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Par transposition de ce schéma à l’échelle internationale, l’activité de crédit participe
activement à la montée des risques, via l’alimentation de bulles sur prix d’actifs (notamment
immobiliers ; Davis & Zhu, 2004 ; Lowe, 2002 ; Von Peter, 2004) qui rehaussent la valeur
des collatéraux, d’où son fort accroissement avant le déclenchement des crises (Martinez
Peria & al., 2002).
Cette procyclicité naturelle des systèmes financiers sur l’activité économique, et tout
particulièrement la procyclicité bancaire, liée à l’asymétrie d’information entre prêteurs et
emprunteurs (Lowe, 2002), est fondamentale pour appréhender les dysfonctionnements des
marchés financiers (Gilles, 2004). Elle est renforcée par les stratégies bancaires ; par exemple,
une gestion procyclique de l’effet de levier peut renforcer le caractère intrinsèquement
procyclique du levier (Adrian & Shin, 2008)
6
.
Les Accords de Bâle, même s’ils ont globalement un impact stabilisateur (Demirgüç-Kunt &
al., 2006), renforcent également cette procyclicité (Allen & Saunders, 2003 ; Borio & al.,
2001 ; Thoraval, 2006). Selon Ndong & Scialom (2008), leur faiblesse majeure serait d’avoir
négligé le risque de liquidité, point de vue officialisé par le Comité de Bâle lui-même (2008).
En effet, si les deux tiers des vingt-sept pays de l’Union Européenne ont une réglementation
sur la liquidité (de Boissieu, 2008), le Comité n’a pas réussi à mettre en œuvre une
coopération internationale comme il l’a fait à propos de la solvabilité bancaire
7
. Un élément
d’explication se trouve dans le fait que, si la stabilité financière est un bien public mondial au
sens de Pigou, fondé sur la notion d’externalité (Kindleberger, 1986), elle n’est pas un bien
commun (bien public pur) car tous les opérateurs n’ont pas la même aversion à l’instabilité
financière : d’où l’intérêt pour la notion de bien public sous tutelle, fondée sur le concept plus
large d’intérêt général (Boyer & al., 2004).
De même, la comptabilisation à la juste valeur limite la capacité des banques à lisser
intertemporellement les besoins du secteur privé, fonction essentielle de l’intermédiation
bancaire (voire la seule, comme dans le modèle de Diamond & Dybvig, 1983), d’où la
préconisation, par Goodhart (2004, 2008), d’introduire une contracyclicité en liant les
exigences de liquidité (et de capital) aux marges de taux d’intérêt, qui se contractent en
période d’optimisme. De telles mesures doivent être prises au niveau global, inversement au
caractère fragmentaire des dispositifs prudentiels, puisque les réserves liquides obligatoires
substituent l’intérêt public (stabilité financière) à l’intérêt privé (le bénéfice bancaire). Artus
& al. (2008) préconisent ainsi une prise en compte accrue de la liquidité par les agences de
rating.
Alors même que la liquidité est devenue une variable binaire, pouvant disparaître localement
tout en étant globalement abondante, Tirole (2008) propose une distinction utile entre liquidité
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La procyclicité du levier est également liée à un effet de richesse, d’où, en cas de crise, un risque de contagion
par les variations de prix, les risques mesurés et la valeur du capital. En cas de gestion active des bilans,
« lorsque le prix des titres augmente, l’ajustement à la hausse du levier entraîne des achats de titres encore plus
importants que lorsqu’on s’efforce simplement de maintenir un levier constant » (Adrian & Shin, 2008, p.5), soit
un mécanisme d’accélération financière. Les auteurs montrent ainsi que la liquidité agrégée peut se concevoir
comme le taux de croissance des bilans agrégés. Se pose alors la question du montant des liquidités créées par le
double processus d’emprunt hypothécaire (mortgage backed securities) et de titrisation (Tirole, 2008), plus
généralement par l’innovation financière (Duffie, 2008).
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En terme d’adéquation capitalistique, le provisionnement statique, qui mène à enregistrer les pertes en phase
descendante du cycle, pèse sur la position en capital, donc sur l’offre de crédit, puis l’investissement (dès lors
qu’une augmentation de capital est devenue trop risquée ; Mishkin, 1999), renforçant la procyclicité du crédit
(Dietsch & Garabiol, 2004 ; Levieuge, 2005) et fragilisant les systèmes bancaires.