DP 8110 / L’ÉCONOMIE DU MONDE DEPUIS 1945 L’ÉCONOMIE DU MONDE DEPUIS 1945 / DP 8108 PRODUCTEURS ET CONSOMMATEURS Consommateurs et consommation “Il faut vendre pour produire”. Depuis la crise économique de 1929 cette assertion est devenue un objectif majeur des acteurs économiques. Au sortir de la seconde guerre mondiale, la croissance de la production industrielle et l’arrivée sur le marché de biens de consommation de plus en plus abondants posent le problème de leur écoulement. On ne saurait plus “vendre au compte-gouttes” ce qu’on produit en série (Alfred Sauvy). La modernisation de l’industrie, qui multiplie les biens mis à la disposition des consommateurs, implique une “révolution commerciale”. Par la taille de leur marché intérieur et le niveau de vie des habitants, les ÉtatsUnis sont les pionniers de cette révolution de la distribution ainsi qu’en atteste l’ouverture du premier mall – centre commercial – en 1956. Celle-ci repose sur deux innovations principales : le libre-service et le supermarché. Le libreservice, qui supprime le vendeur et met le consommateur “au travail”, apparaît pour la première fois en 1916 à Memphis, Tennessee, dans un magasin d’épicerie de l’enseigne Piggly Wiggly. Les supermarchés, quant à eux, ouvrent à partir de 1930 pour prendre leur essor, dans les années 1940 et 1950. Cet essor repose sur plusieurs facteurs dont l’urbanisation, la motorisation – les États-Unis sont le pays de Ford et de General Motors – et l’équipement précoce des ménages en réfrigérateurs (la marque Frigidaire). En 1945, les Européens découvrent ces nouvelles formes commerciales. Dans le contexte de guerre froide, la consommation est un enjeu majeur entre l’Ouest et l’Est. L’American Way of Life fait rêver et est étudiée. Tout comme pour l’industrie, avec les missions de 60 documentation photographique productivité, le secteur de la distribution fait, dès 1947, l’objet de voyages d’étude. À partir de 1957, la National Cash Register Company de Dayton, dans l’Ohio, propose des stages à l’attention des distributeurs européens. Ces séminaires, animés par un Américain charismatique d’origine colombienne, Bernardo Trujillo, qui devient vite “le pape de la distribution moderne”, expliquent les avantages de principes de vente simples mais efficaces à l’aide de formules chocs : “no parking, no business”, “empilez haut et vendez à prix bas”, “des îlots de profits dans un océan de pertes”. Ces enseignements font mouche et influencent le secteur de la grande distribution en France. Marcel Fournier, l’un des fondateurs de Carrefour passé par Dayton, en revient convaincu qu’il peut tenter la même chose. C’est ainsi que le premier “hypermarché” Carrefour (2 500 m2) ouvre le 15 juin 1963 à SainteGeneviève-des-Bois dans l’Essonne. Le succès est immédiat. L’entreprise entame alors dans les années 1970 son internationalisation, devenant le second groupe mondial de distribution derrière l’entreprise américaine Wal Mart fondée en 1962. Une des clés du succès de la grande distribution française est d’avoir adopté le principe du “Tout sous un même toit”, soit la réunion de l’alimentaire et du non alimentaire, principe que Wal Mart n’a adopté qu’en 1985. Car les années qui suivent la guerre sont aussi celles de la diffusion des biens de consommation semi-durables, ainsi que le montre, avec critique et humour, la Complainte du Progrès de Boris Vian. Utilisée pour le Salon des arts ménagers de 1956, qui atteint son apogée avec 1,5 million de visiteurs, cette chanson révèle la progression du taux d’équipement en électroménager (machines à laver, réfrigérateurs, petits robots type Moulinex, etc.). Placée au cœur des achats, la femme – la “fée du logis” – apparaît comme la principale actrice et cible de la modernisation de la vie familiale. En effet, lieu d’exposition et de commerce, le Salon est également un lieu d’apprentissage. Car dans cette “société d’abondance” (John Kenneth Galbraith), le consommateur doit aiguiser ses compétences d’acheteur. C’est précisément ce qu’effectue ce jeune couple chinois qui a installé son enfant sur le siège du Caddie prévu à cet effet. Il s’agit là de découvrir toutes les senteurs offertes par les produits de douche et de bain proposés dans cet immense rayon de supermarché. L’ouverture de l’économie chinoise dans les années 1980, et la forte hausse des revenus qui a suivi dans les années 2000, ont fait émerger une classe moyenne soucieuse d’adopter les standards de consommation occidentaux. À l’adaptation des groupes étrangers aux usages locaux – Carrefour commercialise par exemple des animaux vivants dans ses magasins – s’ajoute l’émergence de grands groupes chinois de biens de consommation comme Haier, fondé en 1984, qui est devenu l’un des leaders mondiaux de l’électroménager et le principal concurrent de l’américain Whirlpool. /// UN “TEMPLE” DE LA CONSOMMATION AUX ÉTATS-UNIS, 1956 SOUTHDALE REGIONAL SHOPPING CENTER (EDINA, MINNESOTA), PREMIER MALL COUVERT © Grey Villet/Getty images/The Life Images Collection JEUNE COUPLE DE LA CLASSE MOYENNE AU SUPERMARCHÉ DE FUYANG (CHINE, PROVINCE D’ANHUI), AOÛT 2015 © An Xin/Imagine China/diffusion AFP LA COMPLAINTE DU PROGRÈS Autrefois pour faire sa cour On parlait d’amour Pour mieux prouver son ardeur On offrait son cœur Maintenant c’est plus pareil Ça change, ça change Pour séduire le cher ange On lui glisse à l’oreille - Ah, Gudule ! Viens m’embrasser Et je te donnerai Un frigidaire Un joli scooter Un atomixeur Et du Dunlopillo Une cuisinière Avec un four en verre Des tas de couverts Et des pelles à gâteaux Des draps qui chauffent Un pistolet à gaufres Un avion pour deux Et nous serons heureux […] Boris Vian (paroles), Alain Goraguer (musique), 1955. 61 documentation photographique