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Risque de liquidité bancaire et risque de crise :
nouveaux enjeux, nouvelles règles ?
Banking liquidity risk and crisis risk:
new issues, new rules?
Karim ELASRI
1
Nicolas HUCHET
2
Résumé: Cette recherche vise à tirer les enseignements des crises financières récurrentes,
incluant la crise des subprimes et sa dégénérescence sous forme de crise systémique. Nous
développons un modèle de crise de liquidité bancaire à l’échelle internationale, dans lequel les
banques adoptent des profils de risque variables en fonction de l’état du cycle économique. Ce
cadre analytique novateur permet de montrer les nouveaux enjeux liés à la manifestation du
risque de liquidité. Il est complété par des simulations, et nous amène à préconiser la mise en
place d’un ratio de liquidité variable, de manière contracyclique. Il s’agirait d’une réforme
prudentielle de grande ampleur, puisqu’une institution doit être désignée pour produire cette
incitation à mieux prendre en compte ce risque de liquidité.
Abstract: This paper aims to draw the lessons from recurring financial crises, including the
subprime crises, and their degeneration as a systemic crisis. We develop a model of an
international banking liquidity crisis, in which banks adopt different strategies of risk, according
to the economic cycle phases. Such a new framework permits us to show new issues about the
liquidity risk. It is completed by simulations, so that we advocate the implementation of a variable
(contra-cyclic) liquidity ratio. This implies a major prudential reform, as an institution should be
designed in order to produce the incentive to take this new liquidity risk better into account.
JEL classification : E32; E42; F34; G21.
1
ELASRI Karim, D.E.F.I., Université de la Méditerranée, Aix-Marseille II ; k_elasri@msn.com
2
HUCHET Nicolas, A.T.E.R., L.E.A.D., Université du Sud, Toulon-Var, huchet@univ-tln.fr
2
I. Introduction
La crise des subprimes est née sur les marchés immobiliers hypothécaires à risque, avant de se
propager sous forme de crise systémique, en particulier dans les pays avancés et émergents,
requérant de nombreuses interventions de la part des gouvernements (garanties
gouvernementales, recapitalisations bancaires, et plans de relance économique). L’action des
banques centrales a également été mise à l’épreuve, en termes de compatibilité entre les
actions en dernier ressort et le maintien d’une ambiguïté constructive en présence d’entités
too-big-to-fail, de capacité de coordination dans l’urgence, et, en amont, de transmission des
politiques monétaires par les variations des principaux taux directeurs.
Cette crise a mis en évidence de nombreuses insuffisances de la part des superviseurs, sous
forme de risque moral (permissivité ou indulgence), face aux activités hors-bilan ou à propos
des spécificités présentées par les non banques (i.e. mortgage finance companies), voire par
les banques d’investissement, usant d’effets de leviers excessifs. Elle a permis, également, de
prendre conscience des externalités négatives générées par les agences privées de rating, les
hedge funds (Cartapanis & Teïletche, 2008), les normes comptables internationales, et par la
gouvernance des entités privées, en particulier certaines pratiques contre-productives de
rémunération, la possibilité de dissimuler les pertes, ou encore la titrisation, pouvant procéder
d’un transfert synthétique des risques par les dérivés de crédit (Lubochinsky, 2008).
Les premières discussions, lors du sommet du G20 du 15 novembre 2008, ont donc eu pour
objectif de tirer les principaux enseignements de cette crise, afin de mettre en œuvre des
réformes au niveau de l’Architecture financière internationale, déjà récemment améliorée par
l’Accord dit de Bâle 2 (2006). D’une part, la suprématie américaine, manifestée sous la forme
d’une incitation à libéraliser « sans limite », est de facto remise en cause. D’autre part, les
pays émergents revoient à la baisse les gains attendus des mesures coûteuses qu’ils
entreprennent en vue de libéraliser leurs marchés financiers. Deux questions se posent.
La première consiste à se demander si l’ensemble des systèmes et des marchés qui ont
dysfonctionné présentent la même importance. Par analogie avec la théorie des pôles de
croissance et du développement régional, impulsée dans les années 1950, nous pensons que
l’industrie bancaire est déterminante (« propulsive ») au sein du secteur financier : son
dysfonctionnement perturbe la sphère financière dans son ensemble, voire la sphère réelle,
alors que l’inverse n’est pas systématiquement vrai. A contrario, son bon fonctionnement
présente des effets d’entraînements, sur les petites et moyennes entreprises (Rochet, 2008) et
plus généralement sur la croissance, mais aussi sur la liquidité des marchés, elles se sont
érigées en acteurs incontournables. Le secteur financier s’apparente alors à une grappe
industrielle au sens de Porter (1990) : un groupement d’industries (financières), entretenant
des relations d’échange et d’innovation intenses, autour d’une industrie (bancaire) motrice
3
,
dont la croissance se diffuse aux autres par effet multiplicateur. Cette industrie est en effet
particulière, car sa matière première, la liquidité, est aussi un bien public. Ainsi, dans le passé,
les difficultés bancaires ont souvent précédé les crises de change. Lors de la crise des
subprimes, ces difficultés ont précédé celles des fonds spéculatifs, ainsi que les moins-values
boursières.
3
Au sein même de l’industrie bancaire, nous ne distinguons pas les banques de dépôt des banques
d’investissement, d’une part, car cette spécialisation est ultérieure à la revendication satisfaite d’abroger le
Glass Steagall Act, d’autre part, car le métier d’intermédiation est au ur des deux types de structures, et avec
lui la gestion du risque central de liquidité.
3
La seconde question, à laquelle on tente de répondre avec cette contribution, renvoie à la
nature des réformes qui doivent en découler. En s’appuyant sur Kahler (1995), Cartapanis
(2008) distingue les règles substantives et les règles procédurales. Les premières s’imposent,
comme le firent les Accords de Bretton Woods, avec la création du Fonds monétaire
international (FMI) et le respect de règles de parité, de convertibilité et de conditionnalité,
tandis que les secondes renvoient à une approche en terme de bonnes pratiques, à l’instar des
discussions, pilotées par le G7, qui ont débouché sur la nouvelle Architecture financière
internationale. L’aspect néolibéral de cette dernière est remis en cause aujourd’hui, alors que
le FMI traverse une crise de légitimité et de représentativité. Cette question consiste donc à se
demander si le G20 doit déboucher sur une ou plusieurs réformes radicales, ou incrémentales
(Ettlie & al., 1984).
Pour y répondre, on établit une revue de la littérature (II), puis on se penche de nouveau sur le
fonctionnement intrinsèque du secteur bancaire, en tenant compte des stratégies utilisées pour
maximiser les profits, et de l’impact qu’une conjoncture favorable peut exercer sur ces
stratégies, face au risque d’une insolvabilité généralisée. On présente un cadre analytique (III)
inspiré du modèle de panique bancaire de Diamond et Dybvig (1983), et précisé via la mise en
évidence de deux types de comportement bancaire (prudent vs risqué), avant de mettre en
œuvre une formalisation dynamique susceptible de rendre compte, toutes choses égales par
ailleurs, de la tendance naturelle du marché à se diriger vers un équilibre risqué, voire de plus
en plus risqué, soit la mise en évidence des limites de l’autorégulation.
Il apparaît en effet, d’une part, que la réglementation prudentielle doit faire appliquer un ratio
de liquidité, de manière incitative (vs coercitive), d’autre part, que ce ratio doit être
contracyclique (vs rigide), face à la forte cyclicité de l’activité bancaire. Ces éléments, repris
dans une conclusion (IV), nous amènent à penser que le grand intérêt de la crise du crédit
structuré se trouve moins dans l’exhaustivité des dysfonctionnements à l’œuvre, que dans la
possibilité d’identifier les véritables leviers susceptibles d’améliorer la stabilité financière – et
l’intermédiation bancaire –. Nous présentons ensuite les références bibliographiques (V) et les
annexes (VI) qui appuient nos raisonnements.
II. Survey
Risque de liquidité et crises systémiques
Dans les systèmes bancaires à réserves fractionnaires, l’activité bancaire est assujettie au
risque de liquidité (Brunnermeier, 2001). Dans le modèle de panique bancaire de Diamond &
Dybvig (1983), la perte de confiance qui précipite les retraits massifs peut être formalisée
comme la réponse à une tâche solaire, un signal qui influence les croyances des déposants
alors même qu’il ne véhicule pas d’information sur la banque ou l’économie dans laquelle elle
opère.
De telles paniques s’expliquent aussi par un véritable excès d’endettement : si l’on juge ce
dernier insoutenable (relativement à la qualité des actifs détenus), il est rationnel de retirer au
plus vite ses avoirs, avant que la valeur nette de la banque ne devienne négative. Dans ce cas,
l’hypothèse de détention d’actifs de mauvaise qualité est confirmée, alors qu’il peut
simplement s’agir de pertes liées à leur nature illiquide : les ventes en détresse amplifient la
préférence pour la liquidité des agents (Cifuentes & al., 2005), tout en réduisant la liquidité
disponible pour les banques saines susceptibles de se porter contrepartie (Acharya &
Yorulmazer, 2007). Les modèles de run mettent alors l’accent sur les conséquences de la
diffusion d’une information défavorable sur ces actifs, comme les rendements futurs (i.e. une
incertitude liée à la probable inélasticité de l’offre et la demande de tels actifs, d’où des
4
retraits imprévus entraînant la liquidation de dépôts interbancaires ; Allen & Gale, 2000). En
tout état de cause, la disparition de la liquididépend de l’incertitude intrinsèque (la quali
des actifs bancaires), mais aussi de l’incertitude stratégique (le comportement présumé des
autres déposants).
Ainsi que le souligne Clerc (2008), une troisième source de crise de liquidité bancaire a
émergé, du côté de l’actif du bilan, en liaison avec les processus de titrisation des portefeuilles
de prêt, l’évaluation en valeur de marché, et la gestion active des portefeuilles (Zhu, 2008),
renforçant la contagion et la dépendance globale au degré de liquidité des marchés (Von Peter,
2004) : les crises bancaires ne sont pas systématiquement la conséquence d’un run.
A l’échelle internationale, le risque de liquidité bancaire prend une forme nouvelle, le non
renouvellement de crédits courts par les prêteurs se substitue aux retraits de la part des
déposants domestiques. En particulier, bien que leur intégration revête une fonction
préventive, via une meilleure diffusion de l’information (Huang & Xu, 2001), les marchés
interbancaires peuvent brutalement cesser de fonctionner. Tout en améliorant la
diversification des risques et en favorisant l’accès à la liquidité (Bliss & Kaufman, 2005 ;
Furfine, 2001, 2003 ; Goodhart & Huang, 2000 ; Laidler, 2004), ils renforcent le risque
qu’une crise éventuelle ne prenne une dimension contagieuse, voire systémique (Freixas & al.,
2000 ; Iori & al., 2006, Nier & al., 2008 ; Upper & Worms, 2004), en fonction du degré de
concentration sur le marché, et de l’interconnexion bilancielle des grandes banques : sur des
marchés financiers intégrés, les risques inhérents à l’activité bancaire, en particulier le risque
de liquidi(intimement lié au risque de crédit ; de Boissieu, 2008) peut prendre la forme de
crise systémique
4
(Lubochinsky, 2008).
En effet, le secteur bancaire est essentiel pour le bon fonctionnement des systèmes financiers
dans leur ensemble. Par leurs nombreuses opérations d’achat/vente de titres, les banques
assurent la liquidité des marchés de capitaux : l’intermédiation bancaire traditionnelle est
désormais couplée à une intermédiation de marché. Aglietta (2008) défend alors qu’un
marché est plus flexible s’il est plus liquide, mais, dans ce cas, il est également plus
contagieux au moment du retournement des anticipations, lorsque cette liquidité disparaît (par
exemple en cas de hausse des taux directeurs
5
; Illing, 2006).
Risque de liquidité et procyclicité bancaire
L’importance de ce retournement renvoie à la forte cyclicité de l’activité bancaire,
caractérisée par l’enchaînement de phases euphoriques, durant lesquelles on assiste à un
emballement du crédit et à un phénomène de surendettement, et de phases neurasthéniques, où
le rationnement du crédit accompagne la restructuration des bilans et la déflation de la dette.
Kindleberger (1978) a montré que la recherche de liquidité, dans un contexte de baisse de
valeur des collatéraux, inclut l’occurrence de faillites bancaires. Après Hofmann (2001),
Reinhart & Rogoff (2008) confirment ce systématisme, et repèrent, avant le déclenchement
des nombreuses crises financières ayant impliqué les banques, une hausse simultanée des
ratios d’endettement et de la valeur des actifs.
4
Ces constats tendent à remettre en cause la distinction établie par Schwartz (1986) entre les pseudo crises
financières, caractérisées par la panique, qui seraient circonstancielles et localisées, et les crises financières
réelles, systémiques, seules à même d’affecter les économies réelles. D’où la nécessité de revenir aussi sur ses
conclusions, suivant lesquelles il serait inutile, voire néfaste, d’intéresser les Banques centrales à la stabilité
financière et aux marchés de capitaux.
5
Artus & al. (2008) mettent en perspective la perte de croissance qui aurait résulté d’une politique monétaire
moins (longtemps) expansionniste de la part de la Fed, i.e. après l’éclatement de la bulle Internet, et la perte de
croissance, depuis 2007, liée à l’explosion de la bulle immobilière (via notamment l’élasticité des prix de
l’immobilier au taux d’intérêt à court terme).
5
Par transposition de ce schéma à l’échelle internationale, l’activité de crédit participe
activement à la montée des risques, via l’alimentation de bulles sur prix d’actifs (notamment
immobiliers ; Davis & Zhu, 2004 ; Lowe, 2002 ; Von Peter, 2004) qui rehaussent la valeur
des collatéraux, d’où son fort accroissement avant le déclenchement des crises (Martinez
Peria & al., 2002).
Cette procyclicité naturelle des systèmes financiers sur l’activité économique, et tout
particulièrement la procyclicité bancaire, liée à l’asymétrie d’information entre prêteurs et
emprunteurs (Lowe, 2002), est fondamentale pour appréhender les dysfonctionnements des
marchés financiers (Gilles, 2004). Elle est renforcée par les stratégies bancaires ; par exemple,
une gestion procyclique de l’effet de levier peut renforcer le caractère intrinsèquement
procyclique du levier (Adrian & Shin, 2008)
6
.
Les Accords de Bâle, même s’ils ont globalement un impact stabilisateur (Demirgüç-Kunt &
al., 2006), renforcent également cette procyclicité (Allen & Saunders, 2003 ; Borio & al.,
2001 ; Thoraval, 2006). Selon Ndong & Scialom (2008), leur faiblesse majeure serait d’avoir
négligé le risque de liquidité, point de vue officialipar le Comité de Bâle lui-même (2008).
En effet, si les deux tiers des vingt-sept pays de l’Union Européenne ont une réglementation
sur la liquidité (de Boissieu, 2008), le Comité n’a pas réussi à mettre en œuvre une
coopération internationale comme il l’a fait à propos de la solvabilité bancaire
7
. Un élément
d’explication se trouve dans le fait que, si la stabilité financière est un bien public mondial au
sens de Pigou, fondé sur la notion d’externalité (Kindleberger, 1986), elle n’est pas un bien
commun (bien public pur) car tous les opérateurs n’ont pas la même aversion à l’instabilité
financière : d’où l’intérêt pour la notion de bien public sous tutelle, fondée sur le concept plus
large d’intérêt général (Boyer & al., 2004).
De même, la comptabilisation à la juste valeur limite la capacité des banques à lisser
intertemporellement les besoins du secteur privé, fonction essentielle de l’intermédiation
bancaire (voire la seule, comme dans le modèle de Diamond & Dybvig, 1983), d’où la
préconisation, par Goodhart (2004, 2008), d’introduire une contracyclicité en liant les
exigences de liquidité (et de capital) aux marges de taux d’intérêt, qui se contractent en
période d’optimisme. De telles mesures doivent être prises au niveau global, inversement au
caractère fragmentaire des dispositifs prudentiels, puisque les réserves liquides obligatoires
substituent l’intérêt public (stabilifinancière) à l’intérêt privé (le bénéfice bancaire). Artus
& al. (2008) préconisent ainsi une prise en compte accrue de la liquidité par les agences de
rating.
Alors même que la liquidité est devenue une variable binaire, pouvant disparaître localement
tout en étant globalement abondante, Tirole (2008) propose une distinction utile entre liquidité
6
La procyclicité du levier est également liée à un effet de richesse, d’où, en cas de crise, un risque de contagion
par les variations de prix, les risques mesurés et la valeur du capital. En cas de gestion active des bilans,
« lorsque le prix des titres augmente, l’ajustement à la hausse du levier entraîne des achats de titres encore plus
importants que lorsqu’on s’efforce simplement de maintenir un levier constant » (Adrian & Shin, 2008, p.5), soit
un mécanisme d’accélération financière. Les auteurs montrent ainsi que la liquidité agrégée peut se concevoir
comme le taux de croissance des bilans agrégés. Se pose alors la question du montant des liquidités créées par le
double processus d’emprunt hypothécaire (mortgage backed securities) et de titrisation (Tirole, 2008), plus
généralement par l’innovation financière (Duffie, 2008).
7
En terme d’adéquation capitalistique, le provisionnement statique, qui mène à enregistrer les pertes en phase
descendante du cycle, pèse sur la position en capital, donc sur l’offre de crédit, puis l’investissement (dès lors
qu’une augmentation de capital est devenue trop risquée ; Mishkin, 1999), renforçant la procyclicité du crédit
(Dietsch & Garabiol, 2004 ; Levieuge, 2005) et fragilisant les systèmes bancaires.
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