Investigation d’une toxi-infection alimentaire collective Rapporteur : Prof. N. MIDOUN Décembre 2012 Site : http//www. semepehuo.com Email : [email protected] Définitions : ▪ Un foyer de toxi-infection alimentaire collective (TIAC) est définie par l’apparition d’au moins 2 cas groupés, d’une symptomatologie similaire, en général digestive, dont on peut rapporter la cause à une même origine alimentaire (sauf botulisme où 1 cas suffit à déclencher l’alerte). ▪ Apparition au même moment de troubles digestifs ou neurologiques similaires chez au moins deux personnes ayant consommé un repas en commun ▪ Invs : « l’apparition d'au moins 2 cas similaires d'une symptomatologie en général gastro-intestinale, dont on peut rapporter la cause à une même origine alimentaire » Contexte épidémiologique ▪ Les TIAC sont fréquentes en restauration collective ▪ En général, elles sont bénignes : 10% d’hospitalisation et 0,1% de décès ▪ Des bactéries (Salmonella, Clostridium, Staphylococcus aureus…) dans 2/3 des cas sont identifiées, mais des : Virus, parasites, ou des champignons par mécanisme purement toxinique peuvent aussi être responsables de TIAC Lieu de survenue : ▪ Restauration familiale 40% ▪ Restauration collective 60% PRINCIPAUX AGENTS : Salmonelles (71%) Enteritidis : œufs et produits dérivés (mousse chocolat, patisseries, mayonnaise) Typhimurium : viandes (steack haché de bœuf congelés) et volailles Staphylocoque doré (13%) Lait et produits laitiers Plats ayant nécessité des manipulations Clostridium perfringens (5%) Plats en sauce Histamine (3.5%) Bacillus cereus (2%) ACTIONS PHYSIO-PATHOLOGIQUE DES PRINCIPAUX AGENTS : Les agents responsables de toxi-infection sont des bactéries dont l’activité pathogène est due soit à : Une action invasive (inflammation ou ulcération de la muqueuse digestive), Une action cytotoxique (production d’une toxine protéique entraînant une destruction cellulaire), Une action entéro-toxinogène (entraînant une stimulation de la sécrétion). Action invasive : Salmonella, Shigella, Campylobacter, Cyclospora, Yersinia – Colonisation ou ulcération de la muqueuse : souvent iléo-colique – Diarrhée glaireuse parfois sanglante : dysentérique – Danger septique Action cytotoxique : Vibrio parahaemolyticus – Destruction cellulaire par toxine protéique – Diarrhée aqueuse : cholériforme – Danger métabolique : déshydratation Action entérotoxinogène : Staphylo. aureus, Bacillus cereus, Clostridium perfringens et botulinium, E. coli – Stimulation de la sécrétion – Diarrhée aqueuse : cholériforme – Danger métabolique : déshydratation BACTÉRIES AYANT UNE ACTION INVASIVE : Salmonella 12heures 36heures Incubation : Diarrhées Vomissements Douleurs abdominales et Fièvre Shigella Incubation : 1jour – 3jours Syndrome dysentérique Vomissements Fièvre BACTÉRIES AYANT UNE ACTION INVASIVE : Campylobacter (C.jejuni) Incubation 2jours – 5jours Réservoir : volaille Clinique proche des salmonelloses Insuffisamment recherché Listeria Incubation de 3jours - 7jours Immunodéprimé, femme enceinte Lait cru Sepsis, méningite infection materno-foetale BACTÉRIES AYANT UNE ACTION CYTO-TOXIQUE : Vibrio parahaemolyticus Incubation : 12heures - 24heures Poissons ou de fruits de mer crus ou insuffisamment cuits. Douleurs abdominales et une diarrhée aqueuse. BACTÉRIES AYANT UNE ACTION ENTEROXINOGÈNE : La toxinogenèse peut avoir lieu Dans l’aliment Staphylococcus aureus Bacillus cereus Clostridium botulinum Dans la lumière intestinale Clostridium perfringens Staphylococcus aureus Réservoir humain Hygiène des mains Port du masque L’entérotoxine thermostable est produite au sein de l’aliment Incubation : 2heures - 4heures Symptomatologie sévère Pas de fièvre Bacillus cereus Réservoir ubiquitaire Deux entérotoxines : Une thermostable (vomissements) Incubation : 1heure - 6heures Une thermolabile (diarrhées) Incubation : 6heures - 12heures Clostridium botulinum Conserves, salaison, produits fumés Toxine thermolabile Incubation : 12heures - 36heures Botulisme: symptomatologie neurologique Clostridium perfringens Bactéries sporulées thermorésistantes Viandes en sauces Incubation : 9heures – 15heures Entérocolites nécrosantes avec souches de type C Les foyers de TIAC sont : F. confirmés : lorsque l’agent est isolé dans un prélèvement d’origine humaine (sang/selles) ou dans des restes alimentaires ou des repas témoins F. suspectés : lorsque l’agent pathogène n’a pas été confirmé; il est alors suspecté à l’aide d’un algorithme d’orientation étiologique prenant en compte les signes cliniques, la durée médiane d’incubation et le type d’aliments consommés F. d’étiologie inconnue : lorsque l’agent pathogène n n’a été ni confirmé ni suspecté à l’aide de l’algorithme. Personnes concernées : toutes les personnes (patient, personnel, accompagnant…) ayant consommé des aliments distribués dans l’établissement de santé et ou dans la collectivité. Mode de contamination : digestive. Toute suspicion de TIAC est à considérer comme une urgence afin d’enrayer rapidement sa diffusion. Une TIAC est une maladie à déclaration obligatoire Tout cas de TIAC nosocomiale doit faire l'objet d'un signalement SOURCES ET VOIES DE TRANSMISSION ORIGINES DE LA CONTAMINATION ET FACTEURS DE RISQUE MATIÈRES PREMIÈRES CONTAMINÉES 50% CONTAMINATION PAR L'ENVIRONNEMENT Matériel 53% Personnel 2% 55% NON-RESPECT DES TEMPÉRATURES RÉGLEMENTAIRES Liaison froide 40% Liaison chaude 9% 49% ERREUR LORS DE LA PRÉPARATION 46% DÉLAI ENTRE PRÉPARATION ET CONSOMMATION 35% ARGUMENTS POUR LE DIAGNOSTIC EN SE BASANT SUR LA PÉRIODE D’INCUBATION DES GERMES EN CAUSE INCUBATION COURTE S. Aureus B. Cereus INCUBATION MOYENNE Salmonelle C.Perfringens Yersinia INCUBATION LONGUE Campylobacter Virus 2heures- 6heures 1heure- 5heures 12heures- 36heures 12heures- 36heures 24heures- 36heures 2jours - 5jours 36heures -7jours ARGUMENTS POUR LE DIAGNOSTIC EN SE BASANT SUR LES SIGNES CLINIQUES CAUSÉS PAR LES GERMES NAUSÉES - VOMISSEMENTS S. Aureus B. Cereus DIARRHÉES CHOLIFORMES C.Perfringens B. Cereus E. Coli V. Cholerea ENTÉROCOLITE INFLAMMATOIRE Salmonella Shigella Campylobacter E. Coli Yersinia FIÈVRE Salmonella Shigella Yersinia Au total, toute suspicion TIAC est une urgence • TIAC = Maladie à déclaration obligatoire • Les 3 plus fréquentes : (90 %) Salmonelles 65 % Clostridium perfringens 20 % Staphylocoque doré 15 % • Les 2 plus graves : Botulisme Listériose LES BUTS DE LA SURVEILLANCE DES TIAC : ▪ Identifier précocement l’aliment à l’origine de la TIAC et, le cas échéant retirer de la distribution l’aliment incriminé ▪ Corriger les erreurs de préparation dans les établissements de restauration collective dans les restaurants des hôpitaux et en milieu familial ▪ Réduire la contamination des matières premières (mesures de prévention dans les élevages, abattage des troupeaux de poules pondeuses contaminées, etc.) INFORMATIONS DES INTERVENANTS Informer sans délai : 1.- Le Directeur de l’établissement 2.- Le Président de CLIN 3.- Le praticien de l’équipe opérationnelle d’hygiène (EOH) 4.- Le médecin du Service Médical du Personnel. Le personnel de l’établissement de la situation, information complétée par un rappel des précautions standard, en insistant sur la prévention de la contamination croisée avec le respect du lavage des mains. Réaliser la notification à la DSP dès la confirmation de la TIAC MESURES D’URGENCE S’assurer de la conservation des plats témoins et des matières premières ayant servies à la préparation des repas (température à 3°C au réfrigérateur et 18°C pour les congelés). Détecter un éventuel dysfonctionnement, au niveau de la chaîne alimentaire (température, problème de personnel, défaillance de matériel,…) et engager des mesures correctives en cas de nécessité. Ne pas présenter aux repas suivants les mêmes préparations que celles servies les trois jours précédents, tant que l’aliment responsable n’a pas été identifié. MESURES D’URGENCE En cas de fourniture des repas par un prestataire, prendre contact avec le responsable de ce service prestataire. Envoyer au laboratoire de microbiologie, les prélèvements biologiques des malades (selles, vomissements) pour analyse bactériologique. Les résultats des analyses seront regroupés par les investigateurs (EOH). En cas d’urgence, prescrire un traitement symptomatique aux agents par le Médecin du Personnel. MESURES D’URGENCE Investigation conduite par la DSP ou après accord par l’EOH et le Médecin du Personnel (médecine du travail) Elle associe : 1.- Une enquête épidémiologique 2.- Une enquête auprès du personnel de cuisine 3.- Une étude de la chaîne alimentaire 4.- La rédaction d’un rapport de synthèse. 1.- ENQUÊTE ÉPIDÉMIOLOGIQUE INCLUANT LES ÉTAPES SUIVANTES : Le recensement et la description des cas (distribution dans le temps et dans l’espace) ainsi que la recherche du ou des aliments suspects ▪ Obtenir du responsable des cuisines les menus détaillés des repas servis au cours des trois derniers jours ▪ Rechercher les repas et les éventuelles collations internes servies dans l'établissement ▪ Remplir un questionnaire préétabli pour chaque cas suspect précisant les symptômes cliniques pour formuler des hypothèses sur la source et le mode de transmission ▪ Réaliser la représentation graphique des cas dans le temps qui permettra de suspecter la date du repas en cause. Une enquête cas témoin pour confirmer les hypothèses ▪ Interroger avec le même questionnaire les cas suspects, les sujets non malades (témoins) ayant pris un ou des repas lors des trois derniers jours dans l’établissement. Le nombre de témoins doit être égal au moins au nombre de cas malades. Le nombre idéal étant de 2 ou 3 cas témoins par cas malades. Exploitation des données ▪ Identifier les caractéristiques des cas malades : âge, sexe, services, patients, personnel… ▪ Tracer la courbe des cas en fonction du temps : uni ou plurimodale ▪ Rechercher l’aliment responsable par comparaison des aliments consommés par les malades et les témoins en mettant en évidence une différence significative sur un ou des aliments consommés par les témoins et les cas malades. L’analyse et le traitement informatique des données (Epi Info). ▪ Distribution spatio-temporelle des cas Courbe épidémique Estimation de la durée d’incubation (de l’ordre du délai entre le premier et le dernier cas, sauf si source continue de contamination) ▪ Symptomatologie ▪ Identifier le micro-organisme suspecté ▪ Menu détaillé des trois derniers repas (selon germe suspecté) ▪ Enquête cas-témoins Interrogatoire clinique et alimentaire Calcul des taux d’attaque (consommateurs/non consommateur) Calcul des odds-ratios pour les différents aliments Indicateurs d’association en fonction des différents éléments du repas Identifier l’aliment suspect 2. – ENQUÊTE AUPRÈS DU PERSONNEL DE CUISINE Réaliser un interrogatoire, et un examen clinique (existence de panaris, diarrhée…) auprès des personnels de cuisine Rechercher un éventuel portage et décider en fonction des données de l’enquête d’adresser les divers prélèvements réalisés au laboratoire de Microbiologie. S'assurer de la conservation des plats témoins séquestrés et des matières premières ayant servies à la préparation des repas et qui ne devront plus servir (température à 3°C au réfrigérateur et -18° C pour les congelés) 2. – ENQUÊTE AUPRÈS DU PERSONNEL DE CUISINE Fournir la liste des menus dans trois jours précédents Détecter un éventuel dysfonctionnement, au niveau de la chaîne alimentaire (température, problème de personnel, défaillance du matériel) et engager des mesures correctives en cas de nécessité Ne pas présenter aux repas suivants les mêmes préparations que celles servies les trois jours précédents, tant que l'aliment responsable n'a pas été identifié MESURES À PRENDRE Réaliser un interrogatoire individuel des résidents concernés sur leur alimentation les trois jours précédents Envoyer au laboratoire de microbiologie, les prélèvements biologiques des malades (selles, vomissements) pour analyse bactériologique Prévention de la transmission oro-fécale : veiller au respect strict des précautions "standard", en insistant sur l’hygiène des mains 3.- UNE ÉTUDE DE LA CHAÎNE ALIMENTAIRE EFFECTUÉE LA DSP ET PAR L’EOH ET EN VUE DE : Identifier d’éventuels dysfonctionnement au niveau : Des locaux, et du matériel : aménagement, procédures de nettoyage, désinfection, chambres froides (respect des températures) Des denrées : fabrication, condition de livraison, conservation (rupture des chaînes du froid ou du chaud)… Du personnel : respect de l'hygiène des mains, tenue, respect des circuits… Mettre en place les mesures correctives immédiates et envisager celles à moyen ou long terme. 4.- RÉDACTION DU RAPPORT DE SYNTHÈSE La DSP réalisera une synthèse des données qui seront adressées au directeur de l’établissement. La Direction transmettra ces données au Président de CLIN La direction et le président du CLIN seront tenus informés régulièrement du déroulement de l’investigation L’EOH décrira avec précision l'épisode actuel en mentionnant les dates et la description des faits, les mesures prises, et le suivi. Une rétro information sera effectuée au personnel de l’établissement à la fin de l’enquête. RÈGLES D‘ H Y G I È N E Comportent : ▪ Hygiène correcte sur les lieux d'abattage, de pêche, de récolte, puis lors des transports ▪ Strict respect de l'hygiène des cuisines et des pratiques de restauration. Ces règles d'hygiène ont pour but d'éviter la contamination des denrées et la prolifération microbienne tout au long de la chaîne alimentaire depuis la livraison jusqu'à la consommation . Respect des circuits concerne la séparation de secteurs propres et souillés, les circuits d'élimination des déchets, l'hygiène des locaux et des matériels. Pour les denrées comme pour le personnel, le circuit est organisé de façon à passer du secteur souillé au secteur propre sans possibilité de retour en arrière, ni de croisement entre le propre et le sale (principe de la « marche en avant »). En situation de restauration différée, les micro-organismes prolifèrent et sécrètent leurs toxines avec un maximum de risque dans une zone de température comprise entre +10°C et +65°C. TRANSFERTS DE PRÉPARATIONS CULINAIRES On distingue 3 types de transferts de préparations culinaires au lieu de consommation : la liaison chaude : le plat mis en récipient à température élevée sera transporté à une température > à 65°C la liaison froide : le plat est réfrigéré rapidement et doit atteindre une température de +10°C à cœur en moins de 2 heures, il sera stocké éventuellement en chambre froide entre 0°C et +3°C (5 jours au maximum), le transfert se fait à une température entre 0°C et +3°C et la remise en température à 65°C au minimum de 1 heure la liaison surgelée avec refroidissement rapide à au moins –18°C permet uneconservation prolongée. Dans les trois cas, le transport se fait en engin isotherme et récipients fermés. ; ÉDUCATION, SURVEILLANCE, CONTRÔLES ● L'éducation sanitaire du personnel de la chaîne alimentaire (restauration, cuisine, etc.) doit porter sur : la tenue - l'hygiène corporelle - l'hygiène générale ● Une surveillance médicale de ces personnels doit être prévue et comporte l'éviction, la prise en charge et le traitement des sujets présentant une infection cutanée, rhino ou oropharyngée ou digestive. ● Des contrôles systématiquement par analyse microbiologique des aliments servis en restauration collective sont prévus. Courbe épidémique DIFFÉRENTS TYPES DE COURBE ÉPIDÉMIQUE STYLISÉES Exposition unique et brève Exposition unique et brève suivie d’une transmission interhumaine secondaire (shigellose) Exposition continue Distribution des cas et des taux d'attaque dans l'espace ▪ La distribution des cas et des taux d'attaque en fonction du lieu de restauration habituelle et sa représentation sur une carte permet de préciser si la TIAC est survenue dans un ou plusieurs foyers distincts. ▪ On peut habituellement relier ces foyers à une même source de contamination. Caractéristiques des cas ▪ Au cours d'une TIAC, tous les consommateurs de l'(des) aliment(s) contaminé(s) sont susceptibles d'être malades. Cependant, on constate le plus souvent une distribution différente de la fréquence et/ou de la gravité des cas selon l'âge, le sexe, le terrain. ▪ Il est donc important de noter ces éléments pour chacun des cas et de calculer, si possible, les taux d'attaque spécifiques de l'âge et du sexe. Caractéristiques des Menus ▪ Il est nécessaire d'obtenir les menus détaillés des trois repas entourant le moment présumé de la contamination. ▪ Plus la dispersion des cas est importante, plus la précision de l'estimation de la date du repas responsable diminue : il faudra alors prendre en compte un nombre de repas plus important (pour une TIAC présumée à staphylocoque, il suffit de s'intéresser au dernier repas, alors que pour une salmonelle). ▪ Il faut prendre en compte les deux ou trois repas pris dans les 6 à 20 heures précédant l'incident. Les aliments consommés au cours de ces repas doivent être détaillés le plus possible en dissociant sources majeures, ou mineures voire « occultes » de contamination, par exemple la viande et la sauce qui l'accompagne.