L’hostilité à la mondialisation observée dans les pays développés atteste entre autres des peurs suscitées par la
libéralisation des échanges et dans une certaine mesure par la montée en puissance de certains pays en développement
dans la sphère internationale. Pourtant les travaux empiriques1 qui s’intéressent de près à cette question montrent que le
phénomène de rattrapage économique des pays industrialisés par les pays les plus pauvres est marginal et limité à
quelques zones géographiques, quelques pays. On pense bien évidemment aux pays du sud-est asiatique qui sont parmi
les seuls à avoir connu un rattrapage économique et une convergence de leur niveau de revenu vers ceux des pays
développés. Mais là encore qu’en est il aujourd’hui après la crise financière asiatique de 1997-98 ? A l’instar de
Berthélemy et Chauvin (2000) ne peut-on pas interpréter la crise des monnaies asiatiques comme le signe de
l’épuisement du modèle de croissance à la base du “ miracle économique ”2 ? Le processus de croissance des pays
asiatiques s’est avéré extensif et non pas intensif comme on aurait pu le croire (Young, 1994), or la nature des
fondements de la croissance conditionne sans doute la capacité d’un pays en développement à soutenir un processus de
croissance durable.
L’objectif de ce travail est de mettre en lumière, à travers les enseignements de la théorie économique, les facteurs qui
vont affecter la nature du processus de croissance. Tout comme il est acquis qu’il est préférable pour un pays de
connaître une croissance intensive plutôt qu’extensive, nous voulons ici souligner les éléments qui vont déterminer la
qualité du sentier de croissance que va connaître un pays. L’idée sous-jacente étant que la qualité de la croissance que
connaît un pays en développement n’est pas neutre sur sa capacité à se développer. A cet égard, il est intéressant de
noter que les théories de la croissance d’une part et du développement d’autre part se sont constituées indépendamment.
Tandis que les économistes classiques tels Smith, Malthus et Ricardo abordaient la question du développement sous
l’angle des causes de la croissance économique et de ses conséquences sur l’accumulation des richesses, durant les
années cinquante jusqu’au milieu des années quatre-vingt, ces deux questions ont été abordées distinctement. Ainsi les
théories de la croissance s’appliquaient davantage aux économies développées tandis que l’économie du développement
mettait l’accent sur les facteurs non économiques et les distorsions de marché (Ehrlich, 1990). Or dans la mesure où les
théories de la croissance endogène apportent des éléments de compréhension de la diversité des expériences de
croissance économique, il nous a semblé important d’examiner leurs enseignements pour le développement
économique.
Bien sûr croissance et développement économiques sont deux notions distinctes. Comme le souligne Crabbé (2001),
“une productivité accrue peut mener à une augmentation du revenu, mais un accroissement du revenu n’entraîne pas
nécessairement une amélioration du bien être ”. Arrous (1999) propose de définir la croissance économique comme
l’augmentation à long terme de la capacité d’offrir une diversité croissante de biens, cette capacité croissante étant
fondée sur le progrès technique, la technologie et les ajustements institutionnels et idéologiques qu’elle demande3. Or la
croissance se distingue du développement économique qui est une notion plus large puisqu’elle inclut “ les
transformations sociales qui accompagnent l’augmentation des richesses produites (transformation de l’organisation du
travail, du niveau d’éducation, de santé, de sécurité…) ” (Arrous, 1999). Ainsi tandis que la croissance est une notion
quantitative, le développement renvoie à un concept qualitatif qui a trait aux niveaux de la consommation par habitant,
de la pauvreté, de l’inégalité, de l’insécurité, mais aussi des stocks nets de capital légués aux générations futures. En
d’autres termes, “ le développement est indissociable de l’équité intergénérationnelle ou intragénérationnelle ” (Crabbé,
2001). Il est clair que la répartition du revenu va avoir un impact sur le développement ou encore l’industrialisation,
comme le montrent Murphy et al. (1989)4 ; trop égalitaire, les revenus supplémentaires distribués sont insuffisants pour
faire émerger une demande de biens manufacturés et le surplus de revenu alimente seulement une hausse de la demande
de biens agricoles ; trop inégalitaire la demande pour les biens manufacturés n’est pas suffisante pour permettre le
déclenchement des rendements croissants. Dans ces deux situations, la répartition des revenus bloque l’industrialisation.
Il ne suffit donc pas d’observer du dynamisme dans un secteur leader (exportations ou agriculture) pour qu’il y ait
industrialisation, il faut également que la hausse du revenu se traduise par l’émergence d’une demande relativement
importante pour les biens manufacturés5. C’est la condition sine qua non pour que la structure de l’économie passe
d’une technologie à rendements constants à une technologie avec rendements croissants. En d’autres termes,
l’industrialisation suppose un effet de propagation d’un secteur vers le reste de l’économie tout comme on a pu
l’observer notamment en Angleterre au XIX siècle.
L’objectif de cette revue de littérature est donc d’identifier les modèles de croissance pouvant être mobilisés pour
expliquer la capacité structurelle des pays en développement à converger, à se développer. Pour cela nous présentons,
1 Voir par exemple le CEPII (1998).
2 Expression développée par la Banque Mondiale (1993) pour décrire les bonnes performances des pays asiatiques.
3 Il s’agit de la définition donnée par Kuznets (1973), “ Modern economic growth : findings and reflections ”, American Economic
Review, vol. 63, n°3, juin, pp. 247-58.
4 Les auteurs montrent également que l’ouverture au commerce international stimule l’industrialisation. Elle permet d’une part
d’importer moins cher les biens agricoles, ce qui libère de la main d’œuvre pour le secteur des biens manufacturés. D’autre part, elle
permet aux pays d’importer les biens intermédiaires et des capitaux ce qui leur permet d’abaisser le coût de production des biens
finals.
5 L’industrialisation est ici entendue comme :
- la capacité à produire un plus grand nombre de variétés de biens
- et le nombre de personnes travaillant dans le secteur manufacturé.