
devant le lavabo et que la sonnette elle est là puis
qu’on ne peut se lever. Mais quand on est dépendant
des autres et qu’on nous oublie, c’est très dur. C’est
exactement l’inverse de l’attention, du réconfort ».
(Ce patient a fait un malaise devant le lavabo et il ne
pouvait pas attraper la sonnette pour appeler l’infirmière)
Un homme de 78 ans dénonce le manque d’anticipation des difficultés liées à une hémiparésie :
«Par exemple des petits détails... la majorité viennent,
elles savent que je ne peux pas bien manier cette main.
Alors le soir «ah je vous coupe la viande, ce soir c’est
pas nécessaire parce qu’il y a du poisson... mais il y en a
d’autres paf! (elles posent le repas) et «au revoir...» elles
s’en vont. Que c’est... comme ça du vite expédié...»
Une femme de 78 ans parle d’un manque d’amour,
d’un manque d’imagination, d’un manque de compréhension, d’un manque de délicatesse et d’une emprise :
« Au fond un manque d’amour... de sentir qu’on pèse et
puis qu’on est désagréable à l’autre... qu’on est un
poids ou une expérience qui ne va pas...
Quelque fois un manque même d’imagination de ce
que l’autre ressent. Dans le fond c’est ne pas pouvoir
se mettre à la place de l’autre.
2 Dans cet article, le premier signe se réfère toujours à la personne opérée.
3 Les phrases écrites en italique ont été prononcées par la chercheure lors des entrevues.
102
Recherche en soins infirmiers N° 69 - juin 2002
EXPÉRIENCES ET SIGNIFICATIONS DU RÉCONFORT
POUR LA PERSONNE OPÉRÉE
Mais ça serait surtout... une petite animosité. Ça serait
très le contraire du réconfort.
Ou la dureté qui serait plus que l’indifférence mais qui
serait aussi plus rare ».
La dureté dans quel sens ?
« Un manque de cœur, un manque de compréhension... ... ... un manque de délicatesse. Parce qu’il y a
des gens très bien intentionnés qui envahissent.... Et ça
ce n’est pas un réconfort, c’est une prise de, un peu...
une emprise, voilà, ça je n’aime pas du tout ».
Les chirurgiens sont également cités comme sources de
souffrances supplémentaires dans trois circonstances :
premièrement dans la manière décontextualisée d’annoncer une intervention chirurgicale, comme si celleci était banale. D’ailleurs les mots utilisés sont désincarnés, l’opérateur fait référence à une technique
opératoire connue, maîtrisée, dont les conséquences
ne peuvent être que positives, puisqu’il s’agit d’ôter, de
couper, d’extirper les conséquences de la maladie ou
du vieillissement.
Un homme de 78 ans pense qu’il est « foutu » après
l’annonce de l’opération :
« Tout d’un coup le docteur d’en bas dit non, vous restez ici. Il y aura des amputations de ceci, cela. Hou ! ça
m’est tombé dessus. J’ai dit à ma femme, je suis foutu.
J’avais l’envie de dire au docteur, au professeur, vous
n’avez pas une pastille de... comment, cyanure,...que
je dise au revoir.
Alors que j’étais très actif. Alors, puis tout d’un coup se
trouver là comme une loque, je ne pouvais pas l’avaler.
Et puis ne pas voir le bout du tunnel, vous comprenez.
Parce que le docteur me dit, on va déjà couper ça et
puis si ça va, ça ira bien, autrement on coupera plus
haut, plus haut.
Ah, j’étais prêt à... je ne veux pas dire me suicider (à
l’hôpital), mais.... »
Deuxièmement, par la douleur physique infligée à
l’occasion d’une réfection de pansement non programmée, pour laquelle l’antalgie n’a pu être adaptée,
semble être minimisée par certains chirurgiens arrivant
à l’improviste pour « faire un pansement »
Une femme de 74 ans parle de la réfection de son pansement :
« Ça faisait tellement mal, heureusement qu’il y avait la
p’tite qui me tenait la main (l’étudiante).
Enfin, certains patients observent le manque de disponibilité de certains médecins pressés, stressés et qui
n’ont donc pas le temps de s’arrêter pour donner des
informations adaptées à leurs savoirs naïfs ».
Un homme de 41 ans a peur de faire perdre du temps
aux soignants :
« De demander aux gens,... aux infirmières, aux personnes, aux médecins hm... premièrement on n’ose
pas. Deuxièmement on les sent quand même qui ont
un travail à effectuer, donc automatiquement ben, ils
ont pas toujours deux minutes... On a l’impression
qu’ils sont assez stressés donc euh tout de suite on
essaie de bâcher pour pas leur faire perdre du temps ».
1.1.2. Espace « moins – plus »
Dans l’espace (-/+) la personne opérée « ne se sent pas
réconfortée », alors qu’elle perçoit que l’infirmière
« offre du réconfort ». C’est un patient qui n’accepte pas
d’être réconforté par une autre personne que sa
conjointe. Il s’agit là d’une situation unique qui a été
analysée à titre d’exemplaire (Benner, 1994). Voici la
réponse du patient à la question : avez-vous reçu du
réconfort sans en demander, ici en chirurgie ?
Un homme de 41 ans n’accepte pas de réconfort de la
part des infirmières :
« Oui, sans doute.
Est-ce que j’accepte aussi... C’est le gros dilemme ?
C’est que moi j’aime une personne et c’est tout pour
elle donc. Donc c’est pour ça que les autres infirmières
elles ne le montrent pas, mais je pense qu’elles souffrent quand même un peu de,...comment ça s’appelle...On sent trop qu’il n’y a que sa femme et lui,
donc. L’infirmière elle est à côté... mais comment elle
peut donner du réconfort à une personne qui pense
psychiquement à sa femme ? »
Une seconde difficulté émerge du discours de cet
homme : la fierté qui empêche de demander du réconfort :
« Mais la fierté d’une personne est tellement forte qu’ils
ne vont pas demander de réconfort. Ben c’est un peu
comme moi : j’ai une fierté aussi... Puisque je suis un
homme. Mon père m’a dit que je suis un homme, donc
un homme, un homme doit être fort, il ne doit pas
avoir de faiblesses ».
103
Recherche en soins infirmiers N° 69 - juin 2002
Il est d’ailleurs soutenu dans cette vision par un
homme de 61 ans :
« Oui et puis en tant qu’homme, on ne pleure pas
facilement, on se cacherait presque ».
contre de deux êtres humains et de la compassion. En
d’autres termes, il s’agit bien plus pour l’infirmière
« d’être avec » que de faire. Ecoutons ce que disent les
opérés concernant ce réconfort de base essentiellement
lié à la présence de l’infirmière. Ils sont unanimes.
Rappelons que pour alléger le texte nous avons choisi
de ne présenter que quelques témoignages significatifs
sur l’ensemble.
1.1.3. Espace « plus – moins »
Une femme de 74 ans relève l’importance de la présence et du toucher :
Pour parler de l’espace (+/-), il est nécessaire d’utiliser
le conditionnel. En effet la personne « se sentirait
réconfortée » alors même qu’elle percevrait l’infirmière
comme « n’offrant pas de réconfort ». Cet espace n’est
pas utilisé par les patients. Plusieurs interprétations
peuvent être émises à partir de ce constat. La première
envisage que les questions posées essentiellement centrées sur l’expérience de réconfort issue d’interventions
infirmières, les patients n’ont pas évoqué de situations
où ils pratiqueraient un auto-réconfort de nature cognitive par exemple. Leurs propos suggèrent une certaine
« passivité », comme si dans un premier temps, ils
n’étaient que le réceptacle du réconfort. Par contre, ils
ont souvent abordé le réconfort spirituel ou celui
apporté par leurs proches (conjoint, enfants, petitsenfants, collègues, voisinage) mais toujours dans la
position de récipiendaire. Ce constat laisserait-il supposer que dans un premier temps le réconfort consiste
à recevoir ? Car le silence de cet espace suggère que le
réconfort n’est pas considéré par les opérés comme un
auto-soin délibéré, conscient et volontaire. En d’autres
termes, en phase postopératoire, l’origine du réconfort
est extérieure à la personne. Et ce n’est que vers la fin
de l’hospitalisation que nous observons la catégorie
thématique « être à nouveau source de réconfort pour
soi et autrui ».
Qu’est-ce qui vous a le plus réconfortée ?
« Sa présence, sa gentillesse, qu’elle me tienne la
main... ne pas être seule ».
Une femme de 32 ans apprécie la proximité de l’infirmière, de ne pas être seule et de recevoir un câlin :
« Je vois que les gens prennent à cœur ce que j’ai... les
infirmières y sont aussi impliquées comme moi dans
ma maladie...
Elle (l’infirmière) a dit, je vis autant que vous,... je me
mets à votre place, c’est touchant à quelque part...
Elle aime bien voir les gens... moi ça m’aide bien sûr...
Je ne suis pas seule (...)
Elles ont leur manière de me montrer qu’elles sont avec
moi. Je voyais qu’elle s’intéressait beaucoup à ma
maladie, qu’elle s’intéressait beaucoup à ma situation,
j’sais pas, ça se sent. Mais il y a des gens qu’on sent
plus que les autres.
un p’tit câlin,... un petit mot quand on pleure...
À quelque part on se sent utile, j’sais pas des fois, un
petit mot, un petit geste, un petit quelque chose... mais
ça fait du bien... »
Un homme de 43 ans aime la présence de l’infirmière,
son sourire et ses paroles encourageantes :
1.1.4. Espace « plus – plus »
Enfin, l’espace (+/+) est de loin le plus riche compte
tenu de l’objectif poursuivi, c’est-à-dire de mieux comprendre la signification de l’expérience de réconfort à
travers le double regard de l’opéré et de l’infirmière qui
en prend soin. Ainsi, dans cet espace la personne « se
sent réconfortée » et elle perçoit que l’infirmière « offre
du réconfort ». Il est possible d’extraire des éléments
communs à dix patients : une présence bienveillante,
une attention à l’autre, un souci de l’autre avec le plus
souvent un regard, un sourire, un contact physique qui
sont accompagnés de paroles d’encouragement. Il est
possible de dire que là, le registre est celui de la ren-
« Les infirmières sympathiques... (un) sourire,... elles
sont là, ça c’est un réconfort...
Une personne est venue me dire « quand vous partirez
(de l’hôpital), venez nous dire « bonjour ». Ça m’a fait
vachement plaisir...
C’est qu’on ne me laisse pas tomber... qu’on s’occupe
de nous...
C’est court mais ça fait plaisir...
Ouais, ça suffit pour être bien dans sa peau...
Il faut de l’accompagnement, quoi, quand on a un truc
comme ça... »
Une femme de 78 ans aime être touchée et elle apprécie la compassion des infirmières, le souci authentique
de l’autre et de ne pas être seule :
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Recherche en soins infirmiers N° 69 - juin 2002
EXPÉRIENCES ET SIGNIFICATIONS DU RÉCONFORT
POUR LA PERSONNE OPÉRÉE
« J’ai trouvé déjà le fait d’en parler, d’accepter de s’arrêter pour parler avec l’autre comme on parlerait avec
une amie..., j’ai trouvé ça très remarquable...
Et un soir où j’ai eu une sorte d’hémorragie, où une
petite artère a sauté... il y avait huit personnes autour
de moi ; là il y avait une infirmière asiatique que je
connais depuis le début de l’année, qui était là, qui me
caressait la main. Et c’est vrai que c’était pas indispensable mais bienfaisant... »
Qu’est-ce qui fait du bien ?
« C’est la qualité des gens, cette qualité d’abord de
vocation d’aider...
Qualité de sensibilité, de tact de... on sent aussi de
pensée, quelquefois et puis que ce soit sincère. Quand
on peut être transparent et qu’on sente que c’est vrai.
C’est une attention sincère... un souci de l’autre sincère... »
Et la compassion de l’autre fait du bien ?
« Ça fait du bien et je trouve que ça enrichit de voir
toutes les différentes manières, manifestations de compassion. Il y a ceux chez qui on le voit tout de suite et
puis il y en a d’autres chez qui, tout à coup, on le rencontre.
(Je suis) toute émerveillée de cet, de ce fluide qui passe
au point de vue humain... Oui, c’est que, à ce moment
là on ne se sent pas seule à l’hôpital, on a l’impression
qu’il y a, oui, qu’il y a vraiment quelque chose qui
touche aussi l’autre.
C’est la qualité de l’humain, au fond, qui fait le réconfort. »
Les catégories thématiques identifiées dans les extraits
qui viennent d’être présentés sont les suivantes : « être
ému d’être reconnu comme un être humain qui
souffre », « ne pas être seul » et « être touché physiquement ». Il est intéressant de souligner que dans cette
première phase, toute personne attentive et attentionnée pourrait remplacer l’infirmière. Toutefois, cette
chorégraphie « en miroir », ce rapprochement de deux
êtres humains, joue un rôle primordial dans l’offre en
soins que fera l’infirmière dans un second temps.
Puis il semble qu’intervienne un registre plus professionnel qui comporte plusieurs subdivisions de complexité croissante et qui ne sont perçues que par
quelques patients. La première est identifiée par certains patients en termes de « faire ce que je ne peux pas
faire » et que le jargon professionnel nomme volontiers
la suppléance dans les activités de la vie quotidienne
(AVQ). Cette suppléance est primordiale pour l’opéré
qui la considère comme une source importante de
réconfort. Curieusement, l’infirmière a tendance à
banaliser cet aspect des soins.
Un homme de 43 ans apprécie la suppléance dans les
activités de la vie quotidienne :
« Physiquement quand on ne peut pas exécuter
quelque chose soi-même . Pour un malade, la première
fois ça fait bizarre. Je pense que les infirmières sont formées pour ça. Heureusement... Ça fait plaisir qu’on
s’occupe de nous... »
Un homme de 78 ans décrit comment il est encouragé
et aidé à faire des choses qu’il n’imagine pas pouvoir
faire :
« Parlant de l’infirmière : « Ah ben, elle me secouait de
temps en temps... il faut y aller, on va se mettre debout,
je lui dis : mais je peux pas « je vous aide »
Aller, comme aujourd’hui, « ah ! on a 1/4 d’heure, je
vais vous laver les cheveux », oh ben c’est gentil ! mais
je ne m’y attendais pas ».
Une femme de 34 ans est émerveillée qu’on l’aide à se
lever le premier jour postopératoire :
« Le lendemain matin quand ils ont réussi à me lever
au fauteuil, j’en revenais pas moi-même, parce que je
m’imaginais en tout cas pas sortir d’une greffe et que le
lendemain je serais assise dans un fauteuil. Mais ils
savent tellement bien expliquer déjà la position qu’il
faut prendre, aider pour pas qu’on se fasse mal et,
qu’ils (...) mettent en confiance... »
Une femme de 32 ans parle de suppléance émotionnelle :
« Il y a quelqu’un qui fait quelque chose pour moi, que
je ne suis pas capable de faire, mais je sens qu’elle
m’aide de me mettre un peu en paix, ne pas avoir peur
d’affronter, j’sais pas, l’avenir... »
Ici la catégorie thématique centrale est « faire ce que je
ne peux pas faire moi-même ». Toutefois il est déjà possible d’observer, à travers le dernier témoignage, qu’il
ne s’agit pas uniquement d’une suppléance banale liée
à « faire pour l’autre », mais bien d’un soutien, d’une
suppléance émotionnelle momentanée. Cette catégorie
souligne l’importance, pour l’infirmière, de considérer
la signification que le patient donne aux soins.
105
Recherche en soins infirmiers N° 69 - juin 2002
Ensuite et toujours dans ce registre professionnel, mais
beaucoup plus subtil et plus complexe à décrire par le
néophyte, intervient ce que certains patients appellent
« le professionnalisme » et qui consiste à être soutenu, à
pouvoir s’appuyer et finalement à être capable (physiquement et émotionnellement) de traverser cette
épreuve et cette rupture que représente toute opération
qu’elle soit mineure ou majeure. C’est dans cette catégorie que prend place l’anticipation de la douleur ou
le fait d’être à l’affût des prodromes d’une complication. Plusieurs patients ont décrit ce qu’ils avaient vécu
avec telle ou telle infirmière lors d’une phase aiguë.
Leurs propos illustrent bien les diverses facettes du
phénomène de réconfort en phase postopératoire et
l’importance de se décentrer du présent pour se
connecter au futur.
«Oui, et puis bon, elle m’a bien fait comprendre que tout
s’était bien passé, que le rein s’était mis à fonctionner
tout de suite, qu’on avait une bonne diurèse, plein de
choses que je ne m’étais pas encore rendue compte vu
l’état dans lequel je me trouvais mais c’est vraiment
réconfortant, parce que là tout de suite, j’ai eu le sentiment que c’était bon, que ça avait marché et puis voilà».
Une femme de 32 ans est consciente des difficultés
liées au rejet d’une greffe, mais elle sait que le futur
existe :
C’est d’abord être attentif évidemment. Et puis, aussi,
de... de chercher à répondre à une angoisse peut-être,
ou à une question qui se pose.
« (Savoir) que le futur existe, (...) qu’il peut être encore
mieux qu’aujourd’hui, voilà...
J’ai trouvé déjà le fait d’en parler, d’accepter de s’arrêter pour parler avec l’autre comme on parlerait avec
une amie..., j’ai trouvé ça très remarquable.
Je sais que je suis en train de passer un mauvais
moment (...) et que je vais outrepasser tout ça, aller en
avant (...) Savoir que la vie continue. (...). Que le futur
existe... »
Un homme de 78 ans raconte comment il a été encouragé, soutenu, projeté dans le futur et comment il réapprend à vivre :
« Elles m’ont dit, mais vous pourrez prendre courage
Monsieur E.... Alors elles m’ont réconforté. Elles m’ont
dit, écoutez, il faut vous cramponner, vous verrez, ça
ira mieux, et puis c’est ce que j’ai fait, et puis bon, je
m’en trouve réconforté.
Il y a eu de ces jeunes que je me serais jamais entendu
dire, ben nom de bleu, elle va me remonter le moral
cette infirmière, voyez.
Elle me disait, « voyez ça s’est bien passé, donc vous
allez sur le bon chemin ».
Mais elle me dit, il y a encore de belles journées, il y a
encore des beaux jours qui vont se lever. Alors elles ont
eu des paroles qui étaient, qui m’ont touché.
Gentiment je réapprends à vivre, si on veut bien dire,
voyez ».
Comment vous sentez-vous une fois que vous êtes
réconforté ?
« Oh ben ! on refait des projets... »
Une femme de 34 ans souligne la signification existentielle que peut renfermer une information :
Une femme de 78 ans observe l’extrême attention de
l’infirmière, sa capacité à écouter son souci et à y
répondre. Elle parle également du réconfort lié à l’assurance de savoir qu’elle recevra ce dont elle aura besoin :
« Une infirmière qui, un jour justement où je me faisais
du souci ; je me posais des questions, qui s’est arrêtée,
qui m’a gardée un bon moment .
Mais ça crée évidemment un lien. Cette infirmière qui
maintenant ne s’arrête plus, eh bien je ne peux pas
oublier qu’on a eu un entretien plus profond. Alors évidemment à ce point de vue là, il y a évidemment une
proximité affective.
Elle m’a aussi parlé de sa famille et...ça crée aussi un
lien de savoir ce que le soignant fait ».
Quel lien faites-vous entre le réconfort et la souffrance?
« Je dirais un nœud, ce que le calmant est pour la douleur...
Mais ça atténue la souffrance dans le sens qu’elle est
partagée, portée, quelqu’un vous porte avec vous...
Etre encouragée, être soutenue...
Ce qui m’encourage au fond, c’est quelque chose de
vrai... ... les gens, peut-être, ne se rendent pas comptent qu’ils donnent. On ne dit pas assez aux gens ce
qu’ils donnent. Et je pense que le soignant, quand il
sent qu’il donne, que c’est reçu, ça stimule... ...
Seulement, il y a la générosité qui est toute prête là, et
qui n’attend au fond que, que de sentir que la porte est
ouverte pour recevoir.
Et il y a des toutes petites choses qui sont du réconfort :
comment on vous installe. Des choses toutes matérielles et qui sont une assurance pour le malade ».
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Recherche en soins infirmiers N° 69 - juin 2002
EXPÉRIENCES ET SIGNIFICATIONS DU RÉCONFORT
POUR LA PERSONNE OPÉRÉE
Une assurance
« De sentir que on aura ce dont on a besoin ; que les
gens savent au fond ce dont on a besoin. Même si on
ne le dit pas ».
Les catégories thématiques identifiées dans ces témoignages sont : « être ému d’être reconnu comme un être
qui souffre », « faire ce que je ne peux pas faire moimême » et « être projeté dans un futur meilleur ».
Par ailleurs, en dehors de la dyade « bénéficiaire –
infirmière » qui demeure le focus de cette étude, il est
intéressant de souligner que tous les patients ont fait
référence au réconfort apporté par leur famille, leurs
amis, leurs collègues, voire les voisins de chambre,
mais également par la spiritualité. C’est dire qu’en
dehors du réconfort offert par l’infirmière, il existe un
réconfort ancré dans la sphère privée et sociale de la
personne. D’ailleurs, les infirmières qualifiées d’expertes englobent cette sphère familiale et sociale dans
leurs interventions visant le réconfort de l’opéré.
Mais pour l’instant, voici quelques expressions spontanées de patients à propos du rôle joué par leur entourage et la spiritualité.
Une femme 32 ans parle de la force du lien avec ses
enfants :
« Mes enfants, ils sont là, ils sont tout pour moi... »
Un homme 43 ans mentionne l’importance des liens
avec l’extérieur de l’hôpital :
Pas faire des choses grandissimes, vous voyez. Mais
finir ma vie tranquillement et puis pas être trop à la
charge de quelqu’un.
« Mais bon, tout, par la grâce de Dieu, ça s’est...
comment, mis ensemble pour me remettre un peu sur
les rails ».
Une femme 66 ans est réconfortée par les messages de
ses amies et la visite de son médecin traitant :
« J’ai reçu un téléphone de Paris, une carte des
Seychelles... j’suis toute émotionnée, ça me fait plaisir
qu’on pense à moi depuis, depuis là, oui (...) c’est une
collègue, enfin une collègue qui travaille encore tandis que moi je suis à la retraite...»
Une chose qui m’est arrivée mais qui me fait très très
plaisir, ça concerne pas le CHU, mais ça concerne
mon médecin de famille qui est venu me retrouver.
Oh oui, puis je dormais quand il est arrivé. Il ne m’aurait pas réveillée,... mais j’ai senti sa présence et puis je
me suis réveillée. Ça m’a fait du bien de le voir...
Une femme de 71 ans raconte comment elle a protégé
son conjoint pendant qu’elle était mal. Elle parle de
l’importance des visites de ses ex-employées et de ses
voisines. Elle mentionne le réconfort spirituel.
« Même s’ils ne viennent pas, un téléphone, pi ils
disent « bonjour » et puis c’est tout... Mais un aprèsmidi, une voisine est venue me trouver, c’est gentil...
C’est même pas la famille... mais je trouve que c’est
joli... je fais partie de la gym, elles ont presque toutes
téléphoné...
« Les téléphones, les visites... »
Un homme 78 ans est conscient du réconfort qu’il a
reçu de ses proches et des projets qu’ils ont faits
ensemble. Il est reconnaissant envers Dieu :
(Mon épouse disait) Oh, prends courage, ça va t’aider.
Ma fille, mon fils disaient la même chose. Puis je
voyais mes petits enfants qui venaient.
Il te faut venir par ce que tu sais, l’année prochaine on
va faire une croisière, y en a un qui me disait (petit fils).
Mon mari est plus âgé, il a 79 ans, alors j’ai vu qu’il
était tout malheureux, il est venu tous les jours et je lui
disais que ça allait bien. C’est pas vrai ; j’ai menti tout
le long. C’est pour eux que j’ai pas voulu...
C’est, d’être entourée... quelqu’un qui vient leur dire
« bonjour »
Ces serveuses qui sont encore gentilles avec nous
parce que moi j’étais gentille aussi
Comme mon petit fils me disait « on va en croisière »...
on voit la vie en avant, voyez, on se dit, ben bon je
pourrais faire ci, je pourrais faire ça encore, voyez.
Si nous-mêmes on donne quelque chose et qu’on
reçoit, c’est un réconfort.
Et puis, ma femme, mes enfants, mes petits enfants, ils
ont encore besoin de moi.
Ben je vais vous dire que moi... je ne pratique pas.
Mais je prie quand même tous les soirs »... je crois
107
Recherche en soins infirmiers N° 69 - juin 2002
quand même en Dieu. Il y a le réconfort dans la
croyance ».
Les catégories thématiques identifiées sont « être
entouré par ses proches, ses amis et ses collègues » et
« être soutenu spirituellement ».
Enfin, il semble bien que l’hospitalisation soit pour certains patients l’occasion d’une expérience existentielle
intense qui les conduit à un bilan de vie qui bouleverse
leurs croyances de base concernant la vie en général
et la leur en particulier. Lorsqu’ils abordaient cette
expérience, une forte émotion accompagnait leurs
dires qui devenaient parfois un peu confus probablement de par la proximité et l’intensité de l’événement
qu’ils avaient vécu. Toutes les personnes qui ont partagé ce genre d’expérience disent avoir frôlé la mort ou
ont senti être perdues à un moment donné. Voici ce
qu’elles disent :
Un homme de 61 ans fait son bilan de vie suite à un
accident :
« (Emu) Je vous dis, je crois que je n’ai jamais pleuré, je
crois que j’ai été trois semaines (...) aux soins intensifs,
j’étais très mal en point (...). Je suis revenu par le petit
trou. Ils m’ont sauvé. Ils ont fait un travail extraordinaire... J’étais vraiment mal en point.
J’étais un légume, quoi.
Il n’y a pas de séquelles. Et ça c’est un miracle aussi.
(...) on a énormément travaillé. Puis on a fait son chemin. Mais ça a été dur. J’ai eu la chance d’avoir une
bonne constitution, le réconfort c’est un peu la réussite
de son entreprise. (...) On se contente finalement de
peu. C’est un réconfort plus matériel qu’émotionnel ou
intellectuel (...) c’est totalement différent (en dehors de
l’hôpital). »
Un homme de 78 ans fait son bilan de vie après avoir
pensé qu’il était perdu :
« (Emu) (...) mais pour être un patient lourd à la maison,
je vais être d’aucune utilité, alors j’ai fait ma vie, (...).
Elle est derrière moi, j’ai eu deux enfants, j’ai eu des
petits-enfants, qu’est-ce que je fais encore là ? Voyez,
j’ai été très actif dans ma vie et puis voilà.
Je me dis, mais si l’opération ne va pas réussir, etc.
Parce que le médecin me dit, on va déjà couper ça et
puis si (...).
Mais bon, tout, par la grâce de Dieu, ça s’est... comment, mis ensemble pour me remettre un peu sur les
rails. C’est une drôle d’image que je vous donne là.
Vous comprenez, je faisais mon bilan. »
Une femme de 71 ans constate qu’elle a changé depuis
qu’elle a frôlé la mort. Elle regarde autour d’elle et
constate qu’elle s’en sort bien. Elle ressent de la gratitude. Elle retourne à la messe et elle est émue.
« (dyspnéique et émue)... j’ai été bien soignée, continuellement pendant trois jours, et je crois que là, on
m’a sauvée,... parce que je ne pouvais plus souffler...
on m’a vraiment sauvée
(A la messe)... mais on se touche la main, et puis... beaucoup de larmes parce que d’autres personnes sont
venues, pour nous toucher la main. Oui, ça m’a fait pleurer. Il y a une dame qui s’est levée,... puis qui me dit «la
paix»... Ben je vais vous dire que moi... je ne pratique
pas. Mais je prie quand même tous les soirs. Et j’ai le
temps maintenant. Dans mon lit de prier et de beaucoup
réfléchir, et de penser à ma famille, à tout le monde. Et je
dis, il y en a de plus malheureux que moi...
Et je vous dirais que, d’avoir une opération comme ça,
pour la vie, ça nous enrichit...
Et bien j’ai compris,... j’ai mieux compati, beaucoup
mieux compati quand quelqu’un... était pas bien...
Après j’ai dit, ben, ça m’enrichit... de voir d’autres
(souffrir)
Et je me disais – toi t’es pas bien. Mais la personne à
côté n’est pas plus bien, pas mieux que toi ».
Il semble que la narration de cette expérience permet à
la personne de reconstruire une nouvelle identité physique, émotionnelle, sociale et spirituelle. Tout semble
se passer comme si cette narration permettait de relier
le passé, le présent et d’envisager un futur. Un peu
comme la restauration d’une continuité suite à cette
rupture de trajectoire.
2. CATÉGORIES THÉMATIQUES
L’analyse des soixante et un « thèmes » récurrents, issus
de l’analyse des verbatim des patients, a permis d’extraire sept catégories thématiques qui sont soutenues
par l’analyse présentée ci-dessus :
108
Recherche en soins infirmiers N° 69 - juin 2002
EXPÉRIENCES ET SIGNIFICATIONS DU RÉCONFORT
POUR LA PERSONNE OPÉRÉE
(a) Etre ému d’être reconnu comme un être humain qui
souffre
(b) Bénéficier d’une suppléance physique et émotionnelle
(c) Ne pas être seul
(d) Etre touché physiquement
(e) Etre projeté dans un futur meilleur (être source de
réconfort pour d’autres)
(f) Etre entouré par ses proches, ses amis et ses collègues
(g) Etre soutenu spirituellement
Plusieurs patients ont relevé l’importance de cette rencontre d’être humain à être humain qui semble tout à
la fois susciter de l’émotion et initier l’expérience de
réconfort. Cette dernière implique de ne pas être seul
lors de la perception d’une menace à l’intégrité du Soi,
c’est-à-dire lorsque la personne vit une souffrance physique ou morale. L’expérience de réconfort fait également appel au toucher et à une proximité physique
spontanée et par conséquent réciproque.
Plusieurs témoignages ont laissé entendre que les soins
physiques dispensés par l’infirmière sans autre forme
d’intervention au niveau émotionnel, étaient une
source de réconfort tout à fait suffisante et bénéfique
pour eux. Rappelons que la capacité d’être réconforté,
d’être consolé et apaisé est une capacité sociale qui se
développe principalement dans l’enfance et qui varie
d’un être humain à l’autre. Il est donc important d’être
nuancée dans nos interprétations et au clair sur nos
préconceptions. Il semble que pour certains hommes
rencontrés, le soulagement de la douleur, les soins du
corps, la suppléance dans les activités de la vie quotidienne et la gentillesse de l’infirmière – son sourire –
représentent un réconfort qui se suffit à lui-même. Ces
hommes ne semblent pas avoir besoin d’un réconfort
d’ordre émotionnel.
Les proches sont des acteurs importants dans cette
« reconstruction biographique ». En effet, les personnes
significatives sont tout à la fois les interprètes, les tampons, les aidants naturels et les « supporteurs » de la
personne malade. Cependant, il est important de tenir
compte du fardeau que ressent le malade lorsqu’il
observe la fatigue physique et émotionnelle que vivent
ses proches suite à sa maladie.
Enfin, s’intéresser à la dimension spirituelle des soins
ne signifie pas qu’il faille avoir les mêmes croyances
que le patient. Il s’agit de reconnaître que ce qu’il croit
est une part essentielle et unique de son expérience de
vie et qu’il existe une interaction dynamique entre le
corps et l’esprit. Dans cette acception, le terme « spiritualité » est relié à l’expérience de base d’une personne
en relation avec sa vision du monde, à son système de
valeurs et à son sens de l’ultime. Si la « religiosité »
implique une relation au Divin, la spiritualité n’implique en soi aucune référence à Dieu.
3. RECOMMANDATIONS POUR LA CLINIQUE
Les recommandations pour la pratique des soins
infirmiers sont spécifiques et directement issues des
résultats. Elles sont au nombre de trois.
Les personnes qui ont parlé du professionnalisme de
l’infirmière décrivaient en fait sa capacité d’anticiper
leurs besoins ou leurs demandes, ou d’intervenir rapidement et efficacement lors d’une complication.
Autrement dit, le patient est émerveillé lorsque l’infirmière a perçu son besoin prioritaire, qu’elle est capable
d’imaginer ce qui le réconfortera, qu’elle intervient et
qu’elle évalue l’efficacité de son intervention avec lui.
Les patients ont exprimé combien la spiritualité est une
source de réconfort pour eux et nous avons été surprises de constater que l’infirmière ne parle pas de cet
aspect avec l’opéré ou plus exactement qu’elle ne
mentionne pas la spiritualité comme faisant partie de
ses préoccupations. Watson (1999) cependant, a très
bien démontré qu’il n’y avait pas de « moment de relation transpersonnelle » sans référence à quelque chose
qui va au-delà des deux personnes en présence, qui les
transcende et les connecte à d’autres dimensions de
l’esprit humain, dont la spiritualité peut être une
expression. Dès lors, notre recommandation est formulée en des termes nuancés qui visent à vérifier que la
spiritualité n’est pas le facteur oublié des soins de santé
dont elle est une dimension majeure.
Presque tous les patients ont affirmé qu’un élément
majeur du réconfort était de pouvoir refaire des projets
ou d’être capable d’envisager un futur meilleur. Dans
ces deux situations, l’infirmière et l’entourage jouent
un rôle important qui permet ainsi au patient de gérer
la rupture biographique présente et d’amorcer un
changement de trajectoire de vie.
La seconde recommandation se rapporte aux personnes qui traversent une phase de déni ou de révolte
et qui se sont auto-exclues de la présente recherche
puisqu’elles n’avaient rien à dire sur le réconfort. Il
paraît plus important que ces personnes voient, entendent et sachent que l’infirmière connaît ces phases de
deuil liées aux ruptures et aux ajustements biogra-
109
Recherche en soins infirmiers N° 69 - juin 2002
phiques. Elle comprend, n’en fait pas une affaire personnelle et est habilitée à en parler lorsque la personne
sera prête à le faire.
La troisième recommandation concerne les hommes,
qui n’ont pas l’habitude de parler de leurs sensations
ou de leurs émotions et qui ont une relation au corps
que nous pourrions qualifier de mécaniste. Il est possible de dire que ces personnes sont maladroites et
gauches dans leurs manières d’exprimer leur mal-être.
Souvent, ces personnes ne sont pas grandes consommatrices de soins de santé et elles ne connaissent pas
le monde hospitalier. Par ailleurs, elles sont réconfortées par les soins usuels et ne font aucune demande de
nature émotionnelle. Les investigations plus fines de
l’infirmière identifiant un problème de santé sont souvent éconduites. De fait, il semble n’y avoir aucune
porte d’entrée en vue d’un dialogue plus approfondi.
Par ailleurs, la courte durée du séjour hospitalier et la
charge de travail permettent à ces personnes de passer
souvent inaperçues.
Ici, la recommandation s’exprime en termes d’ouverture à l’autre, d’attention subtile et de disponibilité.
Benner (2000a, b) proposent de discuter de choses et
d’autres avec la personne, un peu comme si nous faisions connaissance de notre nouveau voisin, sans autre
but que le plaisir d’échanger. Les auteurs affirment que
cette conversation sociale ordinaire permet de diminuer les peurs du patient et de le connecter à un
monde connu, pendant quelques minutes. Ces personnes peuvent, aussi, trouver du réconfort à travers
des rituels familiers, comme la sieste, un téléphone à
un membre de la famille ou la vision de leurs émissions de télévision préférées. Elles retrouvent ainsi les
notions de prédictibilité, de cohérence, de continuité
et de confort qu’elles ont perdues au moment de la
rupture biographique.
RÉFÉRENCES
Bécherraz, M. (2001). Une phénoménologie du réconfort. Genève : Phronesis-Edition.
Bécherraz, M. (soumis). Expériences et significations du
réconfort pour la personne opérée et pour l’infirmière
qui en prend soins.
Bécherraz, M. (soumis). De l’intérêt de la phénoménologie pour la mise en évidence de l’expertise infirmière
et le développement de connaissances en soins infirmiers.
Benner, P. (1994). Interpretive phenomenology.
Thousand Oaks : Sage Publications.
Benner, P. (2000a). Clinical wisdom. Conference at the
Department of Nursing. February 11. Montreal : Jewish
Montreal Hospital.
Benner, P. (2000b).. Seminar at the McGill School of
Nursing. February 10. Montreal : McGill University.
Watson, J. (1999). Postmodern nursing and beyond.
San Francisco : Churchill Livingstone.
110
Recherche en soins infirmiers N° 69 - juin 2002
R ECHERCHE
4e Partie
EXPÉRIENCES ET SIGNIFICATIONS DU RÉCONFORT POUR L’INFIRMIÈRE
RÉSUMÉ
ABSTRACT
Ce quatrième et dernier article est consacré à l’analyse des témoignages de onze infirmières ayant vécu
une expérience de réconfort avec une personne opérée. Il complète l’article précédent. Six tandems de
catégories thématiques congruents et complémentaires émergent de l’analyse des données des patients
et des infirmières, laissant entrevoir une adéquation
entre l’attente et l’offre. Cependant deux catégories
isolées apparaissent : pour le patient « être soutenu
spirituellement » et pour l’infirmière « considérer le
contexte socio-sanitaire. Cette dernière permet de
mettre en lumière le rôle du contexte organisationnel
sur les opportunités de réconfort. Les observations
directes soutiennent fortement cette catégorie. Deux
recommandations pour la gestion des soins terminent
cette série de publications.
This last article is consecrated to testimony’s analysis
of the eleven nurses having living an experience of
comfort with an operated person. It completes the
previous article. Six tandems of congruent thematics
and complementary categories emerge from the data
analysis of patients and nurses, leaving to drop a hint
of an adequacy between the expectation and the
offer. Yet, two isolated categories appear : for the
patient “to have a spiritual support” and for the nurse
“to consider the socio-sanitary context”. The latter
allows to enlighten the part of organisational context
about opportunities of comfort. Two recommendations for the management of care end this series of
publications.
Mots clés : dyade, herméneutique, soins infirmiers
autonomes, réconfort, contexte sociosanitaire
Key words : dyad, Hermeneutic Phenomenology,
autonomous nursing care, comfort, sociosanitary context.
111
Recherche en soins infirmiers N° 69 - juin 2002
INTRODUCTION
Cet article est le dernier d’une série consacrée à la phénoménologie herméneutique et à l’étude du phénomène de réconfort. Le premier s’intéressait à l’élaboration d’une problématique de recherche qualitative qui
émerge de la pratique des soins. Le second, plus
méthodologique, présentait les avantages de l’herméneutique pour la mise en évidence de l’expertise infirmière et de connaissances en soins infirmiers. Le troisième retraçait l’analyse des témoignages des patients.
Ce quatrième article complète le précédent, car il
apporte un autre regard sur le phénomène, celui de
l’infirmière.
1. Analyse des témoignages de onze infirmières
Dans cet article consacré à l’analyse des propos des
onze infirmières, le canevas de présentation sera le
même que celui utilisé dans l’article précédent centré
sur l’analyse des verbatim des onze opérés. Chaque
fois que cela sera possible et que cela permettra de
donner du sens à l’analyse, les propos de l’infirmière
seront superposés à ceux du patient. Le lecteur devrait
ainsi obtenir un double regard sur le phénomène de
réconfort, à savoir le point de vue du patient qui décrit
son expérience et le point de vue de l’infirmière qui en
prend soin.
1.1. Espace « moins – moins »
1
Dans l’espace (-/-) l’infirmière imagine ou constate
qu’elle « n’offre pas de réconfort » et elle perçoit que la
personne « ne se sent pas réconfortée ». Ici la recherche
de sens entre les propos de la personne opérée et ceux
de l’infirmière est difficile puisque les deux partenaires
de la dyade ne se réfèrent pas à la même situation. En
effet, il est intéressant de relever que le patient fait le
plus souvent référence à sa propre expérience, alors
que l’infirmière parle plus volontiers d’une situation
qu’elle imagine ou dont elle a été l’observatrice
impuissante. Il est vrai que la question « quel serait
pour vous l’inverse du réconfort ? » a déconcerté plus
d’une infirmière qui était approchée en raison du
réconfort qu’elle avait apporté à un patient.
Néanmoins les infirmières relèvent également le
manque de compassion de certains chirurgiens.
Henriette2 ressent de la colère face au manque de
transparence du chirurgien vis à vis du patient :
« Ça me choque toujours un peu qu’il n’ait pas été mis
au courant (par le médecin) de ce qui se passait dans
son corps (infection). (...) j’ai ressenti un peu de colère
(...) »
Si l’infirmière reconnaît que parfois elle « n’offre pas de
réconfort », ou plus exactement qu’elle est dans l’impossibilité d’offrir le réconfort qu’elle souhaiterait, elle
constate que ce manque est lié essentiellement à trois
composantes : la surcharge de travail, une difficulté
liée au comportement du patient, comme l’arrogance
ou le cheminement à travers deux phases du deuil clairement identifiées et enfin une difficulté dont l’origine
se situe chez l’infirmière et qui le plus souvent est de
nature « relationnelle » ou reliée à la peur de s’engager
dans une relation qui finalement la fera souffrir.
Même si la surcharge de travail fut mentionnée durant
toute la période de recueil de données, en aucun cas
cette surcharge n’est présentée comme un motif qui
justifie l’absence de réconfort. Bien au contraire, la
détérioration des conditions de travail est appréhendée
par l’infirmière plus en termes de frustration et de
négociation d’un délai « acceptable » pour le patient
entre sa demande et l’offre en soins, qu’en termes
d’alibi.
Carla exprime sa frustration en regard de la charge de
travail croissante :
« Parce que pouvoir, des fois c’est vrai que c’est très
frustrant parce que des fois on ne peut pas (s’arrêter
auprès du patient) mais des fois on essaie de revenir.
D’ailleurs, les fois où je n’ai pas le temps de parler,...
de répondre tout de suite à quelque chose, c’est
quelque chose... où je me dis, je n’ai pas bien fait mon
travail.
1. Dans cet article, le premier signe se réfère toujours à l’infirmière.
2. Tous les prénoms sont fictifs
112
Recherche en soins infirmiers N° 69 - juin 2002
EXPÉRIENCES ET SIGNIFICATIONS DU RÉCONFORT POUR L’INFIRMIÈRE
Mais le côté frustrant c’est la charge de travail qui
devient de plus en plus (lourde), où des fois j’ai vraiment l’impression qu’on ne s’arrête pas assez sur les
personnes ».
Dominique observe qu’elle agit en contradiction avec
ses valeurs :
« Parfois, je suis en contradiction avec ce que j’aimerais et ce que je dois faire ».
Une difficulté liée au comportement du patient. Par
exemple, Carla exprime sa frustration et sa réaction en
regard d’un homme qui continue à taire sa consommation d’alcool, alors même qu’il est actuellement traité
pour cela et qu’elle lui tend des perches pour éviter
une convalescence dans un milieu, qu’elle estime, peu
propice à son mieux être ;
Carla observe qu’il y a des préalables relationnels pour
pouvoir réconforter une personne :
« D’un autre côté je pense aussi qu’on ne peut pas... je
n’ai pas la faculté d’entrer en réconfort avec tous les
patients qui passent.
Disons que je me rends compte que je fais le travail,
les soins et puis que, après j’aurais peut-être tendance,
ça c’est peut-être aussi le problème,... à ne pas aller
plus loin.
Je ne dis pas que les gens qui ne parlent pas dès le premier jour... je me ferme, mais bon après, (je me dis) il
est comme ça, il a besoin de moi au niveau physique,
mais il n’a pas besoin de moi pour le reste. Donc après
je me dis c’est son choix ».
Gilda raconte sa difficulté face aux personnes qui ont
un comportement arrogant :
« Non, je pense qu’il y a des gens qu’on arrive pas à
réconforter, enfin que je ne pourrais pas arriver à
réconforter. S’il y a vraiment aucun feeling de part et
d’autre .
Si j’arrive pas du tout à comprendre le comportement,
qui sont trop exigeants (...) qui sont un peu méprisants
(vis à vis des infirmières) ».
Du côté du patient, le cheminement à travers certaines
phases du deuil a également été observé comme
influençant l’acceptation et par conséquent l’offre de
réconfort.
Katrin identifie deux phases du deuil qui sont incompatibles avec le réconfort :
« Etre face à une personne fermée, non réceptive, qui
est dans une phase de déni, ou de révolte... Lorsqu’il
faut attendre parce que le patient n’est pas prêt à recevoir du réconfort »
Il serait d’ailleurs possible d’appréhender le comportement du patient qui refuse de parler de son alcoolisme
comme un comportement lié à une phase de déni, plutôt que de l’interpréter comme un rejet d’une infirmière
en particulier. Il serait tout aussi possible – selon la
situation – d’envisager que le patient arrogant est en
pleine révolte. Dans ce sens, les observations consignées dans le carnet de bord confirment que les personnes en phase de révolte étaient dans l’impossibilité
de parler d’une expérience de réconfort. Elles se sont
en quelque sorte autoexclues du groupe des informants.
Par ailleurs, on aurait pu s’attendre à ce que cet espace
relatif à l’absence de réconfort concerne les mêmes
thèmes que ceux décrits par les patients, à savoir la
douleur physique, les soins peu individualisés, le
manque d’information, l’indifférence ou le manque
d’intérêt et le désespoir. Et bien, il est intéressant de
constater que les propos des infirmières ne se réfèrent
que très peu à l’aspect physique du réconfort (douleur,
installation), par contre un très fort accent est mis sur
l’aspect relationnel, comme si ce dernier dominait
alors même qu’il s’agit d’un contexte postopératoire,
par conséquent largement somatique.
Elisabeth envisage l’inverse du réconfort comme une
absence de plaisir à entrer en relation avec l’autre et
comme de l’indifférence :
« Considérer les patients comme des objets, en se
disant « il faut que je fasse ça » ne pas prendre du plaisir à entrer en relation avec le patient, ne pas vouloir
voir, ne pas vouloir savoir, ne pas vouloir s’investir, ne
pas vouloir s’arrêter, (...) être indifférente, (c’est) du
non-respect et de la non-écoute ».
Henriette est sensible aux émotions de la personne et à
l’indifférence face à ses besoins :
« En soi l’absence de réconfort peut-être l’inverse du
réconfort (...) si quelqu’un n’est pas écouté dans ses
émotions. L’indifférence face aux besoins...
Justement j’aurais pu le pousser (...) à boire sans lui
expliquer trop pourquoi, sans écouter l’émotion qu’il y
avait derrière.
113
Recherche en soins infirmiers N° 69 - juin 2002
Oui, froideur, indifférence, ça se rejoint tout finalement
un peu.
C’est un peu ignorer, c’est robotiser peut-être, déshumaniser... »
Enfin, la peur de souffrir est mentionnée par l’infirmière
de manière très pudique et souvent en termes de protection.
Carla parle d’impossibilité momentanée de donner afin
de se protéger :
« L’indifférence ou peut-être l’impossibilité momentanée de ne pas pouvoir non plus donner ou ne pas pouvoir encadrer la personne pour différentes raisons (personnelles) ».
Elisabeth attend de la réciprocité de la part du patient,
sinon elle se protège pour ne pas souffrir :
« C’est vrai que je me suis occupée (...) d’une dame, où
j’ai essayé d’apporter tant que je pouvais, mais je sentais pas de réciprocité, et c’est vrai qu’après un
moment, j’avais peur de m’essouffler .
Ne pas vouloir souffrir (face à un être humain en situation de vulnérabilité) ».
Elle avait des questions (...) les patients sentent que
ça... ne va pas. Donc elle me posait tout un tas de
questions, et je me disais, bon, j’essayais de répondre
avec ce que j’avais sous la main.
C’est des choses comme ça ; donc je répondais de
façon même pas, ben, optimiste, mais de façon purement simplement, comment on dit, euh (factuelle).
(...) Elle s’inquiétait parce que depuis son opération on
n’avait jamais enlevé ces bouteilles (redons) et puis ça
revenait toujours (ça coulait).
Mais un vrai réconfort, je crois pas.
On sentait quand même chez elle un terrain d’angoisse. Elle sentait qu’il y avait quelque chose qui n’allait pas, elle savait pas quoi, mais elle cherchait puis
c’est vrai que, tout lui posait problème, tout l’angoissait.
Parce que cette dame, je vous dis, elle a, je l’ai vu ben
se dégrader.
Physiquement, oui elle baissait, on savait qu’elle nous
faisait quelque chose mais on ne savait pas quoi. Et
ben, entre guillemets, j’ai pas pu « l’aider ».
1.2. Espace « moins – plus »
Dans l’espace (-/+) l’infirmière « n’offre pas de réconfort » mais elle perçoit que la personne « se sent réconfortée ». La situation qui sera décrite maintenant est
capitale pour la discipline. Elle met en évidence l’importance – pendant le développement de complications – d’un recueil de données aussi exhaustif que
possible et d’un questionnement constant à leur égard
qui permettent d’agir en conséquence et d’éviter le
pire.
France raconte ce qu’elle a vécu avec une patiente qui
développait une complication à bas bruits :
« Donc j’ai plutôt été le nouveau bourreau, donc, qui la
stimulait (...)
Mais on ne peut pas dire quand même que j’ai fait du
grand réconfort, euh,... à mon sens.
Et puis je voyais qu’elle avait mal... qu’elle se dégradait (...) peut-être qu’elle nous a, on aurait peut-être dû
se rendre compte un peu plus tôt qu’elle allait moins
bien.
Alors sûrement que je, qu’on aurait pu lui apporter
autre chose... mais. Je sais pas, bon, on était pas nombreux.
Je crois que j’ai oublié de le faire (...) donc il y a eu des
signes, mais qui sont restés sans réponse.
Et puis, c’est vrai qu’on n’a jamais été (...) au-delà (des
réponses aux questions factuelles de la patiente).
Pour tout ce qui est geste technique (...) il y a peu de
sentiments »
114
Recherche en soins infirmiers N° 69 - juin 2002
EXPÉRIENCES ET SIGNIFICATIONS DU RÉCONFORT POUR L’INFIRMIÈRE
Quels sont les indicateurs qui vous ont permis de
dire que cette femme aurait eu besoin de réconfort ?
ment à l’indifférence. Mais écoutons ce que disent les
infirmières à ce propos :
Carla observe sa frustration face à un homme qui
exprime peu son vécu et ses sensations :
«... Disons que c’était, (...) elle posait... beaucoup de
questions... (...) puis elle disait tout le temps « je suis
fatiguée » et plus j’essayais de la stimuler pour se lever
(...) elle disait « mais vous savez, je suis fatiguée »...
Donc elle avait besoin qu’on s’occupe d’elle, elle avait
besoin qu’on (...) qu’on soit là, qu’on la chérisse un
petit peu, qu’on s’occupe d’elle (...) mais c’est vrai que
souvent, si on l’avait laissée, elle serait restée au lit du
matin au soir et du soir au matin sans bouger.
Ah oui, j’ai eu peur (petit rire) très peur. Hm hm. Oui,
je m’en suis occupée trois jours... et sur les trois jours...
elle n’a pas été, une journée, elle a pas été bien ».
L’examen des propos de France démontre que la
patiente et l’infirmière n’étaient pas sur la même longueur d’onde. Toutefois la patiente nous a dit s’être
sentie réconfortée moralement mais pas soulagée de
ses douleurs. Il est donc fort probable qu’une fois de
plus la présence de l’infirmière soit perçue comme
réconfortante et favorise l’absence de réactions plus
affirmées de la part de la personne. Cependant là aussi,
il est possible de dire que le réconfort de France est en
termes relationnels alors que cette femme souffre de
douleurs physiques. Dans cette situation, ce décalage a
des conséquences qui vont au-delà de la frustration des
infirmières dont il est question maintenant.
« Je serais peut-être restée plus longtemps s’il m’avait
renvoyé un signal, mais par exemple quand on parlait
de la douleur, il disait toujours « eh ben, c’est comme
ça ».
Il n’y a pas eu d’entrée en matière, comment il vivait
ce qui s’était passé, etc.
Alors peut-être que ce Monsieur n’avait pas besoin de
se confier à moi, enfin... ou de se confier tout court (...)
et puis je pense que les personnes aussi ont envie de
parler plus avec telle ou telle (infirmière).
Enfin, pour ce patient, c’est vrai que (...) moi je ne le
trouvais (...) pas demandeur...
Des fois (...) on n’est pas assez clair dans nos possibilités d’offres (de réconfort) ».
Isabelle essaie encore et encore, alors que le patient ne
veut rien :
« J’ai essayé de lui expliquer que ce n’était peut-être
pas définitif (la colostomie).
Mais bon, j’avais l’impression d’après ce qu’il me disait
qu’il n’était pas très convaincu, quoi, donc je suis un
peu restée sur ma faim malgré mes explications, mais
bon.
Enfin je lui ai demandé des questions sur la douleur,
enfin les questions habituelles qu’on pose, mais lui il
m’a jamais dit « écoutez, ça va pas trop, qu’est-ce que
je vais devenir ? » ou des choses comme ça quoi.
1.3. Espace « plus – moins »
Dans l’espace (+/-) l’infirmière « offre du réconfort »
alors qu’elle perçoit que la personne « ne se sent pas
réconfortée ». Cette offre est pour ainsi dire sans effet
et ceci pour diverses raisons liées, par exemple, au fait
que l’opéré n’accepte du réconfort que de sa conjointe
ou qu’il ne souhaite pas aborder tel ou tel problème de
santé. Dans de telles situations, l’infirmière ressent de
la frustration, voire du rejet de la part du patient. En
fait, il est possible de dire que cet espace « offre du
réconfort » et « ne veut pas être réconforté » précède
parfois chronologiquement l’espace (-/-) qui a été
décrit précédemment, à savoir « n’offre pas de réconfort et « ne se sent pas réconforté ». Tout semble se passer comme s’il y avait soudain un coup de théâtre qui
potentiellement fait passer l’infirmière du rapproche-
Puis, apparemment, il n’y a pas de douleur, ni rien. Je
sais pas ».
À ce stade de l’analyse des propos des infirmières, il
ressort clairement que l’offre ne coïncide pas avec
« l’attente » de réconfort qui, par ailleurs, dans le milieu
des soins généraux, fait partie le plus souvent d’un
contrat tacite qu’il serait bienvenu d’expliciter. Dès lors
et dans ces conditions, il semble bien qu’apporter du
réconfort devienne une tâche vouée à l’échec et source
de frustration et ceci d’autant plus si le réconfort est
considéré – a priori – comme essentiellement relationnel et que sa dimension physique est banalisée, voire
dévalorisée (par l’infirmière).
115
Recherche en soins infirmiers N° 69 - juin 2002
Carla sous-estime la valeur des soins physiques qu’elle
offre à cet homme :
« C’est vrai que moi j’estime..., je l’ai soigné, j’ai fait
pour qu’il soit confortable, mais c’est vrai que je n’ai
pas eu l’impression de lui apporter quelque chose au
niveau réconfort.
opérés se contentent d’un « réconfort de base » qui est
prioritairement physique et qui ne porte pas sur l’élaboration de leur ressenti face à leur hospitalisation ou
de questions existentielles en regard de leur pathologie.
Il est possible d’imaginer que leur vision de la maladie
est volontiers mécaniste, à l’image de celle de la pensée dominante.
Disons que je me rends compte que je fais le travail, les
soins et puis que, après j’aurais peut-être tendance, ça
c’est peut-être aussi le problème,... à ne pas aller plus loin
1.4. Espace « plus – plus »
(... je ne dis pas que les gens qui ne parlent pas dès le
premier jour... je me ferme, mais bon après, (je me dis)
il est comme ça, il a besoin de moi au niveau physique, mais il n’a pas besoin de moi pour le reste.
Donc après je me dis c’est son choix) 3 »
Ce qui est intéressant c’est que le patient dont il est
question ici, se sent lui tout à fait réconforté, un peu
comme s’il était impensable que l’infirmière ne lui
apporte pas de réconfort. Pour cet homme dans la quarantaine, la simple présence de l’infirmière, son savoir
faire et son sourire sont réconfortants. De plus, la
consommation d’alcool n’est apparemment pas perçue
comme un problème dans sa sphère familiale et
sociale, dès lors il ne semble pas comprendre pourquoi
les soignants souhaitent qu’il aille en convalescence
ailleurs que dans sa famille. Il est nécessaire de préciser que le canton de Vaud est une importante région
viticole où la consommation de vin est le plus souvent
encouragée. Par ailleurs, il est intéressant de relever
que cet homme ne perçoit pas la frustration de Carla.
L’espace (+/+) est, comme chez les patients, le plus riche
des quatre. Ainsi, l’espace où l’infirmière « offre du
réconfort » et où elle perçoit que le patient « se sent
réconforté» permet de mettre en évidence les éléments
communs à toutes les professionnelles rencontrées : tout
semble commencer par un «feeling», par une sorte d’attraction réciproque entre l’infirmière et le patient.
Plusieurs infirmières disent qu’elles se mettent à la place
du patient ou que ce dernier leur rappelle tel ou tel
membre de leur famille ou qu’elles apprécient simplement leur manière d’entrer en relation et de répondre.
Anne se présente, précise son statut et s’intéresse à
l’autre :
« J’ai commencé (par) lui demander comment elle se
sentait... je me suis... présentée en tant qu’élève infirmière, je lui ai aussi dit mon nom et... que j’allais
m’occuper d’elle aujourd’hui.
Isabelle quant à elle, constate que l’unique source de
réconfort du patient est son épouse :
De voir qu’on s’intéresse à la personne, ça fait du bien,
donc ça fait partie du réconfort pour moi ».
« « Ah eh bien ma femme est dans la maison » ça (...) le
rassure beaucoup ».
Béatrice se sent très proche de la patiente et elle le lui
dit. Cependant elle estime que c’est une erreur :
Cet homme également dans la quarantaine est très
clair, il n’accepte du réconfort que de sa conjointe, car
aucune infirmière ne pourrait le comprendre aussi bien
que sa femme. Pour lui, le réconfort est une affaire privée (implicitement sexuelle). Par contre et à l’inverse
du patient précédent, cet homme perçoit la frustration
des infirmières et celle d’Isabelle en particulier face à
cette sorte « d’imperméabilité » relationnelle vis à vis
des femmes.
« Et puis là, moi, comment dire... je savais l’âge de la
patiente,..., elle a mon âge... j’ai fait quelque chose
qu’on doit pas faire comme infirmière... ... je lui ai dit
que j’avais le même âge qu’elle, que je comprenais ce
qu’elle pouvait ressentir face à cet échec (rejet de
greffe)... face à tout ce qu’elle allait devoir affronter
dans les prochains mois...
En reprenant les propos des patients dont il est fait
mention ci-dessus, il est possible de dire que certains
Je m’étais attachée à elle,... ... il y a des personnes
qu’on soigne... ... mais on n’a pas un petit coup de
cœur... cette patiente là, oui, j’avais un coup de cœur
pour elle... c’est inexplicable.
3. Ce passage est entre parenthèses, car il a déjà été mentionné une fois.
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Recherche en soins infirmiers N° 69 - juin 2002
EXPÉRIENCES ET SIGNIFICATIONS DU RÉCONFORT POUR L’INFIRMIÈRE
J’ai vu dans ses yeux quelque chose qui m’appelait... il
y a quelque chose là qui se préparait. J’ai vu qu’elle
pleurait, je lui ai dit ça (âge), je lui ai touché, pris la
main. Peut-être caressé l’épaule.
Je me sentais impuissante parce que je n’avais aucun
contrôle sur le déroulement (de sa maladie). J’essayais
de ne pas avoir l’air paniqué face à cette situation.
Je pense que je la trouve sympathique... »
Elisabeth « retrouve » son grand-père à travers ce
patient et elle ressent de la réciprocité :
sommes dans le contexte d’une rencontre d’humain à
humain.
Puis intervient la compassion, l’envie d’aider, de soutenir, d’accompagner l’autre dans cette épreuve que
représente l’hospitalisation et plus particulièrement
l’opération et ses diverses significations individuelles et
sociales. À ce stade, l’objectif sous-jacent est de se
faire une représentation adéquate de la situation que
vit le patient à travers une observation minutieuse de
ses réactions.
Henriette observe que son patient ne fait aucune
demande alors elle anticipe et supplée aux manques :
« Mais je crois qu’il y a aussi des affinités.
Ça pourrait être mon grand-père, je ne sais pas, je me
suis peut-être plus rapprochée de lui (...) il y a un feeling qui passe des fois.
Lui, je sentais qu’il y avait de la réciprocité. Il y avait
du répondant oui. Donc il me parlait un peu comme si
j’étais sa petite fille.
Je crois que j’ai été moi, c’est tout. J’ai été authentique.
J’ai été un être humain sensible et ouvert à la souffrance d’une autre personne, au vécu d’une autre personne à ses sentiments. Je crois que c’est tout simplement ça.
Oui, dans tout ce qu’il parlait, il était vraiment très touchant ; c’est peut-être ça aussi qui, qui invite l’autre à
aller plus loin ».
Jacqueline constate que lorsqu’il y a une affinité avec
le patient, sa présence auprès de ce dernier est plus
longue :
« C’est pas quelqu’un qui demande (...) surtout du
réconfort, peut-être pour l’aider pour des choses qui
peuvent sembler « normales » (les AVQ).
Mais bon, du réconfort, je pense que c’est parfois difficile à demander pour les gens. Et puis, (...) un peu plus
(pour) les hommes en général (...).
Pour demander, il faut d’abord identifier en soi qu’on
est mal, qu’on est pas bien, qu’on est nerveux qu’on
est anxieux. Alors si cette démarche là n’est pas faite, il
n’y aura sûrement pas de demande. Alors c’est à nous
justement, je pense, d’évaluer à ce moment là, de
savoir identifier (...)
Ben moi je pense qu’on est assez formée pour percevoir qu’il y a un inconfort chez le patient même si le
patient n’est pas capable de faire sa demande luimême.
Moi, ça m’est jamais arrivé (...) qu’un patient m’ait dit,
donnez-moi votre main, j’en ai besoin, ça (ne) m’est
jamais arrivé, je pense ».
« On n’a parfois pas d’affinité avec les gens.
Mais je pense que si on a une affinité avec quelqu’un,
on est (...) prêt à faire plus (...) une présence qui est
plus longue... »
Katrin est émue face à l’humain, mais elle ne veut pas
que le patient le sache :
« C’est fou parce que des fois quand on est tellement
émotionnée face à l’humain ben c’est les larmes qui
arrivent et puis je me dis : là il faut pas que le patient
(se rende compte) ».
Les catégories thématiques identifiées dans ces extraits
sont : « se sentir proche d’un être humain qui souffre »,
« être avec » et « toucher physiquement ». Nous
Elisabeth s’intéresse au vécu quotidien du patient et à
ses projets :
« Ça m’est arrivé de lui tenir la main quand il n’allait
pas bien, ça m’est arrivé d’essayer de reparler avec lui
quand il avait eu des examens, comment il avait vécu
ces examens, qu’est-ce qu’il pensait par la suite...
Pas de dédramatiser, mais de relativiser les choses...
j’ai essayé, par mes mots et peut-être par mes gestes,
de toucher, de le réconforter. Pour moi, c’était naturel.
Et là, j’étais contente de voir qu’en fait euh maintenant
il allait beaucoup mieux et que maintenant il voyait
d’autres horizons, il avait de l’espoir de pouvoir rentrer
à domicile ».
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Recherche en soins infirmiers N° 69 - juin 2002
Les catégories thématiques qui émergent de ces extraits
de verbatim sont : « être avec », « toucher physiquement » et « projeter dans un futur meilleur et réaliste ».
Le témoignage d’Henriette explicite tout le cheminement de pensée effectué pour décider qu’elle va dépasser l’absence de demande du patient et agir. Précisons
par ailleurs, qu’il développe, lui aussi, une complication postopératoire.
Plus spécifiquement, toutes les infirmières considèrent
que « réconforter » comporte deux versants, l’un physique et l’autre moral. Cette représentation est cohérente avec la philosophie de la discipline qui voit l’être
humain comme un « être bio-psycho-social-spirituel ».
Paradoxalement le patient, lui, n’a pas forcément cette
vision holistique des soins. Il vient se faire opérer, il a
mal et, le plus souvent, il s’attend à des interventions
réparatrices sur son corps, même s’il affirme volontiers
que « le moral fait beaucoup ». De plus, les entretiens
avec les patients permettent de constater que la plupart
des attentes relatives au réconfort sont très simples.
Pour mémoire, il s’agit d’une présence bienveillante,
d’une attention à l’autre, d’un souci de l’autre avec le
plus souvent un regard, un sourire, un contact physique qui sont accompagnés de paroles d’encouragement. Néanmoins quelques personnes ont relevé la
nécessité que ces aspects « humains » soient accompagnés, voire précédés, de professionnalisme de la part
de l’infirmière.
Dominique soigne de manière holistique et sait qu’elle
fait partie d’une équipe :
« Enfin je l’ai aidé à verbaliser sa peur.
Il a terriblement besoin d’être sécurisé (...) moi je le
sens comme ça très attaché à moi parce que je le rassure, parce qu’il a l’impression que je vais savoir même
si je ne sais pas (...) je dois être là pour... comment dire,
pour qu’il puisse s’appuyer sur moi, (...) lui le vit
comme un réconfort ça.
J’essaie d’être très attentive, je dirais « techniquement »
aux choses qui me semblent être importantes.
Je suis très attentive à son évolution à ce qui ce passe
comme signes extérieurs, je ne sais pas moi, à ce qui
coule, à... sa température, à ce qu’il mange, enfin à
toutes ces choses-là, à ses résultats de sang enfin à tout
ce qui pourrait tout d’un coup me dire, ouf ! Fais attention.
Alors je le dis plus loin (aux collègues) « faites attention »...
C’est notre travail d’être attentif à ce qui se passe pour
percevoir les signes de quelque chose qui n’irait pas...
Je crois que c’est un partage parce que par moment
c’est moi qui le porte, symboliquement (...) je dois le
tirer...
Si quelqu’un est là depuis très longtemps et que vous
lui lavez les cheveux, après il dit, ah ! je me sens bien !
ils sont contents. Je crois que c’est quelque chose qui
est source de réconfort, d’être attentif à ce corps qui est
si abîmé, à ce moment là, et ma foi, c’est reprendre,
pour moi, aller à la douche, c’est reprendre connaissance avec soi-même ».
Henriette touche le patient, elle est attentive à tout ce
qui le concerne et elle le soigne de manière holistique :
« Je pense que c’est vraiment d’une manière très interactive que ça c’est passé...
Il y a des moments où je lui ai serré la main, et puis
moi je touche beaucoup, je suis comme ça, je mets la
main sur l’épaule, c’est ma manière de faire, je fais ça
beaucoup (...) »
Comment vous êtes-vous rendue compte qu’il avait
besoin de réconfort ?
« Ce patient pour moi ça allait pas bien, c’est-à-dire
qu’il était sub-fébrile, (...). Il y avait sa plaie de
« laparo » qui s’était mise à couler tout doucement à
s’ouvrir un peu dans le bas (...) à sentir mauvais. (...)
Donc je pense qu’au départ il y avait tout ça, c’était
l’ensemble de son état, et puis il y avait son faciès aussi
qui exprimait (...) il avait vraiment le faciès triste. Puis
peu d’énergie.
Alors j’ai l’impression que ça circule... (corps et esprit)
Oui... ... je me rappelle. C’est un patient, oui, qui semblait très anxieux (...)
(...) bon puis j’ai aussi essayé de faire verbaliser, ça
c’est un aspect qui m’a fait me rendre compte qu’il
était – à fleur de peau – (...) c’est incroyable comme il
devenait crispé (...) à ce moment là, je me rappelle,
j’avais aussi donné un anxiolytique (...)»
Katrin raconte comment elle adapte les doses de calmants afin que la patiente soit tout à la fois soulagée et
consciente :
« Et puis euh, bon ça c’est sûr que c’est avant, et puis...
moi je pense que le réconfort ça comporte de (...) la
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Recherche en soins infirmiers N° 69 - juin 2002
EXPÉRIENCES ET SIGNIFICATIONS DU RÉCONFORT POUR L’INFIRMIÈRE
soulager parce que c’est sûr que ça fait pas, ça fait pas
du bien, ça fait mal. Alors je lui donne un anti-douleur
avant qui, ouais, est assez fort. Je lui donne une piqûre
de morphine mais je diminue la dose pour pas quand
même qu’elle soit vaseuse après.
Oui, elle supporte mais il faut pas lui donner trop.
Celle qui est prescrite, je sais, si je la lui donne, longtemps après elle reste un peu endormie.
Il semble que le Panadol et le Ponstan, c’est pas assez,
pas assez fort, tandis que la Morphine c’est trop fort,
c’est pour ça que j’essaie de jouer un peu entre les
deux mais (...) sa plaie, ça fait très mal (...).
Moi je le vois le pansement, moi je trouve ça assez
impressionnant et puis j’imagine la personne qui est à
l’autre bout et puis que c’est sa jambe et puis euh, on
voit agrafée et puis tout ça donc j’essaie de me tenir
plus près de, de sa tête quoi : Je lui tiens la main, je lui
caresse les cheveux euh, on se regarde on se fait des
sourires. J’essaie de lui demander justement si ça va
bien : « vous sentez quelque chose ? » : Ouais, et puis
ça se peut aussi, moi même des fois je suis des fois tellement impressionnée que je suis fixée sur le pansement. Et je me dis : Bon Dieu, il faut que j’arrête parce
que le silence total et puis, tu vois aussi la façon
qu’elle grimace, elle fait des gestes euh au niveau du
visage, avec ses mains. Ouais, je pense que c’est
important de donner sa présence.
C’est sûr que je parle du réconfort peut-être psychologique, mais je veux dire ça comprend aussi pour moi
le réconfort et euh, aussi (...) physique.
« Je crois que le réconfort passe aussi à travers ses
proches.
Je pense que c’est faire le travail de lien, comme ça de
permettre à sa femme (de se reposer), lui, un moment,
il était très découragé parce que sa femme n’allait pas
très bien, pour moi c’est important de lui faire comprendre qu’il fallait qu’elle ait un moment où elle
puisse un peu lâcher prise, parce qu’elle avait tenu,
qu’elle habite loin, qu’elle fait les trajets tout le temps
et puis tout ça, il le savait, (...) ... il savait, enfin il a pu
verbaliser lui-même, et puis on avait convenu
ensemble (que), de temps en temps, (il) dirait à sa
femme de ne pas descendre, qu’elle puisse rester à la
maison (...).
Parce que une fois que les choses vont mieux après,
nous on se retire, ce qui reste (c’) est leur vie ».
Ici la catégorie thématique est clairement « maintenir
les liens avec l’environnement familial et social ».
En dehors de l’analyse des axes orthogonaux, plusieurs
particularités émergent des verbatim reliées à ce qui
pourrait être intitulé « la cible du réconfort ». En effet, si
la cible proclamée de ce « souci de l’autre » est le
patient, il n’est toutefois pas surprenant de découvrir
une cible plus secrète et moins altruiste, qui procède
du besoin de reconnaissance – du don que l’infirmière
a effectué – par le patient et ses proches. Ce qui ne
veut d’ailleurs pas dire que le patient est mal soigné,
bien au contraire.
Anne relève la circularité de donner et de recevoir :
« Du moment que je peux faire du bien (...) ça me fait
du bien aussi, quoi ».
C’est autant psychologique que physique et puis ouais
ça se voit visuellement autant que verbalement mais je
trouve que je jette ce premier coup d’œil aussi comme
ça on est capable de savoir si elle est bien ou moins
bien. Et puis bon, là, après, on lui pose des questions
spécifiques puis voilà ».
Elisabeth attend un retour de la part du patient :
Les catégories thématiques identifiées sont : « prendre
soins de manière holistique », « être avec » et « toucher
physiquement ».
Isabelle constate la réciprocité du réconfort :
La famille du patient est également citée comme
source d’attention de la part de l’infirmière et ceci en
particulier lors d’un long séjour.
Dominique réalise des interventions auprès de l’entourage du patient de manière à ce qu’il reste relié à sa
sphère sociale et familiale tout en épargnant le système :
« Mais c’est vrai qu’avec certaines personnes, euh, moi
j’ai (...) beaucoup donné, mais la personne elle m’a
rien rendu et puis je me suis sentie frustrée ».
« Ça nous remet un petit peu de vigueur, parce qu’on
se dit « ah ben le patient il a confiance en moi ».
C’est la façon dont les patients nous, ben nous réconfortent presque (rire).
Je trouve que c’est par le retour (affectif) des patients
qu’on se sent bien.
119
Recherche en soins infirmiers N° 69 - juin 2002
Ben c’est ce genre de chose (...) qui nous remontent,
qui nous font du bien, quoi
Ben c’est une réussite ! On ne tombe pas dans l’échec
médical, ou des choses comme ça (...). Ça fait du bien
oui, et ça donne de l’élan ».
Jacqueline parle en termes d’échanges, donner et recevoir :
« Ben du fait qu’il y avait un échange quelque part
parce que malgré tout (...) on aime bien réconforter, on
aime bien (...) donner, on aime bien recevoir aussi en
échange.
Sans vraiment recevoir mais de voir que ce qu’on
donne (...) fait plaisir quoi, c’est bienvenu.
Alors « le recevoir » c’est simplement, je sais pas, ça
peut être un sourire (...) un remerciement.
Ça c’est important, un remerciement. Le fait qu’on est
aussi reconnu dans ce que l’on fait (...).
Qui rend un retour. Chez qui on voit que ce qu’on fait
a de l’importance ; qu’on a atteint notre but dans ce
qu’on donne, quoi.
Puis il y a (...) un respect, de l’estime aussi.
Gilda apporte quelques éléments de réponse :
«J’ai eu l’impression par rapport à cette personne précise que, en ayant une attitude chaleureuse et « familière » (...) que pour elle c’était quelque chose de très
important.
J’ai eu un sourire (...) puis le soir même j’avais un
retour direct de sa part me disant : mais, ce que vous
êtes gentille, et puis avec un grand sourire et j’avais
vraiment l’impression que c’était quelque chose de très
important pour elle cette espèce d’empathie générale.
J’avais l’impression que je manifestais, par ma voix et
par mon sourire, quelque chose d’affectueux et qu’elle
était très sensible à ça.
Il y a certaines personnes pour lesquelles parfois j’ai
une affinité très forte ou bien tout à coup un « feeling »
qui se passe où il y a vraiment une relation qui semble
pouvoir être plus importante qu’une autre.
C’est pas le cas pour elle, mais c’était quelqu’un de
chaleureux, il y avait du répondant.
Oui, j’ai essayé de créer une atmosphère où elle se
sente à l’aise et puis qu’il soit propice au fait qu’elle
puisse me demander certaines choses, me solliciter, me
demander un service, ne pas être gênée, voilà, j’ai
essayé de créer un climat comme ça ».
Il me semble qu’avec cette dame, justement, ça c’est
passé spontanément quoi. D’un moment à l’autre elle
s’est ouverte et on a pu chacune être soi-même, je
dirais... »
2. CATÉGORIES THÉMATIQUES
Katrin raconte comment elle trouve auprès de la
patiente ce qu’elle a manqué avec sa grand-mère :
« C’est comme... bon, c’est peut-être quelque chose qui
part de moi aussi, ça, mais euh, ça peut aller très loin
(petit rire) si on se sent proche de quelqu’un particulièrement.... C’est, ouais, c’est peut-être qu’il y a quelque
chose qui me fait penser à mes, ouais, à mon grandpère et ma grand-mère que j’ai perdus, puis que j’aurais voulu combler et puis que j’ai pas pu faire certaines choses puis que je me rattrape chez une
personne parce que ça me fait penser un peu à eux ;
soit je sais que c’est pas eux mais dans la personnalité,
dans leurs gestes en général ; je retrouve quelque chose
que j’avais chez les personnes que j’ai perdues ».
Cependant la question qui émerge est de savoir ce qui
se passerait pour un patient pour lequel l’infirmière n’a
pas de « feeling » ou auquel elle ne peut s’identifier ou
qui ne ressemble à aucun membre de sa famille.
L’analyse des soixante-dix thèmes, a permis d’identifier
sept catégories thématiques relatives à l’expérience de
réconfort des infirmières :
(a) Se sentir proche d’un être humain qui souffre
(b) Prendre soins de manière holistique
(c) Etre avec
(d) Toucher physiquement, regarder
(e) Projeter dans un futur meilleur et réaliste
(f) Maintenir les liens avec l’environnement familial et
social
(g) Considérer les limitations liées au contexte sociosanitaire
Si nous superposons les catégories thématiques des
patients et celles des infirmières, deux éléments ressortent très clairement : premièrement les six premières
120
Recherche en soins infirmiers N° 69 - juin 2002
EXPÉRIENCES ET SIGNIFICATIONS DU RÉCONFORT POUR L’INFIRMIÈRE
catégories appartiennent à des tandems complémentaires évoquant une adéquation entre l’attente du
patient et la réponse de l’infirmière. Inversement, les
catégories « g et g’» sont spécifiques à chaque sousensemble de participants et permettent d’accéder au
contexte dans lequel le réconfort s’inscrit.
Il est nécessaire de rappeler que se sont les observations directes qui ont permis la mise en lumière de l’influence du contexte sur le phénomène étudié.
D’ailleurs, une des recommandations présentée maintenant est issue d’observations.
en restant à un niveau superficiel avec les patients, et ce,
suite à un accompagnement long, douloureux affectivement et réalisé sans soutien spécifique.
En raison de la courte durée du séjour hospitalier, il est
possible d’envisager que l’équipe infirmière vit, elle
aussi, des ruptures successives et de plus en plus rapprochées. Par conséquent, elle a besoin d’un soutien intellectuel, émotionnel et social qui permette non seulement la narration et l’élaboration de son expérience en
vue d’un mieux-être, mais aussi la construction de l’appartenance à un collectif de travail. Ce dernier devient
rapidement source de reconnaissance, de solidarité et
de collaboration (Carpentier-Roy, 1995a; 1995b).
3. RECOMMANDATION POUR LA GESTION
RÉFÉRENCES
Les recommandations pour la gestion sont au nombre
de deux. La première concerne la répartition du travail
par tâches qui amène à la taylorisation, au travail en
miettes. Les conséquences majeures observées, dans
cette étude, sont la diminution des opportunités de
réconfort, voire l’impossibilité de réconforter, la perte
du sens et l’insatisfaction du client et de l’infirmière. Le
patient devient « l’informateur » qui transmet à l’infirmière ce qui a été fait par sa collègue quelques
minutes auparavant, il est en quelque sorte le garant de
la continuité des soins. Nous sommes loin d’une
conception de soins qui octroie la responsabilité de
l’entier de la situation du patient à une infirmière.
Notre recommandation vise à éviter l’ajout de nouvelles
ruptures liées à l’organisation du travail et à réintroduire
du sens dans l’exécution de soins qui paraissent simples
(mesure des pulsations, de la tension artérielle, de la
température, etc.) mais qui deviennent des indicateurs
performants, uniquement s’ils sont pris au même
moment et associés à une observation rigoureuse de
l’état général de la personne et de son histoire de santé.
La seconde recommandation s’appuie sur le besoin et la
demande des infirmières d’un espace et d’un «moment
de relation transpersonnelle» qui leur soient offerts par
l’institution. La plupart des praticiens qui utilisent leur
personne comme « outil » thérapeutique (Peplau,
1952/1988) ou qui utilisent leurs connaissances personnelles (Carper, 1978; 1988), bénéficient de supervisions
régulières avec des pairs. La présente étude a démontré
les exigences liées à l’investissement de l’infirmière, en
tant que personne, auprès de certains opérés qui sont
prêts à se reconstruire. Cet investissement n’est pas sans
limites, et certaines infirmières ont affirmé s’en protéger,
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Bécherraz, M. (soumis). Expériences et significations
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121
Recherche en soins infirmiers N° 69 - juin 2002
V ARIATION
Ronald Müller*, Anne-Claire Raë*, Vincent Dupont**, Sandra Merkli**, Ingrid Lang***.
Hôpitaux Universitaires de Genève (HUG).
LES NOTES INFIRMIÈRES :
QUELLE CONTRIBUTION
À LA QUALITÉ DU DOSSIER DE SOINS ?
RÉSUMÉ
SUMMARY
Le dossier de soins est un outil privilégié dans la pratique des soins infirmiers. Suivant les lieux, il s’est
développé de façon plus ou moins importante ces
trente dernières années. Dans le cadre d’une institution préparant l’informatisation du dossier patient,
une évaluation a été réalisée sur le contenu de
l’anamnèse et des notes quotidiennes infirmières.
Cette étude portant sur 110 dossiers de soins a mis en
évidence différents aspects dans la manière de transcrire tant les données factuelles que les notes issues
de l’observation, de l’action et de l’évaluation. D’une
part, l’impact de la démarche se traduit par des propositions concrètes auprès des équipes de soins et
d’autre part à travers une réflexion exploratoire sur la
traçabilité concernant les dossiers de soins.
Treatment records are preferential tools in nursing
care. Depending on the setting, its development has
gained greater importance during the last thirty
years. In the environment of an organization in
charge of the computerization of patient files, an
evaluation was conducted on the contents of the
anamneses and daily observations of nurses. This
study, concerning 110 medical records demonstrated the different facets in the methods of transcribing data from notes ensuing from observations,
action, and evaluation. Alternatively, the impact of
this procedure translates into concrete propositions
by the medical teams, as well as exploring the
benefits of charting the treatment records themselves.
Mots-clefs : Dossier de soins infirmiers, notes quotidiennes, anamnèse, traçabilité, qualité
des soins.
Key words : Nurse’s treatment records or notes, Daily
records or notes, Anamnesis/anamneses
(plural), Indications, Health-care/treatment quality
* infirmier(ère) chargé(e) de recherche et de qualité des soins, ** infirmier(ère) assistant(e) de l’infirmière coordinatrice, ***infirmière assistante
de gestion
122
Recherche en soins infirmiers N° 69 - juin 2002
LES NOTES INFIRMIÈRES : QUELLE CONTRIBUTION
À LA QUALITÉ DU DOSSIER DE SOINS ?
1. INTRODUCTION
2. CONTEXTE DE L’ÉVALUATION
DU DOSSIER DE SOINS
La pratique quotidienne du dossier de soins infirmiers
regroupant d’une manière systématique des notes
d’observation, des données chiffrées, des graphes, des
transmissions écrites, contribue depuis une trentaine
d’années à l’amélioration de la qualité des soins infirmiers. Ce dossier s’est développé comme un outil privilégié dans la pratique infirmière en répondant aux
exigences professionnelles de plus en plus pointues.
En passant par des étapes successives, ponctuées par
l’introduction de nouvelles références conceptuelles
comme le plan de soins, le « kardex », le processus de
soins infirmiers, les transmissions ciblées, le dossier de
soins a toujours rendu compte de l’état du patient et
des actions entreprises par les soignants. Pour prendre
en compte la complexité d’une prise en soins d’un
patient, il nous faut considérer en même temps des
données factuelles rapidement objectivables, des données normatives au niveau social et professionnel et
des données subjectives soumises à interprétation.
Avec l’arrivée des nouvelles technologies dans le secteur socio-sanitaire et plus particulièrement l’intégration de l’informatique dans les années 1990, la qualité
de l’écriture manuscrite et de la transmission orale,
pratiques fortement implantées dans le milieu des soins
infirmiers, est à nouveau posée. Quelles compétences
sont alors à mobiliser pour répondre favorablement à
ce changement technologique qui implique aussi un
changement de l’organisation du travail ? Nonobstant
cette nouvelle culture de supports techniques performants, l’évaluation de la qualité des contenus dans les
dossiers de soins reste d’actualité : rigueur de tous ceux
qui y participent, pertinence des données, langage
intelligible, inscription dans le temps et l’espace du
processus de soins, etc....
Dans le développement ci-après, nous présenterons
d’abord la démarche d’une évaluation de certains
aspects du dossier de soins. Puis nous aborderons l’impact qu’ont suscité les résultats de cette démarche,
d’une part sous forme de propositions d’améliorations
aux équipes de soins et d’autre part par l’intermédiaire
d’une réflexion exploratoire quant à la qualité des
notes infirmières.
Dans le cadre de trois départements médicaux des
Hôpitaux Universitaires de Genève, une étude descriptive du contenu de certains documents du dossiers de
soins a été menée en automne 2000. Il s’agit des départements de Médecine (unités de médecine interne),
Chirurgie (unités de chirurgie, greffés, et orthopédie) et
Neuclid (unités de neurologie, neurochirurgie, ophtalmologie, ORL, dermatologie et rééducation). Cette
démarche initiée à la demande des infirmières coordinatrices de ces départements avait pour objectif d’établir une photographie de certains aspects de l’utilisation
des dossiers de soins actuels, en vue de l’introduction
prochaine du dossier de soins informatisé et de ses exigences. Il a été retenu comme champ d’investigation, les
supports permettant de recueillir les éléments d’anamnèse du patient (recueil de données générales/Profil du
patient/habitudes de vie) construit selon les 14 besoins
de Virginia Henderson ainsi que le support relatant
l’évolution au quotidien du patient, construit sous forme
de trois colonnes (observation – actions – évaluation).
3. OBJECTIFS DE L’ÉVALUATION
DU DOSSIER DE SOINS
Les objectifs spécifiques de cette démarche étaient de :
- Quantifier les données d’anamnèse présentes dans les
dossiers de soins et en identifier la forme.
- Dénombrer le type de notes quotidiennes inscrites en
terme d’observations, actions et évaluations.
- Repérer le contenu des notes infirmières concernant
les domaines de la douleur, de l’état cutané et de
l’orientation/désorientation.
4. MÉTHODE
Cette revue de dossiers a été effectuée par deux infirmières spécialistes cliniques connaissant bien les
123
Recherche en soins infirmiers N° 69 - juin 2002
divers lieux de soins de l’institution de part leur expérience. Dans chaque unité, trois dossiers ont été étudiés sur les quatre premiers jours d’hospitalisation du
patient. Les dossiers ont été choisis en fonction des critères définis par l’étude : patients entrés directement
dans l’unité de soins, présents dans l’unité depuis plus
de 72 heures, ayant une problématique relevée par les
soignants en lien avec la douleur et/ou l’état cutané
et/ou la désorientation.
Le recueil de données s’est effectué au moyen d’une
grille d’enquête sur les 4 premiers jours d’hospitalisation du patient dans l’unité. Les données ont été saisies
sur le logiciel « Epi-info » pour les variables de l’anamnèse et les variables quantitatives, les notes concernant
les thèmes de la douleur, de l’état cutané et de l’orientation ont été saisies in extenso sur « Excel ».
Les résultats portent sur l’analyse de 110 dossiers répertoriés dans 37 unités de soins. Toutefois, pour l’analyse
quantitative, nous avons tenu compte des notes infirmières
à partir de 15H le premier jour jusqu’à 15H le quatrième
jour, afin de retrouver le plus grand nombre de patients
concernés. Notre analyse porte donc sur 72 heures, soit 3
horaires du matin (7H - 15H), trois horaires du soir (15H 23H) et trois horaires de nuit (23H - 7H). Nous avons
retenu comme définition pour une note infirmière toute
écriture liée à une date et à une heure.
En préambule de la présentation des résultats ci-après,
nous retiendrons que l’évaluation est un inventaire raisonné d’une pratique d’écriture à un moment donné.
D’une part, les chiffres dévoilent le taux de présence
des données, différencié selon les rubriques. D’autre
part, le relevé du langage pratiqué dans les dossiers de
soins permet davantage une approche qualitative ; il
s’agit de faire des constats et des comparaisons mettant
en évidence autant les points positifs que ceux à améliorer. Ce positionnement basé sur des données factuelles et sur un regard critique se veut prospectif,
contribuant ainsi à l’amélioration de la qualité des
contenus des dossiers de soins infirmiers.
retrouvons essentiellement sur ce document des informations concernant le diagnostic, les motifs d’hospitalisation et les antécédents, ainsi que la situation familiale du patient et sa langue parlée. Par contre, la date
et la signature de l’infirmière ayant complété cette
feuille sont peu notées. A travers ces constats, se pose
déjà la pertinence d’un questionnement de la traçabilité.
Les motifs d’hospitalisation ont été relevés tels qu’ils
étaient formulés. Ainsi, les énoncés contenus le plus
souvent dans cette rubrique nous informent sur : le(s)
diagnostic(s) dans 46 dossiers, les symptômes du
patient dans 47 dossiers, l’intervention chirurgicale
(passée ou à venir) ou médicale (ex : un examen invasif) dans 23 dossiers et l’événement (accident) impliquant l’hospitalisation dans 11 dossiers.
Rubriques
Présence
d’informations
(en %)
Motifs d’hospitalisation
95 %
Pathologies associées et
antécédents
91 %
Situation familiale
87 %
Langues parlées
80 %
Personnes à prévenir
70 %
Profession
56 %
Conditions d’habitat
53 %
Encadrement social
46 %
Signature/visa en bas de page
34 %
Date en bas de page
29 %
Ce que le patient sait de sa maladie
20 %
Tableau 1
5.1. Eléments concernant le « Recueil de
données générales »
Par ailleurs, nous avons relevé une grande utilisation
de sigles et d’abréviations divers. Ces abréviations sont
soit des codes initiaux de diagnostic et/ou symptômes
tels EF pour état fébril, DRS pour douleurs rétrosternales, PTH pour prothèse totale de hanche soit des raccourcis de mots tels abdo pour abdominal, trble pour
trouble, indura pour induration.
Sur le tableau 1, nous pouvons voir le pourcentage de
dossiers pour lequel la rubrique est remplie. Nous
A de très rares exceptions, ces abréviations représentent la particularité d’être en relation directe avec la
spécialité étudiée et ainsi rendent, à notre avis, diffi-
5. RÉSULTATS
124
Recherche en soins infirmiers N° 69 - juin 2002
LES NOTES INFIRMIÈRES : QUELLE CONTRIBUTION
À LA QUALITÉ DU DOSSIER DE SOINS ?
ciles les tentatives d’interprétation des mots par des
collaborateurs venant d’autres secteurs de soins.
5.2. Eléments concernant le « Profil du patient/
Habitudes de la vie »
Le tableau 2 met en évidence par rubrique si cette dernière était remplie ou pas, et si oui, de quelle façon.
Pour chaque besoin, il a été identifié si le libellé était
composé d’un mot/phrase ou d’un sigle tel “√ ” ,
“ OK”, “R.A.S”, “/ ”, “ ∅ ”.
5.3. Eléments concernant les observations/
actions/évolutions
Dans l’ensemble des dossiers, 3553 notes ont été repérées sur les 110 dossiers pour les 72 heures retenues
pour l’analyse. En moyenne, on recense entre 3 et 4
notes par tranche horaire et par patient. On ne retrouve
pas plus de notes le premier jour, ni pour un horaire
particulier. Ceci est également constaté dans les différents départements. Un certain nombre de notes sont
transcrites sans heure, soit le 13 %. Par ailleurs, le
changement de la date journalière est souvent noté le
matin avec l’arrivée de l’équipe du jour plutôt qu’à
minuit.
A première vue, les scores sont faibles car nous ne
retrouvons une information dans les différentes
rubriques qu’une fois sur deux pour les besoins physiques, seulement une fois sur trois pour le maintien de
la température et éviter les dangers. Les besoins psychosociaux ne sont complétés que dans 40 % des dossiers pour la communication, 30 % pour agir selon ses
croyances et se recréer et, enfin, le besoin d’apprendre
n’est rempli qu’une fois sur cinq. De plus, pour les
cinq dernières rubriques du tableau 2, l’utilisation des
sigles est plus fréquente que celle d’un énoncé. Les
enquêtrices ont relevé que cet énoncé est le plus souvent composé d’une phrase courte plutôt que d’un mot
clef. La pratique du sigle reste problématique dans la
mesure où elle n’est pas univoque dans l’institution, ni
dans la plupart des secteurs de soins.
Tab 3 : Répartition de l'ensemble des notes
selon les étapes du processus
n = 3353 notes
8%
6%
52%
34%
Observations
Actions
Evaluations
Autres
Le type de notes transmises dans le dossier concerne
pour plus de la moitié des observations, et des actions
pour un tiers. Les évaluations apparaissent peu. Sous
« Autres », on retrouve le plus souvent des informations
concernant la visite médicale, des ordres médicaux,
des consignes selon l’évolution du patient, des éléments liés à l’organisation, etc (Tableau 3).
Tab 2 : Profil du patient / habitudes de la vie
Boire et manger
Respirer
Eliminer
Mobilité et posture
Etre propre
Dormir, se reposer
5.4. Eléments concernant les thèmes Douleur/
Etat cutané/Orientation
Se (dé)vêtir
Communiquer
Eviter dangers
Maintenir la To
S'occuper
Agir selon croyances
Apprendre
0%
10%
Non rempli
20%
30%
Sigle «0 »
40%
50%
60%
Sigle "OK"
70%
80%
Sigle " / "
90%
100%
mot/phrase
Afin de pouvoir évaluer et illustrer également d’une
manière qualitative les notes qui figurent dans les
colonnes « observations », « actions » et « évaluations »,
trois thèmes ont été retenus :
A.
la douleur
B.
l’état cutané
C.
l’orientation.
125
Recherche en soins infirmiers N° 69 - juin 2002
La somme des notes infirmières concernant ces trois
thèmes représentent près du 40 % de l’ensemble des
notes.
Les tableaux 4, 5 et 6 représentent la répartition des
notes selon les étapes de la démarche de soins pour
chacun de ces thèmes.
Les notifications « évaluatives » répondent évidemment
le plus souvent à l’action de dispensation de médicaments, soit en utilisant la mesure de la VAS/EVA soit en
décrivant l’effet implicite du médicament : « s’est
endormi », « se détend », « soulagé/calmé », « efficace »,
« patient satisfait de son antalgie ».
B. L’ÉTAT CUTANÉ
A. LA DOULEUR
Pour ce thème, comme le montre le tableau 4, ce sont
les observations qui sont les plus importantes. Elles font
référence le plus souvent à la présence ou non de douleurs tels « a mal »/« n’a pas mal », « algique »/« non
algique ». La douleur est notée par son absence dans
25 % des observations (pas de douleur, pas de plaintes,
non algique).
Les observations concernant l’état cutané font le plus
souvent référence à une attitude de prévention des
escarres. La trilogie «rouge - rougeur – OK» représente à
elle seule plus du tiers des mots employés pour décrire
l’état cutané. Nous relevons également des qualificatifs
tels «fragile», «sèche», «marquée», «irritée»… etc.
Tab 4 : Répartition selon les étapes du processus
des notes concernant la douleur
6% 4%
56%
34%
Observations
Actions
Evaluations
La lecture du tableau 5 montre que le nombre d’actions retranscrites sur le dossier était plus important que
le nombre d’observations. Surprenant au premier
abord, ceci s’explique par le caractère systématique de
certaines prises en charge que sont les actions de nursing. Cette constatation est encore renforcée par le fait
que la rubrique observation contenait également des
actions (une dizaine), seules ou associées à un élément
d’observation.
Le groupe de mots qui prédomine nettement sous la
rubrique « actions » est le tandem « installé + endroit
(droite, gauche...) »; apparaissent aussi « nursing fait »
ou « effleurements ».
Autres
Dans la catégorie évaluation, les termes utilisés restent
peu précis (« OK », « correct »...), probablement en raison de la non documentation du problème de soins.
L’analyse des mots utilisés montre que le terme douleur
est abrégé de 8 manières différentes : dleur, dleurs, dx,
dlr, dlrs, dl, dls, doul. Le terme algique est utilisé dans
le 28 % des observations. Par ailleurs, la douleur est
caractérisée parfois par des adjectifs tels « violente »,
« intense », « importante », « supportable », ou en référence à l’échelle visuelle analogique (VAS/EVA). Le
comportement du patient est de temps à autre décrit
comme : « se plaint », « souffre », « dit avoir mal »,
« devient de plus en plus pâle »…etc.
Dans la colonne « Actions », nous distinguons deux
grands groupes de notes : ce qui a été donné, fait par
l’infirmier/ère et ce qui a été reçu par le patient. 90 %
des actions sont en lien avec le traitement médicamenteux (par exemple : « 5 mg Mo s/c » ou « Donné 2 cp
Dafalgan »). Les quelques autres notes concernent l’installation du patient, comme par exemple « mis coussin
sous les genoux » et une seule note relate une discussion avec le patient algique.
Tab 5 : Répartition selon les étapes du processus
des notes concernant l'état cutané
n= 161 notes
2%
20%
33%
45%
Observations
Actions
Evaluations
Autres
C. L’ORIENTATION
Le tableau 6 met en évidence pour ce thème une
grande majorité d’observations qui sont souvent engen-
126
Recherche en soins infirmiers N° 69 - juin 2002
LES NOTES INFIRMIÈRES : QUELLE CONTRIBUTION
À LA QUALITÉ DU DOSSIER DE SOINS ?
drées par un incident provoqué par un état confusionnel chez le patient.
5.5. Les liens du processus
Nous constatons dans la notification, en comparaison
avec les deux autres thèmes, une difficulté d’attribuer
l’acte dans la bonne colonne. Aussi, en comparant le
langage utilisé dans le domaine de l’orientation - désorientation, il s’avère relever plus du sens commun,
donc, plus proche du vécu du professionnel.
L’orientation est soit décrite de façon minimale
(« patiente orientée »), soit avec un qualificatif impliquant les notions de temps et d’espace (« Le patient est
toujours désorienté dans le temps et l’espace. Il sort
souvent de la chambre et se retrouve ailleurs »).
Parmi les trois thèmes pré-cités, nous avons recherché
les mises en liens éventuels entre les notes d’observation et celles d’action et entre les notes d’action et
celles d’évaluation. Les enquêtrices ont évalué ces
mises en lien à partir de leurs connaissances et de leur
expérience de pratique professionnelle. Notamment,
elles ont relevé ce qui est facilitant dans ce type de
recueil de données : l’identification graphologique,
l’indication de l’heure avant chaque écriture, l’utilisation des flèches reliant une colonne à l’autre, l’écriture
à la même hauteur des trois colonnes.
La plupart des notes peuvent permettre des mises en
lien entre les étapes. Toutefois, certaines notes dans la
colonne « évaluations » pourraient aussi figurer dans la
colonne « observations » ; c’est la présence d’un
énoncé « objectif de soins » qui permettrait une
meilleure discrimination entre les différentes étapes du
processus de soins. Nous constatons néanmoins un
nombre peu élevé d’évaluations documentées. Tout
ceci donne parfois aux transmissions un caractère
décousu qui ne permet pas, à la simple lecture des
notes, de se faire une idée précise du processus de
soins mis en place.
Tab 6 : Répartition selon les étapes du processus
des notes concernant l'orientation
5%
3%
24%
68%
Observations
Actions
Evaluations
Autres
Le recueil de données dans plusieurs dossiers laisse
apparaître des situations de patients présentant une
altération certaine de l’orientation. Dans ces situations,
les nombreux incidents provoqués par le patient poussent, probablement, l’infirmier/ère à notifier davantage
d’informations dans le dossier. En même temps son
langage est plus direct et parfois exacerbé, ou même
approchant les limites du jugement de valeur, comme
par exemple : « Patient non compliant » ou « Difficultés
de compréhension, n’intègre pas ce qu’on lui dit, a
peur malgré les explications et devient agressif et très
violent, 3 personnes pour le faire passer du lit au fauteuil ».
Dans la colonne « actions », nous relevons d’une part
plus particulièrement des actes de prévention
(exemple : « mis bracelet nominatif ») et d’autre part
des actes de contention, un des problèmes sensibles
dans le domaine des soins. Parfois les deux vont
ensemble (exemple : « Installée dans la salle de bain,
barrières » ou « Installé au fauteuil et attaché »).
6. L’IMPACT D’UNE ÉVALUATION
Nous avons choisi de nous attarder plus particulièrement sur l’impact des résultats de cette évaluation, à
travers leur valorisation pour l’action et leur mise en
question relative à la qualité des traces.
6.1. Des suites données aux propositions
Le projet d’évaluation du dossier de soins s’est inscrit
dans un processus de changement en lien avec l’introduction du dossier informatisé. Suite aux résultats de
l’évaluation, l’équipe du projet d’évaluation a formulé
quatre grandes recommandations :
Les évaluations concernant l’orientation comme pour
les autres thèmes sont peu fréquentes.
• Amélioration du taux de présence d’informations
dans les rubriques de l’anamnèse en spécifiant
pour chaque département les rubriques prioritaires
pour lesquelles la présence de données est impérative
127
Recherche en soins infirmiers N° 69 - juin 2002
• Coordination et clarification des abréviations de
sorte que celles formalisées au niveau du département soient compatibles avec celles de l’institution
• Utilisation du langage venant de référentiels
accessibles et validés, comme par exemple les
consignes concernant la prévention des escarres,
afin de pouvoir mieux qualifier les observations
• Introduction d’une manière plus explicite des
objectifs de soins (diagnostics infirmiers ou mots
ciblés) donnant au processus de soins et notamment à l’étape de l’évaluation des soins une plus
grande importance.
Ces propositions suggèrent que la pratique du dossier
de soins actuel doit être améliorée en amont de l’introduction de logiciels informatiques. Ces derniers facilitent certes la tenu d’un dossier, la structuration des
données, mais ne garantissent aucunement une
meilleure qualité des notes. Comme le relève I.
Fristalon (2000, p. 85) : « L’introduction de cette nouvelle technologie de l’information ne vient pas se faire
sans quelques bouleversements dans l’organisation de
l’activité, sans une remise en question des contenus de
la démarche et sans imposer l’exigence de s’approprier
des compétences probablement autres que celles habituellement convoquées dans l’exercice du métier ».
Chaque proposition sous-tend donc des décisions à
prendre et la mise en oeuvre de nouveaux moyens. Les
premières actions qui vont dans ce sens sont la présentation des résultats au colloque des cadres infirmiers et
aux équipes infirmières. Tenant compte des propositions de base, chaque département établit des objectifs
propres à court terme, comme par exemple l’établissement d’un inventaire des abréviations utilisées dans les
différentes unités de soins d’un département. Puis, des
groupes de travail sont à prévoir, afin de clarifier les
problématiques au niveau institutionnel, comme celles
des abréviations ou celles de la référence au processus
de soins infirmiers ou aux transmissions ciblées.
La première étape de valorisation des résultats de l’évaluation du dossier de soins doit apporter une plus value
directe aux équipes du terrain. Par une participation
aux présentations des résultats, tous les acteurs sont à
nouveau sensibilisés au dossier de soins. Néanmoins se
pose aussi la question, en quoi cette démarche aura un
effet sur la pratique d’écriture des infirmières ? Nous
nous contenterons ci-après d’aborder cette thématique
d’une manière prospective, en explorant pour l’instant
les quelques articles publiés concernant la qualité des
notes dans un dossier de soins.
6.2. L’amélioration des notes
Comment améliorer la qualité des notes ? Les pistes
exploratoires nous mènent à quelques rares recherches
et à des manuels de soins récents, comme par exemple
celui de F. Dancausse et E. Chaumat (2000) qui stipule
que « Les transmissions ciblées sont une méthode-clé
pour organiser la partie narrative du dossier de soins et
aller dans le sens d’une meilleure qualité des soins, en
structurant et simplifiant les transmissions ». Cette mise
en valeur figure sur la couverture de cet excellent
guide méthodologique, qui intègre tout un savoir accumulé depuis plus de trente ans de pratique infirmière.
Face à cette référence pertinente et prescriptive, le
chercheur critique se tourne en même temps vers la
pratique réalisée sur le terrain. En effet, les résultats de
cette évaluation quantitative et qualitative des notes
dans les dossiers de soins révèlent notamment des
écarts plus ou moins importants avec des taux de présence de données souhaités. Se pose alors la question :
Comment trouver un consensus entre des références
conceptuelles pertinentes et des pratiques inscrites
dans le quotidien ?
Concernant la qualité de l’écriture dans les dossiers de
soins, l’analyse en 1988 de A. Courcoux-Riquelme met
en évidence une forte conception des soins médicale
ainsi que la difficulté de transcrire « le relationnel »
avec le patient chez les soignants. Nos résultats nous
permettent aussi de confirmer cette tendance. Aussi
elle souligne les réticences des infirmières à s’impliquer davantage dans l’écrit qui tend vers la brièveté et
vers un langage de style abrégé. De notre part, nous
ajouterions à cette problématique, l’utilisation par les
professionnels d’abréviations et de codes non validés
par l’institution.
Dans les soins infirmiers, l’écrit est évidemment
concurrencé par l’oral, ou dit autrement et selon M.
Grosjean et M. Lacoste (1998), l’oral représente un
éclaircissement et une mise en contexte de l’écrit.
Dans cette controverse « oral versus écrit » et dans une
vision plus prospective, nous pouvons espérer une
autre qualité de l’écrit générée par l’utilisation du dossier informatisé à travers les techniques interactives en
temps réel et l’hypertexte (trace et mémoire collectives).
Par ailleurs, l’amélioration des notes infirmières passe
aussi par la critique et l’auto-évaluation de l’écrit, ainsi
que par des formations sous forme d’ateliers d’écriture.
Ces dispositions font par exemple l’objet d’un projet de
recherche ANAES (Agence Nationale d’Accréditation
128
Recherche en soins infirmiers N° 69 - juin 2002
LES NOTES INFIRMIÈRES : QUELLE CONTRIBUTION
À LA QUALITÉ DU DOSSIER DE SOINS ?
et d’Evaluation en Santé) intitulé « Ecriture infirmière et
qualité des soins » présenté sur Internet1 en juin 2001.
En conclusion, nous reprendrons la proposition de F.
Acker (1997) : Pour les soins infirmiers, il s’agit de sortir de l’invisibilité. C’est un défi qui stipule de rendre
l’invisible visible, et plus encore, de rendre les traces
du travail infirmier davantage opérationnelles, compréhensibles et transparentes. Ceci demande une responsabilisation accrue des acteurs, une développement de
leurs compétences professionnelles, en particulier
communicatives et un soutien venant d’une part des
cadres de proximité et d’autre part des apports de la
recherche et plus particulièrement de la thématique de
la traçabilité.
DANCAUSSE F., CHAUMAT E., 2000 : Les transmissions ciblées au service de la qualité des soins, Paris,
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Recherche en soins infirmiers N° 69 - juin 2002
V ARIATION
Eliane Perrin, Dr en sociologie
Vanessa Vaucher, infirmière
LE VACCIN CONTRE LA GRIPPE ET LES PERSONNES ÂGÉES
Étude sur les représentations menée auprès de cinq focus groups
à Genève
RAPPEL DU MANDAT
En décembre 1997, le mandat a été défini d’un commun accord de la manière suivante :
Objectifs :
• Évaluer les messages contenus dans le matériel d’information de la campagne grippe (contenu et forme)
par rapport au groupe cible.
• Approfondir la perception autour de la grippe.
Méthode :
Le mandataire a comme tâches, en collaboration avec
le groupe de travail :
• de rédiger le guide de discussion de 5 focus groups ;
• de définir les critères pour la composition des
groupes ;
• d’animer les groupes ;
• d’analyser et synthétiser les résultats des discussions
dans un bref rapport.
Durée du mandat : fin juin 1998
1. DÉROULEMENT ET RÉALISATION
Un guide de discussion a été élaboré. La discussion
était conçue en deux temps. Dans un premier temps, il
s’agissait de laisser libre cours aux représentations que
les participants avaient des vaccins en général, de la
grippe comme maladie, du vaccin contre la grippe en
particulier. Dans un deuxième temps, le dépliant diffusé par le Groupe genevois de vaccination contre la
grippe était distribué aux participants, qui le lisaient
chacun pour soi. Puis il était repris page par page et
commenté par les participants (Cf. guide de discussion,
annexe 0). Enfin, un bon d’achat était remis aux participants en guise de remerciements.
Parallèlement, Madame V. Vaucher était chargée de
trouver des groupes de participants à cette recherche
dans un délai de trois mois. Elle a pris contact avec la
Fédération des Clubs d’Aînés (CAD) du Canton de
Genève, par l’intermédiaire de Monsieur Jacky Reynier,
responsable. Grâce à sa collaboration, elle a pu présenter brièvement ce projet dans une assemblée générales des 36 Clubs d’Aînés fédérés dans le canton.
Deux lettres ont été envoyées par le même courrier,
adressées aux Présidents ou responsables de ces Clubs,
l’une de la part du Service du Médecin cantonal,
l’autre de la part des chargées de cette étude. Puis nous
avons pris contact par téléphone ou avons été contactées par des Présidents et des responsables afin de fixer
un rendez-vous. Nous leur avons expliqué ce que nous
désirions, à savoir des groupes de 6 à 10 personnes si
possible homogènes (âge, sexe, catégories socioprofessionnelles)1.
Nous avons rencontré quelques difficultés à faire respecter ces conditions pour plusieurs raisons : la première tient au fait que ces Clubs sont fondés sur une
base géographique, c’est-à-dire non homogène (les
deux sexes, tous les âges et toutes les catégories socioprofessionnelles) ; la deuxième est que la présence à
une activité, quelle qu’elle soit, est imprévisible parce
que libre (elle dépend du temps, de l’humeur des
membres, etc.) ; la troisième tient sans doute au fait que
1. (The Focus Goup Kit, tome 2, p 71).
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Recherche en soins infirmiers N° 69 - juin 2002
V
ARIATION
LE VACCIN CONTRE LA GRIPPE ET LES PERSONNES ÂGÉES
représentées sont majoritairement celles des
employés (36%) et des ouvriers (28%), suivies par
celles des petits indépendants (11%) et des ménagères (11%). Les cadres sont rares (4%) et les professions libérales absentes. Ce qui frappe dans la
composition de ces groupes (et qui n’est sans doute
pas représentatif de ces générations), c’est le fort
pourcentage de femmes (41 sur 47 soit 87%)
ayant exercé une activité professionnelle. C’est
probablement une des caractéristiques des femmes
participants aux clubs d’aînés après la retraite (Cf.
Tableau 2).
les Présidents ou responsables, ne pouvaient pas, pour
nous, changer leur mode de faire habituel. Tous les responsables ont eu peur qu’il n’y ait pas assez de participants. Trois des groupes ont eu lieu après un repas, les
responsables étant certains de réunir un bon nombre
de membres, dont une partie resterait. C’est pourquoi
le nombre de participants a varié de 4 à 22 et les
groupes n’ont jamais été homogènes.
Les 5 focus groups, nombre suffisant pour tirer des
conclusions2, ont été menés par E. Perrin, sociologue,
assistée par V. Vaucher, infirmière, qui prenait des
notes. Les discussions ont été enregistrées. Sur la base
des notes et des enregistrements, un résumé thématique de chaque discussion de groupe a été rédigé. Les
groupes ont duré entre une et deux heures selon le
nombre de participants.
3. ANALYSE ET RÉSULTATS
Nous avons opté pour une analyse thématique visant à
mettre en évidence les noyaux autour desquels se
structurent les réflexions et les discussions, donc les
représentations et les attitudes des personnes de plus
de 60 ans. Nous reprenons l’ordre thématique du
guide de discussion même si, dans le déroulement des
focus groups, les thèmes sont apparus de manières
beaucoup plus enchevêtrés.
2. DESCRIPTION DE LA POPULATION
Les 5 focus groups ont permis à 53 personnes de s’exprimer. Les femmes sont très majoritaires (89% de
femmes, 11% d’hommes) et ce dans tous les groupes.
Du point de vue des âges des participants, ces groupes
sont un peu plus contrastés : le groupe 1, rassemblé
autour de la danse folklorique, est le plus jeune (entre
60 et 75 ans), les groupes 4 (entre 71 et 85 ans) et 5
(73 et 80 ans) sont plus âgés, et les groupes 2 (entre 73
et 94 ans) et 3 (entre 75 et 88 ans) comprennent de
grands vieillards (Cf. Tableau 1).
3.1. Qu’est-ce qu’un vaccin ?
L’objectif consistait à repérer les représentations des
vaccins considérés comme efficaces, les attitudes face
aux vaccinations en général.
Les catégories socioprofessionnelles d’origine (activités professionnelles exercées avant la retraite)
Focus groups/
sexes/âge moyen
Hommes
Femmes
Total
Âge moyen
1
2
6
8
68
2
1
21
22
82
3
1
11
12
81
4
2
5
7
77
5
_
4
4
76
Total
6
47
53
Tableau 1 Description des 5 focus groups selon le sexe et l’âge moyen
2. Le nombre idéal est situé entre 3 et 5 avant saturation (The Focus Group Kit, tome 2, p.77).
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Recherche en soins infirmiers N° 69 - juin 2002
CSP/focus groups
1
2
3
4
5
Total
Ouvriers
3
5
5
1
1
15
Employés
3
9
5
2
_
19
Petits indép.
1
1
1
2
1
6
Cadres
1
1
_
_
_
2
Prof. libérales
_
_
_
_
_
_
Ménagères
_
1
1
2
2
6
NRP
_
5
_
_
_
5
Total
8
22
12
7
4
53
Tableau 2 Description des 5 focus groups selon les catégories socioprofessionnelles (CSP)
Le noyau thématique central de la discussion autour
des vaccins s’énonce de la manière suivante : le vaccin
est la maladie. Lorsqu’on se fait vacciner, on nous inocule la maladie, le poison, le danger. Dans ce sens, un
vaccin est d’abord dangereux. On oblige le corps à se
défendre, à fabriquer des anticorps. Si le corps y parvient, résiste à la maladie, alors on est protégé et on ne
l’attrapera pas (Cf. Annexe 1).
souligné, leur efficacité n’est pas remise en question
lorsqu’il s’agit des vaccins classiques (tuberculose, polio,
tétanos), ce qui n’est pas le cas du vaccin contre la
grippe comme on va le constater plus loin.
3.2. Qu’est-ce que la grippe ?
Si le vaccin est la maladie, donc dangereux, faut-il vacciner tout le monde ou seulement certaines catégories
de la population? Faut-il ne vacciner que les individus
forts, en bonne santé, en pleine forme ou les faibles,
enfants, personnes âgées, malades, qui sont les plus en
danger mais qui risquent de ne pas supporter le
vaccin ?
Si l’on opte pour la première solution, vacciner tout le
monde, alors on vaccine à la chaîne (à l’école, à l’armée, dans l’entreprise, etc.). Si au contraire on pense
que c’est dangereux, le vaccin doit être prescrit individuellement en fonction de l’état de santé de chaque
individu par un médecin qui contrôle le danger.
Les partisans des vaccins homéopathiques se situent
dans la même logique : ils soulignent que ces vaccins
sont moins dangereux parce que moins forts, en doses
plus faibles prises en plusieurs fois.
Les représentations convergent autour du vaccin comme
étant l’inoculation de la maladie, donc dangereux. Et les
attitudes divergent selon l’évaluation du danger et des
risques qu’il représente : faut-il prendre ce risque alors
qu’on est en bonne santé (risque de rompre l’équilibre)
ou affaibli (risque de l’être encore plus) ? On risque parfois d’en mourir. Si le danger des vaccins est fortement
Les objectifs étaient de repérer les représentations de la
grippe (prévention, transmission, symptômes, gravité,
complications, traitements).
Le noyau thématique central de la discussion tourne
autour de deux éléments : la difficulté à définir ce
qu’est la grippe et le fait que les virus changent chaque
année (Cf. Annexe 2).
La tentative de définir la grippe comme un état aboutit
à l’énoncé d’une somme de symptômes qui, pris un à
un ne sont pas la grippe (toux, rhume, bronches prises,
courbatures, maux de tête, etc.). Le plus discuté, parce
qu’il semble faire la différence entre refroidissement et
grippe est la fièvre. Mais il est systématiquement
balayé par deux arguments : le premier vient de personnes âgées qui affirment avoir eu la grippe sans avoir
eu de fièvre et qui ajoutent parfois n’avoir jamais eu de
fièvre accompagnant d’autres affections; le deuxième
émane de personnes rappelant que la fièvre n’est pas
une maladie mais un symptôme, un signal, une défense
de l’organisme.
La tentative de définir la grippe par son agent s’avère
tout aussi difficile. Si la majorité des participants l’ap-
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Recherche en soins infirmiers N° 69 - juin 2002
LE VACCIN CONTRE LA GRIPPE ET LES PERSONNES ÂGÉES
pelle virus, il en est pour soutenir que c’est une bactérie ou un microbe. La discussion qui vise à savoir si les
virus sont des microbes, les microbes des bactéries et
les bactéries des virus est inextricable : rien n’est clair.
envisagées sont diverses (mouchoirs sur la bouche,
suçer des pastilles désinfectantes, se laver les mains,
etc.). Mais l’idéal serait d’éviter tout contact avec les
autres.
Si on se met d’accord pour l’appeler « virus », alors il y
en a plusieurs. Ou un seul qui change chaque année.
Ou plusieurs en même temps, dont certains sont
connus, d’autres inconnus. Le seul point d’accord est
qu’ils viennent de l’étranger. La grippe est espagnole,
asiatique, de Pékin, de Sydney. Les responsables de
l’épidémie sont les voyageurs. Les discussions ont pris
souvent un tour clairement raciste, pour la fermeture
sur soi, contre l’étranger d’où qu’il vienne, et ce d’autant plus qu’il ne viendrait à l’esprit de personne de
prendre la défense d’un virus (qui est par définition
« méchant », un « ennemi mortel ») contrairement aux
autres êtres humains de la planète... On peut d’ailleurs
s’interroger sur cette habitude médicale consistant à
nommer des virus par leur origine géographique lorsqu’il s’agit de la grippe.
Ces représentations aboutissent toutes à la même
conclusion dramatique : il ne faudrait plus sortir de
chez soi, ne plus voir personne pendant la saison
froide. Conclusion dramatique parce que renforçant
l’isolement de personnes âgées vivant souvent déjà très
seules et contribuant à les désocialiser encore davantage.
Les questions liées à la transmission de la grippe, à son
évitement et à la lutte contre la grippe font apparaître
trois thèmes centraux : le chaud contre le froid; le danger des lieux publics et des contacts avec les autres;
l’alimentation et les remèdes de grands-mères comme
alternative au vaccin (cf. Annexe 3).
Les représentations de la grippe sont inextricablement
liées à l’opposition chaud-froid. Elle s’attrape quand il
fait froid ou quand on a froid. Il faut donc éviter d’avoir
froid, rester au chaud (ne pas sortir), la soigner par le
chaud (transpirer, bains chauds, grogs, etc.). En hiver,
le chaud et le froid se superposent aux catégories
dedans-dehors : il ne faudrait plus sortir, rester
dedans.
Mais il ne suffit pas de rester dedans, au chaud pour ne
pas attraper la grippe : il y a des « dedans » où l’on est
en sécurité, chez soi, et des « dedans » extrêmement
dangereux, tous les lieux publics, surtout si ils sont
« fermés », que l’air y circule en circuit fermé (les transports en commun, les bureaux à air conditionné, les
ascenseurs « qui sont des cages à virus »). Il faut donc
les éviter à tout prix.
Si les lieux publics sont dangereux parce que l’air y est
saturé de virus, c’est aussi parce qu’ils sont fréquentés
par de nombreux autres humains et que la grippe se
transmet par le contact avec les autres quelle que soit
la distance que l’on entretienne avec eux : par l’air à
distance en parlant (les postillons), par les mains lorsqu’on se salue ainsi que par tous les contacts physiques plus proches (embrassades, etc.). Les parades
Le dernier thème est celui qui oppose les solutions
médicales à celles de nos grands-mères, l’alimentation. On attrape la grippe parce que l’on a des
carences alimentaires; on y résiste en ayant une nourriture équilibrée et on se soigne soit par la diète soit par
un régime alimentaire approprié. Cette opposition est
révélatrice de la manière dont les discours médicaux
concernant le vaccin contre la grippe sont perçus :
comme une alternative et surtout comme une disqualification du savoir profane, de la sagesse populaire.
Dans cette perspective, les solutions médicales ne sont
retenues que pour les faibles, ceux qui sont déjà
malades _ le vaccin comme prévention secondaire _
ou comme un ultime recours, lorsqu’on a la maladie et
qu’on arrive pas à s’en sortir tout seul, c’est-à-dire avec
les recettes de nos grands-mères.
3.3. Que savez-vous, que pensez-vous du vaccin
contre la grippe ? Quelles raisons y-a-t-il de
se faire ou non vacciner contre la grippe ?
Les objectifs étaient de repérer les représentations du
vaccin contre la grippe, l’expérience et le bilan qu’en
tirent ceux qui ont déjà été vaccinés, les questions que
se posent les participants à son sujet.
Trois thèmes centraux ressortent des discussions : le
vaccin contre la grippe est un projet impossible à réaliser puisque le ou les virus changent chaque année; il
ne peut tout au plus avoir qu’une efficacité partielle
mais ne peut empêcher d’attraper la maladie; et il
s’adresse à ceux qui sont déjà faibles, malades qui doivent absolument le faire sous la responsabilité de leur
médecin puisqu’ils sont déjà malades, que c’est dangereux et que lui seul les connaît bien (Cf. Annexe 4).
Les discussions se sont à chaque fois déroulées dans
une atmosphère extrêmement nuancées, marquées par
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Recherche en soins infirmiers N° 69 - juin 2002
l’incertitude et l’absence de positions tranchées. Jamais
elles n’ont opposé des partisans convaincus des bienfaits de vaccin à des adversaires farouches. Ceci tient
au fait que la grande majorité des personnes vaccinées
l’ont été sur prescription de leur médecin (qui ne leur
a pas laissé le choix) ou sur décision de leur entreprise
qui a imposé une vaccination annuelle à tous les salariés; que certains d’entre eux affirment avoir quand
même eu la grippe; que d’autres disent ne pas l’avoir
contractées mais connaître des personnes non vaccinées qui ne l’ont pas eue non plus...
Nous n’y reviendrons pas ici. Deux thèmes nouveaux
apparaissent toutefois à sa lecture : les aides à domicile
et les infirmières peuvent passer la grippe aux personnes âgées (irruption de l’extérieur dangereux dans
l’intérieur protecteur du domicile, de l’E.M.S. ou de
l’hôpital) et devraient être vaccinées obligatoirement.
Et le soupçon d’être victime d’une opération de promotion des intérêts économiques des médecins et des
industries pharmaceutiques (c’est du petit commerce,
une combine pour vendre des vaccins, pour donner du
travail aux docteurs).
Cette incertitude, liée à l’absence de décision personnelle concernant sa propre vaccination, est encore renforcée par l’efficacité relative du vaccin. Ses défenseurs ont tout au plus avancé qu’il protège contre les
« mauvaises » grippes, les « trop grosses » bronchites ou
les « gros » refroidissements. Et il s’est toujours trouvé
des personnes pour rappeler le nombre de morts, tous
vaccinés contre la grippe, l’hiver dernier à l’E.M.S. de
Winterthur.
Dans l’ensemble, le dépliant est considéré comme
juste et honnête, agréablement présenté mais peu
convainquant parce que ne répondant pas aux questions que se posent les personnes âgées.
D’autres thèmes apparaissent ou réapparaissent dans
les représentations du vaccin contre la grippe. Faut-il
vacciner toute la population ou les personnes faibles
uniquement (les enfants et les personnes âgées). Le
coût du vaccin est jugé peu élevé par certains, trop
élevé par d’autres (il devrait être obligatoire et gratuit
comme dans les entreprises). La nécessité de le répéter
chaque année (et non valable une fois pour toute), que
son effet ne soit pas immédiat (4 semaines avant d’être
efficace) et qu’il se fasse par injection est un problème
pour certains. La piqûre est un obstacle pour une
minorité de personnes âgées, jugé plus important lorsqu’il s’agit d’enfants. La piqûre, dans les représentations des personnes âgées, est considérée comme un
moyen plus rapide, plus direct que tous les autres
modes d’administration de médicaments.
3.4. Que pensez-vous du dépliant diffusé par le
Groupe genevois de vaccination contre la
grippe (1996)?
L’objectif est de voir quelles modifications pourraient
être apportées au dépliant à l’avenir.
La plupart des remarques des participants concernant
le dépliant diffusé par le Groupe genevois de vaccination contre la grippe, relevées page par page (cf.
Annexe 5), reprennent les thèmes structurant les représentations résumés dans les paragraphes précédents.
4. CONCLUSIONS
Nos conclusions sont centrées sur l’objectif principal
de cette étude, à savoir évaluer les messages contenus
dans le matériel d’information de la campagne grippe
(contenu et forme) par rapport au groupe cible. Elles se
fondent sur l’analyse des représentations de la grippe
décrites ci-dessus.
Les messages contenus dans le matériel d’information
de la campagne grippe (dépliant diffusé par le Groupe
genevois de vaccination contre la grippe, 1996) sont
considérés comme justes et honnêtes. Mais ils semblent désormais insuffisants.
Depuis les deux études réalisées en 1996 (Debenay et
al.; Butikofer), de nombreuses personnes, dont des personnes âgées, ont expérimenté le vaccin contre la
grippe. Sa réputation ne semble pas pour autant s’être
améliorée, non seulement parce que certaines personnes ont fait de fortes réaction à la vaccination ou
estiment avoir eu la grippe en étant vaccinées, mais
aussi parce que des personnes âgées vaccinées sont
mortes de la grippe (EMS de Winterthur).
Ce bilan négatif, effectué par des personnes ayant été
vaccinées s’ajoutant aux doutes des hésitants et aux
arguments des réfractaires, nécessite des réponses nouvelles. Faire comme si de rien n’était donnerait raison à
ceux qui pensent que cet acharnement à vouloir que
toutes les personnes âgées se fassent vacciner ne poursuit que des fins économiques (augmenter le nombre de
consultations médicales et faire marcher l’industrie
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Recherche en soins infirmiers N° 69 - juin 2002
LE VACCIN CONTRE LA GRIPPE ET LES PERSONNES ÂGÉES
pharmaceutique). Et ce d’autant plus que la conjoncture est à la maîtrise de la hausse des coûts de la santé.
RÉFÉRENCES BIBLIOGRAPHIQUES
Il faudrait donc aller au-delà des messages actuels,
répondre aux questions concernant les dangers de la
vaccination (quelles contre-indications, quels effets
secondaires, quelles allergies, etc.), l’efficacité du vaccin (même si tous les virus ne sont pas prévisibles).
(1) Ammon Catherine : La vaccination anti-grippale
des personnes âgées (vivant à domicile) à Genève.
Mémoire pour le certificat de Santé Communautaire,
Centre Médical Universitaire, Genève, 1996.
Il faudrait souligner des avantages à se faire vacciner
situés hors d’une problématique purement médicale,
comme le fait de pouvoir continuer à sortir de chez
soi, rencontrer d’autres gens, aller dans des lieux
publics, utiliser les transports en commun, voir ceux
qu’on aime et pouvoir les embrasser.
Enfin il faudrait valoriser leurs représentations concernant ce qu’ils peuvent faire eux-mêmes pour être en
bonne santé, comme l’importance de bien se nourrir.
Il faudrait présenter les recettes de grands-mères
comme étant bonnes pour la santé, complémentaires à
la vaccination, et non les opposer ou les disqualifier.
En un mot, développer une stratégie de coopération
entre savoir profane et savoir scientifique plutôt qu’une
stratégie de compétition et de domination.
(2) Morgan David L., Krueger Richard A. : The Focus
Group Kit. Tome 1 à 6. Sage Publications, Thousand
Oaks, London, New Delhi, 1998.
(3) Debenay Élisabeth, Barciela Ana, Bovay Simone,
Ischi Sylvie, Polastri Florence, Romain Marie-Simone :
Évaluation des représentations de la grippe et des résistances à la vaccination auprès de deux groupes de personnes âgées, d’après la méthode des focus-group.
École de Soins Infirmiers et de Sages-Femmes Le Bon
Secours, Genève, 1996.
(4) Butikofer Dominique : Identification des croyances
et des représentations de la grippe et de sa vaccination.
Institut de Médecine Sociale et préventive, Faculté de
Médecine, Université de Genève, Genève, 1996.
(5) Simon Jean-Jacques, Gaberel Pascal-Eric, Schira
Jean-Claude, Wunderli Werner, Debennay Elisabeth :
Rapport de la campagne « Unis pour la vaccination
contre la grippe 96_97 ». Rapport pout le Département
de l’Action Sociale et de la Santé, Genève, 1997.
Annexe 0
GUIDE DE DISCUSSION
0. Tour de table visant à recueillir quelques informations sur les participants : dernière profession exercée avant
la retraite (CSP), âge, principaux intérêts actuels. Noter la répartition par sexe.
1. Qu’est-ce qu’un vaccin ?
Objectif : repérer les représentations des vaccins considérés comme efficaces, les attitudes face aux vaccinations en général.
2. Qu’est-ce que la grippe ?
Objectif: repérer les représentations de la grippe (prévention, transmission, symptômes, gravité, complications, traitements).
3. Que savez-vous, que pensez-vous du vaccin contre la grippe ? Quelles raisons y-a-t-il de se faire ou non
vacciner contre la grippe ?
Objectif: repérer les représentations du vaccin contre la grippe, l’expérience et le bilan qu’en tirent ceux qui
ont déjà été vaccinés, les questions que se posent les participants à son sujet.
4. Distribution du dépliant diffusé par le Groupe genevois de vaccination contre la grippe (1996). Temps de
lecture chacun pour soi. Premières réactions. Reprise page par page (lecture à haute voix par l’animateur) et
commentaires page par page sur le contenu. Discussion sur la forme (la présentation, l’écureuil, etc.).
5. Autres commentaires autour de l’ensemble des questions soulevées par le groupe ?
6. Remerciements et distribution d’un bon d’achat de 30 fr. à l’ensemble des participants.
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Recherche en soins infirmiers N° 69 - juin 2002
Annexe 1
Qu’est-ce qu’un vaccin ?
Énoncés favorables
Énoncés défavorables
Nuances
protège contre une maladie
casse l’équilibre dangereux: risque
de mort (tuberculose, polio,
coqueluche...)
vaccin homéopathique:
moins dangereux
empêche d’avoir une maladie
donne la maladie, met le
poison à l’intérieur du corps
un vaccin est moins fort que
la maladie
renforce fabrique des anticorps
oblige le corps à réagir
affaiblit
chaque vaccin atteint une autre
partie du corps: différences
le vaccin contre la grippe est
comme tous les autres vaccins
le vaccin contre la grippe n’est pas
comme tous les autres vaccins: les
virus changent chaque année
maladie connue, identifiée,
prévisible
maladie imprévisible
pour tout le monde
(école, armée, entreprises)
pour les forts: nécessaire d’être
en bonne santé pour le faire
les réactions, les effets varient d’un
individu à l’autre
c’est psychologique
les forts réagissent plus fort, sont plus
en danger (la grippe espagnole a
emporté les hommes forts en premier)
pour les faibles: les enfants
nécessaire de prendre des
précautions
Annexe 2
Qu’est-ce que la grippe ?
Définitions de la grippe
affaiblissement
refroidissement
rhume
toux
fatigue
on ne peut plus souffler
attaque les poumons
broncho-pneumonie
courbatures, mal aux articulations
mal partout
mal aux jambes
maux de tête
fièvre
appellation trop globale: il a en a
plusieurs (comme le cancer)
bactéries
microbes
la grippe est un virus toujours
différent
Objections
pas la grippe
pas la grippe
pas la grippe
pas la grippe
pas la grippe
Nuances
on ne sait pas ce que c’est la grippe
n’est pas une maladie définie seul
le médecin peut le savoir: il faut
faire une prise de sang
pas la grippe
pas la grippe
pas la grippe
pas la grippe
n’a jamais de fièvre, même quand
a la grippe la fièvre n’est pas une
maladie, c’est le gendarme du corps
c’est une défense
le rhume est aussi un virus
136
Recherche en soins infirmiers N° 69 - juin 2002
certaines personnes ont de la fièvre,
d’autres pas, c’est individuel ça
dépend des tempéraments
tous les virus ne sont pas la grippe
LE VACCIN CONTRE LA GRIPPE ET LES PERSONNES ÂGÉES
Annexe 2 (suite)
Définitions de la grippe
Objections
Nuances
vient de l’étranger
(Espagne, Asie, Sydney)
c’est pour ça que nous sommes fragiles
les responsables sont les voyageurs
maladie grave si fièvre
on peut l’attraper ou pas :
impossible de savoir
tantôt bénin, tantôt pas
maladie grave pour les personnes
affaiblies ne pas la négliger
maladie mortelle (grippe de 1918)
grave pour les enfants et les
personnes âgées
pour les personnes très âgées
seulement
Annexe 3
Comment éviter la grippe ? Comment se transmet-elle ?
Comment lutter contre la grippe ?
Éviter la grippe
ne pas avoir froid
ne pas être faible
Transmission
en hiver
aussi en dehors de l’hiver
au printemps on peut aussi
attraper la grippe
quand on est faible
rester chez soi, ne pas sortir
dans les lieux publics
l’air conditionné dans les bureaux:
ça passe d’une pièce à l’autre
l’air conditionné est trop pur: les
virus prolifèrent
la pollution tue les virus, nous on
résiste à cause de la pollution
les ascenseurs sont des cages à virus
dans les bus
éviter de sortir
par l’air
éviter les gens
par les autres
éviter le contact
par les contacts physiques
se mettre un mouchoir sur la bouche par la bouche
quand elle sort prendre une pastille
pour la gorge pour se protéger
ne pas embrasser les autres
se laver les mains
par les mains
ne pas parler
en parlant
avoir de l’hygiène
augmenter ses résistances
bien se nourrir
carences alimentaires
alimentation variée: protège
comme un vaccin
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Recherche en soins infirmiers N° 69 - juin 2002
Lutter contre
rester au chaud
bains chauds
rester couché
bien dormir
transpirer
faire du sport
ne pas sortir
faire la diète
bien manger
manger des agrumes
manger des légumes
Annexe 3 (suite)
Éviter la grippe
huile de foie de morue
grogs préventifs
Transmission
Lutter contre
tisanes de grands-mères
boire beaucoup
boire du chaud
Comment éviter la grippe ? Comment se transmet-elle ?
Comment lutter contre la grippe ?
le vaccin se répartit dans tout
grands-mères aussi
vaccin contre la grippe
vin rouge avec un grain de sucre
boire des grogs
les sangsues
prendre des vitamines
vitamines C en grande quantité
contagion
épidémie
vaccin homéopathique
paracétamol
aspirine
prendre du Pulmex
après 3 jours, aller chez le médecin
antibiotiques
Annexe 4
Que savez-vous, que pensez-vous du vaccin contre la grippe ?
Quelles raisons y-a-t-il de se faire ou non vacciner contre la grippe ?
Énoncés favorables
le vaccin est contre les virus qui
viennent de l’étranger
vaccin élaboré après la grande
grippe de 1956 à Genève,
Paris et aux USA
a été vacciné et n’a jamais
eu la grippe
Énoncés défavorables
le virus est nouveau chaque année,
donc le vaccin n’est pas efficace
il a toujours un train de retard
impossible de prévoir ce qui va
arriver
la grippe, on ne sait pas ce que c’est
la grippe n’existe pas: invention pour
e pas aller au travail ou à l’armée
a été vacciné et a eu la grippe
a fait vacciner tous ses enfants
n’a jamais eu la grippe: ne se fera
pas vacciner
138
Recherche en soins infirmiers N° 69 - juin 2002
Nuances
le vaccin est parfois efficace,
parfois non
le vaccin est pour éviter que
les gens aient ça si fort
le vaccin évite d’avoir une
« mauvaise » grippe
ridicule de se faire vacciner
contre une éventualité
évite d’avoir de « trop grosses »
bronchites, de « gros »
rhumes, de «gros» refroidissements
le vaccin homéopathique est mieux
Oscilococcinum
a été vacciné deux ans avant sa
retraite et depuis n’a jamais eu la
grippe, mais connaît des gens
pas vaccinés qui ne l’ont pas
eue non plus
LE VACCIN CONTRE LA GRIPPE ET LES PERSONNES ÂGÉES
Annexe 4 (suite)
Énoncés favorables
il faut le faire toujours
à la même date
vacciner toute la population
c’est pas cher
la piqûre ne fait pas peur
la piqûre véhicule plus vite,
est plus rapide, plus directe
Énoncés défavorables
n’est pas malade, n’a pas besoin
de vaccins
il faut craindre l’épidémie
pour se faire vacciner
pour les individus délicats, toujours
malades
ceux qui se font vacciner
contaminent les autres
une visite à 70 fr. c’est cher
Nuances
après une bronchite, il faut le faire
a eu la toux et l’a fait quand on a un
gros rhume, il faut se faire vacciner
ça ne convient pas à tout le monde
des gens ont fait une trop grosse
allergie
c’est au médecin de conseiller, de
décider c’est le médecin qui me
l’a demandé
vaccin offert par l’entreprise
chaque année
on devrait pouvoir le faire à la
pharmacie (comme pour la tension)
opposé aux vaccinations chez
le pharmacien ou à la chaîne
a peur des piqûres, ne le fera jamais
embêtant pour les enfants
avant le vaccin était en pastilles
istribuées dans les entreprises
Annexe 5
Que pensez-vous du dépliant diffusé par le Groupe genevois de vaccination contre la grippe (1996)?
Énoncés favorables
Énoncés défavorables
Page 1 et 6 : médecins et pharmaciens
des médecins disent de ne pas se
ne demanderait pas au pharmacien
vacciner quand on est pas bien:
c’est pas normal si après
on a la grippe
p. 2 : dès octobre, chaque automne
pas de grippe en été
ils disent que la grippe arrive en
hiver, alors les angines, bronchites
et grippes qu’on attrape en été ne
sont pas la grippe...
139
Recherche en soins infirmiers N° 69 - juin 2002
Nuances
faire confiance à son médecin:
certains diront « c’est pas
nécessaire », d’autres « c’est bon »
ou « c’est pas bon »... pas le faire
quand on prend des médicaments
ne le faire que si on est en forme
Annexe 5 (suite)
Énoncés favorables
le délai de vaccination est relatif
Énoncés défavorables
4 semaines avant d’être efficace,
c’est long
en octobre... mais si la grippe prend
le TGV au lieu de l’omnibus, c’est
déjà trop tard en octobre c’est trop
tard, le faire en septembre
ils disent que le vaccin est adapté
chaque année, mais ils ne savent pas
quel virus ce sera et quand
il arrivera... pour quelle grippe
on est vacciné ?
cette année, deux virus imprévus...
le virus est adapté, le vaccin non
p. 3 : éviter les complications, éviter la transmission
la grippe est mortelle
quel est le pourcentage des gens
évite les complications, pas la grippe vaccinés qui l’ont quand même
on l’a moins fort
attrapée ?
si la personne est vaccinée, elle ne
l’attrape pas et ne la passe
pas non plus, c’est logique
c’est vrai que ça se transmet avant
les premiers symptômes
p. 4 : qui ?
d’accord pour 65 ans il faudrait
vacciner tout le monde, ça devrait
être obligatoire
les soignants à domicile, le personnel
de l’hôpital doivent se faire vacciner
les personnes qui travaillent
dans l’alimentation aussi
p. 5: comment ?
le vaccin éviterait la transmission:
c’est difficile à prouver...
65 ans: pourquoi cette limite ? Les
jeunes ne résistent pas non plus...
les enfants, les jeunes sont délicats
les aides à domiciles nous passent
la grippe
on se lasse du vaccin car il est annuel
pas valable contre les autres virus
circulant en hiver
Autres commentaires:
le dépliant est juste, honnête
Nuances
c’est du petit commerce,
une combine pour vendre...
ça sert à donner du travail
aux docteurs
il ne répond pas à nos questions
pas convainquant
le prospectus est bien
l’écureuil est joli
l’animal est ravissant
il n’y a aucun conseil alimentaires,
c’est pour les gens qui ont la flemme
de faire la cuisine
140
Recherche en soins infirmiers N° 69 - juin 2002
pour le savoir, il faudrait ne
vacciner personne pendant 3 ans
et compter les morts, puis tout le
monde pendant 3 ans et compter
les morts
à l’EMS de Zürich, ils étaient vaccinés, ils sont morts, mais ils
étaient tous âgés et malades...
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N° 29 Juin 92
Éditorial
M. FORMARIER
Rencontre avec…
J.-P. HUBER
La psychiatrie hier, aujourd’hui
Recherche
Y. SOMMIER
La chambre à cathéter implantable. Soins infirmiers et utilisation
d’une nouvelle technique d’abord
veineux au long cours chez l’adulte.
Méthodologie
S. JUAN
Identités professionnelles et rapport à la recherche.
Variations
J. LECACHEUR
Mission pour un cœur tout neuf
ou essai d’une programmation de
santé pour transplantés cardiaques.
Informations
Journées d’études ARSI janvier
1993 Pré-programme
N° 34 Septembre 93
Éditorial
Ouverure des journées d’études
T. PSIUK : Conférences
L. MILLET : La clinique, histoire,
théorie, pratique (« la science infirmière »).
L. JOVIC
Différenciation entre : praticien, spécialiste, expert, clinicien en soins
infirmiers.
Table ronde
E. DUSEHU, C. HELOUIN,
L. LAMONTAGNE, N. ZLATIEV
Clinique et cliniciens : des concepts aux pratiques.
Recherches
M. HUBINON
Élaboration de normes de qualité
d’organisation des unités de soins
(Abstract).
A.N.C.I.M.
Recherche sur la capacité de la
personne soignée à participer au
recueil des données.
A. BUSTILLO, A. JACQUERYE
Évaluation de la qualité des soins
dans la prise en charge des patients à
risque ou atteints d’escarres (Résumé)
P. FAVEZ, S. CARBONELL
Valorisation de la profession infirmière et satisfaction du patient :
application d’une philisophie de
soins.
N° 39 Décembre 94
Éditorial
Rencontre avec…
C. RENAUD
L’acte euthanasique est-il éthique ?
Le cas du M.I.
Recherche
M. BRACKEVELDT
Recherche d’opmitisation de la
qualité de distribution des médicaments.
Méthodologie
F. FORTIN
Propriété métrologique des instrument de mesure (fidélité – validité)
L. TENN
Développement d’un instrument
de mesure d’intégration des soins
de santé primaires dans les programmes universitaires de sciences
infirmières au Canada
Variations
C. RIVALETTO
La chute des patients dans un service de chirurgie digestive.
Informations
Journées d’études à ARSI.
Formation continue – programme
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infimière en France.
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N° 30 Septembre 92
Éditorial
Comité de rédaction
Journées d’études
B. D’ESPAGNAT
Comment se construit une science :
approche épistémologique.
J.-P. ASTOLFI
La génèse de la science ; ses différents courants.
P. CARO
La vulgarisation des sciences.
B. GUY
Intérêts de la surveillance des voies
d’abord par monitorage des pressions de perfusion en néonatologie.
M. NADOT
Une « médiologie » de la santé
comme science.
M. RATTIER, E. CHANADEAU et
l’équipe soignante de Médecine
Interne B CHRU Limoges.
La visite-infirmière : rechercheaction.
M. FERRAT, M. L. ESPEL, M. H.
COUTUMIER, M. PEGON
et les puéricultices Pédiatrie 2
Secteur Néo-Natalogie Montpellier.
Le comportement postural du nouveau-né prématuré en incubateur
S. ANDRAL
Autonomie et/ou Autonomie : de
quelle autonomie parle-t-on ?
Informations
N° 35 Décembre 93
Éditorial
M. FORMARIER
Rencontre avec…
D. MONGUILLON
Identité Sociale et Ethos Infirmier
Recherche
M. NOLIN
Procédures et processus dans le
soins infirmiers
Méthodologie
R. FLANDRE
La grille de compétences infirmières
Variation
Pascale FLEURIOT
Essais thérapeutiques et infirmières
Informations
Programme de formation continue
94
Journées d’études 94
N° 40 Mars 95
Éditorial
Rencontre avec…
A. GÉRARD
Diagnostic communautaire du lycée
A. Mézières de Longwy dans le
cadre d’une action de prévention
concernant le SIDA et le MSI.
Recherche
A. MEUNIER
Et si nous parlions des familles ?
L’infirmière face aux besoins de
familles de personnes en fin de vie.
Méthodologie
G. ISAMBART
Les outils de communications dans
les présentation de recherche.
Variations
M. DEVILLERS, C. GROULEZ
Hygiène, gestion, motivation :
bouquet harmonieux au service de
la qualité
G. SOUCHON
Conception du rôle éducatif de l’infirmière et sa mise en œuvre en
milieu hospitalier (analyse du contenu de la presse professionnelle)
Informations
Appel à recherche
N° 31 Décembre 92
Éditorial
M.-C. SOULAGNET-BASCOU
Rencontrer du groupe Européen
des infirmières chercheurs.
Table ronde
N. ZLATIEV
Les soins relatifs à la rencontre du
2e type.
Recherche
C. FOUILLAT
Étude comparative de la motivation
et de l’implication dans le travail des
infirmières des unités de remplacement et des infirmières des unités de
soins à l’hôpital.
Méthodologie
M. FORMARIER
Les échantillonnages : Petites révisions.
Variation
C. HABIB, S. KARAM, H. KHALED,
R. RUSTOM
Manipulation des produits anticancéreux et information des infirmières.
Informations
ISÉ
U
P
É
N° 36 Mars 94
Éditorial
M. FORMARIER
Rencontre avec…
M. BILLIER-RECKEL, C. DUMONT,
O. FIMA
Diagnostic, infirmier, où en
sommes-nous?
Méthodologie
B. KITOUS
Dé-construire et re-composer :
Itinéraires pour des professionnels
en question
Méthodologie
D. LANZA, L. SÉCHAUD, V.
JEUNE, F. PINAULT
Les hospitalisations multiples du
patient âgé ne sont plus une fatalité
Variations
J. TOURIGNY, L. CHARTIER
Validation préliminaire d’un instrument d’évaluation du comportement de l’enfant en pé- et post-opératoire
Informations
N° 33 Juin 93
N° 32 Mars 93
Éditorial
Éditorial
COMITÉ DE RÉDACTION
Rencontre avec…
C. FRANCESCHI-CHAIX
Le syndrome de burn out : étude clinique et implications en psychopathologie du travail
Recherche
M.-P. BIZET
Vous avez dit : Protocoles ? Les
protocoles dans la pratique infirmière
Méthodologie
M. FORMARIER
Approche scientifique des protocoles de soins infirmiers
Variations
D. KOWOLIK, F. LEBOURG,
B. SCHERER, C. HORBER
Utilisation de la musicothérapie
chez un patient parkinsonnien
Informations
Programme de formation continue
1993
Congrès divers
N° 37 Juin 94
Éditorial
Rencontre avec…
V. GOUTTARD-DOJAT
Variations et articulations de la technique et de l’aide au patient dans le
travail infirmier
Recherche
C. DESNOUVEAUX
Les surveillantes, acteur dans les
établissements de santé : entre
l’engagement et la défaitisme
Méthodologie
G. ISAMBARD
Banque des données et soins infirmiers
Méthodologie
J.-Ph. ACCART
Une étape importante du travail de
recherche : la bibliographie
Variations
P. BIROT, M. HERTIER, F. ROCHE
Décontamination en endoscopie
Informations
Pré-programme journées d’études
1995.
ARSI : changement d’adresse du
siège social.
Ph. ROMBAUT
Rencontre avec…
F. MARTEL
La Recherche en Soins Infirmiers,
stratégie scientifique et politique de
l’Infirmière Générale
Recherche
M.-P. GARAND
Revenir à la maison après l’accouchement
Méthodologie
M.C. SOULAGNET-BASCOU
Approche méthodologique de la
lecture rapide
Variations
A. BAGILET
Perte de mémoire de la sénescence dans un groupe de retraités
d’une commune rurale
Informations
N° 38 Septembre 94
Éditorial
3 journées passionnantes
Conférences
La pédagogie du projet
G. AVANZINI
Former, éduquer, enseigner dans les instituts de formation en S.I.
G. HOUSSAYE
Table ronde :
Cohérence d’une politique de soins
depuis l’élaboration du projet infirmier
jusqu’à sa mise en œuvre et son évaluation.
L’équipe de l’hôpital Antoine BECLERE
Recherche : Étude de la charge de travail de l’infirmière chef (terme belge
signifiant surveillante)
Association catholique de Nursing (Belgique) Fédération neutre des infirmières
de Belgique
Association des directions de département
infirmiers de 31 établissements. Comment
intégrer une formation sur l’incontinence
dans une unité de long séjour.
A. DARDILHAC, F. DELOMENIE
Évaluation par les patients de l’analgésie
auto-contrôlée dans un secteur d’oncologie chirurgicale
D. COGNIS, C. FERNANDEZ, N. MOTTEAU, M. PRADIER, D. FRANCON,
C.C. BONNET
Emergence du discours parent enfant.
Productions vocales des bébés prématurés.
M. PEGON : Le savoir infirmier concernant la plaque COMFEEL dans le traitement de l’escarre constituée.
N. BOUCHARD, C. SEGOURA
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N° 41 Juin 95
Éditorial
Rencontre avec…
J. MACH et A.-CI. RAE
Étude sur les conditions de travail
du personnel soignant
Méthodologie
T. PSIUK
Le raisonnement diagnostic dans
l’activité de l’infirmière
Recherche
J. CLOUTIER
Réponses psychosociales d’adaptation à l’interruption volontaire des
grosses d’un groupe d’adolescentes
Mémoire présentée à la Faculté
des études supérieures en vue de
l’obtention du garde de Maître èssciences (M. Sc.) en sciences infirmières (Université de Montréal)
Variations
G. DALSTEIN
L’expérience du bloc-opératoire –Vécu du patient
Informations
Programme de formation continue
ARSI 1996
N° 42 Septembre 95
N° 43 Décembre 95
Éditorial : Marie-Claude LEFORT
Conférences
D. TONNEAU – Coût, efficience,
efficacité, clarification des concepts
J. CLÉMENT – Coût, efficacité dans
l’organisation des soins infirmiers
A. BRANDON – Gestion des services de soins informiers
G. COUTURIER – Introduction des
notions d’économie dans la fonction
infirmière
H. SAVALL – Contribution du management socioéconomique dans la
réorganisation des services hospitaliers
C. THOUVEREZ – Contribution du
management du socioéconomique
dans un projet de performance au
Bloc Opératoire
Recherche
M.-F. COMBAZ – La qualité à l’hôpital
M. LEMÉNAGER – Le casque refrigérant vers une recherche d’efficacité
maximale
C. WAYMEL, S. ROUSSEAU
Articuler la formation infirmière au
projet professionnel de l’étudiant.
C. LECKIE, M. PFISTER – Situation
d’urgence médicaux chirurgicales.
D. FRIARD, A. M. LYRELOUP,
J. LOUESDON, M. RAJABLAT,
G. STOLZ, M. WINDISCH
Manque de connaissance associée
à la médication
M. ROTHAN-TONDEUR, E. LANCIER
Évaluation du risque infectieux urinaire
Informations
Éditorial
Rencontre avec…
Philippe LECORPS
De la propagande normative à l’accompagnement de l’homme en souffrance
Moment de formation d’une équipe de
soignants en service de Cardiologie
(Antoine Béclère-Clamart)
Recherche
Claire JOURNIAC
Infirmière anesthésiste et sa représenta-tion : 2 modèles de référence ?
Une étude de représentations sociales
Recherche
Sylvie LE MAY, André DUQUETTE
Prédicteur de la collaboration infirmière
– médecin
Perceptions d’infirmières en soins intensifs
Méthodologie
Monique FORMARIER, Geneviève POIRIER-COUTANSAIS, Thérèse PSIUK
Les concepts organisateurs de la
science
Leur application de les soins infirmiers
Variation
Sidonie
LAURENT,
William
D’HOORE
L’échelle de Norton est-elle un prédicteur sensible et spécifique des
escarres décubitus en hospitalisation
de court séjour ?
Informations
Journées d’études 1996
Programme de formation continue ARSI
1996
N° 46 Septembre 96
Éditorial
Le métaparadigme infirmier
Méthodologie
Linda BELL, Céline GOULET,
Denise PAUL, Viola POLOMÉNO
Une analyse du concept d’attachement parent-enfant
Recherche
Christine GIRAULT-MICHEAU
Représentation infirmière de la fonction d’encadrement, quelle engagement professionnelle infirmier?
Geneviève ROBERTON
Le suivi pédagogique : une autre
conception de la relation étudiants/formateurs en IFSI
Variation
Patrick VERRECKE
Attitude apriorique du personnel
infirmier face à l’introduction de
l’outil informatique et vision
contemporaine du système d’information hospitalier
Informations
Journées de formation ARSI 23/24
janvier 1997
Programme de formation continue
1997
Appel à recherche
N° 47 Décembre 96
N° 48 Mars 97
Éditorial
M. FORMARIER
Introduction
M.C. LEFORT
Conférences
André GIORDAN
Vers un champ de concept infiermier :
méthode d’approche et premiers éléments
Fabienne FORTIN
Sciences infirmières et recherche
Dominique PROUST
Pour gérer la rupture entre le sens commun et le savoir savant
Ljiliana JOVIC, Catherine DUBOIYS-FRESNAY, Martin PEGNON, Jocelyne HOUÉE,
Fabienne FORTIN
Table ronde : La recherche infirmière : ou
en sommes-nous?
Recherche
Louise GAGNON
Analyse relative à la qualité de vie de
traumatisés de la moëlle épinière :
variable de l’environnement – variable de
l’estime de soi
M.F. ERAMA, S. LEGRAND, M. PEGON
Mise en images de recherche en néonatalogie
Information
Journées de formation ARSI 23/24 Janvier
1997
Directives déontologiques applicables à
la recherche en soins infirmiers ICN
Réné MAGNON
Une recommendation du conseil de
l’Europe pour développer et promouvoir
la recherche infirmière
Éditorial
M. FORMARIER
Rencontre avec…
Jocelyne HOUÉE
La recherche clinique en soins infirmiers
à l’assistance – Hôpitaux de Paris
C. VINOT
– Implants phonatoires après la laryngectomie totale et soins infirmiers
G. BENHAMOU-JANTELET
– Accueil du patient drépanocytaire en
crise algique
C. BOSSU
– Surveillance de fin de grossesse
D. BENHAMOU, M. COUAILLET, E
JÉGOU, F. LEGENDRE
– Évaluation de la douleur et prise en
charge thérapeutique en salle de réveil
Méthodologie
L. JOVIC
La recherche clinique : définitions et principes
Recherche
J.-M. GASPOZ, C. HELIOT-MAILLOT, D.
LANZA, C. LOUIS, G. PASCHE, S.
SECHAUD
Expérience de l’infarctus, quels changements ?
I. WERQUIN, D. MONFROY
Variation
I. FLOCH, J.L. HUET
Craintes et contraintes chez les diabétiques
J. TAELS, M. VANSCHOR
Introduction du diagnostic infirmier de la
douleur, une aventure d’équipe
Informations
N° 51 Décembre 97
Éditorial
Marie-Claude LEFORT
6000 infirmières à Vancouver au
21e Congrès du conseil infirmier
international
Conférences
Marie-Claude LEFORT
Allocution d’ouverture des journées de formation ARSI 1997 « Des
soins infirmiers aux concepts »
Thérèse PSIUK
Le raisonnement clinique de l’infirmière dans son activité quotidienne
Jean-Louis LEMOIGNE
Concevoir, dans et par l’organisation, l’action assumée dans sa
complexité
Michel DEVELAY
La pédagogie a du sens
G. POIRIER-COUTANSAIS
Compréhension des logiques de
soins infirmiers : analyse et problématique
Recherche
Nicole PARENT
Intervention de soutien par des
anciens patients modèles auprès
de personnes devant subir une chirurgie cardiaque
N° 52 Mars 98
Éditorial
Rencontre avec…
Jacques DESAUTELS
Une éducation au science pour
action
Recherche
Michel FOURNET, Véronique
BEDIN, Paule SANCHOU
La création d’un observatoire local
des mémoires professionnelles : un
enjeu pour l’ingénierie de formation diplômante et la recherche en
formation continue
Monique FORMARIER, Paulin
TCHASSOU
Étude portant sur les travaux de fin
d’études réalisés dans les instituts
de formation en soins infirmiers :
réfleions pédagogique et méthodologique
Méthodologie
Marie LAROCHELLE
La tentation de la classification ou
comment un apprentissage nonréflexif des savoirs scientifiques
peut donner lieu à un problème
épistémologique
Variation
Fabienne GICQUIAUD, Adeline
HAUVETTE, Alice LAVOGEZ
Vers des accidents d’exposition au
sang (AES) en baisse : utopie ou
réalité ?
N° 53 Juin 98
Éditorial
René MAGNON
De l’utilité du dictionnaire des
soins infirmiers
Rencontre avec…
Daniel JACOBI
Expliquer et faire comprendre la
douleur : formes et ressources des
discours explicatifs
David LE BRETON
Douleur et soins infirmiers
Méthodologie
Ginette LAZURE
L’incertitude… l’influence de
l’évolution d’un concept sur le
développement de la connaissance
infirmière
Recherche
Nicole ROYER-COHEN
Les « sans-domicile fixe » aux
urgences : leur rencontre avec les
infirmières
Variation
Jean François GOUYOU, Claude
VIDAL
La douleur post-opératoire aiguë
de l’adulte : influence de la
conception sur la prise en charge
A. AVCI, M. DORLA, M. KRAUZE
Prévenir la douleur et l’inconfort
des nouveaux-nés prématurés :
une nouvelle méthode d’enregistrement du signal EEG.
N° 44 Mars 96
Éditorial
Rencontre avec…
Sabine HANS
Le diagnostic infirmier, un espoir
pour la profession
Méthodologie
Guy ISAMBART
Internet et soins infirmiers
Recherche
Murielle GUILLOT
Soignants et bénévoles en institution gériatrique : quelle collaboration ?
Variations
André DUQUETTE, Francine
DUCHARME, Nicole RICARD,
Louise LEVESQUE, Jean Pierre
BONIN
Élaboration d’un modèle théorique
de déterminant de l’adaptation
dérivée du modèle de Calista ROY
Informations
Journées internationales des infirmières : « Améliorer la santé par la
recherche en soins infirmiers »
Appel à la recherche
Formation continue ARSI Programme 1996
N° 49 Juin 97
Éditorial
Rencontre avec…
Pierrette DROUARD
Un outil au service des soignants :
la créativité
Recherche
Evelyne MALAQUIN-PAVAN
Bénéfice thérapeutique du toucher
massage dans la prise en charge
gloable de la personne âgées
démente
Méthodologie
Diane MORIN
Générique ou spécifique :
réflexion critique sur les indicateurs de résultat en soin infirmier
Variations
Vincent MESLIER
Un sens de perdu, quatre de
retrouvés : la prise en charge d’un
non-voyant dans un service hospitalier
Philippe
DELMAS,
Chantal
ARNOL, Lyne CLOUTIER
L’influence d’un enseignement
pré-opératoire sur l’anxiété du
patient adulte opéré
Informations
Formation continue 1998.
N° 54 Septembre 98
Éditorial
Marie Claude LEFORT.
Rencontre avec…
Pierre PEYRE
Un nouveau regard sur la méthodologie du projet professionnel :
la modélisation de l’objet complexe
et paradoxal
Recherche
Annie GOUDEAUX
A propos de la formation initiale et
continue des personnels soignants
hospitaliers : travail réel et formation
en alternance
Méthodologie
Jean COTTRAUX
Intérêts, indications et limites de l’utilisation des échelles comportementales et cognitives
Sylvie ROBICHAUD-EKSTRAND,
Carmen G. LOISELLE
Validation française de l’échelle du
« Exercise of self care agency »
auprès de patients cardiaques
Variation
Geneviève ROBERTSON
Du concept à la pratique...
Approche didactique de la formation
en Institut de Formation en Soins
Infirmiers : vers une formation de
l’esprit
142
Recherche en soins infirmiers N° 69 - juin 2002
N° 45 Juin 96
Éditorial
Thérèse PSIUK
La recherche de sens d’une pédagogie
active
Rencontre avec…
Nicole MAIRESSE
Réflexion sur une nouvelle approche de la
compétence (droit de réponse à l’éditorial
de la revue n° 43)
Recherche
Bernard GUETH, Bernard SIRY, Joël
TROUCHE
Les activités psycho-sociothérapeutiques
en psychaitrie
Claude MAISONNEUVE
Analyse des applications sur le terrain
professionnel de l’enseignement dispensé
des infirmières en soins généraux dans le
cadre de la formation continue
Méthodologie
Nicole ROUSSEAU, Francine SAILLANT
Chercheur avec, plutôt que chercher
pour… Une introduction au méthode
qualitative de recherche en soins infirmiers
Variations
Olivier BEAUCOUZÉ, Claire CHAUCHON, Nicole SALOMON
Des représentations du métier à la
construction de l’identité
Informations
Études nationale sur la validation du
contenu des diagnostics infirmiers
(Direction des hôpitaux Paris)
Programme des formations continue 1997
N° 50 Septembre 97
SPÉCIAL MÉTHODOLOGIE
Édiorial
Introduction
Monique FORMARIER
Méthodologie
Emmanuelle PICAVET : Qu’est-ce que l’épistémologie ? Le rapport entre épistomologie et science.
Gérard de VECCHI : Une représentation de la
science… qui empêche de faire des sciences
Claude MOUCHOT : Scientificité et sciences
sociales
Raymond QUIVY : La construction de l’objet de
recherche dans la démarche scientifique
Luc VAN CAMPENHOUDT : La question de
recherche
Jean-François RICARD : La résolution de problèmes
Michel-Louis ROUQUETTE : La notion de variable
dans le cadre expérimental
Pierre PAILLÉ : La recherche qualitative… sans
gêne et sans regret
Alex MOUCCHIELLI : Méthodologie d’une
recherche qualitative en soins infirmiers
J.-P. POURTOIS, H. DESMET, W. LAHAYE : Élaboration des données qulitative en service humaine
Pierre COLLERETTE : L’étude de cas au service de
la recherche
Pierre NEGRE : De l’observation scientique à la
scientificité de l’observation
Jacques CHAUMIER : L’analyse documentaire ou
la valorisation des documents
Rodolphe GHIGLIONE : A propos d’analyse de
contenus
Isabelle ORGOGOZO : Qualité dans les soins
infirmiers : les préalables aux méthodes
Alice DAZORD : Évaluation des soins : prise en
compte de la qualité de vie des patients et d’éléments rationnels
Gérard FOUREZ : Ilots de rationalité interdisciplinaire
N° 55 Décembre 98
Éditorial
Rencontre avec…
Jean Marie CLEMENT
Les droits du patient.
Recherche
Maud BECHERRAZ, Claudine BRAISSANT,
Cécile DESAULLES, Docteur Guy VAN MELLE
Gestion de la douleur par les équipes
infirmières : recherche exploratoire
auprès de neuf services du Centre
Hospitalier Universitaire Vaudois
Olivier DUFOUR
La recherche clinique en soins infirmiers :
enseignement et pratique
Chantal VILLEVIEILLE
Analyse et vécu de l’enseignment de la formation d’infirmière specialiste clinique
Hélène AUDEBERT, Chantal FISCHER,
Florence SORDES
L’information, une resource pour le futur
allogreffé de moelle osseuse :
M. BARATEAU, I. BOURDEL-MARCHASSON, A. COROMPT, J. SOULAN
Étude multicentrique infirmière évaluent
l’intérêt d’un soutien nutritionnel dans la
prévention des escarres chez la personne
âgée à risque.
Maria Lucia ARANJO-SALADA
Iranilde MESSIAS-MENDES
Les patients atteints d’hypertension artérielle :
approche de leur vécu
Méthodologie
Alex MUCCHIELLI
Pour une pédagogie de recherche en soins
infirmiers
Variations
Véronique BEZOMBES, Brigitte CROUZIL
Étude du comportement des infirmière en
matière de responsabilité : son influence sur
l’exercise des soins infirmiers auprès du patient
COMPLÉTEZ VOS COLLECTIONS AU N° OU PAR ANNÉE
Éditorial
N° 56 Mars 99
Éditorial
N° 57 Juin 99
N° Special : La Notion De Concept
Rencontre avec…
Le concept de relation en psychologie
sociale
Gustave-Nicolas Fischer
Rencontre avec…
L’accueil : l’hospitalité à l’hôpitalconcept et évaluation
Corinne Vandenbulcke
Recherche
Le diagnostic infirmier de «détresse spirituelle»
Une réévaluation nécessaire
Carole Kolher
Méthodologie
Perfectionnement du modèle de
Stetler/Marram d’application des conclusions de recherche dans la pratique
L. Cheryl-B Stetler-Traduction ARSI
Utilisation de la recherche dans la pratique clinique.
Programme de parrainage à l’intention
de patients cardiaques
Nicole Parent - Fabienne Fortin
Méthodologie
Concepts et méthodes en ethnologie
Robert Cresswell
Variation
Soigner, c’est l’expérience de se comprendre soi-même par le détour de
l’autre
Cécilia Rohrbach
Analyse
Des bulletins de la «société amicale des
surveillants et Surveillantes des hôpitaux
de l’assistance publique» 1903-1913
Brigitte Hurel
La revue rsi est répertoriée dans les
banques de données:
Pascal et Medidoc de l’inist
B.D.S.P. (Banque de Données de Santé
Publique)
C.I.N.A.H.L. (Cummulative Index to
Nursing and Allied Health Litterature)
N° 61 Juin 2000
Éditorial
Paul BIROT, Martine PEGON membres du
Conseil d’Administration de L’ARSI
Rencontre avec…
L’entre deux psychiatrique: une expérience
ethnologique
E. LASSERRE – A. GUIOUX
Méthodologie
Pertinence de la recherche qualitative :
approche comparative de la recherche
qualitative et quantitative
J. A. CORBALAN
L’intérêt de la recherche qualitative dans les
soins infirmiers
M. FORMARIER
Recherche
L’étude de cas et / ou la construction de cas
Étude clinique des dermatoses comme phénomènes psychosomatiques
C. DOUCET
L’oxygénotherapie de longue durée - impact
sur la qualité de vie des personnes souffrant
de broncho-pneumopathie chronique obstructive.
P. KEMPF
Variation
Le vécu des patients et des familles face à une
équipe
interdisciplinaire en soins palliatifs
S. BIVER
N° 66 Septembre 2001
Éditorial
Rencontre avec…
De l’inconduite à la probité scientifique :
un virage vers la prévention
Hélène SYLVAIN
Méthodologie
Des représentations aux concepts
interdisciplinaires et à l’interdisciplinarité
Gérard FOUREZ
Essai de modélisation du concept de
satisfaction
Chantal MORNET
Recherche
Cancers laryngés et pharyngo-laryngés : évaluation de la qualité de vie des laryngectomisés
Evelyne RISPAL
Variation
De la relation de confiance à l’alliance
thérapeutique : étude conceptuelle et son
application dans les soins infirmiers
Joëlle BASTIAN
Jean Luc VALDEYRON
Véronique VAQUIER
N° 58 Septembre 1999
Recherche
Approche de l’alternance en formation:
étude comparée de la formation des
enseignants à l’I.U.F.M. et de la formation des infirmiers
Nicole Jeanguiot
Variation
Mesure des conduites parentales lors
d’une chirurgie de l’enfant en court
séjour
Jocelyne Tourigny – Sylvie Larocque –
Sophie Longpre – Noella Lahaie
Comment faire une recherche
bibliographique sur Internet
Guy Isambart
N° 62 Septembre 2000
Éditorial
LA REVUE R.S.I. EN LIGNE SUR INTERNET
Le comité de rédaction
Rencontre avec…
Des compétences à la compétence entre transmission
et transfert : quels modèles ?
Marie Odile CHOLLET-CHAPPARD
Méthodologie
Les échelles d’attitude
Jean COTTRAUX
Les méthodes qualitatives
Josette HART
Recherche
Apprendre par l’erreur. Le statut de l’erreur dans le
cadre de la formation initiale des infirmières
Nicole PIERRE JEANGUIOT
Changement technologique et organisation du travail
: - un usage producteur de compétences.
Étude de cas sur l’informatisation du dossier de soins
infirmiers dans une unité de chirurgie cardiaque,
Hôpital du Haut-Levêque BORDEAUX
Isabelle FRISTALON
Variation
Table ronde : approche qualitative appliquée aux
soins infirmiers :
* introduction
Thérèse PSIUK
* de la théorie ancrée au plan de soins guide
Mireille DESFONTAINES
* les transmissions écrites ciblées infirmières – aidessoignantes :
que peut nous apporter la gestion mentale ?
Marie France MICHENAUD-DAVIAUD
* développement de la recherche en soins infirmiers
et stratégie institutionnelle
Lysiane BECAM
* la sécurité des soins infirmiers :
constatations empiriques, stratégie de gestion du
risque et limites
Mireille DUCROS
Éditorial
Introduction à la lecture du numéro spécial : la
notion de concept
M. Formarier
Les concepts organisateurs de la science, leur
application aux soins infirmiers
M. Formarier – G. Poirier-Coutansais – T. Psiuk
Une analyse du concept d’attachement parentsenfant
L. Bell – C. Goulet – D. ST-CYR Tribble – D. Paul –
V. Polomeno
Les concepts, l’analyse et le développement de la
connaissance des soins infirmiers :
Le cycle évolutionniste
B.L. Rodgers
Exploration de la base théorique des soins infirmiers à l’aide de techniques avancées d’analyse de
concept
J. Morse
Analyse du concept d’empathie : illustration d’une
approche
G. L Forsyth
Analyse de l’empathie : est-ce un concept adapté à
la pratique des soins infirmiers
J. Morse – G. Anderson – J. Bortorf – O. Yonge –
B.O.’Brien – S. Solberg – K.H. MC Ilven
La paradigme stress coping : une contribution complémentaire des sciences sociales et des sciences
infirmières au développement des connaissances
F. Ducharme
Élaboration d’un modèle théorique de déterminants
de l’adaptation dérivé du modèle de C. Roy
A. Duquette – F. Ducharme – N. Ricard –
L. Levesque – J. P. Bonin.
Le modèle conceptuel de Mc Ewen en réadaptation
cardiaque
A. Desmarais – S. Robichaud
Mesure de résultat en soins infirmiers : satisfaction
des usagers
D. Morin
L’adoption et le maintien d’un comportement de
santé : le défi de l’assiduité au traitement
S. Vandal – R. Bradet – C. Viens – S. Robichaud
Éléments de bibliographie sur les concepts
• Erratum : Dans l’adresse e-mail de Corine
Vandenbulcke, RSI nº 57 – Juin 1999
« L’Accueil : L’hospitalité à l’hôpital » p4, il fallait
lire : Corinne. [email protected]
N° 63 Decembre 2000
Éditorial
Rencontre avec…
La situation des infirmières américaines
Daniel SIMONET
Méthodologie
L’appréhension de la substance infirmière par
l’examen de concepts ayant fait l’objet d’analyse
Sylvie LAUZON
Jacinthe PEPIN
La recherche… pour le développement des
connaissances sur le soin
Francine DUCHARME
Recherche
Étude comparative des besoins des patients
transplantés ou en attente d’une transplantation
d’organes
et des représentations que se font les infirmières de ces besoins
C. BAERT, N. COCULA, J. DELRAN,
E. FAUBEL, C. FOUCAUD, V. MARTINS
Le cadre face aux rites de passages des soignants
Muriel FOULON
Variation
L’expertise institutionnelle : une ressource pour
les soignants
Hélène AUDEBERT
N° 59 Décembre 99
N° 60 Mars 2000
Éditorial
Éditorial
Rencontre avec…
Rencontre avec…
Approche clinique en sciences sociales,
psychologie sociale et sociologie clinique
J. Barus – Michel
Approche de la recherche clinique en
psychologie
J.-L Pedinielli
La clinique dans les soins infirmiers
L. Jovic
Méthodologie
Les méthodes de recherche clinique au
service de la discipline infirmière
Les applications pédagogiques d’internet
G. Isambart – G. Roberton
Internet et l’éducation, l’information des
patients
G. Isambart
Recherche
Essai randomisé de deux modes de prestation des soins lors de travail prématuré
C. Goulet – H. Gevry – R. Gauthier –
M. Maïta – L. Lepage – V. Polomeno
Prédicteurs de l’épuisement professionnel des infirmières: Une étude dans un
hôpital universitaire
S. Stordeur – C. Vandenberghe
W. D’hoore
Variation
De la réalisation du concept d’autonomie dans la formation des étudiants en
soins infirmiers
M. J. Renaut
Informations
N° 64 Mars 2001
Éditorial
Rencontre avec…
La créativité dans la réalité professionnelle… le
désir de créer et le plaisir de faire.
Elisabeth DEDIEU
Méthodologie
Le centre d’intérêt de la discipline infirmière :
une clarification à l’aide des bases ontologiques.
Francine MAJOR
Recherche
Hardiesse, stratégie de coping et qualité de vie
au travail d’infirmières de Réanimation.
Philippe DELMAS
André DUQUETTE
La perception de la douleur post-opératoire
comme un stigmate par les opérés à une cholécystectomie et par les infirmières
Pascale SAINTONGE
Effets de la préparation sur l’anxiété avant la
fibroscopie bronchique
Simone DALBIES
Simone DELON
Martine FONTES-CARRERE
Edgar GONCALVES DE CARVALHO
Sylvie LEPAGE
Variation
La gestion des déchets d’autosoins : vers une
éducation hospitalière ?
Annick DELPECH
Évaluation de la douleur chez l’enfant : prise
en charge infirmière
Isabelle DANGLETERRE
Marianne DJAMBAY
N° 65 Juin 2001
Éditorial
Rencontre avec…
Poids des problèmes pratiques,
conceptuels et éthiques liés à
l’alimentation à la cuiller des patients âgés
en perte de capacités
E. GEISSBÜHLER - F. GEISSBÜHLER C.H. RAPIN
Les indicateurs de qualité au service d’une
culture de l’amélioration continue des
soins infirmiers
Véronique DELETOILLE - Marie Claude
LEFORT
Méthodologie
Éléments de méthodologie des interactions
sociales
Christine SORSANA
Les points charnières de la recherche scientifique
H. DESMET - W. LAHAYE - J.-P. POURTOIS
Recherche
L’intégration des nouvelles infirmières dans les
unités de soins d’un hôpital universitaire
Danièle LANZA - Geneviève PASCHE Laurence SECHAUD - Andrée BOSSON Jacqueline MACH - Ursula PACCAUD
La recherche d’aide de femmes atteintes de
migraine
Patricia BOURGAULT - Francine GRATTON
Variation
Enseignement infirmier via Internet
Guy ISAMBART
La méthode des récits de vie. définition,
propriétés, fonctions
Daniel BERTAUX
Les éléments d’un devis de recherche
Jean-Pierre DESLAURIERS
Recherche
L’expérience d’autonomie de la personne âgée
qui vit avec un membre de sa famille
Francine MAJOR
Étude de la qualité de vie de patients
psychotiques chroniques fréquentant
un hôpital de jour
F. POLI - A. DAZORD - Dr F. GIRAUD
Les modèles de comportements de santé
Sylvie ROBICHAUD-EKSTRAND - Sylvie
VANDAL - Chantal VIENS - Richard BRADET
Variation
Soins infirmiers aux personnes âgées : réactions
à l’utilisation de la couverture de sécurité dans
la prévention des chutes de lit
Antoine Lutumba NTETU - Françoise
COURVILLE - Maud-Christine CHOUINARD Hélène TREMBLAY
N° 67 Decembre 2001
Éditorial
Concepts, Stress, Coping
Concepts et modèles en psychologie
de la santé
M. BRUCHON-SCHWEITZER
La psychologie de la santé et l’éducation
pour la santé : une rencontre possible
J. BILLON – DESCARPENTRIES
Le concept de stress et ses méthodes
d’évaluation
B. QUINTARD
Le coping et les stratégies d’ajustement
face au stress.
M. BRUCHON-SCHWEITZER
Le coping : une ressource à identifier dans
les soins infirmiers
L. PIQUEMAL-VIEU
Stratégies de coping élaborées pour faire
face à une maladie grave : l’exemple des
cancers
F. COUSSON-GELIE
Processus de réaction aux stresseurs
quotidiens lié à l’expérience de santé
de femmes âgées vivant seules dans la
communauté
C. DALLAIRE
La prévention du burn-out et ses
incidences sur les stratégies de coping
A.M. PRONOST
Prise en charge, guérison et coping :
vers un modèle intégré
C. WEBB
143
Recherche en soins infirmiers N° 69 - juin 2002
Méthodologie
ÉDITIONS MALLET CONSEIL, R.C. Lyon A 330 735 655
IMPRIMERIE CHIRAT
42540 SAINT-JUST-LA- PENDUE
Dépôt légal n° 69 Juin 2002 – Commission paritaire n° 71 232
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