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les supermarchés A et B, très proches l'un de l'autre, est
davantage susceptible d'engendrer des effets anti-
concurrentiels qu'une opération impliquant les
supermarchés A et D, même si les opérations se
traduisent par exactement la même variation de IHH.
Autre exemple : la délimitation du marché pertinent
repose le plus souvent sur l'analyse de la substitution de
la demande. Et c'est bien la logique du test du
monopoleur hypothétique que d'ajouter successivement
au marché pertinent les biens vers lesquels se tournent
les consommateurs en cas d'augmentation du prix. La
demande est cependant appréhendée de façon agrégée,
comme émanant d'une entité homogène, ce qui se
traduit par des incohérences lorsque la demande émane
de catégories de consommateurs très segmentées.
Illustrons par un cas concret. La délimitation du marché
pertinent auquel appartient le vol Paris-Rome de la
compagnie EasyJet conduirait à inclure les vols proposés
par les autres compagnies low-cost proposant cette
liaison, et vraisemblablement les vols proposés par les
compagnies aériennes traditionnelles. En revanche, le
marché pertinent exclurait certainement les services de
transport international par autocars comme ceux
proposés par Eurolines7 : une hausse de 5 à 10 % du prix
du billet d'avion ne se traduirait vraisemblablement pas
par une substitution significative des passagers aériens
sur l'autocar, notamment en raison d'un temps de trajet
dix fois plus long.
Imaginons maintenant que l'on cherche à délimiter le
marché pertinent auquel appartient la liaison Paris-
Rome proposée par Eurolines. On inclurait
vraisemblablement les autres liaisons par autocars,
celles en train et probablement les vols proposés par les
compagnies aériennes low-cost : en effet, une hausse de
5 à 10 % du prix du billet d'autocar se traduirait par un
report significatif des clients de l'autocar vers l'avion
low-cost.
On aboutit ici à deux délimitations inconciliables du
marché pertinent, qui n'est pas adapté à la prise en
compte de la substituabilité asymétrique de la demande.
La rigidité inhérente à la délimitation des marchés
pertinents conduit même parfois les autorités de la
concurrence à exclure du marché les producteurs d'un
bien donné, tout en considérant qu'ils exercent une
pression concurrentielle sur les opérateurs du marché
pertinent retenu8.
7 L'auteur a conseillé le groupe Veolia Environnement dans le cadre de la
notification du rapprochement entre Veolia Transport et Transdev. Cette
opération a notamment concerné le marché du transport international
par autocars sur lequel Eurolines France, filiale de Veolia Transport est
active. Il s'exprime à titre strictement personnel.
8 Voir par exemple la décision n° 10-DCC-42 du 25 mai 2010 relative à
l’acquisition par la société 3 Suisses International SA de certains actifs de
la société La Source, §24 : "Au vu de ce qui précède, l’analyse sera menée,
au cas d’espèce, sur les marchés de la vente à distance de biens non
alimentaires segmentés par familles de produits, marchés distincts de
ceux de la vente en magasin. Il sera cependant tenu compte de la
pression concurrentielle que la vente en magasin est susceptible d’exercer
sur la vente à distance".
En conclusion, le marché pertinent, et les indicateurs
structurels qui en dérivent (parts de marché, IHH),
constituent de bien mauvais outils car ils ne permettent
pas d'apprécier correctement les sources de pression
concurrentielle. Bien évidemment, les autorités de
concurrence prennent soin d'indiquer que les parts de
marché et la concentration ne constituent qu'une
première indication qui doit être complétée par l'analyse
d'autres éléments importants, tels que la nature de la
concurrence, le positionnement relatif des parties à la
concentration ou la pression concurrentielle exercée par
les autres concurrents.
Quel est alors l'intérêt de mobiliser un premier
indicateur, certes synthétique, mais finalement si peu
informatif sur la probabilité qu'une opération de
concentration emporte des effets unilatéraux
significatifs ? Ne serait-il pas possible d'utiliser un
indicateur plus pertinent ?
L'analyse des incitations à l'augmentation des prix
D'un point de vue général, une fusion horizontale
produit deux effets opposés qu'il convient de comparer
afin d'être en mesure d'évaluer son effet net sur le bien-
être. Williamson (1968)9 a mis en évidence cet arbitrage
fondamental entre efficacité productive et inefficacité
allocative d'une fusion.
L'efficacité productive résulte des gains d'efficacité
qu'une fusion horizontale est susceptible de produire.
Ces gains d'efficacité peuvent se traduire par la baisse
des coûts de production de l'entité fusionnée et
bénéficier, au moins en partie, aux consommateurs, sous
la forme d'une baisse de prix.
L'inefficacité allocative est engendrée par
l'accroissement du pouvoir de marché de l'entité
fusionnée. En éliminant la concurrence qui prévalait
entre les parties, la fusion rend plus profitable une
hausse de prix par la nouvelle entité. Celle-ci ne craint
plus de perdre les clients qui auraient quitté l'une des
parties pour l'autre10. Cette incitation à l'augmentation
du prix dépend de l'ampleur du report de demande
entre les deux produits, qui peut être mesurée par le
ratio de diversion.
Le ratio de diversion
Le ratio de diversion11 mesure la proportion de
consommateurs du bien A qui, à la suite d'une
augmentation de son prix, se mettent à consommer le
bien B. Il est évidemment très lié au concept
9 Williamson (1968). Economies as an Antitrust Defense: The Welfare
Trade-Offs, American Economic Review, Vol. 58, pp. 18-36.
10 Cela se traduit également par une modification du comportement des
concurrents de la nouvelle entité qui peuvent également augmenter
leurs prix.
11 Shapiro (1996). Mergers with differentiated products. Antitrust, 10(2),
pp. 23-30.